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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 21 juin 2006


OTTAWA, le mercredi 21 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 heures, pour examiner la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, chap. 17), conformément à l'article 72 de ladite loi.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette séance. L'audience est télévisée aux quatre coins du pays et diffusée par Internet à l'échelle mondiale. Ce que vous direz touche non seulement les capitales financières nord- américaines, mais aussi du reste du monde. Soyez les bienvenus à ce que le Sénat considère comme une surveillance très importante de votre travail.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a reçu du Sénat le mandat d'entreprendre un examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, chap. 17), conformément à l'article 72 de ladite loi. Cet article exige qu'un examen parlementaire de l'application de la loi soit mené dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur du présent article.

Notre comité soutient depuis fort longtemps l'examen parlementaire des lois portant sur les services financiers. En tant que législateurs, il est essentiel que nous vérifiions que la loi s'applique de la façon dont le Parlement l'avait envisagé. Le Canada est solidaire des autres pays dans les efforts déployés pour rendre le monde plus sûr. Il est donc important que nous nous assurions que le régime législatif canadien adopté pour lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes répond non seulement à nos besoins nationaux, mais également à ceux de nos partenaires internationaux.

Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui des représentants du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, mieux connu sous le nom de CANAFE, pour discuter du processus d'analyse du centre.

Vous avez la parole.

Horst Intscher, directeur, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Je vous remercie de m'avoir invité de nouveau à venir expliquer aux membres du comité notre processus opérationnel et analytique. Je m'efforcerai d'être bref. Mme Wing vous donnera ensuite un aperçu de notre processus opérationnel, et M. Bulatovic vous décrira un cas épuré de blanchiment d'argent qui illustrera nos fonctions et les résultats obtenus.

Le cadre législatif qui a permis la création de CANAFE fait état de l'équilibre délicat entre les besoins des enquêteurs et les droits à la protection des renseignements personnels des Canadiens. Cet équilibre est l'élément de base de notre loi et caractérise nos opérations.

En vertu de la loi, CANAFE doit posséder des motifs raisonnable de soupçonner que les renseignements que nous communiquons sont pertinents à une enquête ou à une poursuite pour infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes ou à une autre menace à la sécurité du Canada. Afin de protéger les renseignements sur les opérations financières que nous détenons, le processus interne de CANAFE prévoit des règlements précis afin de s'assurer que certains seuils sont atteints avant de communiquer ces renseignements. De plus, personne n'a accès à nos bases de données. Au sein de notre organisme, l'accès est limité aux employés qui effectuent les analyses financières.

Je suis certain que dans un délai relativement court, notre apport sera progressivement mieux reflété dans les enquêtes, les poursuites et les accusations. Nous avons mis du temps à obtenir ces résultats, compte tenu de la nature complexe des cas de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes et du fait que des années de travail peuvent être nécessaires avant d'en arriver à des résultats.

Les renseignements financiers provenant de CANAFE peuvent parfois être essentiels à une enquête ou permettre d'identifier de nouveaux suspects. Nos communications peuvent également permettre de cibler des liens que les enquêteurs ignoraient avant de recevoir nos renseignements.

Mme Wing et M. Bulatovic vont maintenant vous décrire notre processus opérationnel et vous présenter un cas épuré de notre produit de renseignements financiers.

Sandra Wing, sous-directrice principale, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Il y a deux documents. Je vous demanderais de prendre le document intitulé « Processus opérationnel de CANAFE ».

Le président : Pour notre séance télévisée, je suis désolé que nous ne puissions voir le graphique à l'écran, mais nous tenterons de l'afficher sur notre site Web.

Mme Wing : Je décrirai rapidement le graphique qui vous permettra de revoir le cheminement de l'information à CANAFE. J'aimerais attirer votre attention sur la partie gauche du graphique, sous la boîte intitulée « Collecte de renseignements ».

Nous commençons avec les opérations financières, y compris les transferts de fonds ou de devises et les dépôts. Si ces opérations sont effectuées par les entités comprises dans la liste de droite, soit les comptables, les banques et les casinos, dans certaines circonstances, elles doivent être déclarées à CANAFE.

Ces entités doivent transmettre à CANAFE des déclarations de télévirements et d'opérations importantes en espèces de 10 000 $ ou plus, d'opérations douteuses, quel qu'en soit le montant, et de biens appartenant à des groupes terroristes. Nous recevons également des déclarations de mouvements transfrontaliers d'espèces et d'effets de 10 000 $ ou plus de l'Agence des services frontaliers du Canada.

J'en suis maintenant aux boîtes rouges, à la colonne intitulée « Analyse des renseignements ». Comment analysons- nous tous ces renseignements? Nous nous appuyons fortement sur notre personnel et sur notre technologie. En ce qui a trait à la technologie, la réception électronique de renseignements financiers nous permet d'utiliser les systèmes de TI afin de trier les déclarations et de relier les opérations financières. Lors du premier examen de ces opérations connexes, nous ciblons les tendances dans les activités financières à des fins d'analyse.

Lors de l'élaboration d'un cas, les analystes se penchent premièrement sur les opérations pertinentes provenant de notre base de données; ils vérifient ensuite l'identité des personnes et des entreprises concernées dans les opérations et cherchent les liens qui peuvent exister entre elles.

À quel moment divulguons-nous l'information? Lorsque l'analyse permet d'avoir des motifs raisonnables de soupçonner que l'activité financière pourrait être pertinente à une enquête sur le blanchiment d'argent ou le financement d'activités terroristes, un rapport est rédigé, expliquant les raisons de la communication. Les analystes préparent également une communication qui comprend les détails des opérations financières et qui précise l'heure et le lieu, les personnes effectuant les opérations, les comptes, les entreprises ou les autres entités concernées.

Le rapport et la communication passent par une série d'approbations et d'examens détaillés au niveau de la direction avant d'être présentés au directeur de CANAFE à des fins d'approbation définitive. Notre processus d'examen et d'approbation nous permet de respecter deux critères fondamentaux : premièrement, que nous avons atteint les seuils imposés par la loi avant d'effectuer une communication; deuxièmement, que les renseignements qui y sont compris sont ceux que nous pouvons communiquer en vertu de la loi.

Peter Bulatovic, directeur adjoint, Renseignements financiers tactiques, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) : Honorables sénateurs, j'aimerais que vous consultiez maintenant le deuxième document devant vous. C'est un diagramme de liens qui décrit un récent cas de blanchiment d'argent concernant un certain nombre de déclarations d'opérations reçues par CANAFE. Les déclarations reçues comprenaient des déclarations de télévirements, des déclarations d'opérations importantes en espèces et des déclarations d'opérations douteuses concernant différentes entreprises et personnes se trouvant au pays et à l'étranger. Ce tableau démontre que, grâce à notre analyse des opérations comprises dans nos bases de données et d'informations provenant d'autres sources, nous avons été en mesure de relier trois groupes distincts d'opérations financières en un seul réseau financier plus vaste, ciblant de nouveaux liens, de nouveaux partis et de nouveaux comptes. Cela nous a permis de fournir des renseignements financiers tactiques plus complets aux destinataires de nos communications.

Ces groupes financiers distincts se trouvent dans le tableau, dans les boîtes A, B et C.

Je commencerai par décrire les activités comprises dans la boîte A. Une unité étrangère du renseignement financier a avisé CANAFE que quatre personnes et une entreprise, effectuant des télévirements entre différents comptes dans une même entité déclarante à l'étranger, faisaient l'objet d'une enquête sur le blanchiment d'argent. Ces personnes avaient fourni une adresse et des documents d'identification canadiens et étaient décrits comme étant des « citoyens canadiens » par l'unité du renseignement financier.

L'unité du renseignement financier déclarait que l'entreprise, entreprise 1 dans la boîte A en haut à droite, effectuait des télévirements par l'entremise de plusieurs banques étrangères dans un compte se trouvant dans une banque de son pays. Deux des citoyens canadiens avaient des procurations pour ce compte. Les fonds étaient ensuite virés dans un autre compte, dans la même banque. Les citoyens canadiens étaient titulaires de ce compte.

L'unité du renseignement financier considérait ces activités douteuses. L'unité du renseignement financier n'avait trouvé aucune autre information concernant l'entreprise 1.

Les noms compris dans la demande de renseignements de l'unité du renseignement financier ont immédiatement fait l'objet d'une recherche dans notre base de données sur les opérations afin d'établir la portée des activités financières canadiennes concernant les personnes et l'entreprise mentionnées. Nous avons trouvé des activités financières concernant deux des quatre citoyens canadiens. Nous avons également découvert des opérations concernant l'entreprise 1 que mentionnait l'unité du renseignement financier.

Selon les opérations trouvées dans notre base de données, l'entreprise 1 avait viré plusieurs millions de dollars vers différentes entreprises au Canada. Comme le montre le tableau entre les boîtes A et B, l'entreprise 1 avait viré des fonds vers les entreprises 2, 3 et 4 et vers d'autres entreprises se trouvant au Canada. Un des principaux destinataires de ces télévirements était une entreprise d'importation et d'exportation de voitures se trouvant au Canada, l'entreprise 4, qui se trouve dans la boîte B du tableau.

Une recherche effectuée dans des sources ouvertes n'a pas permis de trouver beaucoup d'information sur l'entreprise 1 et aucune information sur l'entreprise 4. Ces recherches étaient effectuées afin d'obtenir de l'information contextuelle sur la nature de ces entreprises et afin d'établir les relations d'affaires sous-jacentes entre elles ou les raisons de ces opérations.

Nous n'avons trouvé aucune information dans les sources ouvertes quant à l'entreprise 4; ni annonce, ni mention dans un annuaire téléphonique, ni site Web. Toutefois, nous avons été en mesure de confirmer que cette entreprise avait été constituée en personne morale au Canada.

Selon ces informations, l'entreprise 1 n'achetait ni ne vendait des véhicules et n'était reliée d'aucune façon à ce secteur d'activité. Les activités financières se déroulant entre l'entreprise 1 et l'entreprise 4 étaient donc suspectes et nécessitaient une étude plus approfondie.

À la suite de notre étude des opérations financières concernant l'entreprise 4, nous avons découvert une déclaration d'opérations douteuses transmise par une entité déclarante canadienne. L'entité déclarait à CANAFE des activités jugées douteuses dans les comptes d'affaires de l'entreprise 4. La banque précisait que les comptes avaient été ouverts plusieurs années auparavant et étaient, somme toute, inactifs; le nombre de télévirements reçus dans les deux comptes d'affaires augmentait de façon constante; au cours d'une courte période, des millions de dollars avaient été virés dans les comptes détenus par cette entreprise, sans que rien n'explique cette augmentation; et le nombre de télévirements reçus de différentes entreprises étrangères provenaient d'un pays avec de faibles mesures de lutte contre le blanchiment d'argent. En outre, le fait que des chèques soient émis suite à une opération de change, puis déposés dans les comptes de banque de l'entreprise 4, était en soit suspect. De nouveau, cette activité financière ne correspondait pas à la nature des activités de l'entreprise 4.

Nous avons également découvert le nom de deux autres entreprises qui étaient exploitées à la même adresse que l'entreprise 4. Ces entreprises, 5 et 6, forment le deuxième groupe d'opérations financières retrouvées dans la boîte B. En fait, lorsque l'adresse d'une de ces entreprise changeait, l'adresse des autres entreprises changeait également et ce, au cours de la même période. Ces adresses avaient changées trois fois au cours d'une période de quatre ans.

Les télévirements reçus par l'entreprise 5 provenaient également du même pays étranger qui possédait de faibles mesures de lutte contre le blanchiment d'argent. L'information provenant de sources ouvertes comprenait un numéro de téléphone pour l'entreprise 5 et la décrivait comme étant une entreprise d'importation et d'exportation de voitures. Les entreprises 5 et 6 avaient le même directeur.

J'aimerais attirer votre attention sur l'entreprise 7 qui se trouve presqu'au centre du tableau. L'entreprise 7 est le lien financier entre les entreprises 4 et 1 et entre les comptes personnels appartenant aux deux personnes identifiées dans la boîte C, le troisième groupe d'opérations financières.

L'entreprise 7 virait des fonds vers l'entreprise 4. L'entreprise 7 virait également des fonds dans un compte appartenant aux deux personnes se trouvant au Canada et vers une entreprise canadienne, l'entreprise 2, qui était également le destinataire des télévirements de l'entreprise 1. L'entreprise 7 relie les trois groupes d'opérations financières précisés dans le tableau.

Après avoir effectué une recherche dans notre base de données sur les opérations de l'entreprise 7, nous avons découvert une déclaration d'opérations douteuses transmise par une autre entité déclarante canadienne et concernant les deux personnes au Canada et qui se trouvent indiquées dans le coin inférieur droit du tableau, dans la boîte C. La déclaration d'opérations douteuses avait été transmise suite à des soupçons concernant les activités dans les comptes que détenaient les deux citoyens canadiens. La banque précisait qu'au cours d'une période de cinq mois, les deux personnes avaient reçu quatorze télévirements de quatre entreprises différentes, dont l'entreprise 7, et que des efforts avaient été déployés afin de communiquer avec ces personnes, mais Postes Canada avait retourné le courrier et le numéro de téléphone était incorrect. La banque voulait poser des questions au couple quant aux récentes activités financières dans leurs comptes.

La banque avait refusé d'accepter plusieurs télévirements pour ce couple. L'homme s'était alors rendu à la banque et avait déclaré que les fonds représentaient des produits de son entreprise à l'étranger. Lorsqu'on lui a posé des questions sur les télévirements reçus de différentes entreprises étrangères, il avait nié connaître ces entreprises et les raisons pour lesquelles il recevait ces sommes. Il est inhabituel qu'un client reçoive des sommes de différentes entreprises qu'il ne connaît pas. Il est également inhabituel qu'un nouveau client ne se présente pas à une institution financière pendant plus de sept mois.

Nous avons également reçu des renseignements transmis volontairement d'un organisme canadien d'application de la loi et concernant les deux personnes. On soupçonnait qu'elles utilisaient leurs comptes personnels pour recycler des produits de la criminalité.

À la suite de notre analyse de tous les renseignements disponibles, nous avons soupçonné que les opérations comprises dans le tableau étaient pertinentes à une enquête ou à une poursuite pour infraction de blanchiment d'argent.

Les indicateurs suivants, qui sont reconnus à l'échelle internationale, ont été jugés pertinents au cas : déplacement rapide de vastes sommes; télévirements importants au nom d'un client étranger avec peu ou pas d'explication; dispersion inexpliquée de fonds vers de nombreux bénéficiaires; utilisation de nombreux comptes dans une seule institution financière, sans raison valable; enquête continue, l'une par un organisme d'application de la loi et l'autre par l'unité étrangère du renseignement financier; montants multiples versés dans un compte personnel sans explication; rétablissement d'un compte inactif; et mouvements atypiques de l'entreprise et dans le compte.

La valeur totale de cette communication dépassait les 21 millions de dollars américains et les 2 millions de dollars canadiens. Dans le cadre de ce cas, nous avons reçu de huit entités déclarantes différentes plus de 400 déclarations de télévirements, plusieurs déclarations d'opérations importantes en espèces et quelques déclarations d'opérations douteuses.

Le président : J'aimerais aviser le public que ces graphiques seront disponibles à l'adresse : www.fintrac.gc.ca, et que vous trouverez sur notre site Web un lien vers ce site.

Nous disposons d'environ 15 minutes pour les questions, alors j'espère qu'elles seront brèves. Je demanderais aux témoins de donner des réponses courtes. Si une question exige une longue réponse, ces derniers sont disposés à nous la donner par écrit.

Le sénateur Meighen : Évidemment, ce sont des dossiers complexes. Selon le rapport annuel 2005 de CANAFE, le pourcentage de communications de cas comprenant des opérations déclarées par six entités déclarantes ou plus est passé de 18 p. 100 en 2004 à 39 p. 100 en 2005, et le nombre moyen des opérations visées par chacune de nos communications a augmenté considérablement, passant de 62 à 136 au cours de la même période. Quelle est l'incidence de ces chiffres sur la complexité du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes, ainsi que sur la sécurité nationale, un sujet qui me préoccupe particulièrement en tant que membre du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense?

M. Intscher : Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Tout d'abord, nous avons adopté une stratégie visant à repérer les cas et les réseaux de plus grande envergure, car nous croyons que cela sera plus intéressant et utile pour les organismes d'application de la loi.

Ensuite, notre base de données contient de plus en plus de renseignements et, au fil des années, nous avons pu créer une plus grande collection d'informations sur les opérations. Cela explique en partie l'augmentation du nombre d'opérations déclarées.

Il est difficile, à partir des renseignements que nous divulguons, d'estimer l'ampleur du blanchiment d'argent ou du financement d'activités terroristes au Canada. Les chiffres sont tout de même éloquents car on observe une augmentation considérable du nombre de communications. Les cas sont de plus en plus fréquents et complexes, particulièrement en ce qui a trait au blanchiment d'argent, au financement d'activités terroristes et aux menaces à la sécurité nationale. La valeur de ces opérations est importante et, dans le cas des activités terroristes, elle est préoccupante.

Nous verrons que la tendance se maintient au cours de l'année à venir et nous en ferons état dans notre prochain rapport annuel. Nous n'avons pas terminé de vérifier toutes les données, mais il y aura une hausse sensible dans ces deux catégories.

Le sénateur Meighen : Cela peut simplement résulter du fait que vous travaillez plus efficacement en ratissant large et en utilisant des techniques plus raffinées.

Si vous disposiez de plus de ressources, croyez-vous que vous attraperiez de plus gros poissons qui, autrement, passeraient au travers du filet? Avez-vous suffisamment de ressources pour au moins interrompre le flux des opérations illégales?

M. Intscher : Il est toujours tentant de dire oui, nous devrions avoir davantage de ressources. C'est certain que nous ne les refuserions pas, mais nous n'en faisons pas particulièrement la demande.

Comme je l'ai déjà indiqué, nous avons pu améliorer notre rendement grâce à une banque de données plus exhaustive, à une stratégie ciblée et à une expérience grandissante dans le domaine. Notre centre existe depuis déjà cinq ans. Nous sommes désormais en mesure de voir et de faire des choses dont nous étions incapables au début.

Le sénateur Meighen : Vos ressources ont-elles augmenté ou sont-elles demeurées les mêmes?

M. Intscher : On nous a affecté plus de ressources lorsqu'on a élargi notre mandat pour y inclure les activités visant à déceler et à décourager le financement d'activités terroristes. Sinon, nos ressources sont restées stables. Si l'on en vient à élargir notre mandat comme l'indique le document de consultation du ministère des Finances, des ressources supplémentaires seront nécessaires pour, entre autres, exiger l'inscription des entreprises de transfert de fonds ou de vente de titres négociables ou permettre l'application de sanctions administratives pécuniaires afin d'encourager le respect des règles.

L'expansion de notre base de données, notre stratégie et notre vaste expérience nous ont aidés à faire face à une telle complexité.

Le sénateur Meighen : Quelles sont les mesures que vous avez prises afin de protéger le droit à la vie privée des Canadiens dans votre collaboration avec des organisations financières internationales et des services de renseignements?

M. Intscher : Les renseignements que nous communiquons aux organismes nationaux chargés de l'application de la loi — étant donné qu'il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire relativement aux entités étrangères — sont régis par un seuil de divulgation. On se doit de communiquer des renseignements financiers lorsqu'ils sont susceptibles de faciliter les enquêtes ou les poursuites pour blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes.

Nous ne pouvons communiquer les renseignements qu'aux entités étrangères avec qui nous avons conclu un protocole d'entente régissant les échanges d'information. L'information ne peut être divulguée qu'à une organisation analogue; autrement dit, à une autre organisation comme la nôtre. L'autre organisation doit nous consulter avant de communiquer nos renseignements. Comme dans le cas des communications nationales, ce que nous transmettons aux entités étrangères concerne les opérations, notamment les personnes qui les ont effectuées, les endroits et les montants. Nous ne communiquerions pas de renseignements quand cela n'est pas justifié ou de l'information qui nous sert à faire des analyses approfondies. Nous fournissons strictement le même genre de renseignements que ceux divulgués à l'échelle nationale.

Le sénateur Meighen : Combien de protocoles d'entente avez-vous conclus?

M. Intscher : Nous en avons signé récemment quelques-uns de plus, alors nous en comptons actuellement 39. Dans la pratique, nous échangeons assez régulièrement des renseignements en vertu de 9 ou 10 de ces protocoles. Les autres ont été conclus parce qu'il arrive que nous fassions face à des cas impliquant des transactions effectuées dans les pays visés, que nous pourrions vouloir interroger. Certains protocoles d'entente présupposent des initiatives de l'autre partie, étant donné que celle-ci souhaite échanger de l'information avec nous.

Le sénateur Goldstein : Nous avons entendu la dernière fois, et nous entendons et lisons de nouveau aujourd'hui que le CANAFE est perçu dans le monde comme un leader dans son domaine. Il est certain que nous respectons les normes internationales. La dernière fois, j'ai cru comprendre que vous aviez 30 protocoles d'entente en vigueur. Vous croissez de façon exponentielle. Vous avez maintenant conclu 39 protocoles d'entente. Si vous revenez ici à la fin juin, ce nombre s'élèvera à 56, ce qui nous conviendra tous parfaitement.

La recherche de la divulgation et le besoin de confidentialité s'opposent dans un jeu à somme nulle. Plus vous avez accès à des renseignements pour faire votre travail, moins l'intégrité de la vie privée des personnes concernées sera préservée. La divulgation des renseignements et le droit à la vie privée sont une préoccupation pour tous les Canadiens.

Personne ne conteste la pertinence et la nécessité des activités bien combinées que vous menez en ce qui concerne le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. La question est de savoir jusqu'à quel point ces activités sont nécessaires. Dans quelle proportion avez-vous besoin de ce pouvoir pour accomplir votre travail de façon efficace et efficiente, tout en tenant compte du fait que les Canadiens ont également le droit à la vie privée?

Autrement dit, dans une société libre, on doit assumer certains risques. On doit tolérer un certain degré de divulgation des renseignements ainsi que l'application de mesures dont la société se passerait bien. Au prix fort à payer pour mettre un terme à ces activités illégales s'ajoute celui de l'atteinte au droit à la vie privée.

Premièrement, où se trouve l'équilibre? Deuxièmement, y a-t-il quelqu'un à votre agence qui s'efforce de le garantir? Troisièmement, dans quelle mesure, s'il y a lieu, le commissaire à la vie privée, que nous entendrons plus tard, est-il en mesure d'interagir avec vous pour régler les questions liées à la protection des renseignements personnels?

M. Intscher : Premièrement, la loi vise à établir un juste équilibre entre les besoins des organismes d'enquête et le droit des citoyens à la vie privée. On a soigneusement étudié cet équilibre, et on en a débattu en profondeur lors de l'adoption de la loi.

Nous avons entrepris de mettre en pratique cet équilibre et ce besoin de protection des renseignements personnels au moyen d'un certain nombre de mesures. Nous protégeons l'information et effectuons un contrôle des employés qui y ont accès. On ne peut y accéder de l'extérieur. En vertu de la loi, nous sommes tenus de détruire les renseignements au bout d'un certain temps. Lorsque notre analyse révèle des renseignements qui peuvent être pertinents dans le cadre d'une enquête relative au blanchiment d'argent ou au financement d'activités terroristes, nous soumettons ces renseignements à un processus de contre-vérification. J'assume la présidence du comité de divulgation dans notre agence. Je ne participe pas à la préparation des dossiers. Mon rôle, et celui de certains membres du comité, consiste à contre-vérifier les renseignements pour nous assurer, d'abord, qu'ils respectent le seuil de divulgation des renseignements; ensuite, qu'il méritent d'être divulgués et qu'il ne s'agit pas d'un cas frivole; et enfin, que la divulgation que nous nous proposons de faire est permise. Toutefois, les renseignements que nous divulguons ne représentent qu'une infime portion de l'information que nous détenons au sujet de ces transactions. Ils sont liés à l'identité de la personne qui a effectué la transaction, à l'endroit et au moment où celle-ci a eu lieu, ainsi qu'au montant et au type de transaction, etc. Dans l'industrie, on appelle cela de l'« information essentielle ». Toute information additionnelle à laquelle les organismes d'enquête désirent avoir accès peut seulement être obtenue au moyen d'une ordonnance émise par les tribunaux.

Je suis un ardent défenseur de la protection des renseignements personnels, comme je l'ai été tout au long de ma carrière. J'insiste particulièrement sur cette protection à l'agence. C'est une valeur que tout le monde dans notre organisme saisit parfaitement. Je ne crois pas qu'il s'écoule un seul jour sans qu'on nous la rappelle et qu'on insiste sur la nécessité de la respecter.

Nos fonds de données sont assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous avons fourni une abondante quantité de renseignements au commissaire à la protection de la vie privée depuis la création de l'agence. À ma connaissance, il n'y a jamais eu de divulgation non autorisée de renseignements. Rien n'est laissé au hasard. Tout doit être fait de façon formelle et par écrit. Je suis persuadé qu'aucune divulgation non autorisée n'a été faite.

Le sénateur Campbell : En arrivant à la maison après notre dernière séance, j'ai vu les grands titres du Vancouver Sun qui faisaient état d'un cas de blanchiment d'argent de plus de 200 millions de dollars ayant été révélé au grand jour grâce à vos activités. Permettez-moi de vous féliciter.

Il s'agit d'une affaire incroyable, qui a été largement couverte par les médias. On précisait que vous aviez participé à l'opération. Toutes mes félicitations. Y a-t-il un comité de surveillance qui vérifie la teneur de l'information divulguée? Si j'ai bien compris, un comité de surveillance est l'équivalent d'un comité de divulgation. Est-ce exact?

M. Intscher : Le comité de divulgation est un comité de surveillance interne composé du président, des vice- présidents, des directeurs adjoints de l'agence et de moi-même. Quelques membres du comité prennent part au processus de constitution des dossiers. Le reste d'entre nous n'y participe pas; nous assurons la contre-vérification des données.

Le sénateur Campbell : Croyez-vous qu'il serait utile de bénéficier d'une surveillance externe pour examiner la dimension relative aux renseignements? Je me rends également compte que vous avez dit que cette surveillance n'était pas un problème, ce que j'admets.

Je déteste attendre qu'il se produise quelque chose avant de mettre en place des mesures de protection. Peut-être serait-ce là une réponse à certaines de nos questions.

M. Intscher : Nous sommes déjà assujettis à ce type de surveillance en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. N'importe quel citoyen qui croit ou soupçonne que nous détenons ou divulguons de l'information à son sujet peut nous soumettre une demande d'information en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. S'il est insatisfait de notre réponse, il peut demander au commissaire à la protection de la vie privée de faire enquête.

Mais cela ne s'est jamais produit. Nous avons reçu un certain nombre de demandes d'accès à l'information en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais je crois que les demandeurs ont été satisfaits des réponses obtenues.

Le président : Je crois que le sénateur Campbell a fait allusion à la préoccupation de ce comité. Nous venons de publier notre rapport concernant la consommation. Nous croyons en l'autoréglementation, mais également en l'analyse indépendante des plaintes des consommateurs dans un secteur d'activité particulier. En lisant notre rapport, je crois que vous comprendrez la philosophie du comité. Nous tenons à résoudre les problèmes, qu'ils touchent la protection des renseignements personnels ou les consommateurs, ainsi qu'à trouver un mécanisme qui est de votre ressort sans empiéter sur vos responsabilités, mais qui entraîne des réactions rapides et immédiates. C'est un aspect que nous examinerons en finalisant notre rapport.

Le sénateur Moore : Vous avez dit avoir conclu 39 protocoles d'entente. Visent-ils le partage des renseignements jusqu'à un certain point seulement, ou 10 000 $ est-il le seuil dont les pays concernés et votre centre ont convenu?

M. Intscher : Le seuil de 10 000 $ s'applique à la déclaration de transactions portant sur des grands montants effectuées au moyen de télévirements internationaux. Il n'existe aucun seuil pour les transactions douteuses. Elles peuvent être d'un dollar seulement.

Le sénateur Moore : Est-on obligé de vous déclarer, au minimum, les transactions de 10 000 $?

M. Intscher : Le régime varie d'une unité du renseignement financier à l'autre. Dans certains cas, le seuil objectif de déclaration est de 25 000 ou 30 000 $. Dans certains pays, ce seuil est établi à 2 000 ou 3 000 $. Chaque unité du renseignement financier, ou URF, partage des renseignements selon les lois de son pays. Si nous étions en mesure de partager des renseignements impliquant certaines transactions portées à notre connaissance, les autres unités pourraient en faire de même.

Le sénateur Moore : À la deuxième page, on parle d'un cas de blanchiment d'argent. Combien de temps a-t-il fallu à ses auteurs pour tout mettre au point, et quand en avez-vous eu vent pour la première fois? C'est une affaire très complexe.

M. Intscher : Nous avons vu des cas où des dispositifs complexes avaient été mis en place sur plusieurs années. Ces activités se poursuivaient parfois pendant longtemps avant que quelqu'un ne soit capable de rassembler l'information et de découvrir l'affaire.

Je ne peux pas entrer dans les détails, mais il y a quelques mois, nous avons mis au jour une affaire impliquant un réseau complexe d'entreprises créées au milieu des années 1990. Un fort volume de transactions ont été réalisées pendant sept ou huit ans. À la suite d'un travail d'analyse, nous avons pu soulever un coin du voile, ce qui a piqué notre curiosité, puis nous avons monté un dossier.

Nous pensons que divers réseaux comme celui-là sont actifs depuis un certain temps déjà.

Le sénateur Moore : Dans cette affaire, monsieur Bulatovic, l'argent provenait-il d'un autre pays?

M. Bulatovic : Lorsque nous recevons des transferts électroniques de fonds en provenance de l'étranger, nous ne faisons pas toujours...

Le sénateur Moore : D'où venait l'argent? Ces fonds étaient-ils le produit d'activités criminelles?

M. Bulatovic : Dans le pays concerné, ces fonds ont été inscrits par l'URF comme potentiellement liés au blanchiment d'argent.

Le sénateur Moore : D'où cet argent venait-il? D'où les blanchisseurs le tiraient-ils?

M. Bulatovic : L'argent était transféré d'un autre pays vers le pays où l'URF...

M. Intscher : Vous voulez savoir de quelle activité venait l'argent. Dans cette affaire, nous n'avons pas pu l'apprendre. Mais dans certains cas, des indicateurs révèlent clairement la source. Néanmoins, compte tenu que ces fonds provenaient d'une URF étrangère, nous acceptons leurs conclusions selon lesquelles il s'agit de blanchiment d'argent. Dans certains pays, les informations relatives aux infractions sous-jacentes au blanchiment de capitaux sont limitées; dans d'autres, elles sont très accessibles.

Nous avons observé que probablement 60 à 65 p. 100 des divulgations que nous avons faites sont liées aux produits issus du trafic de drogue.

Le sénateur Moore : Combien de temps a-t-il fallu avant que ces transactions soient découvertes? Était-ce l'affaire d'un mois ou de quelques années?

M. Bulatovic : Il a fallu environ cinq mois pour réunir les éléments du dossier, mais les données concernant les transactions financières s'étalaient sur une période de deux à trois ans.

Le sénateur Moore : Votre centre emploie autour de 180 personnes et dispose d'un budget annuel d'environ 132 millions de dollars. À elle seule, cette transaction dépassait les 2,1 millions de dollars américains, soit 2,2 millions de dollars canadiens. Quel volume votre centre traite-t-il annuellement? Cela doit se traduire en centaines de millions.

Je trouve que vous accomplissez du bon travail, et j'aimerais que le public sache ce que vous faites.

M. Intscher : Dans notre rapport annuel, il y a un an, nous avons précisé avoir mis au jour 142 cas, je crois, dont la valeur totale des transactions s'élevait à 2,1 milliards de dollars, ce qui représente plus du double de l'année précédente, où nous avions également doublé le montant de l'année d'avant.

J'ai fortement l'impression que le rapport annuel pour l'année en cours fera état d'un autre doublement de volume, si ce n'est pas davantage.

Le sénateur Moore : Qu'advient-il des fonds que vous saisissez?

M. Intscher : Nous ne les saisissons pas vraiment. Nous fournissons des renseignements aux organismes d'application de la loi, qui mènent leurs enquêtes. Il nous a fallu cinq mois seulement pour rassembler ces renseignements. Il faudrait un jour mettre sur pied une équipe d'application de la loi qui procéderait aux enquêtes.

Le sénateur Moore : Les produits de la criminalité sont-ils versés au Trésor?

M. Intscher : Ils sont intégrés aux recettes générales.

Le président : J'aimerais remercier nos témoins. Nous allons entendre deux autres groupes de témoins, qui nous parleront de questions liées à vos activités. J'apprécierais que vous restiez avec nous pour entendre leurs témoignages. Si vous souhaitez y réagir, faites-nous parvenir vos commentaires par écrit. Nous voulons garantir un certain équilibre dans nos audiences.

Monsieur Intscher, toutes nos félicitations, à vous et à votre équipe. Vous avez accompli un travail remarquable. Votre mission est très importante et fort intéressante. Je pense que, de l'avis de tous, notre comité doit recommander qu'on vous alloue davantage de ressources, car votre travail est vital pour la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Il indique clairement que le Canada monte la garde.

Nous avons le plaisir d'entendre maintenant des représentants du Commissariat à la protection de la vie privée et du Commissariat à l'information. Nous avons parmi nous Raymond D'Aoust, Kris Klein, Carman Baggaley, Alan Leadbeater et Daniel Brunet.

Nous avons des contraintes de temps; par conséquent, pourriez-vous limiter vos présentations au temps indiqué sur l'ordre du jour? Nous allons remettre tous vos documents au comité, et nous les examinerons soigneusement. Nous sommes ici pour faire un examen approfondi et comprendre pleinement vos préoccupations. Veuillez commencer.

[Français]

Raymond D'Aoust, commissaire adjoint à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée : Monsieur le président, permettez-moi de vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant votre comité sur l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, chap. 17) conformément à l'article 72 de ladite loi. Je suis accompagné aujourd'hui de mes collègues M. Carman Baggaley et M. Kris Klein. Ma déclaration aujourd'hui représente un sommaire du mémoire que nous déposons.

J'aimerais mentionner que faire l'évaluation de cette législation représente un défi considérable pour un organisme comme le nôtre, et ce, même après avoir rencontré les représentants du ministère des Finances et du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et après avoir analysé les témoignages des autres témoins que vous avez entendus. Nous ne connaissons toujours pas l'étendue du problème. Nous ne savons pas si le système actuel est efficace et donc, il est difficile de bien déterminer si des changements législatifs sont vraiment nécessaires.

[Traduction]

Le régime mis en place conformément à la loi est nouveau et constitue une étape marquante. La nouveauté est caractérisée par la mesure selon laquelle les entreprises privées sont tenues d'agir comme des agents de l'État. Conformément à d'autres initiatives gouvernementales, des entités privées, les compagnies aériennes par exemple, doivent communiquer à des organismes gouvernementaux certains renseignements personnels à des fins d'enquête, mais elles ne doivent pas recueillir plus de renseignements que ceux dont elles ont besoin aux strictes fins de leurs activités. On ne demande pas aux compagnies aériennes de porter de jugement. Le régime crée un précédent, en ce sens qu'il met en place une approche de déclaration obligatoire grâce à laquelle des fonctionnaires peuvent accéder à des renseignements personnels à des fins d'enquête, sans avoir à obtenir d'autorisation judiciaire ni à satisfaire aux critères fondés sur des motifs raisonnables et probables.

Comme le mentionnait Stanley Cohen lors de sa comparution devant le comité le mois dernier, l'organisme chargé de lutter contre le blanchiment d'argent au Canada, le CANAFE, tout comme l'ensemble du système de déclaration obligatoire de transactions douteuses, est novateur et de nature à créer un précédent. Il met à l'épreuve les limites de l'autorité constitutionnelle. Cette loi est attentatoire et va à l'encontre du principe de protection de la vie privée. Elle traite toute personne comme un suspect et nuit aux mesures de protection de la vie privée déjà en place, notamment en refusant aux personnes le droit d'accéder aux renseignements personnels les concernant en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

Compte tenu de la nature envahissante du projet de loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, nous prions instamment le comité d'examiner de près les propositions que nous avons soumises en vue de le modifier. Si ces propositions sont acceptées, les organisations tenues de surveiller leurs clients et de recueillir des renseignements sur eux seront plus nombreuses, les renseignements personnels recueillis seront eux aussi plus nombreux, et de plus en plus de transactions seront scrutées et déclarées. Le nombre de personnes dont les transactions financières seront examinées sera plus important que jamais et les mesures de protection du régime auront moins de poids.

Nous comprenons que le blanchiment d'argent appuie et encourage les activités criminelles, et nous savons également que le financement des groupes terroristes constitue une menace à notre sécurité et à celle du reste du monde. Notre but n'est pas de nier ou de remettre en question la nécessité de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, mais plutôt de déterminer si le régime proposé constitue la meilleure façon de débusquer les personnes responsables du blanchiment d'argent et du financement de groupes terroristes et de les traduire en justice.

[Français]

En tant que représentant du Commissariat à la protection de la vie privée, il est de notre devoir d'insister auprès du comité que soit entrepris un examen approfondi de la proportionnalité des mesures envisagées en rapport aux problèmes réels que l'on souhaite régler avec ces mesures. En l'absence de preuves empiriques concrètes, il est très difficile d'établir avec certitude la nécessité de modifier la loi actuelle.

Je vous remercie encore une fois de nous avoir invité et il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

J. Alan Leadbeater, sous-commissaire à l'information du Canada, Commissariat à l'information du Canada : Le commissaire à l'information a des réserves en ce qui concerne non pas tant le fait que la loi permet trop le secret que la façon dont ce secret est consenti. Pour vous aider à suivre mon argumentation, je vous ai remis des articles de la loi sur lesquels j'aimerais attirer votre attention.

Le premier est l'article 24 de la Loi sur l'accès à l'information. Il nous pose problème. L'article 4 de la loi en question oblige les institutions gouvernementales à refuser de divulguer tout document demandé en vertu de la Loi sur l'accès à l'information qui est inscrit à l'annexe 2 de la loi. À l'article 85, juste en dessous, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ajoute certaines dispositions légales à l'annexe 2 de la Loi sur l'accès à l'information. Cela signifie que les renseignements fournis au CANAFE ainsi que les renseignements préparés par celui-ci doivent obligatoirement être tenus secrets pour toujours en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le commissaire à l'information est d'avis que bien qu'un certain degré de confidentialité soit nécessaire pour une organisation comme celle-là, le fait de garder le secret à tout jamais et en toutes circonstances, sans considération pour l'intérêt public, est incompatible avec l'obligation de rendre des comptes de cette organisation. La Loi sur l'accès à l'information prévoit des exemptions adéquates pour protéger les renseignements, mais pas en tout temps, et pas sans satisfaire à certains critères subjectifs.

Tandis que cette entité examine le corps de la loi, une entité similaire a étudié les applications de la Loi sur l'accès à l'information, il y a quelques années, et a recommandé que l'article 24, que je viens de mentionner, soit aboli. Nous ne devrions pas enchâsser dans la loi ces dispositions qui prescrivent le secret pour toujours en ne tenant pas compte de l'équilibre fragile entre la confidentialité et la transparence que garantit la Loi sur l'accès à l'information.

Par le passé, nous avons déjà fait valoir cet aspect ésotérique. Nous avons perdu la bataille, mais nous espérons que vous tiendrez compte de ce point de vue et que vous accepterez notre proposition d'abroger l'article 85 de la loi. La Loi sur l'accès à l'information prévoit des exemptions adéquates pour la protection de tous ces renseignements.

Le sénateur Meighen : Le Commissariat à la protection de la vie privée a-t-il reçu des plaintes concernant la divulgation indue d'informations personnelles dans le contexte des lois dont nous parlons?

M. D'aoust : Nous en avons reçu une, mais elle n'est pas liée au blanchiment d'argent.

Le sénateur Meighen : Mon autre question concerne les délais de cinq et huit ans pour la conservation de renseignements et de rapports par le CANAFE. Ces délais correspondent-ils aux pratiques en vigueur dans les autres pays, et estimez-vous qu'ils sont trop longs, ou bien trop courts?

M. D'aoust : Je vais céder la parole à M. Baggaley, qui a étudié cette question en profondeur.

Carman Baggaley, analyste principal des politiques, Commissariat à la protection de la vie privée : Nous n'avons pas examiné les lois des autres pays. Les délais de cinq et huit ans n'ont pas nécessairement une incidence pour nous. Nous reconnaissons que le CANAFE peut mettre un certain temps à effectuer l'analyse. Nos préoccupations concernent davantage la nature intrinsèque du programme.

Nous sommes heureux de voir que des délais de conservation sont spécifiés, ce qui n'est pas toujours le cas dans les lois. Il existe d'autres programmes qui ne précisent aucune période de conservation particulière au-delà de laquelle les renseignements doivent être détruits. En ce sens, l'établissement de délais de conservation est un élément positif de la loi.

Le sénateur Meighen : Peut-être l'avez-vous déjà dit et que ça m'a échappé, mais quels sont ces délais dans les autres pays?

M. Baggaley : Je ne peux répondre à cette question. Nous l'ignorons.

[Français]

Le sénateur Meighen : Monsieur D'Aoust, doit-on tenir pour acquis que par rapport à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes l'équilibre est faussé et devrait être corrigé?

M. D'Aoust : Oui, c'est ce qu'on pense. Le commissaire Bruce Phillips s'est d'ailleurs prononcé à ce sujet au moment où la loi a été adoptée. On pense qu'avec les propositions d'amendement, l'équilibre est nettement menacé parce que la protection de la vie privée, c'est beaucoup plus que la protection des renseignements personnels.

Il ne fait aucun doute que les agents prennent leurs responsabilités très au sérieux sur le plan de la protection des renseignements personnels. Sauf qu'avec les amendements qui sont proposés, on va tisser la toile beaucoup plus large pour capter de l'information sur beaucoup plus de gens. Cela nous préoccupe au plus haut point.

Le sénateur Goldstein : La réponse à la question qui vient de vous être posée m'a soulagé un peu, mais j'en aurais une deuxième. Votre présentation est excellente. À la page 3, vous dites :

[Traduction]

À la page 3, vous déclarez :

Nous reconnaissons qu'il est difficile d'estimer la somme d'argent blanchie et de cerner la portée générale du problème, mais sans ces éléments d'information, nous ne sommes pas en mesure de déterminer de façon raisonnable si les répercussions pour la vie privée du régime sont proportionnelles par rapport aux problèmes qu'il est censé régler.

Vous étiez ici tout à l'heure, lorsque j'ai posé la question aux autres témoins. Cet aspect nous préoccupe, certains de mes collègues et moi-même. De quoi avez-vous besoin, ou comment vous y prenez-vous pour déterminer dans quelle mesure les amendements qu'on propose maintenant, qui permettraient de ratisser plus large, sont nécessaires pour que le CANAFE puisse, de façon efficace et efficiente, mener à bien le mandat qui lui est conféré par la loi? De quoi avez- vous besoin pour nous aider à juger si ces amendements sont appropriés ou non? Nous ne disposons d'aucun critère et, jusqu'ici, le CANAFE ne nous a aucunement indiqué que ces pouvoirs additionnels étaient nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

M. D'Aoust : C'est une bonne question, qui mérite réflexion. Je vais quand même tâcher d'y répondre.

Le ministère des Finances et le CANAFE doivent manifestement démontrer ce qui a été accompli au fil des ans et fournir des preuves empiriques à l'appui de la nécessité de ces amendements. Comment ceux-ci amélioreraient-ils l'efficacité de leur régime? Si nous disposions d'une telle preuve, nous pourrions dire si cela semble raisonnable ou non. Mais nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer là-dessus.

Ensuite, peut-être qu'une vérification du CANAFE permettrait de mieux comprendre la nécessité d'élargir le réseau de surveillance. Nous n'avons pas effectué de vérification auprès du CANAFE même s'il est assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Goldstein : Pourquoi ne le faites-vous pas?

M. D'Aoust : C'est une question de ressources.

Je peux cependant vous dire que le CANAFE figure dans notre plan de vérification à long terme. Certes, nous pouvons examiner la question de plus près. Nous avons des ressources limitées pour les vérifications. Notre équipe de vérificateurs compte à peu près six ou sept personnes. Nous avons récemment fait état, dans notre rapport annuel, d'une vérification importante qui a duré dix-huit mois, celle de l'Agence des services frontaliers du Canada. C'est ce qu'il faudrait pouvoir déterminer.

Le sénateur Goldstein : L'Agence des services frontaliers du Canada ne suit pas les données qu'elle transmet aux États-Unis.

M. D'Aoust : C'est exact.

Le sénateur Goldstein : L'avez-vous constaté dans votre vérification?

M. D'Aoust : Oui.

Le sénateur Goldstein : Que vous faudrait-il pour vous inciter à effectuer une vérification du CANAFE plus rapidement?

M. D'Aoust : Notre directeur général de la vérification et de l'examen a prévu la vérification du CANAFE en 2008- 2009, je crois, c'est-à-dire dans deux années financières.

Le sénateur Goldstein : Je ne veux pas qu'on pense que je critique le CANAFE. J'estime qu'il fait du très bon travail avec les ressources dont il dispose. Ce qui m'inquiète, comme nous tous ici, c'est l'équilibre que notre société libre doit trouver pour les activités de cette nature.

Le sénateur Campbell : Je vais revenir à la question que j'ai posée aux témoins précédents sur la surveillance. J'essaie de faire correspondre ce qu'on a dit et ce que je lis dans les diverses dispositions des lois. Je pensais, en fait, avoir compris que, si je veux savoir si le CANAFE a des informations sur moi, je n'ai qu'à faire une demande pour qu'on me réponde. Selon l'article 85 de la loi, aucune réponse n'est fournie, n'est-ce pas?

M. Leadbeater : L'article 85 traite des renseignements autres que personnels. Les demandes de renseignements personnels sont assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette loi n'a pas de dispositions ou d'annexes semblables. Vous pouvez avoir accès à vos renseignements personnels sans problème de confidentialité. Par ailleurs, si vous voulez connaître des informations plus comparatives et générales, c'est le secret le plus complet.

Le sénateur Campbell : On nous dirait oui, nous le savons, mais nous ne pouvons rien vous dire.

Cela semble être à géométrie variable. La perte du droit à la vie privée a-t-elle un prix? Nous savons qu'il est question de deux milliards de dollars. Si le problème atteint quatre milliards de dollars, est-ce à dire qu'il est plus important et qu'il faudrait assouplir un peu les règles? Je crois que vous avez dit que c'était à la page 3 du rapport, sénateur Goldstein. Je ne l'ai pas trouvé.

Le sénateur Goldstein : Ce n'est pas cela qu'on dit, sénateur. Si j'ai bien compris, on indique que, pour bien évaluer la portée des pouvoirs supplémentaires requis, le Commissariat à la protection de la vie privée a besoin de savoir quelle est l'ampleur du problème de blanchiment d'argent au Canada. C'est ainsi que je le comprends. C'est un problème.

Le sénateur Campbell : Nous savons qu'il double chaque année jusqu'à deux milliards de dollars.

Le sénateur Goldstein : Il faut savoir si doubler ou augmenter les ressources permettrait d'obtenir plus de renseignements sur le blanchiment d'argent ou si le rendement est décroissant. Nous ne le savons pas et j'imagine que c'est seulement une vérification qui pourra nous le dire.

Le sénateur Campbell : Vous demandez-vous — ou est-il impossible de le savoir — à qui les renseignements sont transmis dans l'ensemble du système? Le CANAFE a des informations. Disons qu'il les transmet à la GRC, qui les relaie à son tour aux douanes américaines, et ainsi de suite. Craignez-vous qu'il n'y ait aucun moyen de suivre l'information ou de savoir qui y a accès?

M. Leadbeater : J'ai un bref commentaire à faire. Je sais que l'exemption de confidentialité a été prévue pour encourager les gens à faire des déclarations volontaires, et c'est pourquoi on promet la confidentialité. Cependant, cette promesse est compromise par d'autres dispositions de la loi qui autorisent la divulgation à beaucoup de sources, comme les services d'application de la loi, d'autres pays et d'autres administrations, par exemple. Cette promesse est même trompeuse pour les Canadiens puisque le sceau du secret existe ici, pour la population canadienne, mais qu'il ne s'applique pas à beaucoup d'autres administrations et organismes.

M. D'Aoust : Il est possible de savoir où sont transmis les renseignements. En fait, nous avons fait de la conversion de données dans le cadre de notre vérification de l'ASFC. Nous avons les moyens et les outils pour le faire. Nous n'avons pas fait cette conversion pour le CANAFE. Évidemment, le tableau qu'on vous a remis montre que le CANAFE effectue son propre contrôle. Je crois d'ailleurs qu'il le fait probablement avec beaucoup de rigueur.

Encore une fois, je demanderais si ces 34 protocoles d'entente ont été vérifiés par le CANAFE pour être certain que les bénéficiaires respectent les principes de protection des renseignements personnels. Depuis quelques années, c'est pour nous un cadre de gestion solide pour la protection des renseignements personnels que d'utiliser les mécanismes de contrôle interne, si vous voulez, pour veiller à ce que la vie privée soit respectée.

Le sénateur Campbell : Vous avez dit avoir reçu une plainte qui n'était pas liée au blanchiment d'argent. Essayons- nous de prévenir ce qui peut arriver ou d'élaborer un système qui suit les meilleures pratiques?

M. D'Aoust : Je pense qu'on essaie de suivre les meilleures pratiques. Actuellement, les pratiques à la fine pointe de la technologie sur le plan de la protection des renseignements personnels sont utilisées par ces organisations qui disposent des contrôles internes voulus par assurer la confidentialité. On ne peut pas attendre la visite de vérificateurs comme nous ou encore le dépôt d'une plainte. Nous ne sommes pas surpris qu'il n'y ait pas plus de plaintes parce que les citoyens ne connaissent pas le CANAFE ni les renseignements qu'il recueille. Par conséquent, il n'est pas surprenant que nous ne recevions pas de plaintes.

Le président : Je me pose quelques questions parce que vous avez abordé de grandes questions stratégiques. Vous pouvez voir, d'après leurs questions, que les sénateurs s'interrogent sur les objectifs stratégiques qui sont incompatibles. D'un côté, il est évident que le blanchiment d'argent et la criminalité augmentent au Canada. De l'autre, nous voulons préserver la vie privée des citoyens canadiens. Dans un sens, sans être contradictoires, ces deux enjeux sont incompatibles avec d'importantes questions d'intérêt public.

Avez-vous examiné ce qui se passe ailleurs, disons aux États-Unis, pour voir comment ce pays s'attaque au problème à l'intérieur et à l'extérieur de ses agences? J'aimerais savoir si des réformes internes au sein des agences garantissent le respect des objectifs de protection de la vie privée par ces agences. On sait que beaucoup d'agences de renseignement effectuent des vérifications internes pour veiller à ce que certains de leurs services n'outrepassent pas leurs pouvoirs. Avez-vous pensé à implanter des contrôles au sein du Centre, du CANAFE, afin d'assurer un certain équilibre dès le départ?

Si vous n'avez pas réfléchi à la question, vous pourriez peut-être examiner ce qui se fait ailleurs et nous le faire savoir par écrit.

De plus, il semble y avoir quelques contradictions entre les rôles du commissaire à la protection de la vie privée et du commissaire à l'information. D'un côté, nous voulons plus d'informations, et de l'autre, nous voulons que les informations soient mieux protégées. Ce sont deux objectifs importants, mais leur contradiction interne doit évidemment être résolue pour qu'ils puissent tous les deux être respectés de façon normative.

Pouvez-vous nous indiquer comment vous pourriez faire des contrôles ponctuels pour vous rassurer, sans effectuer de vérification complète, un peu comme le fait la vérificatrice générale? Elle ne vérifie pas les livres du Canada, mais fait des vérifications ponctuelles pour s'assurer que les organismes respectent leurs grands objectifs ainsi que ceux du commissaire à l'information et du commissaire à la protection de la vie privée.

Nous avons trois différents objectifs, tous positifs, tous importants, et pourtant il faut concevoir le modèle canadien qui permettra de les concilier à la satisfaction de nos citoyens.

Pouvez-vous nous donner votre opinion là-dessus? Vous avez exposé une approche impressionnante et expliqué que c'est un grave problème. Nous le comprenons. Nous aimerions avoir votre avis d'expert afin de pouvoir proposer une formule acceptable. Vous pouvez constater que tous les sénateurs s'intéressent à la question. Nous voulons que le CANAFE poursuive son excellent travail. Nous savons que c'est une vive préoccupation. Les sénateurs ont proposé que le CANAFE obtienne plus de ressources. Vous avez indiqué ne pas avoir assez de ressources pour même effectuer une petite vérification auprès d'une agence importante.

Nous avons besoin de votre aide à ce sujet et nous devons également respecter le budget des contribuables. Vous pourriez peut-être réfléchir à la question et nous répondre par écrit. Nous n'aurons pas terminé notre rapport avant l'automne. Nous tiendrons peut-être aussi d'autres audiences, et il est possible que nous vous convoquions de nouveau. Cependant, cette question est cruciale et nous voulons agir dans l'intérêt public.

Je veux remercier les témoins d'être venus nous rencontrer. La prochaine partie des audiences du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce sur le recyclage des produits de la criminalité sera télévisée, de sorte que vous serez vus et entendus d'un océan à l'autre et ailleurs dans le monde, grâce à Internet.

Nous sommes heureux de recevoir notre troisième groupe de témoins. Vous êtes invités à faire une brève déclaration, après quoi les sénateurs vont rapidement se concentrer sur les questions importantes. Bienvenue à tous. Nous allons commencer par M. Law.

Warren Law, premier vice-président, Opérations générales et chef du contentieux, Association des banquiers canadiens : Honorables sénateurs, merci de nous donner l'occasion de venir vous exprimer le point de vue du secteur bancaire dans le cadre de votre examen du régime canadien de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes, en particulier la Loi et sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et ses règlements.

Je suis le premier vice-président et chef du contentieux de l'Association des banquiers canadiens. Je suis accompagné aujourd'hui d'experts des banques sur le blanchiment d'argent. Je vous présente Stephen Harvey, directeur de la Division mondiale, Programmes de lutte contre le blanchiment de fonds, à la CIBC, et Bill Dennison, directeur et chef de la conformité en matière de lutte contre le blanchiment de fonds, à la Banque de Montréal. Je ferai d'abord quelques brefs commentaires avant de répondre à vos questions.

[Français]

Le secteur bancaire canadien reconnaît son rôle dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Il a toujours soutenu les efforts du gouvernement du Canada pour élaborer un régime efficace dans ce domaine.

Nous croyons que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et ses règlements ont fourni, au fil des ans, une solide plateforme à l'élaboration d'un régime efficace. Les banques ont investi des dizaines de millions de dollars dans le développement et la mise en œuvre de systèmes automatisés de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes afin de se conformer aux normes réglementaires qui leur sont imposées.

Le secteur bancaire est proactif lorsqu'il s'agit de respecter ses obligations et nous continuerons de prendre ces dernières au sérieux. Cependant, il y a toujours place à l'amélioration et nous croyons que le présent examen fournit une excellente occasion de combler les lacunes du régime actuel en modifiant les dispositions existantes ou en adoptant de nouvelles mesures.

[Traduction]

À l'évidence, l'un des objectifs les plus fondamentaux et vitaux des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes doit être de protéger le système financier contre les activités criminelles, mais cette protection doit être assurée de façon équilibrée. Ce type de régime est unique en son genre car, pour fonctionner efficacement, il doit interagir avec un vaste éventail d'acteurs, tels que les organismes d'application de la loi, les administrations publiques et les institutions financières. Nous croyons que le fait d'imposer à l'un ou l'autre de ces acteurs un trop grand nombre de restrictions, de règles ou d'exigences ne sert aucune fin utile et diminue plutôt l'efficacité du régime. Nous espérons que l'examen parlementaire assurera que toute modification apportée aux mesures canadiennes de lutte contre le blanchiment des capitaux soit d'ordre pratique et permette aux activités commerciales légitimes de prendre leur essor.

Enfin, nous estimons que trois questions devraient orienter les modifications au cadre de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. D'abord, nous croyons fermement que toute mesure de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes devrait être mise en œuvre au moyen d'une approche fondée sur le risque. Par exemple, en ce qui a trait aux exigences d'identification applicables lorsqu'un client n'est pas présent, le document de consultation prévoit que la mesure ou la combinaison de mesures appropriées devraient reposer sur les risques de blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme associés aux divers types de services financiers. Nous souscrivons à cette approche. Ensuite, une fois que les modifications seront adoptées, le CANAFE aura besoin d'un délai suffisant pour apporter les modifications nécessaires à ses systèmes et à ses programmes de formation des employés. Enfin, les efforts de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes seraient grandement facilités si la loi permettait aux entités de déclaration de recevoir plus facilement une plus grande rétroaction de la part du CANAFE relativement à leurs rapports. De plus, nous sommes en faveur de mesures qui permettraient d'améliorer la déclaration.

Quand les autres témoins auront fait leur déclaration, nous serons heureux de répondre à vos questions.

Debra Armstrong, conseillière juridique principale et secrétaire générale, Banque MBNA Canada, The Ad Hoc Industry Group : Merci, honorables sénateurs, de nous donner l'occasion de venir vous rencontrer aujourd'hui. Je suis l'agent en chef de la lutte contre le blanchiment des capitaux au sein de notre institution financière. Je suis accompagnée par mon collègue, Ted Wilby, de la Banque Capital One. Nous nous adressons à vous aujourd'hui au nom de trois autres institutions, Citi Cards Canada, la Banque Amex du Canada et la J.P. Morgan Chase Bank. Comme toutes ces institutions portent le nom de banque, elles sont toutes membres de l'ABC et souscrivent à toutes ses opinions sur l'étude du comité. Cependant, nous avons un intérêt particulier à vous exprimer aujourd'hui pour que vous nous aidiez à en faire la promotion.

Nous sommes des banques émettrices de cartes de crédit. Nous offrons d'autres produits, mais surtout des cartes de crédit. Nous en avons délivré 14 millions aux Canadiens depuis que nous sommes en affaires et, au cours des 18 derniers mois, nous avons traité 30 milliards de dollars d'achats effectués par les Canadiens.

L'industrie des cartes de crédit a évolué de façon spectaculaire depuis 15 ans pour plusieurs raisons. D'abord, le gouvernement a changé la réglementation dans les années 1990 à la demande des consommateurs qui voulaient avoir plus de choix, des produits meilleur marché et différents moyens de recevoir ces produits. Les membres du groupe que M. Wilby et moi représentons aujourd'hui croient avoir fait évoluer le marché pour offrir aux Canadiens exactement l'accès au crédit dont ils avaient besoin par cartes de crédit. Comme les sénateurs le savent, ce produit est un outil de plus en plus important pour les consommateurs canadiens. On ne peut même pas réserver une chambre d'hôtel ou louer une voiture sans avoir carte de crédit.

Les consommateurs canadiens se sont rapidement adaptés aux changements technologiques. Ils ne font plus les choses comme avant. Il y a 25 ans, vous deviez aller rencontrer le chargé de comptes de votre succursale bancaire pour obtenir une carte de crédit. Aujourd'hui, les choses ont complètement changé. Les consommateurs veulent avoir d'autres moyens d'accéder au crédit. Ils n'ont plus à se rendre à la banque et, en fait, un certain nombre de plus grandes banques ont les mêmes canaux de distribution que nous. La distribution qui se fait à distance va prendre de plus en plus d'importance comme je vais vous le montrer. Effectivement, nous distribuons nos produits par Internet, au téléphone et par publipostage.

Depuis deux ans, 40 p. 100 des Canadiens qui ont reçu des cartes de crédit les ont obtenues de cette façon, auprès d'une des banques qui fonctionnent comme nous ou d'une banque conventionnelle. Il y a donc une fois et demie plus de consommateurs qui ont obtenu une carte de cette façon plutôt qu'en se présentant à la banque. Voilà qui nous sommes. Pourquoi nous adressons-nous à vous aujourd'hui?

Le ministère des Finances envisage actuellement de modifier la réglementation sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous n'avons pas pris connaissance de la proposition. Nous comptons voir le règlement plus tard à l'automne. Nous avons participé à une série de discussions avec le ministère des Finances sur une certaine période. Nous avons donc une idée de l'orientation que pourraient prendre ces propositions. Bien franchement, nous sommes inquiets de ce qui s'annonce et plus particulièrement à propos des règlements qui régissent la manière dont les institutions identifient les clients qui désirent ouvrir un compte de crédit, par exemple. Je vais vous parler seulement aujourd'hui des comptes de cartes de crédit.

Nous craignons justement que le ministère des Finances finisse en fait par refuser à d'honnêtes Canadiens l'accès à des cartes de crédit par des moyens non conventionnels ou à distance. Il est bien clair que nous approuvons entièrement toutes les mesures qui favorisent un solide régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous n'avons aucun avantage à ce que nos produits servent à financer le terrorisme ou le blanchiment de capitaux.

Cela ne nous apporte rien, mais c'est absolument crucial pour notre modèle d'affaire. Ce modèle a été demandé par notre régime de réglementation et approuvé quand on a examiné nos plans d'affaires pour vérifier si nous pouvions offrir de la façon voulue le produit au consommateur.

Encore une fois, ce sont les méthodes de distribution à distance qui nous préoccupent. Toutes les institutions financières du pays sont réglementées en fonction d'une approche fondée sur le risque. Selon cette approche, certains produits comportent plus de risques que d'autres, comme certains moyens de distribution, et nous sommes réglementés en fonction de ce risque. Il est surprenant que le ministère des Finances n'adopte pas une approche fondée sur le risque pour son règlement. Il semble retenir une approche universelle qui ne fonctionne pas. Par exemple, les mêmes règles d'identité s'appliqueraient pour l'ouverture d'un compte bancaire privé par une riche organisation de gestion et pour une demande de carte de crédit à distance, ce qui est insensé.

Nous croyons que le ministère des Finances va exiger une deuxième étape pour demander une carte de crédit. À notre avis, ce n'est en aucune façon efficace comme moyen de détection ou de dissuasion du blanchiment d'argent. Cette exigence va beaucoup incommoder les consommateurs et peut même les amener à abandonner leur demande. À notre avis, la proposition n'atteint pas l'objectif visé.

Nous sommes convaincus que notre proposition va aider directement et efficacement le ministère des Finances à établir un régime solide de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. D'après nous, notre proposition est plus utile et ne nuit pas aux voies de distribution que nous avons établies avec l'encouragement de notre organisme de réglementation.

Nous demandons au ministère des Finances d'examiner une meilleure pratique que nous aimerions faire adopter sur la scène internationale. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont établi un mécanisme et des systèmes qui permettent de lutter efficacement contre le blanchiment des capitaux même si les clients font leur demande à distance.

Nous avons une base de données électronique pour faire correspondre les informations auxquelles celui qui commet une fraude ou blanchit de l'argent n'aurait pas accès. Ces bases de données sont perfectionnées. Une agence d'évaluation du crédit a fait savoir qu'elle avait vérifié l'identité pour huit millions de transactions avec un taux de précision de 99,994 p. 100. Nous n'obtiendrons jamais 100 p. 100, mais nous croyons que ces moyens sont efficaces pour lutter contre le blanchiment de capitaux.

Nous ne comprenons pas pourquoi le ministère des Finances n'examinerait pas les meilleures pratiques adoptées à l'étranger. Notre système de réglementation est semblable à celui qui existe au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous croyons que ces pays sont dotés de solides programmes de lutte contre le financement des activités terroristes et le blanchiment d'argent.

En somme, nous ne sommes pas venus vous demander d'assouplir la réglementation. En fait, notre proposition améliore le système actuel. Elle va nous obliger à faire des changements utiles parce que la fraude ne convient pas à nos activités. Nous voulons que les prêts que nous consentons soient remboursés et nous n'avons aucun intérêt à ce que nos produits servent à des activités criminelles.

Nous partageons le même but. Nous voulons comprendre pourquoi le ministère des Finances adopterait un programme qui compromet grandement les voies de distribution que les consommateurs canadiens ont clairement indiqué vouloir, sans réussir à lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux, ce qui est l'objectif ultime.

Le président : Si elles ne sont pas confidentielles, pourriez-vous nous donner les propositions que vous pensez que le ministère des Finances ne suit pas?

Mme Armstrong : Nous serons heureux de vous remettre ce document.

Jennifer Reed, vice-présidente, Affaires publiques, MasterCard Canada : Bon après-midi, et merci beaucoup de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui.

MasterCard n'a jamais toléré l'utilisation de nos systèmes et de nos services pour des activités illégales, y compris le blanchiment de capitaux ou le financement d'activités terroristes, et nous souscrivons entièrement aux efforts que vous faites pour les réduire. MasterCard a travaillé avec diligence avec nos institutions financières dans le monde pour se conformer à des méthodes améliorées de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement d'activités terroristes. Nous espérons que cette expérience va vous aider dans vos délibérations actuelles.

Nous voulons aujourd'hui proposer des moyens de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement d'activités terroristes. D'après notre expérience, les modifications prévues seraient moins efficaces pour combattre ces activités que les recommandations formulées par les émetteurs aujourd'hui.

De plus, les modifications discutées auraient un effet négatif sur les consommateurs canadiens et la concurrence sur le marché des cartes de crédit. Nous voulons nous assurer que vous êtes conscients de ces conséquences imprévues.

Nous tenons avant tout à vous signaler aujourd'hui qu'il y a des moyens de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement des activités terroristes sans effets regrettables sur les consommateurs et la concurrence. Permettez- moi de vous exprimer le point de vue MasterCard.

MasterCard a été à l'avant-garde pour offrir plus de choix et de commodités aux consommateurs sur le marché des cartes de crédit. Il y a 11 nouveaux émetteurs de cartes de crédit au Canada qui ont choisi d'émettre les cartes de marque MasterCard. Ces nouveaux émetteurs ont fait évoluer le marché de deux façons fondamentales. Premièrement, la concurrence s'est considérablement accrue au point où, aujourd'hui, il y a plus de 600 cartes de crédit mises à la disposition des consommateurs canadiens. Deuxièmement, il y a plus d'émetteurs qui recrutent des titulaires de cartes par des moyens non conventionnels, comme le publipostage, la sollicitation par téléphone et Internet. Ce sont les émetteurs de cartes MasterCard, y compris la Banque Canadian Tire, MBNA, Citibank, le Choix du Président et Capital One qui ont été les premiers à utiliser beaucoup de ces innovations. Ils offrent aux consommateurs des méthodes plus rapides et plus pratiques d'obtenir une carte de crédit, ce que demandaient et demandent toujours les consommateurs. Les consommateurs ont plus de choix et la concurrence est plus grande qu'avant. Malheureusement, les changements envisagés pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Canada menacent de compromettre ces succès.

Comme les émetteurs l'ont dit, ces changements freineraient grandement la capacité des émetteurs de cartes de crédit de distribuer leurs produits par des moyens non conventionnels, à l'extérieur des établissements bancaires. Étant donné que beaucoup d'émetteurs de la carte MasterCard n'ont pas accès à un réseau de succursales, les consommateurs auraient beaucoup moins de choix pour ce qui est des cartes de crédit.

Les membres du Groupe spécial de l'industrie vous ont fourni une évaluation plus détaillée des répercussions de ces changements sur la viabilité de leur modèle d'affaires. Je vais m'en tenir à des considérations d'un autre ordre. D'abord et avant tout, les modifications envisagées seraient moins efficaces pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme que celles proposées par l'industrie. Par exemple, le ministère des Finances a hésité à accepter les moyens électroniques de vérifier l'identité malgré le fait qu'un produit comme Equifax eID Verifier a un taux de précision de 99,994 p. 100.

L'approche du ministère des Finances aurait de graves répercussions sur les modèles d'affaires en vigueur et, en bout de ligne, sur les consommateurs canadiens. Cela dit, je demande aux membres du comité quelle réglementation est la plus logique, celle qui est efficace et a un effet minime, ou celle qui est moins efficace et inapplicable autant pour les consommateurs que l'industrie?

Ensuite, il y a plusieurs années, le gouvernement fédéral a pris des mesures concrètes pour améliorer la concurrence dans le secteur financier. Le choix et les commodités offerts aux consommateurs aujourd'hui sont le résultat direct de cet effort. En effet, dans votre propre étude sur les questions concernant les consommateurs dans le secteur des services financiers, vous avez recommandé l'accès à de nouveaux partenaires nationaux et étrangers dans le système de paiement canadien.

Les modifications envisagées auront l'effet contraire, en écartant de nouveaux concurrents et en rendant la situation beaucoup plus difficile pour les émetteurs actuels qui n'ont pas accès à un réseau de succursales pour attirer de nouveaux consommateurs. De même, les consommateurs pourront moins facilement changer d'émetteurs et seront essentiellement pris au piège.

Comme je l'ai dit plus tôt, MasterCard a de l'expérience dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes dans le monde. Voilà pourquoi je vous encourage fortement à examiner notre mémoire dans lequel nous discutons des modèles américain et britannique de lutte contre ces activités. Ces pays ont adopté des mesures efficaces qui ne nuisent pas au choix ni à la commodité des consommateurs.

Par exemple, la USA Patriot Act reconnaît précisément que les cartes de crédit ne représentent pas un risque élevé pour le blanchiment de capitaux ou le financement d'activités terroristes. La loi autorise les mesures de vérification d'identité comme celles que nos émetteurs ici au Canada proposent.

Les modifications envisagées par le ministère des Finances vont avoir une grande incidence sur le marché des cartes de crédit au Canada. MasterCard exhorte le comité à demander au ministre des Finances d'examiner les autres moyens proposés par les émetteurs aujourd'hui pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes dans le cas des demandes de cartes de crédit faites à distance.

Il n'est pas nécessaire de choisir entre l'intérêt du consommateur et la prévention du blanchiment des capitaux et du financement des activités terroristes. On peut atteindre ces deux objectifs en même temps.

Le président : Merci beaucoup de vos propos pertinents, qui sont provocateurs.

Le sénateur Moore : Monsieur Law, pouvez-vous nous expliquer exactement ce que vous voulez dire par une approche fondée sur le risque? Je pense que vous deux et les autres témoins êtes d'accord pour dire que cette approche est la meilleure à adopter pour l'examen de la loi.

M. Law : Les circonstances qui se présentent devraient déterminer les mesures à prendre. En bout de ligne, une institution financière doit identifier le consommateur avec lequel elle fait affaire. Les circonstances de la transaction vont déterminer le risque encouru. Les mesures prises pour identifier le consommateur devraient dépendre du risque qui existe.

Le sénateur Moore : Vous devez d'abord émettre la carte, cependant.

M. Law : Dans le cas de mes autres collègues ici présents, oui. Il faut se rappeler que le blanchiment d'argent peut se produire dans bien d'autres situations.

Prenons des exemples extrêmes. Une mère se présente dans une succursale bancaire avec son fils de 10 ans pour lui ouvrir son premier compte de banque. Faudrait-il appliquer les mêmes règles de vérification d'identité dans ce cas que pour l'ouverture d'un compte par un riche gestionnaire qui peut transiger des centaines de milliers de dollars? Il faut tenir compte des circonstances pour déterminer les risques possibles de blanchiment d'argent. Ce sont ces risques qui devraient déterminer les mesures à prendre pour identifier un consommateur.

Je pense que le ministère des Finances l'a reconnu. Autant le document de consultation du ministère, que le travail du Groupe d'action financière internationale et les recommandations qu'a formulées cet organisme de surveillance supranational dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes s'orientent davantage vers une approche fondée sur le risque. Nous approuvons tout à fait cette approche.

Le sénateur Moore : Ce n'est pas la réponse que vous donne le ministère des Finances?

M. Law : Ce n'est pas ce que je dis. Dans les discussions que l'industrie a eues jusqu'ici, le ministère des Finances s'est montré ouvert aux mesures proposées et à ce qu'il pourrait faire pour mettre à jour les lois et les règlements. À mon avis, c'est un peu prématuré parce que les discussions sont toujours en cours.

Le sénateur Moore : C'est le point de vue des banques, mais ce n'est pas ce que j'ai entendu dire par les émetteurs de cartes de crédit.

M. Law : Ils peuvent avoir leurs préoccupations, mais je pense que les discussions sont en cours. À mon avis, le ministère des Finances s'est montré réceptif aux inquiétudes de l'industrie ou des secteurs de l'industrie. Nous verrons. Les discussions vont continuer.

Le sénateur Massicotte : Actuellement, toutes les transactions de 10 000 $ doivent être signalées au CANAFE. C'est lui qui évalue les risques. C'est son approche.

Vous voulez que les banques évaluent elles-mêmes les risques sans les données brutes requises, au lieu de laisser le CANAFE le faire. Est-ce exact?

M. Law : Je n'irais pas aussi loin, mais je pense que les banques ont la souplesse voulue pour comprendre les risques qui se présentent et d'agir en conséquence.

Le sénateur Massicotte : Recommandez-vous des modifications aux exigences actuelles sur l'information?

M. Law : Non. C'est un fil conducteur dans toute la loi. Ce n'est pas lié à une disposition précise de la loi. Dans toute la partie 1 de la loi, il est important, quelle que soit la situation, quelles que soient les circonstances, de prendre un risque.

Le président : Nous essayons d'examiner certaines questions complexes, et je vais donc être plus souple pour les questions complémentaires.

Le sénateur Moore : Je veux entendre le point de vue des émetteurs de cartes de crédit.

M. Law pense que les discussions sont en cours et qu'il est possible que ce que son association propose soit retenu. D'après ce que vous avez dit et vos mémoires, ce n'est pas l'impression que les émetteurs de cartes de crédit m'ont laissée. Pensez-vous que la question est réglée ou qu'il est encore possible de discuter et de convaincre vos interlocuteurs à propos des systèmes éprouvés aux États-Unis et au Royaume-Uni?

Mme Armstrong : Je suis d'accord avec M. Law pour dire que les propositions n'ont pas encore été présentées. Nous n'avons pas vu le projet de loi, de sorte que les discussions se poursuivent. Notre comité et notre groupe discutent activement de la question avec le ministère des Finances depuis deux ans. Nous pensions être arrivés à une solution l'an dernier. Un an plus tard, les informations que le ministère des Finances nous a fournies semblent indiquer que ce que nous avons proposé a soit été rejeté, soit ignoré. Nous sommes venus vous rencontrer aujourd'hui parce que les propositions s'en viennent. Nous voulons obtenir l'aide de votre comité pour nous assurer qu'une approche équilibrée et fondée sur le risque est prise étant donné qu'il y a différents moyens de distribuer les produits. Dans l'ensemble, les succursales bancaires ont des capacités et des risques différents. Nous n'avons pas de succursale. Nous ne sommes pas aussi convaincus que M. Law qu'il est encore bien possible de discuter.

Le sénateur Goldstein : J'ai une première question à vous poser, monsieur Law. Avez-vous bien dit que l'ABC préférerait que les informations vous soient fournies par le CANAFE? Je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce que vous vouliez dire.

M. Law : Je pense que vous m'avez compris, parce que je vais vous répondre par l'affirmative.

Nous voulons être un intervenant efficace dans le régime de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Nous sommes des partenaires importants. Si le CANAFE nous indiquait plus précisément quels renseignements sont utiles à une enquête, nous pourrions plus facilement élaborer nos propres pratiques et méthodes.

Le document de consultation de 2005 examine la question des contraintes imposées au CANAFE concernant la communication des informations. À notre avis, si les lois étaient modifiées de façon à ce que le CANAFE nous renseigne davantage sur l'efficacité et la qualité des informations que nous lui transmettons — c'est-à-dire s'il nous disait si ces informations ont servi à l'enquête et ont fourni plus d'indices aux forces policières — ce serait utile pour les banques.

Le sénateur Goldstein : Comment cela se concilie-t-il avec les obligations du CANAFE de tenir ces renseignements confidentiels sauf dans certains cas prévus par la loi?

M. Law : Vous frappez en plein dans le mille parce que des changements doivent être apportés à la loi pour que le CANAFE agisse. Nous revenons à la question du juste équilibre de la loi entre la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes, d'un côté, et la protection des renseignements personnels, de l'autre. À notre avis, nous pourrions être un partenaire et un intervenant plus efficace dans cette lutte.

Le sénateur Goldstein : Le mot « efficace » est peut-être juste dans ce contexte, mais il ne s'applique pas à la question plus fondamentale de savoir si les institutions financières disposeraient des contrôles voulus pour veiller à ce que ceux qui reçoivent ces renseignements les gardent confidentiels.

Tout à l'heure, le sénateur Campbell a indiqué qu'il se demandait où l'information allait et quelles étaient les contraintes imposées à ceux qui recevaient ces renseignements. J'ai découpé l'article, que vous avez peut-être lu ce matin dans l'Ottawa Citizen, qui indique que l'Agence des services frontaliers qui fournit certains renseignements aux Américains ne sait pas ce qui arrive à ces renseignements.

Concernant les institutions financières, et certaines sont des clientes, d'où le respect que je leur témoigne, comment seraient-elles mieux en mesure de protéger la confidentialité de ces renseignements?

M. Law : Vous partez du principe que les renseignements que fournit le CANAFE aux institutions financières contiennent des données personnelles. Tout ce que nous voulons — et j'espère que les spécialistes vont me corriger si je me trompe —, ce sont des renseignements qui non pas ciblent la personne concernée, mais nous aident à lutter contre le blanchiment de capitaux.

Le sénateur Goldstein : Est-ce que vous parlez de catégories, de principes de divulgation?

M. Law : Je pense qu'à ce niveau là, la protection des renseignements personnels cesse d'être un enjeu.

Le président : J'ai demandé à Mme Armstrong si elle avait des recommandations à formuler au ministère des Finances. Si elle est prête à nous en faire part, nous aimerions bien les entendre. Nous pourrons les analyser, et ensuite voir pourquoi le ministère des Finances les rejette.

M. Law : Nous n'avons rien à redire au sujet de la position défendue par les émetteurs de cartes de crédit.

Le président : Je faisais allusion à votre groupe. Y a-t-il des recommandations qui recoupent celles que vous avez formulées au ministère des Finances, ou qui sont différentes? Nous aimerions le savoir. Nous consulterons ensuite le ministère pour voir ce qu'il en pense.

M. Law : Encore une fois, nous n'avons rien à redire au sujet de la position défendue par les émetteurs de cartes de crédit. Nous savons qu'ils ont un mode de distribution précis, et des exigences particulières. L'ABC, et nos banques en général, utilisent divers modes de distribution et offrent toute une gamme de produits.

Le président : Avez-vous des recommandations précises à faire au ministère des Finances? Vous avez parlé d'une approche fondée sur les risques. Nous aimerions avoir des précisions là-dessus, aux fins d'analyse.

Le sénateur Goldstein : Je présume que les opérations effectuées par les institutions financières au Canada, étant donné leur volume, constituent la plus importante source de renseignements du CANAFE.

À votre avis, devrait-on établir des critères pour évaluer les progrès réalisés en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme? Quel genre d'évaluation permettrait de déterminer l'efficacité des renseignements qui sont maintenant fournis, par opposition aux renseignements que le ministère des Finances souhaite obtenir? En fait, il en voudrait plus.

M. Law : Si vous me le permettez, je vais demander aux spécialistes de répondre à la question.

Le sénateur Goldstein : Allez-vous leur permettre de répondre à la question?

Le président : Bien entendu. La discussion est ouverte à tous.

M. Law : Je vous présente M. Dennison, de la Banque de Montréal.

Bill Dennison, chef de la conformité en matière de lutte contre le blanchiment de fonds, Conformité des entreprises, Banque de Montréal : Si j'ai bien compris la question, les banques doivent signaler les opérations importantes en espèces, les télévirements internationaux et les opérations douteuses au CANAFE. Elles doivent également analyser l'ampleur des activités ou des opérations liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.

Le sénateur Goldstein : Il s'agit de déterminer dans quelle mesure la communication de ces renseignements permet au CANAFE de mieux faire son travail, et dans quelle mesure aussi les renseignements additionnels que souhaite avoir le ministère des Finances accroîtraient l'efficacité de ce dernier.

Autrement dit, avons-nous besoin de ces renseignements additionnels, comme le propose le ministère des Finances, pour assurer l'efficacité du CANAFE?

M. Dennison : Le ministère des Finances ne demande pas à avoir plus de renseignements sur les opérations prescrites. Il cherche à renforcer la règle de la notoriété du client qu'appliquent les institutions financières, afin qu'elles sachent à qui elles font affaire. Nous considérons que les opérations effectuées au nom du public, du client, sont légitimes.

Nous déclarons toutes les opérations que nous sommes tenus de signaler en vertu des règlements. Nous avons mis en place des régimes de conformité rigoureux pour faire en sorte que notre personnel soit conscient des tendances et des exigences entourant la divulgation d'opérations douteuses. Notre système est solide. Ce n'est pas le fait de déclarer un plus grand nombre d'opérations prescrites qui est au cœur du débat, mais plutôt l'efficacité de la règle de la notoriété du client. Je ne sais si M. Harvey a quelque chose à ajouter à ce sujet.

Le sénateur Massicotte : Nous n'avons reçu que votre lettre, monsieur Law. Je n'ai lu ni votre mémoire ni celui du ministère des Finances.

J'essaie de comprendre. J'ai lu votre lettre dans laquelle vous proposez une approche fondée sur les risques. Qui serait contre une telle proposition?

Quel impact cette approche aurait-elle sur les banques? Par ailleurs, est-ce que son adoption signifierait que nous aurions moins d'opérations à déclarer en vertu des règlements? Quel est l'objectif visé par cette approche?

M. Law : Elle serait plus efficace.

Stephen Harvey, directeur principal, responsable, programmes de lutte contre le blanchiment d'argent, Banque CIBC : Cela n'a rien à voir avec le nombre d'opérations à déclarer. L'approche axée sur les risques nous permettrait de mieux répartir nos ressources, de consacrer plus de temps et d'efforts aux enquêtes concernant les comptes et les opérations qui, à notre avis, présentent un risque plus élevé.

Parallèlement, on accorderait sans doute moins d'attention aux opérations que je qualifie d'ordinaires.

Le sénateur Massicotte : Votre objectif n'est pas de réduire les coûts liés à la déclaration des opérations, mais de faire un meilleur travail.

M. Harvey : Il n'est pas question ici de coûts, mais de répartition des ressources.

Le sénateur Massicotte : À votre avis, devez-vous faire un meilleur travail?

M. Harvey : Nous pouvons toujours faire mieux. Cela fait près de 20 ans que je participe aux efforts de lutte contre le blanchiment d'argent. Je ne m'attends pas à le faire pendant encore 20 ans, mais il y aura toujours suffisamment de travail pour me tenir occupé.

Le sénateur Massicotte : Est-ce qu'il s'agit d'un enjeu majeur sur le plan économique?

Le président : Vous voulez dire s'il s'agit d'une industrie en pleine expansion?

M. Harvey : Exception faite des assassins, les criminels se livrent à des activités criminelles pour réaliser des profits. Les profits de la criminalité sont notre raison d'être.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que le problème s'est aggravé au cours des dix dernières années? Est-ce qu'il constitue une menace pour notre économie?

M. Dennison : Nous utilisons les mêmes sources de renseignements que vous. Nous lisons les journaux. Nous écoutons les rapports d'organismes d'exécution de la loi, aussi bien à l'échelle internationale que locale, qui font état d'une hausse de la criminalité. Plusieurs chiffres ont été avancés. Je sais que diverses données sur l'ampleur du problème ont été fournies au comité — 17 milliards, 25 milliards. Le fait est que nous comptons sur les entités qui possèdent ces renseignements et qui peuvent nous les transmettre.

Le sénateur Massicotte : Vous travaillez dans ce domaine. Avez-vous noté une hausse des opérations?

M. Dennison : Nous déclarons les opérations douteuses lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner qu'une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes a été commise, et ce, même si nous ne savons pas ce qu'impliquent ces infractions. Nous en avons peut-être une idée, mais nous déclarons les opérations douteuses.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que le nombre d'opérations douteuses est à la hausse?

M. Dennison : Il a beaucoup augmenté. Nous avons mis en place des systèmes de détection.

M. Harvey : Il a doublé en cinq ans.

Le sénateur Massicotte : C'est donc un problème grave.

Ce système repose sur une règle fondamentale, soit la règle de la notoriété du client. Toutefois, de nombreuses théories sont fondées sur de fausses prémisses et nous dépensons beaucoup d'argent pour le démontrer. Est-ce que la règle de la notoriété du client constitue un bon point de départ?

M. Harvey : Oui, mais cela ne s'arrête pas là.

Le fait de bien connaître le client peut nous permettre de cerner les comportements auxquels on peut s'attendre chez lui. Il y a ensuite la surveillance. Si la surveillance des activités du client nous amène à déceler des comportements qui ne cadrent pas avec nos attentes, nous allons examiner celles-ci de plus près. Donc, il y a d'abord la notoriété du client qui doit être établie dès le départ. Ensuite, il y a les opérations, les activités de celui-ci.

Souvent, il est nécessaire de revérifier les renseignements parce que le comportement n'est pas conforme à celui que l'on attendait. La question que l'on doit se poser est toujours la même : est-ce que le comportement du client a changé? Est-ce que le client a une attitude différente de celle qu'il avait au début? L'avons-nous mal jugé au départ?

Le sénateur Massicotte : La règle de la notoriété du client donne à penser que vous avez rencontré la personne. Prenons l'exemple d'un restaurateur qui se livre au blanchiment d'argent depuis 10 ans — ou le concessionnaire d'automobiles qui pratique le blanchiment, et de façon constante. Le client a sans doute été rencontré sur un coin de rue et il a fait affaire avec votre banque à chaque occasion, mais cela ne l'aura pas empêché de blanchir des capitaux. Concernant les autres points que vous avez soulevés, il n'est pas question ici de connaître le client physiquement, mais plutôt d'analyser les comptes pour voir s'il n'y a pas de transferts inhabituels de fonds, ainsi de suite.

M. Harvey : Je ne veux pas trop m'attarder sur les analyses. Toutefois, pour ce qui est du concessionnaire d'automobiles, nous savons de façon assez précise combien de véhicules il doit déplacer pour générer X nombre de dollars de revenu. Si le concessionnaire d'automobiles se trouve dans un endroit inusité où le taux des opérations au comptant est particulièrement élevé, nous allons jeter un coup d'œil au nombre de véhicules qui passent par là. Nous utilisons beaucoup de renseignements quand nous procédons à des analyses.

Le sénateur Massicotte : Vous analysez les risques.

Nous avons parlé, plus tôt, des cartes de crédit frauduleuses qui sont émises à la mauvaise personne. On a fait valoir que les contacts directs sont inutiles. Je ne sais pas ce que ce genre de contact peut apporter. De nombreuses personnes malhonnêtes ont l'air honnête. Toutefois, on laisse entendre que les renseignements fournis par le service de vérification des références au crédit ou la personne qui assure un tel service sont exacts dans 99,984 p. 100 des cas. Êtes-vous d'accord?

M. Harvey : Il n'y a aucune raison de contester l'exactitude de ces données.

Le sénateur Massicotte : Si vous partez du principe que ces renseignements sont exacts, pourquoi les banques exigent-elles que l'on établisse un contact direct? Si une personne veut déposer un million de dollars dans un compte de gestion, pourquoi ne pas utiliser le même service pour vérifier son identité? Ce serait peut-être plus efficace.

M. Law : Nous nous conformons aux lois en vigueur.

Le sénateur Massicotte : Oubliez les lois. Il est question ici des modifications que l'on veut apporter aux lois. Est-ce que cet argument est valable? Si les données sont si fiables, pourquoi ne pas utiliser le même procédé dans le cas de la personne qui dépose un million de dollars dans un compte?

M. Dennison : On revient à l'approche axée sur les risques, la gamme de produits offerts et les types de risques que présentent ces produits. Qu'il s'agisse de liens entre correspondants bancaires, de liens privés, du camelot de 17 ans qui gagne une somme nominale, il y a différents risques qui sont associés aux produits, aux comptes, aux types de clients, aux facteurs géographiques, aux renseignements que l'on s'attend normalement à avoir sur les clients.

Il faut faire preuve d'une vigilance accrue. Or, quand doit-on faire preuve de vigilance accrue à l'égard de la personne qui dépose un million de dollars, par opposition au camelot qui dépose 25 $ dans son compte au bout d'une semaine de travail?

Nous offrons toute une gamme de produits et de comptes à des clients qui proviennent de milieux différents, en ce qui concerne leur fortune et leur capacité à effectuer différents types de transactions. Les clients ont des exigences différentes auxquelles doit répondre le secteur des services financiers.

Je tiens à souligner, comme on l'a déjà mentionné, que le ministère des Finances a mené des consultations exhaustives, de bonne foi, pendant tout le processus. L'Association des banquiers canadiens n'a rien à redire au sujet du processus, si je peux m'exprimer ainsi, compte tenu du fait que des recommandations continuent d'être présentées et que les consultations se poursuivent.

Le sénateur Massicotte : On a formulé une recommandation au sujet de la façon dont les Américains procèdent à des vérifications dans le cas, entre autres, des cartes de crédit. On a parlé de prudence raisonnable, ou quelque chose du genre. Est-ce que les banques ou les compagnies émettrices de cartes de crédit ont des préoccupations à ce sujet? La loi définit vos responsabilités. Elle précise que vous devez faire preuve de vigilance dans l'approche que vous utilisez. Est- ce que vos membres craignent que quelqu'un intente des poursuites ou réclame des dommages-intérêts, au motif que vous n'avez pas fait preuve de vigilance? Est-ce que les banques craignent d'être accusées de ne pas bien faire leur travail, par exemple?

M. Law : Les banques cherchent toujours à faire preuve de diligence raisonnable. Elles attachent beaucoup d'importance à cette question.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que le gouvernement vous a déjà accusé de manquer de vigilance ou de mal faire votre travail?

M. Law : Non.

Le sénateur Massicotte : Si c'est le cas, comment pouvons-nous savoir que vous faites de l'excellent travail si les liens que vous entretenez ne font l'objet d'aucun contrôle?

M. Law : Sénateur, je souscris aux opinions exprimées par les intervenants clés qui participent aux efforts de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Je vous renvois, par exemple, à un discours prononcé le mois dernier par le directeur du CANAFE. Il a parlé, si je ne m'abuse, des « efforts impressionnants » que le secteur bancaire a déployés dans le cadre de la détection et de la dissuasion du blanchiment d'argent et du financement des activités terroristes.

Le sénateur Gustafson : Aujourd'hui, un jeune homme qui travaille comme secrétaire dans le bureau d'à côté m'a dit qu'il avait été victime d'un vol. Il avait 600 $ dans un compte bancaire. La banque l'a appelé pour lui dire que l'argent avait disparu. Qu'est-ce que l'on qualifie de menu larcin? Dans ce cas-ci, on a volé 600 $. Il ne sait pas encore si la banque va rembourser l'argent. Toutefois, il a reçu un appel ce matin. Il y a beaucoup de menus larcins de ce genre.

Je me suis moi-même fait voler ma mallette. J'ai dû faire toutes sortes de démarches pour annuler mes cartes de crédit, ainsi de suite, parce qu'on ne sait jamais. Quelqu'un a manifestement mis la main sur le numéro de compte de ce jeune homme. La banque a eu la présence d'esprit de l'appeler, aujourd'hui, et de l'aviser du vol.

M. Law : Je ne peux pas vraiment commenter les circonstances malheureuses qui entourent cette affaire, mais à mon avis — et je ne sais pas comment l'argent a été volé —, cela montre que le Canada doit adopter une loi qui porte sur le vol d'identité. Cette question, bien sûr, ne fait pas partie du mandat du comité pour l'instant. Cela fait plusieurs années que nous réclamons une telle loi. Je suis heureux de constater que le ministère de la Justice a pris des mesures, récemment, à cet égard. Toutefois, le vol d'identité est un problème grave au Canada. Vous ne le savez peut-être pas, mais cela donne lieu à toute une série de crimes : par exemple, l'usurpation de nom, la contrefaçon, la fraude. Nous devons nous attaquer à ce problème.

Le sénateur Gustafson : Avez-vous une idée de ce que l'on qualifie de menu larcin et de blanchiment d'argent important?

M. Law : Je peux uniquement vous renvoyer au site Web du ministère de la Sécurité publique et de la protection civile du Canada. On y indique que le vol d'identité coûte à l'économie canadienne 2,5 milliards de dollars par année. C'est énorme.

Le président : Merci de ces renseignements.

J'ai quelques questions à poser. Si vous ne pouvez y répondre brièvement, encore une fois, vous pourrez nous soumettre les réponses par écrit.

Vous avez beaucoup parlé du CANAFE, mais très peu de la sécurité à l'intérieur des banques. Nous avons eu deux exemples récemment de renseignements privés qui se sont retrouvés entre les mains de Canadiens. Je n'entrerai pas dans les détails. Ces renseignements sont de nature très délicate. La question est la suivante : vous souhaitez que les renseignements recueillis par le CANAFE, ou de concert avec lui, fassent l'objet d'un contrôle accru. Pouvez-vous nous dire brièvement si les contrôles internes dont font l'objet vos employés sont satisfaisants? Si je pose la question, c'est parce qu'aux États-Unis, la plupart des activités de blanchiment d'argent ont eu lieu avec l'accord des cadres de banques.

M. Harvey : Nous faisons l'objet d'une vérification annuelle par le service de vérification interne. Nous rencontrons également tous les ans le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF. Je tiens à dire aux sénateurs que les contrôles que nous exerçons sur nos renseignements sont analysés de près lors de ces deux examens. Je ne suis au courant de l'existence d'aucun problème. S'il y en avait, je ne serais probablement pas ici.

Le président : Des documents contenant des renseignements personnels ont été retrouvés dans des bacs, aux États- Unis. Il s'agissait-là d'une grave violation de la vie privée. Il est important, quand on a affaire à des renseignements délicats de ce genre, de s'assurer que le CANAFE et les banques disposent de systèmes de sécurité interne efficaces. Nous ne contestons pas ce que vous dites, nous essayons de comprendre. Nous devons être convaincus de l'efficacité de votre système de sécurité interne.

M. Law : Sénateur, comme vous le savez fort bien, nous prenons nos obligations en matière de protection des renseignements personnels très au sérieux.

Le président : Je ne faisais que vous le rappeler gentiment.

M. Law : D'accord.

Le président : Revenons aux agences d'évaluation du crédit et au ministère des Finances. Encore une fois, le vol de cartes de crédit est un sérieux problème. Nous en avons tous été victime à un moment donné. Est-ce que vos contrôles internes, pour ce qui est du vol de cartes de crédit, sont satisfaisants et protègent l'intérêt public?

Mme Armstrong : Comme l'a indiqué M. Harvey, nos systèmes de vérification interne et externe sont très efficaces. Nous recevons souvent la visite de représentants d'organismes de surveillance qui passent en revue les mesures de répression de la fraude que nous appliquons. Nous faisons également partie de groupes industriels. Pour ce qui est du blanchiment de capitaux et du financement d'activités terroristes, la fraude est un problème auquel les institutions sont confrontées tous les jours. Nous aimerions bien qu'il disparaisse, car il nous coûte très cher. Il s'agit, bien sûr, d'un autre type de fraude. Or, nous n'arrivons à établir aucun lien avec le blanchiment de capitaux et le financement d'activités terroristes. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites, mais il ne semble y avoir aucun lien entre les deux.

Le président : Le projet de loi s'intitule « Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. » Cette question fait partie intégrante du projet de loi. Nous allons, bien entendu, nous pencher là- dessus.

Merci, madame Reed, de votre exposé sur les pratiques américaines. Les personnes visées par la USA Patriot Act font l'objet d'une analyse des risques bien précise. Je tiens à vous remercier de nous en avoir parlé. Vous dites dans votre mémoire que :

[...] les banques identifient leurs clients dans la mesure du pratique, et encouragent l'utilisation de pratiques fondées sur les risques qui permettent raisonnablement de croire [...]

Vous avez tous vu le diagramme 2. Vous souhaitez que le CANAFE mette en place des pratiques fondées sur les risques qui sont plus efficaces et qui vous permettent d'avoir un meilleur accès aux renseignements, dans le but de renforcer vos contrôles internes.

Je ne vois pas comment on peut arriver à faire cela, à partir d'une évaluation des risques, quand on a une somme de 21 millions de dollars qui transite d'une adresse à une autre. Comment le CANAFE peut-il déterminer, dès le début du processus d'analyse — au moyen de pratiques fondées sur les risques et des motifs raisonnables —, que chaque banque connaît la véritable identité de ses clients? Comment le CANAFE peut-il le faire? Comment le gouvernement peut-il le faire?

M. Law : Sénateur, je ne peux parler au nom du CANAFE. Je me suis rendu compte de la complexité de la chose dès que j'ai vu le diagramme. Il est évident qu'on entre dans un domaine complexe du droit. De nombreux intervenants doivent collaborer ensemble en vue d'atteindre le même objectif : réduire et dissuader le blanchiment de capitaux et le financement d'activités terroristes.

Concernant les banques, ce diagramme montre à quel point nous avons besoin de flexibilité pour cibler les domaines où les risques sont les plus grands.

Bart Rubin, conseiller juridique, MasterCard Canada : Permettez-moi de vous rappeler la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui : la « règle de la notoriété du client ».

Le président : Connaissez-vous vraiment votre client?

M. Rubin : La complexité de ce diagramme montre qu'il faut davantage mettre l'accent sur le suivi des opérations, une fois que nous avons attiré le client. Nous en avons parlé dans le document que nous avons remis au comité. Nous devrions sans doute envisager d'assurer le suivi continu de ces opérations, sauf que nous n'abordons pas la question dans notre exposé d'aujourd'hui.

Le président : D'abord, je tiens à remercier tous les témoins d'être venus nous rencontrer. Si vous avez d'autres observations à faire à ce sujet, n'hésitez pas à nous les soumettre par écrit. Cette question ne cesse d'évoluer. Comme il s'agit d'un domaine nouveau pour le comité, nous devrions peut-être revoir les paramètres de l'étude. Vous nous avez permis, en tout cas, de mieux comprendre la problématique.

La séance est levée.


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