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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 25 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 5 juillet 2005

Le Comité senatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 2 pour examiner les enjeux lies à la santé mentale et à la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Soyez les bienvenus. Avant de commencer, je vais parler de l'état d'avancement du rapport du comité sur la santé mentale et la maladie mentale. Nous nous étions fixé comme objectif de produire un rapport avant la fin de l'année, mais ce sera peut-être pour la première ou la deuxième semaine de janvier. Nous allons consacrer un chapitre du rapport à la question de la santé mentale en milieu de travail. Même si le rapport abordera un nombre considérable de sujets qui transcendent les générations, deux ou trois chapitres seront consacrés à la santé mentale et à la maladie mentale dans des sous-groupes particuliers de la population, comme les enfants, les aînés et les travailleurs. Pour ces chapitres, le Comité a tenté de tenir une table ronde, comme celle d'aujourd'hui, pour permettre à des gens de partout au pays de prodiguer des conseils sur ce que les gouvernements fédéral et provinciaux et le secteur privé pourraient faire pour améliorer la situation. Tout comme il l'a fait dans son rapport sur le système de soins de courte durée en octobre 2002, le Comité cherche à décrire spécifiquement les options qui s'offrent à tous les intervenants. Notre Comité n'a pas tendance à débiter des platitudes, si pertinentes soient-elles, comme affirmer que la vraie solution, en ce qui concerne la santé mentale des enfants, c'est d'éliminer la pauvreté. Il se trouve que c'est vrai, mais ce n'est guère réalisable. Le rapport sera spécifique, et j'invite les témoins à être le plus spécifiques possible lorsqu'ils formulent des commentaires.

La rencontre d'aujourd'hui prendra fin à 15 heures, de façon à permettre aux sénateurs d'assister à un vote éventuel dans la Chambre. Par conséquent, j'invite les intervenants à limiter leurs commentaires à cinq ou six minutes, afin qu'on dispose de suffisamment de temps pour une discussion générale. Cela dit, j'invite tous les intervenants à se présenter. Je suis Michael Kirby, président du Comité des affaires sociales.

M. Marc Corbiere, professeur adjoint, Institut de recherche en promotion de la santé, Université de la Colombie- Britannique : Bonjour. Je suis chercheur et professeur adjoint à l'Université de la Colombie-Britannique à Vancouver. Je m'intéresse à la santé mentale et à la santé en milieu de travail et, plus spécifiquement, aux facteurs qui favorisent l'intégration en milieu de travail de cette clientèle. Je m'intéresse également au continuum des problèmes de santé mentale — ou maladie mentale —, pas seulement aux maladies graves, mais aussi à la dépression, à la dépression sporadique et à d'autres problèmes. Plus récemment, j'ai travaillé sur la comorbidité entre les troubles musculosquelettiques et la dépression.

Le sénateur Keon : J'étais médecin avant ma vie au Sénat. Toutefois, ma carrière médicale n'était pas vraiment liée à la santé mentale. J'ai été cardiochirurgien et administrateur des services de santé pendant toute ma carrière.

Mme Lucie France Dagenais, recherchiste, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : Bonjour, j'appartiens à la Commission des droits de la personne du Québec. Je suis sociologue, et j'ai effectué des recherches empiriques sur la santé mentale au travail.

[Français]

J'étudie les situations où il y a atteinte à la santé psychologique, plus particulièrement en milieu de travail, en conformité à l'article 46 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissant des conditions de travail saines, c'est-à-dire qui n'affectent pas l'intégrité psychique et physique des personnes. Aujourd'hui, je présente les résultats de mes recherches.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane : Je suis sénateur, et je représente la province de Terre-Neuve-et-Labrador. J'étais enseignante avant de devenir sénatrice, et je m'intéresse beaucoup aux handicaps et à la schizophrénie, en particulier chez les enfants.

Mme Mary-Ann Baynton, directrice, Association canadienne pour la santé mentale, Division de l'Ontario : Je travaille au sein de Mental Health Works, entreprise qui exerce ses activités sous l'égide de l'Association de santé mentale de l'Ontario, organisme sans but lucratif. Les employeuers retiennent nos services afin que nous puissions les aider à adapter le milieu de travail aux besoins de personnes souffrant d'une maladie mentale, ou former les gestionnaires sur la façon de composer ou de travailler avec des personnes qui souffrent d'une maladie mentale.

[Français]

Mme Romaine Malenfant, professeure-recherchiste, Université du Québec en Outaouais : Ma formation de sociologue m'a amenée à m'intéresser aux transformations du travail et à leurs répercussions sur la santé mentale, plus précisément à la précarisation de l'emploi et du marché du travail depuis quelques années, à savoir quels en sont les impacts sur la conciliation travail-famille et travail-grossesse.

Le sénateur Pépin : Je suis une ex-infirmière spécialisée en gynécologie et en contraception. Je suis contente que vous participiez à notre comité, d'autant plus que je suis persuadée qu'il est le meilleur que nous ayons au Sénat.

[Traduction]

Mme Lembi Buchanan, présidente, membre et ressource aux communications, Comité consultatif technique sur les mesures fiscales pour les personnes handicapées : Je milite activement dans le domaine de la santé mentale. J'ai fait partie du Comité consultatif technique sur les mesures fiscales pour les personnes handicapées. Ma participation à cette démarche tient tout particulièrement au fait que le crédit d'impôt fédéral pour personnes handicapées établit une discrimination contre les personnes atteintes d'une déficience mentale. Je parlerai de cela plus tard.

Ma principale préoccupation est de veiller à ce que les personnes souffrant de maladie mentale soient en mesure d'accéder aux programmes de sécurité du revenu du gouvernement, dans la mesure où ils satisfont aux critères d'admissibilité. Je suis particulièrement préoccupée par la situation des professionnels, lesquels éprouvent le plus de difficultés à retourner sur le marché du travail, et sont bien souvent rejetés.

Mme Elizabeth Smailes, directrice, Développement organisationnel et santé mentale : Je travaille au sein de l'organisme de santé et sécurité au travail de B.C. Health Care. Je suis directrice, Développement organisationnel et santé mentale. Nous mettons l'accent sur la prévention. Il s'agit d'un organisme bipartite doté d'un conseil patronal- syndical, alors qu'on insiste beaucoup sur la prévention et les milieux de travail sains, ainsi que sur le retour au travail, dont M. Corbiere a déjà parlé. Nous travaillons en étroite collaboration avec lui dans le cadre d'un grand nombre de nos programmes.

Je suis psychologue, et, dans le cadre de mon travail, je m'intéresse aux liens de causalité touchant la sélection — est- ce que le travail influe vraiment sur la santé mentale? Les recherches que j'ai menées laissent croire que c'est le cas.

[Français]

Mme Sylvaine Raymond, coordinatrice de recherche, Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie, Université du Québec à Montréal : Je suis psychologue communautaire de formation et je fais de la recherche sur le suicide en milieu de travail, à savoir plus précisément l'impact du suicide dans notre l'organisation et chez des collègues. J'étudie des solutions pour prévenir le suicide. Je suis membre du conseil d'administration de l'Association canadienne pour la prévention du suicide.

[Traduction]

Le sénateur Cordy : Je suis sénateur et je viens de laNouvelle-Écosse. Avant de devenir sénatrice, j'ai enseigné à l'école primaire pendant 30 ans, alors j'ai pu voir comment la santé mentale et la maladie mentale influent non seulement sur les jeunes enfants, mais aussi sur leur famille. J'ai également été présidente du conseil arbitral pour ce qu'on appelait DRHC à l'époque; c'était pour les gens qui contestaient la décision de refuser de leur verser des prestations d'assurance-emploi. De nombreuses personnes sont passées par là lorsqu'on leur a refusé des prestations parce qu'elles ont quitté leur emploi sur un coup de tête, quand la pression était trop forte. Bien sûr, la Loi prévoyait un certain nombre de choses que vous connaissez déjà, j'en suis certaine.

[Français]

M. Angelo Dos Santos Soares, professeur, Université du Québec à Montréal : Je suis professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. Je suis sociologue de formation. Mes recherches portent sur la violence psychologique, ses effets sur la santé mentale, dont le harcèlement psychologique au travail, et les dimensions organisationnelles au travail qui peuvent rendre les gens malades physiquement ou mentalement. Depuis un mois, je suis citoyen canadien.

[Traduction]

Le sénateur Cook : Je suis Joan Cook, sénateur deTerre-Neuve-et-Labrador.

M. Merv Gilbert, psychologue, Unité d'évaluation en santé mentale et de consultation communautaire, Département de psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique : Bonjour. Je suis psychologue au sein de l'Unité d'évaluation en santémentale et de consultation communautaire à l'Université de la Colombie-Britannique. Je suis co-auteur du manuel « Depression & Work Function » qui vous a été distribué, et dont je suis très heureux de me départir. C'était lourd à porter dans l'avion.

Je m'intéresse aux rouages psychologiques du travail, et à la création de milieux de travail psychologiquement sains. Je m'intéresse également à la main-d'œuvre de demain, et à veiller à ce que les gens qui accèdent au marché du travail soient bien dans leur peau.

Le sénateur Callbeck : Je suis un sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard. J'ai évolué dans les domaines de l'enseignement, des affaires et de la politique.

M. JianLi Wang, professeur agrégé, psychiatrie, Sciences de la santé communautaire, Université de Calgary : Bonjour. Je suis professeur adjoint au département de psychiatrie et des sciences de la santé communautaire de l'Université de Calgary. J'ai eu une formation en épidémiologie. Je suis chercheur, et je mène des études épidémiologiques sur les troubles mentaux au sein de la population active du Canada.

Mme Nicky Pogue, attachée de recherche, Bibliothèque du Parlement : J'aide à mener des recherches pour le Comité.

M. Howard Chodos, attaché de recherche, Bibliothèque du Parlement : Je suis l'attaché de recherche principal du Comité.

Le président : Notre groupe est très éclectique, du côté tant du comité que des témoins. C'est justement cette diversité de points de vue qui nous a permis d'accomplir une grande part du travail que nous avons fait dans le domaine de la santé.

J'aimerais seulement signaler quelque chose à ceux d'entre vous qui êtes ici aujourd'hui à titre d'invités. Puisque, la plupart du temps, on ne vous montre à la télévision que les constantes querelles qui ont lieu dans la Chambre des communes, je crois bon de vous signaler que chaque rapport sur la santé que nous présentons, qu'il s'agisse du système de soins de courte de durée fondé sur les hôpitaux et les médecins, ou le travail que nous avons fait jusqu'à maintenant, et le travail que nous ferons en vue de la rédaction de notre rapport final sur la santé mentale, fait l'unanimité. Depuis le début de nos travaux dans ce domaine, il y a cinq ans, nous n'avons jamais eu à composer avec une divergence d'opinions fondée sur des considérations partisanes. Cela en dit beaucoup sur mes collègues, surtout dans un domaine aussi controversé.

Cela ne veut pas dire que nous nous entendons sur tous les enjeux, mais nos divergences d'opinions n'ont absolument rien à voir avec une affiliation politique. Nous pouvons avoir des divergences d'opinions raisonnables, Toutefois, elles ne tiennent certainement pas aux lignes de parti. En effet, je défierais quiconque de deviner quel membre du Comité appartiennent à quel parti, car il nous arrive parfois de l'oublier nous-mêmes.

Je vous invite à nous dire ce que, d'après vous, nous devrions recommander aux gouvernements, aux employeurs du secteur privé, aux organismes, etc., de faire au chapitre de la santé mentale en milieu de travail.

M. Corbiere : J'ai préparé un document qui s'intitule « Action Plan for Mental Health in the Workplace ». Il est divisé en plusieurs sections. La première section porte sur la situation dans laquelle se trouvent les personnes aux prises avec une maladie mentale ou des problèmes de santé mentale qui travaillent ou qui cherchent un emploi.

Dans la première section, je décris le système des commissions des accidents du travail pour ce qui est des personnes qui commencent à éprouver des problèmes de santé mentale. La CAT est fondée sur les principes liés au travail. Par conséquent, nous devons prouver que les problèmes de santé mentale découlent du milieu de travail. Cela pose problème, car il n'est pas toujours possible d'établir un lien de causalité entre les problèmes de santé mentale et le milieu de travail. Parfois, les problèmes de santé mentale peuvent découler de facteurs liés à la fois à la vie professionnelle et à la vie personnelle. Ainsi, selon moi, il est nécessaire d'étendre le principe applicable aux demandes d'indemnisation de problèmes de santé mentale liés au travail, et de ne plus considérer le problème comme uniquement lié au milieu de travail. J'ignore quelle solution les CAT et les assureurs pourraient mettre au point.

La deuxième partie de cette première section concerne l'aide sociale versée aux personnes handicapées. Vous trouverez à la page 2 un tableau qui illustre la réalité en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec, histoire de vous donner une idée précise de la somme versée mensuellement à une personne célibataire handicapée ou ayant des capacités d'emploi limitées et des exemptions de gain pour chaque province.

Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou atteintes d'une maladie mentale n'ont pas vraiment d'avantages économiques les incitant à trouver un emploi à temps plein. La loi n'est pas assez souple pour aider les gens à retourner au travail à temps plein. L'invalidité devrait être considérée comme chronique, selon moi. Quand les gens ont la possibilité de retourner au travail, ils devraient être encouragés à le faire, sans risquer d'être punis s'il y a rechute. Quand les gens qui retournent au travail font une rechute, ils doivent attendre longtemps avant de pouvoir toucher de nouveau une pension d'invalidité. On se trouve à punir les personnes souffrant de maladies mentales.

Il importe d'envisager l'adaptation du milieu de travail en fonction des besoins d'un personne souffrant de maladie mentale, comme l'ont mentionné de nombreux auteurs. Afin de regrouper tous les types de mesures d'adaptation du milieu de travail, nous avons élaboré un questionnaire permettant d'évaluer systématiquement les mesures d'adaptation prises en milieu de travail pour accueillir une personne souffrant de maladie mentale. Nous évaluons actuellement cette enquête menée auprès de personnes souffrant de maladie mentale grave qui cherchent un emploi ou qui essaient de conserver leur emploi. Les résultats de l'enquête sont utilisés dans le cadre d'un projet mis en œuvre en Colombie-Britannique, et financé par les IRSC. Ce questionnaire a pour but de nous aider à évaluer les mesures de dotation du milieu de travail qui s'offrent à la clientèle.

Dans la quatrième section, je fournis un exemple de coordination et d'intégration des systèmes, avec un accent marqué sur l'exécution à l'échelon communautaire, c'est-à-dire les programmes d'assistance en milieu de travail offerts en Colombie-Britannique et dans le reste du Canada. AuxÉtats-Unis, le programme d'assistance en milieu de travail est reconnu à titre de pratique fondée sur les données probantes. L'un des principes des programmes d'assistance en milieu de travail prévoit que le programme est intégré au traitement lié à la santé mentale. Il est possible d'assurer une coordination entre le traitement lié à la santé mentale, le milieu de travail et les équipes en santé mentale.

Dans la section 5, je décris quelques stratégies susceptibles de favoriser la collaboration entre les omnipraticiens et les psychiatres.

Il y a une liste de stratégies de collaboration aux pages 5 et 6. La première dimension concerne l'organisation des activités de formation médicale continue.

Dans votre troisième rapport, vous demandiez ce que les gouvernements pourraient faire pour accroître la sensibilisation au fait que la santé mentale est aussi importante que la santé physique. L'une des solutions possibles consisterait à commencer par les problèmes de santé mentale liés à des troubles physiques, comme les maladies musculosquelettiques. De nombreuses études font état d'une comorbidité élevée entre la douleur et les troubles psychiatriques. Il est possible d'intervenir à cet échelon. Toutefois, ces recherches ne portent pas directement sur les problèmes de santé mentale ou sur la maladie mentale, car elles mettent l'accent sur les divers problèmes de santé physique qui peuvent survenir en milieu de travail.

Afin de combler les écarts, nous avons conçu un projet de recherche en Colombie-Britannique, et nous l'avons présenté à la Michael Smith Foundation for Health Research. Ce projet aborde les enjeux clés auxquels les intervenants attachent de l'importance, comme le repérage des facteurs de risque liés au comportement et au système qui pourraient se prêter à des programmes d'intervention futurs. Nous voulons ouvrir la voie à des projets qui pourraient améliorer les programmes existants en fournissant des services liés à la santé mentale et au comportement. C'est l'une des façons d'intervenir à cet échelon.

Enfin, j'estime qu'il faut évaluer les programmes d'aide aux employés en vue de s'informer des besoins des employés et de l'accès dont ils jouissent, ainsi que des résultats en milieu de travail et de leur bien-être.

Le président : Merci.

[Français]

Mme Dagenais : Je veux vous signaler que la Commission des droits de la personne du Québec s'est intéressée à la question des atteintes à la santé psychologique au travail depuis quelques années, plus précisément depuis l'année 2000 puisquel'article 46 de la Charte nous a amenés à nous poser différentes questions. L'article 46 dit que toute personne qui travaille a droit à des conditions de travail justes et raisonnables qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. Bien entendu, nous recommandons que la santé psychologique soit aussi intégrée dans la définition de l'article 46.

L'étude que nous avons proposée est une interprétation de l'application du droit à la santé et des obligations dans le domaine du travail, telles que définies par les différents organismes internationaux dont je vais vous reparler. En fait, nous avons utilisé comme matériau de recherche nos dossiers d'enquête qui nous ont permis d'identifier les effets néfastes des conditions de travail sur la santé psychologique. Dans le présent projet de recherche, nous avons retenu la problématique des atteintes à la santé psychologique qui était très repérable dans les dossiers d'enquête. Nous avons aussi procédé à des consultations auprès des enquêteurs de la commission qui traitent ces dossiers. L'objectif de base était de faire le lien entre les facteurs de risque et les situations d'atteinte à la santé psychologique.

Bien sûr, le postulat de départ est qu'on ne peut nier les prédispositions personnelles face à la maladie. Les situations d'atteinte à la santé psychologique — toutes choses étant égales d'ailleurs — sont vues comme des effets de l'action des facteurs de risque dans les conditions de travail. Nous avons classé les situations d'atteinte à la santé : les situations les plus graves, les situations pathogènes et les situations non spécifiques. À partir d'un examen de la documentation internationale, nous avons identifié des indicateurs pour procéder à une étude empirique de nos dossiers de plainte. Comme indicateurs, nous avons l'épuisement professionnel, la dépression, la consommation de psychotropes, les troubles somatiques, la détresse psychologique et les problèmes de sommeil. Nous avons aussi des situations pathogènes : stress, anxiété et irritabilité. Pour les situations non spécifiques, nous avons parlé de l'insatisfaction et de l'absentéisme.

Concernant les indicateurs relatifs aux facteurs de risque, il y a deux catégories. Tout d'abord ceux qui sont reliés aux relations sociales au travail. Cela inclut la violence, le harcèlement, l'absence d'appui social et les mauvaises relations au travail. La deuxième catégorie comprend ceux que l'on retrouve dans l'organisation du travail et qui sont beaucoup moins connus sur une base d'analyse. Nous avons repéré l'intensification du travail, l'absence de marge de manœuvre, les horaires atypiques, l'absence de reconnaissance, l'absence de groupes d'expression, l'avancement au mérite et la flexibilité. Ce sont des facteurs de risque que nous avons analysés à partir de nos dossiers d'enquête. C'est l'aspect diagnostic.

Je ne peux pas vous en parler de façon détaillée parce que je n'en ai pas le temps, mais je veux vous signaler que le diagnostic a été fait dans une étude sur le harcèlement psychologique en 2000. Les résultats de notre plus récente étude dans laquelle nous avons fait l'observation du lien entre les situations d'atteinte et les facteurs de risque sont inclus dans le rapport, à l'intérieur d'un document maison de la commission. La recension documentaire internationale qui identifie les identificateurs se retrouve dans cette synthèse que nous avons produite.

Nous avons aussi indiqué, dans la seconde section du rapport principal, des recommandations pour maintenir la garde, améliorer la réparation des atteintes à la santé psychologique et améliorer la prévention. Nous pouvons avoir trois paliers d'action sur le plan de l'application du droit à la santé. Nous avons défini un aspect de réaffirmation de l'obligation de protection du droit à la santé physique et psychologique face aux facteurs de risque que nous avons identifiés comme étant les plus virulents; nous pensons ici à la violence et au harcèlement. Il y a les dispositions législatives existantes dans la loi sur les normes. Un an après la mise en œuvre de cette loi, nous avons observé qu'il y avait des cas qui ne sont pas assimilables à la définition de harcèlement psychologique qui se trouve dans la loi. Les autorités se demandent comment on peut parvenir à mieux identifier cette situation. En réalité, l'étude que nous avons réalisée permet d'obtenir des indicateurs et des critères qui nous aident à avoir une vision plus large du harcèlement psychologique.

Il faut aussi un élément de réaffirmation des principes. Il faut un engagement clair de la part des pouvoirs publics dans leur obligation de protéger la santé psychologique au travail qui rejoint non seulement les cas ouvertement discriminatoires et d'atteinte à l'intégrité physique, mais cela doit aussi faire primer des valeurs de santé et d'intégrité à la fois physiques et psychologiques. Il faut également une réaffirmation de l'obligation de protection du droit fondamental à la santé tel que la charte devrait le définir.

Je voudrais aussi vous parler de l'obligation de protection du droit à la santé psychologique face aux facteurs de risque dans l'organisation du travail pour identifier des indicateurs fiables. Actuellement, nous n'avons pas d'indicateurs fiables. Nous avons des situations où, par exemple, la Commission de la santé et de la sécurité du travail va utiliser différentes pratiques pour déterminer si la réparation peut se faire, mais nous n'avons pas un portrait clair de la situation des atteintes à la santé psychologique au Québec, mais au Canada, a fortiori, certainement. En identifiant les facteurs de risque dans l'organisation du travail, par rapport à des situations d'atteinte morbide, nous avons constaté que l'absence de marge de manœuvre crée des problèmes de détresse psychologique, de l'anxiété et des troubles somatiques. Nous avons pu faire le lien entre ces facteurs. Nous avons également identifié que les horaires atypiques sont parfois en lien avec la dépression et que la surveillance et le contrôle des cas où des gens doivent compiler à chaque instant combien de touches d'ordinateur ils ont à entrer crée du stress, de l'anxiété, de l'absentéisme et de l'irritabilité.

Nous proposons aussi une amélioration et un renforcement de l'efficacité des mesures de réparation. Nous pouvons mieux fonder les décisions sur la question de la réparation à partir des outils scientifiques connus et des connaissances existantes à l'heure actuelle et non pas laisser ces décisions aux simples compromis locaux. Ceci implique un meilleur lien entre les décideurs et les chercheurs pour tenir compte des résultats de recherche qui existent sur les situations d'atteinte à la santé psychologique.

Nous pouvons — et c'est très important — dans le cadre d'un projet public global d'amélioration de l'organisation du travail, viser à humaniser les conditions de travail, assouplir les horaires de travail, notamment pour favoriser une meilleure conciliation travail-famille. Il faut former les gestionnaires aux incidences d'une saine gestion en impliquant la dimension humaine dans les organisations. Il faut essayer d'améliorer les mécanismes de réinsertion des personnes qui ont subi un arrêt de travail à des fins de maladie mentale. Tout cela de façon à optimiser les effets de la réparation.

Nous avons nommé le dernier grand palier « l'anticipation de l'obligation de mise en œuvre du droit à la santé ». Il s'agit de mieux agir en prévention en identifiant les facteurs de risque pathogène sur la santé psychologique. On parle des organisations où il n'y a pas de groupes d'expression. Il existe plusieurs endroits où les gens n'ont pas la possibilité de s'exprimer, de faire valoir leurs réalisations, alors cela crée du stress, de la détresse psychologique et de l'absentéisme.

On a constaté que les normes de productivité, de qualité ou de quantité introduisent beaucoup de troubles somatiques, de l'anxiété et des problèmes de sommeil. Nous avons compulsé que la notion d'intensification au travail entraîne beaucoup d'insatisfaction dans les milieux de travail.

Je pense qu'il faut réaffirmer le droit à la santé psychologique au travail comme un droit fondamental. On pourrait remettre à l'agenda politique la question de la qualité des conditions de travail en incluant les aspects des travailleurs réguliers.Éviter donc l'usure prématurée, c'est-à-dire le vieillissement de la main-d'œuvre et trouver des mécanismes pour ne pas favoriser une usure prématurée.

On doit insérer aussi, pour les travailleurs atypiques, un meilleur accès à la prévention et au traitement de ces travailleurs. Il y aurait lieu d'adopter une loi-cadre nationale avec des objectifs chiffrés, un calendrier d'exécution et une identification des responsabilités institutionnelles de cette mise en œuvre.

On doit prévoir une politique publique de promotion de la santé psychologique et des conditions de travail, non seulement auprès des grandes entreprises, comme cela semble le cas actuellement, mais aussi auprès des petites et des moyennes entreprises, et auprès des travailleurs eux-mêmes.

Il faut un engagement de la part des organisations et des entreprises à travailler concrètement pour rehausser le climat de travail organisationnel et pour promouvoir la santé psychologique au travail. Il faut des objectifs incorporés dans des cadres de responsabilités de l'entreprise et des visions plus collectives. On doit en tenir compte dans les programmes d'aide aux employés. On peut parler de programmes de promotion de la santé en milieu de travail pour tenir compte des facteurs organisationnels.

On doit améliorer la représentation et l'implication des travailleurs pour assurer leur participation à la prise de décisions quand elles sont susceptibles d'orienter leur développement. On peut penser à la connaissance des tâches, à la culture du milieu de travail et à des systèmes organisationnels.

Pour terminer, je mentionnerai le rôle spécifique de la Commission des droits de la personne pour la défense d'un environnement de travail sain et ses applications. Nous avons identifié certains éléments dans notre document. Je pense que la Commission, de façon concertée avec d'autres interlocuteurs et d'autres instances, peut être saisie de ces dossiers portant atteinte au droit à la santé et elle peut jouer un rôle central dans la promotion de cet objectif du droit à la santé au travail.

Je vous ai exposé rapidement le résultat de mes recherches et quelques propositions. Mais je pourrai y revenir, si cela vous intéresse, dans le cadre de vos questions.

[Traduction]

Mme Baynton : Nous adoptons une approche équilibrée à l'égard de la santé mentale en milieu de travail, car nous reconnaissons que les employeurs sont souvent pris entre l'arbre et l'écorce. Ils peuvent avoir de bonnes intentions à l'égard des gens souffrant de maladie mentale, mais ils n'ont ni formation ni expérience. Ils sont donc laissés à eux- mêmes, et ils tentent de composer avec la situation. Nous savons que de 75 à 80 p. 100 des dirigeants deviennent des dirigeants non pas parce qu'ils ont de l'entregent, et certainement pas parce qu'ils sont aptes à aider des gens aux prises avec un problème de stress ou de maladie mentale, mais bien parce qu'ils ont des compétences techniques. Pour cette raison, il faut toujours tenir compte du droit de l'employé à des mesures d'adaptation, et de sa responsabilité de collaborer à ce processus.

Je parlais à M. Corbiere plus tôt, et je lui ai dit que la clé du succès, pour ce qui est des mesures d'adaptation destinées aux personnes souffrant de maladie mentale, c'est de faire participer l'intéressé, de lui demander ce qui fonctionne, et de l'inviter à s'engager à l'égard d'une mesure d'adaptation, au lieu de s'y conformer.

Toutes nos recommandations sont liées à la deuxième perspective analysée dans le premier rapport, c'est-à-dire celle des personnes qui ont déjà un emploi ou qui sont actuellement frappées d'incapacité, mais qui ont un emploi. Même si nous appuyons certainement toutes les autres recommandations, sachez que les nôtres découlent de cette perspective.

Notre première recommandation concerne la nécessité de commencer à considérer ce que la législation en matière de droits de la personne appelle un « milieu de travail empoisonné » comme un risque professionnel, car c'est ce qu'il est. La formation relative aux matières dangereuses en milieu de travail est obligatoire, et, de même, il faut imposer une formation relative aux personnes, plus précisément au chapitre des stratégies de communication et de la gestion du rendement. Lorsque nous parlons de gestion du rendement, nous parlons non pas d'une approche axée sur la punition, mais bien d'une approche concertée, axée sur les solutions, visant à tirer le maximum d'une personne.

Notre prochaine recommandation concerne les syndicats. Dans le cadre de nos travaux, nous faisons toujours appel aux syndicats, à titre de partenaires. La démarche doit être globale, on ne saurait faire cela au cas par cas; c'est comme l'intimidation dans la cour d'école : le phénomène va bien au-delà de la victime et du harceleur. Il faut changer la culture, l'environnement.

Les experts syndicaux que nous recommandons sont des gens qui représentent les intérêts des syndicats, mais qui comprennent aussi les enjeux liés à l'adaptation. La procédure de règlement des griefs est souvent controversée, conflictuelle et accusatoire. Bien souvent, le fait de soumettre une personne souffrant de dépression ou d'angoisse à cette procédure mène à l'aggravement des symptômes. Cela ne veut pas dire que le syndicat ne devrait pas défendre les droits de ses membres. Ce que nous affirmons, c'est que les syndicats doivent disposer de personnes jouissant d'une formation à l'égard de ce genre de travail, afin qu'elles puissent aider une personne dans le cadre de cette procédure.

Notre troisième recommandation concerne les programmes d'aide aux employés. Nous croyons que ces programmes sont très efficaces pour procurer une aide immédiate aux employés, mais nous constatons qu'un très petit nombre de ces programmes mise sur la thérapie dont l'efficacité a été démontrée dans le cadre de recherches, c'est-à-dire la thérapie cognitivo-comportementale. La raison pour laquelle nous préconisons cette approche, c'est que, pour survivre dans son milieu de travail, une personne doit revoir ses processus cognitifs et comportementaux. Nous recommandons que les PAE ajoutent cet élément à la formation de leurs conseillers.

On devrait également se pencher sur la durée du counselling offert dans le cadre des PAE, car, dans certains cas, on ne tiendra que trois ou quatre séances, et nous savons que cela ne suffit pas. Dans certaines collectivités, surtout dans le nord de l'Ontario, le PAE est le seul lien permettant aux gens d'accéder à un traitement efficace. Il n'y a ni psychiatre ni psychologue à moins de trois heures de route, alors, dans un grand nombre de cas, c'est vraiment important.

Notre quatrième recommandation, c'est que nous avons besoin de recherche. Bien sûr, Mental Health Works croit déjà avoir une bonne solution et une bonne approche, mais nous devons étayer notre position au moyen de preuves plus probantes que les renseignements non scientifiques dont nous disposons à l'heure actuelle. Nous nous réjouissons de constater que des projets de recherche sont actuellement mis au point en vue d'examiner l'approche adoptée par divers organismes, car cela nous permettra de mettre en commun nos conclusions, et chaque employeur pourra les mettre en pratique.

Notre cinquième recommandation découle de l'expérience de certaines personnes qui sont passées de l'invalidité à court terme à l'invalidité à long terme, et qui sont passées entre les mailles du filet.

Nous croyons qu'il faut établir quelque chose pour aider les gens à faire cette transition. Bien souvent, en raison de formulaires qui n'ont pas été remplis, de choses qui n'ont pas été faites, les gens sombrent dans une crise financière qui s'ajoute à une crise déjà existante, au chapitre de la santé mentale.

Voilà qui m'amène à la dernière recommandation, c'est-à-dire le fait que nous devrions avoir des intervenants. Bien souvent, les employeurs disent qu'ils ont envoyé les formulaires, et que l'employé ne les a jamais remplis, ou n'a jamais rappelé, qu'il n'a pas fait ce qu'il avait à faire. Les employeurs ne comprennent pas que c'est souvent la maladie mentale qui fait en sorte qu'il est impossible pour cette personne de sortir du lit, encore moins de remplir un ensemble de formulaires compliqués. Nous examinons la possibilité de charger des intervenants de faire cela au nom des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Toutefois, c'est quelque chose que les PAE ou les employeurs pourraient offrir.

L'une des choses que l'expérience nous a montrées, c'est que les obstacles à l'emploi des personnes souffrant d'une maladie mentale n'ont généralement pas grand-chose à voir avec l'équipement ou l'aménagement des locaux. Ils concernent plutôt les relations en milieu de travail, et la formation est la seule façon d'apporter des changements à cet égard.

Quand nous parlons aux dirigeants, on constate que le sentiment de culpabilité est une réaction courante. Ils se disent qu'ils ont peut-être contribué aux problèmes de santé mentale d'une personne, ou qu'ils les ont aggravés, et c'est ce qui ressort au moment de la formation. Nous leur disons : « Vous avez fait tout ce que vous pouviez, avec les outils que vous aviez. Maintenant, vous avez de meilleurs outils. Nous avons tous de meilleurs outils, et nous pouvons tous faire mieux. »

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Mme Malenfant : Différentes perspectives peuvent être adoptées pour aborder la question de la santé mentale au travail. Il y a, bien sûr, celle de l'intégration et du maintien au travail de personnes souffrant d'un problème de santé mentale, mais aussi celle du travail comme facteur de santé mentale selon les situations et les conditions qui permettent au travail de jouer son rôle intégrateur au plan social et protecteur au plan de la santé.

Que l'on prenne l'une ou l'autre de ces perspectives, il est important, voire essentiel d'aborder cette question complexe à travers les transformations qu'a connues le travail au cours des dernières années. Mon propos se base sur des résultats de recherches effectuées au cours des dix dernières années auprès d'intermittents en emploi, avec ou sans qualifications professionnelles, de jeunes et moins jeunes et auprès de salariés ayant une stabilité d'emploi au sein du réseau de services publics.

Je voudrais d'abord souligner la nécessité de se poser des questions la place du travail rémunéré au plan des valeurs sociales. Le statut de travailleur est toujours une référence de premier plan pour juger de sa valeur, de son utilité et de la reconnaissance par les autres. Être privé d'un lien d'emploi influence le regard que l'on pose sur soi et celui que les autres posent sur nous. Les valeurs de compétition, de réussite individuelle, de performance, d'autonomie financière, professionnelle et sociale peuvent devenir oppressantes pour les personnes qui, pour différentes raisons, ont de la difficulté à répondre aux exigences actuelles du marché du travail.

La conciliation travail-famille, la conciliation du travail et de l'exercice de la citoyenneté sont devenues non seulement uncasse-tête sur le plan de l'organisation du temps quotidien, mais également sur le plan de la planification d'un style de vie. On doit tenir compte de leurs impacts sur le niveau de vie en termes financiers et sur la reconnaissance sociale perçue par les parents et par les citoyens qui ont des difficultés à s'intégrer au marché du travail.

Il faut comprendre le contexte dans lequel s'accomplit le travail. En fait, les conditions d'accès à l'emploi, l'organisation du travail, les tâches exercées et les rapports sociaux font du travail une expérience structurante ou, à l'opposé, une expérience délétère.

La flexibilisation de l'organisation du travail a ouvert la voie à la diversification des formes d'emploi. Ces emplois, souvent qualifiés de précaires parce qu'ils sont à durée déterminée, sur appel, à horaire variable, avec de faibles ou sans avantage sociaux ou encore, sans protection du lien d'emploi, sont de plus en plus reconnus pour avoir des effets négatifs sur la santé.

Parallèlement à ces changements culturels, les exigences de qualification se sont accrues et les compétences dites sociales — la facilité à s'exprimer et à communiquer, la débrouillardise, le bien paraître — sont devenues des atouts qui peuvent jouer un rôle discriminant dans le processus d'embauche. Si certains y voient de nouveaux défis à relever, d'autres, par contre, se sentent moins outillés pour affronter l'instabilité professionnelle et financière qui accompagne l'emploi précaire et vivent cette situation avec beaucoup d'insécurité et avec un sentiment de bien-être affaibli.

Ainsi, des expériences de travail peu satisfaisantes agissent sur la construction de l'identité et sur le rapport à la vie professionnelle. La littérature fait état des conditions les plus délétères qui sont : le déficit de reconnaissance, le faible salaire, le manque de respect ou d'estime de la part des collègues ou des supérieurs hiérarchiques, le statut précaire, le manque d'autonomie et de possibilités d'utiliser et de développer ses habiletés, la contrainte de temps, l'intensification du travail et sa complexité.

Il faut briser le cercle vicieux de la précarité et de la précarisation du travail. Les recherches ont montré que la précarisation du travail et la précarité d'emploi amènent une précarisation des conditions de vie qui, à son tour, précarise la santé et la vie sociale. Cela risque de mener, dans les cas les plus extrêmes, à un désengagement progressif du marché du travail et à l'installation d'incapacités de travail permanentes.

Il faut améliorer l'environnement de travail et il y a des conditions à respecter pour protéger la santé au travail. Même si des expériences sont délétères, c'est au sein même de l'activité de travail, dans des conditions qui permettent de retrouver espoir dans l'avenir et confiance en ses capacités, que la santé se reconstruit graduellement.

Le soutien des proches et les réseaux de contacts sont une aide considérable dans certains cas pour passer au travers des moments difficiles et atténuer les effets sur la santé mentale, mais ils ne suffisent pas à une intégration au travail qui protège contre les aléas du contexte économique et des exigences d'un marché hautement compétitif.

L'évolution du travail lui-même exige un savoir-faire et un savoir être qui, graduellement, écartent les travailleuses et les travailleurs qui ont du mal à acquérir les qualifications, les qualités requises ou à fournir les disponibilités nécessaires pour y répondre. L'incapacité de travail consécutive à des expériences de travail négatives ne peut être prévenue que par des actions concertées, novatrices et simultanées dans le monde de la formation, dans les milieux de travail et dans les normes et pratiques qui régissent le marché du travail.

Plusieurs aspects doivent être considérés : les relations de travail et la protection de l'emploi, l'organisation du temps de travail et l'autonomie au travail, le développement de l'employabilité ainsi que les possibilités d'avancement sur le plan professionnel.

Plus spécifiquement, des actions doivent être menées en ce qui a trait à l'acquisition de qualifications, à l'autonomie qui permet de tabler l'expérience acquise, au soutien dont le travailleur bénéficie dans son travail, à l'équité manifestée dans la gestion des conditions de travail accordées aux travailleurs — qu'ils soient permanents ou temporaires, jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes, qualifiés ou non — à une aide soutenue par des politiques adaptées à l'évolution du marché du travail et à la recomposition de la main-d'œuvre actuelle — à la liberté syndicale et de négociation collective pour contrer l'individualisation et la personnalisation des problèmes; à la sécurité d'emploi et le climat de travail dans les périodes d'instabilité et de restructuration importantes; à l'intensité du travail et à ses répercussions sur la santé physique et mentale et sur la possibilité de mener une vie personnelle, familiale et sociale épanouie; aux possibilités de formation et de perfectionnement qu'offre l'emploi et aux perspectives de progression vers un emploi plus satisfaisant, plus stable et mieux rémunéré; aux possibilités de prendre part aux décisions de l'organisation, notamment à la recherche de solutions des problèmes; à l'innovation et aux possibilités de prendre des initiatives personnelles sur la base des compétences et des connaissances développées afin d'améliorer la qualité du produit ou du service offert.

Il faut assurer des moyens par le biais du développement et de la recherche. Il faut le faire surtout au plan de la prévention afin de contrer la stigmatisation des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale.

S'il y avait deux priorités à identifier, ce serait la préparation à l'emploi chez les jeunes. Beaucoup d'entreprises, dans des périodes de pénurie d'emploi, embauchent un nombre important de jeunes sans qualification pour ensuite les mettre à pied après quelques semaines ou quelques mois, sans que les jeunes ne sachent vraiment quel a été leur apport à l'entreprise. Ils se retrouvent donc démunis face à un marché du travail hautement compétitif.

Il y a également les périodes de restructuration et de fusion d'entreprises. Plusieurs entreprises ont connu des bouleversements importants au cours des dernières années. Il faut tenir compte de l'aspect humain, et non seulement de la fonction qu'occupent ces personnes au moment des mises à pied ou d'une réorientation dans un nouveau milieu de travail, afin de soutenir ces personnes qui vivent des changements importants.

Enfin, il y a l'amélioration des politiques du travail et des politiques sociales, notamment dans la protection contre la précarité d'emploi, ainsi que les politiques pour la conciliation travail/famille dont les parents travailleurs ont grandement besoin.

De plus en plus, les recherches démontrent que non seulement il faut contrer l'absence de travail ou le chômage pour préserver la santé mentale, mais qu'il faut également préserver la qualité du travail pour que le travail joue pleinement son rôle dans la construction de l'identité et l'actualisation de ses pleines capacités.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup.

Mme Buchanan : J'ai distribué un document sur la santé mentale en milieu de travail. La plupart des recommandations sont plutôt évidentes, mais je tiens à souligner certaines d'entre elles.

La première, c'est que le soutien de tous les échelons de l'entreprise est essentiel au succès de tout programme. Il faut jouir du soutien de toute l'organisation, du PDG jusqu'aux employés, et le conseil d'administration de la société doit également comprendre la culture organisationnelle à l'égard de cet enjeu.

J'ai parlé à un cadre supérieur de la CSPAAT la semaine dernière. C'est la commission des accidents du travail de l'Ontario. Il m'a dit : « Eh bien, nous n'aimons pas utiliser le terme « santé mentale » dans le milieu de travail, car ça fait peur, alors nous parlons plutôt d'équilibre »...

Le président : Cela fait peur à qui, à la CAT, ou aux employés et aux employeurs?

Mme Buchanan : Je crois que cela fait peur à tout le monde. Ils parlent plutôt d'« équilibre en milieu de travail ». J'ai entendu ce terme à quelques reprises. On l'utilise lorsqu'on parle d'établir l'équilibre à l'égard des heures de travail, etc. Je ne veux pas m'aventurer dans cette voie, car je ne comprends pas vraiment le terme, mais si nous ne pouvons utiliser le terme « santé mentale », nous serons tous dans le pétrin.

Je tiens à souligner que la formation et l'éducation des cadres de premier niveau sont essentiels à l'efficacité des employés. Si votre superviseur ne connaît rien à la maladie mentale, cette relation ne fonctionnera jamais. Certaines entreprises utilisent un animateur ou une infirmière comme intermédiaire quand on ne dispose pas d'une personne qui jouit de la formation nécessaire.

L'autre enjeu clé auquel je m'intéresse est la fourniture d'informations au sujet de tous les programmes de sécurité du revenu qui peuvent s'appliquer. Mon mari souffre d'un trouble bipolaire. Nous avons dû nous battre devant les tribunaux pour tout : les prestations d'invalidité du RPC, le crédit d'impôt pour personnes handicapées du gouvernement fédéral, et l'invalidité à long terme.

J'aimerais parler d'un groupe de personnes qui, selon moi, sont laissées pour compte; c'est un groupe dont on ne parle pas beaucoup. Il s'agit des professionnels. Pour ces personnes, ce n'est pas le stress en milieu de travail qui a précipité la maladie. Il s'agit de personnes qui sont manifestement prédisposées aux troubles bipolaires ou à la dépression majeure, ou même à la schizophrénie, même si cela se manifeste généralement à l'adolescence, quand l'éducation et la formation en milieu de travail prennent fin. Cela découle souvent d'un problème familial ou d'autres problèmes à l'extérieur du milieu de travail, et le stress en milieu de travail peut exacerber la situation, mais ces personnes ont gravi les échelons parce qu'elles étaient en mesure de composer avec le stress.

J'aimerais vous décrire quelques cas. Il s'agit de vraies personnes. À l'exception de Jim, mon mari, tous les noms sont des pseudonymes.

Mon mari était un professionnel des relations publiques. Il a fait un certain nombre de rechutes. À l'occasion de sa dernière rechute, je crois que l'entreprise ne pouvait plus lui faire confiance, en ce qui concerne les renseignements de haut niveau, ou s'attendre à ce qu'il se tire bien d'affaire au chapitre des relations publiques, même s'il avait fait très bonne figure pendant dix ans, et qu'il avait déjà fait des rechutes auparavant. Il avait toujours été en mesure de revenir en force, sauf après sa dernière rechute, en 1990. Nous avons éprouvé des difficultés avec les sources de revenu, car il souffrait d'une maladie mentale qui n'est pas bien comprise. Il était manifestement frappé d'incapacité, mais on n'acceptait pas facilement sa situation, même si, lorsqu'on portait la question devant les tribunaux, le juge ne pouvait que se rendre à l'évidence.

C'est particulièrement difficile aux échelons supérieurs, parce qu'on est dans une tranche de revenu différente de celle d'une personne aux échelons inférieurs, qui aura peut-être accès au POSPH ou à une sorte de programme de soutien. Nous avions une maison et deux enfants à l'école privée. Nous vivions dans le Nord de l'Ontario. Le fait qu'il perde toute forme de revenu après une invalidité à court terme à eu un effet dévastateur sur nous. C'était une période très difficile pour nous. Si nous avons survécu à cette épreuve, c'est que j'avais une maison en Nouvelle-Écosse, et que la vente de cette maison nous a procuré un revenu. Les deux écoles privées ont réduit les frais de scolarité de nos enfants, afin que leurs études ne soient pas interrompues en raison de la maladie mentale de mon mari.

J'ai également indiqué, au bas de chaque étude de cas, le statut aux fins du CIPH.

Je passe maintenant à la prochaine étude de cas, c'est-à-dire William, un avocat affichant plus de 25 ans d'expérience au sein de l'un des plus gros cabinets d'avocats au Canada. Sa dépression majeure découlait de changements apportés à la structure organisationnelle du cabinet. Il y avait un problème indirect, mais, certes, le stress en milieu de travail ne lui avait pas occasionné de problème au cours des 25 années précédentes. Il veut désespérément retourner au travail. Il prend une quantité appréciable de médicaments pour stabiliser sa dépression majeure, et il est conscient de ses limites. Certes, les gens qui ont eu un certain nombre de rechutes ne peuvent tout simplement plus composer avec le stress de la même façon que les autres. Il y a un changement dans la chimie du cerveau. Mon mari s'énerve lorsqu'il met des chaussettes, alors vous pouvez comprendre que des questions plus importantes sont parfois difficiles à gérer. William est retourné à son cabinet d'avocats. Il a participé à un programme d'adaptation au travail, et je le sais parce que j'ai supervisé ce programme. Il m'a beaucoup aidé dans le cadre de mes travaux au sein du Comité consultatif technique sur les mesures fiscales pour les personnes handicapées. Grâce à William, nous disposons maintenant d'une tribune merveilleuse permettant l'adaptation aux besoins de personnes souffrant de maladie mentale et d'autres troubles mentaux. C'est grâce à ses vastes connaissances juridiques qu'on a pu comprendre le langage utilisé, etc. Toutefois, le cabinet ne pouvait pas trouver de mesures d'adaptation pour l'aider. Le cabinet n'a pas à composer avec des difficultés financières, évidemment. William a retenu les services d'un avocat, et l'affaire n'est pas encore réglée, mais il n'a tout simplement pas la possibilité d'y retourner. Il s'agit d'une invalidité à long terme.

Le cas de David est plus intéressant. Davis travaillait au sein d'une clinique d'aide juridique depuis plus de cinq ans. Je venais de prononcer un discours au sujet du crédit d'impôt pour personnes handicapées. Il est venu me voir, et il m'a dit :« Eh bien, cela m'a vraiment l'air d'une bonne chose, mais je ne serai jamais admissible. » J'ai dit : « Pourquoi ne seriez-vous pas admissible? » Il a répondu : « Parce que j'ai un emploi à temps plein, et que je suis avocat. » Je lui ai dit : « Alors, pourquoi croyez-vous en avoir besoin? » J'ai finalement apprisqu'il souffrait d'un trouble bipolaire et d'un troubleobsessivo-compulsif. Son trouble obsessivo-compulsif influait sur sa vie quotidienne, dans la mesure où il met plus de temps pour faire son travail. Son employeur comprend le problème et a pris des mesures d'adaptation et offert un horaire souple, mais David est admissible au crédit d'impôt parce qu'il prenait énormément de temps pour faire son travail — plus qu'il n'en faudrait s'il n'était pas atteint d'un trouble obsessivo-compulsif.

Sandra était cadre supérieure au sein d'une grande société comptant plus de 500 employés. Elle souffrait d'une dépression majeure en raison de problèmes conjugaux et d'une rupture. Son mari comptait enlever les enfants. Toute mère serait affolée devant une telle éventualité. Elle a fini par se rendre au programme d'aide aux employés de l'entreprise. Elle est très heureuse du soutien et de l'aide qu'on lui a fournis. Elle n'a pas pu prendre une seule journée de congé.

Elle évoluait dans un environnement axé sur le travail d'équipe, où chacun dépend de l'autre. Dans une telle situation, on fait sa part ou on ne la fait pas. Si on ne peut pas faire sa part, alors on ne se voit offrir ni de nouveaux défis ni d'occasions de promotion.

Elle a été chanceuse de bénéficier d'une aide assortie d'une garantie de confidentialité. Grâce à des médicaments, au soutien et au counselling, elle a réussi à traverser cette période difficile. Bien sûr, elle n'est pas admissible au crédit d'impôt, car elle s'est pleinement rétablie, et elle a pu retourner à ses fonctions habituelles.

Les mesures d'adaptation sont très importantes à cet échelon. On dispose d'un énorme bassin de candidats. On ignore combien d'avocats restent à la maison parce qu'il n'y a personne pour les aider à se remettre sur pied. Ce sont des gens compétents. Mon mari n'est pas capable de travailler, mais il fournit généreusement une grande part de son temps à divers comités. Cela ne veut pas dire que ces personnes n'ont pas la capacité de contribuer.

Je veux veiller à ce que les gens qui travaillent pour les PAE connaissent le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Certes, aux échelons inférieurs, il y a de bonnes chances que tout employé ayant besoin de mesures d'adaptation pour faire son travail soit admissible au crédit d'impôt. Pour toute personne avec un revenu imposable, le crédit correspond à environ 1 500 à 1600 $ par année. Pour toute personne frappée d'incapacité, c'est une bonne chose d'avoir accès à un revenu supplémentaire.

Mme Smailes : Je vais parler des recommandations. Il est essentiel que les gouvernements lancent un message clair, car ils ont un rôle à jouer, et leurs efforts soutiendraient les efforts de tous les autres intervenants. Le gouvernement, en sa qualité de gros employeur, pourrait montrer l'exemple en mettant l'accent sur la prévention et les pratiques relatives au retour au travail rapide, et en collaborant avec les intervenants à l'élaboration de programmes. Ces programmes pourraient ensuite être évalués et adoptés comme modèles dans d'autres contextes de travail. On devrait modifier la Loi canadienne sur la santé en vue d'y intégrer les psychologues pour éliminer le déficit de financement. J'ai passé 12 ans aux États-Unis, et, même si ce système n'est pas parfait, au moins les psychologues recevaient du financement. Comme quelqu'un l'a déjà mentionné, nous savons que certaines thérapies administrées par les psychologues sont efficaces, mais ils ne reçoivent aucun financement en vertu de la Loi canadienne sur la santé. Alors, quel rôle les psychologues jouent-ils au Canada? Cela influe sur le contexte de travail, car les PAEF et les PAE sont censés être à court terme, et, avec ce déficit de financement, il n'y a aucun système d'aiguillage vers des thérapies efficaces.

Nous savons beaucoup de choses au sujet des employeurs, et il faut mettre l'accent sur ce processus. Il faut se pencher non seulement sur ce que nous faisons, mais aussi sur la manière dont nous le faisons — les efforts pour déterminer comment des choses comme la planification stratégique et la conception de divers programmes prennent forme et s'intègrent au milieu de travail. Nous devons prendre connaissance de tout ce qui se passe en milieu de travail.

Il faut compter parmi les intervenants les employeurs, les syndicats, les travailleurs de première ligne et les cadres. Nous mettons l'accent sur la prévention, sur la promotion d'un milieu de travail sain et sur la participation de tous les intervenants dès le début. Cela s'est révélé incroyablement efficace, car, quand on lance un programme, il y a toujours des obstacles à leur efficacité. Nous voulons veiller à ce que les programmes se rendent jusqu'à l'étape de l'évaluation, ce qui peut prendre beaucoup de temps, et il y a des obstacles à surmonter. L'idéal, c'est d'établir un comité constitué d'employeurs et de représentants syndicaux qui peuvent s'entendre sur ce que chaque organisme doit faire pour contribuer. Ainsi, on peut commencer à voir comment les choses pourraient fonctionner, et on trouve des solutions aux problèmes. Pour réussir, il est crucial que les deux groupes travaillent ensemble.

En ce qui concerne le processus, il importe d'effectuer une bonne évaluation, de savoir où commencer et quelle direction prendre, de cerner les lacunes, de connaître le système actuel et ses effets, et de savoir s'il existe un mécanisme d'évaluation à l'égard de ce système. Une fois les lacunes repérées, on peut procéder à la mise en œuvre et à l'évaluation. Nous savons que ce processus fonctionne — faire participer tous les intervenants, obtenir leur engagement, faire des évaluations, élaborer les plans, et les exécuter, jusqu'à l'étape de l'évaluation. Il s'agit d'unengagement de longue date. L'un de nos projets actuels en Colombie-Britannique mise sur la participation des six autorités de la santé et concerne la création d'initiatives de milieux de travail sains partout dans la province.

L'un des avantages du financement et des subventions, c'est qu'on aide les employeurs dans le cadre de leurs efforts pour soutenir le processus. Tout programme de subvention mise sur la planification stratégique, car l'ensemble du processus doit être planifié, et assorti d'un échéancier. C'est un engagement important. Un groupe externe évalue et soutient le processus, ajoutant ainsi un peu de poids pour qu'on mène le processus à terme. Le financement et les subventions sont d'une grande importance, et, au Canada, le système est tout à fait inadéquat. On a lancé des initiatives, mais il faudrait 300 000 $ pour des subventions d'équipe qui permettraient de mobiliser des gens de partout au Canada. Le système de financement et de subventions est inadéquat, car l'efficacité de ces interventions est éprouvée.

Lorsqu'on envisage l'ensemble du spectre, de la prévention jusqu'au retour au travail des employés, il existe un certain nombre de programmes d'aide. Encore une fois, on met l'accent sur le renforcement et l'intégration, afin que le milieu de travail soit sain. Les syndicats peuvent se révéler très efficaces lorsqu'ils participent à l'initiative dès le début, en raison de leur compréhension des enjeux.

Nous nous en remettons aux médecins pour ce qui est de fournir une grande part du soutien en matière de santé mentale, de sorte qu'il est important de les former pour qu'ils puissent cerner les problèmes avec précision, mais j'ignore s'ils feraient le diagnostic et les renvois nécessaires. Le modèle des plans partagés en matière de soins de santé mentale est idéal pour les omnipraticiens et les psychiatres, et on devrait également l'appliquer aux psychologues. J'ai travaillé au sein d'équipes de travail constituées de médecins, de travailleurs sociaux et de psychologues, et ces équipes sont très efficaces.

Dans le domaine de la recherche, il faut s'assurer la participation de personnes qui comprennent les méthodes et le plan. De nombreuses personnes ont des idées de programme fantastiques, mais il faut que les chercheurs participent aux diverses étapes, afin qu'on puisse concevoir de bons modèles et les soumettre à une évaluation. Nous devons avoir confiance en ce que nous faisons, afin que notre travail soit crédible quand il sera diffusé. Peut-on s'attendre à ce que des employeurs procèdent à une évaluation si aucun chercheur ne participe au processus? Si aucun chercheur ne participe, comment peut-on comprendre ce qu'on évalue et ce qui est important?

Les groupes comme les infirmières en santé du travail ont une importance cruciale pour notre organisme. Les travailleurs de la santé se tournent vers ce groupe à l'égard d'un certain nombre d'enjeux différents, et il constitue une ressource fantastique en matière de santé mentale. Encore une fois, elles ont besoin d'une formation relative au repérage et à l'aiguillage afin qu'on puisse continuer de fournir du soutien, comme le font les médecins. Les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale doivent recevoir du soutien, et ils doivent pouvoir accéder facilement à un psychologue possédant les connaissances nécessaires pour fournir cette aide et pour soutenir les gens au moment de leur retour au travail, afin de réduire la possibilité de rechute.

[Français]

Mme Raymond : Le suicide est la première cause de décès chez les hommes de 20 à 25 ans, de 40 à 44 ans et chez les femmesde 30 à 34 ans au Canada. Au Canada et dans la majorité des pays industrialisés, 80 p. 100 des suicides sont le fait d'hommes. Selon l'OMS, le taux de suicide des jeunes Canadiens et Canadiennes est le troisième plus élevé parmi les pays industrialisé au monde. Chaque jour, 11 Canadiens se suicident. Le coût d'un suicide au Canada a été estimé à environ 850 000 $ par personne, et c'est sans parler des tentatives de suicide. Pour chaque suicide, on dénombre environ 100 tentatives de suicide où les coûts sont très élevés.

En termes d'hospitalisation, on compte 160 000 journées d'hospitalisation au Canada pour tentative de suicide. Il est donc facile de déterminer un coût uniquement pour les hospitalisations. Naturellement, lorsqu'on parle de suicide, on entend la personne qui est souffrante, mais il y a également sa famille, ses amis et ses collègues de travail.

Pour chaque suicide, on estime qu'il y a entre 10 et 50 personnes affectées. Le suicide en milieu de travail est un sujet tabou. Je fais beaucoup d'entrevues en milieu de travail. Je rencontre beaucoup de personnes, dont les gestionnaires. Le suicide est un sujet dont on ne veut pas parler, déjà qu'on a de la difficulté à parler de santé mentale. Dire qu'il est possible qu'un employé ou qu'un directeur puisse se suicider est difficile à aborder. Il y a une crainte terrible d'être identifié au suicide et que le milieu de travail soit médiatisé comme étant propice au décès et au suicide.

Quel est l'impact du suicide en milieu de travail? D'abord, on a remarqué qu'un climat d'anxiété généralisé s'installait après un décès par suicide en milieu de travail, ce qui entraîne une désorganisation du milieu. Plusieurs ressentent un sentiment de culpabilité, surtout de la part des directeurs dans les cas de fermeture d'usines. J'ai vu des présidents, des directeurs se poser la question et se sentir responsables. Ils sont souvent pris entre l'arbre et l'écorce lorsqu'ils reçoivent des directives de fermeture et qu'ils doivent faire face aux employés. On ressent donc beaucoup de culpabilité quand le suicide survient.

C'est la même chose de la part des employés. Ils se sentent coupables de n'avoir rien vu venir ou encore d'avoir vu mais de n'avoir rien fait. Surtout lorsqu'il s'agit de personnes avec lesquelles on travaille depuis 10 ou 20 ans. En plus d'être des collègues, ce sont souvent des amis. La relation sociale est très importante en milieu de travail. On ressent donc de la tristesse et le besoin de protéger les autres.

Un des impacts les plus importants d'un suicide en milieu de travail, outre les nombreux autres qu'on pourrait documenter, est le risque manifeste et documenté de contagion. Il n'est pas rare que dans les deux années qui suivent un suicide en milieu de travail, on retrouve un, deux, trois ou quatre autres suicides. Ces informations ne sont pas documentées encore une fois, parce que personne n'a intérêt à ce que ce soit documenté publiquement. Dans toutes mes recherches, on me demande toujours de ne pas nommer les organisations, uniquement le secteur des compagnies.

Ce phénomène de contagion, qui existe réellement et qui est documenté, est attribué d'abord au type de réactions possibles. Il est bien entendu que tout le monde ne réagit de la même façon lorsqu'il se produit un suicide en milieu de travail. On peut d'abord vivre un état de stress, ce qui est une réaction normale, mais cet état peut dégénérer en stress aigu ou encore en troubles de stress post-traumatique. On a pu suivre des cheminements. Un pourcentage vivra une situation de stress alors que pour un autre, ce sera une situation classique de deuil, car la personne décédée était un intime. Un autre pourcentage vivra des situations de crise souvent reliées à leur fragilité personnelle ou à l'effet miroir. Ces personnes pourront se dire qu'elles souffrent de dépression ou de tel problème depuis longtemps et qu'elles arrivent pourtant à s'en sortir. Tout à coup, elles voient l'autre qui semblait avoir tout se suicider. Comment feront-elles pour continuer à s'en sortir?

Il y a donc plusieurs éléments. Dans une étude que nous avons menée dans un milieu où il y a eu cinq suicides en deux ans — les études ayant commencé un an après le dernier suicide — encore 36 p. 100 de tous les travailleurs étaient fortement ébranlés et 60 p. 100 d'entre eux avaient un niveau de détresse psychologique élevée. De ce dernier pourcentage, les manifestations de ces niveaux de détresse duraient depuis plus de six mois pour la moitié et depuis plus d'un an pour l'autre moitié d'entre eux. Les conséquences étaient qualifiées de notables, d'abord sur leur vie familiale et sociale, ensuite sur leur capacité à travailler. Pour ce qui est de l'absentéisme au travail, le nombre des journées de maladie avait triplé lors de la dernière année. Au plan des idéations suicidaires, 27 p. 100 des travailleurs avaient sérieusement songé à se suicider dans l'année. De ce pourcentage, trois p. 100 avait fait une tentative de suicide. Ce sont des taux de deux à trois fois plus élevés que l'ensemble de la population.

Nous avons remarqué, dans tous les milieux étudiés, une forte réticence de la part des hommes en détresse à demander de l'aide et parler de leur problème. Pour deux milieux, la réticence était justifiée, parce que lorsqu'un employé demandait de l'aide, au PAE, entre autres, s'ensuivait une note à son dossier et une conséquence négative. Les gens avaient même peur de perdre leur emploi s'ils osaient dire qu'ils étaient en détresse.

L'ensemble de ces données nous a menés à proposer une gamme de recommandations. Naturellement, vous en avez déjà entendu plusieurs. D'abord améliorer les conditions de travail et le climat au travail. Il est clair que le suicide n'est pas nécessairement lié au milieu de travail, mais que les conditions de travail viennent exaspérer, fragiliser encore plus les personnes. Il faut supprimer, cela devrait être la norme partout, les implications négatives qui peuvent exister dans le milieu de travail concernant la demande d'aide. Une des façons que nous avons trouvées de modifier ces implications négatives est d'abord une prise de position claire de la part de la direction. Que les dirigeants soulignent l'importance pour les travailleurs de demander de l'aide, de leur dire que de prendre soin de sa santé mentale est un plus et que c'est même une excellente note à leur dossier, de même qu'un témoignage de leur part quant au fait qu'ils consultent également afin d'obtenir de l'aide. Cela entraînerait une modification complète du phénomène, surtout pour les hommes.

Il faut éviter toute annotation négative au dossier et dégager les employés, sur une période de temps payé, pour des consultations individuelles auprès de PAE ou autres.

Dans trois des entreprises où nous sommes allés, le PAE était beaucoup utilisé pour les problèmes familiaux et financiers, mais n'était pas utilisé pour les problèmes de détresse. Il y avait une réticence marquée à utiliser ce service. Les gens se disaient que trois ou quatre rencontres au PAE n'allaient pas les aider.

Quelqu'un a parlé plus tôt de l'importance d'une prise en charge avec des thérapies qui ont démontré leur efficacité. Dans notre programme et dans nos recommandations, nous soutenons l'importance de développer une prise en charge réelle et plus longue que trois rencontres pour les employés qui ont un problème de santé mentale.

Nous recommandons également des mécanismes de concertation avec des ressources. Les gens nous disent qu'ils sont trop souvent assis entre deux chaises; ils vont au PAE et se font dire qu'ils ont un problème sérieux, qu'ils seront référés en psychiatrie ou ailleurs et débutent de longues périodes d'attente.

Il faut allouer au sein des organisations du temps pour parler des problèmes et favoriser le partage, que ce soit suite à des événements difficiles comme un suicide ou encore à la suite d'autres événements. Il faut soutenir les chefs d'équipe et les former pour qu'ils puissent, si ce n'est animer, à tout le moins soutenir les employés.

Vient ensuite toute la gamme de formation, sensibilisation et éducation. On doit former les superviseurs, les chefs d'équipe, les représentants syndicaux, et les employés sur la gestion du stress, sur l'importance de la santé psychologique au travail et sur la sensibilisation au suicide et à sa prévention.

Tous dans une entreprise devraient être capables de reconnaître une personne suicidaire et de l'amener vers une ressource sans faire les interventions elle-même. Il faut établir des protocoles d'intervention après un suicide ou un événement traumatique adaptés aux situations. En ce moment, ils ne sont absolument pas adaptés.

J'aimerais vous donner un exemple. Les forces armées américaines ont réussi un tour de force en contrant la crainte de demander de l'aide par des hauts gradés qui ont témoigné de l'importance de la consultation. Cette expérience a été validée et démontre des données probantes intéressantes.

En conclusion, je pense qu'il est important que le gouvernement du Canada reconnaisse l'importance du suicide, des problèmes de santé mentale qui y sont associés et développe enfin une stratégie canadienne pour prévenir le suicide. Nous sommes l'un des rares pays n'ayant pas de stratégie.

Il faut reconnaître que le suicide en milieu de travail est un événement traumatique qui comporte des facteurs de risque importants dans la contagion ou le développement d'autres problèmes de santé mentale subséquents auprès des employés.

Il faut toujours procéder à une analyse particulière des situations de travail, du milieu de travail et de sa culture. L'heure est venue d'adopter les grandes lignes de ce que l'on sait efficace et de les adapter ou encore de les proposer à un milieu, tout en respectant ce milieu, sa culture et son organisation, ainsi que les partenaires qui y sont déjà.

Je dirais qu'on a un besoin urgent de recherches empiriques plus nombreuses, tant sur la nature des impacts que sur les possibilités d'interventions nécessaires et des interventions différenciées en fonction des problèmes et de leur efficacité.

M. Dos Santos Soares : Tout d'abord, je voudrais vous remercier pour cette occasion qui m'est offerte de vous présenter nos commentaires sur cette question que nous jugeons très importante et à laquelle nous consacrons nos efforts en terme de recherches et d'enseignement.

Je vous ai distribué le rapport que j'ai écrit, mais il y en a d'autres que je pourrais vous faire parvenir, dont un sur le harcèlement psychologique. C'est le premier rapport qui a été fait auprès des enseignants et des travailleurs dans le secteur de la santé au Québec et auprès des membres de la Centrale syndicale du Québec. Il y a également un autre rapport portant sur les ingénieurs d'Hydro-Québec. Ces rapports sont publics et c'est pourquoi je les nomme. D'autres rapports ne sont pas publics parce que les gens sont très réticents.

J'ai préparé un petit mémoire où j'ai étalé un peu plus en détail ce que je veux vous dire, ainsi que des recommandations et des idées que j'ai pour aider les gens.

Un jour, dans une de ses conférences, quelqu'un de l'assistance a demande à Freud : Qu'est-ce qu'une vie saine? Le public s'attendait à une longue digression de la part du père de la psychanalyse pour expliquer cette question si centrale dans nos vies. Sa réponse fut brève : aimer et travailler. Telle était sa prescription pour avoir une vie saine et ainsi développer des comportements permettant d'assurer la dignité humaine, les modes de vie démocratiques et donner un sens à sa vie.

En effet, le travail possède un caractère dual en ce qui concerne ses rapports avec la santé mentale. En même temps qu'il peut être structuré, source de plaisir et de bien-être psychologique, il peut aussi causer des souffrances et déstructurer la vie psychique des personnes. Bien sûr, le travail joue un rôle important dans la promotion de la santé mentale car il structure et organise la vie de l'individu à différents niveaux.

Dans les rapports provisoires de ce comité sénatorial, l'accent est mis sur la dimension structurante du travail, en particulier pour les personnes souffrant d'un problème de santé mentale. C'est une question fondamentale; rien n'est plus vrai que de dire que l'insertion des personnes souffrant d'un problème de santé mentale dans un milieu de travail peut améliorer sensiblement leur qualité de vie. Je connais des exemples de gens trisomiques qui travaillent et qui ont une qualité de vie, et même le développement de la personne a augmenté suite à leur insertion au travail.

Il ne faut toutefois pas sous-estimer les rôles déstructurants du travail pour la santé mentale des individus. Malheureusement, l'organisation du travail, la gestion et les conditions de travail peuvent rendre inopérants ces rôles importants de structuration et de promotion de la santé mentale joués par le travail.

Certes, le travail n'est pas la seule cause des problèmes de santé mentale, mais en raison de sa place privilégiée dans nos vies, il en devient une source importante. La plupart des études et mes recherches concordent sur un ensemble de dimensions associées aux problèmes de santé mentale, dont la surcharge de travail.

Depuis les 15 dernières années, on fait plus avec moins. Ce n'est pas une stratégie valable pour les individus. Entrent en jeu l'injustice organisationnelle, le manque d'autonomie et un contrôle déraisonnable du travail. Dans nombre de cas, on se rend compte que la personne a même son temps de toilette minuté; et dans un cas particulier, il y avait même une toilette attitrée à la personne. Elle ne pouvait pas aller à n'importe quelle toilette, il fallait aller dans celle-là. Je pense que c'est un contrôle qui dépasse tout entendement.

Il y a d'autres dimensions comme le manque de reconnaissance, les conditions de travail malsaines, l'effritement de la coopération au travail et les violences au travail. Il y a différentes formes de violence; violence auprès du public qui vont jeter des produits en pleine figure d'une caissière du supermarché, qui vont la gifler et qui vont abuser verbalement des travailleurs et des travailleuses; violence envers un médecin qui se fait poignarder dans son bureau; violence auprès des enseignants abusés verbalement par les parents des enfants.

Il faut comprendre qu'il est impossible de traiter ici de tous les aspects du travail qui ont un effet négatif sur la santé mentale des travailleuses et des travailleurs. D'autant plus que tous ces facteurs peuvent avoir des effets synergiques qui auront un impact sur la santé mentale des personnes.

Depuis le 1er juin 2004, nous avons au Québec une loi assurant à tous les salariés des droits en milieu de travail concernant le harcèlement psychologique. Cela fait maintenant un an. Au cours de cette année, 2500 plaintes ont été déposées à la Commission des normes du travail, et ce, seulement pour les travailleurs et les travailleuses non syndiqués.

Pour les travailleurs et les travailleuses syndiqués, il y a un mécanisme de griefs. On n'a pas encore les statistiques pour tous les griefs qui ont été déposés dans la dernière année touchant le harcèlement psychologique au travail.

C'est une forme sournoise de violence qui dégrade les conditions de travail, la santé mentale, les individus et cela envenime les rapports sociaux au travail. C'est un processus destructif et hostile qui peut sembler anodin, mais dont le caractère répétitif finit par casser psychologiquement la personne.

Du point de vue de l'individu, le harcèlement psychologique fait des ravages. Les possibilités de carrière sont brisées et la santé mentale est fortement atteinte. S'ensuit le stress psychologique, la dépression et le stress post-traumatique, pouvant même aller dans certains cas jusqu'au suicide.

Mes données montrent qu'il y a une corrélation entre le harcèlement psychologique et l'idéation suicidaire. Les gens pensent beaucoup plus au suicide lorsqu'ils vivent du harcèlement psychologique. Les garçons sont beaucoup plus résistants et ne portent pas plainte. Ils ne demandent pas de l'aide comparativement aux femmes. Cette forme de violence affecte l'individu et sa famille. Socialement, c'est une catastrophe.

Toutefois, il est important de comprendre que les problèmes de santé mentale au travail ne sont pas une fatalité. À notre avis, les problèmes apparaissent lorsque les organisations essaient de nier l'existence du problème et d'utiliser comme bouc émissaire les différences individuelles entre les personnes, telles que le sexe, l'âge, la personnalité et l'ethnie. Sans aucun doute, il existe des organisations qui prennent en main ces problèmes. Il faut aussi se rendre à l'évidence que d'autres adoptent encore aujourd'hui ce que j'appelle l'idéologie du travailleur Kleenex. On l'use jusqu'au bout avant de le jeter et d'en prendre un nouveau dans la boîte et de le mettre dans la même condition qui a fait craquer l'autre personne.

Le problème réside aussi dans l'utilisation des approches du type « Tylenol » soulageant temporairement le symptôme du problème, sans toutefois éliminer l'infection qui provoque ce symptôme. Il est évident que le résultat obtenu est éphémère et devient un facteur aggravant.

L'autre danger est celui de croire que les programmes d'aide aux employés seraient capables de résoudre les problèmes. Les programmes d'aide aux employés sont des ressources importantes, mais ils ont leurs limites. Les normes des sciences pour l'aide psychologique en est un exemple.

Il faut aussi comprendre que lorsque la personne a besoin d'un programme d'aide aux employés, c'est que le mal est déjà fait. La personne et l'organisation en ont déjà subi les conséquences parce que les programmes d'aide aux employés sont une source de prévention tertiaire.

Nous jugeons important de réfléchir sur la façon dont la gestion peut promouvoir la santé mentale au travail. Je pense qu'il n'y a pas de recette miracle. Il faut s'attaquer à la source du problème et utiliser des stratégies de préventions primaires qui vont changer à la source l'organisation du travail, la culture organisationnelle, les conditions de travail en misant sur des valeur sûres, soit le respect, la confiance, la justice, l'équité, la participation, la prévention et surtout la démocratie au travail.

J'ai pensé à quelques idées pour nous aider à améliorer la santé mentale au travail. Je pense qu'il faut une loi fédérale contre le harcèlement psychologique. C'est vraiment désolant de voir aujourd'hui qu'on ne peut pas aider certaines personnes parce qu'elles ne sont pas couvertes par la Loi des normes du travail du Québec. Plusieurs personnes de l'Ontario viennent me voir pour obtenir de l'aide et je ne peux rien faire.

Il faut entreprendre une vaste campagne nationale d'informations sur les enjeux de santé mentale au travail visant le grand public, en particulier, pour la prévention de la violence au travail. Cela m'amène à parler de civilité. On doit dire « bonjour » et « merci » en reconnaissance du travail des gens et en adoptant les règles de civilité. Les gens ne peuvent pas être traités comme étant invisibles.

Il faut briser les préjugés qui existent sur la santé mentale pour que les gens puissent demander de l'aide sans avoir honte. Freud comparait les individus à des verres de cristal. On est tous pareils, mais si on regarde de très proche, il y a certaines différences. Si on laisse les verres tomber, ils ne sont briseront pas tous à la même place.

À l'exemple du Conseil de statut de la femme au Québec, on a crée un prix « isofamille » pour les entreprises qui ont de bonnes pratiques de conciliation travail-famille. Cela est très intéressant parce que on est en train de dire aux entreprises que cela serait positif pour elles d'exercer ce genre de pratique. Ce concours est fait d'une manière tripartite, soit par le syndicat, le patronat et le gouvernement pour mettre en évidence les bonnes pratiques associées à la santé mentale au travail.

Il faut informer les employeurs, les gestionnaires, le syndicat et les travailleurs des causes, des enjeux et des signes de détérioration de la santé mentale. Il y a de l'information sur les différentes formes de prévention primaires, soit avant que les problèmes arrivent, les formes de prévention secondaires, donc pendant les problèmes ou pendant l'intervention et les formes de prévention tertiaires, c'est-à-dire ce que l'on fait après que les problèmes sont survenus.

Il faut investir davantage dans la formulation des lois associées aux mesures de prévention primaires, c'est-à-dire éliminer à la source les facteurs de risques pour la santé mentale. Privilégier donc les mesures visant à agir avant l'apparition du problème et mettre en place un système de surveillance pour détecter les problèmes de santé mentale d'une manière longitudinale.

Il ne faut pas oublier le lieu de travail. Parfois, il y a des statistiques, mais on ne sait pas où les gens travaillent. Il faut aussi investir dans la recherche. Il y a des investissements qui se font, mais pour de gros projets. On a besoin de fonds pour les petits projets servant à la communauté. Les résultats de ces petits projets sont plus probants que ceux des gros projets qui sont difficiles à gérer.

[Traduction]

M. Gilbert : Honorables sénateurs, je vous ai distribué mon rapport. Nombre de mes recommandations se font l'écho de commentaires déjà émis aujourd'hui. J'aimerais parler brièvement de ce document, car il reflète, d'une certaine façon, le propos de M. Dos Santos Soares.

Ce rapport a été assemblé grâce à la collaboration d'une compagnie d'assurance du secteur privé, d'un employeur du secteur public dans le milieu universitaire, et ainsi de suite. Nous avons constitué un groupe d'intervenants et fait cela sur le coin de la table — comme on dit — avec très peu de financement. Nous avons mobilisé des gens du secteur privé et du secteur public en vue de créer un comité sur la dépression en milieu de travail. Nous avons examiné la documentation scientifique existante.

Nous nous sommes penchés sur la documentation parallèle, c'est-à-dire celle qui existe en marge des publications de la presse populaire et des revues professionnelles. J'ai rassemblé tout cela pour faire le point sur ce qui a été dit au sujet de la dépression et du travail.

Nous avons ensuite créé une série de groupes de discussion constitués d'employeurs, d'employés, de travailleurs en ressources humaines, de professionnels de la santé au travail et — je suis fier de vous dire cela — de quelques personnes souffrant de dépression, et nous avons tenté de mettre en commun leurs expériences. Je suis heureux des résultats que nous avons obtenus, et j'aimerais bien voir ce document traduit en français et diffusé à plus grande échelle.

De nombreuses recommandations sont autonomes. Il y a un aspect du rapport qui, selon moi, mérite d'être maintenu. Nous avions là-dedans une version papier, une liste annotée de ressources pour les personnes qui s'intéressent au sujet. En passant, Mental Health Works est mentionné, tout comme plusieurs autres programmes. Évidemment, il va de soi que cette liste est déjà désuète. C'est inévitable, c'est une version papier. Elle a été dressée en 2004, certains liens sont déjà périmés, et de nouveaux renseignements ont fait leur apparition depuis.

Ce qui a été suggéré ici à l'égard du Réseau canadien de la santé serait, je crois, d'une valeur considérable, et, encore une fois, je reviens sur les paroles de M. Dos Santos Soares concernant la création d'un centre de documentation, peut- être un centre de documentation électronique des pratiques exemplaires, des pratiques éprouvées empiriquement, pour les entreprises et les praticiens qui s'intéressent à la santé mentale en milieu de travail.

J'ai un dernier commentaire à formuler concernant la photo qui figure sur le rapport, c'est-à-dire la photo du pont Port Mann, en Colombie-Britannique. C'est une image qui reflète vraiment bien nos conclusions. Il y a un écart énorme entre le système de soins de santé mentale et le milieu de travail. Pour réaliser des progrès à cet égard, nous devons faire un pont afin de combler cet écart.

J'aimerais maintenant vous faire part de certains commentaires, et ensuite, formuler ce que je qualifieraispeut-être davantage de souhait que de recommandation. J'aimerais rappeler à tout le monde les paroles de Marie Jahoda, grande sociologue européenne, selon laquelle le travail est bon pour la santé mentale. Le travail procure un sentiment de structure, une valeur sociale, des soutiens sociaux, un endroit où aller à l'extérieur de la maison — mais elle n'a pas mentionné cela —, et il procure également un revenu, et nous savons que cela favorise la santé mentale. Nous nous retrouvons donc devant l'un des paradoxes fondamentaux : le travail est bon pour la santé mentale, et le travail peut vous rendre fou. C'est le genre de chose que nous devons examiner dans ce domaine.

Ensuite, je comprends pleinement le fait qu'une invalidité découlant de problèmes de santé mentaux constitue un problème énorme pour tout le monde, mais, dans nos conclusions et dans les données épidémiologiques que nous pouvons extraire — nous n'avons pas énormément de données — la majorité des adultes pouvant faire l'objet d'un diagnostic de santé mentale sont non pas en congé d'invalidité, mais bien au travail. On se retrouve devant une manifestation du phénomène de la pointe de l'iceberg : la majorité est au travail, alors nous devons prêter attention à ces gens.

Nous tentons, tant bien que mal, de composer avec des enjeux comme l'absence, les présences, le fonctionnement insuffisant et les incidences de ces facteurs, mais nous devons prêter attention à ce groupe. Nous devons faire les deux. La meilleure forme de gestion de l'invalidité doit être la prévention.

Troisièmement, les Canadiens veulent qu'on tienne un débat sur les soins de santé publics et privés. Entre parenthèses, concernant le système de soins de santé publics, ou, certes, le système public de soins de santé mentale, j'aimerais signaler que, si les employeurs sont mal informés des enjeux en matière de santé mentale, les fournisseurs de soins en santé mentale sont mal informés des enjeux en milieu de travail. Avec tout le respect que je leur dois, la plupart des fournisseurs de soins en santé mentale n'ont aucune idée de ce qui se passe en milieu de travail. En général, les médecins qui ont devant eux un patient en pleurs, atteint d'un trouble connu, qui demande s'il doit rester au travail, retourner au travail, qui veut savoir comment composer avec ses problèmes en milieu de travail, sont bien souvent mal informés. Ils ont peut-être devant eux une description de poste mal rédigée, s'ils sont chanceux, pour déterminer si une personne devrait travailler, quelles mesures d'adaptation devraient être prises, et quels enjeux devraient être abordés. Par conséquent, j'insiste sur le fait que nous devons également instruire les intervenants du système de soins de santé.

Cela dit, j'avancerais que la majorité des services offerts à un certain nombre de personnes dans le secteur privé sont liées au milieu de travail. Ils prennent la forme de programmes de santé et sécurité au travail, de programmes de mieux- être, de programmes d'aide aux employés et à leur famille, de prestations d'invalidité, de gestion de l'invalidité, de prestations pour couvrir le coût de médicaments, et, rarement — je suis d'accord avec Mme Smailes — de services de psychologues ou de travailleurs sociaux.

Une grande part de cela a lieu en milieu de travail. Le problème, c'est que ces programmes ne sont généralement pas coordonnés, ils sont souvent mal adaptés, et sont rarement fondés sur des données probantes et sur l'évaluation.

Pour terminer, je formule un vœu : à la lumière des commentaires que je viens d'émettre, j'espère que les résultats de vos audiences seront utiles aux organismes canadiens, petits et grands. Nous devons trouver des solutions. Elles s'appliquent tant à la petite entreprise, l'organisation de deux ou trois personnes qui exercent ces activités au sein d'une petite collectivité, qu'aux grandes sociétés en milieu urbain. Nous devons aider ces organisations à établir un milieu de travail psychologiquement sain, où chacun peut accomplir un travail fructueux et productif; et quand des personnes sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, les secteurs de soins de santé publics et privés devraient fournir les programmes et services qui atténuent l'incapacité et maintiennent ou améliorent le fonctionnement, qui cherchent à atténuer les symptômes, et qui sont fondés sur des données scientifiques probantes.

M. Wang : Je suis chercheur, alors mes recommandations et commentaires s'inscrivent principalement dans cette perspective. Avant la rencontre, j'ai distribué deux pages de résultats fondés sur les données de notre première enquête nationale sur la santé mentale, également appelée l'ESCC, cycle 1.2 Le premier tableau indique la prévalence annuelle de troubles mentaux au sein de la population active canadienne. Je crois que c'est la première fois qu'on obtient des données nationales à cet égard.

Je ne vais pas parcourir tous les chiffres, mais vous pouvez voir dans le tableau, ici, que la prévalence de troubles mentaux dans la population active semble supérieure à la prévalence pour l'ensemble de la population nationale. Comme en témoignent le tableau 2 et le tableau 3, il y a des différences claires au chapitre de la prévalence de troubles mentaux par catégorie professionnelle, et les travailleurs à temps partiel sont plus susceptibles de souffrir de troubles mentaux que les travailleurs à temps plein. Les travailleurs des échelons professionnels inférieurs sont plus susceptibles d'avoir souffert de troubles mentaux que les professionnels et les cadres supérieurs.

Ces chiffres nous aident à comprendre toute l'ampleur du problème à l'échelle nationale. Toutefois, nous savons bien peu de choses en ce qui concerne les facteurs déterminants des problèmes de santé mentale en milieu de travail, et la façon dont les facteurs psychosociaux déterminants, à l'intérieur et à l'extérieur du lieu de travail, interagissent. De plus, en l'absence de connaissances pertinentes, l'intervention en milieu de travail est compliquée et difficile. La première recommandation concerne l'importance d'effectuer davantage de recherches sur l'épidémiologie des troubles mentaux au sein de la population active.

Dans ce domaine, la meilleure étude, peut-être la plus grande et la seule étude longitudinale d'envergure dans le monde, est la Whitehall Study, lancée en 1967. Comme les membres du comité le savent peut-être, les chercheurs, en collaboration avec le secrétariat du Cabinet et les syndicats de la fonction publique, ont donné aux conclusions de cette étude la plus grande valeur scientifique possible, pour ce qui est de l'incidence sur les politiques. Malheureusement, la santé mentale ne constitue qu'une petite partie de cette étude.

Au Canada, l'ESCC 1.2 est notre première et seule enquête nationale sur la santé mentale. Si l'enquête est menée de nouveau par Statistique Canada à l'avenir, la santé mentale en milieu de travail devrait être un élément important de l'enquête, et l'enquête devrait être conçue de concert avec les décideurs, les artisans des politiques et les représentants des autres intervenants, comme les syndicats, les employeurs et les assureurs.

Ma deuxième recommandation concerne la nécessité de mener davantage de recherches sur la prévention et l'intervention. L'intervention en milieu de travail doit être fondée sur une approche globale, mais la plupart des interventions existantes sont ponctuelles, et insuffisantes.

Les experts s'entendent pour dire que la prévention primaire est idéale pour maximiser l'impact de l'intervention. La prévention primaire vise à éliminer ou à réduire les problèmes en milieu de travail en misant sur une approche axée sur la santé de la population au lieu de s'attacher à une maladie donnée.

Toutefois, les interventions en milieu de travail qui misent sur une approche visant l'ensemble de l'organisation sont rares. Cela tient à de nombreux facteurs, y compris le manque de leadership et d'engagement de la part des employeurs et des cadres supérieurs, ainsi que de certains enjeux liés à la gestion. J'estime, pour ma part, que notre connaissance limitée de l'épidémiologie des problèmes de santé mentale en milieu de travail est également un facteur important, car il est difficile d'établir un programme de prévention primaire efficace lorsqu'on ne comprend pas clairement les facteurs déterminants de la santé mentale et la façon dont ils interagissent.

Ma dernière recommandation concerne la défense de l'intérêt public. Vous avez peut-être entendu cela à plusieurs reprises au cours d'audiences antérieures. J'estime que c'est un pas important vers la prévention primaire et la promotion de la santé mentale. En principe, le comportement d'une personne est fonction de ses connaissances et attitudes. Si les employeurs et les cadres supérieurs ne reconnaissent pas que les troubles mentaux sont courants en milieu de travail et pourraient miner le rendement et la productivité de leurs employés, ils sont moins susceptibles de prendre les mesures qui s'imposent.

De même, si les travailleurs ne possèdent pas suffisamment de connaissances sur les symptômes, les facteurs de risque, les conséquences et les traitements disponibles, ils sont moins susceptibles de chercher à obtenir l'aide d'un professionnel. Ils sont moins susceptibles de s'aider eux-mêmes. Ils sont moins susceptibles d'aider les autres. La connaissance des symptômes et facteurs de risque et attitudes à l'égard du traitement et des troubles mentaux sont des connaissances de base en matière de santé mentale. L'expérience australienne montre que l'amélioration des connaissances en matière de santé mentale est accompagnée d'une utilisation accrue des services de santé mentale, d'un meilleur respect du traitement, d'une capacité accrue de s'aider soi-même et d'aider les autres, d'une réduction des préjugés, et certaines études montrent qu'elle réduit également les symptômes psychiatriques. Toutefois, nous ne savons pas ce que les Canadiens savent au sujet des troubles mentaux.

La création d'une campagne de sensibilisation du public constitue une tâche énorme. Une telle initiative doit pouvoir miser sur tous les intervenants, et le gouvernement devrait prendre les rênes d'une telle initiative. Nous devons également diffuser les résultats de nos recherches aux travailleurs en temps opportun, afin que tout le monde puisse en tirer avantage.

Le président : Comme vous pouvez le constater, nous avons entendu une grande diversité de points de vue. J'aimerais commencer par la sénatrice Cook, car elle est présidente du caucus libéral du Sénat et doit se rendre à une réunion. Les autres parmi nous manqueront la réunion. J'ai regroupé les sujets sous cinq ou six rubriques. Nous pourrons y revenir.

Le sénateur Cook : Merci à tous d'être venus. Quand j'aurai fini cette pile, je suis certaine que j'aurai trouvé la réponse à certaines des questions que je vais maintenant vous poser.

Monsieur Corbiere, dans le plan d'action pour la santé mentale en milieu de travail, il y a une virgule, alors qu'il devrait y avoir un point décimal. Si je comprends bien ce graphique, il s'agit de 786,42 $. Il y a une virgule là.

Vous vous êtes penché sur la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec. Comme je viens du Canada atlantique, en particulier de Terre-Neuve-et-Labrador, je me demande s'il est possible de produire un tableau complet.

M. Corbiere : Oui, c'est possible. Avez-vous besoin de cette information?

Le sénateur Cook : J'aimerais bien l'obtenir, oui. Je rêve de regarder ce plafond, qui dissuade les gens de se sentir bien de travailler au lieu d'être encore placés dans un système. Pour moi, c'est important.

M. Corbiere : Il est également possible d'obtenir l'information sur le site Web. Je n'ai pas l'adresse ici, mais je peux vous la trouver.

Le sénateur Cook : Ce serait utile. Nous avons besoin d'un échantillon plus large, monsieur le président. Je regarde les données relatives au plafond, et je vois qu'on met l'accent sur les zones urbaines. Mon instinct me dit que nous devrions examiner le contexte rural.

J'ai pris des notes. Nous devrions être préoccupés par le fait que 50 p. 100 des employés déprimés ne bénéficient pas d'un traitement approprié.

M. Gilbert : C'est une estimation plutôt généreuse, pour tout vous dire.

Le sénateur Cook : L'autre facteur à souligner, c'est à quel point les praticiens sont souvent mal informés des problèmes en milieu de travail. À la page 47, au troisième paragraphe de votre conclusion, j'aimerais vous entendre dire s'il y a une solution à cet égard.

J'aimerais parler d'obstacles et de syndicats. Dans mon autre vie, j'ai travaillé au sein d'une entreprise familiale du secteur automobile pendant 25 ans. Les syndicats peuvent parfois être un obstacle. Je ne sais pas comment on peut contourner cela. Si vous ne vous sentez pas bien et que votre employeur vous interroge, vous commencez à vous sentir tendu. L'employeur reçoit ensuite un grief du syndicat, une barrière entre l'employeur et l'employé qui peut nous empêcher de résoudre un problème avant de devoir passer à la gestion de crise.

Comme tout Terre-Neuvien qui se respecte, j'ai toujours plein d'histoires à raconter. Nous avions un vendeur qui buvait beaucoup. Il a été avec nous pendant de nombreuses années. Quand je regarde en arrière, je me souviens que mon défunt mari et le groupe aidaient régulièrement cet homme. On lui refilait un acheteur, car un vendeur qui ne vend pas ne fait pas d'argent. Il y avait à l'époque des choses avec lesquelles je n'étais pas capable de composer à titre d'employeur, car je ne savais pas quoi faire.

Il y a sûrement un moyen, si nous établissons une stratégie nationale relative à la santé mentale, d'établir un lien avec les employés et les employeurs, afin qu'une telle chose ne se produise pas. Je peux vous dire que tout effort de notre part pour aller dans l'atelier et poser une question serait suivi d'un grief syndical le lendemain. À notre époque, c'était des professionnels. Ils n'étaient pas syndiqués. Toutefois, la situation a évolué, les syndicats sont devenus la norme, et on avait besoin d'eux. Nous devons nous demander pourquoi. Nous devons examiner cette barrière. Quand le dirigeant syndical arrive dans l'atelier, il n'est pas très accueillant. On élève des barrières. Nous devons examiner ces barrières.

C'est ce que je lis ici : une bonne relation parmi les cadres de premier niveau. J'ignore comment on peut obtenir un tel résultat.

Monsieur Dos Santos Soares, on nous parle beaucoup de législation, ou du manque de législation. Puisque nous évoluons au sein d'une fédération tissée très serrée — selon nos besoins — qui s'appelle le Canada, comment peut-on envisager une loi provinciale soumise à une présence fédérale supérieure? D'une façon ou d'une autre, nous devrons légiférer le gros bon sens, et je ne crois pas que ce soit possible. On peut sûrement faire quelque chose, mais j'ignore s'il doit s'agir d'une loi ou d'autre chose.

Monsieur Wang, je regarde la page 2 de votre rapport, et, encore une fois, j'aimerais obtenir plus d'informations. Le seul emploi saisonnier que vous mentionnez, c'est l'agriculture. Je viens d'une collectivité de pêcheurs du Canada. On brasse d'assez grosses affaires dans ce domaine sur nos deux côtes, et, de fait, sur nos eaux intérieures. Dans ma province, la pêche au crabe n'a pas eu lieu cette année. De nombreuses personnes se retrouveront sans revenu et, par conséquent, stressées, et se tourneront vers leur médecin de famille et d'autres intervenants, tout cela parce qu'il n'y a pas de travail saisonnier. Ils ne bénéficieront d'aucun soutien gouvernemental, à moins que les politiciens n'exercent des pressions à cet égard. De nombreux facteurs entrent en jeu ici.

J'aimerais également parler de l'industrie des services, où les travailleurs bénéficient de bien peu de soutien. Ils se contentent de toucher un chèque, et de retourner à la maison. Ma fille est psychologue, et elle a assisté à des discussions en groupe au cours desquelles des gens ont dit qu'ils étaient stressés, et que la maladie mentale n'était pas loin. Il y a des gens qui travaillent dans des établissements de nettoyage à sec ou des dépanneurs. Ces gens, quand ils finissent par être diagnostiqués, dépendent des échantillons distribués au cabinet du médecin, car ils n'ont pas les moyens de s'acheter des médicaments.

Pour ce qui est de la question de présenter une nouvelle demande après trois mois, la dernière chose qu'on veut faire, quand on se sent bien, c'est de remplir un formulaire, alors, on en a encore moins envie quand on ne se sent pas bien.

Ce sont là mes questions et commentaires, et je vous saurais gré de me faire part de vos commentaires éventuels.

Le président : Monsieur Wang, voulez-vous commenter la question relative à l'industrie des services? C'est un élément assez frappant de votre tableau 3. Je n'aurais jamais deviné que la catégorie des commis au service à la clientèle affiche, selon les statistiques, un niveau de santé mentale considérablement supérieur à celui de tout autre groupe. Certains d'entre nous ont tendance à croire — à tort, manifestement — qu'on ne peut pas avoir un tel problème lorsqu'on se trouve au bas de l'échelle hiérarchique, car il y a moins de stress. Ces chiffres, ainsi que ceux sur le travail à temps partiel par rapport à la question du travail à temps plein laissent croire que, de fait, plus on est au bas de l'échelle hiérarchique, plus on a de stress à gérer. Est-ce bien cela que vous avancez? Dans l'affirmative, avez-vous des commentaires qui pourraient nous aider à comprendre pourquoi cette statistique et la statistique relative au travail à temps partiel sont si élevées?

M. Wang : Comme je l'ai déjà mentionné, c'est la première fois que nous avons des données nationales au sujet des troubles mentaux pour l'ensemble de la population active, par catégorie professionnelle. J'ai également mentionné que nos connaissances à l'égard des facteurs déterminants des problèmes de santé mentale et de l'invalidité sont limitées. Nous avons constaté un ratio plus élevé de problèmes au sein de la catégorie des commis au service à la clientèle, mais nous ne saurions vous dire pourquoi.

[Français]

Mme Dagenais : Ce n'est pas étonnant, en un sens, car le secteur des services qui est très multiple, subit fortement l'impact des nouvelles technologies et de l'intensification du travail. Or, dans le secteur des services, on a différentes catégories. On a des catégories de professionnels et des travailleurs de faible compétence. Pour ce qui est des transformations que l'on observe dans le monde du travail, c'est là que s'opère la transition. Il ne faut pas oublier que le secteur des services représente 75 p. 100 de la main-d'œuvre au Canada. C'est une majorité de personnes, il est donc logique que cela touche ce secteur de façon prioritaire. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet.

[Traduction]

Le président : Ainsi, vous avancez que cela tient partiellement à la cadence du changement?

Mme Dagenais : Bien sûr.

Mme Smailes : Ma thèse de doctorat portait sur les jeunes travailleurs. Ils évoluent dans le secteur tertiaire. Il y a un homme qui se penche sur la tension liée au travail, l'absence de contrôle et la forte demande, et c'est généralement ce que supposent les emplois dans les services. J'ai conclu qu'il y avait partout un lien avec la dépression, l'angoisse et la consommation de drogues.

Il y a diverses théories sur la tension et le stress liés au travail. Si vous n'avez aucun pouvoir décisionnel, si on exige beaucoup de votre temps, et si vous devez travailler rapidement, cela peut être très stressant. C'est généralement ce qu'on voit dans ce groupe.

Le président : Vous n'êtes pas étonné par les données présentées par M. Wang?

Mme Smailes : Non.

M. Dos Santos Soares : Ma thèse de doctorat portait également sur les travailleurs du secteur des services. Je me suis penché sur la situation des caissières de supermarché. J'ai comparé les travailleurs des supermarchés brésiliens et québécois. J'ai étudié les travailleurs du secteur des services pendant toute ma vie.Il n'est pas étonnant de voir ces statistiques, car nous avonssous-estimé toutes les compétences nécessaires pour travailler dans le secteur des services.

Songez seulement au travail que ces personnes doivent faire sur le plan émotif. Nous devons gérer nos propres émotions afin de faire notre travail. Si nous sommes malheureux, nous devons quand même sourire et être courtois. C'est une charge émotive très lourde. Ma dernière recherche auprès des enseignants met en relief le fait que ce travail émotionnel influe sur le niveau de stress. Il est éprouvant de ressentir des émotions qui vont à l'encontre des règles relatives aux « sentiments » en milieu de travail. Il s'agit de ces règles qui prévoient que vous devez agir d'une certaine façon, sur le plan émotif. Si vous êtes enseignant ou travaillez dans le domaine des soins de santé, vous devez être courtois, faire preuve d'empathie, et montrer de la compassion. Plus il est difficile pour une personne d'accomplir ses tâches, plus ce sera exigeant. Lorsque nos sentiments vont à l'encontre des règles régissant les sentiments en milieu de travail, c'est une source de stress et d'épuisement professionnel.

M. Gilbert : Nos données sur l'épidémiologie de la dépression ne sont pas fantastiques. Toutefois, il y a des données qui font état d'une tendance à la hausse de la dépression chez les jeunes. J'avancerais que l'industrie des services emploie bien souvent des jeunes. C'est une conclusion un peu paradoxale, d'une certaine façon : cela reflète peut-être la volonté des jeunes de mettre ce problème à l'avant-plan, ce qui appuierait votre argument à l'égard des connaissances au sujet de la santé mentale. Il y apeut-être quelque chose de positif à voir dans tout ça. Nous l'ignorons.

Toutefois, cela dit, nous savons également que, le sous-emploi, tout comme le chômage, contribue aux problèmes de santé mentale. J'avancerais encore une fois que les gens qui travaillent dans l'industrie des services ne jouissent certainement pas d'une sécurité d'emploi, et que cela pourrait jouer un rôle.

M. Wang : Je vous renvoie à la première Whitehall Study, laquelle faisait état d'écarts d'ordre hiérarchique en ce qui concerne les maladies cardiaques et la mortalité. Plus on est haut dans l'échelle, moins on a de risque de maladie cardiaque.

Le président : J'ai regardé mon collègue, le sénateur Keon, parce qu'il a été l'un des meilleurs cardiochirurgiens au pays pendant longtemps.

M. Wang : Ils ont mené une deuxième étude, et obtenu essentiellement les mêmes résultats. Ils ont tenté d'expliquer l'écart. Il y a plusieurs modèles possibles pour la santé mentale en milieu de travail. La plupart des rapports disent que le stress au travail est un facteur de risque à l'égard des problèmes de santé mentale au sein de la population active, et je suis d'accord avec cette affirmation. Nos recherches nous mènent à la même conclusion.

Toutefois, il y a bien plus que le stress au travail. Par exemple, ma recherche montre que le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale influe davantage sur la santé mentale.

Il faut déterminer si cet écart est imputable à un seul facteur ou à une combinaison de facteurs.

Le président : J'aimerais revenir au deuxième point soulevé par la sénatrice Cook, concernant le contexte juridique. Premièrement, Mme Dagenais et M. Dos Santos Soares ont mentionné spécifiquement l'article 46 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui ne dit rien au sujet de la santé mentale. J'aurais donc pensé que la plupart des juges qui consultent la Charte supposeraient qu'elle exclut la santé mentale. Je serais curieux de savoir si on a pris des décisions fondées sur une telle conclusion, dans le cadre de causes juridiques.

Deuxièmement, les deux témoins parlent de « la loi », mais j'ignore de quelle loi il s'agit. S'agit-il d'une loi québécoise qui porte spécifiquement sur la santé mentale en milieu de travail? Dans l'affirmative, pourriez-vous fournir cette information au Comité?

[Français]

Mme Dagenais : En ce qui concerne la santé mentale au travail, le Québec offre des services dans les villes et dans les régions pour les personnes affectées par des problèmes de santé mentale. Dans le cadre des travaux réalisés pour la Loi sur le harcèlement psychologique au travail, nous avions identifié des failles. Une des recommandations que je formule est de permettre aux gens qui vivent des situations d'atteinte à la santé mentale dans leur travail d'avoir accès aux services de santé, que ce soit des services généraux ou des services professionnels. Le Québec, comme toute autre province, a des difficultés dans la prestation des services de santé.

Dans le contexte de l'article 46 que vous avez mentionné, une des choses que nous avons faite à la commission est un bilan sur les droits et libertés depuis les 25 dernières années. L'équipe des chercheurs à la commission a produit un rapport et l'une des recommandations était d'expliciter, dans la charte elle-même, la notion de santé psychologique parce qu'elle n'y est pas. Il faudrait l'inscrire. Comme société, nous avons évolué ces dernières années au sujet d'une loi sur le harcèlement psychologique. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, à partir des données obtenues un an après son application, nous constatons que cette loi est limitative au sens où plusieurs situations ne sont pas couvertes par cette loi. Les autorités de la Commission des normes du travail, lors du premier congrès canadien sur la santé mentale et le travail, a mentionné qu'on avait besoin de développer la recherche pour trouver un diagnostic encore plus précis et pour englober ces atteintes à la santé qui ne forment pas un ensemble selon la définition actuelle de la loi qui est très restreinte. C'est déjà un progrès, mais c'est restreint.

[Traduction]

Le président : Au Québec, il y a une loi qui porte spécifiquement sur ...

[Français]

Mme Dagenais : ... le harcèlement psychologique.

[Traduction]

Le président : En milieu de travail?

Mme Dagenais : Oui, cela s'applique uniquement au milieu de travail.

Le président : Quel est le nom de cette loi?

Mme Dagenais : La loi relative au harcèlement en milieu de travail a été adoptée en 2004.

M. Dos Santos Soares : Elle a été approuvée en décembre 2002, mais les employeurs ont demandé qu'on leur accorde 18 mois pour s'adapter au nouvel environnement. Le 1er juin 2004, la loi est entrée en vigueur.

Le président : L'argument de la sénatrice Cook, c'était qu'un nombre important de travailleurs sont visés non pas par un code du travail provincial, mais bien par le Code canadien du travail, comme ceux qui travaillent pour les sociétés ferroviaires et les banques. Le sénateur Cook a suggéré que le Comité envisage un équivalent national, ce qui supposerait une modification du Code canadien du travail.

Mme Dagenais : J'ai un commentaire à formuler sur cette question. Même si le Québec est doté d'une loi relative au harcèlement, nous avons remarqué que les gens demandent un soutien psychologique.

[Français]

Que ce soit le harcèlement, la violence ou toute autre situation qui atteint les personnes sur le plan de leur santé psychologique, leur dignité ou leur intégrité. Ces demandes se retrouvent à la Commission des droits de la personne, parfois à la Commission des normes du travail — pour ce qui est de la Loi sur les normes de travail en matière de harcèlement psychologique — et parfois à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

C'est pour cette raison que j'avais proposé que nous fassions une étude comparant les différents types de plainte que nous recevons. Selon la loi, la définition semble étanche, mais dans la réalité, lorsque les gens doivent déposer une plainte, il n'est pas si évident de savoir où s'adresser. Ce sont des enjeux que chacun des organismes québécois doit appliquer ou jauger. Comme on fait face à un problème social, il faut réfléchir sur la façon de l'aborder. Je ne suis pas certaine que si adoptait une loianti-harcèlement pancanadienne, ce serait une solution suffisante pour régler le problème. Tout dépend de l'objectif visé.

Le Québec avait fait cette réflexion sur le harcèlement psychologique un peu à l'image des juridictions européennes, notamment la France et les pays nordiques qui ont eu la facilité de développer une loi sur le harcèlement psychologique au travail. En France, l'application de cette loi a toutes sortes de conséquences qu'on n'avait pas imaginées. Si bien que c'est une solution, mais ce n'est pas la panacée. Il faut avoir cela en tête avant de prendre une telle décision. Il faut bien comprendre que lorsqu'on parle d'une situation d'atteinte à la santé psychologique, cela recouvre un ensemble de situations, pas seulement le harcèlement psychologique.

[Traduction]

Le président : J'aimerais clarifier cela, si vous le permettez. La loi québécoise ne s'appliquerait pas aux entreprises visées par la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Mon point, c'est qu'il y a un écart.

[Français]

Le sénateur Pépin : Lorsque vous dites que les gens ont de la difficulté à savoir à quel endroit ils peuvent porter plainte, au Québec c'est la loi, comment se fait-il que les syndicats ne sont pas impliqués? Habituellement, ils sont les premiers intéressés.

Mme Dagenais : Une des raisons qui a fait que la loi a été adoptée, c'est précisément parce qu'on avait constaté que dans certains cas où les gens avaient des problèmes de harcèlement, il n'y avait aucun canal de transmission de leur plainte. On a créé cette loi, je ne dirais pas pour contourner les juridictions syndicales, mais pour permettre aux gens qui n'avaient pas accès à un syndicat ou qui n'avaient pas de représentation syndicale suffisante, d'avoir une porte d'accès.

Il ne faut pas se leurrer. La représentation syndicale est d'environ 19 ou 20 p. 100. Il y a tout le reste de la main- d'œuvre qui n'est pas syndiquée — à moins de dire une sottise, je ne suis pas certaine du chiffre. Au Québec, je pense que c'est un tiers. Dans le reste du Canada, c'est beaucoup moins que cela.

M. Dos Santos Soares : Au Québec, c'est 40 p. 100. Il y a donc 60 p. 100 des travailleurs qui ne sont pas syndiqués.

Mme Dagenais : Voilà, c'est la majorité.

M. Dos Santos Soares : Par rapport à la loi québécoise, il faut comprendre que c'est une loi contre la violence psychologique. On ne peut pas penser à créer une loi pour toutes les souffrances psychologiques au travail. Ce serait complètement vide de sens. D'une certaine manière, il faut attaquer les choses par blocs parce que la loi va agir comme une camisole de force, elle va pousser les entreprises à s'ajuster et à créer des mécanismes pour les résolutions de conflit afin d'améliorer les conditions de travail et pour ne pas fermer les yeux quand on voit que deux personnes sont en train de se tuer. C'est pour cette raison qu'il est important d'avoir une législation.

Avec le temps, elle sera plus utile parce que les choses vont s'ajuster. De nouvelles cultures vont se mettre en place. La loi québécoise est différente de la loi française. Elle est beaucoup plus axée sur la prévention et la médiation. Il y a des mécanismes de médiation à la Commission des normes du travail qui permettent aux gens de régler leur problème. Une très grande partie des cas qui ont été présentés cette année ont été réglés par la médiation.

Autrement dit, si les entreprises avaient ces mécanismes de médiation de conflit à l'interne, il ne serait pas nécessaire de se rendre jusque-là. Pour parler un peu des syndicats, il faut comprendre qu'ils ne sont pas une entité monolithique. Ils sont à différents niveaux d'avancement sur la question. Avec la SSQ, nous avons beaucoup travaillé; il y a des trousses pédagogiques pour conscientiser les gens au sujet du harcèlement, des droits, des recours. D'autres n'ont absolument rien fait; d'autres encore vont harceler leurs membres. C'est tout à fait inégal, mais les syndicats aussi sont des organisations.

La loi québécoise couvre tout le monde, syndiqués et non syndiqués. Même les syndicats doivent s'en occuper et ne pas permettre cela car les travailleurs peuvent aller déposer directement une plainte contre le syndicat et contre l'employeur. Voilà ce que sont les enjeux, cela prendra un certain temps pour que les plaintes commencent à diminuer.

Mais il est vrai que si on a d'autres problèmes de santé mentale, c'est très difficile. Si on considère la CSST, elle refuse de façon presque catégorique d'accepter des cas de santé mentale. Il faut que la personne aille en appel. Il faut que la personne ait de l'argent, un avocat ou un syndicat qui paie l'avocat, pour que la personne puisse aller en commission de lésion professionnelle. Quand une personne est en épuisement professionnel, en dépression, il n'est pas évident qu'elle ait l'énergie pour faire cette démarche. Il est très important d'être capable de rendre cette situation plus facile.

Mme Dagenais : Un point de précision en regard de la commission de santé et sécurité : ce que l'on a observé, c'était l'augmentation importante du nombre de situation, de plainte pour lésion psychologique. C'est un phénomène qui va probablement exister dans les autres provinces du Canada. On a encore des plaintes pour lésions physiques, mais comme la nature du travail se transforme, comme on a affaire à davantage de situations de travail cognitif, dans les services notamment, cela amène une configuration complètement différente des demandes d'indemnisation à la CSST. Ils sont en train pour leur part d'essayer de s'ajuster et de commencer à regarder un peu plus les cas de lésion psychologique. C'est une situation que l'on doit examiner et qui est à l'étude.

M. Dos Santos Soares : Cela a augmenté, on voit que les statistiques de la CSST montent, mais c'est la pointe de l'iceberg. La CSST ne comptabilise pas les cas des gens qui ont fait des demandes et qui ont été refusé. Si on avait cette statistique, on aurait un portrait encore plus proche de la réalité.

M. Corbière : Je me posais la question de savoir s'il faut que la cause du problème de santé mentale soit reliée à l'environnement de travail ou non pour que l'indemnisation soit retenue.

M. Dos Santos Soares : Par la CSST? Oui, il faut faire la preuve, et c'est au prix d'expertises et de contre-expertises dans lesquelles les gens sont très mal pris. Je vois des gens, dans des commissions de lésion professionnelle, qui pleurent abondamment et les choses se passent comme s'ils n'étaient pas là.

M. Corbière : J'ai une autre question : quelles sont les requêtes qui sont retenues pour les problèmes de santé mentale?

M. Dos Santos Soares : C'est très difficile. Cela dépend des commissaires et je ne pense pas que tous les commissaires soient bien formés pour être capables de comprendre les problèmes. Quelques-uns sont très sympathiques et vont demander à un expert d'être à leurs côtés pour les conseiller. D'autres pensent qu'ils sont capables de le faire. Dans un cas de harcèlement dans lequel je suis intervenu, la commissaire a dit : il n'y a pas de harcèlement. Deux jours après que la sentence soit tombée, le harceleur est allé voir la personne, du côté de chez elle, pour la menacer et lui dire : « ça va être ta fête ». Si cela n'est pas du harcèlement, je ne sais pas ce que c'est. Le syndicat a dû faire une mise en demeure pour que le harceleur ne s'approche pas de la victime. Mais c'est un cas qui a été jugé comme n'étant pas du harcèlement.

C'est parfois très dommageable du point de vue psychologique, car les gens veulent que justice leur soit rendue. Quand leur cause n'est pas reconnue dans ce tribunal, c'est comme leur dire que ce qu'ils vivent n'est pas un problème.

Mme Malenfant : Je voudrais apporter un propos un peu plus large. Lorsqu'on parle de santé mentale au travail, on parle vite de mesures législatives qui touchent le harcèlement psychologique ou d'une loi possible en santé mentale au travail, ce avec quoi on ne peut pas être en désaccord. Mais il ne faut pas oublier que des mesures, des lois existent actuellement qui peuvent être améliorées et avoir un impact sur la santé mentale.

On parle des lois concernant les normes du travail. On parlait tantôt du haut taux de détresse psychologique dans le secteur des services, particulièrement chez les jeunes que l'on retrouve à un haut pourcentage dans ce secteur. La question de l'intermittence et de la précarité en emploi est un problème croissant ces dernières années. Les jeunes sont particulièrement affectés par le climat d'insécurité dans le milieu de travail suite aux restructurations ou fusions d'entreprise. On a tendance à oublier quelquefois que ces dimensions pourraient permettre d'agir préventivement sur les problèmes de santé mentale pour, entre autres, accroître la formation au moment de l'intégration en milieu de travail.

Les jeunes se sentent souvent démunis lorsqu'ils arrivent dans un nouveau milieu de travail, d'autant plus que les intermittents en emploi, qui connaissent des entrées et sorties multiples du marché du travail, doivent chaque fois s'adapter à un nouveau milieu, refaire leur réseau de relations, maîtriser de nouveaux outils de travail. On sous-estime souvent cette grande capacité d'adaptation que doivent avoir les travailleurs qui n'ont pas de sécurité d'emploi et qui changent souvent de travail.

Les normes de travail sont peu adaptées à ces conditions. Concernant la question des salaires, des horaires de travail, de la formation, par la suite, en cours d'emploi, les personnes en situation de précarité n'ont pas les mêmes avantages sociaux que les personnes qui ont un statut permanent. À la longue, cette insécurité au travail a des impacts sur la santé mentale. C'est donc en améliorant les politiques du travail actuelles qu'on peut agir positivement pour la santé mentale.

On parle de développement, depuis les dernières années, surtout durant les périodes électorales, d'une loi sur la conciliation travail-famille. Après les élections, on en entend beaucoup moins parler. Et pourtant, les études de Linda Duxbury de l'Université Carleton montrent bien les impacts des difficultés de conciliation travail-famille sur la santé des parents.

Il ne faut pas arriver à tout traduire en problème de harcèlement psychologique au travail ou en problème de maladie mentale pour agir sur l'amélioration des milieux de travail; il faut regarder nos politiques actuelles et les mesures de conciliation travail-famille, travail et exercice de la citoyenneté.

[Traduction]

Le sénateur Keon : Je dois prendre une courte pause à midi, mais j'aurai d'autres questions. C'était un exposé formidable. J'aimerais revenir à la question de la législation sur la discrimination, le harcèlement et toutes ces choses en milieu de travail, et sur le point soulevé par la sénatrice Cook. Lorsqu'on a recours à la loi pour statuer sur un grief, on se place dans une situation vraiment difficile.

Pendant de nombreuses années, j'ai dirigé une entreprise de taille moyenne comptant environ 700 employés oeuvrant dans divers domaines. À la lumière de mon expérience, il n'y a aucun gagnant lorsqu'on est incapable de résoudre un problème avant qu'un grief soit déposé, ou qu'une loi soit invoquée.

Nous avons entendu de nombreux commentaires positifs ce matin. Comme pour tout autre secteur de la médecine, la prévention primaire et l'intervention précoce sont importantes, car lorsqu'on se retrouve devant un cancer terminal, il n'y a plus grand-chose à faire.

J'espère que ce commentaire alimentera davantage le débat.

J'aimerais revenir à l'exposé de Mme Baynton. Je suis fasciné par le fait que votre organisme de services privé dispense des services à contrat. Je crois comprendre que vous dispensez généralement vos services à une société, et que c'est elle qui vous paie. Avez-vous déjà eu l'occasion de dispenser le même service à un organisme couvert par le système de soins de santé, et d'être rémunérés par cet organisme?

Mme Baynton : Non. Nous avons toujours été payés directement par l'employeur. Je ne saurais dire si nous sommes rémunérés par d'autres régimes.

Le sénateur Keon : C'est très intéressant. Tout comme le sénateur Kirby, je suis depuis longtemps convaincu du fait que nous devons fournir une souplesse accrue à l'ensemble de notre système. Nous devons le fractionner afin que les fournisseurs de services privés puissent se faire concurrence et accélérer le système. À l'heure actuelle, les soins de santé de notre pays doivent composer avec une bureaucratie suffocante, et aucun domaine n'est plus mal en point que celui de la santé mentale, où nous traitons environ 30 p. 100 des personnes qui devraient obtenir un traitement. Notre plus gros problème tient à la résistance au changement dans l'ensemble du système.

Selon vous, dans quelle mesure est-il possible que des services comme les vôtres soient dispensés auprès d'établissements publics, comme les hôpitaux?

Mme Baynton : Mais nous travaillons avec les hôpitaux. Ils comptent parmi nos clients, comme les entreprises du secteur privé. Notre travail concerne la prévention. Nous montrons aux dirigeants comment repérer les signes et les symptômes. Nous leur disons que le travail du dirigeant consiste non pas à diagnostiquer, à traiter ou à conseiller, mais tout simplement à orienter les clients vers les bonnes ressources. Cependant, il importe également, comme c'est le cas dans toute autre relation, qu'ils comprennent comment communiquer, et qu'ils sachent ce qui permettra aux gens de fonctionner, même lorsqu'ils ne sont pas bien. Nous convenons que le fait de rester au travail ou de retourner au travail favorise davantage le rétablissement de la plupart des gens souffrant de maladie mentale. L'isolement d'une personne à la maison peut aggraver les symptômes.

Nous enseignons aux dirigeants comment gérer le rendement, ce qui nous ramène à la question des syndicats. La plupart des organismes qui retiennent nos services sont syndiqués, et ils ont abandonné la gestion du rendement parce qu'ils la relient à la discipline, et que les syndicats interviennent toujours. Nous tentons de leur montrer que la gestion du rendement consiste à maximiser le potentiel de chacun. Ce n'est pas une question de discipline; il s'agit de collaborer en vue de déterminer ce dont vous avez besoin pour faire votre travail, et d'inviter les employés à dire quels engagements ils sont prêts à prendre pour qu'on arrive à nos fins, et cette étape est souvent écartée. Enfin, nous devons demander aux employés aux prises avec des problèmes de santé mentale quel type d'approche ils aimeraient qu'on adopte à l'avenir, quand il se produit quelque chose; autrement dit, nous devons nous tourner vers l'avenir.

L'information sur le rendement des investissements est anecdotique, mais nos clients nous ont dit que les retombées sont considérables. La formation mise au point spécifiquement pour s'occuper de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale peut s'appliquer à toute personne confrontée au stress ou à un traumatisme émotionnel en milieu de travail.

Le sénateur Cook : Cela concerne la société d'aujourd'hui, pour ce qui est de la santé mentale, et, fait plus important encore, cela concerne la société de demain. Un si grand nombre de nos jeunes doivent accepter n'importe quel emploi et le conserver le plus longtemps possible. C'est peut-être là que le conditionnement a lieu. Ils adoptent certaines attitudes dans le cadre de leur premier emploi, et ils les apportent avec eux lorsqu'ils arrivent dans un milieu de travail plus permanent, si une telle chose existe aujourd'hui. Nous devons reconnaître ce fait.

Je suis peut-être plus préoccupé que quiconque par la stigmatisation et la discrimination. J'ai entendu M. Gilbert parler de « connaissance de base en matière de santé mentale », et je tiens à le remercier pour cela. C'est une notion que nous devrions mettre de l'avant.

M. Gilbert : Je vous remercie, et je me fais l'écho deMme Baynton. Mon entreprise d'experts-conseils travaille auprès d'entreprises — des dirigeants, principalement — en vue de les informer et de les sensibiliser à l'importance de la santé mentale. Le fond de notre message, c'est que si les dirigeants ne prennent pas soin d'eux-mêmes, ils ne pourront prendre soin des autres. On a réalisé de grands progrès à cet égard. CP Rail a établi un programme de sensibilisation à la dépression, tout comme un certain nombre d'autres sociétés.

Pour ce qui est des commentaires émis au sujet du secteur de la santé, vous savez peut-être que le vérificateur général de la Colombie-Britannique a fait paraître l'an dernier un rapport où il critiquait vertement le manque d'attention du système desoins de santé pour ses propres ressources humaines. En Colombie-Britannique, les troubles de santé mentale sont la première cause d'invalidité en importance dans le secteur des soins de santé, en particulier dans le secteur des soins de santé communautaires. Si le système de soins de santé ne se penche pas sur la santé mentale de son personnel, il ne se penchera pas sur les besoins en matière de santé mentale de notre population.

Le président : Tous les témoins insistent, d'une façon ou d'une autre, sur l'importance de former les cadres de premier niveau à titre préventif. J'ai pris en note la déclaration de M. Gilbert à l'égard des connaissances de base sur la santé mentale. Nous sommes passés maîtres dans l'art de voler les bons mots des autres, alors nous allons l'utiliser. Dans le même ordre d'idées, il faut déterminer s'il y a une pratique exemplaire en ce qui concerne la prise de mesures d'adaptation destinées aux personnes souffrant d'une maladie mentale.

Tous les témoins ont insisté sur l'importance de former les cadres de premier niveau afin qu'ils comprennent comment s'occuper de personnes souffrant de maladie mentale. Quelqu'un a émis un commentaire judicieux selon lequel cela ne concerne ni le diagnostic ni le traitement; il s'agit de comprendre qu'il y a un problème et qu'il faut un système permettant d'y donner suite.

Des témoins de partout au pays nous ont dit que les employés ont peur de dire à leur employeur qu'ils souffrent d'une dépression, car cela constitue une tache sur leur dossier. Même si l'employeur peut offrir son aide, il n'en demeure pas moins que le dossier peut porter une mention selon laquelle cette personne ne peut gravir les échelons de la hiérarchie. Il s'agit uniquement d'informations anecdotiques, mais nous devons nous pencher sur cette question.

Quelqu'un a recommandé que les programmes de formation soient exécutés par une CAT ou par un autre organisme.

J'ai une question en deux volets. Premièrement, pourriez-vous nous fournir des exemples des meilleurs programmes de formation que nous pourrions mentionner dans le rapport? Je vais distinguer la question des mesures d'adaptation de celles du programme de formation. Nous aimerions connaître les meilleurs programmes de formation destinés aux cadres intermédiaires et aux cadres de premier niveau, car nous aimons que nos rapports soient pragmatiques : si nous devons simplement dire qu'il faut exécuter des programmes de formation à l'intention des cadres de premier niveau, c'est ce que nous dirons. Toutefois, il serait plus important de pouvoir dire qu'il y a trois, quatre ou cinq bons exemples qui ont été mis en pratique et qui fonctionnent, afin que nous puissions orienter les gens dans la bonne direction. Quels sont ces programmes, s'ils existent?

Deuxièmement, je crois que Mme Smailes a mentionné qu'on misait sur des incitatifs pour convaincre les entreprises d'apporter les changements qui s'imposent. J'aimerais obtenir plus d'information sur cette question. Dire qu'il y a des programmes de formation disponibles et les nommer, c'est une chose; veiller à ce que les gens adoptent de tels programmes, c'est une tout autre chose. J'aimerais savoir comment vous y arrivez.

Il y a deux façons de convaincre les gens de faire ce que vous voulez qu'ils fassent. Il y a la carotte, et il y a le bâton. La voie législative est le bâton, car elle dit : « Voici une loi, et vous êtes tenu de satisfaire à ses conditions », de sorte que les gens se sentent obligés de faire quelque chose.

Je crois comprendre, à la lumière de ses commentaires, que Mme Smailes a décidé de miser sur la méthode de la carotte pour convaincre les gens de faire ce qui devait être fait.

La plupart des grandes politiques formulées dans le cadre de nos travaux sur le système de soins de santé ont été adoptées. Comme en témoigne la décision prise par la Cour suprême il y a deux semaines, nos recommandations relatives aux délais d'attente seront adoptées.

Nous croyons qu'il vaut mieux offrir des incitatifs pour convaincre les gens de se comporter de la façon dont nous aimerions les voir se comporter, au lieu de les menacer avec des lois ou des règles, alors nous mettons l'accent sur cela.

Ma question s'adresse à quiconque veut formuler un commentaire à l'égard de ces deux enjeux. Où sont les bons programmes de formation, et quels incitatifs sont efficaces?

M. Gilbert : Je crois que le programme de Mme Baynton est un excellent programme conçu au Canada. Il y a des exemples internationaux intéressants. J'invite les autres intervenants à formuler des commentaires. En Grande- Bretagne, le Health and Safety Executive a mis au point un processus intéressant pour la vérification du stress dans les entreprises. Je crois qu'il s'agit d'un organisme qui s'apparente à une CAT. Sous cette forme, il s'agit davantage d'une carotte. Il s'agit de vérifications volontaires, assorties de critères et de normes. C'est comme une vérification du milieu de travail.

Ce processus est accompagné d'un programme de formation étendu destiné à divers échelons, pour l'établissement de programmes de gestion du stress et de sensibilisation au stress.

Je crois comprendre — et j'ai peut-être tort — qu'à cemoment-là, la carotte est sur le point de devenir un bâton. Ils ont le pouvoir de la loi derrière eux, et, tout comme les commissions d'indemnisation des accidentés du travail, qui peuvent exiger qu'on prenne des mesures pour que le milieu de travail soit physiquement sain, ils peuvent exiger qu'on prenne des mesures pour que le milieu de travail soit psychologiquement sain, et ils peuvent menacer les employeurs d'amendes et d'emprisonnement.

Mme Smailes : Je crois qu'ils ont maintenant le pouvoir de faire cela, mais je n'en suis pas certaine.

M. Gilbert : C'est peut-être en vigueur maintenant.

Mme Smailes : Nous misons certainement sur la méthode de la carotte.

Le président : Qu'entendez-vous par « nous »?

Mme Smailes : Ce « nous » est intéressant, car nous tentons de travailler avec un large éventail d'intervenants. Par exemple,« nous » peut désigner l'OSA.

Le président : S'agit-il de l'occupational safety association?

Mme Smailes : Il s'agit de l'Occupational Health and Safety Agency for Healthcare de la Colombie-Britannique. Notre rôle est d'aider à améliorer la santé et la sécurité dans le secteur des soins de santé.

L'une des premières choses que nous faisons, c'est de veiller à ce que tout le monde participe dès le début, afin que chacun se sente responsable à mesure que les choses avancent. Pour ce qui est des incitatifs, nous nous assurons de tout évaluer. Lorsqu'on parle de pratiques exemplaires, il est efficace, à titre d'incitatif, de pouvoir dire : « Voici des données qui montrent que c'est une bonne chose à faire et que cette mesure aura des retombées positives. » Nous misons énormément sur nos réussites antérieures, comme les lève-personnes fixés au plafond, qui ont eu un impact financier énorme. Il y a eu le programme PEARS; financièrement, l'impact est énorme. Nous misons sur ces réussites, et nous disons : « Écoutez, si vous participez encore, vous aurez une autre occasion de réaliser des économies importantes, et voyez tout ce que nous avons accompli dans le passé. »

Il y a un incitatif à chercher une source de financement externe. Le financement est limité, et chacun exerce des pressions à l'égard d'un grand nombre de choses différentes. Si nous avons des recherches qui montrent ce qui fonctionne, ils savent que le processus va fonctionner s'ils le mettent en œuvre. Si nous pouvons utiliser la recherche pour les guider tout au long du processus et en arriver à ce point-là, ils se chargeront de le mettre sur pied.

Le président : Quels seront les coûts approximatifs pour chaque établissement? Lorsque vous dites que vous les financerez pour mener des recherches, de quel montant d'argent parlez-vous?

Mme Smailes : Nous avons actuellement une proposition de quatre ans visant à créer des milieux de travail sains partout dans la province; 500 000 $ proviennent de l'organisme qui octroie les subventions, et 500 000 $, des autorités en matière de santé.

Le président : Un million de dollars par année?

Mme Smailes : Non, il s'agit d'un million de dollars sur quatre ans.

Le président : Le montant est si faible que le gouvernement fédéral ne le reconnaîtrait même pas.

Mme Smailes : C'est un autre problème. Une partie des difficultés découle du fait qu'on n'a pas l'argent nécessaire pour faire l'évaluation de bons programmes. La fédération canadienne de la recherche et des services en santé est l'un des premiers groupes que j'ai trouvés qui fournit un peu d'argent à l'intention du programme de quatre ans afin qu'on puisse mener une évaluation, ce qui est important.

[Français]

Mme Dagenais : Précisons que les bonnes pratiques ne sont pas absolues. Il faut distinguer ce qui se fait dans les grandes entreprises par rapport aux autres entreprises canadiennes. Au Canada, plusieurs grandes entreprises ont des stratégies en matière de santé, d'autres n'ont pas de stratégie mais auraient les moyens d'en mettre sur pied. Cependant, la majorité des entreprises canadiennes sont des PME. Or ces petites et moyennes entreprises ne pourront mettre en œuvre de bonnes pratiques en matière de santé sans un appui extérieur. Des programmes sont nécessaires pour permettre à ces entreprises de mettre sur pied des mécanismes d'aide aux employés.

Au Québec, les études ont démontré que les personnes les plus touchées par les problèmes de santé mentale au travail sont celles qui travaillent en relations interpersonnelles avec des patients ou des élèves. Il faudra donc cibler l'aide que nous désirons apporter selon le secteur professionnel le plus touché par la tension au travail. Nous devons tenir compte de ces caractéristiques avant de parler de bonnes pratiques de façon unilatérale.

[Traduction]

Le président : Pouvez-vous nous donner des exemples au Québec de ce que vous appelleriez des programmes de pratiques exemplaires ou des programmes axés sur la meilleure formation possible?

[Français]

Mme Dagenais : Il en existe. Toutefois, je n'ai pas fait l'inventaire de ces pratiques. Le rapport que j'ai produit cite certains exemples de pratiques ou de politiques. Lorsqu'il est question de bonnes pratiques en matière de harcèlement psychologique, on ne doit pas se limiter uniquement à la gestion, on doit avoir une vue globale du phénomène.

L'autre volet est celui qui fait le lien entre les conditions de travail et les atteintes à la santé psychologique. Nous ne disposons pas encore de dossiers publics à ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane : Je m'inquiète du fait d'avoir recours aux lois en ce qui concerne le harcèlement psychologique en milieu de travail et je vais vous expliquer pourquoi. J'ai vécu une expérience à cet égard avec une grande entreprise de ma région, Abitibi-Price. Cette entreprise fait des affaires partout au Canada et en Amérique du Nord. Abitibi-Price a une infirmière sur place. En collaboration avec tous les gestionnaires des divers services, elle coordonne l'établissement hospitalier. Sa porte est toujours ouverte. Je connais des personnes qui sont allées la voir pour obtenir de l'aide en raison d'une invalidité. Ces personnes ont rencontré le personnel médical, qu'elle leur avait présenté. Je vous le dis : faites attention de ne pas avoir recours aux lois, car on ne doit pas jeter le bébé avec l'eau du bain. On ne peut pas cibler tout le monde. C'est le point que je voulais soulever. L'aspect humain est très important. MM. Gilbert et Dos Santos Soares en ont fait mention. On peut accomplir bon nombre de choses en tenant compte de l'aspect humain de la gestion. On doit le souligner, car sans ça, vous allez payer des amendes et faire de la prison.

Il y aura une absence de productivité puisque ça va passer tout droit dans le système. Tout le monde va être démoralisé. Il y a tellement de choses auxquelles penser lorsque vous avez recours aux lois.

[Français]

Mme Malenfant : Pour le service de soutien aux employeurs, il faut d'abord, avant d'essayer des recettes miracles, trouver des boîtes à outils. Avec la recrudescence des problèmes de santé mentale au travail, on assiste aussi à une recrudescence de services de consultation offerts aux entreprises. Il ne faut pas tomber non plus dans ce piège des boîtes à outils.

Il faut d'abord identifier les principes qui doivent sous-tendre l'intervention en santé mentale au travail, rendre les milieux de travail autonomes par rapport à l'intervention. Après le départ de l'équipe de chercheurs et des consultants, qu'advient-il des équipes de travail pour prendre la relève et assurer le changement permanent dans le milieu de travail? Il faut les habiliter à identifier les problèmes et les amener à trouver leurs propres solutions adaptées à leur milieu de travail. Pour ce faire, ils ont souvent besoin de comprendre leur organisation pour arriver à mettre en place des changements probants.

Il est vrai que dans plusieurs entreprises, les déterminants, les causes des problèmes peuvent être similaires, mais les moyens d'effectuer ces changements peuvent différer, selon l'histoire de l'entreprise, le type de gestion, le type de production, les difficultés économiques rencontrées par les entreprises. Cela nécessite des ressources financières pour mettre les choses en place. Il faut identifier ce qui ne coûte pas tant d'argent mais ce qu'il est possible de faire.

On oublie souvent, au Québec, qu'avec la Loi sur la santé et la sécurité du travail, on a un réseau public d'interventions en santé au travail, donc des intervenants rattachés au réseau public, qui ont une formation en santé au travail et qui sont habilités à intervenir en milieu de travail. Ils ont besoin, par contre, d'une formation accrue pour intervenir dans le champ de la santé mentale au travail. Ces intervenants sont déjà sur place. Ce sont des ressources régionales et il faut qu'elles soient habilitées à intervenir. Il ne faut pas toujours aller chercher des ressources externes, dispendieuses pour l'entreprise, et qui n'assurent pas nécessairement un suivi à long terme.

C'est sur cela que je voulais mettre l'accent. Il faut non seulement identifier les moyens mais aussi identifier les principes qui doivent sous-tendre l'intervention et faire en sorte qu'on trouve les moyens les plus appropriés.

[Traduction]

Le président : Existe-t-il de bons exemples, autres que ceux dont vous avez parlé, qui nous montreraient les voies et les moyens qui s'offrent à nous? Je suis d'accord pour dire que les grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises sont plutôt différentes. Sincèrement, j'ai l'impression que, de façon générale, les grandes entreprises s'adapteront mieux que les petites et moyennes entreprises, car elles sont plus habituées à être réglementées. Quelqu'un peut-il donner des exemples particuliers où cela a bien fonctionné?

[Français]

Mme Malenfant : Si je prends le réseau public en santé au travail dont je viens de parler, les chercheurs, dans le champ de la santé mentale au travail, ont intégré des intervenants du réseau public de santé au travail à leur équipe pour intervenir en milieu de travail et mettre en place ce qu'on appelle des « groupes de soutien à l'intervention ». L'idée est d'intervenir et de rendre les milieux de travail plus autonomes par rapport à l'intervention en associant des chercheurs et des intervenants qui, après la période d'implantation dans le milieu de travail, vont pouvoir continuer à apporter un soutien ponctuel au milieu de travail.

On a commencé à implanter de ces groupes de soutien à l'intervention dans le réseau public de la santé. C'est en cours d'évaluation et les résultats préliminaires sont très probants.

Ce n'est qu'avec des études longitudinales que l'on saura si, à long terme, ces résultats positifs perdurent. Il est certain que le financement de la recherche peut aider à entreprendre de telles études longitudinales, mais on sent que l'on est sur la bonne voie quand on intègre des ressources déjà existantes aux régions.

[Traduction]

Mme Baynton : J'aimerais parler de certains des aspects généraux du travail que l'on peut transférer vers d'autres programmes. Ils se fondent sur les résultats. Nous avons utilisé la recherche pour les réunir. Ça correspond également aux renseignements actuels concernant l'éducation des adultes, ce qui comprend l'idée selon laquelle ils doivent l'utiliser et participer lorsque vous êtes présent afin qu'ils puissent s'en servir une fois que vous avez quitté.

Dans le cadre de l'atelier que nous présentons, nous nous arrêtons sept fois au cours de la journée afin que les personnes appliquent les renseignements que nous leur avons donnés aux exercices et aux jeux de rôles pour qu'elles puissent l'utiliser par la suite.

Nous savons également qu'il n'existe aucune approche universelle. Au préalable, nous menons une entrevue auprès de l'organisme, de l'employeur, pour connaître la culture, la relation avec le syndicat et les incidents liés au suicide ou d'autres expériences afin que nous en sachions un peu plus lorsque nous nous présentons pour parler avec les employés ou les gestionnaires.

Nous utilisons une approche équilibrée. Nous présentons les ateliers devant uniquement 12 gestionnaires à la fois en raison du besoin d'interaction. Nous savons qu'il est pratiquement certain que l'un ou plusieurs de ces gestionnaires a connu ou connaît actuellement des problèmes de santé mentale. Par conséquent, il est important de bien choisir la personne qui donne la formation, car elle doit posséder des connaissances non seulement sur les pratiques de gestion, mais également sur les problèmes de santé mentale. Elle doit savoir comment gérer le stress, de même que les éléments déclencheurs, qu'éprouvent les personnes présentes dans la pièce en raison de la formation qu'elles reçoivent.

Nous avons créé l'atelier en tenant compte du fait que de 75 à 80 p. 100 des gestionnaires n'ont pas une capacité innée de gérer des personnes. Nous l'avons précisément élaboré pour cibler les gestionnaires qui, en principe, sont intelligents et ont une conception linéaire des choses.

Pour ajouter à ce que Mme Dagenais mentionnait plus tôt, les ateliers peuvent être présentés par l'entremise de la chambre de commerce, d'associations professionnelles ou d'associations d'amélioration des affaires afin que les propriétaires de petites entreprises puissent participer. Actuellement, par l'entremise de notre organisme, les gestionnaires déboursent 210 $ pour une journée entière de formation.

Le président : Par personne?

Mme Baynton : Par personne. Ce n'est pas une grande dépense. Nous tenterons de régler leurs problèmes au cours de cette journée. Ce n'est pas théorique. Ce n'est pas abstrait. C'est plutôt « Qu'est-ce que je dis? Comment dois-je le dire? » Nous répondons à bon nombre des questions suivantes : « Qu'est-ce qu'on fait dans cette situation? Qu'est-ce qu'on fait quand cela se produit? Que fait-on quand ils ne font que pleurer tout le temps? Quand ils restent silencieux ou qu'ils ne veulent pas me parler, qu'est-ce que je fais? ». C'est très pratique.

Le sénateur Cordy : Vous parlez de l'importance de la personne qui offrira la formation. Lorsque vous avez un petit groupe de 12 personnes qui interagissent, déterminez-vous, au bout du compte, la personne qui pourrait le mieux former d'autres personnes au sein de l'organisme, ou comment fonctionnez-vous exactement? C'est une question très importante.

Mme Baynton : Nous formons les gens cette journée-là. À la fin de la séance, nous proposons aux personnes de discuter entre elles. Dans la plupart des cas, nous invitons les membres du personnel des ressources humaines ou de la santé au travail à nos séances de formation. Ils y participent également pour soutenir ou modifier les processus déjà en place.

Nous voulons qu'ils forment un comité afin qu'ils se soutiennent les uns les autres pour régler ces problèmes.

Le sénateur Cordy : Effectuez-vous un suivi ou s'agit-il uniquement d'une formation unique? Retournez-vous voir cette personne après six ou douze mois?

Mme Baynton : Mental Health Works offre divers services, alors ça dépend vraiment de la situation. Nous offrons un service où nous nous présentons et nous interviewons tous les employés pour connaître les facteurs de stress, les tendances et les thèmes qui existent dans l'organisme. Nous formulons des recommandations sur la façon d'apporter des modifications qui permettront de régler ces enjeux.

Nous présentons un atelier intitulé Complex Issues, Clear Solutions Workshop, un atelier d'une journée entière à l'intention des gestionnaires. Nous menons également des interventions dans des cas particuliers où les employés éprouvent des difficultés à obtenir des adaptations et à conclure une entente.

Nous sensibilisons également les employés; les gestionnaires pourraient penser qu'il s'agit d'une excellente idée et vouloir la mettre de l'avant, mais ils pourraient dire que les employés ne voudront pas en parler. Nous ne vivons pas dans une culture d'acceptation, alors il faudrait également changer notre façon de penser à cet égard. Dans certains cas, nous offrons un encadrement aux gestionnaires qui connaissent des difficultés. Il existe un vaste spectre d'options, notamment une formation de une journée que certains gestionnaires suivent pour ensuite l'appliquer à leur milieu de travail et font la différence. Nous disons aux gestionnaires qu'ils pourraient ne pas être en mesure de transformer un grand organisme, mais ils peuvent influencer leur propre unité ou équipe. Normalement, un organismetiendra compte de ce que nous disons, car nous interagissons avec un vice-président, un PDG ou un directeur des ressources humaines en ce qui concerne un changement organisationnel. Toutefois, lorsque nous parlons avec des gestionnaires, nous leur demandons simplement de participer avec les membres de leur unité ou équipe. C'est tout ce que vous pouvez faire.

Le sénateur Pépin : J'ai simplement une petite question. C'est merveilleux de voir tout ce travail accompli auprès des gestionnaires et des PDG. Connaissez-vous quelqu'un qui forme des professeurs d'université? Nous voyons une nécessité de prendre soin de nos jeunes. Nous avons rencontré une personne de l'Université McGill qui nous a dit que 50 p. 100 des étudiants de première année sont atteints d'une incapacité mentale; un professeur d'université doit être au courant de ce fait.

On nous a également dit que les omnipraticiens et les médecins de famille qui travaillent aux urgences d'un hôpital ne connaissent pas bien ces problèmes. Cela aiderait peut-être les étudiants si les universités leur offraient une meilleure formation.

Mme Baynton : Nous avons travaillé auprès de professeurs d'universités pour leur offrir une formation sur la gestion, car bon nombre d'entre eux prennent en charge d'autres personnes. Ils ont mentionné que les compétences qu'ils ont apprises pouvaient être transférées à leurs étudiants, alors c'est possible.

Sénateur, vous avez parlé des omnipraticiens. Nous leur demandons souvent de décrire non pas le travail qui devrait être fait ou non, mais les limites. Nous leur demandons de laisser les responsables en milieu de travail trouver les solutions parce qu'ils y participent. Nous faisons des blagues à ce sujet : si nous recevons une lettre disant que la personne peut uniquement travailler le lundi, le mercredi et le vendredi, nous répondons que, lorsqu'elle nous montrera la maladie du mardi et du jeudi dans le DSM, nous accepterons sa proposition.

Mme Buchanan : J'ai parlé avec le v.-p. des ressources humaines à la CIBC, où ils ont un programme en place depuis six ou sept ans. C'est un exemple de la façon dont le travail accompli du haut vers le bas dans une entreprise fonctionne vraiment. Ils ont été en mesure de réduire le temps perdu de 30 p. 100, ce qui est énorme, compte tenu de la taille de l'entreprise.

La porte-parole a déclaré que l'une des choses les plus importantes lorsqu'une personne prend un congé de maladie, élément que j'ai ajouté à ma présentation, consiste à rester en contact avec elle. De cette façon, il continue de sentir qu'elle fait partie de l'organisme et elle ne perd pas son estime de soi. Elle a dit qu'il s'agissait de l'un des éléments clés qui permettent aux employés de retourner au travail plus rapidement qu'ils ne le feraient normalement.

J'aimerais faire un commentaire sur la question pécuniaire. D'après ce que je comprends, l'endroit le plus simple pour trouver de l'argent, c'est dans le système d'imposition. Le système d'imposition comprend des déductions relatives à la santé en ce qui concerne les prestations d'invalidité du RPC et les coûts liés aux soins de santé, etc. Les petites et moyennes entreprises ne peuvent se permettre d'embaucher une infirmière ou un intervenant pour un employé. Toutefois, de telles entreprises pourraient profiter d'un allégement fiscal afin de payer pour des services comme ceux offerts par Mental Health Works et d'avoir recours à des consultants externes pour former les gestionnaires. Évidemment, le financement requis se fonderait sur leurs besoins particuliers. Je recommanderais que nous nous tournions vers les deniers publics pour déterminer une façon de financer ce genre d'efforts.

Le président : Cela satisfait à notre exigence en matière de mesures incitatives puisqu'une entreprise qui ne fait pas d'effort ne profiterait pas de l'allégement fiscal. De nos jours, certaines dépenses environnementales peuvent être radiées, mais vous devez les faire.

Mme Buchanan : L'autre élément clé, c'est que vous faites déjà de la publicité sans dépenser d'argent. Vous laissez déjà savoir à tous les Canadiens que la santé mentale en milieu de travail a une certaine importance. Même si les gens ne comprennent pas le terme CSPAAT ou qu'ils le trouvent terrifiant, ils devraient chercher à en savoir davantage pour déterminer ce qui est en jeu.

[Français]

M. Dos Santos Soares : Modestement à l'UQAM, nous avons créé un cours sur la violence et la prévention de la violence pour les gestionnaires. Tous les gestionnaires peuvent suivre ces cours au baccalauréat. Je crois qu'il faut enseigner les mauvaises pratiques afin qu'ils soient en mesure d'identifier lorsque cela ne va pas. C'est l'équivalent dans une école de médecine; si on enseignait seulement la santé, on ne serait jamais capable de reconnaître la maladie. Au lieu de jouer à l'autruche, on va agir, prévenir et gérer les conflits. Il y a des solutions aux problèmes.

Il y a un nouveau programme de deuxième cycle sur la gestion et la prévention des incapacités au travail. On essaie de susciter ce genre de débat pour la communauté à partir de l'université. Les médecins, les ingénieurs et tout le monde a besoin d'avoir ce genre de connaissances qui ne font pas nécessairement partie du programme.

Au Québec, nous avons un palmarès des meilleurs employeurs. Il est très intéressant de voir que ceux qui sont au haut de la liste sont des compagnies qui ont effectivement développé des programmes de gestion pour des questions de santé mentale.

Je ne connais pas personnellement ces compagnies, mais je peux vous en nommer deux. Il y a la compagnie DLGL qui est une petite entreprise de moins de 100 employés qui produit des logiciels pour la gestion des ressources humaines. Cette compagnie est considérée comme le numéro un au Québec et où tout le monde voudrait travailler. Il n'y a aucun taux de roulement et les stratégies mises en place pour la conciliation travail-famille et pour la gestion du stress sont intéressantes.

À Ottawa, il y a la compagnie MDS Nordium qui oeuvre dans le domaine pharmaceutique et qui a mis sur pied un programme de bien-être pour la gestion du stress des employés. C'est très intéressant parce qu'ils donnent les outils. Si les gens veulent les utiliser, ils le peuvent. Il y a un gymnase pour l'entraînement et il y a toutes sortes de choses pour le bien-être psychologique des employés.

Là où je crois que c'est dangereux, c'est lorsque, par exemple, de grandes entreprises ont de gros programmes de santé mentale très bien faits, mais qui parfois n'existent que sur papier et n'arrivent pas à joindre les employés travaillant au bas de l'échelle de l'organisation.

Par exemple, dans une grande organisation québécoise — sans la nommer pour ne pas offusquer personne — ils ont des programmes bien réputés, sauf qu'il faut connaître les contextes organisationnels pour comprendre. Si moi en tant que gestionnaire je veux utiliser ces programmes, je dois payer.

Je peux envoyer mes employés assister à une formation sur la santé mentale; mais cela doit sortir de mon budget. Si je suis un ingénieur dans un département où j'ai à embaucher des gens, à acheter des ordinateurs, des logiciels et à payer la formation sur la santé mentale et la dépression au travail, où sera ma priorité? Les programmes ne sont donc pas utilisés. Ils sont beaux, mais cela n'arrive pas au bas de la structure hiérarchique. C'est ce que j'ai appelé le syndrome de Balashev; il y a une résistance organisationnelle.

Il faut faire attention. Ce n'est pas le bâton ou la carotte. Il faut le bâton et la carotte. La carotte pour les organisations, c'est leur image. Ce n'est pas le discours de la souffrance qui fera changer les gens mais le coût du changement. Quand quelqu'un arrive dans mon bureau avec le Journal de Montréal, me montre un titre et dit : Vous voyez, c'est arrivé à ce journal. Je lui dis qu'il fallait faire de la prévention pour ne pas en arriver à ces extrémités.

Les gens qui adoptent de bonnes pratiques ne sont pas pris par la loi. La majorité des gens qui ont formulé une plainte à la Commission des normes du travail au Québec ont eu lieu dans des entreprises qui n'avaient pas adopté de mesures préventives. Les compagnies qui font de la prévention ou qui tentent de régler les problèmes à la source n'ont rien à craindre. La loi est là au cas où la prévention n'aurait pas réussi et qu'on n'a jamais réussi à la faire dans les limites de l'organisation. La personne a donc un recours. Autrement, elle n'a absolument rien. Elle peut quitter son emploi, mais si elle quitte son emploi aujourd'hui, elle n'a pas droit à l'assurance-emploi. Elle va donc accepter l'inacceptable. C'est cela ou c'est la détresse économique pour elle. C'est comme un pare-choc pour aider les gens.

[Traduction]

M. Gilbert : Si vous le permettez, j'ai trois commentaires à formuler. Tout d'abord, l'année dernière, j'ai eu le privilège de travailler auprès de la British Columbia Psychological Association dans le cadre du processus de remise des prix Psychologically Healthy Workplace Award. La American Psychology Association a créé ces prix il y a environ 15 ans; elle a pris les critères du Prix d'excellence du milieu de travail sain et les a appliqués à la psychologie pour aborder bon nombre de questions dont nous avons parlé aujourd'hui — exigences et contrôle, services aux employés et aux familles, équilibretravail/vie, et cetera — en effectuant simplement une vérification d'une entreprise. C'était la première fois que cette situation se produisait au Canada.

L'un des gagnants était Vancity, une grande entreprise que l'on a reconnue comme le meilleur endroit où travailler au Canada. En passant, Vancity a annulé les journées de congé de maladie il y a quelques années. Les employés n'ont plus de journées de congé de maladie; ils ont des journées personnelles. Ces journées vous appartiennent, si vous voulez aller pêcher ou prendre soin de votre enfant malade, c'est votre choix. Le taux d'absentéisme n'a pas augmenté; c'était une expérience audacieuse.

J'ai eu le privilège de mener une vérification d'une entreprise qui avait également remporté un prix d'excellence. Elle s'occupait d'un petit programme destiné au secteur public visant à prendre en charge des adultes souffrant de troubles psychologiques et atteints de lésions cérébrales. Les employés de l'entreprise avaient adopté une philosophie pour leur clientèle qu'ils appliquaient à eux-mêmes. Ils étaient très ouverts et réceptifs. Je me rappelle avoir parlé du roulement avec eux. Ils ont dit : « Oui, nous avons perdu Mme Smith l'année dernière; elle a pris sa retraite ». C'était la seule employée qui avait quitté. Ces genres de modèles sont inspirants.

Je suis fortement d'accord avec le commentaire de la sénatrice Pépin concernant ce que j'appellerais le fait d'avoir une nouvelle main-d'œuvre et de montrer aux gens la façon de travailler. Nous leur montrons les compétences techniques, mais nous ne leur apprenons pas comment s'en servir — que ce soit des courriels envoyés 24 heures sur 24, sept jours sur sept, de l'intimidation en milieu de travail ou le flux et reflux des exigences relatives au travail. Certains programmes enseignent la tolérance aux enfants — et même aux adultes d'ailleurs. La Colombie-Britannique a récemment mis en place le programme Friends, une adaptation d'une adaptation australienne d'un programme américain qui apprend aux enfants de troisième ou quatrième année à acquérir des compétences axées sur le comportement, des capacités cognitives et une habileté à résoudre des problèmes. L'enseignement de ces programmes à l'université représenterait une mesure de prévention, qui mènerait, au bout du compte, à l'enseignement des capacités d'adaptation générales.

Mon dernier commentaire représente davantage une mise en garde. Je recommande fortement de créer tout programme à l'intérieur de l'organisme. Les sociétés pharmaceutiques ont parrainé plusieurs programmes de sensibilisation. On m'a pressenti pour en élaborer un, et c'est formidable; mais on dit plutôt : « Allez voir votre médecin de famille et prenez notre produit ». Je ne crois pas que ça aide. La sensibilisation est une chose merveilleuse, mais vous devez pouvoir prendre des mesures à cet égard. Je crois toujours que la plupart des activités peuvent et devraient être menées en milieu de travail et non à l'intérieur du système de soins de santé.

Le président : Pouvez-vous parler davantage du programme à l'intention des enfants âgés de trois et quatre ans? De quelle façon est-il présenté?

M. Gilbert : Par l'entremise du système scolaire.

Le président : À cet âge-là, ils ne font pas encore partie du système scolaire.

M. Gilbert : Ce sont des enfants de troisième et quatrième années. Il y a des programmes américains intitulés StrongTeens Program et Strong Kids Program. C'est le mêmegenre de programme, où on élabore une thérapiecognitivo-comportementale au moyen d'un programme axé sur un groupe. Il ne s'agit pas d'un traitement.

Le président : Est-ce qu'on vient juste de l'ajouter?

M. Gilbert : Il fera partie du programme. Les enseignants sont formés pour présenter le programme. On l'a évalué; il se fonde sur les résultats. Il permet de faire une différence en ce qui concerne le degré de stress des enfants et leur sensibilisation. Cela me semble une occasion magnifique pour intervenir.

Il est tout aussi important de renforcer les compétences en matière de tolérance et d'autonomie propres à nos employés. Bon nombre de troubles psychiatriques — la dépression étant l'exemple le plus simple — sont chroniques et récurrents. Ils n'apparaissent pas qu'une seule fois. Si nous voulons que les gens demeurent au travail, nous devrions leur offrir des soins, mais également renforcer leurs compétences. Les programmes s'améliorent de plus en plus, surtout ceux à l'intention des travailleurs des régions éloignées et des collectivités éloignées, pour fournir l'accès à l'autonomie.

Le sénateur Keon : J'ai entendu dire qu'il existe huit structures de comportement fondamentales chez les enfants qui commencent l'école primaire que l'on peut déterminer au cours de la première ou de la deuxième année scolaire. Si l'on peut modifier ces structures de comportements, on peut assez bien contrôler toutes les difficultés qui surviennent dans les salles de classe au cours des années. En savez-vous un peu plus à ce sujet? Pouvez-vous en parler?

M. Gilbert : Seulement huit? Je ne connaissais pas le nombre exact. Je crois qu'un but plus réaliste atténuerait les problèmes plutôt que de les éliminer; mais certainement, une intervention précoce concernant divers troubles que nous avons nommés aujourd'hui fait une énorme différence. Je ne peux vous donner de données précises, je suis désolé.

[Français]

M. Corbiere : J'aimerais réagir à plusieurs points qui ont été mentionnés. La discussion est très riche et très stimulante. Je voudrais donner un exemple de bonnes pratiques. En Finlande, la stratégie est de faire une évaluation mensuelle auprès des employés afin d'intervenir de façon systématique. Ils les évaluent sur différents points : famille, travail, hobby, et cetera. À la fin du mois, ils ont un score pour chaque échelle et ils peuvent intervenir pour chaque cas en particulier. Plutôt que de donner un programme qui serait destiné à un groupe de personnes, ils font du cas par cas. C'est intéressant. En termes de coût, il semble que ce soit avantageux à long terme.

Il existe également des programmes de soutien en emploi. Ils sont implantés au Canada depuis peu. C'est reconnu comme une « evidence based practice » aux États-Unis. On est en train d'évaluer ce genre de programme intéressant parce qu'il permet le soutien en emploi pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale plus ou moins graves. C'est souvent identifié comme un problème de santé mentale grave, mais on voit très bien que c'est 50 p. 100 de la population qui a des problèmes de santé mentale graves. On pourrait adapter ce genre de modèle pour les personnes qui sont déjà en emploi et qui auraient besoin de soutien dans leur travail.

On a ce qu'on appelle un spécialiste de l'emploi qui intervient dans le milieu, c'est-à-dire qui accompagne la personne qui a un problème de santé mentale à s'intégrer sur le marché du travail. Il y a une collaboration étroite entre l'employeur, le syndicat, l'employé et le spécialiste en emploi. Ce qui est intéressant, c'est que le spécialiste en emploi n'intervient pas juste dans le milieu de l'emploi, il intervient aussi dans la communauté. Cela permet d'avoir une vision plus large de l'intervention pour ces personnes.

On observe que peu de personnes souffrant d'un problème de santé mentale acceptent de dévoiler ce handicap lorsqu'ils cherchent un emploi. Les revues spécialisées ont révélé qu'environ 50 p. 100 des personnes souffrant d'un problème de santé mentale divulguent cette information à leur employeur ou aux ressources humaines. Il faudrait donc faire quelque chose sur ce plan. Si ces personnes ne déclarent pas leur problème, l'accommodation en milieu de travail ne peut se faire. L'intervention à ce niveau est nécessaire afin que disparaisse la stigmatisation reliée aux problèmes de santé mentale.

Plusieurs personnes craignent de dévoiler leur problème de santé mentale car elles risquent immédiatement d'être étiquetées. Les problèmes de santé mentale sont souvent invisibles, donc difficiles à identifier. Les maux de dos ont cette même caractéristique. On pourrait donc s'inspirer des modèles conçus pour les problèmes musculo-squelettiques.

Au Québec, en particulier grâce aux efforts du Dr. Loiselle et de son équipe, un programme fut mis sur pied pour aider les gens souffrant de problèmes de santé à retourner sur le marché du travail. Peut-être qu'une intervention serait possible en regroupant les différents programmes conçus pour les maux de dos et autres problèmes physiques difficiles à identifier.

[Traduction]

Le président : Nous avons eu un témoin, un employeur, qui a dit qu'il croit que les plaintes sur le stress excessif ont simplement remplacé les plaintes concernant les douleurs lombaires.

[Français]

Mme Dagenais : Certaines personnes hésitent à dévoiler leur problème de santé mentale à l'employeur éventuel dans l'espoir d'être embauchées. On parle alors d'une situation qui se produit avant d'entrer sur le marché du travail. Toutefois, les situations que je désirais évoquer ce matin sont celles où des personnes souffrent de problèmes de santé mentale résultant des conditions de travail ou de mauvaises relations au travail. Ce type de situations requiert un autre type d'intervention.

Deuxièmement, j'aimerais faire suite aux propos de M. Corbière concernant la loi 143 sur les groupes cibles, au Québec, que nous gérons à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Une des difficultés est reliée au fait que les employeurs ne peuvent obliger les personnes affectées d'un handicap psychologique à dévoiler leur handicap. La loi qui entrera en fonction en décembre pose un problème à cet égard. On veut aider les gens et faire en sorte que ce groupe cible de personnes souffrant d'un handicap mental puisse jouir de meilleures conditions de travail. Toutefois, pour ce faire, on ne peut les obliger à déclarer leur handicap. Nous sommes donc devant une difficulté à appliquer la loi.

Nous tentons de développer des mécanismes qui permettront aux gens qui désirent dévoiler leur handicap de le faire. Par contre, les gens qui ne désirent pas dévoiler leur handicap posent un problème.

Si, au gouvernement fédéral, on développait une grande stratégie pour dire que la santé mentale au travail et en général est importante, l'argument clé pour convaincre les entreprises serait certes le prix que coûte les problèmes de santé mentale aux entreprises. Un tel argument pourrait favoriser la création de plusieurs programmes. Toutefois, nous ne disposons pas de données suffisantes pour évaluer ces coûts réels. Nous savons combien coûte l'absentéisme et les problèmes liées à la dépression. Cependant, nous n'avons pas une vue d'ensemble des coûts reliés aux problèmes de santé mentale. Seule la recherche pourra nous fournir ces données.

[Traduction]

Le président : Qu'est-ce que le projet de loi 143?

[Français]

Mme Dagenais : La loi que nous appliquons est destinée à venir en aide aux groupes cibles, soit les femmes, les handicapés, les Autochtones et les minorités visibles. Or une partie de la population n'était pas encore intégrée au cadre de cette loi visant les groupes cibles ou dans le cadre du Programme d'accès à l'égalité (PAE).

[Traduction]

Le président : C'est un programme d'action positive.

Vous dites que vous cherchez des processus pour aider les employés à participer. Le meilleur programme du pays dont j'ai entendu parler est exploité par la CIBC. Il s'agit d'un programme très élaboré qui fait tout d'abord participer le service des ressources humaines, l'employé et, au bout du compte le gestionnaire. Je crois qu'il vous serait utile d'y jeter un coup d'œil.

Mme Baynton : En ce qui concerne la divulgation, les gens en milieu de travail sont frustrés lorsqu'ils ne comprennent pas le diagnostic puisqu'ils pensent que leur capacité d'aider se fonde sur leur compréhension. Nous leur disons que les étiquettes, ou les diagnostics ne leur sont pas utiles pour quelques raisons. Tout d'abord, dix personnes qui ont reçu un diagnostic de dépression présenteront toutes des symptômes différents en milieu de travail. De plus, la science évolue, nous faisons une erreur si nous traitons les personnes en fonction de l'étiquette; nous devrions plutôt les traiter comme des être humains.

Nous savons que ce que les gens signalent comme une invalidité masque souvent leur problème de santé mentale. Sur l'un de nos enregistrements effectués dans le cadre de la formation, une personne parle de son expérience et déclare qu'elle ne travaille plus supposément en raison d'une infection rénale. En réalité, elle souffre d'une grave dépression, mais elle ne voulait en parler à personne.

Je connais une entreprise qui donne le titre d'« entraîneur personnel » aux personnes dont le travail consiste à favoriser la réadaptation des personnes qui ne travaillent plus en raison d'une invalidité. Ça élimine immédiatement les stigmates.De plus, les entraîneurs personnels ont une information en thérapie cognitivo-comportementale. Ils font deux choses à la fois. Ils font de l'activité physique avec les personnes et les aident à régler d'autres problèmes, le cas échéant. Je crois qu'il s'agit d'une merveilleuse approche.

Le président : Pouvez-vous nous dire le nom de l'entreprise?

Mme Baynton : C'est ATF, une compagnie d'assurances.

Le sénateur Cordy : Vous avez mentionné que nous n'enseignons pas aux personnes comment travailler de façon saine et créer un bon milieu de travail sain. Avant 2005, les changements technologiques étaient censés nous avoir facilité la vie en milieu de travail. En fait, à l'heure actuelle, nous n'avons aucun espace de travail défini. Nous avons nos téléphones cellulaires et nos Blackberrys sur nous et un télécopieur à la maison, et bon nombre de personnes travaillent maintenant à partir de leur domicile. Vous ne fermez pas la porte vers 17 h ou 18 h pour entrer dans un nouveau milieu. Nous avons parlé un peu plus tôt d'un pont. Malheureusement, ce pont ne fait que réunir le milieu de travail et la vie à la maison. Nous avons également parlé du fait d'équilibrer votre vie professionnelle et votre vie familiale, ce qui devient de plus en plus difficile.

Le fait d'admettre que vous souffrez d'une maladie mentale, qu'elle soit liée au stress ou à toute autre affection, peut encore, dans bon nombre de situations, compromettre votre emploi, ou du moins, votre avancement au sein d'une entreprise. Comme quelques-uns d'entre vous l'avez mentionné, cela revient à l'éducation publique à l'égard des stigmates.

M. Wang a mentionné que nous ne savons même pas ce que les Canadiens savent et que nous ne pouvons élaborer une campagne d'éducation du public en nous fondant uniquement sur l'opinion d'un cabinet de relations publiques à cet égard. Nous ne savons toujours pas ce que les gens savent et ce qu'ils devraient savoir.

M. Gilbert a parlé de la connaissance de la santé mentale. C'est certainement un bon point. Les taux de connaissance de la santé mentale sont extrêmement faibles. Tout ce dont nous parlons aujourd'hui est interrelié. L'éducation en milieu de travail et au sein de toute la société canadienne est essentielle.

M. Wang : J'aimerais fournir deux renvois supplémentaires qui peuvent ressembler à ce dont M. Gilbert parlait. Le premier, c'est un programme spécialisé pour les hôpitaux. L'autre, c'est le Canadian National Quality Institute, qui travaille en partenariat avec Santé Canada pour fournir des critères associés à un milieu de travail sain.

M. Gilbert : Il a récemment intégré des critères psychologiques à ses critères de bien-être.

M. Wang : Ces critères font la promotion de la sensibilisation à la santé en milieu de travail et des facteurs de risque associés aux problèmes physiques et aux problèmes de santé mentale. Nous n'avons probablement qu'à emprunter le concept puisqu'il s'agit de la principale approche en matière de prévention.

[Français]

M. Corbière : Mon premier point est en réaction à l'intervention de Mme Dagenais. En termes de cycles, je ne pense pas qu'il y ait deux catégories d'employés avec des problèmes de santé mentale : ceux qui cherchent à trouver un emploi et ceux qui sont déjà en emploi. Je pense que ceux qui étaient déjà en emploi et qui ont eu un problème de santé mentale se retrouvent de l'autre côté. Ce n'est pas exclusif, c'est plutôt cyclique.

Je voudrais faire une comparaison et donner quelques informations très brèves sur ce qui se passe en France et en Allemagne. Les entreprises ont une partie de leur capital financier qui est réservé pour engager des personnes ayant un handicap physique ou mental. Ils doivent respecter un certain quota qui est, je crois, de l'ordre de un p. 100. Si l'employeur n'engage pas des personnes avec un handicap, il a une sanction négative d'ordre financier. C'est une incitation, pour les employeurs, à engager des personnes handicapées.

Mon second point est en réaction à une campagne d'éducation. Afin de sensibiliser les Canadiens aux problèmes de santé mentale, on pourrait faire une émission télévisée où les acteurs simuleraient différents types de santé mentale dans leur milieu de travail.

M. Dos Santos Soares : Je suis tout à fait d'accord qu'il faut éduquer les gens. Par contre, si les conditions de travail ou l'organisation du travail ne permet pas de mettre cela en pratique, on fait face à un double problème.

Il a été démontré que faire des pauses est bénéfique autant pour la santé physique que mentale. Mais il y a tellement de surcharge de travail que les gens préfèrent ne pas prendre de pause et manger rapidement à leur bureau afin de pouvoir quitter à 17 heures.

Les gens adoptent des pratiques qui ne sont pas saines. Des études faites aux États-Unis et en Suède démontrent que si on doit choisir entre le bureau et la salle de bain pour manger, il vaut mieux choisir cette dernière. Les pires endroits où se multiplient les bactéries et les acariens sont les téléphones et les claviers d'ordinateur à notre bureau.

Les entreprises confirment que les problèmes de maux de dos sont de plus en plus fréquents. Même si elles gardent un contact avec leurs employés absents à cause d'un problème de mal de dos, plus les employés retournent au travail vite, mieux c'est. Par contre, si je souffre de surmenage professionnel, et que je suis à la maison pendant mon congé, si mon employeur commence à m'appeler chaque semaine afin que je rentre au travail, cela ne fonctionne pas. Les gens auront davantage de problèmes. Je ne suis pas certain que l'on peut prendre les cas de maux de dos et les comparer littéralement avec les problèmes de santé mentale.

En Angleterre, les aptitudes sociales sont plus développées. Par exemple, une entreprise envoie une boîte de chocolats ou une carte de prompt rétablissement à un employé malade, ou encore les employés diront à leur collègue malade qu'il leur a manqué à la dernière réunion et qu'ils espèrent que cela va mieux. Il faut réintroduire la solidarité entre collègues.

Tout ce qui a été fait dans les 20 dernières années en termes de nouvelles formes de gestion a eu pour effet d'effriter la solidarité entre les collègues de travail. Le soutien social est très important sur la santé mentale.

Il faut agir dans ce sens et créer cette coopération entre les gens. Un sociologue français dit qu'aujourd'hui, on ne parle plus de la lutte des classes, mais de la lutte pour les places à cause de la précarisation. Les gens luttent pour garder leur place dans une entreprise. Ils sont prêts à faire n'importe quoi afin de garder leur place, même à poser des gestes qui ne sont pas éthiques ou tout à fait acceptables.

Cela va avec la précarisation. On réglera ce problème au moment où on attaquera la précarisation. On ira dans de plus grandes dimensions qui auront un effet dans l'organisation.

[Traduction]

Mme Smailes : J'ai parlé d'un processus au sein du milieu de travail. La plupart des choses que j'ai entendu dire ici en ce qui concerne les pratiques exemplaires, c'est que nous savons qu'il existe une méthode à cet effet. Vous faites participer les gens. Vous travaillez en tenant compte de leur situation. Vous faites également participer les cadres, de même que tous les intervenants. L'intervention se fait à l'échelle locale. Les soins de santé sont offerts au niveau d'une unité; il s'agit d'une petite échelle au sein de l'organisme. Ça peut s'appliquer à de petits organismes.

C'est un sujet qui revient souvent. Nous savons que ça fonctionne. C'est pourquoi il est important de le partager, car il s'agit d'un bon apprentissage, et c'est exactement ce dont vous parlez. Si vous effectuez un suivi, qui fait partie intégrante de ce processus, vous commencez à voir ce qui ne fonctionne pas en raison de la dynamique d'un organisme et vous pouvez régler le problème.

Mon deuxième point concerne la durabilité dynamique. Comme nous exécutons ces programmes, nous devons avoir une façon de les examiner. Je parle sans cesse d'une évaluation, mais je veux vraiment dire qu'il faut être capable de les modifier au fil des ans. Différentes influences entrent toujours en jeu, et les situations changent fréquemment. Nous avons besoin de systèmes qui peuvent croître et s'adapter. C'est la prochaine étape. Une fois que nous nous rendons à l'évaluation, l'aspect dynamique entre en jeu.

L'idée consiste à être holistique. Nous devons sans aucun doute éduquer les gens. Il existe bon nombre de programmes axés sur la gestion du stress. Je les ai essayés, comme tout le monde. Nous avons utilisé des compétences cognitivo-comportementales pour enseigner aux personnes à reconnaître ce qu'elles peuvent faire pour elles-mêmes et comment savoir lorsqu'elles doivent se rendre quelque part, comment diriger leurs amis et ce genre de choses. Il y a beaucoup de documents à leur disposition. C'est facile à faire. Je l'ai fait avec mes élèves du secondaire, des élèves du collège et des travailleurs. Les gens peuvent y participer, mais vous devez avoir un endroit où ils peuvent aller, et cela doit fonctionner.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas éduquer les gens; vous devez le faire, mais vous augmentez également les attentes, alors vous devez être capable d'en faire le suivi et de travailler de façon holistique.

Nous parlions également de la santé mentale et physique et de l'idée de traiter la santé physique en un endroit et la santé mentale dans un autre. Ces éléments sont intégrés. Nous devons les réunir et les traiter au moyen d'une méthode intégrée.

Nous avons un problème de retour rapide au travail axé sur les blessures musculo-squelettiques. Les thérapies optionnelles permettent de modifier le milieu de travail des personnes et d'étendre les modifications à l'unité. Nous examinons actuellement la façon dont on peut y arriver pour toute l'unité et à de multiples niveaux en ce qui concerne les communications et tous les facteurs de stress liés au travail. Plutôt que de l'appliquer uniquement au niveau physique, on l'applique à l'échelle de l'unité pour adopter une approche plus holistique. Plusieurs groupes de la Colombie-Britannique analysent actuellement cette question.

Mme Baynton : Après avoir analysé les processus d'adaptation, l'approche axée sur la médiation, nous croyons qu'il n'est pas juste de demander à des personnes ayant un problème de santé mentale de s'asseoir avec un gestionnaire qui est peut-être en partie responsable du stress qu'elle éprouve en milieu de travail. L'approche que nous utilisons ressemble davantage à la navette diplomatique, c'est-à-dire que nous rencontrons tous les intervenants de façon individuelle, le gestionnaire, le représentant syndical, le personnel des ressources humaines, et nous leur demandons de nous donner le contexte et les limites de l'adaptation. Puis nous nous assoyons avec les personnes ayant un problème de santé mentale et nous leur donnons l'occasion, dans un milieu sûr, de parler de ce qui fonctionnera pour elles.

L'entente que nous avons conclue en ce qui concerne les employés comporte trois éléments, le premier étant « quedevez-vous faire dans le cadre de votre emploi? » Nous utilisons l'approche axée sur les points forts. Nous ne leur demandons pas : « De quel travail voulez-vous vous sauver? » Bon nombre d'employeurs considèrent l'adaptation comme le fait qu'une personne travaille moins. Nous encourageons un travail différent ou un travail fait de façon différente, par opposition à une charge de travail moindre, ce qui diminue l'hostilité des autres travailleurs, les problèmes qui pourraient survenir par la suite avec le gestionnaire et le manque d'estime de soi.

La deuxième partie de l'entente, c'est « Envers quoi allez-vous vous engager? » Nous aidons les personnes ayant un problème de santé mentale à comprendre les répercussions qu'elles ont sur les autres travailleurs, car cela représente normalement une grande partie des difficultés, et nous leur demandons de nous dire ce qu'elles peuvent faire pour régler le problème.

Le dernier point, dont j'ai parlé précédemment, concerne le fait d'être tourné vers l'avenir, la façon dont nous réglerons les problèmes de rendement ou les problèmes relatifs au travail à l'avenir.

Nous devons voir la médiation de façon différente lorsque nous parlons d'une personne ayant un problème de santé mentale.

[Français]

Le sénateur Pépin : J'ai pris quelques notes, quelqu'un mentionnait que la prise en charge devrait être plus longue que trois visites chez le médecin. Comment peut-on déterminer qu'ils ont besoin de seulement trois visites? Est-ce parce que l'assurance ne paie plus au-delà et qu'ils doivent assumer les frais? Je voudrais avoir plus d'informations à ce sujet car je trouve que, avec trois visites, on ne va pas loin. J'ai été étonnée de voir la violence que l'on trouve au travail.

Quelqu'un a suggéré qu'on ait syndicat, patronat et gouvernement ensemble. Comment organiser tout cela? J'aimerais qu'on fasse de la recherche à ce sujet.

Quelqu'un d'autre a mentionné l'Australie. Est-ce que c'était une expérience ou un travail fait en Australie comparativement avec nous? Est-ce que c'est quelque chose qu'on pourrait appliquer? Ce sont les points que j'aimerais voir développer.

[Traduction]

Le président : Même notre régime de santé fédéral nepermet que six visites d'un responsable du PAE. En d'autres mots, si vous ou une personne à charge, c'est-à-dire une personne couverte par votre régime de santé, avez besoin d'une séance de counselling psychologique, votre régime couvre jusqu'à six visites par année civile. On vous rembourse 80 p. 100 des frais, et vous payez 20 p. 100. Si vous avez besoin de plus de six visites, c'est à vos propres frais. Je n'ai jamais entendu parler d'un endroit au pays qui permet plus de six visites. Certaines compagnies ne remboursent que trois ou quatre.

M. Gilbert : Je crois que les membres de la GRC ont une couverture illimitée en ce qui concerne le PAE.

Le président : Tout comme les forces armées, mais c'est relié à ce que l'on perçoit comme les facteurs de stress uniques de l'emploi. Le régime des forces armées diffère de celui de tous les employés du gouvernement fédéral exactement pour cette raison.

M. Wang : L'Australie est le chef de file de la promotion et de la prévention en matière de santé mentale. Les responsables ont commencé à mener la recherche sur les connaissances en santé mentale en 1995. Le mois dernier, mon collègue et moi avons reçu une subvention de la Alberta Heritage Foundation for Medical Research pour étudier le degré de connaissance en santé mentale de la population de l'Alberta. Nous avons utilisé l'instrument australien, alors nous pourrons comparer nos résultats avec ceux de l'Australie à la fin de l'étude.

Le président : Quand aura-t-elle lieu?

M. Wang : Dans deux ans.

Le président : Je crois que vous allez constater que les chiffres correspondent à ceux de l'Australie en 1993, 1994, 1995. Ils exécutent un programme contre la discrimination depuis une décennie et ils ont obtenu des résultats considérables. Il serait intéressant de comparer l'Alberta de nos jours avec non pas l'Australie de nos jours, mais l'Australie au commencement de son programme. J'ai l'impression que la culture des deux endroits sera comparable.

M. Gilbert : Je suis fortement d'accord. L'Australie a constitué une expérience intéressante. Je crois que nous pouvons en apprendre davantage dans ce domaine de certains pays européens et de l'Australie que de nos voisins du Sud, en raison des différences entre les systèmes. L'Australie a mis en place un programme intitulé Depression Works, un programme de sensibilisation à l'intention des employeurs et du public. Je crois que nous avons beaucoup de choses à apprendre de l'Australie, qui ressemble au Canada : superficie semblable, vaste pays, population dispersée.

Le International Forum on Disability Management tient sa conférence de 2006 à Brisbane. La dernière conférence au cours de laquelle j'ai présenté un exposé se tenait à Maastricht. Il sera intéressant de surveiller ce forum et d'en apprendre davantage.

Le président : Est-ce que ça concerne une invalidité mentale ou physique?

M. Gilbert : Les deux, et, comme nous le constatons actuellement, l'aspect mental devient de plus en plus important.

Le président : Environ 10 p. 100?

M. Gilbert : Je dirais plus que ça.

En ce qui concerne les PAE, il y a trois séances qui ne sont pas adéquates. La plupart des PAE fonctionnent d'après un modèle « évaluer et diriger », ce qui est bien; ils obtiennent une vue d'ensemble et dirigent le patient, au besoin. La plupart des fournisseurs de PAE représentent un point important à cet égard, mais ils ne suffisent pas à la tâche, et il existe un risque réel que l'entreprise dise : « Nous avons un PAE, alors nous nous en occupons ». Non, ce n'est pas le cas. Une enquête menée au Michigan a révélé qu'environ 14 p. 100 des travailleurs qui souffrent de dépression ont utilisé leur PAE. Cela signifie que 86 p. 100 d'entre eux ne l'ont pas fait. La plupart des organismes qui ont recours à un PAE, à moins qu'ils n'aient recours à des professionnels réglementés, ce que peu d'entre eux font, n'ont aucune responsabilité particulière. La thérapie cognitive est bonne, mais un atelier d'une fin de semaine sur une thérapie cognitivo-comportementale n'est pas plus efficace qu'un atelier d'une fin de semaine sur la façon de prescrire des médicaments. Nous nous fondons sur des ententes sommaires, et les évaluations des PAE sont insuffisantes. Je crois vraiment que les PAE sont importants, mais on doit avoir des attentes plus élevées.

Le président : Ma femme s'occupait du service de santé au travail dans l'une des sociétés pétrolières nationales du Canada. Dans le cadre du PAE de l'entreprise, vous lui parlez et vous devenez responsable; elle vous propose une certaine quantité de personnes, et vous devez en choisir quelques-unes. C'est une situation machiste, les plates-formes pétrolières, et tout ça. La grande majorité des employés ne travaillaient pas dans les bureaux. Ils se trouvaient sur les plates-formes. Il n'était aucunement question qu'ils aillent rencontrer ma femme pour lui dire qu'ils souffraient de dépression. Elle s'en apercevait à long terme lorsque quelque chose d'autre se produisait. La résistance du patient à chercher de l'aide est absolument extraordinaire, surtout dans des industries où les employés sont des hommes. Elle a trouvé que les femmes étaient plus disposées à en parler que les hommes.

[Français]

M. Dos Santos Doares : Concernant les consultations psychologiques, j'aimerais attirer l'attention sur deux points. Premièrement, un nombre de cinq ou six visites, c'est pour les gens qui ont un programme d'aide aux employés. Or monsieur et madame Tout-le-Monde qui travaillent dans un casse-croûte ou qui ont un emploi précaire n'ont pas accès à un programme d'aide aux employés et il n'y a donc aucune consultation pour eux.

Il y a toutefois une porte de sortie qui est l'assurance-emploi. Dans la Loi sur l'assurance-emploi — et je le sais parce que les gens au Québec, au lieu d'aller à la CSST parce qu'ils y seront refusés l'utilisent — l'assurance-maladie est comprise dans l'assurance-emploi. Peut-être qu'il y aurait moyen que lorsque les gens vont à l'assurance-emploi, s'ils souffrent d'épuisement, de détresse ou de dépression, ils puissent bénéficier de l'aide psychologique.

C'est très difficile; je vois des gens en détresse qui viennent à mon bureau pour demander de l'aide, et je n'ai pas grand-chose à leur offrir. Je ne suis pas un psychologue, et je ne peux donc pas les prendre en charge.

J'essaie premièrement de démystifier les problèmes. Je leur dis qu'ils ne sont pas fous et je leur suggère d'aller parler à un psychologue pour mieux gérer leurs souffrances. Je peux leur dire d'aller au CLSC pour mettre leur nom sur une liste d'attente, et cela prendra environ six mois, ou d'appeler à l'Ordre des psychologues où ils pourront peut-être leur donner le nom de quelqu'un pouvant les aider à prix modique. C'est très difficile. Il faudrait voir comment on peut introduire de l'aide psychologique dans le programme d'assurance-emploi.

J'ai utilisé le terme « tripartite » plus tôt parce que je crois que dans ce dossier tout le monde est perdant. Les employeurs, les syndicats et les gouvernements perdent de l'argent. Il y a une convergence dans la quête d'une solution pour ces problèmes et c'est pour cela que je pense qu'il faut passer par les trois paliers, c'est-à-dire le gouvernement, les employeurs et les syndicats.

Mme Malenfant : Je martèle mon message encore une fois. Le défi en santé mentale au travail est bien sûr toute la question de la précarisation du travail. On a soulevé tantôt la question du décalage entre le travail prescrit et ce qui existe sur les descriptions de tâches officielles et le travail réel qui s'accomplit dans les milieux de travail. De révéler ce décalage aux employeurs dans les milieux de travail est déjà un grand pas.

On parlait tantôt du fait que les employeurs sont sensibilisés quand cela commence à coûter cher à l'entreprise. Je ne reviendrai pas là-dessus, mais j'aimerais dire que le défi encore plus grand — et je le répète — touche la précarité de l'emploi et la qualité de l'emploi ou la non-qualité de l'emploi précaire. Ce sont des actions sur le marché du travail qu'il faut penser. On parle d'un marché du travail qui a bouleversé des statuts d'emploi parce qu'il existe de plus en plus de compétitivité entre les entreprises et au sein des entreprises entre les travailleurs.

Il y a toujours un groupe de travailleurs qui est pratiquement insaisissable parce qu'ils sont non intégrés à l'entreprise, parce que ce sont des travailleurs non syndiqués, des travailleurs temporaires qui n'ont pas accès aux programmes existants dans l'entreprise.

On parle également très peu de la question de la sous-traitance, mais de plus en plus les grandes entreprises font affaire avec d'autres entreprises pour sous-traiter des services. Concernant cette catégorie de travailleurs, les travaux de Katherine Lippel sur le droit au travail ont bien montré comment ces travailleurs n'étaient pas protégés. Ce sont souvent des travailleurs qui sont peu ou non qualifiés et peu informés des liens entre la santé et le travail, qui échappent donc un peu à tout cela et qui en viennent, après de multiples expériences négatives, à intégrer leur échec, à mettre sur leur dos ou à penser que c'est de leur faute s'ils n'arrivent pas à s'intégrer de façon durable au marché de l'emploi.

On s'occupe donc peu des problèmes de ces travailleurs. Ils n'ont pas accès non plus aux services de santé la plupart du temps. Il ne faudrait pas oublier cette portion des travailleurs et ce problème de la précarité d'emploi qui touche le marché du travail actuel et la façon dont on appréhende le travail dans nos sociétés actuellement.

Mme Dagenais : Il y a effectivement des études de Mme Lippel qui ont été menées, mais nous avons terminé récemmentune étude encore plus récente faite en collaboration avec l'INRS sur les facteurs de risque qui font en sorte que cette catégorie périphérique de travailleurs — il y a beaucoup de femmeslà-dedans — ne sont pas protégés, ne serait-ce que pour avoir accès au congé de maternité de l'assurance-emploi. Si elles ont un problème pour rendre à terme leur maternité, imaginez-vous quand il faut retrouver un travail par la suite? C'est la base.

Cette étude est disponible auprès de l'INRS. Il y a dans l'étude en question des données récentes sur les programmes d'invalidité et de maladie auxquels les travailleurs autonomes n'ont pas accès.

J'aimerais aussi mentionner quelque chose concernant les travailleurs périphériques dont on parle. Il faut dire que la précarité est une chose, mais elle a englobé des pans entiers de travailleurs salariés parce que la sous-traitance veut dire qu'on a pris des pans de travailleurs stables et on les a fragilisés. Des données récentes ont été publiées pour montrer la quantité importante de superviseurs intermédiaires qui ont été tassés et éliminés.

Dans la structure de l'entreprise, si on veut introduire des programmes pour aider la santé mentale, il faut bien voir qu'on n'a pas une structure hiérarchique traditionnelle. Cela crée une pression sur les employés à la base et il y a un manque de communication avec la direction, aussi. Il faut bien comprendre que c'est un impact des restructurations des années 90, et les données à ce sujet sont éloquentes.

Mme Raymond : Le sujet de la précarité en est un important. Je me demandais même comment on pouvait le contrer en ce moment parce que moi, dans toutes les institutions où je travaille, je travaille dans des universités où on a des gens qui sont à statut particulier depuis 25 et 30 ans. J'ai travaillé dans des grosses boîtes. Nous sommes 10 000 et il y a des gens qui sont là depuis 30 ans. Mon conjoint a vécu la même chose; il a dû changer d'emploi lors d'un remaniement. Il se retrouve encore au ministère, mais maintenant à un statut particulier.

Il y a également toute la question de la sous-traitance. C'est un mouvement qui est partout. Le concept de permanence dans l'emploi, je me demande même s'il existe aujourd'hui pour les jeunes qui commencent. Je vois plein de professionnels qui débutent et ils travaillent à contrat. C'est un milieu de travail assez compétitif. Si quelqu'un a une solution ou une vision au niveau de la précarité, c'est quelque chose qui m'inquiète beaucoup pour les générations futures.

[Traduction]

Le président : Je dois dire que les sénateurs possèdent l'un des derniers contrats d'emploi sûr.

Le sénateur Keon : J'aimerais revenir sur le taux de suicide chez les hommes. Récemment, j'ai été témoin du suicide imprévu d'un jeune homme, même si, rétrospectivement, on aurait dû s'y attendre. Il n'a pas réussi aussi bien que sa femme et n'a pas été capable de faire face aux stigmates; il a choisi la voie la plus simple.

En milieu de travail, où la compétition entre les hommes et les femmes est maintenant plus intense que jamais, est-ce que les hommes sont encore trop machistes pour reconnaître qu'ils ont un problème et tenter de le régler avant d'avoir recours à de telles mesures désespérées? Les statistiques que vous avez données, et que l'on a citées fréquemment, sont vraiment alarmantes. Les groupes particuliers de personnes qui se suicident sont facilement identifiables. Il s'agit des hommes dans un groupe d'âge, des Autochtones et ainsi de suite. Malgré tout, il ne semble pas y avoir de programmes qui s'adressent à eux.

Mme Raymond : Le premier point que j'aimerais soulever, c'est que je n'ai pas dit que ces hommes étaient des « machos ».

Le président : Non, je l'ai fait.

Mme Raymond : Je ne crois pas qu'il est vrai que les hommes ne reconnaissent pas quand ils ne se sentent pas bien. Ils le savent. Ils peuvent le ressentir. Au cours des deux dernières études — une menée auprès des policiers, et l'autre, auprès des premiers répondants en santé; on ne veut pas les appeler des groupes à risque élevé, même s'ils s'appellent eux-mêmes comme ça — ces hommes et femmes travaillent en équipe, ils travaillent aux urgences et s'ils disent à leurs collègues qu'ils ne se sentent pas bien, ils donnent à leurs collègues l'impression qu'ils sont seuls dans un emploi très stressant.

Pour éviter de traumatiser leurs collègues, ils vont dire :« Je vais bien », même si ce n'est pas vrai. Ils ne diront pas qu'ils font une dépression, qu'ils pensent au suicide ou qu'ils sont dépendants de la drogue ou de l'alcool.

L'unique chose que j'ai remarquée à propos de ces personnes, c'est qu'elles n'ont aucun endroit pour en parler, parce qu'elles ne parlent pas de ces choses à la maison avec leurs amis ou les membres de leur famille. C'est trop difficile. Elles n'en parlent pas au bureau, car c'est trop difficile. Si vous en parlez, vous êtes faible. Vous devez être fort. Ces personnes portent toutes un uniforme. Lorsqu'elles le portent, elles sont censées être fortes.

Dans ce contexte, les hommes ne s'expriment pas. Même dans d'autres contextes, par exemple s'ils travaillent dans une usine à une chaîne de fabrication, ils peuvent dire que leur voiture ne fonctionne pas, que leur femme est malade ou que les enfants ont des problèmes — vous pouvez dire ces choses — mais ces hommes de 40, 45 ou 50 ans ne diront pas qu'ils ne se sentent pas bien. Il existe de nombreux obstacles. Ce n'est pas uniquement le contexte machiste; c'est davantage un enjeu culturel.

Dans certaines professions ou dans certains groupes à risque, il y a lien entre le genre de travail effectué et le taux de suicide. Tout le monde sait que les psychiatres viennent au premier rang en ce qui concerne le suicide, suivis par les ingénieurs, les pharmaciens, les vétérinaires et les psychologues; ils ont tous des moyens de se suicider facilement. Il n'y a pas de temps de sauvetage; il n'y a pas de temps arrêté. Lorsque l'envie leur prend, ils ont un moyen de se suicider.

Mme Buchanan : Un peu plus tôt, on a fait allusion auDSM-IV, la bible des psychiatres qui énonce les signes et symptômes de diverses maladies. On a utilisé un syndrome appelé Agnosie pour les victimes d'un accident vasculaire cérébral. On a effectué beaucoup d'études. Cela veut dire qu'une personne ne perçoit pas du tout sa maladie. Certaines études révèlent que 40 p. 100 des personnes ayant une grave maladie mentale n'admettent pas qu'elles ont une maladie mentale ou n'ont aucune idée de la présence de cette maladie; 20 p. 100 d'entre elles n'en ont qu'une petite idée. Cette situation aide à expliquer pourquoi elles ne respectent pas leur traitement médicamenteux, même si les nouveaux médicaments ont encore moins d'effets secondaires. Je crois que, de ces 84 p. 100 de personnes qui ne reconnaissent pas qu'elles souffrent de dépression ou peu importe, peut-être que la moitié d'entre elles ne le savent pas, même si leur entourage peut le constater.

Pour vous donner un exemple concret, certaines personnes souffrant d'une grave maladie mentale ou d'un problème de toxicomanie deviennent alcooliques, car elles ont recours à l'automédication. Socialement, il est plus acceptable de suivre un traitement en raison de l'alcoolisme qu'en raison d'une maladie mentale. Nous devons reconnaître que tout le monde peut savoir que les membres de ce groupe ont un problème de santé mentale, mais qu'eux ne le savent pas.

[Français]

M. Dos Santos Soares : À propos de la précarité, Statistiques Canada a révélé que 35 p. 100 des emplois sont considérés atypiques au Canada. C'est beaucoup.

Pour compléter avec la question du suicide, j'ai hésité à introduire cette idée. Je pense qu'il est important de prendre soin des personnes qui soignent les gens.

Présentement, je fais un projet de recherche sur la fatigue de la compassion, le « secondary post-trauma ». Les gens qui vont soigner des personnes vont traiter des dossiers de santé mentale, de violence. Ces personnes développeront à leur tour des problèmes de stress post-traumatique. C'est comme l'effet de la fumée secondaire de la cigarette. Ce n'est pas seulement la personne qui fume qui tombe malade mais aussi celles qui sont autour et qui respirent la fumée.

Le dossier de santé mentale est celui qui a une plus grande corrélation avec les gens qui pouvaient subir la fatigue de la compassion. C'est important de soigner les gens qui vont écouter les gens parce que leur santé mentale peut être à risque.

[Traduction]

Mme Smailes : J'ai quelques commentaires à faire à propos des hommes forts. On a trouvé que deux choses fonctionnaient. La première, ce sont les centres d'appels. Au New Jersey, il y a un centre d'appels à l'intention des policiers dont s'occupent des policiers et des psychologues. Ce sont tous des bénévoles. Les appels sont anonymes, et les gens ont bien réagi. Les policiers peuvent dire ce qu'ils désirent. Ils se comprennent les uns les autres. On a étendu le service aux ambulanciers. On l'a également étendu à d'autres États.

L'autre méthode efficace pour les ambulanciers consiste à faire en sorte qu'il y ait des psychologues affectés à un endroit. Ils ne s'assoient pas à leur bureau. Ils s'assoient dans la cafétéria chaque jour, alors vous n'allez pas consulter le psychologue; votre psychologue est l'un de vos amis, et il est assis juste là. C'est comme si on intégrait le service de façon que les gens y aient accès.

Le stress post-traumatique secondaire est une question intéressante. Je crois que le programme de soins infirmiers de l'UBC en tient compte. L'idée, c'est que les infirmières doivent être mieux préparées pour faire face à ce genre de stress. De quelle façon pouvez-vous intégrer à la formation bon nombre de ces enjeux dont nous parlons, comme les capacités d'adaptation, les attentes entourant des milieux de travail sains et la communication? On discute actuellement du fait d'intégrer ces enjeux au programme.

Le président : Je ne me souviens pas dans quelle province de l'Ouest cela s'est produit, mais nous avons rencontré une femme qui est responsable d'un programme qui ressemble en tous points à celui que vous avez décrit et qui s'adresse aux policiers du New Jersey, sauf qu'il s'agit de la femme d'un agriculteur et que le programme s'adresse aux agriculteurs et à leur famille en raison des situations stressantes qu'ils vivent, par exemple en cas de sécheresse. C'est une infirmière praticienne.

Toutes les personnes qui répondent au téléphone de la ligne d'aide sont des membres de la famille d'un agriculteur. Il n'y a pas que des adultes qui appellent. Les enfants se rendent compte de la pression qui existe dans leur famille. La ligne d'aide a connu un franc succès. Si vous voulez un exemple canadien, cela peut valoir la peine d'examiner celui-ci. Au bout du compte, nous trouverez peut-être un exemple parfait.

Mme Smailes : Le pouvoir des centres d'appels est phénoménal.

Le président : Dans ce cas, la déclaration volontaire semble aider.

Mme Raymond : Le service de police de Montréal a élaboré un programme, intitulé Blue Line, que l'on a évalué. Il existe quatre types de lignes : homosexualité, violence, suicide et drogues. Si vous voulez un document de référence, je peux vous l'envoyer par la poste.

Monsieur le président, vous vous demandiez s'il existait un programme d'adaptation s'adressant aux jeunes enfants. Il y en a un intitulé Zippy's Friends. Il est administré par Partnership for Children, un organisme international établi au R.-U., je crois. On l'a évalué en Norvège, en Slovénie et au R.-U., et on commence son évaluation au Canada.

Le président : Où?

Mme Raymond : Au Québec. Je peux vous envoyer les renseignements à cet égard.

Le président : Ce serait fantastique.

Le sénateur Keon : J'aimerais revenir à votre concept d'emploi encadré, monsieur Corbiere. Si on pouvait le mettre en œuvre de façon officielle, cela pourrait être très productif à tous les points de vue : cela pourrait être productif pour les industries aux prises avec des employés inefficients et cela pourrait être extrêmement bénéfique pour les employés.

Je ne connais pas le terme officiel de ce concept. Pouvez-vous nommer un programme gouvernemental officiel qui utilise la terminologie « emploi encadré »?

[Français]

M. Corbiere : Vous pouvez trouver ce genre de programme à la Canadian Mental Health Association en Colombie- Britannique. C'est une initiative de la province d'établir ce programme à Vancouver et aux alentours. Ce concept est déjà implanté au Canada. À Montréal, à l'hôpital Douglas, le Dr Eric Latimer et son équipe ont implanté un programme de soutien en emploi.

Si vous avez besoin de références pour en savoir un peu plus sur les composantes des programmes de soutien en emploi, je pourrais facilement vous les envoyer par Internet. Si vous avez une question précise sur les programmes de soutien à l'emploi, je peux y répondre.

[Traduction]

Le sénateur Keon : J'apprécierais si vous pouviez nous envoyer ce que vous pouvez, car c'est le genre de choses que nous devrions recommander et auxquelles le gouvernement devrait participer. Encore une fois, le gouvernement n'a pas vraiment les moyens de se le permettre, mais on pourrait en faire un incitatif fiscal; il doit bien y avoir une solution.

Il ne faut pas attendre que des philanthropes ou diverses institutions le fassent; il s'agit d'un enjeu assez important pour la main-d'œuvre qu'on devrait le rendre officiel.

[Français]

M. Corbiere : Je remarque qu'au Canada, il y a beaucoup de programmes hybrides pour respecter, justement, le contexte économico-politico-sociologique. Il est également important de savoir qu'il existe un modèle de programme de soutien à l'emploi, mais on a besoin de l'adapter au contexte canadien. On est justement en train d'étudier toutes les initiatives réalisées pour implanter ce genre de programme au Canada et de comparer l'implantation de ces programmes au niveau organisationnel, individuel, au niveau du personnel qui travaille afin de savoir quelles sont les meilleures pratiques ou les meilleures composantes pour aider les personnes qui ont un problème de santé mentale à intégrer le marché du travail.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane : Tout comme le sénateur Keon, je m'intéresse à la question du suicide. Lorsque vous en avez parlé, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler mes études. Vous avez bien dit que c'était contagieux.

Mme Raymond : Il y a un risque de contagion. Lorsque des gens que vous connaissez — ou des gens que vous ne connaissez pas, mais qui se trouvent au même endroit — se suicident, cela a parfois de nombreux effets. Tout d'abord, ça peut éliminer la frontière entre ce qui peut et ne peut pas être fait. Ça rend le suicide possible.

De plus, il y a ce qu'on appelle l'effet miroir. Par exemple, lorsque Gaétan Girouard, un journaliste bien connu du réseau TVA, s'est suicidé en janvier 1999, un collègue de l'Université du Québec a publié un article à propos de l'effet contagieux prouvé, c'est-à-dire que les personnes qui ne le connaissaient pas mais qui ont lu son histoire dans les journaux ou qui l'ont entendue ont utilisé la même méthode pour se suicider. Par exemple, elles ont écrit son nom et son histoire dans leur lettre de suicide.

On s'identifie à une célébrité ou à une personne que l'on aime. Les gens se disent : « si cette personne, avec tout ce qu'elle avait, n'a pas pu s'en sortir, comment est-ce que je peux, moi qui ai beaucoup de problèmes, tenter de continuer chaque jour? » Il y a eu beaucoup d'autres suicides associés à celui-là.

C'est la même chose dans les écoles. Nous avons documenté des écoles ayant un taux élevé de suicide qu'on ne peut expliquer par de simples statistiques. Il y a eu un grand nombre de suicides en Colombie-Britannique il y a deux ans. Il y en a partout au pays. C'est arrivé au Québec, où cinq jeunes se sont suicidés au cours de la même année.

Les peuples des Premières nations ont les taux de suicide les plus élevés non seulement au Canada, mais également en Amérique du Nord. Je suis allée à Iqaluit, et dans bon nombre de villages, chaque personne est un survivant, car chaque personne connaît quelqu'un qui s'est suicidé.

Le sénateur Cochrane : Je viens d'une petite ville où, en une année, trois adolescents se sont suicidés. La collectivité ne pouvait pas comprendre ce qui s'était passé. C'était terrible.

Mme Raymond : C'est non seulement l'école, mais également la collectivité et la famille.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que beaucoup d'adolescents se suicident de nos jours? La fréquence des suicides chez les adolescents augmente-elle?

Mme Raymond : Avant 1970, il n'y avait aucune statistique canadienne sur les enfants âgés de moins de 10 ans. Maintenant, nous avons des statistiques sur les enfants âgés de 10 à 14 ans, tandis qu'avant les statistiques commençaient à l'âge de 15 ans. Au Canada, le taux est demeuré stable au cours des dix dernières années. Même s'il est élevé, il n'augmente pas. Le Québec et l'Alberta comptent les taux de suicide les plus élevés.

[Français]

Mme Dagenais : Je voudrais ajouter un complément d'information concernant les programmes de soutien en emploi pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Dans les années 1980, au Canada, j'ai travaillé pour Développement et ressources humaines. On avait des programmes d'aide, de soutien à emploi pour les personnes qui avaient des problèmes de santé mentale, de santé physique, les handicapés physiques et différents groupes cibles qui étaient identifiés. Ces programmes fonctionnaient très bien mais, pour une raison que j'ignore, on a cessé de financer ce genre de programmes. On a déjà fait cela, il serait peut-être intéressant de reprendre ce genre d'approche.

[Traduction]

Le président : À quel moment ont-ils arrêté le financement?

Mme Dagenais : J'ai quitté le ministère en 1992 et je crois qu'on a arrêté le programme en 1987 ou 1988. On a dépensé beaucoup d'argent pour ce programme, mais il était extrêmement utile.

[Français]

Il y avait aussi les ex-détenus et différents groupes cibles. Les personnes avec problème de santé mentale étaient ciblées et c'était très pertinent.

M. Dos Santos Soares : C'est, à mon avis, un problème qui dépasse parfois les organisations. C'est difficile de voir si c'est l'organisation qui a contaminé la société ou le contraire. C'est la question de la performance. Il faut être toujours de plus en plus performant. C'est une idéologie qui fabrique des gagnants et aussi des perdants.

C'est très dérangeant d'entendre les pédopsychologues dire qu'il y a, à l'hôpital Sainte-Justine, des enfants de sept ou huit ans qui ont des ulcères d'estomac, tellement ils vivent des détresses intenses. On leur demande de toujours « performer ». On leur dit : tu dois faire de la natation, ceci ou cela. On est toujours dans ce modèle d'hyper- performance. Cela perd tout son sens.

[Traduction]

Mme Baynton : Pour ajouter aux commentaires deM. Dos Santos Soares, nous faisons l'analogie suivante : l'augmentation de la dépression et du stress ressemble à une entorse à répétition. Le travail de Fraser Mustard dans « The Early Years » énonce le fait que les facteurs de stress imposés aux jeunes enfants, de la naissance jusqu'à l'âge de six ans, les empêchent de s'adapter aux facteurs de stress par la suite. En milieu de travail, nous demandons continuellement aux gens d'en faire davantage. Les cerveaux humains ne sont pas faits pour être constamment stimulés de la façon dont ils le sont dans la société actuelle.

M. Gilbert : J'ai deux commentaires à faire. Il y a quelques années, un incident malheureux s'est produit en Colombie-Britannique, ce que l'on appelle l'incident de Kamloops, où on a demandé à un gestionnaire de mettre à pied plusieurs employés en raison d'une réduction des budgets gouvernementaux. Il a accompli son travail et s'est par la suite rendu compte qu'il était lui aussi mis à pied. Il a tiré sur son représentant syndical et son gestionnaire à l'ouverture de la conférence de l'Association canadienne pour la santé mentale. Ça illustre très bien les enjeux dont nous parlons aujourd'hui, les répercussions des problèmes en milieu de travail et les résultats tragiques. Malheureusement, il faut souvent une tragédie afin que les gens prêtent attention à ces enjeux.

Jusqu'à un certain degré, il y a eu une médicalisation des problèmes psychosociaux. On a fait allusion au DSM-IV et au DSM-IV-TR, les manuels diagnostiques. À l'exception du syndrome du stress post-traumatique, il n'y a aucun trouble d'adaptation et aucun trouble de stress dans le DSM. Il n'y a pas d'invalidité liée au stress ou de trouble du stress. Une fois dans ce domaine, nous laissons tomber bon nombre de ces enjeux. Nous avons une dialectique qui est un peu folle, d'une certaine façon. Nous parlons de l'explication courante de la dépression et nous la traitons — c'est-à- dire un trouble d'ordre chimique qui fait en sorte qu'une personne est heureuse ou malheureuse. Nous ne disons pas qu'une personne fait une dépression parce qu'elle travaille dans un endroit désagréable ou qu'elle a trop de travail à accomplir. On doit changer quelque chose dans le dialogue fondamental entourant ces enjeux si l'on veut régler de façon efficace les problèmes de dépression.

Le président : Monsieur Gilbert, vous dites que le fait de décrire la dépression comme trouble d'ordre chimique et de la traiter de la même façon que le diabète ne représente pas la caractérisation exacte.

M. Gilbert : Je ne sais pas si c'est correct ou non, car nous ne connaissons pas les causes d'un bon nombre de troubles mentaux. Certains sont davantage neurochimiques ou biochimiques, d'autres sont génétiques et d'autres encore sont psychologiques. Si nous les déplaçons dans un seul domaine, nous laissons tomber tous les autres points.

[Français]

M. Dos Santos Soares : C'est un gros problème qu'il faut souligner. On médicalise les problèmes. Vous allez chez le médecin et le médecin ne vous demande pas si vous travaillez, si vous avez des problèmes au travail et cetera. Il vous dit : « prenez, c'est la pilule du bonheur ». Si on regarde l'augmentation de la consommation des psychotropes, c'est extrêmement dérangeant partout dans le monde, mais aussi ici au Canada.

Il faut faire attention, car certains médicaments créent une dépendance extrêmement lourde. Si une personne arrête de prendre ses anxiolytiques, c'est exactement comme si elle faisait une cure de désintoxication à la cocaïne. Il est très difficile de se libérer de cette dépendance chimique.

Beaucoup se tournent vers la médicalisation alors que l'on ne connaît pas toutes les causes, parfois chimiques, mais parfois aussi psychologiques et sociales. Il est très dangereux de tomber dans le piège de la pilule qui va résoudre tous nos problèmes.

[Traduction]

Mme Buchanan : Je suis certainement d'accord avec M. Gilbert pour dire que de nombreux enjeux ont été médicalisés. Toutefois, je veux vous avertir que le trouble bipolaire et la dépression majeure sont de graves maladies et que, comme je l'ai mentionné, dans le cadre de mon étude de cas, personne n'est tombé malade en raison du stress causé par l'emploi — les employés avaient déjà réglé ce problème. Ils sont tombés malades, car ils avaient une prédisposition génétique à une maladie particulière. C'est devenu un énorme problème en milieu de travail, où nous voulons tous poser le diagnostic. Nous parlons d'une personne qui ne vapeut-être pas bien ou qui peut boire beaucoup trop après le travail. Elle a peut-être d'autres problèmes. C'est facile à faire, et nous devons faire attention aux différences.

Je ne peux pas vous dire combien de fois j'ai été déprimée dans ma vie, mais ce n'était pas le genre de dépression paralysante qui m'empêchait de me lever ou de fonctionner correctement.

Il m'arrive fréquemment de faire une analogie avec la pneumonie. Bon nombre d'entre nous avons eu une pneumonie, et si nous avons rapidement reçu le bon traitement, nous nous en sommes assez bien sortis. Toutefois, un faible pourcentage de personnes qui contractent une pneumonie deviennent très malades et peuvent mourir malgré le traitement. Nous devons voir une dépression majeure, par exemple, de la même façon et c'est là que nous devons tracer la ligne.

J'ai énormément de respect pour l'Association canadienne pour la santé mentale et j'ai travaillé en étroite collaboration avec ses directeurs exécutifs. J'admire tellement le travail que Mme Baynton accomplit pour Mental Health Works. Toutefois, il y a une chose qui me dérange concernant l'Association canadienne pour la santé mentale. Je ne sais pas si elle tente d'aider les personnes qui ont une maladie mentale ou d'aider les personnes en santé à ne pas souffrir de troubles psychiques. Cette confusion existe. Sénateur Kirby, j'admire le fait que vous vous soyez occupé du concept de la maladie mentale et des stigmates et que vous ayez admis ce qu'il en est. Nous devons continuer à lutter contre les stigmates et ne pas nous cacher derrière un terme qui ne veut plus rien dire.

Le président : Pour le temps qui reste, l'un de nos témoins pourrait-il faire des commentaires sur un autre sujet? Bon nombre d'entre vous avez parlé, dans votre introduction, des difficultés éprouvées par une personne ayant une maladie mentale pour recevoir un soutien en raison de son invalidité. Vous avez parlé de l'incapacité des responsables des commissions des accidents du travail d'accorder un soutien aux personnes invalides en raison d'une maladie mentale ou de leur réticence à le faire; de la façon dont les programmes axés sur les invalidités de courte durée ne couvrent pas la plupart des maladies mentales; et de la façon dont les programmes axés sur les invalidités de longue durée ne semblent pas être couverts. Nous avons également entendu que le programme d'invalidité du RPC dresse tous les obstacles imaginables devant la prestation de soutien aux personnes ayant une maladie mentale. Même si Mme Buchanan a donné des exemples de personnes qui ont pu recevoir le crédit d'impôt pour personnes handicapées, la réalité est tout autre : on refuse bien plus de demandes qu'on en accepte.

Par opposition à la myriade de programmes conçus pour offrir du soutien financier aux personnes qui ont une maladie physique ou qui ont eu un accident, quelqu'un a-t-il des suggestions à l'égard de ce que l'on pourrait faire pour appliquer ces mêmes programmes aux personnes ayant une maladie mentale?

Mme Buchanan : Ça concerne les lignes directrices. Lorsque mon mari est passé d'une invalidité de courte durée à une invalidité de longue durée en juin 1991, nous sommes allés devant les tribunaux pendant quatre jours en février 1995, ce qui fait une longue période.

À la fin des quatre journées en cour, je connaissais de façon précise les positions de l'entreprise et de l'assureur. Ils ne possédaient pas de renseignements suffisants pour dire qu'il souffrait d'une invalidité. Nous avons donc dû nous présenter devant les tribunaux afin qu'ils disposent des renseignements appropriés. Je ne pouvais leur en vouloir, mais le problème, c'est qu'ils ne nous ont fourni aucune ligne directrice et qu'ils ne nous ont pas mentionné les renseignements qu'ils exigeaient. Ils nous demandaient simplement de leur en envoyer toujours plus. S'ils nous avaient fourni une sorte de lignes directrices ou qu'ils nous avaient dit précisément ce qu'ils voulaient, la situation aurait été beaucoup plus simple. Toutefois, elle est devenue compliquée, et il y a eu des retards, car nous ne connaissions pas les règles. C'est également arrivé en ce qui concerne le crédit d'impôt pour personnes handicapées de l'ARC. Maintenant, nous avons à notre disposition un formulaire qui énonce les lignes directrices appropriées à l'intention des psychiatres, des psychologues et des médecins de famille pour interpréter les termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, comme l'« incapacité de penser, de percevoir et de se souvenir ». Avant que cette interprétation ne soit disponible, si vous faisiez preuve de jugement et que vous appeliez les responsables de l'ARC pour leur poser une question à ce sujet, ils pensaient que vous n'étiez pas un bon candidat puisque vous aviez les moyens de les appeler. C'est exactement ce qui s'est produit.

Il existe un manque fondamental de compréhension de la part des assureurs et de bon nombre d'autres personnes à l'égard de la réalité de telles maladies, de même qu'un manque de lignes directrices. J'ai parlé avec une personne qui a fait face à un problème de harcèlement. Elle a mentionné que, si on avait le même genre de lignes directrices pour la santé mentale que celles mises en place pour le harcèlement, ce serait bien, car tout le monde saurait ce dont on parle et connaîtrait les critères d'admissibilité. Au bout du compte, la plupart du temps, nous ne connaissons pas les critères d'admissibilité.

Le président : Madame Buchanan, vous avez dit que votre mari a vécu cette situation il y a environ une décennie, au cours des années 90. Quelqu'un sait-il si la situation s'est améliorée au cours des dix dernières années? A-t-on mis en place de meilleures lignes directrices?

Quelqu'un a-t-il une idée de ce qui s'est produit à cet égard?

Mme Buchanan : En réalité, je ne sais pas ce que qui se produit, mais mon mari doit présenter une nouvelle demande chaque année. Je ne peux vous dire à quel point cette situation est stressante pour lui. Il doit consulter le médecin et s'assurer que le formulaire est dûment rempli afin qu'on ne pose pas de questions à ce sujet. C'est un événement annuel très stressant. C'est stressant pour lui et, comme on a parlé de contagion, c'est stressant pour moi. C'est comme si je suis également exposée à ce genre de stress, car, au cours de l'année, c'est tellement stressant de l'aider à maîtriser son stress que je ne sais pas où son problème se termine et où le mien commence. Au bout du compte, son problème devient le mien.

M. Wang : J'aimerais faire un commentaire sur la maladie mentale et l'invalidité. C'est difficile de déterminer si une invalidité est causée par un trouble mental ou physique.

Le président : À la lumière de tous ces programmes, pourquoi est-ce que cela fait une différence? Si les personnes sont invalides, elles sont invalides. Quelle est la pertinence de déterminer une cause précise?

M. Wang : On ne peut diagnostiquer de façon fiable une maladie mentale, contrairement à une maladie physique, au moyen d'essais en laboratoire ou de marqueurs biologiques.

Le président : Je crois que je comprends votre point, mais je suis un peu incrédule. Vous dites que, puisqu'il n'y a aucun examen quantitatif et mesurable, on présume que la personne ne dit pas la vérité.

M. Gilbert : La même situation existe en ce qui concerne la sclérose en plaques, jusqu'à ce qu'on puisse faire une tomodensitométrie. Il n'y a aucune façon organique de diagnostiquer sa présence. C'est la même situation pour la fibromyalgie et d'autres douleurs chroniques.

Le président : De quelle façon traite-t-on de tels cas?

M. Gilbert : Les gens se battent et se fient à leur autonomie. Une invalidité, c'est l'incapacité de fonctionner dans un emploi particulier, ce qui dépend des critères. La comparaison musculosquelettique concerne le fait que la personne peut accomplir les tâches requises par l'emploi : par exemple, la personne peut-elle soulever la boîte sur 20 pieds 20 fois au cours d'une journée? De façon métaphorique et littérale, quel est l'équivalent psychologique? À quel point ne devez- vous pas souffrir de dépression pour être un enseignant, un médecin, un psychologue ou un sénateur? Ce n'est pas une question abstraite.

Le président : Je comprends.

M. Gilbert : Nous ne disposons pas des mesures nécessaires pour déterminer la réponse à cette question.

Le président : Est-ce une question qui touche uniquement le Canada?

M. Gilbert : Non, c'est un enjeu universel.

[Français]

Mme Dagenais : La question que vous posez est fort complexe. Plusieurs aspects doivent être considérés. Le médecin devra déterminer si la personne souffre de dépression, de stress ou d'anxiété. Ensuite, il devra se référer à la classification DSM4 afin d'identifier la catégorie de la maladie. Il peut s'agir d'un problème d'adaptation ou d'une foule d'autres problèmes.

Lorsque la personne, par la suite, dépose une réclamation auprès de la CSST, la démarche est toute autre et des critères différents s'appliquent.

[Traduction]

Le président : Que signifie CSST?

[Français]

La Commission de la santé et de la sécurité du travail, c'est une grande partie de la difficulté et je pense que les prochaines années nous ferons voir que l'on devra adapter la législation, notamment au Québec, en matière de lésions psychologiques.

Cela deviendra un problème très largement répandu dans le marché du travail. La commission sera débordée, non pas parce qu'ils recevront beaucoup de plaintes mais plutôt parce qu'il devra y avoir de nouveaux critères qui devront accueillir les plaintes. Les gens ne pourront pas toujours se faire refuser une indemnisation en lésion psychologique.

[Traduction]

Le président : Même si je suis totalement en accord avec ce que vous dites, j'ai posé ce qui me semble être une question simple en sachant qu'il n'y avait pas de réponse simple. Si j'ai bien compris, vous dites que l'on doit mener des recherches dans un domaine pour commencer à obtenir des mesures. Mais après vous avoir écoutés — et beaucoup d'entre vous sont des universitaires — je crois comprendre qu'il n'y a aucune donnée sur cette question et qu'on ne mène aucune recherche à cet égard. Il me semble qu'il s'agit d'une question importante, surtout si vous voulez réduire le coût économique.

[Français]

Mme Dagenais : Je dis, dans mon rapport, que nous devions faire des études comparées entre le type de plaintes que nous recevons dans les divers organismes, la Loi des normes du travail, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la Commission des droits de la personne. J'ai fait la Commission des droits, mais je suis tombée en arrêt de travail pendant quatre mois. Je n'ai pu réaliser l'étude sur les plaintes à la CSST, puisque j'étais moi-même en arrêt de travail.

Il faudrait faire une étude sur les demandes de plaintes que la CSST reçoit. C'est là qu'il y a une zone nébuleuse. Si on pouvait comprendre exactement quelles sont les demandes reçues qui ne sont pas retenues, on pourrait comprendre beaucoup mieux quel est le portrait du marché du travail actuellement, quelle est la détresse que les personnes vivent, et comment trouver des solutions pour les aider. C'est un élément capital. Il faudrait des ressources pour cela.

M. Corbière : Merci d'ouvrir la porte sur les problèmes musculo-squelettiques qui sont un réel problème en termes de coûts. Beaucoup de recherches sont entreprises pour ces problèmes et plus particulièrement pour les maux de dos parce que c'est ce qui coûte le plus à la CSST. De nombreuses études sont faites à ce niveau parce que c'est invisible. On n'arrive pas à faire confiance à l'employé parce qu'on ne peut pas déterminer exactement le problème.

Le problème de santé mentale ou de dépression est similaire. On a pris des individus qui avaient des maux de dos chroniques et on a regardé leur niveau de problèmes de santé mentale.Il y a une très forte association entre dépression et problèmes musculo-squelettiques. Il y a un besoin réel en termes d'intervention. La corrélation est de 0,90. C'est très fort. Et c'est une étude longitudinale qui nous permet d'évaluer les problèmes musculo-squelettiques et psychologiques en même temps.

La CSST au Québec a développé une méthode de surveillance pour les personnes ayant des maux de dos. Comme on ne les croit pas, on va les surveiller chez eux, par vidéo, dans leur jardin, pour voir s'ils arrivent à se baisser, par exemple. On arrive à des mécanismes impensables pour avoir une mesure fiable sur laquelle on peut se pencher.

[Traduction]

Mme Buchanan : Je ne sais pas par quoi commencer. Je suis nerveuse quand je parle des lois. Aux États-Unis, une loi fédérale, en vigueur depuis un bon moment déjà, stipule que le programme Medicaid n'est pas tenu de rembourser les médicaments consommés par les personnes souffrant de troubles anxieux, d'anorexie, de trouble panique. Ce sont tous les médicaments de la catégorie du diazépam, que la plupart d'entre elles connaissent sous le nom de Valium, terme surutilisé, mais il y a d'autres médicaments importants, comme le lorazépam. Elles ne peuvent même pas y avoir accès, car on présume que les législateurs n'ont pas l'impression que ces problèmes de santé mentale sont aussi invalidants que certaines autres conditions. On doit être prudent ici.

J'ai été troublée d'apprendre que l'Ontario avait promulgué une loi selon laquelle la CPAAT ne verserait plus d'indemnités aux personnes ayant subi du stress en milieu de travail. Les législateurs n'étaient pas satisfaits de la façon dont on avait réglé une cause juridique clé et ils ont promulgué la loi. Par contre, si vous êtes un caissier de banque, que quelqu'un vous menace au moyen d'un fusil et que vous souffrez d'un stresspost-traumatique, vous pouvez recevoir une indemnité.

L'une des raisons pour lesquelles ils disent qu'ils ne verseront pas d'indemnités pour le stress en milieu de travail, c'est qu'ils ne peuvent pas mesurer le stress au fil des ans, mais on a connu de nombreux précédents. On a entendu parler des maux de dos. Je vivais à Elliott Lake, une collectivité minière; le syndrome des doigts blancs, causé par l'utilisation d'une perceuse au cours d'une certaine période, donnait droit à une indemnisation. Tout comme la perte auditive. Le cancer du poumon donnait droit à une indemnisation, car on avait l'impression que les gens qui travaillaient dans les mines d'uranium et qui fumaient avaient une prédisposition au cancer du poumon. À quel endroitexcluez-vous le tabagisme du milieu?

J'ai fait l'historique de toutes les mines de Elliott Lake. Il y a quelques semaines, j'ai reçu un appel à propos du moment où une certaine mine avait fermé parce qu'une personne avait présenté une réclamation. La mine a fermé en 1960, et on tente actuellement de déterminer si le milieu de travail a causé ou non la maladie.

Le président : Quarante-cinq ans plus tard.

Mme Buchanan : Il ne faut pas dire que c'est trop difficile à faire; il faut trouver de meilleures façons de mesurer, de déterminer et de produire de meilleures lignes directrices.

[Français]

M. Dos Santos Soares : Je ne sais pas si vous avez fait l'exercice de prendre le DSM4 et d'en lire la définition. C'est très difficile de dire c'est ceci ou cela.

Le médecin traitant utilise le meilleur de ses connaissances pour dire qu'une personne a tel problème mais que ce problème n'est justement pas compensé par la CSST. Par contre, un problème semblable, juste à côté, lui, est compensé.

Il faut aussi prendre le DSM4 de façon très critique. Dans la version antérieure de ce livre, l'homosexualité était considérée comme une maladie mentale. Ils l'ont enlevée dans la dernière version. Pour avoir un stress post- traumatique, il faut que la personne soit en présence de la mort. Mais la mort psychologique peut déclencher cela autant que la mort physique.

Mais comme ce n'est pas écrit dans le DSM4, les psychiatres, lorsqu'ils font leurs expertises, disent que comme telle personne n'était pas en face de la mort, que ce n'est donc pas un stress post-traumatique. Et c'est tout.

Il faut vraiment avoir un regard très critique parce qu'on ne peut pas prendre ces livres comme une bible qui tranche les choses avec exactitude. C'est un savoir diffus qui est en constante évolution et qui n'est donc pas noir ou blanc.

Mme Raymond : J'aimerais que l'on fasse un peu attention. Le DSM4 n'est pas une bible. Si vous placez plusieurs cliniciens ensemble et que vous leur présentez un cas particulier, ils le verront chacun d'un point de vue différent.

Pour ma part, je suis tout à fait en mesure de distinguer la dépression majeure d'un trouble de PMD lorsque les symptômes sont classiques. Le problème actuel est relié au fait que les cas de comorbidité sont de plus en plus fréquents. Les personnes se présentent avec un problème de dépression accompagné de problèmes de comportement, d'alcoolisme et parfois de toxicomanie. Dans ces cas, le diagnostic n'est pas simple à déterminer. Toutefois, il ne faut pas, pour autant, dénigrer toute la psychiatrie.

Il existe des outils de diagnostic très efficaces qui sont validés aux États-Unis, au Canada et en Europe. Pensons notamment aux échelles de dépression, aux tests d'anxiété, aux échelles validés pour les troubles de stress post- traumatique et de stress aigu. En juxtaposant ces échelles à des évaluations cliniques on obtient des résultats efficaces.

Il faut donc faire attention de ne pas porter un jugement trop hâtif. La classification du DSM4 produit d'excellents diagnostics. Il existe toutefois plusieurs bons instruments de diagnostic. Nulle part aujourd'hui a-t-on parlé de comorbidité, malgré le fait qu'on retrouve de plus en plus de personnes qui, en milieu de travail, souffrent de plusieurs problèmes simultanément. Ces cas nécessitent une façon différente de travailler et un mode d'évaluation particulier.

M. Corbière : Je suis tout à fait d'accord avec les propos de Mme Raymond et du professeur Dos Santos Soares. La classification DSM-IV est, à tort, considérée comme une bible. Au niveau conceptuel, les catégories du DSM-IV sont hermétiques, alors qu'en réalité, à mon avis, il s'agit d'un continuum.

De plus, aux services d'urgence des hôpitaux, on ne prend que cinq minutes pour établir un diagnostic. Comment peut-on établir un diagnostic en cinq minutes? Et cette personne traînera son diagnostic pour la vie!

Il existe plusieurs outils de diagnostic. Toutefois, ces outils nécessitent 45 minutes ou une heure. On ne trouve donc pas le temps pour utiliser ces outils de diagnostic afin d'avoir une idée précise du comportement, de l'attitude de la personne et de sa problématique. Il faudrait donc agir à ce point de vue.

On a parlé également de besoins d'évaluation pour intervenir. À mon avis, il faut se servir de bons outils et ne pas établir un diagnostic en cinq minutes.

[Traduction]

M. Gilbert : J'apprécie le débat entourant le DSM, mais comme MS Windows, il s'agit d'un outil imparfait, et on doit l'utiliser jusqu'à ce qu'on apporte des modifications. C'est-à-dire peut-être jusqu'à ce qu'on publie le DSM-V. Lorsque j'ai présenté un exposé au cours d'une conférence tenue en Hollande, j'ai appris que l'Europe se sert des versions CIM-IX ou CIM-X. Dans le cadre de cette conférence, nous avons parlé du nombre d'employés souffrant de dépression en milieu de travail sur ce continent. Les représentants ont dit qu'il y en avait très peu, ce qui m'a surpris. Ils ont également dit que le nombre de troubles névrotiques est extrêmement élevé, mais qu'ils se trouvent dans une catégorie de diagnostic différente. En Europe, on utilise la classification de la dépression pour, en grande partie, la dépression majeure, qui peut comprendre la psychose. Les termes utilisés sont absolument critiques pour déterminer les personnes qui sont invalides; nous devons en tirer des leçons.

Mon dernier commentaire, c'est que le DSM met principalement l'accent sur les symptômes. Nos discussions devraient porter sur la fonction, qui comporte différentes dimensions. Selon moi, le DSM ne décrit pas bien le fonctionnement. L'axe V est censé tenir compte de l'évaluation globale du fonctionnement, ce qui est très subjectif et vague. L'invalidité et l'adaptation en milieu de travail concernent non pas le fait que vous êtes heureux ou non, mais la mesure dans laquelle vous fonctionnez. Bon nombre de personnes ne sont pas heureuses au travail. Les aspects fonctionnels du trouble mental font en sorte que ça fonctionne ou non.

[Français]

Mme Dagenais : Le facteur de comorbidité est très important. Dans mes analyses, j'ai constaté que si l'on prend en considération le facteur de risque et l'absence de marge de manœuvre, on retrouve autant de détresse psychologique, d'anxiété et de troubles somatiques. Certaines personnes souffrent, par exemple, de troubles du sommeil. Par conséquent, trois types d'atteinte à la santé psychologique sont créés uniquement par l'absence de marge de manœuvre où les gens se sentent coincés.

Il est plutôt rare de voir un facteur de risque n'entraîner qu'un seul problème de santé. Chaque facteur de risque entraîne généralement une ou deux situations d'atteinte à la santé. La notion de comorbidité est donc un facteur important.

D'autre part, nous avons parlé plus tôt de suicide. Le suicide a toujours existé. Émile Durkheim a d'ailleurs écrit un chapitre à ce sujet qui fut très marquant dans le domaine de la sociologie. La société d'aujourd'hui médicalise beaucoup les problèmes de santé psychologique. Les enfants prennent du Ritalin et les professeurs qui leur enseignent prennent du Prozac. Bref, chaque génération a ses problèmes de consommation de médicaments et éventuellement de psychotropes.

Un ouvrage vient de paraître qui s'intitule Société sous influence. Le suicide est la violence contre soi. Le harcèlement, la violence au travail et toute autre attitude d'agressivité constituent la violence contre les autres. Ces indicateurs nous démontrent que nous vivons dans une société qui a des problèmes à régler.

Il faut trouver les moyens d'atténuer cette tension qui fait en sorte que les gens s'attaquent eux-mêmes, par le biais du suicide, ou attaquent les autres. La tension en milieu de travail est trop élevée.

[Traduction]

On dirait une guerre; ce n'est pas bon pour l'évolution de notre société.

[Français]

Nous nous devons d'être conscients de cette réalité.

[Traduction]

Le président : J'aimerais remercier les témoins de s'être présentés pour aider le Comité dans ses délibérations. J'aimerais dire à nos invités du Québec que, si l'un d'entre vous parle avec le ministre Couillard, veuillez lui dire que le régime de santé mentale mis en œuvre il y a quatre à six semaines, est un document impressionnant. Bon nombre des idées contenues dans le document se trouveront dans le rapport du présent Comité. Comparé à ce que la plupart des provinces ont mis en place, son document est dans une autre ligue et est vraiment exceptionnel.

Le Comité fait maintenant face au dilemme suivant : comment mettre en œuvre des recommandations pour un champ si vaste. Je demanderais aux témoins d'envoyer, au cours de la semaine prochaine, au greffier du Comité, de trois à cinq questions principales sur lesquelles on doit mener des recherches. Il y a certains avantages à ce que le Comité recommande un programme de recherche dans son rapport, surtout compte tenu de la discussion sur la façon de déterminer l'admissibilité aux régimes d'invalidité et le montant d'argent alloué à d'autres recherches, comme celles sur le cancer.

La séance est levée.


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