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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 8 - Témoignages du 29 avril 2008


OTTAWA, le mardi 29 avril 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-206, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (eau potable saine), se réunit aujourd'hui à 17 h 36 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je suis heureux de vous accueillir ici à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je suis le sénateur Banks, de l'Alberta, et je suis le président du comité. J'aimerais vous présenter brièvement les membres du comité. Il s'agit du sénateur Bert Brown, de l'Alberta, du sénateur Meighen, de l'Ontario, du sénateur Adams, du Nunavut, du sénateur Trenholme Counsell, du Nouveau-Brunswick, du sénateur Cochrane, de Terre-Neuve et du Labrador, et du sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-206, visant à modifier la Loi sur les aliments et drogues pour y inclure l'eau en provenance des réseaux de distribution d'eau communautaires, entre autres, en tant qu'aliment devant être réglementé en vertu de la loi.

Le premier témoin à comparaître devant nous aujourd'hui est M. Hrudey, professeur émérite à l'Université de l'Alberta. Il a récemment écrit un article intitulé « Investigative report : 1766 boil-water advisories now in place across Canada », qui a été publié dans le numéro du 7 avril dernier, soit il y a à peine quelques semaines, du Journal de l'Association médicale canadienne, ou JAMC.

Merci de votre présence et d'avoir fait ce déplacement tout spécialement pour venir nous rencontrer ici. Nous vous sommes reconnaissants de votre comparution devant nous ce soir. Nous l'apprécierions si vous pouviez nous faire quelques remarques liminaires, dans le contexte de votre interprétation de ce que nous cherchons à cerner, et osons espérer que vous accepterez que nous vous posions des questions une fois que vous aurez terminé.

Steve Hrudey, professeur émérite, Université de l'Alberta, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis très heureux de l'occasion qui m'est ici donnée de vous livrer mes vues sur la salubrité de l'eau potable. Je ne pourrai évidemment pas, faute de temps, approfondir comme il se doit la gamme complexe des sujets qui touchent la garantie de la salubrité de l'eau potable. Je voudrais, en conséquence, me concentrer sur ce que je considère comme l'aspect le plus important pour assurer uniformément la salubrité de l'eau potable à la population canadienne, c'est-à-dire l'exploitation compétente, générale et systémique.

Les Canadiens sont étonnamment bien pourvus en matière d'eau potable. Bien que nous ayons vécu l'horrible tragédie de Walkerton en mai 2000 et failli causer d'autres décès 11 mois plus tard à North Battleford, le fait est que les épidémies liées à l'eau contaminée sont rares au Canada. La grande majorité des Canadiens, qui vivent principalement dans les grands centres urbains, n'ont qu'à ouvrir le robinet pour avoir chez eux de l'eau traitée assez bien pour ne pas causer de maladie. Bien que la qualité esthétique de l'eau du robinet soit aussi assez bonne, de plus en plus de Canadiens achètent de l'eau embouteillée qui coûte au moins 1 000 fois plus cher le litre que l'eau des aqueducs municipaux, parce qu'ils n'aiment pas le goût de celle-ci ou n'ont pas confiance en sa salubrité.

Cependant, malgré les excellentes recommandations faites par le juge O'Connor après la tragédie de Walkerton et les investissements considérables pour mettre celles-ci en pratique en Ontario, le récent rapport paru dans le Journal de l'Association médicale canadienne et qui vient d'être évoqué citait 679 avis de faire bouillir l'eau présentement en vigueur en Ontario parmi au moins 1 766 avis de ce type à l'échelle pancanadienne.

Sauf le respect que je lui dois, j'exprime mon désaccord avec l'honorable sénateur Cochrane qui, dans un récent discours au Sénat, a comparé les avis de faire bouillir l'eau à la vaccination, comme une « mesure préventive proactive, qui est prise pour protéger un segment vulnérable de la population contre des maladies possibles ». Les avis de faire bouillir l'eau sont reconnus comme inefficaces avec un taux de conformité malheureusement bas, à moins que la peur ne s'empare des individus qui voient leurs voisins tomber malades dans un endroit donné, comme cela est arrivé à Walkerton. Si certains doivent devenir malades pour que les autres appliquent efficacement la mesure, celle-ci n'est pas préventive.

En réalité, les avis de faire bouillir l'eau sont pratiquement le dernier recours dans un maigre éventail de ressources en santé publique en cas de contamination de l'eau potable. Ces avis ne sont pas une mesure de rechange appropriée pour régler les problèmes de sécurité qui les ont rendus nécessaires. Étant donné que maints avis de faire bouillir l'eau sont en vigueur depuis plusieurs mois, voire des années dans certains cas, leur utilisation répandue est plus une indication de vulnérabilité chronique que de gestion efficace de la salubrité de l'eau potable.

Que devraient penser les Canadiens de ce nombre élevé d'avis de faire bouillir l'eau en vigueur au pays? Le point de vue optimiste est que, depuis la tragédie de Walkerton, nos administrateurs d'eau potable sont plus vigilants. Cette explication est valable jusqu'à un certain point, mais les questions sous-jacentes devraient être : Pourquoi autant d'avis de faire bouillir l'eau sont-ils nécessaires? Quelles mesures sont prises pour régler les problèmes de salubrité de l'eau?

Le sénateur Cochrane a comparé avec raison le Canada et l'Australie. En effet, ce sont deux des grandes fédérations ayant une population clairsemée, qui n'ont pas de législation nationale sur l'eau potable, la compétence pour celle-ci relevant principalement des provinces ou des états. Le sénateur Cochrane a aussi décrit correctement la politique de gestion de l'eau potable de l'Australie (Australian Drinking Water Guidelines) comme « réussie et internationalement reconnue ». Je dois aussi exprimer mon désaccord avec la description que fait l'honorable sénateur de l'approche utilisée en Australie et dont elle dit qu'elle est « semblable à ce qui se fait actuellement au Canada ». Mon expérience personnelle depuis 1999 dans l'élaboration des lignes directrices australiennes me permet de m'objecter. Je porte en guise de preuve ma cravate de l'Australian Water Association.

La principale lacune qu'il fallait corriger en restructurant les Australian Drinking Water Guidelines est que celles-ci permettaient, encourageaient même, la notion répandue voulant que la gestion de l'eau potable était d'abord et avant tout un tableau des limites de la salubrité de l'eau. La conception erronée que des limites strictes sur la salubrité de l'eau assurent la sécurité de l'eau potable a été tragiquement mise au jour à Walkerton, où même les piètres exigences réglementaires en place auraient pu prévenir le désastre si le personnel avait été formé à comprendre l'utilité de ces exigences et avait fait le nécessaire lorsqu'il y a eu contamination. En Australie, nous avons mis au point une structure de gestion de la salubrité de l'eau potable qui comprend les directives requises pour la gestion et l'exploitation compétentes des systèmes d'aqueduc, du PDG jusqu'à l'usine de traitement. Les lignes directrices pour la qualité de l'eau potable au Canada, quant à elles, ne donnent, comme leur nom l'indique clairement, que des limites de qualité de l'eau.

Comment l'Australie en est-elle arrivée à produire des directives supérieures? Un avantage considérable détenu par plusieurs compétences australiennes est le niveau de consolidation qu'elles ont pour leurs systèmes d'aqueducs. L'Australie de l'Ouest, l'Australie du Sud et le Territoire du Nord ont des sociétés d'État responsables de l'eau potable qui distribuent ou supervisent l'approvisionnement en eau de presque toutes les localités, des grands centres urbains aux régions éloignées. L'État de Victoria a regroupé environ 120 petites organisations, principalement municipales, en 15 entreprises viables de gestion de l'eau. L'existence de plusieurs grandes entreprises de gestion de l'eau compétentes s'est avérée essentielle au développement et à la mise en œuvre continue des Australian Drinking Water Guidelines, l'accent étant mis sur la gestion de la qualité de l'exploitation.

L'expérience australienne reflète-t-elle des différences dans la fréquence des avis de faire bouillir l'eau. En se basant sur une enquête faite par courriel auprès de personnes-ressources clés dans les services de réglementation au cours des deux dernières semaines, la fréquence actuelle des avis de faire bouillir l'eau pour les États d'Australie concernés, comptant une population avoisinant la moitié de celle du Canada, est d'environ 50 dans les collectivités non aborigènes, c'est-à-dire bien moins que la moitié des plus de 1 700 avis de bouillir l'eau qui sont en place au Canada si l'on exclut les collectivités des Premières nations. J'ai fourni au greffier du comité un tableau récapitulatif plus détaillé de la prévalence des avis de bouillir l'eau par tête d'habitant.

Je soutiens que l'essentiel pour assurer la salubrité de l'eau potable est la compétence — la formation, la connaissance, la sensibilisation à la santé publique et les capacités de fonctionnement — du service de distribution de l'eau. Plus l'instance chargée de fournir de l'eau potable est petite, plus il est difficile d'assurer la compétence.

En terminant, je vais vous illustrer mon propos. Aucun d'entre nous ne serait à l'aise de voyager dans un avion conduit par un pilote payé au salaire minimum, très peu formé et n'ayant pas accès à une bonne assistance technique. Cependant, selon notre modèle actuel de gestion de l'eau potable, dans beaucoup de petites communautés, nous confions la responsabilité de la distribution de l'eau potable dans les foyers à un personnel qui souvent manque de formation et qui est surtout sous-payé pour l'immense responsabilité de santé publique dont il a la charge.

Est-il donc si difficile de reconnaître où se trouvent les vrais problèmes? La salubrité de l'eau potable au Canada ne va pas s'améliorer à moins de donner aux consommateurs des moyens efficaces, justes et équitables d'investir dans la garantie d'une eau de grande qualité, fiable et salubre provenant de leurs systèmes d'aqueduc municipaux. La distribution municipale de l'eau est une aubaine au Canada, mais sa sécurité n'est pas uniformément assurée, car nous ne faisons pas les investissements qui s'imposent et négligeons de payer les coûts réels, généralement raisonnables, pour s'assurer d'avoir une eau salubre. Le maintien du statu quo ne fait qu'encourager la consommation grandissante et polluante de l'eau embouteillée par ceux qui en ont les moyens. Nous devons nous concentrer sur les mesures à prendre pour assurer la compétence opérationnelle. Nous sommes capables de faire mieux au Canada.

Le président : Merci, monsieur Hrudey. La première et la plus importante question, bien qu'elle soit hors sujet, est celle de savoir si vous êtes parent de Kelly Hrudey.

M. Hrudey : Oui. Je suis cousin au deuxième ou troisième degré du père de Kelly. Mes enfants sont les cousins au troisième ou quatrième degré de Kelly.

Le président : Je présume qu'ils jouent au hockey.

M. Hrudey : Les miens n'y jouent pas, mais vous avez raison, Kelly Hrudey est célèbre au Canada.

Le président : Tout comme vous, monsieur Hrudey.

Vous avez parlé du fait que l'aspect le plus important est la compétence de ceux et celles qui sont chargés de nous approvisionner en eau potable.

M. Hrudey : La compétence des personnes et des organisations est importante.

Le président : À votre avis, si ce projet de loi devait entrer en vigueur et s'il y avait dans le Code criminel des pénalités pour non-respect d'une norme imposée, cela corrigerait-il le problème?

M. Hrudey : Je vais quelque peu contourner votre question, mais tenter néanmoins une réponse. Je suis partisan de leadership, et un leadership national en matière d'eau potable fait défaut au Canada. Comme je l'ai souligné, nous avons, en matière de limites pour ce qui est de la qualité de l'eau, des lignes directrices qui ne traitent pas de l'aspect compétence, et cela est le reflet du partage juridictionnel des responsabilités que nous avons au Canada. Nous manquons de leadership sur le plan de la compétence dans l'exploitation.

Suis-je d'avis que l'habilitation d'inspecteurs fédéraux réglerait le problème eu égard à la compétence? Je ne peux pas être optimiste en la matière. L'on ne pourrait jamais avoir suffisamment d'inspecteurs pour assurer la couverture nécessaire. La Colombie-Britannique compte 3 500 fournisseurs d'eau potable pour une population de moins de cinq millions d'âmes. Combien d'inspecteurs vous faudrait-il pour veiller à la compétence d'un aussi grand nombre de fournisseurs d'eau?

Le président : Un argument est que vous n'auriez pas besoin de 3 500 inspecteurs s'il y avait en place une pénalité, comme il y en a si des personnes tombent malades du fait qu'on leur ait vendu de la gomme à claquer et qu'on n'ait pas inspecté chaque bâtonnet de gomme. Une telle pénalité, à la manière d'une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des entreprises et des personnes qui nous approvisionnent en eau, comme celle qui est suspendue au-dessus de la tête des personnes qui nous fournissent le bœuf, les légumes et autres produits que nous ingérons, améliorerait la compétence du fait de la menace de poursuites en cas de non-respect des normes établies.

M. Hrudey : Ma crainte est que des pénalités ne suffisent pas à elles seules. Je regarde ce qui s'est passé en Ontario depuis Walkerton. La commission d'enquête du juge O'Connor, à laquelle j'ai eu le plaisir de siéger, a duré deux ans et coûté 9 millions de dollars. Le juge O'Connor a produit un excellent plan directeur pour ce que ce devrait faire l'Ontario. L'Ontario a coché toutes les recommandations et nous avons en place en Ontario plus de 600 avis de faire bouillir l'eau.

Nous avons tenu un atelier à Walkerton en mai 2005 pour les étudiants inscrits au Réseau canadien de l'eau. Il s'agissait pour eux d'avoir des interactions directes avec les habitants de Walkerton pour voir ce qui s'y passait. L'un des exercices qu'on leur avait confiés était de se rendre dans des collectivités voisines et d'y examiner les systèmes d'approvisionnement en eau en vue de préparer une évaluation de risque. Les étudiants devaient ensuite faire un exposé, et l'un des groupes a présenté des photos prises en mai 2005 — cinq années après Walkerton — et montrant une station de traitement d'eau située à une demi-heure de Walkerton avec une toilette au beau milieu du plancher de l'usine. Il s'agissait des installations sanitaires de la station de purification de l'eau, et celle-ci était toujours autorisée et en exploitation cinq années après Walkerton. Elle a été fermée en 2006, alors le système de réglementation a fini par la rattraper.

Un système de réglementation axé sur l'imposition de pénalités demeure réactif et ne rattrape les problèmes qu'après coup. Il nous faut nous concentrer sur la mise en place de mesures nous permettant de faire de la prévention.

Le sénateur Sibbeston : Vous avez participé à l'élaboration des lignes directrices australiennes. Si vous étiez chargé d'améliorer la qualité de l'eau au Canada, que feriez-vous? Que faudrait-il faire pour réduire le nombre d'avis de faire bouillir l'eau?

M. Hrudey : Il nous faut du leadership. Nous devons au projet de loi le fait qu'il ait favorisé une discussion au niveau national. Cela est très important. Les éléments qui sont en place en Australie et qui ne le sont pas au Canada suscitent davantage de difficultés. L'Australie est un continent sec. Les gens en Australie savent que l'eau limitera leur avenir, comme c'est déjà le cas dans certaines régions. L'eau est tout à fait en haut du programme politique en Australie, et le pays est donc prêt à s'attaquer aux problèmes liés à l'eau.

Nombre de Canadiens continuent de penser que l'eau devrait être gratuite. Les Canadiens sont nombreux à payer moins de 25 $ par mois pour leur eau potable, et si vous leur demandiez de verser 5 $ de plus par mois, ils se rebifferaient. Nous nous berçons d'un bonheur illusoire en ce qui concerne l'eau potable, et cette attitude doit changer.

Dans mon exposé, j'ai indiqué que l'industrie de l'eau en Australie compte plusieurs grosses organisations. Nous n'aurions jamais pu lancer la restructuration des Australian Drinking Water Guidelines sans l'aide de toutes ces grosses organisations qui avaient adhéré à l'idée qu'il nous fallait faire mieux. Elles y travaillent toujours. Les choses ne sont pas parfaites en Australie. Il y existe de nombreux problèmes, mais on y travaille et l'engagement est là. Malheureusement, le problème le plus difficile pour le Canada est la nécessité de changer l'attitude des gens à l'égard de l'eau, et je ne sais pas comment faire pour y parvenir.

Le sénateur Sibbeston : Le Canada est un pays froid et l'eau est donc plus froide aussi, et j'imagine qu'au cœur de l'hiver il se trouve dans l'eau moins d'organismes et de bactéries sources de problèmes. En tout cas, dans le Nord du Canada, d'où je viens, l'eau est généralement très froide. Croyez-le ou non, l'un des plus gros problèmes dans le Nord, c'est l'approvisionnement en eau potable. Nous avons beaucoup de glace, de neige et d'eau, mais il faut la distribuer. C'est toute une entreprise que d'avoir de l'eau dans le bois ou de la glace dans la cuisine.

M. Hrudey : Malheureusement, tout ce que fait le froid c'est préserver les microorganismes. Le froid ne les tue pas forcément. Ce n'est pas vraiment une protection. La source première de contamination de l'eau potable ce sont les gens eux-mêmes, ou leurs animaux, leur bétail et, dans une certaine mesure, les animaux sauvages. Voilà pourquoi c'est un problème aussi généralisé. Où que se trouvent des humains, des animaux domestiques ou du bétail, vous avez une source d'agents pathogènes pouvant nous rendre malades.

Le sénateur Brown : Monsieur Hrudey, j'aimerais vous poser des questions relatives aux grosses pluies. Il me semble que les deux seuls avis de faire bouillir l'eau dont j'aie jamais entendu parler en Alberta étaient tous les deux le fait de pluies très abondantes. L'un est survenu près de Banff, dans le courant de l'été, le matériel de filtrage ayant été débordé. À Calgary, il n'a pas véritablement été émis d'avis de faire bouillir l'eau, mais on n'en était pas loin. Les autorités ont dû demander aux gens de consommer moins d'eau, les stations de filtrage ayant tout simplement du mal à suivre du fait des sédiments dans l'eau. J'ai également entendu parler d'un autre pipeline pour lequel le faible débit, ajouté aux fortes pluies, avait amené la même situation.

Il existe de nombreux services ou fournisseurs d'eau dans les différentes provinces. Votre argument est que nous devrions leur apprendre comment mieux distribuer l'eau et respecter en permanence des normes plus élevées, et qu'il leur faudrait être en mesure de réagir immédiatement en cas de problème. Je n'arrive pas à m'imaginer combien d'inspecteurs fédéraux il nous faudrait pour surveiller les systèmes afin de veiller à ce que chaque collectivité au Canada ait de l'eau salubre 365 jours par an, 24 heures par jour et sept jours par semaine.

Œuvrons-nous au volet réglementation? Est-ce là la voie à suivre? La formation est-elle la meilleure solution pour nous?

M. Hrudey : La formation est un élément essentiel, et la nature structurelle de l'industrie de l'approvisionnement en eau est critique. Comme vous l'avez souligné, il importe de savoir qu'à Walkerton, le système défectueux était en place depuis 22 ans lorsqu'est survenue la catastrophe. Les inspecteurs s'étaient rendus dans la station. Il ne suffit qu'il y ait des inspecteurs. Ce qui faisait défaut était une exploitation compétente, et une exploitation compétente aurait anticipé les problèmes. Il y avait eu à Walkerton de fortes pluies, de très grosses tempêtes de pluie, pendant une semaine avant que les gens ne tombent malade. De manière générale, un exploitant compétent aurait été sur ses gardes du fait des fortes pluies. Il s'agit là d'un élément de cette argumentation que je fais en faveur d'une meilleure compétence au niveau de la gestion. S'il me fallait choisir entre avoir un exploitant hautement compétent et des installations de qualité médiocre et avoir la Cadillac des stations mais un mauvais exploitant, je choisirais à chaque fois le premier scénario, car l'exploitant compétent sait ce que son système peut et ne peut pas faire, et si les choses venaient à commencer à lui échapper, alors il appellerait au secours. Dans l'autre scénario, les gens sont tout simplement inconscients et le désastre peut frapper.

Le sénateur Cochrane : Merci beaucoup d'être venu. En ce qui concerne la question de la formation des exploitants des services d'approvisionnement en eau, vous avez par le passé déclaré que « la meilleure protection contre le fait de se retrouver avec un personnel incompétent est de former les exploitants afin qu'ils sachent reconnaître quand ils sont dépassés, quand ils doivent faire appel à de l'aide et quoi faire pour être certain que cette aide sera disponible s'ils en ont besoin ». À votre connaissance, cette approche à l'égard de la formation est-elle en pratique quelque part au Canada?

M. Hrudey : Très rarement, malheureusement. Nous avons récemment fait une étude pour l'organe fédéral responsable de la formation relativement à la qualité de l'eau, regroupant les agences responsables de l'eau potable dans leurs secteurs, en vue de trouver du matériel didactique pouvant être utilisé dans les stations de la GRC, dans les parcs nationaux, et ainsi de suite. Malheureusement, comme l'a souligné le juge O'Connor dans le cadre de l'enquête sur Walkerton, le gros de la formation est axée sur l'aspect technique — comment faire fonctionner la tuyauterie et les pompes. Il y a eu une certaine amélioration quant à la sensibilisation des gens aux menaces qui existent, mais je ne pense pas que nous fassions un travail satisfaisant pour ce qui est de faire comprendre aux exploitants l'énorme responsabilité qu'ils endossent. S'ils se trompent, comme cela a été le cas des exploitants à Walkerton, ils peuvent tuer des gens. Il s'agit là d'une énorme responsabilité à porter. Ils doivent savoir comment y faire face, et lorsqu'ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas y faire face comme il se doit, il doit y avoir un service auquel ils puissent s'adresser pour obtenir de l'aide. Or, cela n'existe pas dans la plupart des localités au pays.

Le sénateur Cochrane : Est-ce ainsi que les choses fonctionnent en Australie?

M. Hrudey : Tout n'est pas parfait en Australie. Il y existe beaucoup de problèmes. Cependant, les Australiens ont opté pour ces plus grosses organisations responsables de l'eau. Par exemple, la Water Corporation of Western Australia est responsable de l'eau dans toutes les collectivités de l'État, sauf trois, et cela représente le tiers du continent. Cette organisation compte tout un noyau d'experts de telle sorte que s'il s'agit d'un approvisionnement situé à 1 000 milles de Perth, les gens peuvent être disponibles au téléphone, sur Internet ou encore se rendre directement sur place en avion pour offrir de l'aide. Les gens disposent de ce réseau d'appui que vous avez évoqué dans votre question. Dans l'ensemble, nous ne disposons pas de quelque chose de semblable pour nos collectivités isolées au Canada.

Le sénateur Meighen : Décrivant la situation qui existe en Australie, vous parlez d'organisations. S'agit-il d'organisations publiques, privées ou privées-publiques?

M. Hrudey : Elles sont toutes publiques, en ce sens qu'elles ont été créées par les pouvoirs publics. En Australie, on dit qu'elles ont été « corporatisées ». Elles sont sans doute l'équivalent de nos sociétés d'État, mais ce n'est pas exactement la même chose. Dans certains cas, elles se sont jointes à des sociétés privées d'adduction d'eau ou à certaines des sociétés internationales pour y exploiter des installations, mais la structure de surveillance dont j'ai fait état dans tous ces cas est une société publique.

Le sénateur Meighen : Vous avez parlé de grosses organisations internationales. N'existe-t-il pas une énorme société française?

M. Hrudey : Oui, il y en a plusieurs.

Le sénateur Meighen : Cette société ne fournit-elle que les exploitants des installations? J'essaie de cerner l'aspect responsabilité. Il me semble que si une entité privée du genre n'assurait pas une bonne qualité, vous pourriez engager une action en justice, ce qui l'amènerait peut-être à rester vigilante.

M. Hrudey : Je n'ai pas eu le temps dans ma déclaration d'expliquer que ce qui a en partie lancé les choses en Australie a été la crise en matière d'approvisionnement en eau survenue à Sydney en 1998, deux années avant d'y accueillir les Jeux olympiques d'été, crise au cours de laquelle des avis de faire bouillir l'eau se faisaient régulièrement imposer à quatre millions de personnes pour des périodes pouvant aller jusqu'à trois mois. Un contrat d'exploitation de la station de traitement avait été passé avec une société internationale. La Sydney Water Corporation, la société d'État, était chargée de l'encadrement. Il n'y avait pas en place une bonne relation fonctionnelle avec le ministère de la Santé, et cela a été la catastrophe. En bout de ligne, tout avait été le fait d'une erreur au niveau de la surveillance. Quatre millions de personnes avaient été assujetties à des avis de faire bouillir l'eau sans raison. Le président de la société a été renvoyé. La Sydney Water Corporation a été dissoute. Il s'est passé beaucoup de choses. Fort heureusement, personne n'est tombé malade.

Le sénateur Cochrane : Comment verriez-vous régler la question de la compétence ici dans notre pays?

M. Hrudey : Ce n'est pas comme s'il nous fallait commencer à partir de zéro. Il a été fait énormément de bon travail dans le monde. Il y a tout un mouvement international. Nombre des initiatives australiennes ont été reprises dans les lignes directrices en matière d'eau potable de l'Organisation mondiale de la santé, dans certains cas reproduisant même jusqu'au libellé. On appelle cela une approche axée sur un plan de salubrité de l'eau. La plupart des pays riches du monde, comme le Canada, mais ce n'est pas le cas des États-Unis, ont repris ce modèle et se concentrent sur la compétence. Le Canada pourra bénéficier de ce travail. Nous n'avons donc pas à commencer à partir de rien, mais il nous faut adhérer à l'idée qu'il est important d'envisager une restructuration.

Le Rapport du groupe d'experts — stratégie hydraulique, intitulé À toute épreuve : L'importance d'améliorer le secteur ontarien de l'eau, publié en 2005, recommandait la consolidation. Le rapport a été ignoré. Rien n'a été fait. D'après ce que je comprends, il y a eu une réaction défavorable à l'idée de quelque consolidation que ce soit.

Le sénateur Cochrane : Avez-vous constaté la moindre amélioration depuis Walkerton?

M. Hrudey : Oui. Il est clair que le désastre à Walkerton a amené les gens à tous les niveaux du secteur de l'eau à réaliser l'importance de la salubrité de l'eau. Bien que des millions de personnes meurent chaque année dans le monde du fait d'avoir consommé de l'eau non salubre, je pense qu'au Canada nous avons perdu de vue l'idée que l'on puisse mourir du fait d'avoir bu de l'eau contaminée.

Avons-nous fait assez? Je crains que non. Il me faut vous dire que ce que nous avons écrit et dit au sujet de Walkerton en Australie a eu plus de retentissement là-bas qu'ici au Canada. En d'autres termes, les Australiens ont pris en charge le message de Walkerton. Dans l'Ouest de l'Australie, certains exploitants ont pris sur eux de réécrire Walkerton à l'australienne, en tant qu'étude de cas, en employant la terminologie locale, des noms de collectivités australiennes et ainsi de suite, en vue de former les exploitants quant à ce qui pourrait se produire chez eux.

Je n'ai rien vu de tel ici. Je crains que la couverture médiatique qui a été faite de l'incident survenu à Walkerton ait permis à un trop grand nombre de personnes de n'y voir que les méfaits de deux personnes, les exploitants. Ce n'est pas ce qu'a rapporté le juge O'Connor. Il a souligné que le problème était beaucoup plus répandu et ne se limitait pas aux deux seuls exploitants. Malheureusement, je pense que la plupart des Canadiens n'y ont vu que le problème d'une poignée de gens qui se sont fort mal débrouillés.

Le sénateur Cochrane : Nous avons entendu plusieurs scientifiques nous dire que l'eau du robinet est tout aussi bonne que l'eau embouteillée. Auriez-vous quelque commentaire à faire là-dessus?

M. Hrudey : Tout dépend de l'origine de l'eau. Je regrette de ne pas pouvoir vous répondre autrement, mais cela est vrai pour ce qui est de la plupart des endroits au Canada. Il y a plusieurs coins du pays où sont en place des avis de faire bouillir l'eau et où j'hésiterais à boire l'eau du robinet.

À Toronto, Ottawa, Edmonton, Calgary — les très gros centres urbains —, il est tout à fait vrai que les gens qui achètent de l'eau en bouteille dépensent mille fois plus pour cette eau et n'obtiennent en retour aucun bienfait supplémentaire sur le plan de la santé. Ils en préfèrent très nettement le goût.

Le président : Le sénateur Meighen a dit que s'il y avait consolidation et que survenait un problème et que l'eau du robinet rendait des gens malades ou, Dieu nous en garde, les tuait, il serait facile d'en attribuer la responsabilité, et je pense que vous avez évoqué la possibilité de poursuites d'un genre ou d'un autre.

Le sénateur Meighen : Ce serait plus simple.

Le président : Je vais poser à nouveau ma première question. Ne pensez-vous pas que, si vous étiez le maire d'une ville exploitant un système d'adduction d'eau ou le commissaire responsable de l'eau dans une grosse ville exploitant un système d'approvisionnement en eau, le risque de poursuites au pénal, si vous-même et vos employés ne faisiez pas votre travail, vous amènerait à vous appliquer et à veiller à ce que la formation dont vous avez dit qu'elle est nécessaire soit offerte sur-le-champ?

M. Hrudey : Oui, peut-être si ces personnes comprennent ce qui doit être fait. Cependant, la loi ontarienne établit déjà ce genre de responsabilité.

Le président : Quelles sont les conséquences du fait de ne pas respecter la norme en Ontario?

M. Hrudey : Je ne connais pas le détail des pénalités, mais elles ont suffi pour attirer l'attention des gens, dans la mesure où plusieurs personnes ne veulent pas briguer les suffrages au niveau municipal en Ontario parce qu'elles ne veulent pas assumer une telle responsabilité.

Je ne suis pas non plus convaincu que cela règle le problème. Il y a toujours en place en Ontario un nombre élevé d'avis de faire bouillir l'eau. Peut-être que c'est une question de transition. Peut-être que dans cinq ans nous reviendrons sur tout cela et constaterons que le problème a fini par être réglé, mais il semble que cela soit en train de demander énormément de temps.

Dans la Deuxième partie du Rapport de la Commission d'enquête sur Walkerton : Stratégie pour la salubrité de l'eau potable, le juge O'Connor déclare ceci :

Les recommandations les plus importantes du présent rapport portent sans doute sur la nécessité d'une gestion de la qualité grâce à une accréditation obligatoire et à une planification opérationnelle. Une saine gestion et des systèmes d'exploitation aideront à prévenir la contamination de l'eau potable, et non simplement à réagir en cas de problème. Dans le même ordre d'idées, je recommande d'exiger de tous les organismes exploitant les réseaux qu'ils obtiennent une accréditation en conformité avec la norme de gestion de la qualité — une norme qui sera élaborée par l'industrie et d'autres intervenants compétents dans le domaine mandatés par le ministère de l'Environnement.

Cette recommandation est l'une des dernières à laquelle ait donné suite l'Ontario, et elle n'est toujours pas fonctionnelle. Je ne comprends pas pourquoi il a fallu aussi longtemps pour qu'on s'y penche. Et l'on ignore encore si la chose finira par se concrétiser un jour.

Le juge O'Connor a fait plus de 100 recommandations. C'est tout à fait délibérément qu'il ne les a pas classées en ordre de priorité, mais il a dit que la recommandation la plus importante du rapport — lui, il a compris — est peut-être la compétence.

Le sénateur Trenholme Counsell : Votre exposé a été fort instructif. Ma première question concerne l'origine de tout cela, et je sais bien que là n'est pas le propos du projet de loi, mais je trouve que vous êtes en quelque sorte allé au-delà du sujet du projet de loi et que nous discutons ici de salubrité de l'eau, de qualité et ainsi de suite. J'ai été très alarmée lorsque j'ai lu l'article du Journal de l'Association médicale canadienne où il est question des volumes d'eaux d'égout brutes qui sont déversés dans l'eau dans les grandes villes et grosses collectivités.

Je sais également que dans les petites localités il y a des gens qui font des choses très dangereuses pour la salubrité de l'eau, en ne prenant par exemple pas les précautions requises et en pensant qu'aucun problème sérieux de maladie ne pourrait jamais provenir de l'eau.

La priorité, il me semble, serait de faire quelque chose à l'égard de la véritable contamination de l'eau. Bien sûr, vous aurez toujours besoin de structures gouvernementales pour évaluer l'eau elle-même ainsi que le travail d'assainissement qui est fait. J'aimerais que vous vous prononciez là-dessus.

Je suis également inquiète du fait que l'Ontario ait affiché le nombre le plus élevé d'avis de faire bouillir l'eau en mars de cette année. Vous avez fait état de la situation en Ontario, mais qu'y a-t-il été véritablement été accompli? Je ne suis pas encore certaine d'avoir bien saisi.

Je me rends bien compte que, si l'on s'appuie sur les événements par million d'habitants, l'Ontario ne fait pas trop mauvaise figure. Mais je ne crois pas que nous devrions parler de millions d'habitants, car si une personne tombe malade du fait d'un problème du genre de ceux dont nous discutons, cela est aussi grave que s'il y en a un grand nombre, même si cela ne coûte pas autant au système de soins de santé.

M. Hrudey : Je vais traiter de votre première question, au sujet de la protection d'ensemble de l'eau. Un élément clé de l'approche australienne est l'instauration de barrières multiples. Vous ne comptez pas sur une mesure unique pour protéger la salubrité de l'eau. Vous instaurez toute une série de mesures pour faire le travail. Il existe également au Canada une documentation à l'appui de cette approche, mais celle-ci n'est pas présente dans la même mesure au niveau de l'exploitation.

Un élément clé en la matière, et le juge O'Connor en a fait état dans son rapport, est la protection de l'eau à la source. Dans un premier temps, il s'agit de ne pas polluer l'eau. Dans la mesure où cela est possible, c'est tout à fait censé. Malheureusement, vu le nombre d'habitants que compte cette planète, il n'est pas possible d'assurer comme il se doit la qualité de l'eau potable en provenance de nos rivières en prenant des mesures pour traiter les eaux d'égout. Il y aura toujours là un certain niveau de contamination et il nous faudra toujours traiter notre eau. Cependant, vous avez raison : empêcher au départ la contamination de nos rivières et de nos lacs est un élément important.

Le sénateur Trenholme Counsell : Concernant ce point, est-ce strictement une question de gros sous? Tolère-t-on toujours cela parce que la prévention coûte trop cher? Est-ce la raison pour laquelle nous laissons faire encore cela de nous jours?

M. Hrudey : J'ai lu un rapport hier disant que la Ville de Victoria vient de réaliser qu'il lui en coûtera 1,6 milliard de dollars pour enfin créer une installation de traitement des eaux usées après toutes ces années. Le district d'Oak Bay hurlait que 700 $ par ménage est une somme scandaleuse. Je ne sais pas si vous connaissez le prix de l'immobilier à Oak Bay, mais 700 $ par an pour traiter les eaux usées à Oak Bay ne me paraît pas un montant aberrant. Mais cela a été la réaction. Pour la plupart des autres collectivités absorbant une part du coût, les tarifs étaient bien inférieurs. Tout revient à une question de gros sous pour les consommateurs, qui veulent bien dépenser une fortune pour de l'eau en bouteille, des téléphones cellulaires et l'Internet, mais pas un sou pour améliorer l'eau.

Le président : J'ai promis à M. Hrudey que nous le laisserions partir à 18 h 15 pour attraper son vol, alors nous allons le retenir encore cinq minutes seulement.

M. Hrudey : Si je puis ajouter un mot, l'Ontario a fait beaucoup. J'aurais apprécié un plus gros effort pour que ces excellents fournisseurs d'eau travaillent en équipe et mettent l'accent sur la question de la compétence, au lieu de la démarche légaliste adoptée. Dans la plupart des collectivités, les opérateurs des usines de traitement de l'eau ont tellement peur des poursuites qu'ils ont fait exploser la teneur en chlore, à tel point que plus personne ne veut boire l'eau parce qu'elle a un goût de blanchisseur. Ce n'est pas ce que j'entends par compétence. Il n'est pas nécessaire de faire cela pour rendre l'eau salubre. L'Ontario a fait beaucoup de bonnes choses. Il y a 679 avis de faire bouillir l'eau parce qu'on y fait plus de choses que dans la plupart des autres provinces. Est-ce que les provinces canadiennes qui ont moins d'avis de faire bouillir font un meilleur travail? Probablement pas.

Le sénateur Milne : Monsieur Hrudey, je suis d'accord avec la plus grande partie de ce que vous avez dit. Je suis de l'Ontario et je sais que la démarche suivie par le gouvernement ontarien a coûté aux agriculteurs de la province des millions et des millions de dollars. La source de la pollution à Walkerton était l'eau de ruissellement provenant d'un enclos de ferme, mais cet enclos existait avant que l'on creuse un puits à proximité. C'était carrément de la stupidité. Le problème ne tient pas seulement aux opérateurs mal formés et incompétents, mais aussi à la stupidité générale de ceux qui choisissent les emplacements de ces puits. Tout le monde sait que l'eau s'écoule vers le bas, et le purin aussi. L'agriculture en Ontario devient de plus en plus coûteuse parce que les grosses exploitations doivent se doter d'installations de traitement des eaux usées.

Dans la région où je vis, le champ de foire de Brampton reçoit l'eau de la municipalité. C'est la même eau que je bois à la sortie du robinet à Brampton et la même eau que tout le monde à Mississauga boit à la sortie des robinets. Ils doivent néanmoins tester cette eau municipale chaque semaine, ce qui est un gaspillage de temps et d'argent. Vous voyez ce qui se passe en Ontario, où ils sont allés bien trop loin et punissent les innocents sans, pour autant, rectifier les mauvaises situations. C'est devenu un problème à mes yeux et j'espère que ce projet de loi y remédiera au moins en partie.

Au dernier paragraphe de votre mémoire vous dites : « ... à moins de donner aux consommateurs des moyens efficaces, justes et équitables d'investir dans la garantie d'une eau de grande qualité, fiable et salubre provenant de leurs systèmes d'aqueduc municipaux. La solution passe effectivement par-là. Pensez-vous que ce projet de loi va contraindre les collectivités à faire cela?

M. Hrudey : L'intérêt du projet de loi est qu'il attire l'attention sur le problème et encourage l'action. Le projet de loi à lui seul ne peut créer le mécanisme que je décris.

Le marché nous montre que la consommation d'eau en bouteille croît à un rythme phénoménal. Mon supermarché a tout un rayon d'eau en bouteille.

Le sénateur Milne : C'est ridicule. Une grande partie de cette eau en bouteille sort directement du robinet d'un aqueduc municipal. Elle n'est pas traitée.

M. Hrudey : Les gens acceptent de payer l'eau à un prix énorme lorsqu'elle est en bouteille.

Le sénateur Milne : Ils veulent bien payer lorsqu'elle est dans du plastique.

M. Hrudey : Ils n'ont pas ce mécanisme dans le système communautaire, ce qui montre qu'il manque quelque chose.

Le sénateur Milne : Le bon sens, peut-être?

M. Hrudey : Peut-être. Pour ce qui est de votre commentaire concernant les exploitations agricoles en Ontario, il faut bien savoir que le juge O'Connor a clairement dit dans ses conclusions que l'agriculteur en question, qui était le vétérinaire de la ville, n'était pas responsable de ce qui s'est passé. Il l'a bien fait ressortir.

Le sénateur Milne : Précisément.

M. Hrudey : Cependant, il existe de nombreux problèmes de protection des sources d'eau attribuables aux insuffisances de la gestion des effluents agricoles en Ontario, tout comme ailleurs au Canada. Il a fortement recommandé des améliorations dans ce domaine. Laisser le bétail entrer dans les cours d'eau et faire ce que font les vaches n'est pas une bonne gestion des déjections.

Le sénateur Milne : Pas plus que de construire l'étable au-dessus du cours d'eau. Je ne sais pas comment combattre une telle stupidité fondamentale. Je deviens très découragée lorsque je regarde vos statistiques; elles sont effrayantes. J'espère que l'on pourra remédier aux décisions stupides prises dans le passé par les ingénieurs municipaux. C'est ce qu'il faut rectifier en premier.

Le sénateur McCoy : Je suis désolée que vous deviez partir si vite, car je trouve que vous apportez un souffle d'air frais dans ce domaine. Merci d'être aussi diplomate au sujet du projet de loi S-206.

Je voudrais rappeler que l'Alberta est en pointe grâce à un homme qui vient du sud frappé par la sécheresse, M. Lorne Taylor. Il était ministre de l'Environnement à l'époque et a lancé un programme. Sénateur Trenholme Counsell, ils viennent juste d'ajouter encore 300 millions de dollars à ce poste budgétaire qui ne cesse de grossir. C'est certainement une question de gros sous.

Peut-être pourrions-nous vous inviter à revenir répondre à d'autres questions afin que nous puissions promouvoir par d'autres façons l'action dans ce domaine. Il me manque quelques réponses précises. Si vous parlez de regrouper les distributeurs d'eau, c'est probablement là du ressort provincial, mais si vous parlez d'accroître la compétence des opérateurs, il me semble que cela se prête mieux à une action du gouvernement fédéral.

M. Hrudey : Oui.

Le sénateur McCoy : Je suis totalement d'accord avec vous lors que vous dites que les sanctions n'encouragent pas une meilleure performance; au mieux, elles dissuadent. Mon exemple classique est que l'on ne peut imposer par une loi la moralité ou la compétence. Nous avons toujours eu des lois réprimant le meurtre, mais des meurtres continuent d'être commis.

M. Hrudey : Excusez-moi d'invoquer autant le juge O'Connor, mais je ne soulignerai jamais assez la sagesse de ce qu'il a écrit dans son rapport. Il n'a pas jugé que les opérateurs étaient mal intentionnés. Ils n'avaient aucune intention de tuer leurs voisins. Ils étaient simplement mal équipés. S'ils avaient eu la moindre idée qu'ils risquaient de tuer leurs voisins par leurs méfaits, ce ne serait probablement pas arrivé.

C'est une question d'éducation et, oui, il y aura toujours des gens pour mal agir. Si nous allons désigner des responsables du traitement de notre eau, il faudra leur donner les outils voulus pour qu'ils puissent nous protéger. Je crains qu'une panoplie de sanctions ne suffise pas en soi. Est-ce que vous prendriez le téléphone si vous aviez des doutes et reconnaîtriez que vous avez peut-être mal fait votre travail, en sachant que vous risquez des sanctions? Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution.

En fin de compte, il faut une structure réglementaire. C'est la phase suivante que les Australiens entreprennent. L'État de Victoria a introduit une législation spécifique pour la mise en œuvre des lignes directrices, si bien que ce ne sont plus seulement des lignes directrices mais plutôt des obligations pour ces sociétés distributrices d'eau. Il faut faire les choses dans l'ordre. Si vous n'assurez pas tout d'abord la compétence des opérateurs, la mise en place de règlements risque de tourner mal.

Le sénateur McCoy : J'admets ce que vous dites au sujet de la compétence, mais je ne comprends pas très bien ce que vous préconisez. S'agit-il de faire en sorte que tout le monde soit accrédité, après avoir suivi un cours obligatoire?

M. Hrudey : Je mentirais si je ne disais pas que la formation des opérateurs au Canada a été beaucoup améliorée depuis Walkerton. C'est devenu beaucoup plus un point focal et l'Ontario consacre énormément de ressources à la formation.

Cependant, il faut plus que des cours. Il faut un soutien organisationnel afin que les opérateurs sachent où s'adresser lorsque les choses tournent mal. Si vous gérez une usine de traitement de l'eau dans une petite municipalité de la Saskatchewan et que vous êtes laissé à vous-même, peu importe tous les cours théoriques que vous aurez suivis, vous ne saurez probablement pas résoudre le problème. Il faut un réseau de soutien.

Le sénateur McCoy : Suggérez-vous un organe central qui aurait peut-être des spécialistes disponibles même en ligne, par exemple? Même les médecins travaillent aujourd'hui en ligne, avec des mentors à l'Université de l'Alberta pendant qu'un chirurgien opère à Medicine Hat. On pourrait créer des services de cette sorte.

M. Hrudey : Effectivement, c'est ce que nous avons recommandé lorsque nous avons fait notre étude de la potabilité de l'eau chez les Premières nations il y a quelques années. C'est une régionalisation fonctionnelle. Lorsque les collectivités sont trop distantes pour qu'elles soient reliées par des tuyaux, il faut les relier par la communication. Il faut avoir des spécialistes itinérants. L'idée a été lancée en Saskatchewan et reprise par Affaires indiennes et du Nord Canada. Cela fonctionne bien dans un certain nombre de collectivités. Quelqu'un se déplace pour aider les opérateurs locaux. Cela ne se fait pas dans les collectivités non autochtones et je ne sais pas pourquoi. C'est une idée brillante.

Le sénateur McCoy : Je pense que nous avons encore beaucoup à apprendre sur le sujet. Merci.

Le sénateur Meighen : Pour confirmer, vous dites qu'en Australie le cadre réglementaire que l'on met en place se situe au niveau des États plutôt qu'au niveau fédéral?

M. Hrudey : C'est juste. Les lignes directrices sont fédérales. Le National Health and Medical Research Council parraine les lignes directrices. Les États et les sociétés distributrices d'eau participent à l'élaboration. Cependant, la réglementation concrète de l'eau potable se fait au niveau des États, de la même façon que nous avons une réglementation provinciale au Canada.

Le président : Merci, monsieur Hrudey. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir fait le voyage jusqu'ici aujourd'hui. Nous aurons peut-être d'autres questions à vous poser, que nous vous adresserons par écrit, si vous voulez bien. Je vous serais reconnaissant d'y répondre par l'intermédiaire du greffier du comité.

M. Hrudey : Je tiens à vous remercier encore une fois de cette invitation.

Le président : Je vais demander à M. Somers de prendre place. Nous allons boucler la séance le plus rapidement possible. Je rappelle aux honorables sénateurs qu'après le témoignage de M. Somers nous devrons avoir une courte réunion à huis clos pour traiter de certaines questions, dont une que le sénateur Brown veut soulever.

Le sénateur Brown : Je dois partir. Vous pouvez rayer ce point de l'ordre du jour.

Le président : Je poserai votre question en votre absence et nous aurons une réponse.

Le sénateur Brown : D'accord. Il sera probablement plus facile d'avoir la réponse en mon absence, de toute façon.

Le président : Peut-être bien. Je vous donnerai la réponse demain matin.

Honorable sénateurs, nous entendons maintenant M. Greg Somers, qui est avocat au cabinet Ogilvy Renault, au sujet des perspectives et répercussions juridiques du projet de loi S-206.

Monsieur Somers, merci de comparaître devant le comité. Nous vous serions reconnaissants de faire quelques remarques liminaires et j'espère que vous répondrez à nos questions ensuite.

Avant que vous commenciez, je dois donner la parole au sénateur Meighen.

Le sénateur Meighen : Sachez que je suis conseiller juridique du cabinet Ogilvy Renault de Toronto. Je n'ai pas eu le plaisir de rencontrer M. Somers, qui est basé à Ottawa. Je pense pouvoir dire que je ne sais pas du tout en quoi il est expert. J'écouterai son témoignage avec beaucoup d'intérêt.

Le président : Nous ne votons pas aujourd'hui, de toute façon, sénateur Meighen, et donc vous ne risquez aucun conflit d'intérêts.

Greg Somers, avocat, Ogilvy Renault s.r.l. : Je remercie le comité de son invitation, qui m'honore, et j'espère pouvoir vous être utile. Comme tout avocat qui se respecte, je vous fais savoir que les avis que j'exprime sont mes opinions personnelles et non celles de mon cabinet.

Lorsque j'ai reçu l'invitation du comité, il n'était pas clair à mes yeux quels aspects commerciaux particuliers le comité souhaitait me voir traiter. Au Canada, le commerce international de l'eau est un enjeu chargé. On prétend que rien de ce qui concerne l'eau n'est étranger aux divers accords commerciaux, accords d'investissement et autres traités signés par le Canada.

J'ai remis au comité une courte note sur l'accord sanitaire et les dispositions de l'ALENA intéressant les lignes directrices sur la qualité de l'eau et l'application non discriminatoire de ces dernières, le traitement national, et d'autres aspects. J'ai envoyé cela tard hier. Je ne sais pas si les membres du comité ont eu l'occasion d'en prendre connaissance. Étant donné que j'ai tant tardé, j'ai apporté avec moi dix copies que je me ferai un plaisir de distribuer.

Le président : Les membres souhaitent-ils la distribution du document de M. Somers?

Le sénateur McCoy : Monsieur le président, aimeriez-vous clarifier la question? Notre question ne portait pas précisément sur les systèmes sanitaires dans le contexte du projet de loi S-206. Je crois que c'est le sénateur Spivak et moi-même qui étions particulièrement intéressés par cette question.

Le président : Nous sommes intéressés par toutes les répercussions juridiques dont vous aimeriez nous parler. J'espère que vous avez eu l'occasion de lire le projet de loi S-206.

M. Somers : Oui.

Le président : Si j'ai bien saisi, voici la question principale : Si nous adoptions ce projet de loi, aurait-il pour effet de faire de l'eau une marchandise et, dans l'affirmative, pourrait-elle faire l'objet de mesures en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, que nous n'aimerions pas?

Le sénateur McCoy : Et aussi, y aurait-il des conséquences non intentionnelles?

M. Somers : Merci. La précision est utile. Comme je l'ai dit, votre greffier a le mémoire sur les autres enjeux.

Je soupçonnais, ou du moins craignais, que cela soit la question posée. C'est la plus difficile à tous les points de vue, y compris du point de vue du droit commercial. Il y a des divergences de vue entre personnes raisonnables.

Plusieurs choses m'ont frappé de ce point de vue lorsque j'ai lu le projet de loi. Je ne dirais pas que mes arguments sont concluants. Cependant, tout d'abord, le projet de loi définit l'eau venant d'un réseau de distribution comme un aliment destiné à la consommation humaine.

Jusqu'à présent, on s'accorde à dire qu'avant que l'eau ne soit conditionnée, c'est-à-dire tant qu'elle se trouve toujours dans un lac sur lequel nage un huard, elle n'est pas une marchandise. Elle n'est pas un bien échangeable et n'engage pas toutes les obligations de l'accord commercial. Dès que vous la mettez dans une bouteille ou une cuve et la conditionnez d'une manière ou d'une autre, elle devient une marchandise ou un article pouvant être échangé et, par conséquent, elle devient soumise aux disciplines de tous ces accords commerciaux, qu'il s'agisse de celui de l'Organisation mondiale du commerce, OMC, ou de l'ALENA. Les deux sont similaires. Quoi qu'il en soit, une obligation au titre de l'un, pour les fins qui nous concernent aujourd'hui, se retrouve probablement aussi dans l'autre.

Le président : Si l'eau devient une marchandise lorsqu'on la met en bouteille, devient-elle aussi une marchandise lorsqu'on la met dans un tuyau?

M. Somers : Comme je l'ai dit, pas jusqu'à présent, le consensus général est qu'il faudrait qu'elle soit conditionnée et prête à être échangée. Il faudrait qu'elle soit prête à être expédiée et ainsi de suite. Cependant, cet avis n'est pas unanime. La question de l'eau d'aqueduc n'a pas encore été sérieusement soulevée dans aucune tribune commerciale. Par conséquent, il n'existe aucune jurisprudence à cet égard.

Une autre disposition du projet de loi qui retient mon attention est l'élargissement de la définition de « vente » pour englober la possession aux fins de la distribution, sans que la distribution ait vraiment lieu. Aux termes de la Loi sur les aliments et drogues actuelle, un bien doit être distribué pour être considéré comme objet de commerce. Cependant, tant que l'eau reste dans le réservoir où elle se trouve avant d'être distribuée, la question de la marchandisation se pose.

Le projet de loi élargit également la définition d'« article » pour l'étendre à tout gaz, liquide ou solide qui n'est pas emballé. C'est là un point déterminant. Cette définition dit que l'eau est un article, qu'elle soit placée dans un contenant ou même un pipeline. Un article est quasiment un bien, et une fois que vous avez un bien ou un produit, les contraintes potentielles de l'ALENA ou de l'OMC s'appliquent. Par exemple, en théorie, si vous accrochez un iceberg à un navire et le remorquez, bien que vous n'ayez pas emballé l'iceberg, vous le transportez pour une fin commerciale. On peut présumer que c'est pour cette raison que vous remorquez l'iceberg. La question de l'emballage nous lance peut-être sur une fausse piste car l'eau, surtout depuis que le projet ajoute tout gaz, liquide ou solide, peut déjà être assujettie aux règles de l'ALENA, le sujet de l'analyse d'aujourd'hui.

Le projet de loi ouvre également la définition de « collecte » pour y englober toute activité qui cause ou favorise l'accumulation d'un aliment, qu'il soit ou non contenu par des moyens artificiels. Là encore, la même question se pose. L'autre problème est que non seulement l'eau est un bien aux termes du projet de loi, mais la distribution de l'eau est un service. Certains services peuvent également mettre en jeu les principes de l'ALENA relatifs aux droits des investisseurs. Dans la mesure où la distribution de l'eau est privatisée et que des investisseurs étrangers en possèdent une part, cela pourrait bien enclencher les obligations au titre des dispositions de l'ALENA relatives aux droits des investisseurs. Des investisseurs canadiens ne peuvent pas invoquer ces dernières à l'égard du Canada, seuls des investisseurs étrangers peuvent le faire. Par exemple, un investisseur étranger dans un service de distribution d'eau, même en laissant de côté la question de la propriété de cette eau ou des droits sur l'eau à titre de marchandise, pourrait invoquer l'ALENA s'il y a traitement discriminatoire, expropriation ou défaut d'application de la norme internationale minimale à cet investisseur. Ce sont là les principaux droits conférés par l'ALENA.

Le sénateur McCoy : Pendant que nous parlons de cela, quels sont les droits de poursuite de l'investisseur étranger? Rafraîchissez ma mémoire, s'il vous plaît.

M. Somers : L'ALENA confère essentiellement quatre droits. Un étranger qui investit au Canada, par exemple un investisseur mexicain ou américain qui investit au Canada dans l'exploitation d'une entreprise, d'un bâtiment — ce qui englobe une entreprise de distribution — peut invoquer les dispositions de l'ALENA pour exiger ce qui suit :

Premièrement, qu'il ou elle ne soit pas traité moins favorablement qu'un investisseur de tout autre pays au monde. L'investisseur mexicain ou américain a droit à ce que l'on appelle le traitement de la nation la plus favorisée.

Deuxièmement, cet investisseur peut exiger le traitement national, c'est-à-dire un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui accordé à un investisseur canadien.

Troisièmement, l'investisseur étranger peut exiger d'être traité aussi bien ou mieux que ce que prévoit une norme internationale minimale, quelle que soit la façon dont le Canada traite d'autres investisseurs. Il existe un niveau minimal absolu de traitement acceptable, que ce soit sous l'effet d'un règlement ou d'une autre action gouvernementale, et la garantie de ne pas tomber en dessous d'un certain niveau, lequel n'est pas prescrit par avance. Il appartient à un tribunal d'arbitrage international de décider si le traitement en question est clairement contraire aux règles internationales de traitement des investisseurs.

Quatrièmement, l'investisseur a le droit de ne pas se voir exproprié en l'absence de voies de droit régulières et sans indemnisation équitable.

Le sénateur McCoy : Peut-il poursuivre le gouvernement du Canada pour faire respecter ces droits?

M. Somers : Il peut poursuivre le gouvernement du Canada et s'il s'avère qu'une ou plusieurs de ces violations ont été commises, l'indemnisation ne peut être que d'ordre financier.

Pour ce qui est de la question de savoir si les modifications introduites par le projet de loi font de l'eau une marchandise, ma réponse ultime, pour vous éviter les heures de verbiage qui sont presque une obligation professionnelle pour l'avocat, mais que je veux bien vous épargner, est non. Ces questions ne peuvent être tranchées que par un tribunal de l'ALENA ou un panel de l'OMC. Ces derniers tiendront compte de la législation de divers pays, mais ces dispositions-ci ne constituent pas les définitions ou principes substantifs qui vont les convaincre ou les obliger à conclure qu'une chose est un produit ou un bien.

Ils appliquent des principes juridiques internationaux qui échappent à la compétence du Canada en droit international. Par exemple, vous savez peut-être qu'aux États-Unis la Cour suprême considère l'eau souterraine comme un bien. En Europe, la Cour européenne de justice a rendu un jugement similaire. Le Canada jusqu'à présent n'a pas encore de décision judiciaire à cet égard. Le comité pourrait proposer une loi disant que l'eau n'est pas un bien ou un produit, l'adopter et l'invoquer pour décréter qu'aucun tribunal de l'ALENA ne peut déclarer que notre eau est dorénavant un bien, puisque nous avons une loi disant qu'elle ne l'est pas. Un tribunal n'en tiendra aucun compte lorsqu'il s'agit de décider si notre eau est une marchandise ou non. Ce n'est pas une considération.

Le président : En somme, un panel de l'OMC ou un tribunal de l'ALENA pourrait décider aujourd'hui que l'eau canadienne est un bien.

M. Somers : Oui, il le pourrait.

Le président : Si ce projet de loi est adopté demain, est-ce que ce tribunal ou panel serait plus susceptible de décider jeudi que l'eau canadienne est un bien qu'aujourd'hui? Est-ce une question légitime?

M. Somers : Il n'y a pas de question illégitime à poser à un avocat.

Le président : Est-ce que l'adoption du projet de loi empirerait les choses?

M. Somers : Je dirais que non, cela ne rendrait pas plus probable que l'OMC ou l'ALENA décide que l'eau canadienne est une marchandise. S'ils prenaient cette loi en compte, ils se fonderaient sur une considération dépourvue de pertinence. Peu importe ce que le Canada décrète dans une loi.

Le président : C'est à cela que je voulais en venir. Si nous promulguons une loi disant que l'eau n'est pas une marchandise, cela ne fera aucune différence parce qu'ils prendront leur décision indépendamment de la législation canadienne, car nous nous sommes déjà soumis à tous égards à l'ALENA et à l'OMC.

M. Somers : Effectivement, c'est juste.

Le sénateur Milne : Vous dites que l'eau est déjà considérée comme un bien en Europe et aux États-Unis.

M. Somers : Si j'ai bien précisé « eau souterraine », c'est juste.

Le sénateur Milne : L'eau dans le sol, même pas dans un tuyau ou une bouteille. C'est peut-être bien pour cela que le Conseil de l'Europe parle de déclarer l'accès à l'eau comme un droit de la personne. C'est ce dont il était question récemment au Conseil de l'Europe, lorsque j'y étais il y a deux semaines. Ils parlent de déclarer l'accès à l'eau comme un droit fondamental.

M. Somers : Je sais que ce débat est en cours. C'est s'engager sur une pente glissante. Le droit de voter et le droit de libre association sont considérés comme des droits fondamentaux.

Le sénateur Milne : Ils considèrent l'eau et la nourriture comme des biens vitaux.

M. Somers : Cette notion enclenche toute une autre série de questions. Est-ce un droit à la vie en ce sens que l'on ne peut vous en priver, ou bien est-ce un droit à la vie substantif en ce sens que chacun peut exiger d'y avoir accès à prix subventionné ou même gratuitement? Ce sont des questions qui échappent à la compétence d'un avocat de droit commercial, mais elles sont légitimes.

Le sénateur Milne : Ces questions se poseront de plus en plus à l'avenir.

M. Somers : Sans aucun doute.

Le sénateur McCoy : Qui a dit que la concision est la mère de l'esprit? Vous avez dépassé mes attentes. J'apprécie beaucoup votre réponse. Merci infiniment.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous pourriez peut-être boucler pour moi une boucle. D'aucuns utilisent l'expression « nouer les fils épars ». Toute la soirée j'ai réfléchi à la complexité des structures de gouvernance mises en jeu. Les trois niveaux de gouvernement — fédéral, provincial et municipal — sont véritablement concernés dans tout cela. Vous savez très bien conceptualiser les choses et je me demande si vous pourriez nous parler des difficultés et des défis. Avez-vous une image un peu plus claire de la façon dont cela pourrait réellement être régi de manière plus efficace au Canada?

M. Somers : Je doute de pouvoir vraiment vous éclairer à ce sujet, qui est davantage du ressort d'un avocat ou spécialiste du droit constitutionnel. Je peux vous parler de la dimension commerce international qui influence ces questions. Quant à la question de savoir si une coopération fédérale ou provinciale serait nécessaire ou la meilleure solution, comme avocat de droit commercial il me semble que la vigilance incombe au premier chef au gouvernement fédéral. Son pouvoir constitutionnel relativement au commerce international et interprovincial signifie que les questions intéressant l'ALENA ou l'OMC relèvent directement de lui. Cela dit, les obligations au titre du droit commercial s'imposent également aux provinces, mais c'est le Canada qui doit répondre, par exemple devant l'ALENA, des déficiences ou violations des provinces, car c'est le Canada qui est signataire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne pensais pas tant au commerce international. Je réalise bien dans quelle optique vous vous inscrivez ici. La problématique générale, sur laquelle porte ce projet de loi, est d'offrir une eau potable propre aux Canadiens, et le gouvernement fédéral ne peut l'assurer seul. J'ai pensé que vous pourriez peut-être nous faire part de vos réflexions plus approfondies concernant la complexité de la situation et offrir quelques suggestions pratiques concernant la gouvernance de l'eau au Canada.

M. Somers : J'aborde la question sous l'angle du droit commercial. Vous avez tout à fait raison, sénateur. Ce qui répondrait à mes vœux — mais je ne suis pas une autorité en droit constitutionnel et encore moins en relations fédérales-provinciales — serait que le gouvernement fédéral fixe des normes minimales, puis que les provinces en fassent au moins autant. Cela minimiserait le risque en droit commercial que nos mesures soient jugées discriminatoires, par exemple à l'égard de l'eau importée, et ce genre de choses. Dans la mesure où les normes minimales seraient uniformes, on n'aurait pas une province établissant des normes supérieures ou inférieures qui pourraient donner lieu à des traitements plus ou moins favorables des importations, traitements dont nos partenaires commerciaux pourraient se plaindre.

Le sénateur Trenholme Counsell : Sur le plan des normes minimales, si l'on considère uniquement le niveau fédéral, quelle évaluation donnez-vous de nos normes actuelles?

M. Somers : Je les ignore totalement. Veuillez m'en excuser. Je pourrais m'informer et transmettre une opinion au comité.

Le président : Monsieur Somers, avez-vous d'autres conseils, commentaires ou explications à nous donner concernant les échanges commerciaux et l'eau, hormis les questions que nous vous avons déjà posées et les réponses merveilleusement claires que vous avez données et dont nous vous remercions tous?

M. Somers : Merci, sénateur. Les questions étaient tellement claires qu'il a été facile d'y répondre. Ce sont là les enjeux et puisqu'ils échappent entièrement au domaine du droit commercial, je préfère ne pas réveiller le chat qui dort. La législation est en place.

Le président : Pour clarifier votre réponse à la dernière question du sénateur Trenholme Counsell, vous avez dit que si des normes fédérales étaient établies, elles devraient être uniformes. Vous avez dit que les normes provinciales devraient être au moins aussi bonnes, et c'est la caractéristique normale des normes fédérales appliquées aux provinces. Celles des provinces doivent être au moins aussi bonnes. Mais une province pourrait se doter elle-même de normes supérieures aux normes fédérales minimales. Ce serait acceptable, n'est-ce pas? Vous avez abordé cette question, mais je ne suis pas sûr de ce que vous vouliez dire.

M. Somers : C'est précisément cela. S'il existe une norme minimale uniforme applicable dans tout le pays, toute importation ou tout mouvement transfrontalier de cette eau devrait répondre au moins à cette norme, et une province ne pourrait pas semer la zizanie en arrivant avec une norme inférieure à cela.

Le président : Si je suis fabricant de saucisses dans la province A et si ses contraintes me coûtent plus que je ne veux dépenser, je ne peux pas déménager mon usine dans la province B qui aura des normes inférieures au plancher fixé par la norme fédérale. Elles seront peut-être inférieures à celles de la province A, mais elle ne peuvent tomber en dessous d'un certain niveau.

M. Somers : Exactement. Si c'était possible, un importateur pourrait dire : « J'aime cette norme inférieure, et puisque la province a établi ce précédent, je demande à ce qu'on me l'applique aussi. » Vous devrez lui accorder un traitement qui ne soit pas moins favorable, ou en l'occurrence une réglementation pas plus stricte, et vous auriez l'obligation comme législateur d'essayer d'arranger les choses. C'est juste.

Le président : Je poserai encore une question, avec la permission de mes collègues. Celle-ci n'a pas de rapport direct avec la précédente. Disons que je suis un embouteilleur canadien d'eau que je tire d'une source ou d'un robinet quelque part. J'ai un centre de distribution, un système qui met l'eau en bouteille et la vend. Je la vends aux États-Unis, mettons, et c'est bien ce que font certains. Il existe aussi un embouteilleur d'eau américain ou mexicain. Est-ce que cet embouteilleur mexicain ou américain a maintenant le droit de venir au Canada pour puiser au même robinet dont je tire mon eau, mettre cette eau en bouteille et la vendre au Canada?

M. Somers : En puisant cette eau d'un robinet canadien?

Le président : Oui.

M. Somers : Je pense qu'il le peut déjà, que vous exportiez ou non votre eau, car l'eau en bouteille est déjà reconnue comme une marchandise échangée internationalement, un bien.

Le président : Elle sort d'un robinet et elle devient une marchandise échangeable dès que je la mets en bouteille. Est-ce qu'un embouteilleur mexicain peut aujourd'hui, en vertu de l'ALENA ou de l'OMC, venir mettre sa bouteille sous mon robinet et la remplir d'eau et la vendre?

M. Somers : L'eau en bouteille est déjà échangée entre les trois pays de l'ALENA. Certes, normalement, ils exploitent leurs propres sources.

Le président : La proximité.

M. Somers : Exactement, pour exploiter l'eau à proximité. Rien dans le fait de vendre à l'exportation de l'eau de robinet embouteillée et conditionnée ne déclenche d'obligation de réciprocité, autrement dit la possibilité pour un embouteilleur mexicain ou américain de venir utiliser ce même robinet. Cela, en soi, n'est pas déclenché par votre exportation d'eau.

Le président : Peuvent-ils le faire maintenant?

M. Somers : Vous anticipiez ma réponse. S'ils veulent venir au Canada et investir dans une usine d'embouteillage et puiser dans le réseau de distribution en eau de n'importe quelle ville...

Le président : Ou dans les montagnes Rocheuses, une image de marque vendable.

M. Somers : S'il peut acheter un bout d'un glacier qui libère de l'eau de fonte sur le flanc d'une montagne et respecter les autres contraintes que le Canada peut légalement imposer, oui.

Le sénateur Adams : Je suis un peu confus. Notre eau dans le Nord est habituellement bonne. Si l'ALENA comporte un accord sur l'échange d'eau entre les États-Unis et le Mexique, est-ce qu'il y en a un aussi avec le Canada?

M. Somers : Demandez-vous si l'ALENA couvre l'eau?

Le sénateur Adams : Oui.

M. Somers : Il y a eu divers jugements de la commission de l'ALENA, l'organe de supervision de l'ALENA, disant que l'eau en vrac n'est pas couverte par l'ALENA. Mais en réalité la question reste en suspens. Elle n'a pas été tranchée et des personnes raisonnables ont des avis divergents. La note des autorités de l'ALENA disant que l'eau en vrac n'est pas couverte ne fait pas partie de l'accord lui-même. C'est une note d'interprétation en marge dont on peut arguer qu'elle exprime l'intention des signataires de l'accord, mais elle n'est pas concluante. La question reste ouverte.

Le sénateur Adams : Les Américains sont en train de détourner la rivière Oldman, qui vient du Canada, n'est-ce pas?

M. Somers : L'ALENA et d'autres accords reconnaissent que ce genre de situation, intéressant des eaux transfrontalières, relève normalement du traité administré par la Commission mixte internationale. L'ALENA s'efface devant ce forum parce qu'il existe un traité portant spécifiquement sur le détournement des eaux transfrontalières.

Le président : Merci, monsieur Somers. Je vous suis très reconnaissant, comme tous mes collègues, que vous ayez accepté de comparaître aujourd'hui. Si nous avons d'autres questions, j'espère que vous nous autoriserez à vous les faire parvenir et que vous adresserez votre réponse à notre greffier.

M. Somers : Je me ferais un plaisir d'aider le comité avec toute autre question qu'il pourrait avoir. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Nous allons maintenant siéger à huis clos.

La séance se poursuit à huis clos.


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