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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 4 - Témoignages du 13 juin 2006


OTTAWA, le mardi 13 juin 2006

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour examiner la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999, chap. 33) conformément à l'article 343(1) de ladite loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui pour poursuivre son examen, qui s'étalera sur les prochains mois, de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1999. Première étape de son travail, le comité a décidé de tenir diverses réunions afin d'évaluer la portée des incidences de la Loi. Ces séances d'information nous permettront de décider de la marche à suivre pour mettre au point notre examen, de décider des aspects de la LCPE que nous examinerons et de la façon dont nous le ferons.

Comparaissent ce soir devant le comité, Mme Johanne Gélinas, commissaire à l'environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général du Canada. Elle est accompagnée de M. John Reed, directeur principal de ce bureau.

Je suis le sénateur Tommy Banks. Se joignent à nous aujourd'hui le sénateur David Angus, du Québec; le sénateur Mira Spivak, sénateur indépendante de la province du Manitoba; le sénateur Willie Adams, du Nunavut; le sénateur Francis Fox, du Québec et le sénateur Claudette Tardif, de l'Alberta.

La vice-présidente du comité, le sénateur Ethel Cochrane, sera bientôt avec nous.

Entre-temps, madame Gélinas, je présume que vous aimeriez faire un exposé avant que nous commencions à vous poser des questions.

[Français]

Johanne Gélinas, commissaire à l'environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Messieurs et mesdames les sénateurs, bonsoir. Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de témoigner devant vous, ce soir. Je suis accompagnée, comme vous l'avez mentionné, de M. John Reed, principal dans mon groupe. C'est lui qui a la mémoire corporative de tout le travail que notre bureau a fait sur les substances toxiques depuis 1999.

Mon exposé a pour but de vous aider à évaluer la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, en récapitulant pour vous certains de nos travaux antérieurs qui influent sur la Loi. Nous soulignerons notamment certaines de nos principales constatations et préoccupations qui perdurent quant à la manière dont le gouvernement évalue et gère les substances toxiques.

Comme tous les membres du comité le savent, la production, l'utilisation et le rejet de produits chimiques industriels, de pesticides et de leurs sous-produits au Canada peuvent présenter des risques graves pour la santé de la population et pour son environnement.

Ainsi nous avons vérifié, en 1999, les études scientifiques qu'effectue le gouvernement fédéral sur les produits chimiques industriels et les pesticides en usage, et sur la gestion de leur utilisation.

Dans mon rapport de 1999, au chapitre 3, intitulé Comprendre les risques associés aux substances toxiques : des fissures dans la fondation de la grande maison fédérale, nous avons mis l'accent sur la façon dont les ministères fédéraux fournissent des renseignements scientifiques à l'appui de la prise de décisions.

Le chapitre présentait les résultats de notre examen de la coordination de la recherche entre les ministères fédéraux, de l'état des réseaux de surveillance et de l'évaluation scientifique des produits chimiques industriels et des pesticides existants.

Dans l'ensemble, nous avons conclu que la capacité du gouvernement fédéral à détecter et à comprendre les effets des substances toxiques sur la population canadienne et sur nos écosystèmes était gravement menacée.

[Traduction]

Également dans notre rapport de 1999, au chapitre 4 intitulé « Gérer les risques associés aux substances toxiques : les obstacles aux progrès », nous avons mis l'accent sur la manière dont les ministères fédéraux s'y prennent pour gérer les risques posés par les substances jugées toxiques. Dans ce chapitre, nous présentons les résultats de notre examen des mesures législatives, des politiques de portée générale et des programmes volontaires destinés à quasi-éliminer certaines substances toxiques, à gérer leur cycle de vie, à prévenir la pollution et à effectuer le suivi des rejets et faire rapport à ce sujet. Dans l'ensemble, nous avons conclu que le gouvernement fédéral ne gérait pas les risques de façon adéquate. Dans mon rapport de 2002, au chapitre 1 intitulé « Les substances toxiques — Suivi », nous avons présenté les résultats de notre examen des ministères qui avaient fait l'objet de la première vérification dans ce domaine. Nous voulions évaluer leurs progrès dans la mise en œuvre de nos 24 recommandations. Nous avons constaté des progrès mitigés. Bien que le gouvernement fédéral ait fait des progrès dans la gestion des substances toxiques depuis notre vérification de 1999, sa capacité à détecter, à comprendre et à prévenir les effets nocifs des substances toxiques restait limitée. Les processus que nous avions observés faisaient obstacle à des mesures décisives prises en temps opportun et axées sur le principe de précaution. Plusieurs causes profondes des problèmes que nous avions soulevés en 1999 persistaient en 2002, soit l'insuffisance des ressources pour remplir les engagements, des lacunes importantes dans les connaissances scientifiques et la lourdeur des mécanismes réglementaires.

J'avais alors déclaré que la situation était inacceptable sur les plans environnemental, économique ou social et que ce n'était pas de bon augure pour notre santé ou notre environnement. La trousse d'information qui vous a été remise contient les recommandations que nous avions formulées à ce moment. Nos travaux sur les substances toxiques portaient sur des aspects de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, mais leur étendue dépassait largement le champ d'application de la Loi. Bien que nos constatations ne soient pas récentes, nous espérons qu'elles pourront aider le comité dans son travail d'évaluation.

John Reed, directeur principal, a dirigé nos travaux sur les substances toxiques en 1999 et en 2002. Il a préparé un bref exposé à l'aide de diapositives afin de préciser davantage certaines de nos constatations et leur incidence sur notre évaluation. À la fin de son exposé, nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci, monsieur le président.

Le président : Merci. Monsieur Reed, vous avez la parole.

John Reed, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci, monsieur le président, merci à vous, madame Gélinas.

Vous devriez avoir sous les yeux les versions française et anglaise d'une présentation PowerPoint. Nous n'allons pas utiliser les documents comme tels. Si vous le voulez, vous pourrez suivre les diapositives. J'en ai neuf. Je vais essayer d'aller le plus rapidement possible. Quatre de ces diapositives renferment des renseignements sur les constatations de notre vérification de 1999 et de la vérification de suivi de 2002. Dans les cinq dernières, nous avons établi des secteurs thématiques qui se sont dégagés de notre travail sur les substances toxiques et qui pourraient vous aider à déterminer les domaines que vous voudriez explorer dans le cadre de votre évaluation de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Autrement dit, si nous devions effectuer une deuxième vérification de cette question, ce sont les cinq secteurs qui retiendraient de nouveau notre attention ainsi que les questions que nous poserions dans le cadre de la vérification.

Je suis désolé que certaines parties du document soient techniques. Si mon exposé devient trop technique, n'hésitez pas à m'interrompre. Le domaine des produits toxiques est truffé d'acronymes, de lois et de programmes différents. Cela peut devenir embrouillé. Si les choses ne sont pas claires, je vous en prie, interrompez-moi.

Je suis certain que vous êtes très conscients que nous vivons dans un monde de produits chimiques. Il y aurait 23 000 substances chimiques qui sont vendues au Canada. La plupart d'entre elles nous apportent d'énormes avantages, la plupart d'entre elles sont passablement sûres lorsqu'elles sont utilisées comme elles doivent l'être. Bien sûr, certaines posent des risques pour la santé et l'environnement. En fait, l'objectif de notre travail en 1999 était de déterminer si le gouvernement gérait bien les substances qui ne sont pas sûres.

Comme l'a dit Mme Gélinas, cette vérification ne portait pas uniquement sur la LCPE. Nous avons concentré nos travaux sur les substances toxiques. En 1999, de nombreuses substances étaient qualifiées de « toxiques » dans différentes lois fédérales et différents programmes. Les substances toxiques décrites dans la LCPE constituent une catégorie de substances auxquelles nous nous sommes intéressés, mais du point de vue de la gestion des substances toxiques, le gouvernement visait beaucoup plus loin, et nous nous sommes intéressés à toute la question, y compris la gestion des pesticides, dont je ne parlerai pas.

Dans la première vérification, nous nous sommes concentrés seulement sur la gestion des substances toxiques existantes. Nous n'avons pas évalué les nouvelles substances, ni les pesticides ni les substances toxiques assujetties à la LCPE. Nous avons examiné trois lois, y compris la LCPE, mais aussi la Loi sur les pêches et la Loi sur les produits antiparasitaires. Six ministères s'occupaient de la gestion et de l'évaluation des substances toxiques à ce moment-là. À la fin de notre vérification, nous avons formulé plus de 27 recommandations et je vous dirai où nous en sommes rendus à l'égard de ces recommandations dans une minute.

Il s'agissait d'une vaste vérification sur les substances toxiques. Nous avons omis de nombreux aspects de la LCPE, mais nous nous sommes attachés particulièrement à ceux qui portaient sur l'évaluation et la gestion des substances toxiques. Je vais vous expliquer certains des messages prioritaires qui émanent des deux premiers chapitres du rapport de 1999.

Si vous passez à la diapositive suivante, le chapitre 3 était intitulé « Comprendre les risques associés aux substances toxiques : des fissures dans les fondations de la grande maison fédérale ». Nous avons adopté ce titre parce que nous étions d'avis que la recherche et le suivi scientifiques sont, en effet, les fondements de toutes les décisions prises concernant la gestion des substances toxiques. À l'époque, comme vous pouvez le voir d'après le titre, nous étions préoccupés par le niveau de recherche et de suivi scientifiques en cours, au point où nous estimions que cela risquait clairement de miner la capacité du gouvernement de détecter et de comprendre la présence de ces substances dans notre environnement et dans notre organisme.

Le principal message à l'époque était qu'il y avait un vaste écart, écart qui ne cessait de s'élargir, entre la demande de bons renseignements scientifiques dérivés de la recherche, de l'évaluation et du suivi, et les ressources disponibles pour fournir cette information — c'est-à-dire un écart de plus en plus large entre l'offre et la demande de données scientifiques.

Nous avons également découvert à l'époque des problèmes importants dans la coordination des travaux de recherche d'un ministère à l'autre. Cinq ministères fédéraux étaient engagés dans des travaux de recherche scientifiques à cette étape, et leurs efforts étaient mal coordonnés.

Mais peut-être ce qui est le plus important, nous avons donné beaucoup de détails sur l'état du suivi environnemental au Canada, c'est-à-dire les enquêtes scientifiques menées pour découvrir quelles substances étaient dans l'eau, dans notre air, dans nos sols, dans nos aliments de même que le suivi de ces substances rejetées dans l'atmosphère. Nous avons donc livré un message sérieux et accentué au sujet de l'état des études scientifiques, incluant divers exemples sur la façon dont l'absence de données nuit aux décisions, tant pour ce qui concerne l'évaluation que la gestion des substances toxiques.

Je vais revenir au thème des études scientifiques dans un instant.

Le chapitre suivant portait sur la gestion des substances toxiques. Le chapitre 3, sur l'évaluation, le chapitre 4, sur la gestion. Notre conclusion finale était aussi dure. Nous en sommes venus à la conclusion que le gouvernement ne prenait pas de mesures suffisantes à cette époque pour protéger les Canadiens contre les effets des substances toxiques. Même s'il est vrai que des progrès avaient été réalisés au cours des décennies pour réduire la quantité de certaines substances rejetées dans l'atmosphère, dans l'ensemble, il y avait beaucoup d'inaction, particulièrement en ce qui concerne les substances déclarées toxiques dans la Liste des substances d'intérêt prioritaire de la LCPE. Je vais expliquer ces constatations un peu plus en détail dans un instant.

Au moment de la vérification, nous avons également noté que le gouvernement mettait beaucoup l'accent sur les contrôles non réglementaires des substances toxiques. Les années 1990 étaient, en quelque sorte, l'ère des mesures volontaires, et pour nombre des substances toxiques, et pas seulement celles qui étaient déclarées comme telles dans la LCPE, on comptait beaucoup sur les programmes volontaires. On ne se demandait pas si l'autoréglementation était bonne ou mauvaise ou plus efficace que la réglementation imposée. Cependant, nous insistions pour que les mesures utilisées soient efficaces. En réalité, nous disions ceci : Que l'on utilise des approches réglementaires ou volontaires, il faut s'assurer qu'elles sont bonnes et qu'elles donnent les résultats escomptés. C'était là un volet important de notre constatation, volet qui a provoqué passablement de réactions au ministère à l'époque.

Voilà pour l'ensemble de la situation, situation qui était très compliquée à l'époque. Beaucoup de ministères étaient enchevêtrés dans des négociations difficiles avec le secteur privé, d'où l'absence d'intervention.

Durant le travail initial effectué en 1999, nous devions toujours tenir compte de la LCPE de 1988. La LCPE de 1999 n'avait pas été adoptée et n'était pas encore entrée en vigueur à ce moment-là. Au moment où nous avons effectué notre vérification de suivi en 2002, la LCPE de 1999 était en vigueur, si bien que les ministères devaient travailler à modifier un assez bon nombre de leurs processus.

À l'endos du chapitre 1, on trouve un tableau contenant les 27 recommandations que nous avons faites en 2002, qui donne une indication de l'état de la mise en œuvre par les ministères à l'époque. Je ne m'attends pas à ce que vous examiniez ce tableau en détail, mais vous trouverez de nombreux points blancs sur cette page. Les points blancs signifient « aucun progrès ». Il n'y a pas beaucoup de points verts, qui marquent « des progrès ».

Voilà pour le suivi des recommandations en 2002. Je ne comptais pas en parler en détail. Si vous avez des questions, nous sommes disposés à y répondre. Nous n'avons pas encore fait de suivi de la recommandation de suivi. Nous prévoyons nous concentrer davantage à l'avenir sur certains aspects.

En 2002, on parlait de progrès mitigés en ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations. Comme la commissaire l'a déjà signalé, nombre des problèmes que nous avons constatés en 1999 existaient toujours en 2002. Il s'agissait notamment d'engagements sous-financés, d'écarts importants entre les processus de savoir et de réglementation et les processus de consultation qui semblaient ralentir la gestion des substances toxiques.

Je vais maintenant passer aux cinq thèmes qui découlent de notre travail de 1999 et 2002 et qui, à notre avis, soit dit en passant, sont toujours pertinents. Si nous devions faire une autre évaluation, ce sont là les questions auxquelles nous nous attacherions et que nous nous poserions.

D'abord, la question de la recherche et du suivi scientifiques. Je reconnais que c'est une question épineuse en ce qui concerne la LCPE de 1999. Cette loi renferme une disposition qui permet, voire exige que le ministre entreprenne des travaux de recherche scientifique et de suivi. Cependant, la loi ne dit rien du niveau, du type et de la nature de ces travaux de recherche.

Comme je l'ai précisé, de graves problèmes ont été repérés en 1999 en ce qui concerne l'écart croissant entre le genre d'évaluation que nous devions entreprendre et les ressources dont nous disposions. Nous avons rencontré de nombreux dirigeants d'établissements de recherche, fédéraux et autres, pour discuter de l'état du suivi et de la recherche. Pratiquement tous s'inquiétaient de l'état de la recherche, mais plus encore, des travaux de suivi.

En 2002, nous avons également parlé pour la première fois de ce que l'on appelle la biosurveillance, qui consiste à prendre un échantillon de personnes pour déterminer les produits chimiques qui se trouvent dans leur organisme. Vous avez peut-être entendu dire la semaine dernière ou à peu près que Santé Canada avait l'intention d'entreprendre un genre de programme de biosurveillance. Nous n'en avons pas encore examiné les détails. Ce programme n'existait pas en 2002.

Nous avons vérifié de nombreux sujets qui n'avaient pas été soumis à des travaux scientifiques adéquats. Dans une certaine mesure, je pense que certains sont convaincus que les scientifiques ne sont jamais satisfaits des ressources qui leur sont accordées. Dans le cas qui nous intéresse, je crois que nous avons pu démontrer à maintes reprises, exemples à l'appui, que l'absence de données nuisait à la prise de décisions.

Par exemple, selon le premier exercice d'établissement de la Liste des substances d'intérêt prioritaire, les ministères de la Santé et de l'Environnement ont été incapables d'en venir à une conclusion sur environ 13 substances à cause de données divergentes. Si l'on devait demander aux ministères aujourd'hui quelles sont les substances toxiques assujetties à la LCPE actuellement mesurées dans l'environnement, on constaterait qu'il y en a très peu.

Le gouvernement fédéral a entrepris un nouvel exercice intitulé Système canadien d'information pour l'environnement, ou SCIE. Ce système était le fruit du travail d'un groupe d'experts qui s'est penché sur l'état de la recherche et du suivi au Canada.

J'aimerais vous lire rapidement un paragraphe tiré de leurs conclusions en 2002 : Le Canada manque de données environnementales clés. Au cours de la dernière décennie, les programmes de suivi de l'environnement parrainés par le gouvernement ont été considérablement réduits. Par exemple, il n'y a plus de programme national de surveillance de la qualité de l'eau. La capacité des gouvernements fédéral et provinciaux de surveiller l'environnement a diminué, moins de paramètres étant mesurés à moins d'endroits, ce qui accroît le manque d'uniformité dans l'échantillonnage et les méthodes d'analyse. Les données qui existent effectivement ne sont pas intégrées et ne peuvent non plus être synthétisées pour donner une vue d'ensemble à l'échelle nationale.

Je sais que cela n'a rien à voir avec la LCPE. Cependant, si nous devions faire enquête sur cette question, nous demanderions certainement des renseignements sur l'état de la mise en œuvre du SCIE.

D'après ce que je comprends de l'évaluation de la LCPE préparée par Environnement Canada, et je pense que vous en avez pris connaissance, ce système d'information n'a jamais été financé ni mis en œuvre. Rien ne m'incite à croire que les choses ont changé en ce qui concerne le suivi des substances toxiques.

Je vous ai donné un exemple de la façon dont cela nuisait à l'évaluation des risques. Les experts ont été incapables d'en venir à une conclusion au sujet de nombre des substances toxiques. Il y a absence de données. Cela est également vrai pour la gestion. Chaque fois qu'il y a un écart dans les données, on peut invoquer ce prétexte pour bloquer les interventions. La consultation rapporte de nombreux exemples d'une telle situation. En fait, le manque de connaissances sur la présence de substances toxiques dans l'environnement a amené certaines autorités à se demander si elles avaient vraiment un problème.

Je pense que nous devrions demander clairement si l'écart entre l'offre et la demande a été réduit un tant soit peu, et nous avons bien hâte de voir le bilan de Santé Canada avec son programme de biosurveillance.

Permettez-moi maintenant de passer à la question du principe de précaution. Je sais que vous avez eu plusieurs discussions à ce sujet.

En 1999, nous avons constaté un manque d'uniformité dans l'application du principe de précaution à l'égard des décisions relatives à l'évaluation et à la gestion des risques. Je crois que vous savez très bien que la LCPE de 1999 est venue enchâsser le principe de précaution. Lors de notre vérification de 2002, Environnement Canada préparait des directives opérationnelles sur la façon d'appliquer le principe en vertu de la LCPE, mais cet exercice n'a jamais été mené à terme.

Au même moment, le Bureau du Conseil privé étudiait la possibilité d'appliquer le principe dans de nombreuses mesures législatives et de nombreux programmes pour l'ensemble du gouvernement. Cet exercice n'était pas non plus terminé au moment de la vérification de suivi.

J'imagine que si nous voulions poursuivre en ce sens, nous souhaiterions déterminer si l'un ou l'autre de ces exercices a été mené à terme, mais plus important encore, quelle a été leur incidence. Je pense que nous sonderions aussi les ministères pour obtenir des exemples spécifiques et concrets d'application de ce principe et des décisions qui, autrement, n'auraient pas été prises. Nous poserions ces questions tant pour les décisions concernant l'évaluation que la gestion des risques.

Le principe de précaution, comme je le préciserai plus loin, a d'importantes répercussions sur la liste intérieure des substances, l'établissement des catégories et la sélection dont, je suis sûr, vous avez déjà entendu parler, mais j'y reviendrai plus longuement dans un instant.

Le troisième secteur thématique concerne le suivi des progrès en regard des substances déclarées toxiques, tant par suite de l'exercice no 1 concernant la Liste des substances d'intérêt prioritaire que l'exercice no 2 concernant la même liste. Ces deux exercices étaient différents, et les processus de gestion qui en ont découlé l'étaient également. Notre première vérification a constaté des lacunes importantes concernant le premier processus en particulier. Après 10 ans de discussions sur l'évaluation et la gestion, en 1999, aucune des solutions recommandées n'avait été mise en œuvre, pas plus qu'on en avait établi les coûts et les ressources nécessaires.

En 2002, les consultations sur les substances déclarées toxiques avaient été au moins menées à terme, mais la mise en œuvre des mesures de gestion du risque recommandées n'avait pas commencé et l'état des substances déclarées n'était pas précisé.

Lorsque nous vérifierons cette question, nous demanderons certainement aux ministères des renseignements substance par substance : quelles mesures ont été recommandées? Ont-elles été assorties des ressources suffisantes? Ont-elles été mises en œuvre? Quelles réductions ont été obtenues? Il faut pratiquement procéder substance chimique par substance chimique pour comprendre si la loi et son application ont permis de réduire les risques.

Il faut poser des questions à ce niveau. Sinon, on peut se retrouver embourbé dans un niveau d'abstraction qui nous empêche de voir ce qui se passe concrètement.

L'une des constatations mineures découlant de nos travaux de 1999 était la suivante : même avec les résultats d'une évaluation majeure et l'occurrence de nouveaux renseignements sur la substance toxique, il n'y a pas de procédure claire pour revoir la décision initiale. Nous avons donc recommandé en 1999 que Santé Canada et Environnement Canada déterminent ce qui en était et mettent en place des procédures permettant d'intégrer les nouveaux renseignements. Au moment de la vérification de 2002, aucune mesure n'avait été prise à la suite de cette recommandation, c'est donc manifestement une question que nous examinerions.

Enfin, nous ferions probablement porter nos travaux sur deux autres fronts. Premièrement, poursuivre notre travail de 1999 pour examiner la combinaison des instruments utilisés, l'équilibre entre les programmes réglementaires et volontaires et nous assurer qu'ils sont rigoureux et bien mis en œuvre. Deuxièmement, nous chercherions à savoir si on réussit à faire une véritable prévention de la pollution — c'est-à-dire réduire au minimum les polluants ou éviter qu'il ne s'en crée d'abord et avant tout. Je suis sûr que vous avez déjà entendu parler de ce que l'on entend par la « prévention de la pollution », mais nous voulons nous intéresser à cette question et voir si des progrès avérés se sont réalisés, nous assurer que toutes ces mesures de gestion des risques donnent les résultats escomptés en vertu de la loi.

Il y a deux autres secteurs, et je suis désolé de prendre tant de temps. Je suis certain que vous avez entendu parler du concept de l'élimination virtuelle. Ce concept date d'avant la LCPE de 1999 et a été mis en place dans une politique qui existait à l'époque de notre vérification et qui s'appelait la Politique de gestion des substances toxiques. En gros, on disait qu'il y a deux types de substances toxiques : celles qui sont tellement néfastes qu'il faut en entreprendre l'élimination virtuelle, et les autres, qu'il faut gérer correctement en réduisant les émissions et en contrôlant les risques durant les cycles de vie desdites substances.

Bien honnêtement, en 1999, le débat entourant l'élimination virtuelle était un vrai bourbier. Les ministères se sont enlisés dans des conflits sur la façon d'y parvenir et les raisons pour ce faire. Cela a produit de l'inaction.

En 2002, le processus avait été enchâssé dans la LCPE, mais aucune substance n'avait été ajoutée à la liste d'élimination virtuelle en vertu de la LCPE et le ministère, à l'époque, cherchait toujours à établir des mécanismes permettant de les déceler dans l'environnement.

Je ne sais pas où on en est actuellement, mais il ne fait aucun doute que nous poursuivrions l'étude de cette question. Les 12 premières substances désignées pour l'élimination virtuelle n'étaient plus tellement utilisées au Canada. Huit étaient des pesticides interdits depuis longtemps. Nous examinerions ce qui a été fait à ce jour, mais également la gestion pour l'avenir.

Enfin, il y a la liste intérieure des substances. Nous ne l'avons pas examinée du tout en 1999. En 2002, le processus d'établissement des catégories était en cours. Je ne sais pas quel encadrement ou quels renseignements on vous a donnés sur ce processus, mais la loi exige que le ministère franchisse deux étapes majeures. La première tâche consiste à établir une catégorie pour les 23 000 substances qui figurent sur la liste intérieure des substances. Ce travail devrait être terminé en septembre. Je crois que vous savez que les échéanciers approchent. Le ministère doit ensuite déterminer lesquelles de ces 23 000 substances doivent être évaluées plus précisément.

Déjà en 2002, dans le cadre de notre vérification, nous soulevions des préoccupations concernant la capacité, en particulier, du gouvernement d'établir des catégories et plus important encore, de sélectionner les substances. À ce moment-là, on parlait encore d'environ 4 000 substances qui devaient être sélectionnées et personne ne savait combien d'entre elles pourraient être déclarées toxiques en vertu de la loi. Ne serait-ce que 1 p. 100, cela équivaudrait à 40 substances. Comme l'ont montré nos deux vérifications de 1999 et de 2002, le ministère n'avait pas beaucoup de succès à mettre en œuvre les mesures relatives aux 40 premières substances ou à peu près, ce qui a mis en doute la capacité du ministère. Nous examinerions cette question à nouveau. Nous chercherions à voir si le processus est sur les rails et si le ministère a les ressources nécessaires pour l'appliquer. Je crois que la loi ne prévoit aucun délai pour la sélection. On ne sait donc pas quand ce processus se terminera. Nous examinerions les échéanciers des ministères et déterminerions dans quelle mesure ils sont réalistes.

Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nous poserions la question suivante : comment le principe de précaution doit-il être appliqué? Il est fort probable qu'il y aura d'importantes incertitudes et des écarts de données concernant ces substances; la façon d'appliquer le principe de précaution est d'autant plus importante.

Je vais m'arrêter ici et je suis désolé d'avoir pris tant de temps. J'espère que ce n'était pas trop technique.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le sénateur Cochrane : Je suis heureuse que vous soyez là tous les deux aujourd'hui. Madame Gélinas, vos fonctionnaires et vous avez toujours été francs avec nous. Nous apprécions vos observations et votre contribution. Votre bureau a déjà examiné la question de la gestion des substances toxiques au Canada. Pourriez-vous nous donner une idée des lacunes qui existent dans la LCPE actuellement en vigueur?

À votre avis, qu'est-ce qu'il faut corriger? J'utilise le terme « faut » au présent. Si on vous demandait de faire un examen de la LCPE, comment procéderiez-vous?

Mme Gélinas : Je ne suis pas certaine que l'on puisse ajouter à ce qu'on a déjà dit. Nous pouvons difficilement nous prononcer sur les mesures à prendre. La seule façon de procéder — et nous avons fait notre possible ce soir — c'est de vous dire que si nous devions faire une nouvelle vérification des substances toxiques et non pas de la LCPE en soi, ce sont là les questions que nous poserions certainement.

Votre mandat est différent du nôtre. J'espère qu'au moins certaines des grandes questions que nous avons fait ressortir pour vous ce soir pourront vous être utiles, mais nous ne pouvons guère aller plus loin. Et dans ma situation, je ne peux évidemment pas orienter vos travaux.

Nous comprenons également que l'examen de la LCPE pourrait porter sur de nombreux éléments. Le spécialiste ici ce soir, c'est M. Reed, et comme vous l'avez constaté, il connaît la question de fond en comble. Je vais donc lui laisser la parole le plus possible.

Le sénateur Cochrane : Je comprends votre situation, bien sûr. Dans votre rapport de suivi en 2002, vous avez conclu que le gouvernement n'avait pas beaucoup progressé dans la réalisation de son objectif, c'est-à-dire éliminer virtuellement, en priorité, les substances toxiques synthétiques, résistantes et biocumulatives rejetées dans l'atmosphère. Cet objectif était inclus dans la Politique de gestion des substances toxiques du gouvernement, et certaines parties ont été intégrées à la LCPE de 1999. Avez-vous pu déterminer pourquoi le gouvernement ne parvient pas à atteindre l'objectif de l'élimination virtuelle?

M. Reed : Nous n'avons pas abordé cette question en particulier. La LCPE de 1999 ne nous y obligeait pas. La question était toujours assujettie à la LCPE de 1988, si bien que seule la Politique de gestion des substances toxiques était en vigueur. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, à cette époque, les ministères étaient opposés les uns aux autres. Nous l'avons exprimé très clairement aux chapitres 3 et 4, Santé et Environnement Canada s'étaient rangés contre les Ressources naturelles et l'Industrie. La question de l'élimination virtuelle était au centre de ce débat.

Cela s'explique en partie parce que certaines substances — et le mercure en était un exemple à ce moment-là — se retrouvent naturellement dans l'environnement. Ces substances ne sont pas toutes le résultat de l'intervention humaine. Le concept d'élimination virtuelle présente un problème lorsqu'il s'agit d'un phénomène naturel. En réalité, on ne devrait pas trouver ces substances dans l'atmosphère mais si elles y sont, elles ne se prêtent pas à une élimination virtuelle. C'était une grosse partie du problème en 1999.

En 2002, comme je l'ai signalé, aucune substance n'avait été ajoutée à la liste d'élimination virtuelle. Le problème, à l'époque, c'est qu'on n'avait pas encore déterminé ce que l'on appelait, et je n'utilise probablement pas la bonne expression, les niveaux de détection, ou les limites de détection. Pour prouver l'absence d'une substance, il faut avoir la technologie et les méthodes scientifiques nécessaires pour en détecter la présence et en 2002, on n'avait pas encore déterminé ces niveaux. On était enfermés dans un cercle vicieux.

Le président : Puis-je poser une question supplémentaire? Ce que vous venez de dire est tout à fait vrai, monsieur Reed. Au moment où il devient possible de mesurer des proportions toujours plus petites de substances, l'élimination virtuelle jusqu'à l'état précédent devient une cible en mouvement perpétuel. Les Européens envisagent actuellement un programme — même s'il n'a pas encore été mis en place — qui n'a pas pour objectif l'élimination virtuelle de ces substances toxiques. J'ai l'impression qu'ils disent simplement : « N'utilisez pas telle substance dans vos produits. Elle existe peut-être déjà, comme le mercure, le plomb ou autre chose, mais nous ne voulons plus que vous l'utilisiez. »

Si vous étiez le roi et que nous recommencerions tout — et ce n'est certainement pas notre propos — si vous aviez le choix entre l'élimination virtuelle d'une part, et l'interdiction d'une substance d'autre part, que choisiriez-vous? Je vous demande également si l'élimination virtuelle est plus bénéfique qu'une simple interdiction d'utilisation?

M. Reed : C'est une question délicate, en ce sens que l'on pourrait interdire de nombreuses substances, et c'est ce qui a été fait avec certains pesticides. Huit des substances avaient été interdites d'utilisation au Canada bien avant la création du concept d'élimination virtuelle. À mon avis, ce serait l'option à retenir pour certaines substances.

Cependant, toutes les substances ne sont pas utilisées dans la fabrication de produits vendus dans le commerce. Je crois que la dioxine, par exemple, était l'une des substances figurant sur la première liste d'élimination virtuelle de la Politique de gestion des substances toxiques. Elle n'est pas fabriquée pour être vendue dans le commerce. C'est un sous- produit de différents processus industriels comme l'incinération. Dans ce cas, on ne peut pas dire : « Ne fabriquez pas ce produit », parce qu'on n'essaie pas de fabriquer la dioxine. C'est un sous-produit d'autres processus de fabrication. Il devient de plus en plus compliqué d'essayer d'éliminer ces sous-produits sans effectivement éliminer les processus de production initiaux. Autrement dit, la gestion du risque est probablement la seule façon pratique et concrète de composer avec certaines substances.

Le président : Gestion des risques par opposition à gestion des dangers?

M. Reed : Vous voulez aborder une grosse question, n'est-ce pas?

Le président : Nous essayons de vous soutirer le plus d'information possible, monsieur Reed et madame Gélinas.

M. Reed : Je suis certain que vous savez que ces questions ont suscité d'intenses débats au moment de la rédaction de la LCPE de 1999. Toute la question du risque par opposition à la toxicité inhérente a été discutée en long et en large au moment de la rédaction de la nouvelle version de la loi. J'utilise le terme « risque » parce que c'est le terme que l'on emploie dans la LCPE et dans d'autres ministères fédéraux.

En tant que néophyte, j'ai tendance à penser que c'est la même chose. En réalité, cela revient à savoir si on est exposé à quelque chose. Si la substance existe et qu'elle renferme des propriétés toxiques, il y a alors un risque. C'est un danger potentiel. Je suis certain que les toxicologues et les écotoxicologues se distancieraient énormément de ce que j'ai dit et indiqueraient qu'il y a d'importantes distinctions entre les deux notions, mais je crois que les Canadiens veulent simplement savoir ce qui existe, si c'est dangereux, s'ils y sont exposés, quel effet cela a sur eux et, si cela est dangereux, pourquoi ne nous en défaisons-nous pas?

Le sénateur Cochrane : La question que les Canadiens se posent n'est-elle pas la suivante : pourquoi cela prend-il tant de temps? Pourquoi est-il si long de savoir exactement ce qui est toxique et ce qui ne l'est pas et pourquoi ces produits sont dans le commerce? Les gens s'expriment, certains disent vous auriez dû faire ceci, d'autres, prendre cela, ou ne pas utiliser ceci ou mieux utiliser cela. Il nous faut quelqu'un ou quelque chose capable de nous dire ce qui est toxique, ce qui ne l'est pas, ce que nous devrions utiliser et ne pas utiliser. La population se heurte à ce genre de dilemme.

Mme Gélinas : C'est le gouvernement fédéral qui doit répondre à ces questions.

Nous nous sommes posé la même question en 2002 : la sensibilisation du public et les raisons pour lesquelles cela prend tant de temps. Dans le chapitre, nous utilisons le trichloréthylène comme exemple d'une substance qui demande un long processus d'analyse. Nous avons reçu quelques pétitions au cours des dernières années. Elles posaient exactement cette question concernant un produit en particulier : pourquoi le processus d'évaluation et de décision est-il si long pour déterminer les modalités d'utilisation de la substance ou son interdiction?

Les Canadiens se posent la même question que nous, mais seuls les ministères ont la réponse.

Le sénateur Angus : Merci d'être là, madame Gélinas et monsieur Reed.

Je suis absolument renversé par ce que vous nous avez dit. J'étais ici lorsque la commissaire a comparu au sujet de ses rapports de 2004 et de 2005. Je suis renversé par la façon dont vous nous avez renseignés, et je vous remercie de votre honnêteté. Il n'est pas toujours facile d'appeler un chat un chat.

Vous nous avez dit ce que l'examen comprendrait. Si nous devions faire toutes ces choses, il nous faudrait un budget d'environ 25 millions de dollars et beaucoup de scientifiques. De toute évidence, nous n'avons pas les outils ici. Je ne sais par où commencer.

Je vois ce que vous voulez dire. Vous nous dites que la situation n'est pas seulement aussi mauvaise que celle que nous avons décrite dans d'autres exemples d'efficacité du Canada dans le domaine de l'environnement au cours des dernières années, elle est déplorable. Vous nous avez déjà décrit la façon dont nous sommes passés du numéro deux, trois ou quatre — près du sommet — parmi les pays de l'OCDE pour atteindre pratiquement le bas de l'échelle. En soi, cela était renversant et terrible.

Ce sont ces deux rapports que vous avez produits en 1999 et en 2002 qui m'ont fait dire que j'ai été renversé. Je comprends que vous avez concentré vos efforts sur d'autres questions après 2002. Vous n'effectuiez pas un autre examen de la LCPE et de la question des produits toxiques.

D'après le travail que vous avez fait et avec les ressources restreintes dont vous disposiez, est-ce que la situation est toujours aussi mauvaise qu'en 2002? Est-elle pratiquement aussi mauvaise? Pire?

Vous vous êtes concentrés sur d'autres secteurs. Vous avez fait parvenir une bonne lettre à notre président, en date du 12 mai, à laquelle vous avez joint une longue liste d'autres situations renversantes qui devraient retenir notre attention. D'après la façon dont il m'a regardé, le président est aussi figé d'incrédulité. Nous aimerions apporter une contribution importante et tenter de mener une étude à terme. C'est comme si la LCPE n'avait pas fonctionné du tout.

J'aimerais vous poser quelques questions. La situation est-elle aussi attristante en 2006 qu'elle ne l'était en 1999 et en 2002? D'autres témoins sont venus nous dire que la LCPE contient 37 mesures législatives différentes qui interagissent les unes avec les autres, se recoupent et donnent lieu à des guerres de clocher et à des manques d'efficacité, au point où il n'est pratiquement pas possible d'appliquer cette loi.

Mme Gélinas : Malheureusement, sénateur Angus, nous ne pouvons répondre à votre question. La seule chose que nous puissions faire, c'est faire rapport sur nos constatations. Nous n'avons pas fait de travail depuis 2002.

Le sénateur Angus : En ce qui concerne les substances toxiques?

Mme Gélinas : En ce qui concerne cette question particulière touchant les substances toxiques. Entre-temps, nous avons travaillé à de nombreuses autres questions.

Il nous est impossible de dire si la LCPE est efficace ou non. De mon point de vue, c'est la première question qu'il faut se poser avant d'entrer dans les détails.

Du point de vue de la vérification, c'est ce que nous ferons. Pour une question en particulier, nous allons chercher la plus importante, celle qui présente le plus de risques. Ensuite, nous pourrons nous pencher sur d'autres enjeux.

Dans un examen comme celui-là, il faut se poser la question suivante : le processus est-il efficace? C'est bien beau de l'avoir sur papier, mais il faut aussi commencer à le mettre en œuvre.

C'est ce qui fait ressortir l'importance d'un suivi régulier. Nous n'en avons pas fait depuis plus de quatre ans. L'année dernière, nous avons décidé de nous concentrer sur les changements climatiques. Au moment où on se parle, nous avons commencé à nous concentrer à nouveau sur les substances toxiques. Pour l'instant, je ne peux vous donner les détails sur l'objet de nos études parce que nous n'en sommes pas encore là. Nous l'aurions établi plus tôt si nous n'avions pas décidé d'accélérer notre travail sur les changements climatiques.

C'est un bon exemple, nous avons tous appris des leçons sur la façon de faire le plus de travail possible et de terminer une vérification de suivi entre-temps. Cela nous donne l'information dont nous avons besoin.

Si nous avions procédé ainsi d'abord, nous ne serions pas perdus à essayer de voir quels sont les résultats de la LCPE.

M. Reed : De toute évidence, en tant que vérificateurs, nous ne remettons pas la LCPE en question. C'est une question de politique. Nous nous concentrons sur la mise en œuvre.

Les vérifications sont toujours faites à un point précis dans le temps. Pour ce qui est des substances toxiques, les échéanciers pour atteindre les objectifs sont assez longs : cinq ans pour l'évaluation, cinq ans pour la consultation et ensuite la mise en œuvre.

N'éliminez pas tout de suite la LCPE. Lorsque nous avons fait notre vérification, les vérificateurs ont examiné tout le processus et formulé un certain nombre de recommandations. À ce moment-là, notre vérification s'est terminée et ces recommandations n'ont pas été assorties des ressources adéquates ni mises en œuvre. Elles l'ont peut-être été depuis. Je crains ne pas avoir les bonnes données actuellement pour vous dire où on en est.

Voilà probablement les secteurs sur lesquels je concentrerais mes efforts. Je demanderais aux ministères de ne pas me parler de processus. L'état des consultations ne m'intéresse pas non plus. Je veux savoir, produit chimique par produit chimique, s'il y a eu des rejets dans l'environnement et si ces rejets ont diminué. Comment le savez-vous?

Une autre question difficile pour nous, c'est le niveau de ressources accordées à l'application d'une mesure législative. C'est aussi une question de politique. En 1999, et à nouveau en 2002, tout le monde convenait qu'il n'y avait pas suffisamment de ressources en place pour faire respecter la LCPE.

Les choses peuvent bien avoir changé, mais la culture de l'époque était la suivante : nous devons faire ce que nous pouvons avec ce que nous avons. Il n'y a pas d'argent frais. Ce n'est pas la peine d'en demander. Nous allons faire du mieux que nous pouvons avec les budgets que nous avons.

En tant que vérificateurs, nous ne remettons pas cela en question. C'est une question de politique. Nous avions amplement de preuves indiquant que les objectifs n'étaient pas atteints et que les processus n'étaient pas terminés, si bien que quelqu'un devrait demander s'il y avait suffisamment de ressources pour assurer la mise en œuvre de la loi.

Le sénateur Angus : Vous avez dit que l'une des choses que vous feriez durant l'examen de la LCPE serait de voir si l'objectif de prévention de la pollution a été atteint. Nous avons accueilli des représentants d'une organisation qui s'appelle PollutionWatch la semaine dernière. Ils nous ont dit que cet objectif n'est pas atteint. C'est superficiel. Nous sommes pris dans un dilemme parce que nous voulons faire quelque chose d'utile.

Le comité directeur s'est rencontré lorsque la question a été posée et a demandé s'il y avait une façon d'apporter une contribution utile. Ce comité a convenu qu'il n'en savait rien et qu'il s'informerait. C'est pourquoi nous tenons des audiences préliminaires. Est-ce que le comité pourrait faire quelque chose de constructif? D'après ce que vous savez, après avoir produit les rapports jusqu'en 2005, et fait en plus le travail qui est en cours, est-ce qu'au Canada, on atteint l'objectif de prévention de la pollution, à votre avis, à la suite de l'adoption de la LCPE?

Mme Gélinas : Je ne peux répondre à cette question.

Le président : L'objectif était-il atteint en 2002?

M. Reed : Il était un peu tôt pour le dire parce que la planification de la prévention de la pollution relevait de l'exercice 2 de la Liste des substances d'intérêt prioritaire, exercice qui, au moment où la vérification s'est terminée, n'était pas entrepris; l'évaluation n'était même pas terminée.

Le ministère comptait beaucoup sur le fait, à l'époque, que les plans de prévention de la pollution seraient produits par les émetteurs de substances toxiques et que cela amènerait d'autres réductions.

Soit dit en passant, je peux vous dire qu'il y a eu un important débat au même moment, engendré par les systèmes de gestion de l'environnement à l'ISO. Les sénateurs connaissent peut-être la norme ISO EMS, qui inclut également une définition de la « prévention de la pollution ». Grâce à ce processus, la définition a été chamboulée et la prévention s'est retrouvée en bout de ligne : le recyclage, la récupération et toutes les activités qui font partie de la gestion, alors que l'intention initiale de la prévention de la pollution, comme je l'ai toujours comprise, était de ne pas générer des substances en premier lieu. Vous allez avoir des problèmes pour en arriver à ce niveau de détail et voir s'il y a vraiment prévention de la pollution, parce que toutes les données sont aux mains des entreprises.

Le sénateur Angus : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je ne remets pas en doute la bonne volonté, la compétence ou les objectifs des personnes bien intentionnées à Environnement Canada lorsqu'elles n'ont pas les ressources. Nous savons qu'Environnement Canada a une nouvelle ministre et un nouveau sous-ministre et qu'un nouveau plan que l'on dit fait au Canada est en voie de rédaction. Cependant, nous ne savons pas ce qu'il contiendra ni d'où proviendra le budget. Vous avez énoncé les choses en ces termes, disant que le gouvernement a les outils — qu'il ne faut pas confondre avec les ressources — pour être chef de file en matière de prévention de la pollution, de gestion des changements climatiques et d'examen de la qualité de l'air et de l'eau. Je crois que c'est ce que vous pouviez prétendre dans le passé, mais pourtant, rien ne s'est produit à ce jour.

Dans le cadre de notre étude sur la LCPE, le comité a pour tâche d'essayer de compléter ce que vous, les vérificateurs, avez dit. De toute évidence, en tant que commissaire de l'environnement, votre travail consiste à alerter le gouvernement. Je comprends ce que vous avez dit au comité, qu'il est difficile de procéder à un examen substance par substance. Nous pouvons convoquer les organisations qui s'occupent d'environnement, mais nous savons ce qu'elles diront. J'ai déjà dit qu'à mon avis, il y a un gros problème, et je siège à ce comité parce que je veux être partie de la solution.

La vice-présidente a demandé ce que vous feriez. Vous nous l'avez dit dans vos diapositives, vous ne pouvez aller plus loin. Le comité peut poser des questions comme : est-ce que l'établissement des catégories et la sélection vont bien? Environnement Canada a-t-il la capacité? Comment le principe de précaution sera-t-il appliqué? Cependant, à qui le comité s'adresse-t-il pour obtenir les réponses?

Mme Gélinas : Il vous faut demander à Environnement Canada et à Santé Canada parce qu'ils sont tous deux responsables de l'application de la LCPE. La première fois qu'ils ont témoigné devant le comité, ils vous ont donné une vue d'ensemble, mais comme le fera un vérificateur, je creuse plus loin, je cherche les détails. Vous avez cité un énoncé général que j'ai déjà fait concernant mes constatations : le gouvernement a tendance à prendre trop d'engagements et à ne pas livrer la marchandise. Le maillon le plus faible de la chaîne, si vous voulez, c'est la mesure et la production des rapports. Là encore, des témoins pourraient venir vous dire que la prévention de la pollution n'est pas appliquée actuellement et qu'ils ne voient pas de résultats sur le terrain. Si le gouvernement fédéral voulait obtenir l'information, les fonctionnaires pourraient comparaître devant le comité et vous donner des indications factuelles des résultats. Il ne fait aucun doute que le comité peut demander des choses à ce sujet.

Le sénateur Angus : C'est utile.

M. Reed : L'évaluation de la LCPE entreprise par Environnement Canada concernant la gestion des substances inscrites sur la Liste des substances d'intérêt prioritaire en vient pas mal aux mêmes conclusions que nos vérifications, même s'il existe peu de documentation sur l'efficacité ou l'efficience relative des efforts de gestion déployés en permanence. En outre, même s'il existe des preuves que l'utilisation et les niveaux d'émission de substances toxiques et l'exposition à ces substances diminuent pour certaines substances, pour d'autres, la tendance est à la hausse et les données pour encore d'autres sont insuffisantes pour en arriver à de telles conclusions.

Si j'étais à votre place, je demanderais à Environnement Canada et à Santé Canada de soumettre les résultats au comité pour que vous puissiez savoir si les émissions augmentent ou diminuent. Pour les substances dont les émissions augmentent, je demanderais pourquoi il en est ainsi et quels sont les obstacles à l'amélioration. Je ne crois pas que la conception de la LCPE soit en cause, comme vous l'avez dit, parce que ça donne au ministère les outils et les pouvoirs dont il a besoin. Qu'est-ce qui gêne le travail? Je crois que c'est la mise en œuvre.

Le sénateur Angus : Le sénateur Adams était là, mais il est parti assister à un autre comité. Il vit à Rankin Inlet et nous a parlé des effets délétères du mercure dans l'atmosphère qui partent « d'ici ». Je lui ai demandé de quel endroit il parlait, du sud du Canada, des États-Unis ou des deux. Comment est-ce que c'est mesuré? Est-ce que quelqu'un le sait? Personne ne le savait, mais je suppose que vous serez d'accord pour dire que c'est là un des problèmes dans le Nord, problème qui s'aggrave toujours. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Reed : Je ne sais pas si la situation se détériore, mais la présence de substances comme les BPC et le mercure dans un endroit qui n'a aucune émission a toujours rendu les scientifiques confus. D'après leurs observations, ils en ont conclu que les polluants sont transportés en partance du sud de l'Équateur. C'est ce que l'on appelle l'effet sauterelle. C'est ainsi que ces pesticides arrivent dans l'Arctique.

Le sénateur Angus : Vous avez parlé de biosurveillance pour étudier l'effet de ces différents éléments sur les personnes. Ce serait probablement notre premier sujet d'étude. Par exemple, nous avons entendu parler des effets sur le lait maternel dans les collectivités de l'Arctique, et c'est troublant.

Je n'arrive pas à ajouter quoi que ce soit de constructif pour l'instant, monsieur le président.

Le président : On nous a donné de bons renseignements, dans une certaine mesure.

[Français]

Le sénateur Tardif : Vous avez indiqué, M. Reed, que souvent on utilise l'excuse d'une science inadéquate, ou il y a un manque d'information, pour retarder ou bloquer une action quelconque.

J'essaie de comprendre comment on réconcilie cette approche avec le principe de précaution qui a été instauré dans la loi en 1999?

[Traduction]

M. Reed : C'est aussi notre question. Je vais vous donner un exemple de ce que nous avons constaté en 1999. La première Liste des substances d'intérêt prioritaire contenait, je crois, 44 substances, et après cinq ans d'enquête au sujet de 13 d'entre elles, on a été incapable d'en venir à une conclusion parce qu'il y avait des écarts dans les données.

Le président : Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Reed. Pourriez-vous nous faire parvenir la liste de ces 13 substances?

M. Reed : Oui.

Le président : Au cours des prochaines semaines.

M. Reed : Je crois qu'on a réussi à combler certains de ces écarts.

Le président : Cela nous donnerait un bon point de départ.

M. Reed : Dans chacun de ces cas, on a été incapable d'en venir à une conclusion à cause des écarts dans les données. Ne nous méprenons pas; le fardeau de la preuve dans la LCPE est lourd. La communauté scientifique vous le dira.

C'est pourquoi nous avons soulevé la question du principe de précaution à ce moment-là, parce qu'on pourrait penser que, faute de données, et face à l'incertitude, on serait tenté de déclarer la substance toxique. Ce n'est pas ce qui a été fait en 1999. On a omis de faire une déclaration. En fait, les personnes ont été poursuivies en justice. C'est probablement le mauvais terme à utiliser, mais le Canadian Defence Fund s'est fortement opposé au fait que l'on ne prévoyait publier aucune décision finale.

A l'orée de l'an 2000, le principe de précaution avait été enchâssé dans la Loi, mais nous avions toujours le même genre de questions : que ferez-vous lorsque vous n'aurez pas d'écarts dans les données dans le cas d'une loi qui, à certains égards, impose un fardeau de la preuve très lourd? C'est pratiquement une contradiction, parce que pour qu'une substance soit déclarée toxique en vertu de la loi, le fardeau de la preuve est lourd. Je ne suis pas un scientifique et je ne peux parler des détails, mais c'est la raison pour laquelle il faut compter cinq ans pour examiner certaines de ces substances.

C'est pourquoi nous avons soulevé la question : que ferez-vous à l'avenir? Nous avons au Canada beaucoup de renseignements sur un très petit nombre de substances et très peu de renseignements sur la majorité d'entre elles. Les incertitudes et l'absence d'information vont aller en s'accroissant au moment où les scientifiques s'intéresseront aux substances intérieures.

Le président : Vous avez dit que cela équivalait presque à une contradiction. N'est-ce pas une contradiction directe? Le principe de précaution stipule que si on a des doutes, il n'est pas nécessaire d'attendre qu'on puisse prouver que la substance est sûre ou non. Selon le principe de précaution, si vous n'êtes pas certain, il ne faut pas utiliser la substance. N'est-ce pas l'objectif de ce principe?

M. Reed : C'est pourquoi je vous ai proposé de voir si Environnement Canada avait terminé d'élaborer ses directives en vertu de la loi. Je crois que oui. D'après notre suivi, c'est le cas. Pour être bien honnête, je ne les ai pas lues. Je ne sais pas ce qu'elles disent sur les intentions du ministère en ce qui concerne l'évaluation ou la gestion. Le principe de précaution n'est probablement pas le problème qui touche la gestion, mais en effet, ce qui s'est produit avec les exercices de la liste 1, c'est que l'on a fait tout un exercice d'évaluation, et après cinq ans une substance a été déclarée toxique. Ensuite, c'est un autre groupe de personnes qui reprennent le processus, les gestionnaires de risques, qui engagent alors des consultations avec le secteur privé, d'autres intervenants, pour voir ensemble ce que nous devrions faire à ce sujet. Cependant, même ces processus ont été gênés par l'absence de données parce que certains groupes demanderaient, et avec raison : « Comment véritablement savoir si la substance est présente? Comment déterminer le niveau d'exposition? Nous ne faisons pas actuellement de suivi. Au fait, de quel pourcentage devons-nous réduire les substances pour en arriver à un niveau sûr? »

En 1999, nous avons établi que c'était là une lacune importante du processus. L'évaluation déclarait une substance comme étant toxique, mais elle ne précisait pas le pourcentage de réduction que nous devions atteindre pour la rendre sûre. Les gestionnaires de risques étaient gênés dans leur travail parce qu'ils essayaient de convaincre un groupe relativement hostile d'émetteurs qu'il fallait prendre des mesures sans avoir beaucoup de données scientifiques concrètes quant au niveau, aux endroits où se trouvaient les substances et ainsi de suite.

Je parle un peu pour ne rien dire parce que nous ne savons pas comment les ministères eux-mêmes ont décidé d'appliquer le principe.

[Français]

Le sénateur Tardif : Étant donné qu'il y a cette contradiction, croyez-vous que cela laisse une ouverture pour un lobbying efficace de certains groupes d'intérêt?

M. Reed : Sur la liste ou sur le processus de gestion?

Le sénateur Tardif : Sur la liste.

[Traduction]

M. Reed : Je ne crois pas qu'il y avait ce genre de choses. La première liste, les ministères le reconnaîtront, a été échafaudée sans processus de consultation détaillé. Ils estimaient savoir quels étaient les mauvais éléments. Ils étaient en mode départ à cette étape. Pour la deuxième Liste des substances d'intérêt prioritaire, les ministères ont procédé à un exercice de consultation beaucoup plus rigoureux pour repérer les 25 substances qui ont finalement été inscrites sur la liste et évaluées.

Au moment du suivi de 2002, Environnement Canada avait changé son processus pour déterminer les mesures de gestion du risque, mais ne l'avait pas mis en œuvre. Il venait tout juste d'être annoncé. Le ministère répondait par écrit à certaines des critiques que nous avions faites, mais nous ne savions rien de la mise en œuvre, et je pense qu'il serait aussi relativement facile pour vous de demander aux ministères : Quel est le statut des substances qui se trouvent sur la deuxième Liste des substances d'intérêt prioritaire?

Mme Gélinas : Je pense que nous devrions regarder le principe de précaution sous un autre angle. Le principe de précaution est un moyen par lequel la LCPE pourrait être mise en œuvre de façon plus réaliste. Ce que nous avons soulevé, c'est simplement ceci : cette façon d'envisager la LCPE et la gestion des substances toxiques n'ont pas été utilisées. Cela va revenir nous hanter, parce qu'on peut regarder comment le principe de précaution est appliqué dans de nombreux secteurs, notamment dans les pesticides, mais jusqu'à maintenant, nous n'avons rien entendu du ministère ou du gouvernement. M. Reed a indiqué que le Conseil privé cherchait à obtenir des directives pour appliquer le principe de précaution de façon générale. Nous avons examiné ce qui a été fait au cours des dernières années, et nous n'avons rien trouvé.

Je me souviens, il y a quelques années, nous estimions qu'il fallait vérifier la mise en œuvre du principe de précaution, et nous nous sommes vite rendu compte qu'il n'y avait rien à vérifier parce que le principe de précaution n'est pas appliqué au gouvernement. La LCPE est un bon exemple lorsqu'on pose la question au gouvernement : sur quelle directive se base-t-on pour appliquer le principe de précaution selon la LCPE, et comment cela a-t-il été fait jusqu'à maintenant? Si vous obtenez une réponse à cette question, cela sera très utile pour nous tous, et pour les Canadiens, afin de comprendre la situation parce que la question demeure sans réponse depuis de nombreuses années.

M. Reed : J'aimerais simplement ajouter quelque chose. Posez cette question directement au sujet des catégories et de la sélection des substances intérieures, parce qu'il est probable que les évaluations de la Liste des substances d'intérêt prioritaire sont terminées. Mais la sélection des 4 000 substances ou à peu près n'a pas encore été faite, et il y aura des incertitudes. Les ministères auront besoin de ces directives claires

Mme Gélinas : Si je me souviens bien — et corrigez-moi si j'ai tort — au moment de la vérification des substances toxiques, on a fini par dire qu'avec les ressources du ministère et la liste des substances intérieures qu'il devait examiner, cela prendrait des décennies avant de finir le travail.

Ce principe de précaution existe pour aider à atteindre l'objectif de la LCPE.

Le sénateur Angus : Vous nous avez fourni quelques questions claires à poser dans le contexte du principe de précaution. Pourriez-vous expliquer en quoi consiste exactement le principe de précaution? Comment devrions-nous énoncer nos questions?

Mme Gélinas : Le document renferme une définition précise de ce concept.

Le sénateur Angus : Est-ce dans votre rapport de 1999 ou dans la loi?

Mme Gélinas : C'est dans la loi. Nous avons emprunté certains des documents qui ont été déposés devant le comité au cours des dernières semaines. Il y a un document intitulé « Guide explicatif de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement », qui est daté d'octobre 2004, où l'on explique clairement le principe de précaution et la façon dont il s'applique à la LCPE. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Il existait bien avant et il existe toujours.

Le sénateur Angus : Cela fait partie de la terminologie environnementale, commerciale et opérationnelle du milieu de l'environnement. Pourriez-vous expliquer cela en termes simples? Comment comprenez-vous le principe de précaution?

Le président : Il en existe maintenant plusieurs versions différentes, comme pour la clause de non-dérogation. Le principe qui s'applique à la LCPE fait littéralement partie de la Loi. Ce n'est pas un préambule.

Mme Gélinas : Le principe est tout à fait clair, et je vais vous le lire. On dit ceci :

Principe de précaution — Les mesures adoptées par le gouvernement pour protéger l'environnement et la santé sont guidées par le principe de précaution selon lequel, lorsqu'il y a des menaces de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique complète ne doit pas être utilisée comme raison de reporter des mesures efficaces sur le plan économique pour empêcher la dégradation de l'environnement.

On ne pourrait être plus clair que cela.

Le président : Cela pourrait être le cas si on ne disait pas « efficaces sur le plan économique ».

M. Reed : Cela laisse place à une certaine interprétation, et c'est là la difficulté. C'est pourquoi nous exercions des pressions sur le ministère pour qu'il publie ses directives opérationnelles. Comment allez-vous appliquer ce principe dans les décisions que vous devez prendre? En ce qui concerne la sélection des 4 000 substances, que ferez-vous lorsque vous n'aurez pas de certitude?

Le sénateur Angus : Je dirais, lorsqu'il n'y a pas de constance dans l'application.

[Français]

Le sénateur Fox : Ma question a trait à la gouvernance et l'imputabilité. Dans la première des trois conclusions du rapport que vous nous avez présenté ce soir, au paragraphe 4, vous avez conclu que « la capacité du gouvernement canadien à détecter et à comprendre les effets des substances toxiques était gravement menacée ». À la deuxième de vos conclusions, au paragraphe 5, vous avez conclu que « le gouvernement fédéral ne gérait pas les risques de façon adéquate ». Quant à votre troisième conclusion, au paragraphe 6, vous mettez en doute la capacité à détecter, comprendre et prévenir les effets nocifs des substances toxiques et que cette capacité reste limitée. Vos conclusions sont quand même assez inquiétantes.

Par ailleurs, je note que, de façon générale, au gouvernement fédéral il y a un engagement à aller dans ces directions. Mais il semble y avoir peut-être une déficience sur le plan du rachat d'office et probablement de l'exécution. C'est justement à ce niveau que je voulais poser ma question.

Au point de vue de l'imputabilité, il est très important de déterminer qui est responsable de certaines choses. Vous parlez un peu trop de façon générale du gouvernement fédéral plutôt que des ministères en particulier chargés d'exécution. Je comprends que sur le plan des politiques générales, on puisse parler de la responsabilité du Conseil privé et je pense que vous avez bien raison de le souligner. Je serais porté à parler du Conseil privé comme ayant cette responsabilité générale de coordination. Je les tiendrais imputables de cette responsabilité. Il nous manque, en ce moment, cette notion d'imputabilité. Le Conseil privé devrait être imputable sur ce plan et par la suite les ministères devraient être clairement et carrément imputables pour les progrès ou le manque de progrès des objectifs. J'accepte mal qu'on ne puisse pas rejeter une dépense ayant trait à la suffisance ou l'insuffisance des ressources. Il y a peut-être des explications.

À la lecture du rapport détaillé de l'année 2002 déposé ce soir, vous faites référence à l'état des progrès des ministères. On voit qu'à plusieurs endroits on y indique une déficience notable sur le plan de la gouvernance. Le sous- ministre devrait être tenu personnellement responsable, et cela devrait faire partie de l'évaluation de l'efficacité et de la performance du ministre. Cela devrait se refléter dans l'évaluation annuelle et pourrait affecter la prime de performance.

En ce moment, lorsque je regarde cela, je vois plusieurs principes auxquels tout le monde souscrit, mais je ne vois pas grand-chose d'autres. Je dois admettre que je ne suis pas un expert en la matière, mais la question environnementale est un domaine que je veux explorer. Je trouve cela important. Le principe de base de la gestion c'est :

[Traduction]

Si on ne peut rien mesurer, on ne peut pas vraiment juger ni évaluer quoi que ce soit.

[Français]

Je ne vois pas de balises, de cibles pour évaluer le travail du sous-ministre. Dans notre système, le sous-ministre est situé au haut de la pyramide : il reçoit des directives du Cabinet — le Cabinet est responsable d'élaborer des politiques — mais par la suite le sous-ministre établit des façons d'atteindre les objectifs, ce n'est plus au ministre de le faire. On ne donne pas assez de responsabilités directes et évidentes au sous-ministre dans ces dossiers. On devrait identifier clairement qui est responsable de quoi et tenir la personne responsable dans le rapport que vous faite. Cela aiderait à ce que les gens soient impliqués pour livrer la marchandise.

Je demanderais vos commentaires, car on peut parler de ces choses durant 25 ans. Tous les gouvernements de notre histoire n'auront jamais assez de ressources pour faire toutes les choses qu'ils sont censés faire. Chaque fois on dit que le sous-ministre n'avait pas les ressources nécessaires. Dans le contexte des ressources qu'il a, il devrait y avoir des points de référence, des cibles et des objectifs. Un directeur général d'une compagnie n'a pas ces objectifs. Personne dans le secteur privé n'a des ressources illimitées pour rencontrer leurs objectifs, mais à l'intérieur des ressources qu'ils ont, ils ont des objectifs, des cibles à atteindre : ils sont évalués à la fin de l'année sur leur progrès pour arriver à ces ressources. C'est de cette façon qu'on peut les encourager concrètement à rencontrer leurs objectifs. En l'absence de cela, ni dans le secteur public ni dans le secteur privé nous n'obtiendrons ce genre de chose.

Mme Gélinas : Laissez-moi répondre à votre premier commentaire concernant nos conclusions. Il faut remettre les choses en perspective. Ces conclusions datent de 1999 et 2002. Je ne voudrais pas laisser l'impression que rien n'a été fait par le ministère depuis, dans la poursuite des recommandations que l'on avait faites. On n'a pas fait la vérification. On va éventuellement y revenir et vous donner une mise à jour.

Quant à votre autre commentaire, je dirais que vous pourriez très bien écrire un de mes rapports, car cela fait plusieurs années qu'on le dit : les rôles et les responsabilités ne sont pas clairs. Donc quand cela va bien, cela va bien parce que tout le monde en bénéficie, mais quand cela va mal, on ne sait pas exactement à qui revient la faute. Et pour responsabiliser les gens, il faut encore que l'on mesure les progrès et que l'on fasse rapport. Dans la majorité des cas — et à cet égard, je commence à sonner comme un vieux disque usé —, la mesure du progrès est rarement présente et on ne fait pas non plus rapport publiquement. C'est donc très difficile de savoir si un ministère, un ministre ou un sous- ministre a atteint ses objectifs, car au minimum, il faut voir les progrès qui ont été réalisés.

Je terminerais en disant qu'établir des éléments de performance dans les objectifs des sous-ministres, on l'a mentionné — pas dans ce dossier-ci en particulier, mais on l'a déjà mentionné dans d'autres dossiers —, c'est sûr que s'il y avait un peu plus de pression mise sur les hauts fonctionnaires pour livrer certains objectifs, on verrait peut-être davantage de résultats. Et on l'a suggéré.

Laissez-moi terminer en mentionnant qu'on a beaucoup de dossiers, de situations, de sujets que l'on regarde, où les responsabilités ne sont pas nécessairement claires, parce que dans le domaine de l'environnement, vous savez que c'est une juridiction partagée entre les provinces et le fédéral. Mais dans le cas de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, c'est on ne peut plus clair : cela relève du fédéral et c'est la responsabilité de deux ministères qui sont nommément mentionnés dans la loi. Alors à ce moment-ci, on ne peut pas dire que l'on cherche le responsable de l'application et de la mise en œuvre de la loi : ce sont les ministères de la Santé et de l'Environnement du Canada. Et si quelqu'un doit rendre des comptes, ce sont ces deux ministères exclusivement.

[Traduction]

Le sénateur Spivak : Je ne suis pas aussi renversée que d'autres personnes ici pourraient l'être par l'absence de résultats, parce qu'à mon avis, la LCPE est plus respectée lorsqu'on l'enfreint que lorsqu'on l'observe. Nous examinons actuellement la loi et sa mise en œuvre. Vous ne nous avez pas dit qu'elle renferme des lacunes majeures. Si je vous comprends bien, elle n'est pas appliquée.

Il me semble y avoir un autre éléphant dans le décor, et c'est le secteur privé. Les associations de défense des consommateurs et des fabricants nous ont demandé de retirer le terme « toxique ». Cela serait évidemment terrible parce que la Cour fédérale a déclaré qu'il est essentiel.

On constate souvent que lorsque l'industrie ne pollue pas, elle économise de l'argent, parce qu'elle évite les frais de remise en état. Si la loi ne contient aucun défaut grave, et je suppose que vous ne dites pas qu'il y en a, il me semble que nous sommes témoins que les mesures volontaires l'emportent sur la réglementation. Rien ne fait réfléchir autant que la vue de l'échafaud.

Durant les premières années du gouvernement Mulroney, le poisson était empoisonné à Howe Sound et le gouvernement a eu le courage de dire à l'industrie des pâtes et papiers qu'elle devait changer ses procédés. Ce qu'elle a fait, et ce qui lui a coûté des milliards de dollars, pourtant, elle fait encore des profits.

La société Dupont ne voulait pas respecter le protocole de Montréal, mais lorsqu'elle a été forcée de le faire, elle s'est conformée.

Ne croyez-vous pas que nous pourrions prendre un raccourci? Nous n'allons pas examiner 4 000 substances en six mois. Cependant, tout le monde sait quelles sont les substances les plus toxiques et d'où elles proviennent. Si vous avez le courage et la volonté politique de viser les plus importantes et de mettre votre poing sur la table, le travail sera fait. Je pense que le secteur privé est prêt à le faire si on le force.

Il y a 12 polluants organiques persistants, les POP, je crois, « les douze salopards ». Les pays européens les ont interdits. Êtes-vous en train de dire que huit d'entre eux ont déjà été interdits et ne nécessitent aucune loi? Et les autres?

Mme Gélinas : Je n'ai aucun renseignement concernant les POP en particulier.

L'une des différences entre un sénateur et une commissaire est que vous pouvez dire cela, pas moi. Nous n'avons pas examiné la loi, nous devons donc faire très attention. Nous nous concentrons sur la gestion des toxiques, notre étude va donc au-delà des seuls toxiques assujettis à la LCPE. Les mesures volontaires et réglementaires constituent des outils différents, et c'est une décision stratégique du gouvernement que d'utiliser l'un ou l'autre.

Comme l'a dit M. Reed tout à l'heure, ce n'est pas l'outil qui est important, mais la rigueur avec laquelle il est utilisé. Comme nous le disions, une approche volontaire pourrait être aussi utile qu'une approche réglementaire si elle est mise en œuvre de façon rigoureuse et qu'elle est assortie de nombreuses conditions et d'obligations de produire des rapports. Nous avons constaté de nombreuses situations où des ententes volontaires sont une bonne façon de mener les opérations. Nous ne sommes pas en mesure de dire laquelle est la meilleure.

M. Reed : En ce qui regarde les POP, je crois que « les douze salopards » est un terme qui a été utilisé dans les travaux de la Commission mixte internationale.

Le sénateur Spivak : C'était une entente internationale.

M. Reed : Je suis probablement dépassé, mais je pense que certains pesticides interdits figuraient sur cette liste, mais elle ne comprenait pas tous les polluants organiques persistants. Il existe maintenant une convention de l'ONU sur les polluants organiques persistants. John Buccini, qui a négocié le protocole de la CÉE-ONU, est un grand spécialiste de la question.

En ce qui concerne les mesures volontaires, au moment de la vérification, les substances assujetties à la LCPE étaient déclarées toxiques en vertu de la loi, mais certaines d'entre elles étaient gérées à l'aide de programmes volontaires. Il y avait d'autres substances que l'on disait toxiques, mais qui n'étaient pas déclarées toxiques en vertu de la loi, elles faisaient également l'objet d'une gestion en vertu de programmes volontaires, surtout un programme qui s'appelait ARET, Accélération de la réduction et de l'élimination des toxiques.

Ce qui nous intéresse, ce sont les résultats et les réductions qui se produisent sur le terrain. On blaguait en disant que la grenouille dans l'étang, qui respire et boit ces substances, ne se préoccupe pas de savoir s'il y a réglementation, code de pratiques ou programme de formation ou protocole d'entente; y a-t-il réduction des substances toxiques? C'est la position que nous avons prise.

Le gouvernement fait le choix d'utiliser des instruments différents et il y a de bonnes raisons de choisir des programmes volontaires. Parfois, ces programmes sont beaucoup plus efficaces. On peut compter sur la volonté de l'industrie et obtenir des réductions assez rapidement. Cependant, nous avons adopté comme position que si nous avons l'intention de faire cela pour les substances toxiques, nous devons alors nous assurer que les contrôles fonctionnent et que les procédures sont en place pour qu'il en soit ainsi.

Je pense qu'Environnement Canada a assez bien réagi. Le ministère a réagi à nos recommandations et les a utilisées pour renforcer ses négociations avec le secteur privé.

Le sénateur Spivak : C'est votre position sur les mesures volontaires par rapport aux règlements. Que pensez-vous — peut-être n'y avez-vous pas songé —de la possibilité de supprimer le terme « toxique » de la loi?

Le sénateur Angus : C'est à cause du stigmatisme qui est rattaché à ce terme.

M. Reed : Ce n'est certainement pas une question que nous avons posée et je ne crois pas que nous en ayons jamais parlé. J'appelle un chat un chat. Si ça blesse les gens, le terme « toxique » est probablement un bon terme, parce qu'il exacerbe certaines sensibilités. C'est simplement mon opinion.

Le président : Je sais que vous n'examiniez pas la LCPE comme telle, mais avez-vous rédigé, pour les fins de votre enquête sur les substances toxiques, la plus grande vérification que vous avez faite, une définition du terme « toxique » et l'avez-vous écrite quelque part, ou avez-vous simplement accepté ce qui est généralement compris, le sens courant, à savoir que c'est quelque chose qui cause du tort aux gens?

M. Reed : Non. Honnêtement, il nous a fallu quand même pas mal de temps au gouvernement fédéral pour comprendre le terme « toxique » parce qu'il est utilisé de façons différentes et à des endroits différents. La LCPE contient une définition particulière du terme « toxique ».Je ne crois pas que la Loi sur les produits antiparasitaires, concernant les pesticides, utilise le terme « toxique » de la même façon. Par définition, si un pesticide est autorisé en vertu de la loi, il n'est pas toxique, mais tout le monde sait qu'il y a des effets possibles.

Le président : En fait, son objectif ultime, c'est d'être toxique, pour tuer des choses.

M. Reed : C'est ça, en résumé. Je cherche un passage que nous avions ici dans le rapport. Pour vous répondre rapidement, nous n'avons pas essayé d'en arriver à une seule définition. Nous avons simplement dit que si le gouvernement a qualifié un produit de toxique, soit en vertu de la loi ou dans le cadre d'un programme volontaire, le produit est alors toxique pour les fins de la présente vérification et nous voulons savoir comment le gouvernement évalue et gère la situation.

Le président : Vous avez conclu dans votre rapport de 2002 que le gouvernement ne consacrait pas suffisamment de ressources pour terminer le travail, que ce soit la mesure, le suivi, l'évaluation ou peu importe ce qu'il lui incombait. En êtes-vous arrivés à une conclusion quant à l'ordre de grandeur de cette lacune? Les ministères avaient-ils le quart ou la moitié de l'argent dont ils avaient besoin, ou avez-vous chiffré le travail à faire? Avaient-ils ce qu'il leur fallait? Quand je dis « ce qu'il leur fallait », je veux dire les ressources que vous avez jugées nécessaires.

M. Reed : La réponse rapide est non. Pour être prudents, nous n'avons pas vraiment conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de ressources comme vous venez de le dire. Vous n'allez pas trouver cela dans le chapitre. Du côté de l'évaluation, nous parlions de l'écart croissant entre les ressources disponibles, qui diminuaient à cette époque, comme cela a été bien documenté — certains ministères ayant subi des compressions budgétaires de 10, 20 ou 30 p. 100 — une demande croissante de renseignements et un plus grand nombre de substances à évaluer.

Le président : Mais vous avez bien déterminé qu'il y avait lacune?

M. Reed : Il y avait un écart. Nous n'avons pas du tout tenté de quantifier cet écart de quelque façon que ce soit, en partie parce qu'à la fin de la vérification, nous avons essayé de voir combien d'argent était dépensé pour les toxiques en général. Nous avons fait passablement d'efforts, et pour conclure en bout de ligne que nous ne pouvions le faire avec la moindre certitude. Dans le chapitre, nous notons qu'environ 100 millions de dollars sont dépensés annuellement pour ces activités collectives, mais ce n'est pas un chiffre précis.

Mme Gélinas : C'était en 1999, il y a longtemps.

Le président : Dans le cadre de votre travail, vous tenez compte entre autres de l'efficacité. Avez-vous conclu que 100 millions de dollars n'étaient pas suffisants, mais qu'ils étaient bien dépensés, ou qu'ils n'étaient pas dépensés de façon efficace et en visant le résultat escompté?

Mme Gélinas : Cela ne faisait pas partie de la vérification, c'est une chose à laquelle nous ne nous sommes pas intéressés.

M. Reed : Et ce, parce que nous étions incapables d'obtenir des estimations fiables des ressources exactes utilisées de façon générale ou substance par substance. Nous étions incapables d'établir cette corrélation. Nous avons pu déterminer quelles mesures de réduction des risques avaient été ou n'avaient pas été mises en œuvre, mais nous n'avons pas essayé d'établir un lien avec les ressources accordées.

Le président : Nous nous sommes prononcés à l'occasion, dans des rapports précédents que notre comité a publiés sur des questions touchant l'environnement, que l'un des facteurs habilitants — est-ce que ce serait le bon terme? — pour assurer l'efficacité et obtenir les résultats escomptés serait, dans bien des cas, un simple processus d'internalisation des véritables coûts. Vous avez parlé tout à l'heure, ou peut-être est-ce le sénateur Spivak, du fait qu'il y a des dépenses imprévues qui continuent d'augmenter. Il y a des coûts à assumer pour l'exploitation minière ou le forage ou encore pour produire ces substances, qui sont mis de côté pour considérations futures et sont habituellement assumés par les contribuables. Si ces coûts pouvaient être d'une façon ou d'une autre internalisés, croyez-vous que cela assurerait l'efficacité évoquée par le sénateur Spivak, et les profits, dont certaines entreprises se trouvent maintenant à bénéficier, plus évidents et plus immédiats, plutôt que de laisser quelqu'un d'autre régler le problème plus tard?

M. Reed : C'est là une question intéressante que vous souhaiterez peut-être examiner. Au moment de la vérification — permettez-moi de chercher rapidement un graphique ici — nous avons fait une comparaison, une comparaison internationale avec six pays pour voir dans quelle mesure ils utilisaient différents types d'interventions.

En Europe en particulier, à l'époque, et même encore plus aujourd'hui, il y avait plusieurs programmes réglementés connus sous différents noms, mais qui essentiellement imposaient au secteur privé l'obligation de concevoir des produits plus sûrs et de ramener ces produits à la fin de leur vie utile. L'expression « Conçu pour protéger l'environnement » est l'une des expressions utilisées.

Vous avez raison. Dans toute l'Europe, en un sens, ces programmes ont forcé l'industrie à repenser la façon de fabriquer ces produits, mais ce faisant, elle a réalisé beaucoup d'avantages économiques, des nouveaux produits et ainsi de suite. On dit souvent que la raison pour laquelle ces programmes ne sont pas mis en place en Amérique du Nord, c'est que nous n'avons pas d'éthique de consommation écologique. En Europe, on croit que les gens sont disposés à payer plus cher pour avoir un produit écologique. Beaucoup de sondages indiquent que ce n'est pas le cas au Canada. Je suis désolé, je n'ai pas trouvé la référence, mais je crois que ces programmes dans d'autres régions du monde seraient une bonne question que vous pourriez examiner.

Nous pouvons vous mettre en contact avec les spécialistes qui en connaissent beaucoup plus sur la question que moi, si vous vouliez examiner la possibilité que la LCPE englobe certains de ces concepts.

Le sénateur Spivak : Je tiens à souligner que la société Kodak a changé la façon dont elle développe les photos. Elle utilise un procédé non toxique qui lui a permis d'économiser beaucoup d'argent.

Il me semble qu'il faut alors renverser le fardeau de la preuve. Il faut indiquer aux entreprises, et je ne suis pas certaine du libellé dans la loi, ce que l'on attend d'elles. Sinon, elles doivent payer pour la pollution et assumer les coûts d'assainissement. La plupart du temps, les gens finissent par payer. Ce serait une bonne façon de régler la question.

Mme Gélinas : Si vous me permettez simplement de répéter, tout ça concerne la prévention de la pollution. C'est l'un des principes directeurs de la LCPE. Il est déjà là.

Il n'a pas la fonction de réagir après le coup, mais de nous assurer d'examiner tous les processus, avant que ces substances toxiques ne soient répandues dans l'environnement. C'est ça l'essence même de la LCPE.

Le sénateur Spivak : Là encore, cette disposition doit être appliquée. Quelqu'un doit avoir le courage et la compétence de le faire.

Je crois que le secteur privé respecterait les règles si elles étaient édictées. Je ne pense pas que cela puisse être volontaire. Je ne suis pas d'accord avec vous. Je crois qu'il faut appliquer rigoureusement la loi. C'est l'intérêt du public qui l'exige.

Mme Gélinas : Si vous me permettez de revenir à l'un des commentaires du sénateur Angus, nous avons tous les bons outils au Canada de même que les connaissances et l'expertise. Le problème, c'est l'application des dispositions.

Sénateur Spivak, lorsque nous parlons de prévention de la pollution et de la façon dont les toxiques sont rejetés dans l'environnement, le principe du pollueur-payeur entre en jeu. Nous avons tous les bons outils. Il s'agit simplement de coordonner les choses, de mettre en œuvre, de mesurer et de produire des rapports pour savoir où on s'en va.

Le président : En ce qui concerne l'échéancier dont on a souvent parlé, le temps que cela prend pour faire tout le processus, avez-vous exprimé une opinion lorsque vous faisiez l'un ou l'autre de vos examens? Avez-vous cherché à savoir dans quelle mesure le Canada pourrait dédoubler le travail qui a été fait ailleurs, en supposant, pour les fins de ma question, que le travail effectué dans d'autres pays était fait de façon aussi rigoureuse? Il me semble que nous examinons parfois ces questions deux fois. Est-ce que vous avez abordé cette question?

M. Reed : Non, nous ne l'avons pas fait. Je sais d'où votre question provient, particulièrement lorsque vous parlez d'établissement des catégories et de la sélection des 23 000 substances. On est en train de les étudier au niveau international. Nous n'avons pas examiné ce point-là, car il me semble que nous ne devrions pas réinventer la roue mais utiliser les données à l'endroit où on peut les trouver.

L'évaluation et la gestion des substances d'intérêt prioritaire devaient en grande partie être adaptées à la situation canadienne. Pour que les substances soient déclarées toxiques en vertu de la loi, les gens doivent y être exposés. Il faut savoir si c'est le cas des Canadiens. Peu importe si les Scandinaves le sont. Il faut que ça se produise au Canada.

Quant à l'examen de la gestion des risques, il faut traiter avec les entreprises canadiennes, les municipalités et autres. Non, nous n'avons pas examiné ce point.

Le président : Monsieur Reed, je vais demander à M. Beauregard de communiquer directement avec vous pour que vous nous mettiez en contact avec les personnes qui pourraient nous aider dans cette situation.

Un simple rappel, je vous ai demandé si vous pouviez nous fournir les 44 éléments de la liste 1 et les 21 de la liste 2. Je sais que nous les avons quelque part, mais nous gagnerions du temps si vous pouviez nous les fournir. Ça nous donnerait un bon point de départ.

Y a-t-il d'autres questions de la part des sénateurs?

Merci beaucoup, madame Gélinas et monsieur Reed, d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Je vous rappelle que notre audience est une audience préliminaire. Vous nous aidez à faire nos classes. Je pense que nous voudrons vous demander de revenir et de nous parler à nouveau, lorsque nous poursuivrons notre étude, une fois que nous déciderons quelle forme elle prendra, lorsque nous déciderons si nous examinerons certains aspects de la question qui s'appliquent à tous les secteurs, ou si nous adopterons une perspective plus étroite et examinerons une question particulière plus en détail.

Mme Gélinas : Merci beaucoup. Comme vous le savez, nous sommes toujours là pour vous aider. Je profite de l'occasion pour vous souhaiter un bon été. Nous allons fort probablement nous revoir à nouveau en septembre, et je vais déposer mon rapport sur les changements climatiques.

Le président : Je crois que nous vous avons déjà invitée à nous parler à cette occasion.

Mme Gélinas : C'est vrai.

Le président : Nous avons bien hâte de vous entendre.

La séance est levée.


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