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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 10 - Témoignages du 1er novembre 2006


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2006

Le Comité sénatorial des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (étude sur les fonds de couverture).

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce qui est l'un des plus anciens comités parlementaires. Nous sommes heureux d'accueillir nos témoins dans le cadre de notre étude sur les fonds de couverture au Canada, en Amérique du Nord et dans le reste du monde.

Notre comité a été créé au lendemain de la Confédération avec pour mandat de se pencher sur les questions concernant les banques et le commerce. C'est le seul comité qui, en vertu de ce mandat, est chargé d'examiner tout ce qui peut avoir une incidence sur notre économie. Depuis plusieurs années, nous nous penchons donc sur les grandes questions qui touchent notre économie en général, pas uniquement dans le secteur financier, mais bien dans toutes les dimensions qui sont susceptibles d'avoir un effet sur la productivité, l'efficacité et le fonctionnement de notre économie nationale.

Nous avons décidé d'étudier des questions pour lesquelles soit nous-mêmes, soit la population manquons de connaissances et d'informations. Après discussions, nous avons décidé de faire porter cette séance sur les fonds de couverture qui, selon certaines évaluations, se chiffrent en milliards de dollars. En fait, on ne connaît même pas leur valeur exacte à l'échelle internationale. Étant donné l'ampleur et la nature de nos liens commerciaux avec les États- Unis et le caractère intégré de nos deux économies, de même que la priorité qu'il faut accorder à la stabilité des marchés financiers mondiaux, nous nous sommes dits qu'il était impératif que les décideurs canadiens comprennent ce qui se passe du côté des fonds de couverture au Canada et aux États-Unis et, nous l'espérons, dans le monde.

Les fonds de couverture sont d'ailleurs ressortis comme un enjeu de fonds lors des entretiens que nous avons eu avec les autorités de réglementation américaines et des représentants de l'industrie des services financiers à New York, il y a quelques semaines. Nous nous sommes dit que nous devions examiner cette question le plus rapidement possible, surtout après les faillites retentissantes de firmes de placement spéculatif et le nombre croissant d'investisseurs — petits épargnants tout comme investisseurs avertis — de banques, de fonds de pension et de fonds communs de placement qui investissent aujourd'hui dans ce véhicule financier pour le moins particulier.

D'après les chiffres qui nous ont été communiqués, en juin 2004, on estimait que les fonds de couverture canadiens représentaient 26 milliards de dollars. Nous espérons d'ailleurs pouvoir actualiser cette donnée à l'occasion de la présente séance. En Amérique du Nord, nous savons que les fonds de couverture représentent des billions de dollars.

Lors de notre récente étude sur les questions concernant les consommateurs dans le secteur financier, il a été question des fonds de couverture et, dans le rapport que nous avons produit il y a quelque temps déjà, nous recommandions au gouvernement de charger un éminent Canadien d'examiner la fonction de surveillance réglementaire de ces fonds, si toutefois il en existe une. Comme cela n'a pas été fait, nous avons décidé de rouvrir ce dossier.

Nous voulons, par-dessus tout, déterminer dans quelle mesure il convient de réglementer ou de surveiller ces nouveaux produits financiers afin de redonner une certaine confiance aux consommateurs et au marché financier canadien, et voir quelle méthode il conviendrait d'adopter pour cela. Le comité n'a pas d'idée préconçue sur la question de la réglementation. Nous voulons en savoir davantage sur la nature et la portée des risques que courent les investisseurs. Encouragés, la semaine dernière, par le gouverneur de la Banque du Canada, nous avons décidé d'accélérer notre étude.

Je dois préciser que nous sommes retransmis sur le Web à travers le Canada. Nous invitons les Canadiens qui nous regardent à nous faire part de leurs points de vue, parce que nous voulons recueillir non seulement celui des témoins, mais aussi celui de notre auditoire.

Nous sommes très heureux d'accueillir nos deux premiers témoins, Jean St-Gelais, président et PDG de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un vieil ami à moi, David Wilson, qui a récemment été nommé à la tête de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.

David Wilson, président, Commission des valeurs mobilières de l'Ontario : Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous nous partagerons les remarques liminaires. Je vais ouvrir le ban, M. St-Gelais prendra le relais et je conclurai. Nous nous tiendrons alors prêts à répondre à vos questions. Nous sommes très heureux de comparaître devant votre comité.

L'intérêt que vous portez aux fonds de couverture tombe à point nommé étant donné la progression très marquée de ce nouveau produit sur les marchés canadiens et internationaux. Nous estimons qu'il existe un cadre de surveillance approprié pour l'industrie des fonds de couverture au Canada, ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas et n'allons pas faire davantage pour nous assurer que les investisseurs soient bien protégés.

Nous nous proposons de vous entretenir de trois grandes questions. Je commencerai par vous décrire le cadre général dans lequel se situe le régime de réglementation des fonds de couverture et M. St-Gelais vous dressera ensuite un portrait de la situation actuelle des fonds de couverture au Canada. Enfin, nous vous décrirons les toutes dernières initiatives en matière de réglementation pour les fonds de couverture. Après cela, nous serons très heureux de répondre à vos éventuelles questions. Si nous ne parvenons pas à répondre entièrement à toutes vos questions aujourd'hui, nous nous ferons un devoir de vous faire parvenir très rapidement des réponses par écrit.

Commençons donc par le cadre réglementaire pour les fonds de couverture au Canada et aux États-Unis. Les fonds de couverture sont en fait des consortiums d'investissement qui recourent à diverses stratégies afin d'obtenir des rendements très élevés pour les investisseurs, que le marché soit haussier ou baissier. Habituellement, ces fonds attirent surtout des investisseurs institutionnels et des épargnants bien nantis et avertis. Il n'existe pas, au Canada, de cadre réglementaire pour les fonds de couverture.

Cependant, les gérants de portefeuille doivent être enregistrés auprès des organismes de réglementation des valeurs mobilières. Toutes les personnes morales et physiques qui gèrent des portefeuilles de fonds de couverture sont enregistrées en qualité de gérants de portefeuille auprès des organismes de réglementation. De plus, ceux qui distribuent des titres de fonds de couverture doivent aussi être enregistrés auprès des mêmes organismes de réglementation. Les gérants de portefeuille de fonds de couverture doivent se conformer aux exigences s'adressant aux gestionnaires de portefeuille : compétence, pertinence des produits en fonction de la clientèle, respect des normes et divulgation.

La divulgation obligatoire existe au Canada depuis des décennies. Ce régime de surveillance est prolongé par un régime de conformité, qui consiste à vérifier le respect des lois et des règlements sur les valeurs, de même que par un régime d'application qui s'enclenche en cas d'infraction aux lois et règlements sur les valeurs.

En introduction, le sénateur Grafstein a précisé que des sénateurs ont récemment eu des entretiens à New York au sujet du marché américain des fonds de couverture. Comme vous le savez, il existe une différence marquée entre les régimes réglementaires canadiens et américains. Aux États-Unis, les gérants de portefeuille de fonds de couverture ne sont pas tenus de s'enregistrer auprès de la Securities and Exchange Commission, la SEC, puisque dans ce pays, presque tous les portefeuillistes ont recours à une exonération, dite « règle refuge », leur permettant de ne pas s'inscrire auprès de la SEC. Celle-ci a récemment tenté d'imposer l'enregistrement obligatoire aux gérants de portefeuille de fonds de couverture, mais cette proposition a été renversée par les tribunaux américains.

Au Canada, les gérants de portefeuille de fonds de couverture doivent être enregistrés auprès des organismes de réglementation. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ou ACVM — regroupant les 13 organismes provinciaux et territoriaux de réglementation des marchés — envisagent de modifier notre cadre réglementaire, ce qui aurait pour résultat de le différencier encore plus du régime américain.

Au début 2007, en effet, l'ACVM — qui se charge de la surveillance au nom des 13 organismes de réglementation canadiens — proposera que l'on impose l'enregistrement aux administrateurs de fonds de couverture à l'instar de ce qui se fait pour les gérants de portefeuille de fonds de couverture.

Les administrateurs de fonds de couverture sont chargés des opérations courantes, comme la valorisation des fonds, les plans de commercialisation et les relations avec les investisseurs. La proposition d'ACVM d'imposer l'enregistrement à cette catégorie de portefeuilliste sera soumise au processus habituel de consultation publique. Nous estimons que cette obligation est très logique et nous avons l'intention d'agir en ce sens dès le début de l'année prochaine.

Passons à présent à la situation actuelle des fonds de couverture au Canada. Ceux-ci se distinguent des autres véhicules de placement commun en ce sens qu'ils font appel à des stratégies d'investissement comparativement plus pointues. Contrairement aux fonds communs de placement, les fonds de couverture s'appuient sur des stratégies boursières différentes et des instruments à fort levier financier, comme les produits dérivés, pour miser sur les inefficacités du marché.

Au cours des 10 dernières années, le nombre de fonds de couverture gérés s'est considérablement accru. Le marché mondial des fonds de couverture se chiffre maintenant à plus de 1 billion de dollars américains. Le marché canadien, quant à lui, représente 2,2 p. 100 du marché international, soit quelque 27 milliards de dollars, d'après les derniers chiffres dont nous disposons. Sur cette somme, près de 11 milliards ont été investis par des fonds de pension canadiens.

Le président : Je répugne à vous interrompre, mais nous avons un problème de chiffres. Aux États-Unis, on nous a dit que le marché nord-américain représente entre 1,5 et 2 billions de dollars. Nous pensons qu'il s'agit de la valeur du marché nord-américain, mais il peut aussi s'agir du marché mondial. Ces chiffres nous ont été donnés pour 2005 ou 2006. Quand vous nous citez des chiffres, pourriez-vous nous indiquer la date à laquelle ils correspondent pour que nous ne sous-estimions pas ce marché.

M. Wilson : Mes chiffres datent de fin 2004. Ils sont un peu dépassés, mais nous en obtiendrons très prochainement de nouveaux.

Le président : Quand les attendez-vous?

M. Wilson : Très bientôt.

Le président : Cette année?

M. Wilson : Oui.

Le sénateur Angus : Et d'où les obtiendrez-vous?

M. Wilson : De Investor Economics.

Le président : Eh bien, nous inviterons cette firme de venir nous rencontrer pour aller à la source de cette information. Il est important que nous appréhendions parfaitement l'envergure de ce marché.

Le sénateur Moore : Est-ce que tous les chiffres qui apparaissent ici sont en dollars américains?

M. Wilson : Oui.

Le sénateur Goldstein : Et pour les Canadiens?

M. Wilson : Le chiffre de 27 milliards de dollars est une estimation de ce qui aurait été investi dans les fonds de couverture au Canada et je crois qu'il s'agit de dollars américains.

Le sénateur Goldstein : Nous, on nous a dit qu'il s'agissait de 26,6 milliards de dollars canadiens.

Le président : Nous essayons de tirer tous ces chiffres au clair. Nous apprécierions beaucoup que vous puissiez aider notre personnel à mieux cerner ce dont vous parlez.

M. Wilson : Après la réunion, je transmettrai à votre personnel les estimations les plus récentes établies par notre service, puis je lui communiquerai des mises à jour au fur et à mesure.

Le président : C'est cela, et vous en préciserez la source.

M. Wilson : Nous vous indiquerons la source et vous communiquerons les tout derniers chiffres dont nous disposons que nous actualiserons par la suite.

Sur ces 27 milliards de dollars — et supposons pour un instant que ce soit le bon chiffre pour les fonds de couverture canadiens — près de 11 milliards ont été investis par des fonds de pension canadiens; un peu moins, soit 1,6 milliard de dollars, par des clients étrangers de gérants de fonds de couverture canadiens et 14 milliards par des particuliers canadiens, que ce soit des investisseurs à actif net élevé ou des épargnants. Près de la moitié des 14 milliards de dollars investis par des particuliers canadiens l'ont été par le truchement de billets à capital protégé dont le rendement dépend de la performance d'un fonds de couverture sous-jacent. Je reviendrai là-dessus un peu plus tard. Le marché canadien progresse à raison de 30 p. 100 par an ou moins.

Jean St-Gelais, président-directeur général, Autorité des marchés financiers : À la faveur de l'expansion de ce secteur, de plus en plus de produits de type fonds de couverture ont été vendus à des épargnants. Nous craignons que ces épargnants et même certains conseillers financiers enregistrés ne comprennent pas vraiment le fonctionnement des fonds de couverture ni les risques qu'ils représentent.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez sans doute lu la presse au sujet des faillites de firmes spécialisées dans les fonds de couverture, comme Portus et Norshield. Vous comprendrez, j'en suis sûr, que tout ce que je vais dire au sujet de Portus et de Norshield est fondé sur des renseignements qui sont du domaine public.

Les enquêtes menées au sujet de ces deux faillites portent sur des allégations de fraude. Un rapport récent, produit dans le cadre de l'examen auquel se livre le groupe de travail dirigé par Tom Allen — chargé de la modernisation de la réglementation des valeurs mobilières au Canada — nous apprend que, pour ces deux fonds, les épargnes des investisseurs n'ont pas été placées de la façon indiquée dans les notices d'offre. Il est donc allégué que les fonds des investisseurs ont été improprement utilisés.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont entamé des procédures de mise à exécution contre les deux firmes en question. Dans les accusations portées contre Portus, il est question de transactions non consignées et de non respect des devoirs du gérant de fonds. De plus, Portus est poursuivie en Ontario en vertu de la loi provinciale et la GRC fait enquête à son sujet.

Le Groupe de travail pour la modernisation de la réglementation des valeurs mobilières au Canada a commandé un rapport de recherche sur les affaires Portus et Norshield; celui-ci n'a constaté aucune lacune dans le régime réglementaire des fonds de couverture. Il signale toutefois que des contrôles de conformité plus fréquents auraient permis de tirer plus tôt la sonnette d'alarme.

Enfin, le tout dernier incident très médiatisé concernant un fonds de couverture, d'une attention médiatique considérable, a été celui d'Amaranth, aux États-Unis. Il est important que le comité sache que les énormes pertes d'Amaranth sont dues à la décision d'investir dans des instruments à haut risque. Dans ce cas, on ne parle pas de délit d'action.

Notre cadre de réglementation des marchés financiers n'a été remis en cause ni dans le cas de Portus, ni dans celui d'Amaranth. En outre, aucune de ces deux affaires n'exige l'adoption de règlements additionnels.

M. Wilson : Je vais passer au dernier volet de notre intervention, soit les initiatives actuelles prises dans le domaine de la réglementation des fonds de couverture. En mai dernier, les commissions des valeurs mobilières de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique ont réalisé un examen des fonds de couverture au Canada. Celui-ci se voulait une réponse à l'augmentation récente du volume de placements par des épargnants dans des fonds de couverture et à la faillite des trois fonds dont M. St-Gelais vous a parlé. Les auteurs de cet examen ont conclu que notre régime de réglementation s'appuie sur un cadre adapté pour régir les véhicules de placements communs, dont font partie les fonds de couverture. Cependant, ils font état de plusieurs sujets de préoccupation dont les billets à capital protégé. Les épargnants canadiens ont investi quelque 8 milliards de dollars dans ce genre de produits financiers dont la performance dépend du rendement d'un fonds de couverture sous-jacent. Un segment de ce marché est composé de billets à capital protégé émis par des institutions de dépôt, notamment des banques. Les billets à capital protégé ne sont pas visés par les dispositions de divulgation des lois sur les valeurs parce que, sur un plan technique, ils sont vendus en tant que dépôts bancaires et non en tant que titres spéculatifs.

Voici quelques exemples de ce qui nous préoccupe à propos des billets à capital protégé. Ces instruments permettent à des épargnants d'accéder à une classe d'actifs pour laquelle aucun prospectus n'est exigé et qui n'a pas à être validée par une commission des valeurs mobilières. Les investisseurs risquent de ne pas obtenir suffisamment de renseignements au sujet de ces billets à capital protégé en ce qui concerne leur structure, les commissions de gestion imposées et les risques qu'ils comportent. Certains courtiers attitrés conseillent à leurs clients d'acheter de tels billets sans s'être d'abord assurés que cela va dans leur meilleur intérêt. D'autres courtiers qui vendent ces billets à capital protégé peuvent ne pas se conformer aux deux obligations fondamentales à la prestation d'un service équitable aux épargnants, soit la nécessité de connaître le client et le fait de lui proposer des produits qui lui conviennent.

L'ACVM est en train d'examiner ces préoccupations liées aux billets à capital protégé qui sont vendus en tant que véhicules de dépôt échappant à la portée des lois sur les valeurs. Nous estimons important de veiller à ce que les investisseurs soient informés au sujet des billets à capital protégé par le biais des prospectus. Nous sommes également convaincus que ces billets devraient être uniquement vendus par des personnes averties qui comprennent le produit et les besoins de leurs clients.

[Français]

M. St-Gelais : En conclusion, je tiens à souligner que les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont à leur disposition des moyens et des outils que nous considérons appropriés pour superviser les fonds de couverture au Canada. Soyez assurés que nous travaillons toujours à améliorer l'ensemble de nos outils de manière à ce que notre encadrement réglementaire soit le plus approprié possible pour trouver le juste équilibre entre la protection des consommateurs et l'intégrité des marchés des capitaux canadiens. Permettez-moi enfin de réitérer notre appui aux travaux de votre comité et nous vous remercions de votre invitation.

[Traduction]

Le président : Merveilleuse introduction!

Le sénateur Angus : Comme vous le savez sans doute, nous avons tâté ce sujet en juin dernier au moment où nous apportions une touche finale à notre étude sur les questions concernant les consommateurs dans le secteur financier. Nous avions alors accueilli des témoins de la Commission des valeurs mobilières

M. Wilson : Nous connaissons ce rapport.

Le sénateur Angus : Et vous savez que les 8 et 16 juin, votre prédécesseur est venu ici. Quoi qu'il en soit, il est vrai que nous entendons de plus en plus parler des fonds de couverture. À New York, il en a beaucoup été question dans nos échanges sur la situation des marchés financiers aux États-Unis. Je crois vous avoir entendu dire que la situation est différente au Canada.

M. Wilson : C'est exact.

Le sénateur Angus : Je vais vous poser des questions élémentaires pour les raisons formulées par le président, tout à l'heure. On a entendu parler de « fonds privés » et de fonds de couverture, et l'on nous a dit que certains fonds privés sont en fait des fonds de couverture. Existe-t-il une définition normalisée?

M. Wilson : Je vais essayer de vous en donner une. Je vais essayer de mon mieux pour normaliser la définition, parce qu'il existe différents types de fonds de couverture. Un fonds de couverture est essentiellement un véhicule de placements communs, ce qui veut dire que plusieurs investisseurs mettent leur argent en commun, dans des actifs collectifs, et que le gérant du fonds place ces actifs dans des titres. Les fonds de couverture se différencient des véhicules de placements communs, appelés fonds communs de placement, en ce sens que les stratégies d'investissement sont très variées. Le capital d'un fonds de couverture peut être investi dans des actions ou dans des obligations. Il peut être à fort effet de levier financier, comme dans le cas des dérivés, des produits dérivés de crédit et des produits de base — autant d'actifs différents dans lesquels les fonds communs de placement ne peuvent investir compte tenu des règles qui les régissent.

Le sénateur Angus : Quelles sont ces règles?

M. Wilson : Les organismes de réglementation du commerce et des valeurs mobilières appliquent des règles qui prescrivent aux fonds communs de placement ce qu'ils peuvent faire, par exemple en limitant les effets de levier sur lesquels ils peuvent miser et en leur interdisant les ventes à découvert. Dans le cas des fonds de couverture, il n'existe aucune contrainte de ce genre. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent pour maximiser leur rendement. Leurs administrateurs peuvent donc faire preuve d'une créativité sans borne, mais en règle générale, il s'agit d'instruments financiers très complexes. Certains sont structurés pour réduire le risque net, mais comme M. St-Gelais le disait, il arrive que des fonds, comme Amaranth, reposent sur des spéculations à haut risque au point qu'ils peuvent encaisser des pertes normes. Amaranth a perdu 6 milliards de dollars en deux semaines. Les fonds de couverture peuvent être à haut risque ou à faible risque. Il existe tout un éventail de risques pour ce produit, mais tous les fonds de couverture font appel à des stratégies spéculatives destinées à optimiser le rendement.

Le sénateur Angus : L'effet de levier financier est-il normalisé? On parle de facteur de multiplication, puisqu'il y a un investissement initial dans le fonds, la première contrepartie, puis une autre contrepartie. Jusqu'où peut-on aller ou est- ce illimité?

M. Wilson : L'effet de multiplication des fonds de couverture n'est pas encadré par les organismes de réglementation.

Le sénateur Angus : La différence par rapport aux États-Unis, comme vous l'avez dit, c'est qu'au Canada nous avons déjà adopté certaines mesures réglementaires.

M. Wilson : Effectivement.

Le sénateur Angus : Il n'existe pas de règlement aux États-Unis depuis la décision Goldstein. En revanche, à ce que je sache, il existe déjà une certaine réglementation ici.

M. Wilson : Qui concerne les gérants de portefeuille.

Le sénateur Angus : Pas les administrateurs de fonds de couverture?

M. Wilson : Aussi. Nous avons affaire à trois entités que je vais vous décrire. Il y a d'abord le fonds lui-même.

Le sénateur Angus : Est-ce un partenariat à responsabilité limitée?

M. Wilson : En règle générale, le fonds est une société par action qui est en mesure de racheter ses actions. C'est une société à capital variable. Personne ne réglemente le fonds en tant que tel.

Au Canada, nous réglementons le gérant de portefeuille, qui est une entité distincte du fonds. Le gérant du fonds est enregistré et il est surveillé, ce qui n'est pas le cas aux États-Unis.

La troisième entité est l'administrateur du fonds de couverture. Cette personne n'est pas encore inscrite au Canada. Comme je le disais dans mes remarques liminaires, nous avons l'intention d'imposer l'enregistrement des administrateurs de fonds, y compris des administrateurs de fonds communs de placement et des fonds de couverture, pour tous les véhicules spéculatifs, et l'ACVM a l'intention d'en faire la proposition au début de l'année prochaine. Une fois que ce nouveau régime sera en place, les administrateurs seront enregistrés tout comme les gérants de portefeuille. Quant aux fonds, ils ne seront ni enregistrés, ni surveillés.

Le sénateur Angus : Peut-il arrivé que l'administrateur et le gérant de portefeuille soient la même personne?

M. Wilson : Assez souvent en fait, et ils forment alors un regroupement.

Le sénateur Angus : Les gérants doivent s'enregistrer aujourd'hui.

M. Wilson : Oui! Les gérants de portefeuille.

Le sénateur Angus : Auprès de qui s'enregistrent-ils? Auprès de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario ou de leur province?

M. Wilson : Ils doivent s'enregistrer dans toutes les provinces où ils ont un bureau.

Le sénateur Angus : Comment fonctionne l'enregistrement? Ces gens-là doivent-ils montrer qu'ils détiennent un permis de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières?

M. Wilson : Il leur faut faire une demande auprès de la commission des valeurs mobilières de la province où ils font affaires. Pour s'enregistrer, ils doivent se conformer à certaines exigences dont les pierres de touche sont l'efficacité, la compétence, l'intégrité et la solvabilité financière.

Le sénateur Angus : Supposons que la personne veuille s'inscrire à Montréal. Elle se présente et déclare « Je m'appelle Untel et j'administre un fonds de couverture. Je suis gérant de portefeuille et je veux m'inscrire ».

M. St-Gelais : C'est cela.

Le sénateur Angus : Il rajoute qu'il se présente en tant que président de la société. Que doit-il faire ensuite? Que doit- il payer?

M. St-Gelais : Il devra payer un droit d'enregistrement, sans doute pas très élevé, mais tout de même. Nous n'effectuons pas de vérification de sécurité en ce qui concerne le casier judiciaire. Nous nous renseignons sur la compétence. Nous demandons aux candidats à l'inscription s'ils ont obtenu le premier degré d'analyste financier agréé. Nous examinons également leur intégrité, leur réputation, leur compétence et leur solvabilité financière. Nous exigeons une certaine solvabilité pour ce genre d'activités. Une fois qu'il s'est enregistré, l'intéressé doit renouveler son inscription tous les ans.

Le sénateur Angus : Les questions posées me paraissent très simples.

M. Wilson : Pas du tout.

Le sénateur Angus : Personnellement, je traite avec le Groupe financier RBC ou avec CIBC Wood Gundy et je sais que les courtiers à qui je m'adresse pour mes transactions ont passé ces examens et qu'ils sont inscrits auprès de l'Association des courtiers en valeurs mobilières, l'ACCOVAM, et peut-être même auprès d'autres organismes. C'est cela que vous entendez par preuve de compétence? Est-ce que ceux qui lancent des fonds de couverture doivent être membres de l'ACCOVAM?

M. St-Gelais : Je ne peux pas vous répondre avec précision au sujet du genre de cours que ces gens-là doivent suivre, mais il faut qu'ils soient inscrits auprès de nous et qu'ils se plient à nos exigences en matière de compétence. Je dirais que la plupart d'entre eux ont suivi les cours et subi les épreuves de l'Institut canadien des valeurs mobilières, l'ICVM.

[Français]

Le sénateur Angus : Vous vérifiez que ces personnes aient une expertise dans le domaine.

M. St-Gelais : On s'assure qu'ils ont suivi et réussi les cours requis. La majorité d'entre eux étudie à l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières pour être en mesure de conduire leurs affaires correctement. C'est le même type de cours. Nous nous assurons que cette vérification soit faite annuellement.

Le sénateur Angus : C'est la même expertise, par exemple, qu'un courtier chez RBC. Ce sont toujours les mêmes expertises.

[Traduction]

Parlons maintenant de transparence. Les portefeuilles sont-ils réglementés ou contrôlés? Est-ce que quelqu'un au Canada sait dans quoi ces portefeuilles investissent?

M. Wilson : Si les courtiers sont enregistrés auprès de nous, en notre qualité d'organisme de réglementation, nous avons le pouvoir de leur dire « Vous êtes gérant de portefeuille pour ce portefeuille ou ces placements communs et nous voulons examiner ce que vous faites ». Nous avons ce pouvoir sur les gérants inscrits chez nous. S'ils ne sont pas enregistrés, comme c'est le cas aux États-Unis, l'organisme de réglementation ne peut rien faire et ne peut pas se présenter en disant : « Montrez-moi ce que vous faites et ce qui se passe ici ».

Le sénateur Angus : Supposons que vous alliez voir le gérant de portefeuille à la suite d'une plainte ou simplement parce que ça vous tente. Il s'agit d'un petit fonds. C'est un tout nouveau fonds de couverture correspondant à la définition que vous nous en avez donnée tout à l'heure. Il dispose d'un million de dollars d'actifs, il est très présent sur les marchés et l'on pourrait même dire qu'il « mouline ». D'après ce que j'ai compris, c'est un peu comme faire des placements privés dans l'univers des titres traditionnels. Les ventes doivent se faire par blocs de 150 000 $. Est-ce que vous insistez pour que les clients soient raisonnablement avertis? Vous avez dit que 54 p. 100 de ces fonds sont détenus par des Canadiens ordinaires.

M. Wilson : Les investisseurs à actif net élevé, avertis, qui achètent des produits de fonds de couverture doivent correspondre aux critères appliqués à cette catégorie d'épargnants, soit — comme l'a décrit le sénateur — 150 000 $ par achat et des actifs nets d'un million de dollars. Ce sont là les deux principaux critères à respecter pour qu'un fonds de couverture puisse être vendu à des investisseurs avertis sans qu'il soit nécessaire de produire un prospectus et sans avoir à produire les rapports imposés. Cependant, comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, plus de la moitié des sommes investies par des épargnants dans des produits du type fonds de couverture se retrouvent dans des billets à capital protégé. Ces instruments sont vendus sans prospectus, mais le petit épargnant peut les acheter parce qu'ils tombent sous le coup des règles de dépôt bancaire.

Le sénateur Angus : Et ils n'ont pas à investir 150 000 $ d'un coup?

M. Wilson : C'est exact. L'exemption relative à la notice d'offre a été consentie aux banques il y 25 ou 30 ans. Depuis cette époque, on a élaboré des dépôts bancaires beaucoup plus complexes. Techniquement, il n'est pas toujours obligatoire de produire un prospectus pour un simple dépôt associé à un fonds de couverture indexé. L'ACVM a pris langue avec les différents ordres de gouvernement et les banques pour déterminer comment combler ce vide réglementaire.

Le sénateur Angus : J'ai entendu parler d'un petit fonds, comme celui que j'ai décrit, qui vend des unités à 1 $ pièce. Comme il faut investir dans des blocs de 150 000 $ à la fois, le vendeur regroupe quatre ou cinq acheteurs. Comment disciplinez-vous ce genre de pratique et est-elle légale?

M. Wilson : La vente des blocs est réalisée par des personnes enregistrées, par des membres de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières ou de l'Association des conseillers en fonds communs de placement. Ce sont eux qui disciplinent le marché. Chaque investisseur peut acheter des blocs de 150 000 $ ou plus. Il n'est pas permis de fractionner ces blocs en petits morceaux pour les vendre à cinq amis, par exemple.

Le sénateur Angus : Sévissez-vous?

M. Wilson : Nous réprimandons le courtier qui n'a pas appliqué la règle voulant qu'on vende un seul bloc de titres à un seul acheteur.

Le sénateur Tkachuk : Une fois qu'il est enregistré, l'administrateur ou le gérant de fonds peut-il gérer plusieurs fonds?

M. Wilson : Bien sûr.

Le sénateur Tkachuk : Il n'a donc pas à s'enregistrer dix fois. Une fois qu'il est enregistré, ça ne va pas plus loin.

M. St-Gelais : C'est exact.

Pour en revenir à la question précédente, il faut savoir qu'une fois qu'il est enregistré en qualité de gérant de fonds auprès des organismes de réglementation canadiens, le courtier doit appliquer certains principes y compris la connaissance des besoins du client. L'ACCOVAM veille à ce que les gérants de fonds enregistrés respectent ce genre de disposition. Nous pouvons intervenir si nous constatons quelque chose de louche, mais à ce moment-là nous devons nous appuyer sur des preuves. Dans le secteur des fonds de couverture, le plus inquiétant, c'est que les investisseurs ne savent pas forcément ce qui se passe. Nous ne disons pas que c'est un problème ou au contraire qu'il n'y a pas de problème, mais tous ceux qui vendent des produits financiers et qui sont enregistrés doivent se conformer aux exigences associées aux procédures d'inscription et de déclaration.

Le sénateur Harb : Les fonds de couverture canadiens doivent être enregistrés auprès de vos organisations. Est-ce que ces fonds peuvent investir aux États-Unis? Le cas échéant, est-ce qu'ils doivent tout de même s'inscrire auprès de vous?

M. Wilson : L'obligation de s'enregistrer n'est pas liée à la destination des placements, mais plutôt à la domiciliation du siège du gérant de portefeuille. Ainsi, si le siège se trouve au Canada, que les opérations sont effectuées à partir d'une province canadienne, le gérant doit s'enregistrer.

Le sénateur Harb : Est-ce que vous régissez le portefeuille de ces gens-là aux États-Unis?

M. Wilson : Non, à moins qu'ils ne déposent un prospectus, mais ces fonds ne sont pas visés par ces dispositions.

Le sénateur Harb : Dans vos remarques liminaires, vous avez dit que les fonds de couverture valent à près 30 milliards de dollars et qu'ils progressent à raison de 30 p. 100 par an. Nous pourrions donc avoir déjà atteint 50 ou 60 milliards de dollars.

M. Wilson : Plus vraisemblablement 35 milliards de dollars ou un peu plus.

Le sénateur Harb : Normalement, il faut que les mises en commun à des fins de placement soient d'abord approuvées, après quoi l'emprunteur du capital dispose d'une période de réflexion. En Ontario, il arrive souvent que les courtiers recueillent l'argent auprès des cinq ou six investisseurs pour placer la somme ou la prêter à quelqu'un d'autre. Or, la province a décrété que cette pratique n'est plus acceptable. Celui qui participe à un tel consortium doit savoir où son argent aboutira. Ne craignez-vous pas que, dans certains cas, les investisseurs ne sachent pas où se aboutit leur argent?

M. St-Gelais : Il est évidemment préoccupant que l'investisseur ne sache pas ce qui se passe, où son argent se retrouve, ni quel risque il prend. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous voulons que vendeurs connaissent les produits en question et, deuxièmement, qu'ils soient au fait des besoins de leurs clients afin de pouvoir les conseiller correctement.

Comme ils sont en général des investisseurs avertis ayant recours à une exemption relative à « l'investisseur accrédité », les acheteurs de fonds de couverture doivent faire preuve d'une diligence raisonnable.

Le sénateur Harb : Je cotise à un fonds de pension, ce qui ne veut pas dire que je suis un investisseur averti. J'ai simplement fait confiance à ce fonds qui, comme vous le disiez, fait partie d'un secteur occupant 35 à 40 p. 100 du marché des fonds de couverture.

M. St-Gelais : Eh bien, dans ce cas, la réponse est encore plus simple. Les fonds de couverture sont beaucoup plus adaptés à des investisseurs institutionnels, importants — comme les fonds de pension — qu'à de petits épargnants. Si mon fonds de retraite est administré par le gérant d'un fonds de pension institutionnel, très important, et que celui-ci place mes épargnes, c'est lui qui devra faire preuve de diligence raisonnable. Les grands fonds de pension sont en mesure de placer dans les meilleurs fonds de couverture du monde. Ils ne peuvent pas être partout, mais leurs administrateurs sont en mesure de comprendre ce que cela sous-entend ou quelles sont les stratégies de placement à adopter dans des produits dérivés pour obtenir un effet de multiplication optimal, comme M. Wilson l'a dit dans son exposé. Personnellement, je suis mon préoccupé par les placements réalisés par les investisseurs institutionnels que par ceux des épargnants qui ont directement accès à des billets à capital protégé, parce qu'il est alors très important que ces investisseurs-là sachent ce qu'ils font. N'oubliez pas que nous entrons dans une ère où la divulgation sera plus stricte.

Le sénateur Harb : Des hauts fonctionnaires américains nous ont dit que notre système d'enquête laisse beaucoup à désirer, que nous n'appliquons pas le principe de la diligence raisonnable, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis. Les Américains nous ont dit que les gérants de portefeuille de certains de ces fonds manipulent énormément les contenus. Cela m'amène à vous demander — surtout un jour comme aujourd'hui où les marchés sont considérablement à la baisse à la suite de l'annonce par le gouvernement de l'imposition des fiducies de revenu — quelle mesure vous prendriez en pareil cas pour déterminer ce qui s'est passé, qui a fait quoi et s'il y a eu irrégularités? Dans quelle mesure une journée noire comme celle-ci pourrait-elle affecter les fonds de couverture?

M. St-Gelais : M. Wilson pourrait peut-être nous faire part de ses réflexions générales au sujet de la surveillance des marchés financiers au Canada et de l'impact relatif de nos activités d'exécution.

Sachez, toutefois, que pour assurer la surveillance des marchés un jour comme celui-ci, les commissions des valeurs mobilières de l'Ontario et du Québec comptent sur des gens qui examinent la situation en cas de fortes variations du cours des titres d'émetteurs importants. Nous nous demandons s'il n'y a pas eu délit d'initiés. Comme la plupart des transactions sont réalisées par des courtiers, nous cherchons à déterminer s'ils n'ont pas obtenu des informations avant de transiger en bourse. À la Bourse de Toronto, et sur d'autres places boursières, nous pouvons ainsi compter sur Market Regulation Services Inc. Dès que quelque chose d'inhabituel se produit, ces gens-là prennent contact avec notre service d'exécution, d'inspection et d'enquête. Nous cherchons dès lors tout de suite à déterminer s'il n'y a pas eu d'irrégularités.

Les choses sont beaucoup plus faciles quand les produits font l'objet d'un prospectus que nous examinons d'avance. Après coup, nous pouvons demander à la firme de courtage ce qui s'est produit et si elle s'est conformée à ce que dit le prospectus. D'un autre côté, les fonds de couverture exemptés, les fonds de placement et les consortiums d'investissement en tous genres échappent à notre surveillance directe et nous devons enquêter auprès des courtiers attitrés, des gérants de portefeuille, pour savoir s'ils ont fauté.

Le président : Si vous avez constaté une faute, la seule sanction est la radiation de votre registre, car le fonds n'est pas touché.

M. St-Gelais : Tout dépend de ce que nous constatons.

Le président : Supposons que vous constatiez que le courtier a fait preuve de mauvais jugement ou qu'il a commis une faute d'action. Dans ce dernier cas, l'affaire est renvoyée à l'ACVM qui est le chien de garde de l'industrie, n'est-ce pas?

M. Wilson : Nous confierions le dossier à notre service de l'exécution.

Le président : En fin de compte, il s'agirait d'une cause probable de...

M. St-Gelais : Selon la nature du problème, nous pourrions appliquer des sanctions administratives et des sanctions pénales en passant par un tribunal provincial. Nous pourrions transmettre le dossier à la GRC ou à la Sûreté du Québec. Nous ne manquons pas d'initiative dans ce domaine et si comité désire en parler, je suis certain que nous pourrions le faire.

Le président : Quand vous constatez une irrégularité quelconque, que faites-vous? C'était ça la question du sénateur Harb.

M. Wilson : Eh bien, nous pouvons pénaliser les responsables et demander aux tribunaux de geler les actifs afin de protéger l'argent des investisseurs, le temps de déterminer s'il y a eu irrégularité.

M. St-Gelais : Nous pouvons aussi nommer un syndic.

Le sénateur Harb : Votre remarque au sujet des consortiums d'investissement qui échappent à votre contrôle m'a intéressé, parce que cela veut dire que vous ne savez pas ce qui se passe dans leur cas étant donné qu'ils sont exclus du régime réglementaire. Vous avez dit que les investisseurs peuvent placer leur argent dans une banque et faire garantir leur capital. Il n'est pas possible de se tromper dans ce cas. Ce que je veux dire, c'est que si les choses se passent mal, il revient à la banque de se débrouiller. Vous déposez 100 $ que la banque investit pour vous. Si elle dégage un bénéfice, que prélève-t-elle sur le rendement? Est-ce que la totalité de la somme revient à l'investisseur?

M. Wilson : La banque garantit le retour du capital à échéance, au bout de cinq, sept ou 10 ans. Dans le cas d'un billet à capital protégé, l'élément risque porte sur le rendement. Dans un instrument de 10 ans, le rendement sur le capital représente environ 35 ou 40 p. 100.

Le sénateur Harb : Je vois. Si vous deviez inviter ce comité à faire une seule chose, que nous recommanderiez-vous?

M. St-Gelais : Il faudrait que j'y pense.

Le président : Dans l'intérêt du public.

M. Wilson : À très court terme, nous visons à améliorer le régime réglementaire dans le cas des billets à capital protégé qui sont un sous-produit des fonds de couverture. Ce genre d'instrument, qui représente actuellement au Canada une valeur totale d'environ 30 milliards de dollars, est vendu sans prospectus. Nous trouverions utile que le Sénat nous fasse part de son point de vue sur ce produit.

M. St-Gelais : Nous avons pris langue avec les grandes banques au Canada au sujet de ce produit et nous leur avons bien précisé, d'entrée de jeu, que nous voulons collaborer avec nos homologues du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, et ceux du ministère des Finances pour ne pas nous empêtrer dans des problèmes de compétence et nous assurer que tout cela soit transparent.

Le sénateur Tkachuk : J'ai quelques questions à poser à propos des billets à capital protégé, ne serait-ce que parce que je vous ai vu opiner du chef quand il en a été question. Pourquoi donc?

M. Wilson : Ces produits sont écoulés très rapidement et dans des volumes importants; ils présentent des niveaux de risque variés, mais ceux qui sont les plus risqués devraient être mieux encadrés, faire l'objet d'un prospectus ou d'un document semblable et être vendus par des gens enregistrés, compétents, ayant été formés à la vente de titres risqués. À cause des exemptions consenties il y a très longtemps, rien de tel n'est actuellement exigé.

Le sénateur Tkachuk : Qui achète ce genre de produits?

M. Wilson : Les petits épargnants.

Le sénateur Tkachuk : Est-il compliqué d'acheter ces instruments? Est-ce qu'on peut les acheter directement sur Internet ou est-ce qu'il faut s'adresser à un courtier?

M. Wilson : Il faut s'adresser à un courtier, à un vendeur de fonds communs de placement, à une succursale bancaire ou à une Caisse Desjardins.

Le sénateur Tkachuk : On pourrait penser que tous ces gens-là connaissent le produit qu'ils vendent.

M. Wilson : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi donc faudrait-il protéger les acheteurs? J'estime que les gens ont le droit de faire de l'argent ou d'en perdre.

M. Wilson : Certes, dans la mesure où les faits sont divulgués avant qu'ils n'investissent.

Le sénateur Tkachuk : N'est-ce pas actuellement le cas?

M. Wilson : Nous sommes d'avis que l'on pourrait améliorer le régime de divulgation des risques associé à certains de ces billets à capital protégé.

Le sénateur Tkachuk : Vous dites que l'investissement est prélevé sur les sommes gagnées sur le capital.

M. Wilson : Le rendement est calculé sur le capital.

Le sénateur Tkachuk : Et ce rendement, est-il relativement garanti? Est-ce que le dépôt initial est placé dans un instrument relativement sûr ou se retrouve-t-il dans des actions?

M. Wilson : Prenons l'exemple d'un investisseur qui place 100 $; sur cette somme, 65 $ serviront à acheter une obligation à coupon zéro et 35 $ seront investis dans des actifs à risque, comme des fonds de couverture ou des indices de produits de base. L'obligation à coupon zéro de 65 $ sera portée à la valeur nominale à échéance et le produit des autres investissements plus risqués, quel qu'il soit, sera partagé entre l'investisseur et le fabricant du produit.

M. St-Gelais : Vous avez raison de dire qu'il n'y a rien de mal à vouloir faire de l'argent ni à en perdre, si c'est le vôtre. Nous estimons que les billets à capital protégé sont comme des actions, et il se trouve que nous réclamons la divulgation d'un certain nombre d'éléments à leur sujet. Dans le cas des titres, la divulgation se fait par voie de prospectus qui indique les commissions et le reste. En revanche, une telle divulgation n'est pas exigée pour ces produits en pleine progression, même si certains petits détaillants achètent des billets à capital protégé comme s'il s'agissait de CPG, de certificats de placement garanti.

Le sénateur Tkachuk : C'est uniquement parce que, dans ces cas-là, la totalité du capital est investi. Celui qui met de l'argent dans des REER ou dans des fonds communs de placement dont la totalité des sommes est investie quelque part, devrait savoir où se abouti son argent. Avec un instrument comme celui-ci, on vous dit simplement que vous récupérerez votre capital au bout de sept ans. C'est ça qu'on vous garantit. Soit on ne vous verse rien d'autre que votre capital de départ, soit vous serez plus riche. Celui qui a envie de croire dans cela et qui fait ce genre d'investissement...

M. St-Gelais : Ça va, mais je ne suis pas certain que les investisseurs sachent, comme M. Wilson l'a dit, que 35 p. 100 de leur investissement se retrouve dans un instrument risqué pendant 10 ans.

Le sénateur Tkachuk : Quelle est la responsabilité de l'investisseur et quelle est celle du vendeur? Où commence l'une et où finit l'autre?

M. Wilson : L'organisme de réglementation doit veiller à ce qu'il y ait divulgation. Le vendeur a pour responsabilité de comprendre le produit et de s'assurer qu'il convient à l'investisseur. L'investisseur, quant à lui, a pour responsabilité d'être conscient des risques qu'il prend. Je ne saurais mieux vous dire.

Le sénateur Tkachuk : Et vous pensez que ce n'est pas ce qui se produit actuellement.

M. Wilson : La divulgation n'est pas aussi parfaite que nous le souhaiterions.

Le sénateur Tkachuk : Que faudrait-il améliorer?

M. Wilson : Il faut améliorer la divulgation des risques associés à tout le produit.

Le sénateur Tkachuk : Comme le risque concerne le rendement, soit les intérêts réalisés à partir du placement initial, cela revient-il à dire que les courtiers ne donnent pas d'information sur le pourcentage qu'ils vont prélever?

M. Wilson : C'est exact. Le calcul du rendement net est complexe. Il peut être plafonné et il peut être lié à divers indices. Les commissions à verser à l'achat de produits dérivés pour participer à l'indice ne sont pas forcément bien indiquées.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je remercie nos témoins. J'aurais quelques questions conceptuelles pour bien comprendre dès le départ. Sommes-nous d'accord, en tant que gestionnaire, que les investisseurs sophistiqués qui satisfont les critères d'investisseurs évolués n'ont pas besoin d'être protégés? S'ils ont un million de dollars d'actifs libres et qu'ils sont qualifiés, sentons-nous pas une obligation de les gérer ou de les superviser? Acceptons-nous ce concept aujourd'hui?

M. St-Gelais : Oui, absolument. C'est le concept d'investisseur averti. Dans la Loi sur les valeurs mobilières, nous prenons pour acquis que ces gens ont une connaissance suffisamment grande du marché des capitaux et des risques qu'ils prennent. Du fait qu'ils ont déjà beaucoup d'argent accumulé, souvent un million d'actifs et plus d'accumulés, on prend l'hypothèse que c'est le cas. Ce n'est pas nécessairement le cas de 100 p. 100 des gens. C'est la base de notre réglementation des valeurs mobilières et des fonds de couverture.

Le sénateur Massicotte : Aux États-Unis, le montant est plus élevé, est-ce 2,2 millions?

M. St-Gelais : Je crois, oui.

Le sénateur Massicotte : Si le couple a un gros revenu annuel élevé, c'est un million et plus?

M. St-Gelais : Le plus élevé, c'est un million d'actifs, un investissement de 150 000 dollars et un revenu de 200 000 dollars ou un revenu cumulé avec l'épouse de 300 000 dollars.

Le sénateur Massicotte : Il faut satisfaire les trois critères. Ce n'est pas « ou », c'est « et » si je comprends bien?

M. St-Gelais : Oui.

Le sénateur Massicotte : L'intérêt public est pour le petit investisseur. Si nous sommes satisfaits moralement qu'il n'est pas nécessaire de protéger ces gens. Le petit investisseur veut s'assurer que lorsqu'il achète le produit, il est bien informé, il connaît bien le risque. Vous parlez du fait qu'il y a une lacune, les BPN. Vous dites que les gens qui investissent ne sont pas bien avisés, bien informés des risques qu'ils prennent. Suite au commentaire du sénateur Tkachuk, le vendeur, souvent un employé d'une banque ou d'une caisse Desjardins, assume la responsabilité principale et il faut s'assurer qu'il est bien informé pour aviser le client. N'est-ce pas une lacune au départ?

M. St-Gelais : Plus les fonds de couverture sont vendus, distribués à des investisseurs individuels, plus ils ont accès à ce genre d'investissement en croissance fulgurante, que ce soit via les billets à capital protégé ou via des fonds de fonds ou une partie de fonds mutuels dans un fonds de couverture, plus les gens sont exposés à ces fonds, plus ceux qui leur donnent des conseils doivent être bien avisés pour donner des conseils et bien servir leur client. Chez Desjardins et dans les banques, la majorité des gens qui distribuent ces produits ont assurément ces compétences.

Maintenant on dit que le produit lui-même est très complexe. Il devrait faire l'objet des exigences de divulgation au même titre que les autres produits qui sont des valeurs mobilières complexes. Parce que, oui, le capital est garanti mais le rendement qui est accumulé sur le capital, qui est indexé à un fonds de couverture, parfois il a un plafond, et les frais peuvent varier si on atteint le plafond ou pas. Le rendement de l'index est peut-être investi sur le marché secondaire — ce sont des produits extrêmement complexes — difficiles à élaborer par les institutions financières. Alors quand cela arrive à leurs représentants, on pense qu'il devrait y avoir un minimum, un document qui dit aux gens : Vous avez un tel risque, vous êtes exposés à cela bien que votre capital est garanti et les frais que l'on charge peuvent atteindre un tel niveau.

Le sénateur Massicotte : Même si on présente un prospectus, cela ne change pas grand-chose. Généralement les investisseurs ne lisent pas ce document. Et le but principal est que les institutions avisent clairement et que les vendeurs soient mieux informés. La lacune existe. Je pense que les règlements sont déjà adéquats.

M. St-Gelais : Du côté des billets à capital protégé, c'est la Loi sur les banques qui les régit. Elle présente des critères généraux de divulgation. La Loi sur les valeurs mobilières est plus détaillée. Est-ce qu'on demande trop d'informations? L'important c'est que ce soit écrit en langage clair et simple. Et l'autre élément que je voudrais ajouter, c'est lorsque vous exigez un document d'une institution financière, une responsabilité pour l'institution vient avec la production du document.

Le sénateur Massicotte : Et ce n'est pas le cas aujourd'hui?

M. St-Gelais : On pense que les exigences en matière de valeurs mobilières qui sont des produits similaires au billet à capital protégé sont plus grandes. On pourrait les réduire. La question est : est-ce qu'on va réduire la protection des consommateurs?

Le sénateur Massicotte : Un groupe de travail a produit un rapport le 4 octobre intitulé : Le Canada s'engage. Ce comité était composé de gens très habiles et compétents. Ils recommandent, contrairement à vos recommandations, de réglementer plus sévèrement tout le concept de fonds de couverture. Et surtout au point de vue des conflits d'intérêts, cela a l'air à indiquer qu'il y a un manque de transparence. Je comprends que vous n'êtes pas d'accord avec le rapport. Vous dites qu'effectivement les réglementations sont adéquates sauf pour les PPN mais le reste a l'air acceptable. Pouvez-nous expliquer pourquoi vous n'êtes pas d'accord avec le rapport?

[Traduction]

M. Wilson : Nous sommes d'accord avec l'essentiel de ce rapport. Comme je le disais tout à l'heure, au Canada, les gérants de portefeuille sont enregistrés, mais pas les administrateurs de portefeuille. Le rapport Allen, dont vous parliez, recommande que nous enregistrions également les administrateurs et c'est ce que nous allons recommander de faire l'année prochaine.

Si le gérant et l'administrateur de portefeuille étaient tous deux enregistrés, les commissions de réglementation pourraient arbitrer les conflits les opposant. M. St-Gelais et moi-même souhaitons que l'on donne suite à la recommandation du rapport Allen au sujet de l'enregistrement des administrateurs.

Le sénateur Massicotte : Que pensez-vous des autres recommandations, de celles concernant l'amélioration des notices d'offre?

Le président : C'est une question importante que je ne veux pas court-circuiter, mais pourriez-vous nous répondre au sujet des recommandations du rapport Allen et donner une réponse complète à la question du sénateur Massicotte en indiquant ce avec quoi vous êtes d'accord et ce avec quoi vous n'êtes pas d'accord? Cela nous donnera une idée du genre de chose que vous aimeriez nous voir faire. Et puis, vous répondrez ainsi plus complètement à la question du sénateur Massicotte.

Avant que nous ne décidions de resserrer la réglementation — et nous n'avons pas d'idée arrêtée à ce sujet — nous aimerions recueillir le point de vue de l'industrie pour déterminer la façon la plus viable de procéder. Nous verrons ensuite si nous acceptons ou pas vos recommandations. Nous voulons d'abord recueillir les meilleurs renseignements et conseils possibles.

Pourriez-vous nous faire une analyse dossier par dossier et nous dresser un pense-bête.

M. Wilson : Pourriez-vous nous donner un peu de temps pour préparer tout cela et le transmettre ensuite au comité?

Le président : Oui.

M. Wilson : Eh bien, c'est ce que nous allons faire, nous allons examiner la question, parce que nous ne l'avons pas encore étudiée à fond.

Le président : Si vous ne vous êtes pas encore fait d'idée, mettez un point d'interrogation. Nous essayons de dégager un consensus sur l'orientation à prendre.

[Français]

Le sénateur Goldstein : Je vous remercie d'être venus. Cela nous fait toujours plaisir de vous entendre.

[Traduction]

J'ai trois questions à vous poser, dont une qui fait suite à celle du sénateur Massicotte.

Vous nous avez dit, à propos de l'enregistrement des courtiers, que les distributeurs sont réglementés, mais pas les gérants. C'est cela?

M. Wilson : Les gérants de portefeuille sont enregistrés, ainsi que les distributeurs. Ce sont les administrateurs qui ne sont pas enregistrés, mais l'an prochain nous allons proposer qu'ils le soient.

Le sénateur Goldstein : Qu'advient-il si un fonds est un fonds de fonds de couverture, étant donné que les administrateurs et les distributeurs des fonds de couverture sous-jacents ne sont pas enregistrés? Comment assurer la transparence dans ce genre de situation?

M. Wilson : L'administrateur du fonds de fonds de couverture serait enregistré, mais la question est plutôt de savoir ce qu'il achète. Nous n'exigeons pas que les actifs constituant un fonds de fonds soient tous des fonds de couverture enregistrés au Canada. Il peut s'agir de fonds de couverture étrangers.

Le sénateur Goldstein : C'est précisément ce dont il s'agit. Cela ne vous incombe pas, mais qui assure la transparence de ce genre d'investissement? Si j'achète un fonds qui se trouve être un fonds de fonds de couverture, comment serai-je protégé?

M. Wilson : La personne qui fera le montage du fonds de fonds de couverture vous dira ce qu'il peut faire avec votre argent. Il faudrait cependant que vous soyez un investisseur averti.

Le sénateur Goldstein : Ne parlons pas de moi, parce que c'est mon cas. Parlons de l'homme de la rue, qui n'est pas admissible dans cette catégorie.

M. Wilson : Le fonds de fonds qui peut être vendu à l'homme de la rue est décrit dans un prospectus. Ce prospectus dévoile, d'entrée de jeu, tout ce qui concerne le placement et la divulgation se poursuit ensuite, tous les trimestres, jusqu'à échéance du produit.

Le sénateur Goldstein : Que faites-vous au sujet des risques en cascade, quand il y a une pléthore de fonds de couverture qui, en fin de compte, ne constituent qu'un seul et même placement, un même risque, parce qu'on ignore que six, sept ou douze d'entre eux parient sur le cours du pétrole en 2007?

M. Wilson : Vous parler là du risque systémique. Il se trouve que les organismes de réglementation n'ont pas explicitement pour mandat de s'occuper du risque systémique, mais nous sommes en liaison avec nos homologues du BSIF et de la Banque du Canada à ce sujet. Nous les rencontrons tous les trimestres pour parler d'un certain nombre de choses avec eux, mais en tant qu'organisme de réglementation, nous ne nous occupons pas spécifiquement de ce genre de question.

Le sénateur Goldstein : Comment pourrait-on gérer le risque systémique?

M. Wilson : Il vaudrait mieux que vous posiez cette question aux témoins du BSIF ou de la Banque du Canada, ou encore à nos homologues du ministère des Finances qui témoigneront tout à l'heure.

Le président : À New York, le sénateur Goldstein a posé la même question aux Américains. Un des experts présents a suggéré de passer par une chambre de compensation. La situation n'est pas différente de ce qui existait dans le milieu bancaire avant l'adoption du système de compensation pour les chèques. À l'époque, les risques s'accumulaient, mais personne ne savait si tous ces risques se retrouvaient en un seul et même endroit. Je ne pense pas que le BSIF se penche forcément sur ce genre de question. Les Américains nous ont donc recommandé de mettre en place une chambre de compensation pour permettre l'identification du risque. Ce n'est pas vraiment une mesure réglementaire, mais plutôt une mesure de surveillance. Qui pourrait être contre ce genre d'idée?

M. Wilson : Le BSIF et la Banque du Canada examinent les risques associés aux transactions non réglées ainsi que les risques importants et concentrés au niveau des instruments financiers. Je pense que M. St-Gelais va pouvoir répondre à votre question.

Le président : Je ne voulais pas vous interrompre, sénateur Goldstein.

Le sénateur Goldstein : Merci, car ça en valait la peine.

Il y a deux vendredis de cela, le New York Times a publié un éditorial sur les fonds de couverture sous le titre « Closing in on hedge funds ». Permettez-moi de vous en lire un petit extrait :

Ces dernières années, les fonds de couverture, essentiellement non réglementés, ont gagné en importance sur les marchés boursiers, puisqu'ils représentent maintenant près de la moitié de toutes les transactions des bourses de New York et de Londres. Ils sont même récemment devenus des joueurs de premier rang sur le marché de la dette en qualité de prêteurs à des entreprises, à d'acheteurs de prêts bancaires et à des investisseurs dans des produits dérivés peu évidents qui dépendent de la qualité du crédit des entreprises.

Dans quelle mesure les fonds de couverture canadiens sont-ils présents sur le marché de la dette plutôt que sur celui des actions, des produits dérivés et autres?

M. Wilson : Nous ne savons pas exactement ce qu'il en est de la situation des portefeuilles d'actif des fonds de couverture canadiens. Nous connaissons celle des gestionnaires de portefeuille. D'une façon générale, nous pensons que les fonds de couverture gérés par des Canadiens peuvent acheter n'importe quel actif, notamment des dettes, des titres, des produits dérivés et des produits de base. Il n'existe en fait aucune limite à la quête d'un rendement maximum pour les détenteurs de blocs de titre.

Le sénateur Goldstein : Autrement dit, malgré l'actuel système d'enregistrement de certains distributeurs et gérants de fonds de couverture, notre règlement et la transparence font problème.

M. Wilson : Nous ne surveillons pas les stratégies de placement de ces gens-là, mais leurs compétences et la mesure dans laquelle ils se conforment aux règles d'investissement. Nous ne prenons pas les décisions d'investissement à leur place.

Le sénateur Goldstein : La dernière question à ce sujet découle de l'avant-dernier paragraphe de cet éditorial qui explique qu'un certain nombre de sénateurs commencent à recueillir des points de vue sur la façon dont le Congrès pourrait améliorer la transparence des fonds de couverture. Pensez-vous qu'il existe un régime, administré par les 13 provinces et territoires ou par le gouvernement fédéral, qui pourrait nous permettre de parvenir à ce résultat, outre l'obligation faite aux gens de s'enregistrer? Je ne veux pas me lancer dans un débat constitutionnel, parce que ce serait trop compliqué, mais pourrait-on trouver une façon d'instaurer une transparence soutenue au Canada en prenant acte du fait que certains fonds de couverture sont investis dans d'autres fonds de couverture qui, eux, sont étrangers?

M. Wilson : Il serait toujours possible de demander à une association de fonds de couverture, comme AIMA Canada, de produire ce genre d'information, ou on pourrait lui en donner le mandat.

M. St-Gelais : Oui, ce serait possible, mais il faut voir si vous réclamez une plus grande transparence en permanence, comme l'exigent les règlements sur les valeurs mobilières. Une telle exigence nécessite normalement l'adoption d'une impressionnante masse de règlements très détaillés précisant la façon de traiter l'information. Â ce moment-là, vous devriez demander à AIMA Canada de vous fournir des renseignements, ce qui est quelque chose de différent. Par ailleurs, plus nombreux seront les gros investisseurs institutionnels à investir dans ce genre de produit et plus ils réclameront des renseignements supplémentaires sur ce qu'ils achètent et plus ils se renseigneront auprès des agences de notation. Tout cela, combiné aux particularités des fonds de placements communs, contribuerait à accroître la transparence. Aurions-nous vraiment besoin d'ajouter quelque chose? Je dirais que nous ne sommes pas au stade où nous devons adopter des règlements contraignants.

Le sénateur Goldstein : Ce n'est donc actuellement pas ce que vous visez.

M. Wilson : Ce que nous visons pour l'instant, c'est l'enregistrement des administrateurs comme des gérants; nous voulons aussi combler le vide réglementaire dans le cas des billets à capital protégé pour nous assurer que les vendeurs enregistrés vendent des produits convenant à leurs clients. Voilà, brièvement résumées, quelles sont nos priorités.

Le sénateur Goldstein : Laissons de côté les questions constitutionnelles et ce que dit votre mandat, étant donné que votre position s'appuie sur la loi; estimez-vous être en mesure, en qualité d'organisme de réglementation, d'imposer une plus grande transparence?

M. Wilson : Les organismes de réglementation n'aiment pas imposer, à moins qu'il y ait vraiment quelque chose à en retirer. Avant d'agir, nous étudierions les avantages associés à l'imposition d'une obligation.

[Français]

Le sénateur Goldstein : Est-ce votre réponse aussi?

M. St-Gelais : Je suis d'accord avec M. Wilson, mais nous ne sommes jamais opposés à trop de pouvoir si vous nous laissez libres de choisir.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je ne comprends pas très bien comment on fait pour lancer un fonds, ni ce que sont un gérant et un administrateur.

Une firme de placement peut-elle décider de créer un fonds afin d'investir dans certains domaines de l'activité économique? La firme doit-elle préciser dans quel secteur elle va investir? Est-ce que tous les fonds comportent une date d'échéance? Que fait le gérant par rapport à l'administrateur? L'un est enregistré et l'autre pas.

Après cela, je vous poserai une question sur les billets à capital protégé.

M. Wilson : Pour répondre à vos deux ou trois premières questions, je dirais que cela dépendra beaucoup du genre d'actifs dans lesquels ils décident d'investir.

Le sénateur Moore : C'est qui « ils »?

M. Wilson : Ceux qui ont mis sur pied le fonds de couverture. Il s'agit des gérants de portefeuille qui travaillent en collaboration avec l'administrateur du portefeuille, deux fonctions que je vais vous expliquer tout à l'heure.

Il existe toute une gamme de stratégies, de marchés et d'approches possible. En fait, il n'y a pas de plan universel susceptible de décrire ce que font les gens dans l'univers des fonds de couverture quand ils mettent sur pied un tel instrument. Je vais essayer de vous préciser les fonctions assumées par les deux entités dont nous avons parlé aujourd'hui.

Le gérant de portefeuille, lui, décide du genre d'actif à acheter et à vendre et de la structure à mettre en place dans le portefeuille d'actifs. C'est lui qui est enregistré au Canada.

L'administrateur du fonds prépare les rapports financiers, s'occupe des communications avec les investisseurs et de l'évaluation des actifs et, à la fin de chaque mois ou de chaque trimestre, il produit les plans de commercialisation portant sur la vente de blocs supplémentaires par l'intermédiaire des courtiers enregistrés.

Le sénateur Moore : C'est lui qui vend?

M. Wilson : Il a notamment pour fonction de veiller à ce que les vendeurs soient au courant du produit. L'administrateur du fonds élabore les stratégies de commercialisation et tient la comptabilité.

Le sénateur Moore : Est-ce que l'administrateur et le gérant travaillent tous deux pour la même firme de placement?

M. Wilson : En règle générale, ils travaillent pour celui qui a commandité le fonds de couverture. Il arrive que le gérant soit un contractuel, engagé par le créateur d'un fonds de couverture pour faire le travail. Les firmes de courtage se chargent de la distribution et il est rare qu'elles lancent et administrent les fonds de couverture. Elles distribuent en fait les titres de placement dans les fonds de couverture, que les investisseurs achètent quand ils placent leur argent dans un fonds de couverture.

Le sénateur Moore : Est-ce que le gérant effectue des recherches sur les placements désirables?

M. Wilson : C'est le gérant de portefeuille qui s'en occupe.

Le sénateur Moore : Le gérant du fonds et le gérant de portefeuille sont-ils la même personne?

M. Wilson : Non. L'administrateur du fonds s'occupe de l'administration et le gérant du portefeuille investit les actifs. Ce sont deux fonctions différentes.

Le sénateur Moore : Le gérant de portefeuille et le gérant de fonds sont la même personne.

M. Wilson : Le gérant de portefeuille remplit une fonction et l'administrateur du fonds en remplit une autre.

Le sénateur Moore : La date d'échéance varie-t-elle selon le secteur dans lequel les fonds sont investis et suivant ce que décide le créateur du fonds?

M. Wilson : Oui.

Le sénateur Moore : Est-ce que le fonds aussi est enregistré ou est-ce que seul le gérant l'est?

M. St-Gelais : Le gérant de portefeuille est enregistré. Je n'ai peut-être pas correctement répondu à votre question tout à l'heure. Pour s'enregistrer en qualité de gérant de portefeuille, il faut avoir suivi certains cours — d'analyste financier agréé de niveau 1 et de conseiller en placements agréé — et posséder cinq ans d'expérience dans l'industrie.

Le sénateur Moore : Qui a imaginé les billets à capital protégé? Depuis quand sont-ils sur le marché?

M. Wilson : Sauf pour ce qui est de la formule simple des dépôts bancaires, cela fait 10 ou 15 ans que les billets à capital protégé existent. Ils ont commencé à gagner en popularité dans la période de la bulle des « point com » en bourse. Les gens achetaient des certificats de placement garanti hors bourse, les CPG, auprès de leur banque et les taux d'intérêt étaient indexés sur le NASDAQ. C'est ainsi que tout a débuté. Ces dernières années, on a constaté que de plus en plus de billets à capital protégé sont en circulation, puisqu'ils représentent quelque 30 milliards de dollars canadiens et qu'ils sont tous détenus par des petits investisseurs.

Le sénateur Moore : Vous avez dit, je crois, que 8 milliards de cette somme sont investis dans des fonds de couverture sous-jacents. Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne? Je me rends à ma banque et mon directeur me dit « Vous avez 20 000 $ dans votre compte que je pourrais investir pour vous. Je vous recommande d'acheter un billet à capital protégé ». Je lui réponds que je suis d'accord, il prend l'argent et qu'en fait-il à partir de ce moment-là, dans le cas d'un fonds de couverture? Que se passe-t-il?

M. St-Gelais : Le rendement promis sur sept, huit ou 10 ans dépend du rendement des fonds de couverture sous- jacents.

M. Wilson : Donc, dans le pire des cas, on récupère ces 20 000 $ au bout de sept ans. Dans la meilleure des hypothèses, on récupère 20 000 $ augmentés d'un rendement annuel de 10, 12 ou 14 p. 100. Cette partie là, cependant, c'est l'inconnu et c'est donc le risque.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai constaté cela dans les ressources naturelles, le pétrole, le gaz, les mines, et cetera. Je me demandais si une entreprise à la bourse qui a des actions, des obligations, ferait appel à un fonds de couverture pour faire des acquisitions? N'y a-t-il pas un conflit entre les intérêts des actionnaires, des détenteurs d'obligations et ceux qui achèteraient des titres liés à un fonds de couverture ou un fonds spéculatif? Quand on dit un fonds spéculatif, cela sonne comme un risque. Quand on dit fonds de couverture, le mot « risque » semble un peu moins grand. Mais je me posais la question à savoir s'il n'y avait pas un conflit entre les différents investisseurs puisqu'on prendrait différents outils pour une seule entreprise.

M. St-Gelais : Je pense que votre question peut couvrir divers éléments de ce qu'on fait dans la réglementation des institutions financières. Il n'est pas exclu que, par exemple, un émetteur qui veut prendre de l'expansion, peut utiliser des instruments financiers comme les fonds de couverture pour les fins de sa propre entreprise. Si c'est un secteur risqué, il peut l'utiliser pour réduire le risque et profiter des rendements plus grands. Mais s'il veut entrer dans une autre stratégie, c'est une question de gouvernance. Certains les ont qualifiés de « pression » ou d'autres ont appelé les fonds de couverture «terroristes», pour avoir des vues très agressives. C'est lié à la gouvernance de l'entreprise.

M. Yvan Allaire, de l'Institut des administrateurs de sociétés au Québec que vous connaissez sûrement a écrit récemment dans la revue Forces un article à savoir si on doit laisser les fonds de couverture adopter des positions très agressives pour forcer des fusions, forcer des acquisitions. Ce ne serait pas nécessairement à l'avantage des actionnaires minoritaires de l'entreprise. Cela pose la question suivante : à partir du moment où quelqu'un met son argent à risque au même titre que les autres actionnaires, pourquoi aurait-il une voix moins ou plus grande qu'une autre? C'est une question complexe.

Le sénateur Hervieux-Payette : Généralement, le rendement ne sera pas le même. L'obligation s'est déjà arrêtée. On a haussé le rendement. Plus c'est spéculatif, plus le rendement est grand.

M. St-Gelais : Ou il n'est pas là.

Le sénateur Hervieux-Payette : Mais s'il n'y a pas de rendement, je ne vois pas pourquoi il y aurait 40 p. 100 des fonds de pension qui investiraient dans ces outils financiers. Et ce que j'ai pu imaginer, la progression de cet outil financier, c'était justement parce que les rendements des actions n'étaient pas nécessaires — les dividendes ne sont pas très nombreux et l'augmentation de la valeur des actions non plus. À ce moment, les gens très créatifs et imaginatifs du secteur financier trouvent un autre moyen d'attirer les investisseurs. Est-ce qu'une valeur réelle est attachée à cela? Je parle du conflit qu'il peut y avoir entre les différents investisseurs dans la même entreprise. Et je me dis que si vous avez un mot à dire parce que vous recevez le rapport annuel parce que c'est une campagne qui est publique, si cette compagnie s'en va dans des instruments financiers auxquels vous n'avez pas accès à l'information, cela a un impact sur l'avenir de cette compagnie. Et vous mettez à risque les autres qui seraient moins spéculatifs mais dont le rendement ne serait pas aussi élevé. Comment réconcilie-t-on et que suggérez-vous pour qu'il n'y ait pas de course à aller dans ces outils, effectivement pour des acquisitions qui parfois ne seraient pas très sages.

M. St-Gelais : Ce qu'on demande dans la divulgation, dans les prospectus, c'est que les émetteurs canadiens divulguent ce qu'ils font complètement. À partir du moment où ils ont divulgué ce qu'ils font, ils investissent dans un fonds de couverture, on ne va pas questionner le bien-fondé de l'investissement. Si l'investisseur avait l'information, on s'arrête là. Deuxièmement, pourquoi les fonds de couverture ont des succès? On pense en général, la majorité des analystes est d'accord, qu'en allant dans des secteurs d'activité où d'autres investisseurs traditionnels ne peuvent pas aller, ils vont compléter les déficiences et les inefficacités du marché et c'est là qu'ils vont chercher des rendements additionnels que d'autres ne peuvent pas aller chercher, ayant la liberté d'investir dans n'importe quoi, n'importe où, cela leur donne un avantage sur les autres et c'est bénéfique. Les questions de divulgation se soulèvent.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur Wilson, je pense vous avoir entendu dire que ces billets à capital protégé sont vendus en tant que dépôts bancaires. Comment cela se fait-il? Quand on place son argent dans un compte bancaire, ça n'a rien à voir avec une transaction boursière. Comment en est-on venu à déterminer que ces billets sont des dépôts bancaires? J'ai l'impression qu'ils correspondent beaucoup plus à un véhicule de placement.

M. Wilson : Je vais devoir un peu rentrer dans le détail pour répondre à votre question. Il existe deux catégories de billets à capital protégé. Certains sont des dépôts. Les CPG hors cote sont vendus dans les succursales, mais leur taux d'intérêt est lié à la performance d'un indice; et puis, il y a des billets émis par des banques qui sont vendus par des maisons de courtage et des courtiers en fonds communs de placement, moyennant commission. Il s'agit du même genre de produit. Le capital est garanti par la banque dans les deux cas et les intérêts dégagés sont investis dans des éléments plus risqués. Le rendement est fonction d'un placement dans un instrument à risque et le capital est garanti à échéance. Les CPG cotés en bourse sont un instrument de ce genre et les billets à capital protégé en sont un autre, mais il s'agit des mêmes produits qui apparaissent au bilan de la banque.

Le sénateur Moore : Ah bon! Et est-ce bien indiqué qu'il s'agit d'un dépôt investi dans un fonds de couverture?

M. Wilson : La banque s'engage à rembourser la somme qu'on lui a confiée. Ce sont les intérêts réalisés sur le placement qu'elle conserve et réinvestit dans des instruments à risque.

Le président : Voyons si je parviens à résumer brièvement. Aux États-Unis, il n'existe pas de règlement et ce que nous avons au Canada est plutôt léger comme réglementation, parce qu'elle ne porte pas sur les consortiums d'investissement. Notre réglementation concerne les conseillers en placement et les administrateurs de fonds, et le contrôle ne va pas plus loin. Comme les sénateurs Tkachuk et Massicotte vous l'ont dit, tout repose sur le principe voulant que l'acheteur doit prendre garde et qu'il doit s'en remettre à des gérants et à des administrateurs de portefeuille compétents et expérimentés. C'est cela?

M. Wilson : Excellent résumé, sénateur.

Le président : Le 28 juin — et je tiens à remercier le sénateur Angus d'avoir porté cela à mon attention — le président du comité de la justice du Sénat des États-Unis a estimé que les transactions réalisées par les fonds de couverture sur le marché boursier américain représentent entre 1,5 et 3 billions de dollars chaque année. Comme vous l'avez dit, on assiste à une très forte progression à raison d'un taux composé de 30 p. 100 par an, surtout pour ce qui est des fonds en bourse.

Et puis, il y a le fait qu'on se retrouve dans la situation — et je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Massicotte qui vous posé des questions à ce sujet — où il s'agit essentiellement d'une fiducie sans droit de regard. C'est comme si les investisseurs avertis plaçaient leur argent dans une fiducie sans droit de regard, confiée à la bonne garde d'administrateurs ou de gérants de portefeuille qui administrent les fonds en fonction d'un document décrivant le processus, mais qui en fin de compte ne dit rien. Tout ce qu'on dit, c'est qu'on place vos fonds. L'effet amplificateur pourrait être de 100, 200 ou 300 p. 100 d'après les meilleurs instruments disponibles sur le marché boursier, au Canada et à l'étranger.

M. Wilson : D'accord.

Le président : Voici la question que beaucoup d'entre nous se posent : qu'advient-il du risque de conflit d'intérêt? Celui-ci n'est absolument pas encadré. Les gérants peuvent acheter, vendre ou faire des opérations entre initiés. Il demeure que les conflits d'intérêt ne sont pas contrôlés.

Je crois savoir que, lors de son passage à New York, le sénateur Angus a appris que, selon l'industrie, les conflits d'intérêt abondent dans ce secteur. Il ne sera jamais possible de tous les mettre au jour, ni de s'y attaquer, à cause de la croissance remarquable de ces fonds. Je ne voudrais pas citer le sénateur Angus hors contexte, mais je crois que c'est bien cela qu'il nous a dit. A-t-on raison de tirer cette conclusion?

M. Wilson : Je crois que les conflits d'intérêt dont vous parlez sont ceux qui interviennent entre les gérants des fonds et les investisseurs eux-mêmes. Il n'existe effectivement aucun moyen de s'assurer que ces conflits sont correctement gérés, parce qu'il n'existe ni conseil d'administration ni comité de surveillance.

Le président : Pour prendre un cas extrême, quelqu'un pourrait investir 500 millions de dollars dans l'un de ces fonds en pleine expansion à condition que l'argent soit placé dans des actifs ou des intérêts qu'il possède, puisque rien ne permettrait de surveiller ni d'empêcher ce genre de transaction.

M. Wilson : La réglementation ne prévoit aucun outil de surveillance pour les placements effectués par des investisseurs avertis. Ces gens-là doivent choisir le bon gérant qui, selon eux, est digne de confiance, mais il faut savoir que les gérants peuvent toujours faire des erreurs.

Le président : Je comprends. Il s'agit d'une fiducie sans droit de regard qui repose sur un lien de confiance avec le gérant.

Je conclurai en vous posant un petit problème que le sénateur Angus et moi-même avons trouvé amusant et intéressant. Nous nous sommes penchés sur la situation d'Amaranth, aux États-Unis. On nous a dit que la firme avait perdu 4 milliards de dollars, ce qui n'avait pas empêché le marché d'absorber cette perte et que l'économie ne s'en était pas trouvée affectée. À notre grand étonnement, nous avons appris qu'un des gérants du fonds d'Amaranth était parvenu tout de suite à revenir sur le marché et à rassembler entre 750 millions et 1 milliard de dollars. Il venait de se fourvoyer, mais il n'avait eu aucune difficulté à se remettre en selle. Nous avons, par ailleurs, été étonnés de constater que certains de ceux avec qui nous nous sommes entretenus à New York l'appuyaient.

La même chose pourrait-elle se produire au Canada? Imaginons qu'un gérant de fonds expert fasse faillite, pas de sa faute, mais à cause du marché. Pourrait-il, comme ça se remettre en selle, être de nouveau actif? Il aurait perdu 4 à 6 milliards de dollars, mais il traverserait la rue et parviendrait à convaincre ses voisins d'en face qu'on peut lui confier de l'argent.

M. St-Gelais : À ce que nous sachions, il n'y a pas eu d'infraction à la loi dans le cas d'Amaranth. La firme a perdu de l'argent.

Le président : Ce que je veux dire, c'est qu'il ne s'agissait effectivement pas d'une infraction à la loi, mais très certainement d'une erreur de jugement professionnel. Eh bien, j'estime que ce n'est pas juste. La personne concernée a indéniablement pris une décision contestable et on ne lui a imposé aucune sanction, on ne lui a pas demandé de rendre de compte et on ne l'a pas tenue responsable d'une perte très conséquente pour les investisseurs. Ce n'est pas vrai?

M. St-Gelais : Je ne pense pas que ce genre de situation se soit produite ici au Canada. Il y a peut-être eu d'énormes pertes d'argent, mais tout s'est fait de bonne foi.

Le président : Pour conclure, il ne nous reste donc plus qu'à nous rabattre sur l'avertissement « acheteur prend garde ». La seule chose qui peut être connue, ce sont les antécédents du gérant professionnel, sinon, comme mon ami sénateur l'a répété à plusieurs reprises dans la presse récemment, le monde du placement tient du Far West. N'est-ce pas la conclusion qui s'impose?

M. Wilson : Je ne dirais pas que c'est le Far West au Canada en général et la description s'applique plutôt à l'univers des fonds de couverture dans le monde. Dans le contexte que vous avez décrit, ce n'est pas plus le Far West au Canada que n'importe où dans le monde.

Le président : On nous a aussi fait comprendre que les banques et les fonds de pension au Canada investissent massivement dans ces véhicules.

Nous n'avons pas de difficulté à comprendre que l'investisseur averti place son argent comme il le désire. Le principe de mise en garde de l'acheteur s'applique dans ce cas, comme l'estiment les sénateurs Tkachuk et Massicotte. C'est le prix de la liberté.

D'un autre côté, l'épargnant non averti qui investit dans le même véhicule par le truchement de son fonds de pension, d'un fonds commun de placement ou d'un dépôt bancaire, est soumis aux mêmes risques. Nous faisons donc indirectement ce qu'il n'est pas possible de faire directement. C'est cela?

M. Wilson : Prenons l'exemple de la Caisse de dépôt et de placement au Québec qui investit dans une multitude de fonds de couverture, une centaine en fait. C'est un investisseur très averti qui présélectionne et analyse tous ces fonds. Les bénéficiaires de la Caisse de dépôt, les québécoises et les québécois, profitent donc indirectement du rendement de ces fonds. Je ne vois rien de mal dans cette situation pour les bénéficiaires du fonds de pension au Québec.

Le président : Je ne dis pas qu'il y a quoi que ce soit de mal. Ce que j'essaie de comprendre, c'est la nature et la portée de la question dont nous sommes saisis, pour le public et pour nous-mêmes. Nous ne voulons absolument pas rendre justice ou arbitrer le dossier. Ce que nous cherchons à faire, c'est à comprendre ce dont il est question.

Le sénateur Massicotte : Je croyais que le fond du problème, c'est que l'investisseur doit être conscient des risques qu'il prend. S'il est averti et qu'il veut réinvestir une partie de son argent perdu, il a le droit de commettre des erreurs et il peut même aller jusqu'à refaire les mêmes erreurs encore et encore. On ne peut pas légiférer pour empêcher les gens de perdre de l'argent.

Le président : Les Américains sont en train de tenir un débat qui s'impose à nous. La plupart des membres de ce comité sont convaincus des vertus du capitalisme et du libre marché. Toutefois, on peut toujours se poser la question, dans l'intérêt du public, de savoir si ce véhicule constitue la façon la plus efficace de placer un capital, mais il faut aussi se demander comment l'investisseur peut être mis au courant d'éventuelles irrégularités. Elle est là la question qui nous interpelle.

Nous n'en sommes venus à aucune conclusion, mais nous tenons toutefois à vous remercier de nous avoir éclairés aujourd'hui. Ce fut une séance très intéressante et riche d'enseignements.

Je présente mes excuses à nos prochains témoins, car nous avons dépassé le temps qui était réservé à ce groupe. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir été patients. Comme vous pouvez le constater, les membres de ce comité essaient de bien appréhender la nature et la portée des fonds de couverture qui représentent un phénomène en pleine croissance en Amérique du Nord.

Nous sommes heureux d'accueillir nos prochains témoins, Serge Dupont et Jeremy Rudin, du ministère des Finances. Si nous manquons de temps, ce qui sera sans doute le cas, nous vous ferons revenir et, si vous le désirez, vous pourrez nous répondre par écrit afin de compléter vos réponses.

Serge Dupont, sous-ministre adjoint, ministère des Finances Canada : Les excuses ne sont pas de rigueur, sénateur. Nous aussi avons trouvé cette discussion très intéressante. Je vous ai fait remettre un mémoire que je vais vous résumer. Dix minutes devraient suffire, après quoi, nous serons heureux de répondre à vos questions et de revenir vous voir si nécessaire.

[Français]

Je vous remercie de me donner l'occasion de vous fournir des renseignements qui aideront le comité à mener ses travaux. Je résumerai les raisons pour lesquelles les fonds de couverture intéressent autant les décideurs politiques et les organismes de réglementation, je ferai référence à certains travaux menés à l'étranger et au Canada, et je décrirai les activités du gouvernement fédéral concernant les fonds de couverture.

En quelques mots, bien entendu, c'est la taille des fonds de couverture, leur croissance rapide, leurs caractéristiques et le rôle important qu'ils jouent sur les marchés financiers qui motivent l'intérêt des décideurs publics et des organismes de réglementation.

[Traduction]

J'ai quelques chiffres en ce qui concerne les actifs de fonds de couverture sous gestion. Étant donné la confusion qui s'est produite tout à l'heure, je dois préciser que mes chiffres sont à peu près les mêmes que ceux communiqués par M. Wilson. Je vous donnerai certains chiffres précis plus tard et je vais donc passer sur ce plan. Nos données sont du même ordre de grandeur que les siennes.

Le président : Que donnent vos chiffres?

M. Dupont : D'après mes données, le montant des actifs en gestion des fonds de couverture au Canada était de 28 milliards de dollars à la fin de 2004.

Le président : On nous a donné ces mêmes chiffres, mais si on tient compte d'un taux composé annuel de 30 p. 100, on en arrive à environ 50 milliards de dollars.

M. Dupont : Je ne sais pas quel était le taux d'intérêt en 2005 ou 2006, mais à la fin 2004, il était à peu près de 30 p. 100.

Il faut cependant mettre ces 28 milliards de dollars en perspective. Par exemple, l'industrie canadienne des fonds communs de placement détenait des actifs sous gestion se chiffrant à 525 milliards de dollars. Malgré tout, cela représente une petite partie de tous les fonds sous gestion au Canada. Cela dit, ces fonds jouent un rôle important relativement à des marchés et à des produits particuliers. Il en est ainsi parce qu'ils misent sur des effets de levier et sur certaines techniques, comme les ventes à découvert. À titre d'exemple, il faut savoir que les fonds de couverture dominent le marché des dérivés de crédit. Ils sont donc à même d'exercer une influence marquée sur l'évolution globale du marché financier. Autrement dit, ils pèsent beaucoup plus lourd dans la balance qu'il n'y paraît.

L'importance rattachée aux fonds de couverture s'explique en outre par leur part croissante des opérations des grandes banques d'investissement qui agissent à titre de courtiers principaux. Pour ces banques, le secteur des fonds de couverture est une entreprise attrayant en plein essor qui représente aussi un risque qu'elles doivent gérer avec soin. Le secteur des fonds de couverture s'est taillé une place importante dans le système financier, mais il demeure largement non réglementé et non transparent. Cette absence de transparence soulève des questions relativement à la protection des investisseurs, ce dont vous avez parlé tout à l'heure.

À l'origine, les fonds de couverture s'adressaient à des investisseurs fortunés et avisés. Cependant, au Canada et à l'étranger, ils sont de plus en plus offerts à une clientèle moins bien nantie. Au Canada, ils sont vendus sous la forme de billets à capital protégé. Il importe de constater que, sur la scène internationale, les écrits et le dialogue entourant les fonds de couverture font valoir l'éventuel caractère positif de l'apport de ces fonds à un marché financier moderne, dynamique et efficient. Les fonds de couverture permettent, entre autres, de réaffecter efficacement les capitaux et le risque en stimulant l'innovation sur le marché, en ajoutant à la liquidité et en contribuant à la découverte des cours. Ils créent en outre, pour les investisseurs, des occasions de diversifier leurs portefeuilles.

Les décideurs politiques et les organismes de réglementation doivent pondérer deux grands risques qui continuent d'être la cible de l'attention, à savoir le risque que posent les fonds de couverture pour la stabilité financière — c'est-à- dire le risque systémique — et le risque qu'ils posent pour les investisseurs, surtout les épargnants. Ces points suscitent passablement d'attention à l'échelle nationale tout autant qu'à l'échelle internationale.

Au niveau international, des discussions ont eu lieu au Forum sur la stabilité financière mis sur pied par le G7 dans la foulée de la crise asiatique de la fin des années 90. Le FSF a amorcé les travaux et agi à titre de facilitateur des discussions sur les enjeux du marché auxquelles ont pris part des autorités financières nationales et des dirigeants de l'industrie des fonds de couverture. Ces discussions ont contribué pour beaucoup à favoriser les communications et à mieux faire comprendre l'industrie. Les organismes de réglementation et les banques centrales des États-Unis et de l'Europe, en particulier au Royaume-Uni où l'activité des fonds de couverture est concentrée, ont été parmi les participants les plus actifs. À titre d'exemple, l'an dernier, la Banque fédérale de réserve de New York a mené, en collaboration avec l'industrie, des efforts visant à améliorer l'infrastructure qui soutient les marchés des dérivés négociés hors bourse, endroit où les fonds de couverture sont particulièrement actifs.

[Français]

Le secteur privé s'est également attaché à améliorer la discipline et à préconiser une meilleure gestion du risque dans l'industrie, comme proposé, par exemple, dans ce qu'on appelle le rapport Corrigan.

Des initiatives se rapportant à la protection des investisseurs ont également été examinées par nombre d'administrations.

À l'échelle nationale, les fonds de couverture ont aussi suscité passablement d'attention, notamment en faisant l'objet de rapports préparés par l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières, un groupe inter-agence fédéral-provincial et plus récemment, par les travaux du groupe de travail dirigé par Tom Allen. À ce jour, il ressort du dialogue et des initiatives internationales et nationales des observations importantes.

[Traduction]

Premièrement, la capacité de réglementer directement et efficacement les fonds de couverture est limitée. Le dynamisme de l'industrie et le caractère complexe de ces stratégies de placement viennent compliquer la présentation de rapports et font en sorte que ces derniers revêtent peu de valeur pour les organismes de réglementation. De plus, les fonds sont mobiles et peuvent recourir à l'arbitrage réglementaire lorsqu'ils décident de l'endroit où situer leurs opérations et leur direction. De fait, dans un contexte canadien, il ne faut pas perdre de vue que la plupart des activités des fonds de couverture sur notre marché proviennent de l'étranger.

Deuxièmement, sur le plan du risque systémique, les organismes de réglementation ont fait porter leur attention sur la promotion d'une gestion efficace du risque de contrepartie chez les principaux courtiers visés par la réglementation — au Canada, les banques à charte. Cette gestion suppose notamment l'application normale de règles sur le capital minimum et la mesure, la surveillance et la gestion attentives du risque, par exemple grâce au nantissement. Dans le contexte actuel, les organismes de réglementation accordent davantage d'attention aux outils et aux techniques améliorées de gestion du risque, dont la mesure de la valeur à risque et la simulation de crise sur les événements aux extrémités.

Troisièmement, et sous réserve des contraintes déjà mentionnées, on s'intéresse beaucoup aux mesures à prendre pour améliorer la transparence et la reddition de comptes, améliorations qui peuvent, par exemple, être obtenues grâce à l'enregistrement des conseillers en fonds de couverture. Au Canada, les exigences en matière d'enregistrement sont du ressort des commissions provinciales sur les valeurs mobilières. Le marché privé prend lui aussi des mesures, notamment l'adoption de la divulgation volontaire ou le lancement d'initiatives par des agences de notation servant à évaluer les fonds de couverture.

Quatrièmement, on reconnaît généralement qu'une attention particulière doit être accordée à la protection de l'épargnant. Le ministère des Finances et les organismes fédéraux s'intéressent à la fois au risque systémique et à la protection de l'épargnant. Le risque systémique provenant des fonds de couverture est géré grâce à la surveillance permanente des expositions aux fonds de couverture et aux pratiques de gestion des banques canadiennes. Le Bureau du surintendant des institutions financières, en sa qualité d'autorité de contrôle, surveille en permanence les pratiques et procédures de gestion du risque utilisées par les banques et je crois d'ailleurs savoir que vous avez invité le surintendant à venir vous rencontrer.

Le BSIF vient d'achever des travaux sur l'exposition des banques aux fonds de couverture. L'examen qu'il a mené a démontré que les expositions au risque sont faibles lorsqu'on les compare aux expositions totales et que les pratiques de gestion du risque sont, en général, satisfaisantes. L'examen a constaté que les banques adoptent habituellement une approche prudente en matière de fonds de couverture. Les organismes du secteur financier fédéral, dont le ministère des Finances et la Banque du Canada, sont tenus au courant de ces travaux et d'autres faits nouveaux par le comité de surveillance des institutions financières, présidé par le BSIF.

En ce qui concerne l'épargnant, l'intérêt et les activités du ministère découlent du rôle des banques dans le marché des produits à capital protégé qui peuvent, dans certains cas, lier le rendement pour le déposant ou l'investisseur à la performance d'un fonds de couverture. À ce chapitre, le ministère partage nombre des préoccupations soulevées par les organismes de réglementation des valeurs mobilières pour veiller à ce que ces produits soient mise en marché et vendus de manière à assurer une bonne divulgation et à protéger les investisseurs.

[Français]

En conclusion, en raison de l'évolution rapide et du dynamisme des fonds de couverture, les décideurs politiques et les organismes de réglementation à l'échelle nationale et internationale continueront de s'intéresser à ce dossier. Les politiques devront être adaptées aux besoins et veiller à ce que les objectifs que constituent l'efficience du marché, la stabilité financière et la protection des investisseurs soient atteints au mieux. L'intérêt que le comité attache à cette question vient à point nommé. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : On parle toujours de Londres et de New York, mais est-ce que le phénomène est mondial? Est-ce que la bourse de Tokyo et d'autres en Europe sont aussi impliquées dans ce domaine?

M. Dupont : L'investissement dans les fonds de couverture se répercute à l'échelle mondiale. Les investisseurs tendent à se concentrer dans les grandes capitales financières comme Londres et New York et dans certaines juridictions « offshore » également. Du point de vue du fonctionnement des marchés financiers, c'est un phénomène mondial.

Le sénateur Hervieux-Payette : Donc à la bourse de Tokyo...

M. Dupont : Ou à la bourse de Toronto, oui. Cela représente une part importante de l'activité.

Le sénateur Hervieux-Payette : Y a-t-il un endroit où l'on a exigé plus d'informations ou encore, on a mis des règles du jeu en place? Ou alors, est-ce ouvert avec très peu d'interventions des autorités financières à la grandeur de la planète?

M. Dupont : Il y a différents forums où sont évoquées ces questions et où l'on partage les besoins que peuvent représenter ces développements sur les marchés financiers en termes réglementaires. Les actions réglementaires relèvent des juridictions nationales ou, dans certains cas, des juridictions provinciales, comme au Canada par exemple. Il revient à chacun de tirer les leçons de l'expérience internationale et du dialogue international pour voir comment s'assurer, dans sa juridiction, que les protections nécessaires sont en place.

Le sénateur Hervieux-Payette : Au Canada, on sait que les banques, via leurs filiales de courtage, représentent une grande partie du marché financier, donc de la distribution de ces outils financiers. Comme vous dites, ici, le contrôle sur les valeurs mobilières est fait au niveau des provinces, mais est-ce que nous opérons dans la même ligne de pensée qu'ailleurs? Est-ce que vous vous intéressez à cela parce que notre système bancaire est très impliqué dans cette industrie?

M. Dupont : Je crois que vous avez raison sur tous les points, c'est-à-dire qu'effectivement, au Canada, la stabilité de notre système financier dépend en grande partie des grandes banques à charte qui sont sous juridiction fédérale. Cependant, c'est aussi vrai à l'échelle internationale où on reconnaît fort bien les limites de contrôler, de comprendre et de garder en vue l'ensemble des stratégies d'investissement des fonds de couverture.

J'ai assisté à une réunion convoquée par le Financial Stability Forum et quelqu'un a dit : « There are too many moving parts ». Cela devient très difficile pour une agence de réglementation d'essayer d'avoir ces divulgations de fonds de couverture et de vouloir contrôler ce qui passe, de comprendre ce qui se passe. En revanche, on peut avoir un meilleur contrôle par rapport aux banques qui sont régies par des critères très stricts de réglementation, avec un cadre international et des critères de base qui sont très sensibles à l'évolution des marchés, à l'évolution du risque. C'est par cela qu'on arrive à mieux contrôler ce qu'on appelle le « risque systémique ». C'est sûr qu'il reste des préoccupations pour les investisseurs, mais dans la mesure où le système en tant que tel reste solide, on traite la principale préoccupation au niveau de la politique.

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai le préjugé qu'il y a un nombre assez limité d'individus qui gèrent de grands fonds de pension au Canada. On dit que 40 p. 100 des fonds de couverture proviennent des fonds de pension. Est-ce que le fait que 25 personnes — peut-être que j'exagère, il y en a moins — qui décident de toutes les règles du jeu ne représente pas un danger, autant sur la question d'achat et de vente d'actions, d'obligations ou d'investissement dans les fonds de couverture? Finalement, ce sont eux qui détiennent les capitaux des Canadiens entre leurs mains. Dans ce cas, peut-être faudrait-il regarder la situation un peu plus en profondeur. À toutes fins pratiques, très peu de gens peuvent avoir un impact extrêmement important sur tout l'ensemble du système financier.

M. Dupont : Si on regarde l'ensemble des capitaux investis au Canada, la part qui revient aux fonds de couverture reste, pour l'instant, relativement faible. C'est vrai que c'est une industrie concentrée, à savoir qu'il y a beaucoup de petits fonds de couverture et quelques autres qui sont très gros. Il y a quand même une tendance qui est là, c'est-à-dire qu'il y ait un peu plus de divulgation de la part de ces fonds de couverture dans la mesure où ils font appel à de l'épargne privée d'investisseurs sophistiqués qui peuvent aussi demander des comptes. Également, j'ai mentionné des initiatives des agences de cotation qui vont essayer de voir dans quelle mesure ces fonds sont bien gérés.

Il y a donc une dynamique au sein du marché qui appelle une plus grande divulgation. Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'un petit noyau de personnes contrôle toute l'épargne au Canada. L'épargne est quand même dans des fonds de pension, dans des fonds mutuels et dans beaucoup d'autres instruments que les fonds de couverture.

[Traduction]

Le président : Nous redonnerons la parole au sénateur Hervieux-Payette demain quand nous aurons plus de temps. Il nous reste quatre minutes, car nous devons sortir d'ici à 18 heures tapantes. Je vous redonnerai la parole demain, de même qu'au sénateur Massicotte, au sénateur Harb et au sénateur Moore qui ont été très patients. Je vous en prie, continuez, sénateur Goldstein.

Le sénateur Goldstein : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Merci d'être venu nous renseigner de cette façon, nous l'apprécions beaucoup.

[Traduction]

Le Régime de pensions du Canada, comme bien d'autres fonds du genre, a investi dans des fonds de couverture. Le ministère des Finances est-il au courant de l'importance des placements du RPC dans les fonds de couverture?

M. Dupont : À ma connaissance, sénateur, le Régime de pensions du Canada n'investit pas actuellement dans les fonds de couverture.

Le président : Excusez-moi, mais ce n'est pas ce qu'on nous a dit. On nous a dit que le Régime de pensions du Canada investit dans les fons de couverture.

M. Dupont : Ce qu'on m'a dit aujourd'hui, sénateur, ce que ce n'est pas le cas. Je vais vérifier pour tirer les choses au clair.

Le sénateur Goldstein : J'ai le souvenir que c'est c'est qu'on nous a dit.

Le président : Moi aussi.

M. Dupont : Loin de moi l'idée d'induire le comité en erreur. C'est l'information qu'on m'a communiquée et je vais bien sûr la vérifier.

Le président : S'il vous plaît, et communiquez la réponse à la greffière.

Le sénateur Goldstein : Savez-vous si le Régime des rentes du Québec a investi dans des fonds de couverture?

M. Dupont : Comme vous l'ont dit MM. St-Gelais et Wilson tout à l'heure, c'est effectivement le cas.

Le sénateur Goldstein : Savez-vous quel pourcentage ce genre de placement représente pour le RRQ?

M. Dupont : Non, je l'ignore.

Le sénateur Goldstein : Vous étiez présent pendant que les autres témoins étaient à la table et vous les avez entendu dire que les organismes de réglementation des marchés, qui sont 10 et même 13, vont essayer de se prendre en main pour mieux encadrer ces fonds de couverture ou pour essayer d'obtenir davantage de renseignements à leur sujet pour les Canadiennes et les Canadiens. Estimez-vous que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle sur ce plan, afin d'obtenir de meilleures informations pour les Canadiens?

M. Dupont : Pas directement, sénateur, pas pour ce qui est des exigences relatives à l'enregistrement ou autres qui relèvent bien évidemment des organismes provinciaux de réglementation pour l'instant.

Le sénateur Goldstein : Nous ne pouvons pas faire autrement parce que c'est constitutionnel. Cela dit, revenons un peu en arrière. Aujourd'hui, et quand nous étions à New York dans le cadre de notre étude, il y a quelques semaines, nous nous sommes surtout préoccupé de la situation des épargnants. Nous ne sommes pas particulièrement inquiets de la situation des investisseurs avertis parce qu'ils sont en mesure d'évaluer les risques qu'ils prennent et d'agir en conséquence.

En revanche, nous nous préoccupons des épargnants qui ne peuvent pas juger des risques qu'ils courent et qui, malgré tout, se trouvent à investir dans ces instruments risqués. Pourrait-on s'affranchir de la paralysie qui frappe actuellement notre pays due au fait que nous n'avons pas une commission des valeurs mobilières unique, en nous appuyant sur la capacité d'intervention du ministère des Finances?

M. Dupont : Le ministère des Finances, en vertu des pouvoirs qui lui sont actuellement conférés par la Loi sur les banques et les règlements en découlant, a la capacité de surveiller les billets à capital protégé qui peuvent être émis et vendus par les banques. Nous nous occupons effectivement de ce volet.

Le sénateur Goldstein : C'est encourageant. Étant donné que ce sont principalement les banques qui financent ces fonds de couverture, y aurait-il un moyen pour Finances Canada ou pour le Bureau du surintendant des institutions financières de mieux faire connaître les fonds de couverture à la population et d'expliquer ce qu'ils font? Les banques investissent considérablement dans ce genre de fonds.

M. Dupont : Le BSIF a pour responsabilité, en vertu des politiques en vigueur, de veiller à ce que les banques gèrent correctement le risque dans toutes leurs transactions et pas uniquement dans le cas des fonds de couverture. Il ne s'agirait pas forcément d'un levier par lequel le gouvernement fédéral imposerait directement des conditions aux fonds de couverture, mais on pourrait contraindre les banques à appliquer une gestion des risques qui soit appropriée.

Le président : Je dois présenter mes excuses aux sénateurs et aux témoins parce que ce sujet a suscité plus de questions et d'intérêt que nous l'avions prévu. Si nous voulons obtenir réponse à certaines questions, nous vous recontacterons. Si les témoins veulent ajouter quoi que ce soit à leur témoignage d'aujourd'hui, ils sont invités à le faire. Nous prendrons ce qu'ils nous enverront en délibéré, parce que nous voulons nous assurer que l'information que nous recevons est exacte avant de formuler nos recommandations.

La séance est levée.


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