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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 5 - Témoignages du 5 mai 2008


OTTAWA, le lundi 5 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes, se réunit aujourd'hui à 17 h 9 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, soyez les bienvenus à cette séance du Comité sénatorial permanant des droits de la personne. Nous étudions le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes.

Nous accueillons aujourd'hui par vidéoconférence Lee Lakeman, de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel, qui représente les régions de la Colombie-Britannique et du Yukon. M'entendez-vous?

Lee F. Lakeman, représentante régionale (Colombie-Britannique et Yukon), Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel : Oui, nous vous entendons.

La présidente : C'est bien. Vous êtes accompagnée ce soir d'Alice Lee, travailleuse à l'intervention d'urgence auprès du Vancouver Rape Relief and Women's Shelter, n'est-ce pas?

Alice Lee, travailleuse à l'intervention d'urgence, Vancouver Rape Relief and Women's Shelter : C'est exact.

La présidente : Qui fera les remarques liminaires?

Mme Lakeman : Ce sera moi.

La présidente : Merci, madame Lakeman. Vous avez la parole.

Mme Lakeman : Merci d'avoir invité l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel à venir comparaître devant vous. Je suis particulièrement heureuse de m'adresser à un comité sur les droits de la personne. J'ai toujours cru que nos lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées au regard des conventions internationales sur les droits de la personne que nous avons signées. Je songe plus particulièrement au rapport de 2006 du secrétaire général des Nations Unies, qui s'intitule Étude approfondie de toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Si vous ne l'avez pas encore lu, je vous recommande de le faire, car il sert de contexte au projet de loi.

Le Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, de Mme Yakin Erturk, est aussi très pertinent. J'emploie la définition de victimes de traite qui figure au protocole de Palerme et selon laquelle est victime de traite toute personne faisant l'objet de menaces et de contraintes et qui n'a pas de libre arbitre.

Cela dit, je compte évoquer cinq points au nom de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel. Je les aborderai un à un.

Nous travaillons avec des victimes de traite, surtout à Vancouver, mais pas seulement à cet endroit. C'est pour cette raison que je me suis fait accompagner d'une représentante d'une association locale. À Vancouver, il y a traite internationale de personnes provenant d'Asie, mais aussi de femmes autochtones que l'on a forcées à quitter le Grand Nord.

Les victimes de violence sexiste, y compris les femmes faisant l'objet de la traite transfrontalière, ont besoin de beaucoup de soutien, qu'elles soient canadiennes ou non. Nous déplorons que le permis de séjour temporaire qu'on accorde aux femmes se trouvant dans une situation d'urgence ne leur permette pas d'avoir un revenu. Ces victimes ont besoin d'un revenu, un revenu d'urgence, mais aussi un revenu d'emploi. Le projet de loi propose des améliorations à l'accès à l'emploi, ce qui est utile, mais cela ne règle pas entièrement le problème du revenu dont ont besoin les victimes en situation d'urgence.

S'agissant d'égalité, puisque la traite des personnes relève de l'égalité, les femmes ont besoin qu'on défende leurs droits. Il leur faut les services d'avocats et d'interprètes, mais aussi l'accès à des organismes non gouvernementaux qui peuvent défendre leurs droits. Ces ONG ont besoin de fonds pour dispenser des services. De plus, les soins de santé restent un enjeu, tout comme la confidentialité des dossiers médicaux.

Deuxièmement, il est important qu'on n'exerce pas de chantage à l'endroit des victimes pour obtenir une dénonciation ou un témoignage. Je sais que ces situations sont difficiles, mais c'est une difficulté qui s'applique à la violence contre les femmes sous toutes ses formes, que ce soit au pays ou à l'étranger. Nous devons reconnaître que les femmes qui signalent aux autorités qu'elles sont victimes de violence au Canada trouvent cela très difficile, car la violence qu'elles subissent risque de s'aggraver si elles quittent un mari qui les maltraite, par exemple, ou si elles sont victimes de traite. Il est mal avisé pour les femmes de compter sur les autorités qui ne donnent pas suite aux informations qu'elles leur donnent. Nous n'en faisons pas encore assez pour pouvoir nous permettre d'aller jusqu'à exercer du chantage sur elles. C'est l'aspect du projet de loi qui nous préoccupe le plus. Il y a des femmes qui signalent des actes de violence à l'endroit de femmes qui sont insatisfaites du résultat. Au Canada, seulement 30 p. 100 des femmes qui ont besoin de l'intervention de la police la demandent. Les autres ne se sentent pas suffisamment en confiance ou en sécurité pour faire appel à la police. Les décès survenus récemment en Colombie-Britannique nous le rappellent malheureusement trop bien.

S'agissant de violence contre les femmes, on ne devrait pas faire fi du jugement des victimes, surtout dans les cas de traite. Ces femmes doivent être en mesure de prendre certaines décisions relatives à leur sécurité, et nous devons accepter de les protéger, quelles que soient les décisions qu'elles prennent. L'octroi du permis de séjour temporaire ou sa prolongation sert trop souvent à faire chanter les victimes. Nous déplorons le fait que la loi actuelle accorde à l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, ou à la GRC le pourvoir d'accorder ou de prolonger un permis de séjour temporaire. Comme nous convenons tous que ces cas relèvent des droits de la personne, nous devrions établir un meilleur processus.

Troisièmement, il faut prévoir pour ces victimes des voies juridiques et sociales qui mènent à l'obtention de la citoyenneté, ce que la loi ne fait pas à l'heure actuelle. Je vous rappelle que le concept des droits de la personne a pris naissance après la Deuxième Guerre mondiale, époque marquée par le désespoir où l'on a compris que les droits de la personne étaient liés aux États et qu'un grand nombre de gens étaient sans papiers. Actuellement, au Canada, il y a une hausse des migrations forcées de gens sans papiers. Les victimes de traite, une fois au Canada, devraient disposer de moyens d'obtenir la citoyenneté, ce qui n'est pas encore le cas.

Quatrièmement, la traite des personnes est un enjeu qui relève des droits de la personne, et ces droits sont indivisibles selon la définition de l'ONU. De plus, tous jouissent de ces droits, quel que soit leur pays d'origine. Tous les droits, civiques, politiques, sociaux et économiques, doivent être pris en compte. Nous devons donc examiner attentivement ce projet de loi dans le contexte de notre politique d'immigration, de l'aide que nous accordons au tiers-monde, de la sécurité du pays et de l'intégrité des frontières. Étant donné qu'il s'agit d'un enjeu qui relève des droits de la personne autant au pays qu'ailleurs dans le monde, il faut tenir compte du droit à l'aide sociale et à l'égalité au pays même lors de l'examen du projet de loi. L'accès des femmes à l'aide sociale n'est ni simple ni uniforme à l'échelle du pays. L'égalité entre les sexes n'est pas la même non plus partout au pays. Il faut prendre en compte ces facteurs si on veut véritablement lutter contre la traite des personnes.

Je m'arrête ici pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Je suis certaine que l'on vous posera beaucoup de questions. Si j'ai bien compris, madame Lee, vous n'allez pas nous faire un exposé distinct. Vous êtes ici pour aider à répondre aux questions.

Mme Lee : C'est exact.

Le sénateur Munson : J'aimerais avoir plus de détails sur le trafic des Autochtones. Quelles en sont les tendances? Cela implique combien de personnes? Quels sont les enjeux? Quelle est la gravité du problème?

Mme Lakeman : Je tiens à vous rappeler que je m'appuie sur la définition de la traite des personnes qui figure dans l'accord de Palerme. Les gens qui doivent migrer afin de pouvoir s'alimenter ou vivre sont considérés comme des victimes de la traite. À Vancouver, dans le Downtown Eastside, on trouve bon nombre de femmes qui cherchent à fuir des situations difficiles dans lesquelles elles n'ont pas d'avenir et ne peuvent survivre. Les jeunes qui font l'objet de traite sont transportés par des camionneurs sur les autoroutes. Les femmes arrivent dans les villes pour trouver du travail et essayer de gagner leur vie. Il y a beaucoup de personnes qui sont victimes de traite. Je ne peux vous fournir de chiffres, mais leur présence est visible. Il y a beaucoup de femmes dans le Dowtown Eastside qui font l'objet de traite à des fins d'exploitation sexuelle.

Le sénateur Munson : Connaissez-vous les organisations qui se livrent à la traite des femmes? Qui sont-elles?

Mme Lakeman : Je vous dirais que, lorsqu'on ne règle pas des revendications territoriales en suspens et qu'on ne permet pas aux gens de vivre chez eux, qu'il s'agisse des Philippines ou du Nord de la Colombie-Britannique, nous contribuons au trafic des personnes. Les femmes se laissent attirer par les villes. Elles y vont également parce que leurs conditions de vie sont invivables.

Le sénateur Munson : Pouvez-vous nous fournir un exemple de ce qui se passe lorsqu'une personne victime de la traite se sent coincée et ne peut se sortir de son piège?

Mme Lakeman : Il arrive souvent qu'une femme âgée de 15, 16 ou 17 ans arrive à Vancouver pour se trouver un emploi ou pour étudier, ou encore parce qu'elle accompagne un homme plus âgé qui l'invite à venir vivre au centre- ville. À cet âge-là, la femme est facilement attirée par les drogues de la rue ou la ville, et elle est rapidement menée à se prostituer. Une fois qu'elle se trouve dans cette situation, elle a besoin soit de drogues pour pouvoir continuer à se prostituer, soit de se prostituer afin de pouvoir continuer à alimenter sa toxicomanie. Dans les deux cas, elle est prisonnière de la prostitution et de la toxicomanie. De plus, elle est éloignée de sa famille et de son cercle de soutien.

Le sénateur Munson : Savez-vous si des femmes autochtones canadiennes sont victimes de la traite à l'extérieur du pays?

Mme Lakeman : Oui. On m'a raconté plusieurs histoires à ce sujet. Je sais qu'il existe un réseau entre Ottawa, Calgary et Seattle. Je sais que les femmes sont victimes de traite sur la côte.

Le sénateur Munson : Merci.

Le sénateur Ringuette : Vos renseignements sont fort intéressants. Je suis très mal à l'aise avec cette idée de trafic des personnes.

Vous avez dit qu'il faudrait établir des recours juridiques et sociaux pour l'obtention de la citoyenneté. Cela ne s'applique pas aux femmes autochtones. Mais cela peut s'appliquer aux gens sans papiers. Ils doivent particulièrement craindre cette situation. En effet, s'ils arrivent à fuir les trafiquants de personnes, ils sont quand même sans pièces d'identité, sans rien du tout.

Comment faites-vous face à ce problème?

Mme Lakeman : Je n'ai que de tristes histoires à vous raconter. Je songe notamment au cas d'une femme japonaise. Un voisin nous a raconté qu'il y avait plusieurs filles qui habitaient dans une maison. On lui avait dit qu'elles étaient des étudiantes. Un peu plus tard, il a appris que ce n'était pas le cas : elles faisaient l'objet de traite. La femme en question préoccupait beaucoup les voisins et les autres jeunes victimes. Un voisin nous a appelés pour nous dire que cette femme était battue et détenue contre son gré. Il nous a demandé de l'aider. Nous avons appelé la police. Nous avons appelé les agents frontaliers. Nous avons communiqué avec la GRC. Les services sociaux ont pris l'enfant en charge. Quand la police s'est rendue sur les lieux, elle a appris que la femme était entrée au Canada de manière illégale. Ils ont pris son enfant en attendant que l'on règle sa situation juridique. Une fois que les agents frontaliers l'ont laissée partir, qu'elle a retrouvé sa liberté, elle a cherché à récupérer son enfant.

Nous l'avons aidée à obtenir sa liberté et à ravoir son enfant, mais vous comprendrez qu'elle n'avait absolument plus confiance dans les autorités canadiennes. Au bout du compte, elle a été expulsée, même s'il est clair qu'elle était une femme victime de traite des personnes. Elle a quitté le pays, mais nous savions qu'elle avait repris contact avec l'homme qui l'avait piégée, parce qu'elle n'avait pas d'autre façon de faire vivre son enfant et que personne d'autre ne s'était montré digne de sa confiance.

Je connais beaucoup d'histoires tristes dans ce domaine, et aucune qui soit réjouissante.

Le sénateur Ringuette : Merci.

La présidente : J'aimerais poser une question complémentaire.

D'après vous, comment distinguer entre les personnes victimes de la traite et celles qui veulent venir au Canada, mais qui n'arrivent pas à passer par les voies régulières?

Si j'ai bien compris, il y a trois catégories de personnes. Premièrement, il y a les innocents qui veulent améliorer leur sort sans savoir dans quoi ils s'embarquent, et qui croient tout ce qu'on leur dit au sujet de la vie au Canada. Ils ne savent pas du tout qu'ils sont victimes de traite. Ils n'en savent rien jusqu'à ce qu'ils arrivent à la frontière, parfois même plus tard. Deuxièmement, il y a ceux qui viennent au Canada illégalement, parce que c'est le seul espoir qu'ils ont. Enfin, il y a ceux qui arrivent sans avoir été menacés ou intimidés. Il y a peut-être beaucoup d'autres catégories.

Comment peut-on classer une personne dans l'une ou l'autre des catégories, de façon à les aider, et aussi de manière que les autorités canadiennes comprennent mieux la situation? Me suis-je exprimée clairement?

Mme Lakeman : Tout à fait.

Heureusement, je ne suis pas à votre place et je ne suis pas non plus policière. Je ne sais pas vraiment si ces catégories sont les bonnes. Voici la question que je me pose en premier : cette personne est-elle désespérée et, si c'est le cas, pour quelle raison? Pour moi, c'est une question importante du point de vue des droits de la personne et je pense que ce souci doit, pour le comité, primer sur tout le reste, si vous me permettez de le dire.

Je veux savoir ce qui a mené cette personne à s'exposer à la traite des personnes. Quelle est notre responsabilité humaine devant ces personnes si désespérées qu'elles s'embarquent dans des rafiots rouillés pour traverser le Pacifique, qu'elles montent dans un camion avec un étranger pour emprunter la route des pleurs, malgré les meurtres commis le long de celle-ci, qu'elles quittent la réserve où elles connaissent tout le monde pour aller dans une ville où elles n'ont aucune source de revenu, personne pour les protéger et veiller à leur bien-être, en sachant le racisme et la pauvreté auxquels elles s'exposent.

Il me semble que leur désespoir est une question de droits de la personne. Je ne crois pas que nous devions nous préoccuper de ceux qui sont riches et aisés. Le problème, selon moi, c'est qu'il y a actuellement beaucoup de gens désespérés, et ils sont de plus en plus nombreux, à faire l'objet de la traite des personnes au sens de l'accord de Palerme : ils sont poussés, forcés, menacés ou contraints à immigrer, pour leur propre survie. Ce sont les gens dont je me soucie.

Lorsqu'on commence à faire le compte de ceux qui ne sont pas désespérés, en leur demandant de respecter les règles, on constate que ce groupe est plus restreint.

La présidente : Je pense que vous voyez les choses d'un autre œil que moi. Comme société, en intégrant des dispositions au Code criminel, nous voulons contrer les trafiquants, ceux qui exploitent le désespoir de ces personnes. Il semble que le droit criminel ne soit pas un outil vraiment efficace, du moins pour ce problème, puisque nous ne pouvons poursuivre les trafiquants si nous n'avons pas de preuve. Or, les meilleures preuves sont fournies par les victimes de la traite des personnes.

Je comprends la raison d'être du projet de loi S-218 et je comprends aussi que le gouvernement cherche, par voie réglementaire, à venir en aide aux personnes en détresse qui doivent être protégées des trafiquants. Le nombre de trafiquants dans le monde va-t-il augmenter si l'on ne prend pas des mesures pour lutter contre eux? La traite des personnes va-t-elle prendre plus d'ampleur? D'après les renseignements dont nous disposons, la traite des personnes serait plus payante que le trafic de drogues et autres activités criminelles.

Comment lutter contre ce fléau? Comment pouvons-nous aider les victimes?

Mme Lakeman : Je suis tout à fait d'accord avec vous. On ne peut pas simplement s'en remettre au droit criminel. C'est une question qui relève du droit relatif aux droits de la personne qui, par définition, englobe les libertés civiles, les droits économiques et les droits sociaux. À mon avis, le Canada doit d'abord être prêt à prendre des mesures qui privilégient la protection des femmes et des enfants qui sont victimes de traite. Je sais que les hommes sont aussi victimes de traite, particulièrement dans d'autres formes de travail forcé, mais la traite des femmes et des enfants vise de plus en plus des fins sexuelles. Nous devons nous inspirer de la façon dont le système de justice criminelle au Canada cherche à venir en aide aux femmes qui sont victimes de violence.

Vous avez raison. Notre bilan dans ce domaine n'est pas très reluisant. Nous devons accorder la primauté aux besoins fondamentaux des femmes et des enfants. Nous ne devons pas les soumettre à un chantage pour les amener à témoigner devant les tribunaux. Ce n'est pas la bonne approche. Voilà pourquoi il faut éviter de procéder de cette façon. Le projet de loi ne va pas assez loin pour protéger les femmes et les enfants qui sont victimes de cette activité criminelle. Il ne penche pas en leur faveur. Il n'est nullement généreux à leur endroit. Le Canada doit avoir la réputation d'être un pays qui vient en aide aux victimes de la traite des personnes. S'il arrive à se doter d'une telle réputation, les femmes seront beaucoup plus prêtes à témoigner contre ceux qui s'adonnent à la traite des personnes. Ce n'est pas en les soumettant à un chantage qu'on les encouragera à le faire.

La présidente : Le débat ressemble à celui que nous avons eu sur les cas de violence familiale. Lorsque j'ai commencé à exercer le droit, peu de femmes portaient des accusations en cas de violence conjugale. C'est lorsque les femmes demandent de l'aide que la police ou la poursuite peut porter des accusations.

La victime se retrouve ensuite dans la situation impossible de devoir témoigner contre son agresseur. Nous avons donc commencé à recourir à d'autres moyens et méthodes qui ne protègent cependant pas les victimes de violence contre leur agresseur. Nous faisons face à une impasse : comment protéger la victime de l'agresseur? Je pense que nous avons fait des progrès, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à faire.

En ce qui touche la traite des personnes, pensez-vous que nous pouvons protéger une femme qui serait prête à témoigner contre un trafiquant international qui la menace elle-même ou sa famille dans son pays d'origine? Pensez- vous qu'une femme dans cette situation serait prête à témoigner volontairement contre son agresseur? Quels systèmes de soutien envisagez-vous de mettre en place à l'intention de ces personnes?

Mme Lakeman : J'envisage effectivement la mise en place de tels systèmes. J'espère pouvoir accorder du soutien aux femmes et aux enfants victimes de la traite des personnes. J'ai travaillé dans l'une des premières maisons de transition au Canada. Comme vous, j'ai une certaine expérience de la violence familiale.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec ce que vous venez de dire. Les femmes victimes de violence conjugale demandent plus souvent de l'aide, et de façon plus efficace, que la plupart des autres victimes de crime. Elles vont essayer de trouver de l'aide jusqu'à ce qu'elles en trouvent. Je crois que la même chose vaut pour les victimes de la traite des personnes.

Mme Lee pourra vous donner davantage de détails à ce sujet, mais à Vancouver, nous sommes intervenus auprès de femmes du Fujian qui sont arrivées jusqu'à nos côtes dans des bateaux rouillés. Nous sommes intervenus auprès de nombreuses autres victimes de la traite des personnes provenant de diverses parties du monde. À notre avis, cette violence ressemble à toutes les autres formes de violence à l'endroit des femmes.

Nous pouvons arracher les enfants et les femmes qui sont victimes de la traite des personnes des griffes de leur agresseur, mais il faut d'abord répondre à leurs besoins fondamentaux. Ces femmes et ces enfants ne sont plus maîtres de leur destinée. La première chose à faire, c'est de leur redonner la maîtrise de leur destinée.

Voilà une des façons par lesquelles nous pouvons lutter contre la traite des personnes. Le Canada doit se bâtir une réputation de pays qui traite bien les personnes et qui aide les mères à protéger leurs propres enfants. Si nous le faisons, les femmes qui souhaitent un meilleur avenir seront prêtes à témoigner.

Elles ne seront évidemment pas toutes prêtes à le faire, mais je pense que nous pourrons, de cette façon, faire en sorte que davantage de femmes aient recours au système de justice criminelle.

La présidente : Selon vous, si nous mettons en place les services voulus, les victimes seront suffisamment rassurées pour être prêtes à témoigner. Je me préoccupe des mesures qui doivent être prises avant qu'elles ne le fassent. Les services doivent être en place.

Mme Lakeman : Oui, mais ces services doivent être fonction des droits de la personne des femmes et des enfants victimes de traite, et non pas de nos besoins en matière de poursuite.

Le sénateur Dallaire : Comment les victimes parviennent-elles jusqu'à vous?

Mme Lakeman : Essentiellement, parce qu'elles ont entendu parler de nous.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. Comment ce processus fonctionne-t-il, compte tenu des conditions dans lesquelles vous trouvez les victimes de la traite des personnes?

Mme Lakeman : Je parle au nom de l'Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel. Notre association compte un certain nombre de centres dans toutes les grandes villes du pays, et nous sommes connus pour assurer la confidentialité des renseignements qui nous sont communiqués par les femmes qui s'adressent à nous. Je crois que cette info circule parmi les femmes. Nous intervenons aussi lorsque nous sommes témoins de violations des droits de la personne des femmes. Les femmes savent donc qu'elles peuvent s'adresser à nous en toute sécurité.

Le sénateur Dallaire : Vous avez dit que le projet de loi S-218 n'aidait pas beaucoup les victimes potentielles de la traite des personnes. Le projet de loi vise cependant à légaliser le statut de ces personnes et ensuite à les protéger, à leur offrir les services dont elles ont besoin, notamment les services de santé.

Y a-t-il quelque chose qui m'échappe à l'égard du projet de loi? Je croyais qu'il avait pour but de mettre d'abord l'accent sur la protection des victimes de la traite des personnes, non pas sur la collecte de renseignements permettant d'établir comment elles se sont retrouvées ici et comment nous pourrions les renvoyer chez elles.

Mme Lakeman : Permettez-moi d'abord de dire que je suis très impressionnée de vous parler, étant donné que vous connaissez bien la situation des personnes désespérées.

Je crois que le projet de loi constitue une amélioration par rapport à la situation actuelle. Je ne voudrais pas être mal comprise. Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il soit généreux. Il n'offre pas d'aide financière aux victimes, et je ne sais pas comment elles sont censées survivre sans cela. Il ne soustrait pas les victimes au contrôle des gardes frontaliers. Les gardes frontaliers ne sont pas très compatissants dans ce genre de situations. Rien ne me permet de dire que les gardes frontaliers ont pour consigne de ne pas simplement chercher à expulser ces personnes du pays.

Je m'inquiète de constater que la loi ne comporte aucun mécanisme qui nous amènerait à traiter les migrations de personnes comme une question de droits de la personne plutôt que de défense des frontières.

Par ailleurs, la GRC est pressée d'obtenir des condamnations dans les affaires pénales. Sa priorité est de détenir ces personnes comme témoins dans des affaires pénales, tandis que je m'intéresse aux droits de la personne de ceux qui sont contraints à la migration.

Ces questions me préoccupent. Le projet de loi constitue une amélioration, mais qui reste insuffisante.

Le sénateur Dallaire : Compte tenu de l'état des choses, j'estime que votre commentaire sur le désespoir est absolument juste. Les gens sont désespérés, pour toute une gamme de raisons, et s'en vont ailleurs. Dans de telles circonstances, il faut mettre en relief la dimension humaine de leur condition, tenter d'en faire l'historique et passer à autre chose.

Admettez-vous que le projet de loi tente de mettre de l'ordre dans le processus de transfert de ces gens? Je ne le dis pas de façon paternaliste. Je pense qu'il ne va pas suffisamment loin pour légaliser leur présence. Ces personnes sont transférées d'un organisme à un autre — à un organisme social, à un organisme social financé par le gouvernement fédéral, ainsi de suite — pour subvenir à leurs besoins pendant 180 jours.

J'ai le sentiment que c'est ce que tente d'accomplir le projet de loi. Toutefois, vous souhaiteriez qu'il soit beaucoup plus précis. Est-ce exact?

Mme Lakeman : Oui. Nous avons participé à une importante descente à Vancouver qui était en quelque sorte une mise à l'épreuve des permis de séjour temporaires. C'était il y a quelques mois, voire un an. Dans ce cas-là, il est devenu manifeste que les belles paroles ne riment à rien si les ONG n'ont pas la possibilité de nouer des relations humaines avec les victimes de la traite de personnes.

Dans ce cas-là, il était clair qu'il y avait une lutte de pouvoir entre les agents des services frontaliers, les policiers locaux et la police fédérale, de sorte que les ONG ont été entravées dans leurs efforts d'aider les victimes de la traite de personnes. Nous avons insisté pour dire que les victimes devaient immédiatement obtenir les services d'un avocat et avoir accès aux ONG susceptibles de les aider à subvenir à leurs besoins. Elles n'ont pas eu droit à ce soutien.

Si nous sommes perçus comme des organes de l'État et que nous sommes tenus de rendre des comptes aux policiers, ou encore de les supplier pour pouvoir avoir accès aux victimes de traite, cela ne peut pas fonctionner. Je ne vois pas dans ce projet de loi de liens explicites avec les services d'établissement, les organismes d'aide aux réfugiés, les ONG, et encore moins les organismes qui interviennent auprès des hommes ou des femmes. Dans le cas de la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle, les services différenciés selon les sexes sont essentiels.

Il faut qu'il y ait un lien avec les groupes de femmes qui militent en faveur de l'égalité et les défenseurs des droits de la personne sensibles aux différences sexuelles si nous voulons que leur intervention soit efficace.

Le sénateur Dallaire : Existe-t-il à votre connaissance un organisme d'application de la loi ou une autre instance — j'aime bien le terme « ONG » — qui offre un programme de formation aux agents appelés à intervenir non seulement dans les cas de traite de personnes, mais aussi dans les cas difficiles dont vous avez parlé?

Savez-vous si certaines institutions offrent à leurs effectifs une formation propre à inculquer des attitudes informées?

Mme Lakeman : Il y a en Colombie-Britannique un bureau qui tente de structurer la relation entre les ONG et les organismes gouvernementaux. Or, il n'a ni fonds ni pouvoir. J'ai constaté que ses efforts n'ont rien donné jusqu'à maintenant. Les agents de la GRC et des services frontaliers se sont montrés quelque peu plus réceptifs, mais pour l'instant, rien ne les encourage à coopérer avec les organisations non gouvernementales.

La même situation prévaut en ce qui a trait à la relation entre les policiers locaux et les cas locaux de violence contre les femmes. Il faut respecter davantage la relation avec les ONG que recommandent les Nations Unies. Même dans ces cas-là, la relation reste fragile.

Quand le secrétaire général des Nations Unies dit que la traite des personnes et la violence contre les femmes sont les atteintes aux droits de la personne les plus répandues à notre époque, il paraît évident que les groupes qui sont spécialisés dans la lutte contre la violence faite aux femmes sont les associations féministes qui militent en faveur de l'égalité. Il faut que les autorités soient davantage disposées à coopérer avec ces groupes. Cette collaboration ne fait pas de nous des organes de l'État. Notre indépendance doit être reconnue, mais il doit y avoir une véritable coopération et un véritable lien entre nous. Et non, il n'y a pas de groupe qui offre de véritable formation.

Le sénateur Dallaire : Je ne pense pas que le projet de loi va constituer un frein à ce genre d'initiative. Au contraire, je crois qu'il va ouvrir la porte à cela, moyennant une bonne attitude. Il n'y a pas de limites qui empêcheraient d'aller plus loin. Un ministre pourrait donc faire beaucoup avec ce projet de loi.

Je dois dire que vous présentez vos arguments très éloquemment.

La présidente : Merci, sénateur Dallaire, de vos questions. Je remercie les témoins, le temps dont nous disposions étant écoulé.

Le Sénat nous a chargés d'effectuer une étude sur la traite des personnes. Je n'ai pas le temps de lire au complet le mandat du comité, mais je suis convaincue que nous aurons l'occasion de nous reparler du problème que pose la traite des personnes, tant au Canada qu'à l'étranger, puisqu'il s'agit de l'une des principales études que nous réaliserons.

Merci de nous avoir fait part de vos commentaires sur ce projet de loi, et merci aussi du travail que vous faites au Canada.

Mme Lakeman : Merci.

La présidente : Nous accueillons maintenant Pierrette Boissé, membre du Comité d'action contre le trafic humain interne et international, et Louise Dionne, membre et animatrice. Bienvenue. Veuillez nous livrer votre exposé liminaire.

[Français]

Louise Dionne, membre et animatrice, Comité d'action contre le trafic humain interne et international : Madame la présidente, je vais présenter le CATHII dans un premier temps et Pierrette Boissé poursuivra avec nos commentaires sur le projet de loi. Le Comité d'action contre le trafic humain interne et international (CATHII) a été fondé en 2004 sur l'invitation de Rome, qui demandait aux communautés religieuses de s'impliquer vis-à-vis de la question de la traite des personnes, principalement la traite des femmes et des enfants. À la suite de cette invitation, plusieurs communautés religieuses de la province de Québec se sont réunies. Elles se sont adjoint des chercheurs, des juristes, des membres des forces policières de Montréal et des personnes des groupes communautaires.

Elles ont créé dans un premier temps une pièce de théâtre avec la troupe de théâtre populaire Parminou. La pièce Perdue dans le trafic a été diffusée à travers le Canada. Elle a été écrite en français puis traduite en anglais, et a remporté un prix en France lors d'un festival de théâtre populaire.

Nous avons ensuite participé à une recherche sur la traite sexuelle au Québec avec l'Université du Québec à Montréal. Suite à cela, nous avons mis en place des séances de sensibilisation que nous avons présentées à travers le Canada, suivies de campagnes de plaidoyer afin de sensibiliser les députés et les élus locaux à la question de la traite. Dans le cadre de ces campagnes, nous avons fait circuler une pétition que nous avons déposée auprès de Mme Jennings, l'année dernière.

Il y a eu aussi trois rencontres publiques afin de cibler les besoins des victimes de la traite. Une première rencontre en novembre 2006 a permis de réunir dans une même salle les intervenants gouvernementaux de la GRC, d'Immigration Canada et Immigration Québec et d'organisations communautaires et de chercheurs.

Cela a été suivi d'une autre rencontre, le 8 mars 2007, avec une religieuse de Rome dont la communauté avait décidé d'accueillir des femmes victimes de la traite. Elle est venue partager son expérience et expliquer comment sa communauté a décidé d'intervenir, ce qui nous a donné l'envie de faire la même chose au Québec.

Troisièmement, nous avons eu une rencontre publique avec le comité interministériel provincial qui s'intéresse à la question de la traite des femmes au Québec. Nous attendons toujours le rapport final qui devait être déposé en mars dernier.

Actuellement, nous poursuivons nos actions sur la question des clients, parce que nous croyons que pour intervenir sur la traite, il faut aussi traiter la demande. Une chercheuse collabore avec nous et publiera, l'automne prochain, une recherche sur ce sujet.

Le CATHII a une position abolitionniste. Pour nous, intervenir sur la traite des victimes c'est aussi s'attaquer à la question de la prostitution. Je pense que Pierrette Boissé pourra vous parler davantage de nos revendications et de nos commentaires.

Pierrette Boissé, membre, Comité d'action contre le trafic humain interne et international : Madame la présidente, je parlerai d'une façon aussi fidèle que possible au nom du comité que je représente. Je travaille avec un sous-comité de CATHII, en plus de travailler avec tout le groupe. Ce comité s'est intéressé aux conventions internationales et a comparé ce que les protocoles, particulièrement le protocole de Palerme, demandaient aux pays et ce que les lois canadiennes disaient. Or, vous savez comme moi que, une fois que le protocole de Palerme a été signé par le Canada, cela a pris quelque temps avant que les lois ne commencent à exister. Ce n'est que le commencement, mais ce n'est pas suffisant, et c'est ce que vous avez jugé, évidemment, puisque nous parlons du projet de loi C-218.

Je vais dire ce avec quoi je suis d'accord et, en même temps, partager avec vous mes questionnements et faire des remarques, si vous me le permettez.

Premièrement, je suis d'accord pour dire que la période de 180 jours dont on parle pour les victimes de la traite, soit étendue à trois ans, ce qu'on appelle dans le texte « le permis de résident permanent ». Je crois comprendre que le projet de loi comporte comme objectif de fournir aux victimes de la traite non pas des mesures administratives, mais des garanties qui relèvent d'une loi. Cette question me préoccupe depuis longtemps, car depuis plus de quatre ans que j'entends parler de la traite, on me dit — et je cite des personnes qui ont été en contact avec les victimes de la traite — que cela peut prendre beaucoup de temps pour qu'une personne soit réhabilitée, selon les conditions, et si on impose une limite aussi sévère que 180 jours, ce qui est quand même mieux que ce qui existait déjà, cela pourrait ne pas avoir l'effet qu'on veut.

Dans ce sens, après avoir demandé l'avis d'un nombre de personnes en dehors du comité, nous, le sous-comité des conventions internationales, pensons que, dans l'expression : « qu'un agent peut délivrer une autorisation », le terme « peut délivrer » n'est pas suffisant. Il faut que cela devienne une loi. Je veux insister là-dessus.

J'ai lu le dernier travail que vous avez fait— Internet c'est merveilleux pour apprendre des choses — et je sais que cette question à été débattue et que les gens sont très soucieux d'une certaine liberté et d'une certaine souplesse. Mon opinion sur ce point est que, entre deux bonnes choses, il me semble qu'il faut choisir la meilleure pour les victimes et que le permis de trois ans, qui mènerait à un permis permanent, semble être une meilleure solution.

La deuxième chose que je voudrais mentionner, c'est que la ligne téléphonique me paraît une urgence, et pas une ligne téléphonique qui s'adressera à la GRC. J'ai beaucoup de respect — la GRC a eu mauvaise presse récemment, comme vous le savez — pour les gens qui travaillent dans ce domaine, que j'ai rencontrés à Montréal et à Vancouver et qui sont des personnes qui veulent le bien des victimes. Mais ce sont des agents de la loi et il n'est pas certain que les victimes se sentiront à l'aise de s'adresser à elles.

Dans la même idée, je suis très préoccupée par ce qui va suivre. La victime, par exemple, appelle ce fameux numéro et une personne qualifiée lui répondra. Où va-t-elle aller? Il me semble qu'il est urgent de penser, en même temps qu'on pense à instaurer une ligne téléphonique, à un endroit et un système qui serait un système d'urgence, avant d'aller dans un endroit plus permanent où on prendra soin des personnes de façon plus adéquate et plus prolongée.

Je sais que vous avez aussi, comme moi, le problème des différents domaines de compétence et de juridiction entre le fédéral et les provinces. Je suis vraiment contente de penser que les victimes ne seront pas obligées de témoigner. Ce qu'on me dit, et là encore je fais référence à des personnes qui ont été en contact avec les victimes, c'est que, après un certain temps, quand la personne a eu le temps de se réhabiliter, quand elle sait qu'elle est parmi des gens qui lui veulent du bien, elle peut accepter de témoigner, comme elle pourrait désirer retourner dans son pays. Mais si on lui demande de le faire dans une période de temps fixe, ce ne sera pas forcément possible. Il me semble que ces deux choses sont liées. Mais que ce ne soit pas lié au témoignage de la victime, cela m'apparaît tout simplement très humain.

Pendant que je réfléchissais là-dessus, je me disais : cela ne se peut pas que le seul moyen qu'ils aient soit de demander le témoignage de la victime; il doit y avoir bien d'autres moyens qui existent.

J'ai lu l'article C-24 de la Loi modifiant le Code criminel qui apporte une autre définition des organisations criminelles et selon lequel ce serait plus facile de prouver que les personnes sont criminelles. Dans un système comme celui du Canada, prouver que les trafiquants sont des criminels ne doit pas être si difficile que cela si on veut bien se donner la peine de le faire. Excusez ma naïveté.

En ce qui concerne la campagne de sensibilisation dont il est question dans la loi S-218, pour être fidèle à ce que mes collègues ont demandé, on aimerait bien ajouter à la liste que l'on donne, à laquelle s'adresse cette campagne, la liste des clients. Le Comité d'action contre le trafic humain interne et international nous nous occupons de la loi même si nous ne sommes pas des juristes. Nous savons que nous devons nous en occuper et que nous devons en parler aux gens qui nous représentent à la Chambre des communes et au Sénat. Nous sommes aussi très axés sur le bien des personnes et des victimes, deux choses complémentaires. En ce sens, j'aimerais signaler qu'en plus de faire partie du Comité d'action contre le trafic humain interne et international, je fais aussi partie du conseil d'administration d'une organisation internationale qui lance actuellement une campagne contre la demande, car on veut que les clients soient également mis en cause. On veut changer la mentalité du monde à cet égard, un peu comme on l'a fait avec les campagnes antitabac bien que le sujet dont il est question ici soit plus sérieux.

Dans l'un des documents que j'ai lus, il était question d'avoir une loi qui ressemblerait à celle concernant les réfugiés. Les personnes qui seraient victimes ou se diraient victimes de traite pourraient demander l'asile au même titre que les réfugiés le font. Il faut toutefois une loi absolument séparée pour les victimes de la traite humaine. Leur cas est différent, et j'insiste sur ce point pour l'amour de la vérité et de ce en quoi je crois.

Le sénateur Dallaire : Bonjour mesdames, je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Cela fait plaisir d'entendre le témoignage d'un groupe du Québec. C'est tellement rare. Le pouvoir de changer les choses se trouve également au Parlement du Canada.

Vous voulez que les clients des personnes exploitées sexuellement soient tenus responsables afin qu'ils prennent conscience du fait qu'ils font partie du problème et de ce fait de sa résolution.

Mme Boissé : Tout le monde a entendu parler de la façon dont cela se passe en Suède où, contrairement au Canada, ce sont les prostituées qui contreviennent à la loi, ce sont les clients qui utilisent les services sexuels et des prostitués qui sont punis.

Le sénateur Dallaire : Ce n'est certainement pas reflété comme cela dans le projet de loi.

Mme Boissé : Je ne veux pas aller aussi loin que cela, parce que je ne suis pas une spécialiste, mais c'est pour cela que j'ai mentionné que si on faisait une campagne nationale, les clients devraient être inclus dans la liste. Autrement dit, il devrait y avoir quelque chose qui s'adresse aux clients. Il n'y a pas que cela à faire, mais ce serait au moins une première chose. Il y a déjà des choses qui se font, m'a-t-on dit, dans l'Ouest canadien, à Winnipeg, je crois, où l'on photographie les plaques d'immatriculation des voitures des hommes qui sollicitent les services sexuels. Il existe des moyens de décourager les gens.

Mme Dionne : Au Québec, un groupe dont l'objectif est de changer les mentalités par rapport à la prostitution vient de recevoir une subvention de Condition féminine Canada. Ce groupe de femmes avait contribué à une recherche sur la traite sexuelle au Québec. Elles se sont rendu compte que la demande était un des facteurs importants. Même si on intervient auprès des victimes pour les aider, on travaillera pour rien tant et aussi longtemps que des gens pourront acheter des services sexuels.

Il faut changer les mentalités de sorte que les personnes qui sollicitent les services sexuels puissent reconnaître et prendre leurs responsabilités. La violence faite aux femmes est au cœur de l'enjeu. Tous les pays qui ont légalisé la prostitution s'en sont mordu les doigts, car la traite a augmenté après sur leur territoire.

Le sénateur Dallaire : L'argument voulant qu'on oblige la divulgation à la police et celui de pouvoir rester au-delà de 180 jours se rejoignent. La personne victime de violence devrait être en mesure de recevoir aussi longtemps qu'il le faut les soins nécessaires à son rétablissement. Elle doit sentir une atmosphère de confiance régner autour d'elle afin de pouvoir aider les autorités à rechercher les trafiquants. Malheureusement, il existe très peu de solutions actuellement. Dans cette perspective, le témoignage des victimes devient un facteur très important. Ce qui manque, c'est la création d'une aura de sécurité autour de la victime. Ne croyez-vous pas que la loi tende à ouvrir cette porte et veuille au contraire donner cette impression de sécurité aux victimes ou sentez-vous que la loi est contraignante?

Mme Boissé : Si on donne le temps aux femmes d'être en confiance, elles consentiront tôt ou tard à témoigner. Ce n'est pas un élément minime. Quand je dis qu'il doit y avoir d'autres moyens, je ne veux pas minimiser le fait que le témoignage soit important. On ne peut pas demander à quelqu'un qui est traumatisé de risquer sa vie. Dans certains pays — je ne sais pas au Canada comment cela va se passer —, si quelqu'un parle un peu trop, c'est terminé.

Le sénateur Dallaire : Merci.

[Traduction]

La présidente : Comme vous le dites, il est difficile de faire témoigner une victime de la traite des personnes. Il faut du temps. Quelle autre preuve pourrait-on obtenir de la traite des personnes, si ce n'est des éléments de preuve circonstancielle démontrant que la personne accompagnait la victime et l'avait fait entrer au pays, ou quelque chose du genre? Il me semble que les poursuites contre l'auteur de la traite des personnes sont habituellement liées à la victime de cette traite.

La possibilité de poursuites au pénal nous sera-t-elle utile?

Mme Boissé : Il y a à Montréal, à Vancouver et dans différentes villes — je mentionne Vancouver parce que j'ai habité dans l'Ouest pendant quelque temps et que j'y connais des gens — des endroits où des personnes ont été sauvées. Il y a des centres d'accueil pour les réfugiés, dont le Covenant House, à Vancouver. À mon avis, ces centres ne savaient pas que les personnes qu'ils aidaient avaient été victimes de traite, puisque personne n'en parlait. Je pense que nous avons été les premiers au Canada à dénoncer la pratique et à demander que l'on agisse.

Nous pouvons peut-être parler des personnes qui sont victimes de cette traite. Je crois savoir qu'il y en a ici. Où sont- elles? Souvent, elles sont invisibles. Elles se déplacent d'un endroit à l'autre, d'une ville à l'autre. Elles ne viendront pas me voir et me dire qu'elles sont des victimes de la traite de personnes, qu'elles ont besoin de mon aide. Vous le savez sans que je vous le dise. Les choses ne se passeront pas de cette façon. Quand ces personnes sauront qu'elles peuvent obtenir de l'aide, l'information se propagera.

Comment pouvons-nous débusquer les trafiquants, c'est-à-dire les gangs, les criminels qui organisent le trafic? Cela m'échappe. Je suis prête à risquer ma vie, au besoin, pour sauver des femmes qui sont traitées comme des objets et qui subissent de terribles exactions. Je suis certaine que vous avez entendu parler de gens qui ont dénoncé la situation, comme par exemple Victor Malarek, entre autres. Nous ne serions pas ici si la situation n'était pas grave.

La présidente : Merci. Je crois que le sénateur Phalen souhaite poser une question complémentaire.

Le sénateur Phalen : Oui, qui découle de celle du sénateur Dallaire.

Lorsque j'ai rencontré divers groupes, j'ai constaté que l'une des dispositions les plus controversées du projet de loi concernait la coopération avec les forces policières. Le projet de loi dit que les victimes sont admissibles si elles se conforment ou sont prêtes à se conformer à toute demande raisonnable d'aide dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite relative à des activités de trafic de personnes. Elles sont admissibles à une autorisation de protection. Toutefois, la coopération est facultative. Ce n'est pas quelque chose qu'elles doivent faire, mais qu'elles peuvent faire.

Si j'ai gardé cette disposition, malgré toutes les objections que j'ai entendues lors des différentes réunions, c'est parce qu'il m'apparaissait presque nécessaire que la victime dénonce le coupable à la GRC, par exemple, pour que nous puissions retracer les auteurs du trafic. Si elle ne le fait pas, il est alors difficile de débusquer les auteurs du trafic. Je suis certain que la GRC nous parlera plus longuement de cela ultérieurement. Nous n'arrêtons pas un grand nombre de trafiquants. Voilà pourquoi j'ai décidé de conserver cette disposition.

J'ai tenté de l'adoucir quelque peu puisque les victimes viennent de pays où l'on a peu confiance dans les autorités policières. Lorsqu'elles viennent au Canada, elles ne font pas davantage confiance aux forces policières. Comment pouvons-nous les amener à avoir confiance? Dans ce projet de loi, nous suggérons dans un premier temps qu'elles s'adressent aux ONG et qu'elles utilisent le service téléphonique d'urgence. Les ONG les informeront de ce qui les attend, par exemple, et leur diront qu'elles auront accès aux services d'un avocat. Il y aura de l'aide juridique et d'autres soutiens. Elles leur diront de ne pas craindre la police. Ce n'est pas comme si les victimes se rendaient directement au poste de police. Elles y seront amenées graduellement. Elles pourront s'adresser à ces groupes, par exemple, aux ONG et aux employés du ministère de la Santé, qui les renseigneront. J'espère que grâce à ce projet de loi, elles s'adresseront aussi à la GRC. Voilà mon raisonnement.

La présidente : Je suis certaine qu'il y avait là une question.

Le sénateur Phalen : Non, c'est une explication.

La présidente : Je m'en souviendrai la prochaine fois. Madame Dionne, vous vouliez ajouter quelque chose?

[Français]

Mme Dionne : J'ai travaillé auprès des travailleuses domestiques dans le cadre du programme des aides familiales résidantes et souvent, le problème c'est que les autorités ne réagissent pas lorsqu'elles dénoncent les employeurs pour des cas d'abus. Il est arrivé à plusieurs occasions que l'employeur ait pu profiter des programmes pour avoir d'autres aides familiales. Le seul fait qu'une victime de la traite raconte son histoire, indépendamment de son témoignage, elle alerte qu'il y a une situation problématique. Les autorités ont déjà de l'information qui devrait leur permettre d'aller plus loin, indépendamment du témoignage de la victime.

Si on parle de traite sexuelle, souvent la victime a tellement été abusée que d'arriver, ne serait-ce qu'à se reprendre en main, peut prendre des années. Dans le cas de la traite sexuelle, les abus sont énormes, à la fois physiques, psychologiques, la personne ne se connaît plus, et parfois s'ajoutent des problèmes de toxicomanie. Ce n'est pas du même ordre — de là à espérer que ces personnes pourront collaborer après trois ans — je pense, que le projet de loi est bon pour celles qui sont déjà en contrôle d'elles-mêmes. Pour celles qui sont là depuis plus de deux ans, le projet de loi manque de force.

J'étais très heureuse de voir que c'est le secteur de la santé qui travaille en collaboration pour venir en aide aux victimes et non la Gendarmerie royale du Canada. Cela crée un climat de confiance entre les organismes communautaires et les autorités.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Quand vous avez dit que vous êtes prête à jouer votre vie, cela m'a rappelé un article fascinant publié dans une livraison récente de la revue The New Yorker. L'article de 16 pages était signé par une femme qui avait risqué sa vie en Moldavie. Il a fait le tour du monde. C'est une journalistique incroyable. J'espère que le comité pourra l'utiliser dans le cadre de son étude.

Quand les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada ont comparu devant le comité il y a quelques semaines, ils ont dit qu'un des problèmes du projet de loi S-218, c'est qu'il contient une disposition qui accorderait une « amnistie générale » à certaines victimes du trafic de personnes qui auraient pu elles-mêmes commettre des crimes graves. Ils ont expliqué que la politique actuellement en vigueur permet une analyse de l'interdiction de territoire au cas par cas.

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cette « amnistie générale » qui pourrait être accordée?

[Français]

Mme Dionne : Cela dépend de quel crime on parle pour la victime. Au Canada, quelqu'un qui est dans le réseau de la prostitution est déjà un criminel. Le Code criminel et la prostitution posent déjà un problème quant à une protection adéquate aux victimes de la traite. Je ne sais pas quel autre genre de crime il peut être question.

[Traduction]

Mme Boissé : C'est ce que je me demandais. Quand une personne est amenée au Canada sous de faux prétextes, qu'elle vit dans la contrainte et dans des conditions qui ne sont même pas humaines, de quel crime pourrait-on l'accuser?

La présidente : Permettez-moi d'intervenir. Ce n'est pas qu'elle serait accusée d'un crime parce qu'elle a été amenée au Canada, mais parce qu'un autre crime aurait été commis au Canada, par exemple, un meurtre. Devrait-elle bénéficier de l'amnistie générale pour ce crime? C'est, je crois, la question qui a été posée, si je me fie à l'explication qu'on a donnée.

Le ministère dit que, étant donné le libellé actuel du projet de loi, peu importe le crime que cette personne aurait pu commettre au Canada, elle ne pourrait en être accusée. La personne ne serait pas accusée d'être venue en tant que victime de traite, ou parce qu'elle aurait pu subir de l'intimidation, et cetera, de la part du trafiquant. Il s'agirait d'un crime qui n'aurait rien à voir avec le fait d'avoir traversé la frontière.

Mme Boissé : Quoi qu'il en soit, les lois ne suffisent pas. C'est ma première réaction. La loi à elle seule ne réglera jamais le problème.

Par ailleurs, si le cas est extrême et rare, est-ce que cela doit nous empêcher d'adopter une loi pour aider ces gens? Il y aura toujours des exceptions ou des cas extrêmes qui ne nous viennent même pas à l'esprit. Je soupçonne que la victime se tuerait elle-même avant de tuer quelqu'un d'autre. Cela s'est déjà produit.

C'est une hypothèse.

[Français]

Mme Dionne : Cela soulève la question de savoir à quel point une personne en captivité, sous l'influence de quelqu'un d'autre, victime de traite, peut être responsable d'un crime pendant qu'elle est dans cette situation. Quelle est sa marge de manœuvre de liberté si sa vie est en danger? Je ne sais pas, mais ce n'est quand même pas quelqu'un qui est libre de ses mouvements et de ses choix.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Il y a quelques semaines, les fonctionnaires nous ont donné l'impression que tout baigne dans l'huile. Ils disposent d'outils, de lignes directrices mises en place dans le cadre de la politique sur la citoyenneté et l'immigration qui sont censées aider les victimes de la traite de personnes. Vous nous dites manifestement que c'est insuffisant.

Que devrions-nous faire en plus du projet de loi S-218? Vous appuyez certains aspects de ce projet de loi. Pouvons- nous mettre en place d'autres mesures plus draconiennes?

Mme Boissé : Les personnes qui travaillent auprès des réfugiés ont déjà trop à faire. Ils ont trop peu de temps, d'effectifs, de ressources financières.

C'est ce qu'on me dit. C'est ce que m'a dit une personne qui travaille à Windsor, je crois. Elle n'est pas heureuse du sort réservé aux réfugiés. Je n'ai pas de connaissance directe de la situation.

Le problème de la traite de personnes est si grave et si répandu — il se répand de plus en plus — qu'il faudrait une formule distincte pour le régler. Si les victimes de traite sont regroupées en « vrac » avec les réfugiés — passez-moi l'expression —, elles disparaîtront. Les femmes ne seront pas protégées.

Je sais que nous ne connaissons pas le nombre exact de victimes. On vous l'a dit à plus d'une reprise. Nous savons pourquoi nous n'avons pas ces chiffres. Je ne comprends pas que l'on ne puisse obtenir ces chiffres au Canada alors que d'autres pays réussissent à le faire. Les autres pays sont peut-être plus avancés, font des estimations ou ont d'autres moyens de déterminer le nombre exact de victimes.

Nous pouvons supposer que quand 600 effeuilleuses arrivent au Canada en un an, certaines d'entre elles sont des victimes de la traite de personnes, surtout si elles viennent de la même région d'Europe.

Je n'en ai pas la preuve, mais cela me semble évident.

Quand il y a un grand événement sportif et qu'il y a tout à coup énormément de prostitution, il y a fort à parier qu'il se fait énormément de trafic de personnes. Cela m'apparaît convainquant, même si je ne n'ai pas de chiffres sur lesquels m'appuyer.

Le sénateur Munson : Quelle mesure prévoiriez-vous dans votre loi sur le trafic?

Mme Boissé : Nous avons travaillé au projet de loi à l'étude avec le sénateur Phalen, ce qui fut un réel plaisir. La mesure législative représente un outil de plus que nous n'avions pas auparavant. J'ai toujours à l'esprit la Convention de Palerme. Je suis troublée par le fait que la personne qui fait l'objet du trafic est considérée comme une victime, même si certains n'aiment pas beaucoup cette appellation, ce que je peux comprendre. Toutefois, il n'existe pas tant de termes pour parler de ces personnes. Ce qui me dérange vraiment, entre autres, c'est que le protocole ne tient pas compte du consentement aux actes sexuels.

Je sais que le trafic ne se fait pas seulement à cette fin, même s'il y est en grande partie attribuable, surtout dans le cas des femmes. Il n'y a aucune disposition à cet égard dans la loi canadienne

Par conséquent, la pauvre femme témoigne et elle finit par céder et dire qu'elle a consenti aux actes sexuels. Il y a aussi ce qu'on appelle le syndrome de Stockholm. C'est l'une des dispositions que l'on ne trouve pas dans la loi canadienne.

Je ne vais pas rédiger de loi, car ce n'est pas mon travail, mais je puis néanmoins vous dire ce qui devrait s'y trouver.

Le sénateur Munson : Nous comptons sur les témoins pour nous suggérer des ajouts et de nouvelles idées.

[Français]

Mme Dionne : J'ajouterais que la question de la prévention et de la protection des victimes au niveau des ressources est peut-être un des problèmes. Il y a des modifications concernant la Loi de la santé, mais y aura-t-il des nouvelles ressources pour que les organismes puissent leur venir en aide, ne serait-ce que pour collaborer avec les autorités? Avec les organismes communautaires, lorsqu'elles le font, elles le font souvent à leurs propres dépens pour pouvoir informer Immigration Canada qu'elles ont besoin d'un permis ou bien elles doivent chercher elles-mêmes les avocats. Il faut un projet de loi qui permettra de s'assurer que les victimes soient mieux protégées et qu'il y ait plus d'accent sur la prévention, et entre autres sur la demande, ce qui est absent.

[Traduction]

Le sénateur Phalen : Le projet de loi permet d'offrir une aide psychologique aux victimes. Croyez-vous que la victime qui signale le crime à la police en retire une certaine satisfaction, le sentiment de pouvoir tourner la page?

[Français]

Mme Dionne : Je répondrais que si elle a eu le soutien de spécialistes pour pouvoir le faire, je pense que de seulement témoigner ne suffit pas. Cela prend quand même des spécialistes, des psychologues, des psychiatres, des médecins pour que ce soit guérisseur.

[Traduction]

Mme Boissé : En Italie, sœur Bonetti, qui a travaillé auprès de femmes victimes de trafic, qui travaille encore partout en Europe et qui est même venue à Ottawa, a dit que les femmes se parlent entre elles, mais qu'elles ne révèlent peut- être jamais certaines choses, même à ceux qui les ont accueillies et qui sont prêts à les aider. Cela leur est trop douloureux et trop difficile.

C'est pour cette raison que nous avons besoin entre autres d'experts. Nous avons besoin de gens qui savent comment travailler auprès de victimes de trafic pour les aider, plutôt que de les forcer à témoigner. Il peut s'agir d'un processus de guérison, à long terme.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Mon expérience concerne les enfants soldats. On a remarqué que pour les filles prises dans cet engrenage et qui deviennent des esclaves sexuelles et des épouses de brousse, la première problématique à laquelle nous devons faire face est le fait que ces femmes sont stigmatisées par la société et que, deuxièmement, elles se sentent coupables d'avoir été violées. On remarque que dans ce contexte cela prend un à deux ans avant qu'elles puissent être stabilisées et qu'elles trouvent une façon de réintégrer la société. Nous avons donc des femmes exploitées sexuellement — et c'est un acte criminel à leur endroit — qui sont le joug des autorités pour les protéger, qui ne veulent pas nécessairement s'exprimer, et qui doivent vivre cette expérience. Pourquoi se tourner vers des ONG pour résoudre ces problèmes? Pourquoi dans la loi, au fédéral ou au provincial, n'y a-t-il pas des procédures formelles et établies pour prendre soin de ces entités? Pourquoi notre société doit-elle compter sur des ONG pour ce faire? Je ne parle pas négativement, mais je ne pense pas que ce soit la bonne façon de procéder. Ne croyez-vous pas que le projet de loi veut dire au ministre qu'il a un travail à faire et qu'il faut mettre à contribution les ressources nécessaires?

Mme Boissé : Vous savez, c'est l'histoire du Canada. Qui a fondé les écoles au Canada? Qui a fondé les hôpitaux? Qui est-ce qui s'est occupé des gens de la rue? Cela a toujours commencé par des ONG.

Le sénateur Dallaire : Ou des communautés.

Mme Boissé : C'est la même chose dans un sens. Nous sommes une ONG comme communauté. C'est comme cela que cela fonctionne parce que les fonctionnaires sont des fonctionnaires.

Je ne veux pas minimiser la valeur des personnes, mais si on a un rôle de fonctionnaire, peut-être que cela handicape le côté plus humain. C'est ce que je présume parce que je sais un peu ce que pense le sénateur Dallaire.

On dirait que c'est le chemin que les gens vont prendre parce que les ONG et les congrégations religieuses vont commencer des choses et puis éventuellement, le gouvernement va agir là où on ne peut plus agir et où les limites sont trop grandes.

Nous, c'est pour cette raison qu'on essaie de faire des représentations devant les députés des différents districts. C'est la raison pour laquelle on est si contentes qu'un sénateur propose une loi comme celle-là. Cela représente un appui extraordinaire pour ce qu'on essaie de faire parce que nous sommes de toutes petites personnes. Vous, vous êtes puissants.

Le sénateur Dallaire : Vous me direz où se situe la puissance de cela. Il est de mise que les fonctionnaires protègent l'État. Nécessairement, ils vont toujours regarder la bête noire qui essaie de profiter du système. Ne pensez-vous pas qu'en lisant ce qu'on voit ici, on recherche un ministre qui a la capacité d'influencer ses fonctionnaires et d'être plus humain et qui fournit des ressources de façon plus humaine et plus distincte plutôt que purement bureaucratique et clinique?

Avec la règle des 180 jours, des 300 jours, je crois qu'on fait les premiers pas. Peut-être qu'on ne va pas assez loin, mais au moins on commence à voguer dans cette direction.

Mme Dionne : Il faudrait que vous nous annonciez que le gouvernement va changer et qu'on va réinvestir dans le domaine de la santé. Les organismes communautaires ont pris le relais parce qu'il y a eu des compressions budgétaires au cours des 20 dernières années. Ce sont les organismes communautaires qui rencontrent les gens en première ligne.

Au Québec, on a eu l'expérience des CLSC, mais il y a eu tellement de compressions budgétaires que ce sont les organismes communautaires qui ont pris le relais. C'est la même chose pour le reste du Canada. Je donne l'exemple du Québec parce que c'est celui que je connais.

Si le vent tourne, je suis bien contente de l'apprendre.

[Traduction]

La présidente : Je remercie les témoins de leur aide. La nervosité ne les a pas empêchés de témoigner avec force et compassion.

Sénateur Dallaire, nous entendons souvent des témoins du Québec, de sorte qu'il n'y a rien là d'inhabituel. En fait, notre prochain groupe de témoins vient du Québec.

Le sénateur Dallaire : Je ne suis pas encore convaincu.

La présidente : Il ne faut pas oublier que, d'après certains témoins, les victimes de trafic hésitent parfois à avoir recours aux services de la police et de la bureaucratie, car ces victimes craignent les bureaucraties et les gouvernements, et je ne vais surtout pas me lancer dans le débat sur les compétences provinciales et fédérales. Cette discussion relève peut-être d'un autre comité, qui la tiendra plus tard. Merci d'avoir soulevé la question et merci du travail que vous faites.

Chers collègues, notre prochain témoin est Mme Jacqueline Oxman-Martinez, de l'Université de Montréal. Soyez la bienvenue, professeure. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire à nous faire, après quoi nous passerons aux questions.

Mme Jacqueline Oxman-Martinez, professeure, Université de Montréal, à titre personnel : Bonsoir. Mes observations se fondent sur dix années de recherche sur le trafic de personnes. J'ai commencé par analyser les politiques et les méthodes fédérales en réaction aux travaux du Groupe de travail sur la criminalité transnationale, devenu depuis lors le Groupe de travail interministériel sur le trafic de personnes, autrement dit le GTITP. Ces travaux ont, comme c'est toujours le cas, été suivis de publications scientifiques et non scientifiques nationales et internationales. En outre, j'ai participé au transfert de connaissances vers le secteur communautaire.

Je suis reconnaissante au Sénat d'avoir décidé de s'attaquer au dossier miné du trafic des personnes et je remercie plus particulièrement et très sincèrement le sénateur Phalen d'avoir assumé la responsabilité de protéger les personnes qui en font l'objet et d'avoir déposé le projet de loi S-218. Le grand public et certains représentants de l'État continuent de méconnaître cette forme contemporaine d'esclavage, qu'il est à peu près impossible de détecter au Canada.

Le projet de loi proposé comporte certains éléments positifs, mais aussi certaines lacunes, à mon avis. Premièrement, il reconnaît la nécessité de modifier les lois actuelles en matière d'immigration, comme l'ont recommandé le Conseil canadien pour les réfugiés, le CCR, dans divers rapports et d'autres organismes dont on vous a parlé aujourd'hui

Deuxièmement, le projet de loi accroît la protection des victimes de trafic qui vivent au Canada, et il prévoit des mesures législatives précises pour aider et protéger celles qui se trouvent au Canada sans statut juridique. Je vais éviter désormais d'employer le mot « victimes », parce que ce sont pas des objets, mais bien des maîtres de leur propre destinée, c'est-à-dire que ces personnes ont la capacité socioculturelle raisonnée d'agir, dans la plus pure tradition humaniste libérale qui présuppose l'existence de personnes autonomes qui usent de libre arbitre pour lutter contre les structures sociales et, dans le cas qui nous occupe, contre leurs oppresseurs.

La protection et la délivrance de permis ne devraient pas être limitées aux seules personnes qui coopèrent avec les autorités. Le sous-alinéa proposé 24.2(1)b)(i) dispose qu'une protection à long terme est offerte s'il existe une sérieuse possibilité que l'étranger ou un membre de sa famille subisse un préjudice quelconque. La valeur de la disposition 24.2(1)b)(ii), selon laquelle « l'étranger s'est conformé, ou est prêt à se conformer, à toute demande raisonnable d'aide dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite relative à des activités de trafic de personnes » est douteuse, puisque le terme « raisonnable » n'est pas défini dans le texte et pourrait être utilisé pour déroger à l'obligation de venir en aide. En outre, les personnes qui font l'objet d'un trafic sont menacées par les trafiquants et craignent des représailles contre elles-mêmes et leurs familles.

Parmi les mesures déjà mentionnées, le statut juridique des personnes qui ont fait l'objet de trafic est légalisé au moyen d'un permis de résidence temporaire de 108 jours qui leur donne le temps de se qualifier pour un permis de résidence de trois ans et, à plus long terme, d'obtenir parfois le statut de résident permanent. Ces deux statuts, à court et à moyen terme, donneraient à ces personnes l'accès aux services de santé et aux services sociaux dont elles ont besoin, services qui sont offerts par les provinces qui exigent l'existence d'un statut. À l'heure actuelle, les personnes qui font l'objet de trafic peuvent peut-être obtenir des services médicaux d'urgence ou des services sociaux limités par le truchement du programme fédéral de santé intérimaire. Elles n'ont pas à payer de droits pour le traitement de leur demande de permis temporaire. En outre, le projet de loi propose qu'elles aient le droit de travailler ou d'étudier au Canada, et elles n'auraient pas non plus à payer de droits à cet égard.

Le projet de loi S-218 reconnaît qu'il est nécessaire d'accorder une protection temporaire immédiate aux personnes faisant l'objet de trafic sans leur imposer un lourd fardeau de preuve. D'après la norme, il suffit qu'il existe des « motifs raisonnables de soupçonner » que la personne a fait l'objet d'un trafic. Le projet de loi propose des mesures de protection à l'intention de celles qui font peut-être l'objet d'un trafic de personnes ou qui en ont peut-être fait l'objet. Il est parfois difficile de déterminer rapidement si c'est le cas, surtout lorsque les personnes en cause n'ont pas eu la possibilité d'établir de relations de confiance avec les représentants de l'ordre. En outre, les représentants de leur pays d'origine sont parfois corrompus. L'actuelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, ne prévoit rien de précis à l'égard du trafic de personnes. La définition relève d'une réglementation souple, selon l'interprétation qu'en font les agents de Citoyenneté et Immigration Canada, CIC. L'intégration de cette définition dans la loi correspond aux méthodes visant à offrir stabilité et protection aux personnes faisant l'objet de trafic.

Troisièmement, la loi reprend et fait sienne la définition du protocole des Nations Unies pour prévenir, supprimer et punir le trafic des personnes, surtout celui des femmes et des enfants. Le projet de loi S-218 offre une définition plus complète que celle du paragraphe 118(1) de la LIPR. Parmi les dispositions transitoires, le projet de loi propose la création d'un service téléphonique d'urgence relevant du ministère de la Santé. C'est une bonne idée, car la GRC évoque un service de sécurité et de police, une association qui peut susciter de la méfiance au sein des populations à risque.

Tous les organismes publics chargés de protéger ceux qui font l'objet d'un trafic de personnes et les ONG qui s'occupent des problèmes de violence structurelle et systémique devraient être en communication horizontale et verticale constante pour agir conjointement et éviter d'éventuelles tensions. La protection de ceux qui font l'objet du trafic des personnes exige que le phénomène soit considéré du point de vue des droits de la personne plutôt que du point de vue du droit criminel d'où procèdent les deux protocoles adoptés dans le contexte de la Convention de Palerme.

Les ONG ont l'avantage d'avoir des mandats qui inspirent confiance. Néanmoins, elles sont sous-financées, surchargées de travail et leurs intervenants doivent recevoir une formation précise sur la façon de rejoindre, de protéger et de traiter les personnes qui font l'objet d'un trafic.

La présidente : Merci, professeure. Nous allons passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Croyez-vous que ce projet de loi fait un pas significatif ou n'est-ce qu'une première tentative pour responsabiliser le gouvernement envers les gens pris dans un engrenage illégal? Démontre-t-on une attitude plus humaine vis-à-vis les gens impliqués et un désir de venir à bout de cette problématique ou est-ce encore trop faible?

Mme Oxman-Martinez : C'est un grand pas, monsieur le sénateur. Je suis ravie que ce soit un grand pas. Il y a d'autres choses à faire, mais je ne peux pas douter que ce soit un grand progrès en termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Dallaire : Je reviens encore à cet article où on dit vouloir raisonnablement se conformer à la demande. N'a-t-on pas d'ONG, appuyées par le gouvernement fédéral ou même provincial, pour agir de tampon entre les autorités et/ou être un pont entre les autorités et les gens afin de leur donner le temps nécessaire d'établir cette atmosphère de confiance pour leur venir en aide? Le plan est d'essayer de limiter la problématique.

Mme Oxman-Martinez : Les ONG font un grand travail qui est en dehors de leur mandat. Il y a très peu d'ONG ayant comme mandat précis d'aider les victimes qui font l'objet de la traite. La plupart des ONG qui travaillent avec des victimes de la traite, à part CATHII et certaines à Vancouver, ou en Ontario, traitent de la problématique de la violence à l'égard des femmes. Ce type de violence, est surtout de la violence familiale. D'autres sont des ONG qui donnent de la protection aux réfugiés. Ils débordent de leur mandat. Il y a très peu d'ONG qui travaillent directement avec des victimes de la traite.

Pour éclairer un peu ces points, travailler avec des victimes de la traite et obtenir le dévoilement des événements qui se sont passés est aussi difficile que de dévoiler de l'inceste de la part d'un enfant à l'égard d'un parent. La situation de contrôle et de pouvoir, c'est tellement grand qu'il est très difficile d'obtenir ce dévoilement. C'est pour cette raison que dans ma dernière partie, j'ai dit qu'il faut que de l'entraînement soit donné aux intervenants des ONG qui travaillent auprès de victimes de la traite. Ce ne sont pas des personnes qui font l'objet de la traite, moi-même je me suis trahie. Un entraînement et une formation spécifique sont nécessaires. Ils le font volontairement, à leur façon.

Le sénateur Dallaire : Avez-vous, dans vos études, des données en ce qui a trait au trafic interne dans le pays et particulièrement des Autochtones et spécifiquement les enfants de moins de 18 ans?

Mme Oxman-Martinez : Justice Canada m'avait commandé une étude sur la traite et particulièrement, la traite domestique; celle-ci touche surtout les femmes et les enfants des Premières nations.

Nous avons travaillé avec plus de 40 ONG qui offrent des services, parmi les plusieurs autres services qu'elles offrent, que l'on appelle « hard statistics ».

[Traduction]

Nous n'avons pas de pareille statistique. Il n'y a pas de preuve statistique.

[Français]

Les seuls capables de nous donner des statistiques fiables à ce jour, c'est la gendarmerie royale, qui nous a fourni quelques données. Même nous, les chercheurs, n'avons pas d'accès facile à ces données. Actuellement, je sais que Centre canadien de la statistique juridique a entamé un processus pour pouvoir établir avec Statistique Canada une banque de données pour les personnes qui font l'objet de la traite. J'ai moi-même répondu au long questionnaire qu'ils nous ont envoyé. Il y a une progression vers l'obtention de statistiques probantes en termes quantitatifs. Mais cela ne veut pas dire que, ce qu'on ne peut pas savoir par le quantitatif, on ne peut pas le savoir par le qualitatif. Tous les témoignages que nous avons entendus sont des témoignages d'ordre qualitatif.

Les statistiques de la Gendarmerie royale du Canada nous disent qu'il y a 600 personnes victimes de la traite pour l'exploitation sexuelle; qu'il y a 800 personnes victimes de la traite pour l'exploitation pour d'autres types de commerces; et qu'il y a 1600 personnes au total, victimes de la traite, qui traversent le Canada ou pour qui le Canada est un pays de transit. Mais ce sont les seules données avec lesquelles on peut compter, mais ce n'est pas assez, on pense que ce n'est que la pointe de l'iceberg.

[Traduction]

La présidente : Puis-je vous demander de nous donner le titre du document auquel vous avez fait référence?

Mme Oxman-Martinez : Les victimes de la traite des personnes : points de vue du secteur communautaire canadien.

La présidente : Quelle en est la date de publication?

Mme Oxman-Martinez : Il a été publié en août 2005 par le ministère de la Justice.

Le sénateur Munson : Vous dites qu'il est difficile d'obtenir des données statistiques. Qu'est-ce qui fait obstacle?

Mme Oxman-Martinez : Il existe d'énormes obstacles. Les organismes communautaires qui pourraient recueillir des données statistiques ne veulent pas le faire, car elles risqueraient de compromettre ainsi la confidentialité de leurs données. La question prête à controverse.

Les chercheurs n'ont pas facilement accès aux personnes qui font l'objet de traite, sauf si les organismes communautaires sollicitent l'autorisation ou le consentement des victimes. Les chercheurs sont assujettis à une commission d'éthique, et nous devons obtenir le consentement écrit de la victime pour aborder avec elle des questions de traite des personnes.

La difficulté, c'est tout d'abord d'obtenir le consentement des organismes communautaires pour la divulgation des noms des victimes, et ensuite, d'obtenir l'autorisation de la commission d'éthique pour communiquer avec elles. Nous ne pouvons pas prendre directement contact avec elles. Nous devons le faire par l'intermédiaire d'un organisme communautaire.

Parfois aussi, les organismes communautaires reçoivent des menaces des organisateurs du trafic lorsque ceux-ci savent qu'un organisme travaille avec des victimes. C'est pire que dans le cas du trafic de drogues. On ne peut pas accéder facilement aux barons de la drogue, et c'est la même chose pour les auteurs de la traite des personnes.

Le sénateur Oliver : Ces précautions ne visent-elles pas à protéger les victimes?

Mme Oxman-Martinez : Elles visent à protéger les victimes, mais en même temps, plus on se rapproche de la vérité et sans doute des auteurs du trafic, plus on est en danger.

Le sénateur Phalen : Comment expliquez-vous que, selon la GRC, il y aurait 800 victimes de la traite des personnes, alors que les ONG évaluent ce nombre à 16 000?

Mme Oxman-Martinez : La GRC parle de cas qui ont été divulgués. Les ONG travaillent dans la confidentialité et le secret, parce que les victimes ont peur de la GRC. Lorsque la victime vient d'un pays où la corruption des fonctionnaires et des représentants de l'État est un phénomène courant, pourquoi ferait-elle confiance aux fonctionnaires canadiens? Qui peut la convaincre de leur faire confiance?

Le sénateur Phalen : Puis-je donc en conclure que le chiffre des 16 000 victimes avancé par les ONG est plus proche de la vérité?

Mme Oxman-Martinez : Sauf tout le respect dû à la GRC, les chiffres des ONG sont effectivement beaucoup plus proches de la réalité.

Le sénateur Goldstein : Veuillez excuser mon retard. J'assistais à la réunion d'un autre comité.

Je vous remercie d'être venue dialoguer avec nous et nous faire part de vos connaissances. Je m'inquiète de vous entendre dire qu'il répugne aux ONG de divulguer de l'information ou qu'elles en sont incapables. Peut-on dire que même sans divulguer de noms, de renseignements, d'adresses ou de quoi que ce soit qui puisse identifier les victimes, les ONG pourraient néanmoins renseigner les chercheurs, surtout eux, sur le nombre de victimes et la nature de ce qu'elles subissent? Comment est-on censé faire face à la situation sans ces données?

Vous avez raison de dire que le nombre cité par la GRC, soit 800 victimes, est bien inférieur à la réalité, car les gens ne veulent pas avoir affaire à la GRC. Je le comprends parfaitement. Vous avez évoqué plusieurs explications du phénomène, et il y en a d'autres. Certaines victimes sont des immigrants qui craignent d'être expulsés du Canada. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles les gens ne veulent fournir aucun renseignement.

En revanche, si les ONG ont de l'information, elles devraient la communiquer de façon à ce que les Canadiens soient informés de l'ampleur du problème.

Mme Oxman-Martinez : Une raison bien simple pour laquelle elles refusent de fournir de l'information, c'est qu'elles font parfois un travail qui ne relève pas spécifiquement de leur mandat. Elles risqueraient donc d'être sanctionnées pour avoir fait un travail qu'elles n'étaient pas tenues de faire. Ce n'est qu'une raison parmi d'autres, mais elle a déjà été invoquée.

Autre élément important lorsqu'on parle de chiffres, c'est que les données doivent être recueillies de façon normalisée pour être fiables. Si la collecte de données ne se fait pas de la même façon, on peut en venir à des conclusions différentes. C'est pourquoi CIC et Statistique Canada s'efforcent de recueillir des données sur la traite des personnes. Je pense que c'est une activité fiable, car Statistique Canada a des experts en collecte de données et personne ne doute de la fiabilité de ses données. Nous savons que ces spécialistes respectent certaines normes concernant la collecte des données et qu'ils suivent des procédures standardisées.

La présidente : Êtes-vous également prête à dire que le problème tient en partie au fait que nous venons tout juste de désigner la traite des personnes comme source de préoccupation et que nous avons donc du rattrapage à faire? Autrement dit, Statistique Canada et CIC commencent à recueillir des données parce que le domaine commence à être connu et qu'on en reconnaît l'importance critique?

Mme Oxman-Martinez : Je pense que la question fait l'objet d'un intérêt croissant, et c'est très encourageant pour les chercheurs, car les décideurs politiques sont en train de passer à l'action. On s'intéresse à tout ce qui s'est dit sur l'étendue et l'ampleur de la traite des personnes au Canada. Je suppose que c'est pour cela que Citoyenneté et Immigration Canada et Statistique Canada souhaitent recueillir des données à ce sujet.

Ces deux organismes n'en sont qu'aux premières étapes, comme le bébé qui apprend à marcher. Ils préparent actuellement une vaste consultation nationale sur le type de données qu'il faut recueillir et sur les priorités en matière de collecte de données.

La présidente : Une dernière question. Comme d'autres, vous contestez l'emploi du mot « victimes » de la traite des personnes. Par quels mots faudrait-il le remplacer?

Mme Oxman-Martinez : Par le mot « agents ».

La présidente : Agents de quoi?

Mme Oxman-Martinez : Oui, ce sont des agents qui disposent d'un libre arbitre. C'est également important par rapport aux deux protocoles : le premier concerne le trafic des personnes, et l'autre concerne la contrebande. Lorsqu'on parle de traite des personnes, on parle de victimes, mais lorsqu'on parle de contrebande, on parle de migrants clandestins et d'une menace pour les États.

D'une part, si l'on parle de victimes, on élimine les éléments d'émancipation et de résilience dont ces femmes font preuve. Elles sont résilientes parce qu'elles survivent. Nous en avons plusieurs exemples : parlons, entre autres, de Cherry Kingsley, qui a publié son récit et qui fait partie d'un organisme présent sur Internet.

Ces personnes survivent à la traite. Elles s'affichent publiquement. Il est nettement préférable de parler d'elles en termes positifs que sur un ton misérabiliste.

Voilà pourquoi je préfère parler d'agents.

Le sénateur Ringuette : Vous avez parlé brièvement de votre recherche. Je vous ai écouté attentivement, et vos commentaires m'ont plu.

Vos recherches vous ont-elles permis d'établir un lien entre le trafic de drogues, la contrebande et la traite des personnes? Y a-t-il un point de rencontre entre ces divers milieux?

Mme Oxman-Martinez : Je n'ai pas fait de recherches sur les milieux criminels ni sur la criminalisation. J'ai abordé mes travaux d'un point de vue sociologique. Il y a une grande différence entre la traite autochtone — la traite intérieure — et la traite internationale.

Les victimes de la traite des personnes à l'échelle nationale sont prêtes à quitter leur collectivité pour échapper à la pauvreté ou à l'alcool. Elles sont cependant déjà des toxicomanes. Des enfants d'à peine sept ans qui sont parmi ces victimes consomment déjà des drogues.

Par ailleurs, d'après les organismes communautaires, les victimes de la traite des personnes à l'échelle internationale arrivent au pays sans avoir jamais consommé de drogues. Elles en prennent uniquement pour arriver à supporter la vie qu'on leur fait mener. Les trafiquants les obligent parfois non seulement à consommer des drogues, mais à en vendre et à commettre d'autres types d'infractions qui finissent par faire d'elles des « criminelles ».

Le sénateur Ringuette : Vous n'avez cependant pas envisagé, dans le cadre de vos recherches, la possibilité d'une interaction entre les différents types de crimes commis, n'est-ce pas?

En marketing, on dirait qu'il y a d'abord un produit primaire, les drogues, et un produit secondaire, le trafic. Il y a ensuite les enfants. Je me trompe cependant peut-être en croyant qu'il s'agit d'un cercle vicieux.

Mme Oxman-Martinez : Vous faites allusion à une interrelation entre ces trois types de crimes. Il en existe sans doute une. Je n'ai pas de preuve qui confirme cette hypothèse, mais les cercles criminels semblent être les mêmes.

La présidente : Je vous remercie, professeure, de nous avoir présenté vos vues et les données que vous avez pu recueillir dans le cadre de vos recherches.

Toute cette information nous sera utile dans notre examen du projet de loi S-218. Comme nous comptons entreprendre une étude sur la traite des personnes, nous ferons sans doute appel à vous de nouveau. Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité ce soir.

Mme Oxman-Martinez : Je vous remercie beaucoup. Ma collaboration vous est acquise.

La présidente : Chers collègues, nous allons maintenant entendre nos derniers témoins de la soirée. Il s'agit de Mme Megan Imrie, directrice, Division de la politique horizontale et planification, Direction générale de l'exécution de la loi, Agence des services frontaliers du Canada. Nous accueillons également de la Gendarmerie royale du Canada, Mike Cabana, surintendant principal, directeur général, Intégrité des frontières, Direction des opérations fédérales et internationales.

Nous vous souhaitons la bienvenue à tous deux. Nous aimerions que vous nous expliquiez les mesures qui sont prises actuellement pour lutter contre la traite des personnes.

Nous comprenons que vous n'êtes pas ici pour nous dire si le projet de loi est bon. Nous ne vous mettrons pas dans l'embarras. Nous voudrions cependant obtenir réponse aux questions qui ont été soulevées lors de la dernière séance et qui relèvent de la GRC ou de l'Agence des services frontaliers.

Vous êtes ici pour nous expliquer la situation actuelle et pour nous dire aussi tout ce que vous aimeriez nous dire. Si vous avez des déclarations préliminaires, je vous invite maintenant à les faire.

Megan Imrie, directrice, Division de la politique horizontale et de la planification, Direction générale de l'exécution de la loi, Agence des services frontaliers du Canada : J'ai une déclaration préliminaire et je crois que vous en avez déjà reçu copie. Après l'avoir faite, je répondrai volontiers à vos questions.

C'est avec grand plaisir que je me présente devant vous aujourd'hui pour vous parler de la traite des personnes et des mesures que le gouvernement du Canada, l'ASFC plus particulièrement, prend pour en repérer et en protéger les victimes, mais aussi pour en punir les auteurs et les empêcher de faire d'autres victimes.

La traite des personnes, la TP, est un crime effroyable, qui consiste à exploiter des gens parmi les plus vulnérables en ce monde, y compris des femmes et des enfants. Par conséquent, elle constitue une priorité pour l'ASFC et pour ses partenaires. Avec ses partenaires, le Canada lutte depuis de nombreuses années contre la TP, mais comme il a beaucoup été question de ce phénomène dernièrement, les possibilités de travail en collaboration avec la communauté internationale pour trouver des solutions viables se sont multipliées.

[Français]

Pour lutter contre la traite des personnes, le gouvernement du Canada a adopté une stratégie centrée sur les victimes. Comme d'autres pays, nous nous fondons sur trois piliers, les trois « p » : protéger la victime, poursuivre le trafiquant et prévenir l'infraction. Nous y avons ajouté un quatrième « p », partenariat : Établir des partenariats au sein de nos organismes et ministères fédéraux, entre les différents organismes et ministères ainsi qu'avec des organismes non gouvernementaux et avec la communauté internationale.

[Traduction]

Dans sa lutte contre la TP, le gouvernement du Canada collabore avec ses partenaires à l'étranger comme au pays, qu'il s'agisse des provinces et des territoires ou des membres de la société civile. Pour mettre en œuvre le protocole des Nations Unies contre la traite des personnes, le Canada comme les États-Unis ont soit créé de nouvelles lois, soit modifié celles qui existaient déjà.

L'ASFC contribue à de nombreux forums internationaux sur la traite des personnes. En fait, elle a été l'un des hôtes d'une conférence intitulée « Empowering the Victim : Developments in Human Trafficking » qui s'est tenue à Washington, la semaine dernière, et à laquelle j'ai eu le plaisir d'assister. En fait, c'est moi qui ai prononcé le mot d'ouverture.

Le Canada fait également partie de l'Organisation des États américains, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, de l'ONU, du G8 et de la Conférence régionale sur les migrations, autant d'organismes qui encouragent l'échange de pratiques exemplaires et les efforts communs de lutte contre la traite des personnes.

[Français]

Pour combattre la traite de personnes, le Canada combine les interdictions prévues par la loi avec d'autres mesures. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et le Code criminel dressent le cadre législatif pour lutter contre la traite de personnes. La traite transnationale des personnes constitue une infraction de la loi depuis 2002. De même, le Code criminel contient depuis 2005 de nouvelles infractions en matière de traite de personnes.

[Traduction]

Au Canada, la protection des victimes relève autant du gouvernement fédéral que des provinces. Au niveau fédéral, la lutte contre la traite des personnes est coordonnée par le Groupe de travail interministériel sur la traite des personnes, groupe composé de 17 organismes et ministères et présidé par nos ministères de la Justice et de la Sécurité publique. Depuis sa création en 2004, le groupe peut compter sur la participation active de l'ASFC.

Les experts du palier fédéral s'y réunissent pour renforcer les interventions du Canada en élaborant des politiques gouvernementales en matière de traite des personnes, d'échange de renseignements et de coopération nationale et internationale. Le gouvernement du Canada et ses partenaires provinciaux et territoriaux luttent contre la traite des personnes en sensibilisant et en formant des responsables de l'application de la loi capables de repérer les victimes et de faire inculper les trafiquants.

Des lignes directrices ont été élaborées pour expliquer comment repérer et protéger les victimes et pour donner des conseils pratiques pour interroger les victimes. Depuis avril 2007, les nouveaux agents des services frontaliers reçoivent une formation supplémentaire qui porte sur la traite des personnes, plus particulièrement sur la façon de repérer les victimes, sur les techniques d'entrevue, sur la façon d'aborder les victimes et sur le tact.

[Français]

En 2006, le Canada a adopté des mesures visant expressément à protéger les victimes. Chaque victime a droit à un permis de résidant temporaire, ainsi elle dispose de 180 jours pour se remettre de son épreuve et réfléchir aux possibilités qui s'offrent à elle, tout en ayant accès à des services de santé et de consultation en matière de traumatismes.

[Traduction]

Repérer les victimes de la traite des personnes et les encourager à faire les premiers pas, voilà la clé pour arrêter les trafiquants. Lorsqu'elle arrive au Canada, l'éventuelle victime ne sait pas nécessairement ce qui l'attend. Ou bien, lorsqu'elle se rend compte qu'elle est exploitée, elle a trop peur du trafiquant pour demander de l'aide aux autorités. Dans les deux cas, elle niera catégoriquement être victime de traite des personnes.

Repérer les victimes peut s'avérer difficile surtout dans un bureau d'entrée, car ces personnes ne savent pas nécessairement qu'elles font l'objet d'une traite. Si un agent des services frontaliers soupçonne une personne d'être victime de la traite des personnes, il doit communiquer avec les agents régionaux du renseignement pour que cette personne soit dirigée vers la GRC, qui déterminera s'il s'agit bien d'une victime de la traite des personnes, et ensuite vers Citoyenneté et Immigration Canada, qui évaluera la possibilité de lui attribuer un permis de résident temporaire.

L'ASFC tient à continuer de collaborer avec ses partenaires dans la lutte contre la traite des personnes. L'éducation, la prise de contact et la compréhension contribueront à la capacité du gouvernement de répondre à ce problème. Encore une fois, je vous remercie de m'avoir laissé me joindre à vous aujourd'hui. Si vous avez des questions, j'y répondrai de mon mieux.

Mike Cabana, surintendant principal, directeur général, Intégrité des frontières, Direction des opérations fédérales et internationales, Gendarmerie royale du Canada : Madame la présidente et mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Je répondrai volontiers aux questions que vous me poserez sur la façon dont la GRC répond aux besoins des victimes de la traite des personnes, une fois que le cas de ces victimes nous est signalé, et l'aide que nous portons à ces victimes.

La GRC estime que toute personne recrutée par un trafiquant par l'intimidation, la force, des moyens frauduleux ou trompeurs dans le but de l'exploiter est victime de trafic de personnes.

Il se peut que la victime ait cherché à améliorer son sort, mais qu'elle ait été forcée de s'adonner à un commerce sexuel, un travail forcé ou une autre forme de servitude, voire être sujette à un trafic d'organes.

Une personne peut être victime de trafic sans franchir une frontière. Les enfants sont particulièrement vulnérables à l'exploitation étant donné leur compréhension limitée de ce qui se passe autour d'eux. Les trafiquants utilisent diverses méthodes pour garder la main mise sur leurs victimes, notamment la force, l'agression sexuelle ou des menaces de violence.

Un aspect important de ce crime concerne le degré auquel une personne devient victime. La personne est réduite à rien de plus qu'un objet, et c'est ainsi qu'elle est traitée.

[Français]

En matière de traite de personnes, le mandat de la GRC consiste à collaborer avec les organismes sociaux et gouvernementaux canadiens et à l'étranger afin de protéger et d'améliorer la qualité de la vie par l'éducation, la prévention et l'application de la loi.

[Traduction]

Pour s'acquitter de ce mandat, la GRC a établi le Centre national de coordination contre la traite des personnes, ici à Ottawa. Le centre travaille avec des entités internationales, nationales, provinciales et municipales ainsi qu'avec des organisations non gouvernementales pour élaborer des politiques, des mécanismes et des initiatives de lutte contre le trafic de personnes au Canada et à l'étranger.

Un des principaux objectifs du centre est la protection des victimes grâce à des protocoles et à des moyens de protection des témoins en collaboration avec le programme de protection des témoins sources de la GRC.

Bien souvent, au début des enquêtes portant sur le trafic de personnes, la GRC établit des contacts avec l'Agence canadienne des services frontaliers et Citoyenneté et Immigration Canada pour déterminer le statut des victimes qui se trouvent au Canada.

Ce partenariat est capital, car il permet à la GRC de poursuivre son enquête. Il offre également un mécanisme grâce auquel les victimes ont accès à diverses sources d'aide, comme un traitement médical, un counseling traumatologique et un refuge dans un milieu sûr, loin des exploitants.

Comme vous le savez sans doute, l'identification des victimes de trafic de personnes n'est pas facile. Très souvent, ces personnes sont traumatisées. Il se peut qu'elles ne parlent ni anglais, ni français ou qu'elles aient tout simplement peur de la police.

[Français]

La GRC, de concert avec ses partenaires, veille à ce que les victimes reçoivent les services qui leur sont offerts, notamment des soins de santé, un refuge d'urgence, et l'aide sociale et juridique nécessaire. En entreprenant nos enquêtes, en nous souciant de la victime, nous estimons concevoir des initiatives qui lui apportent une meilleure protection.

[Traduction]

Le Centre national de coordination contre la traite des personnes a élaboré une politique qui précise les responsabilités qui incombent aux unités divisionnaires de la GRC quand on soupçonne qu'un acte de trafic de personnes a été commis ou est en cours.

Cette politique prévoit des lignes directrices pour venir en aide aux victimes, qu'il s'agisse de citoyens canadiens ou de ressortissants étrangers. Ces lignes directrices incluent une marche à suivre, point par point, à partir de l'identification, pour veiller à ce que les droits et les intérêts de la victime sont protégés et qu'on lui vient en aide de façon efficace et appropriée au besoin.

La GRC a réalisé des progrès remarquables dans ses rapports de confiance avec les organisations non gouvernementales et les groupes confessionnels. Par exemple, en partenariat avec le ministère du Développement de la famille et de l'enfant de la Colombie-Britannique, on a formé un groupe de travail où œuvrent des représentants des services sociaux, des forces de l'ordre et d'autres ministères qui s'occupent directement du trafic de personnes.

Je vais aborder brièvement la question du trafic de personnes et des Olympiques de 2010. On s'est inquiété du fait que des groupes de criminels profiteront de l'événement pour faire entrer un grand nombre de victimes du trafic de personnes.

La GRC reconnaît qu'à l'occasion de toute manifestation d'envergure, il y aura toujours des gens qui voudront en tirer partie par des moyens illégaux. La GRC travaille en collaboration avec les autorités fédérales, provinciales et municipales, au niveau de la prévention et de la sensibilisation notamment, en donnant une formation aux intervenants de première ligne avant, pendant et après les Jeux olympiques.

La GRC travaille en collaboration avec l'Association canadienne d'échec au crime à organiser une campagne nationale de sensibilisation afin d'informer le public et les victimes éventuelles de la marche à suivre pour signaler les cas de trafic de personnes.

Par l'entremise de son groupe mixte du renseignement, la GRC continue à recueillir des renseignements sur toutes les activités criminelles entourant les Jeux olympiques de 2010, y compris la traite de personnes, et prendra toutes les mesures nécessaires et indiquées pour réprimer les activités criminelles de ces organisations. Cette approche correspond tout à fait aux efforts déployés actuellement par le Canada en vue de prévenir la traite des personnes, d'en protéger les victimes et d'en poursuivre les auteurs. Ces stratégies nous aideront à réagir de façon toute particulière à la traite des personnes lors des Jeux olympiques de 2010.

Comme dernier point, permettez-moi de répéter que l'identification et le sauvetage des victimes de la traite des personnes ainsi que la poursuite des trafiquants revêtent une importance capitale pour la GRC. Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité ici aujourd'hui et je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Munson : Merci d'être des nôtres. Les témoins qui ont pris la parole tout à l'heure et que vous avez entendus ont dit qu'il était difficile pour les victimes de s'adresser à la GRC. Un des témoins a même dit que les victimes n'étaient manifestement pas à l'aise avec les agents de la GRC.

Que pouvez-vous faire pour changer la situation ou l'attitude des victimes, quel que soit leur nombre au Canada — 800 ou 16 000? Elles se cachent et ne veulent pas vous parler, car elles fuient toute personne en uniforme. Elles avaient sans doute peur de le faire dans leur pays d'origine, et cette peur persiste, une fois au Canada.

Sans vouloir minimiser ce que vous avez dit, que pouvez-vous faire pour remédier au problème?

M. Cabana : Malheureusement, c'est une description assez juste de la réalité d'aujourd'hui. C'est aussi une des principales raisons pour lesquelles la GRC, avec ses partenaires dont l'ASFC et CIC, misent sur la campagne de sensibilisation.

Comme pour beaucoup d'initiatives lancées au Canada, la mise en œuvre prend un certain temps. La situation des victimes de la traite des personnes est extrêmement pénible, et beaucoup d'entre elles viennent de pays où les corps policiers n'inspirent pas nécessairement confiance, contrairement à ce qui se passe au Canada. Il faut donc un certain temps pour établir des relations avec elles.

Nous espérons que la campagne de sensibilisation nous permettra d'informer les éventuelles victimes des services qui sont à leur disposition. Avec le temps, au fur et à mesure que des affaires de ce genre deviendront publiques, la population et les victimes de traite comprendront qu'il y a des modalités et des lignes directrices pour leur venir en aide. J'espère qu'avec le temps, de plus en plus de victimes se feront connaître.

Le sénateur Munson : Dans son témoignage, votre collègue qui est assise à côté de moi, Mme Imrie de l'Agence des services frontaliers du Canada, a indiqué que la formation offerte depuis avril 2007 porte sur l'identification des victimes, les méthodes d'entrevue, les façons de traiter les victimes et la sensibilité à leur situation. Vos deux organisations vont-elles utiliser les mêmes techniques de formation? Est-ce que les mêmes personnes offrent une formation semblable sur la question de la sensibilité à la situation des victimes, ou s'agit-il de deux services différents?

M. Cabana : À qui s'adresse votre question, monsieur le sénateur?

Le sénateur Munson : À vous deux. Je souligne que ce nouveau programme existe depuis avril 2007. Les formateurs sont-ils les mêmes à l'ASFC et à la GRC?

Mme Imrie : La formation varie selon les besoins et les destinataires. À l'Agence des services frontaliers du Canada, nous offrons une formation liée au point d'entrée. Elle s'adresse à nos nouveaux agents de première ligne. Il s'agit d'un programme de formation de 13 semaines portant sur les fonctions d'un agent des services frontaliers. Nous y avons intégré un module sur la traite des personnes qui porte sur la façon d'aborder des victimes ou des victimes potentielles, en axant son intervention sur les besoins des victimes. Ce module va dans le sens de l'ensemble du programme de formation de nos agents.

En plus de cette formation, nos agents responsables de l'application de la loi ont accès à la formation de la GRC. Des agents plus expérimentés dans le domaine peuvent aussi participer à cet atelier. Mon collègue pourra peut-être vous fournir plus de détails.

M. Cabana : Je vais répéter ce que mon collègue vous a dit. Il existe toute une gamme d'initiatives de formation et d'intervention. Nos deux agences se sont munies de mécanismes de formation internes afin que notre personnel détienne les connaissances nécessaires. De plus, nos deux agences, en partenariat avec CIC et Condition féminine Canada ont tenu des ateliers à divers endroits du pays afin de transmettre de l'information aux autres intervenants de première ligne.

La responsabilité en matière de trafic des personnes n'incombe pas uniquement à la GRC ou à l'ASFC. Elle relève également de chaque agent responsable d'appliquer la loi au Canada. Nous organisons ainsi conjointement des séances d'information un peu partout au pays.

Le sénateur Munson : Je sais que vous ne pouvez pas nous parler du projet de loi dont nous sommes saisis, mais si quelqu'un vous proposait l'idée de créer un service téléphonique d'urgence, seriez-vous pour?

M. Cabana : Oui, nous serions pour. Je peux d'ailleurs en parler au comité. Nous aimons tellement cette idée, que nous sommes en train de la développer. Nous avons notamment reconnu le fait que les victimes peuvent hésiter ou être réticentes à appeler des agents de la paix.

Une des initiatives menées à l'heure actuelle par Échec au crime assume notamment ce rôle. Échec au crime s'est déjà doté des infrastructures nécessaires pour répondre à ces appels 24 heures par jour et sept jours par semaine. La GRC, l'AFSC et Échec au crime ont élaboré un protocole qui permettra à Échec au crime de faire une campagne de sensibilisation nationale. L'organisation fournira également un numéro 1-800 pour que les gens puissent rapporter des incidents potentiels de traite des personnes et pour que les victimes puissent s'identifier.

Le processus comprend également des protocoles à suivre lorsque la victime s'identifie. Échec au crime a des lignes directrices quant aux mesures à prendre lorsqu'une victime se présente, afin que celle-ci n'ait pas à attendre une intervention.

Le sénateur Goldstein : J'ai plusieurs questions à vous poser. D'abord, si ma mémoire est bonne, la Convention de Palerme vise à créer un regroupement volontaire d'agences nationales, en provenance du secteur des ONG et des forces de l'ordre, afin que l'on puisse lutter contre cette situation horrible. Qu'a fait le Canada pour encourager la coopération internationale? Je vois que Mme Imrie prend des notes, alors je vais poursuivre mes questions.

Ensuite, je suis préoccupé. J'ai l'impression que tout ce que Mme Imrie et l'agent Cabana nous ont dit — et je ne suis pas en train de vous critiquer parce que vous travaillez très bien avec les ressources qui sont à votre disposition — c'est qu'il n'y a pas de programme de rayonnement. Il n'existe ainsi aucun programme dans le cadre duquel, par exemple, on pourrait dire aux Autochtones qu'il y a une voix et un cœur qui est là pour écouter les problèmes auxquels ils font face dans leurs familles et qui ne leur demandera pas de s'identifier. Ce cas s'applique non seulement aux Autochtones mais à tout le monde.

Tous les jours, dans le journal, je vois des publicités pour Emploi Canada. De toute évidence, ils ont un budget pour les relations publiques qui dépasse le budget cumulatif de vos deux organisations.

Je pense que nous devrions octroyer plus d'argent pour créer des programmes de d'approche permettant aux gens d'exprimer leurs préoccupations sans avoir à s'identifier. Si les amis, la famille ou les connaissances de la victime ont accès à un tel outil, ils pourront parler de son cas et l'encourager à se manifester.

Maintenant, dites-moi combien d'individus soupçonnés de traite de personnes ou de victimes présumées de trafic — j'utilise le terme même si je sais qu'on n'est pas censé le faire — ont été arrêtés à nos frontières au cours de la dernière année? Avez-vous des données à nous fournir?

Combien de poursuites ont eu lieu? Je ne parle pas seulement des poursuites avec gain de cause. Je parle tout simplement des poursuites. Avez-vous des statistiques à ce sujet?

M. Cabana : Vous nous posez beaucoup de questions. J'aimerais d'abord vous remercier d'avoir reconnu que nos deux agences font de leur mieux pour travailler avec les ressources à leur disposition.

Je vais essayer de répondre à vos questions et je céderai peut-être ensuite la parole à ma collègue.

Nous sommes tout à fait d'accord avec vous quant à l'importance du rayonnement. En 2008, le gouvernement du Canada nous a fourni de nouveaux fonds. Si l'on considère la situation dans son ensemble, certains diront que ces montants étaient minimes. Néanmoins, il s'agit d'un début. Six millions de dollars ont été octroyés pour renforcer l'initiative visant à lutter contre l'exploitation sexuelle et le trafic des enfants.

Une partie de ces fonds ont été versés au Centre national de coordination contre l'exploitation des enfants, qui est géré par la GRC à Ottawa. Une autre partie du financement a été donnée au Centre national de coordination contre la traite des personnes. Ce centre dont j'ai parlé un peu plus tôt, a utilisé ces fonds pour créer des postes de coordonnateurs dans les régions, un peu partout au Canada. La fonction principale de ces coordonnateurs en est une de rayonnement. Ils ont pour tâche d'entamer les discussions avec les ONG et les agences municipales, provinciales ou fédérales. De plus, ils élaborent des protocoles, trouvent des solutions et travaillent dans des communautés pour les munir des renseignements nécessaires de sorte que les victimes puissent connaître les ressources disponibles.

Parlons de l'augmentation de notre rayonnement. Les ateliers menés par l'ASFC, la GRC et le CIC dans les agences d'application de la loi, comprennent des trousses d'information sur le trafic des personnes avec des affiches et des cartes d'affaires. Nous allons bientôt inclure dans ces trousses les renseignements relatifs à Échec au Crime. Elles sont laissées aux enquêteurs qui ont pour devoir de les distribuer dans des endroits opportuns.

Je laisserai le soin à Mme Imrie de vous répondre quant aux statistiques relatives au nombre de victimes potentielles interceptées aux frontières. En effet, c'est l'ASFC qui se trouve au port d'entrée du pays.

Mme Imrie : À ma connaissance, aucune victime de trafic n'a été interceptée aux frontières. D'habitude, dans les cas que je connais, ces gens se retrouvent à l'intérieur du pays et non pas aux frontières. Si vous voulez comprendre davantage le manque de statistiques, je reviendrai aux défis que nous avons soulevés quant à l'identification des victimes.

De plus, si l'on parle de trafic des personnes, l'exploitation des victimes n'a pas encore débuté lorsqu'elles traversent la frontière. C'est après leur arrivée au Canada que l'exploitation commence.

Je ne crois pas qu'il existe de statistiques sur des cas de traite de personnes ou des victimes de trafic interceptées aux frontières. Nous avons rapporté des cas de passage de clandestins, mais ce n'est pas la même chose.

L'ASFC se réjouit de l'excellente coopération dont elle peut bénéficier à l'échelle internationale pour toutes les questions touchant la migration et, plus particulièrement, la traite des personnes. Nous collaborons de près, tout comme la GRC, avec nos partenaires américains pour la protection des frontières, grâce à l'EIPF, l'Équipe intégrée de la police des frontières, qui s'occupe des cas de traite ou de passage de clandestins.

Nous collaborons également avec un réseau d'agents en intégrité des mouvements migratoires qui se trouvent à l'étranger. Ces agents expérimentés ont été formés pour travailler avec leurs partenaires et avec les compagnies aériennes pour traiter les cas de migration irrégulière, qu'il s'agisse de traite des personnes ou d'autre chose. Il existe également un réseau qui tente de contrer le flot de migration irrégulière.

Le sénateur Goldstein : Pouvez-vous me dire combien de poursuites ont eu lieu?

M. Cabana : Malheureusement, je ne pense pas pouvoir vous donner une réponse satisfaisante à ce sujet.

Le comité doit reconnaître que le trafic de personnes est un phénomène relativement récent au Canada. Même s'il en a été question durant ma longue carrière d'officier de police, c'est un phénomène assez nouveau.

Pour faire suite à l'excellent travail que vous avez réalisé, je vais vous parler de certaines des statistiques qui ont été utilisées.

Pour essayer de comprendre ce nouveau problème et d'en évaluer la portée, la GRC a mené une étude sur les enquêtes réalisées au Canada tout en tenant compte, à ce moment-là — je crois que l'étude a été faite en 2004 — qu'il n'y avait pas eu de statistiques recueillies expressément sur le trafic de personnes. Il n'existait pas de telles statistiques.

Par conséquent, la GRC a examiné d'autres enquêtes qui pouvaient comporter un élément sous-jacent lié à la traite de personnes qui, à l'époque de ces enquêtes, n'avait pu être détecté parce que nos enquêteurs n'en cherchaient pas d'indices; ce n'était pas un facteur pris en compte.

J'hésite à parler de 600 à 800 cas. Le comité devrait être prudent dans l'usage de ces chiffres compte tenu de la façon dont ils ont été obtenus. Malheureusement, il faut du temps pour compiler des statistiques crédibles.

Nous avons encore des enquêteurs de première ligne qui ne reconnaissent pas l'étendue du problème et qui ne savent pas nécessairement quels indices ils doivent rechercher. C'est cette lacune que nous essayons de combler au moyen de nos ateliers. Je puis informer le comité que nous réalisons des progrès.

Le comité connaît sans doute le cas du service policier régional de Peel, en 2006. Les enquêteurs venaient de suivre l'un de nos ateliers et étaient sans doute mieux en mesure de chercher les indices; ils avaient une meilleure capacité de détecter les cas possibles de trafic.

Actuellement, nous avons 17 cas. Vous comprendrez bien sûr que je ne peux vous donner de détails sur aucun d'eux. Cependant, 17 enquêtes sont en cours. Cela ne signifie pas qu'il s'agit de 17 dossiers de trafic de personnes. Dans certains de ces dossiers, on soupçonne qu'il y a eu traite de personnes. Dans d'autres, ces soupçons ont été confirmés dans une large mesure. Les enquêtes sont en cours.

Tout cela pour dire que nous améliorons nos méthodes au fil des ans et que nous aurons de meilleures statistiques.

Le sénateur Goldstein : Dans l'optique de vos deux services, quelles seraient les ressources humaines nécessaires pour que nous ayons une capacité optimale de mettre fin à cette terrible tragédie?

M. Cabana : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je dois malheureusement vous répondre en disant que tant que nous n'aurons pas examiné le problème de façon plus détaillée, il serait prématuré pour moi de dire ce qui serait nécessaire.

Ce dont nous avons besoin pour l'instant, c'est probablement d'une collaboration accrue entre les services policiers de tout le pays pour garantir que les agents de première ligne aient tous les compétences nécessaires pour traiter ce problème. Pour atteindre cet objectif, le seul moyen est que les services policiers, de même que les ONG, participent à cette campagne de sensibilisation.

Mme Imrie : Je répéterai la même chose. L'Agence des services frontaliers du Canada n'est pas non plus en mesure de discuter des répercussions de l'accroissement des efforts sur les ressources. Nous croyons cependant que nous pouvons faire davantage pour sensibiliser et former nos agents, ainsi que pour intensifier la collaboration. Nous prenons ces mesures et nous continuerons de le faire. Pour le reste, je ne crois pas que je puisse en dire davantage.

Le sénateur Oliver : La bonne nouvelle, madame la présidente, c'est que j'avais trois questions au début et qu'il ne m'en reste plus qu'une. Le sénateur Munson a posé ma principale question et le sénateur Goldstein a posé ma question quant au nombre de personnes arrêtées à la frontière et la réussite en matière de coopération internationale. Je ne vais donc par revenir sur ces deux sujets.

Ma question porte sur un passage de l'exposé de Mme Imrie qui se trouve à la page 4 :

En 2006, le Canada a adopté des mesures visant expressément à protéger les victimes. Chaque victime a droit à un permis de résident temporaire; ainsi, elle dispose de 180 jours pour se remettre de son épreuve et réfléchir aux possibilités qui s'offrent à elle, tout en ayant accès à des services de santé et de consultation en matière de traumatisme.

Voici une des questions qui nous a été préparée pour cette réunion : la majeure partie du projet de loi S-218 existe déjà dans une politique du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration concernant les victimes de la traite des personnes. Pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire? Deuxièmement, quelle est la différence entre ce que vous avez dit en 2006 et ce que vous dites aujourd'hui?

Mme Imrie : Je faisais référence aux mesures prises par Citoyenneté et Immigration Canada au sujet des permis de résidence temporaire. Je présentais le système que nous avons actuellement, et dans lequel les victimes de la traite auraient déjà droit à un permis de résidence temporaire. Auparavant, il venait à échéance après 120 jours, mais aujourd'hui c'est 180 jours. Pendant ce temps, les victimes peuvent réfléchir aux possibilités qui s'offrent à elles, se remettre des traumatismes subis et travailler avec nos partenaires et les ONG, entre autres. Nous faisons référence aux mesures qui ont été adoptées récemment par Citoyenneté et Immigration Canada.

Le sénateur Oliver : Avez-vous lu le projet de loi S-218?

Mme Imrie : Oui.

Le sénateur Oliver : Qu'en pensez-vous?

Mme Imrie : Je ne peux pas commenter le projet de loi. CIC est responsable de la politique sur les permis de résidence temporaire et ses représentants pourraient répondre à cette question. L'ASFC, elle, applique les lois actuelles et, le cas échéant, les lois telles qu'elles seraient amendées à l'avenir. Je ne crois pas que je puisse dire autre chose sur le projet de loi S-218.

Le sénateur Dallaire : Madame Imrie, j'aimerais vous poser une question sur la formation que vous donnez. Combien de temps faut-il pour former un agent des services frontaliers?

Mme Imrie : La formation officielle est donnée à notre centre spécialisé. Le programme dure 13 semaines et couvre tous les secteurs de nos opérations. Mais il s'agit là uniquement de la formation de base offerte aux nouvelles recrues. Les agents reçoivent ensuite une formation d'appoint ou régionale, dépendamment des besoins.

Le sénateur Dallaire : C'est ce à quoi je veux en venir. Le sujet dont nous parlons est-il abordé au cours d'un seul cours? Ou est-ce que la formation sur la traite des personnes dure un jour ou peut-être trois? Est-ce que les agents simulent des situations réelles pour mieux se préparer, ou est-ce qu'ils reçoivent une formation supplémentaire donnée ailleurs et qui durerait plusieurs semaines?

Mme Imrie : Je répète, la formation comporte plusieurs volets. Il y a un module portant sur cet aspect. Je crois que ce module dure une journée, mais je peux confirmer cela pour le comité. Le module examine les principes à suivre pour identifier une victime : il faut étudier les caractéristiques de la personne, les aspects physiques, les indicateurs révélateurs, ce que la personne dit, et cetera. Le module traite aussi notamment des protocoles relatifs à la loi et du processus à suivre.

Comme nous le disions plus tôt, nous avons également des ateliers interactifs qui présentent des cas précis. M. Cabana pourra vous en dire davantage. Au cours de ces ateliers, les agents regardent des vidéos et des représentants d'ONG sont invités à parler de cas réels. Parfois des agents de la paix suivent également ces ateliers.

Le sénateur Dallaire : Cette formation n'est pas obligatoire pour tous les agents des services frontaliers?

Mme Imrie : Pas encore.

Le sénateur Dallaire : Ces agents des services frontaliers seront-ils armés?

Mme Imrie : Cela se fait progressivement.

Le sénateur Dallaire : Chaque agent suit une formation sur la manutention des armes, et reçoit une formation annuelle d'appoint. De plus, vous allez adopter des règles et donner une formation sur la manutention sécuritaire des armes pour éviter des accidents.

Pourquoi n'accorde-t-on pas plus d'importance à un sujet comme celui-ci dans la formation? Si vous devez travailler avec d'autres agences dans un domaine aussi complexe, vous devez passer beaucoup de temps à étudier le sujet. Allez- vous améliorer vos programmes de formation à cause de cette exigence?

Mme Imrie : Je conviens tout à fait qu'on peut faire mieux et qu'on doit faire mieux. Par exemple, quand j'ai dit que les nouveaux agents reçoivent une formation obligatoire, cela inclut un module sur la traite des personnes. Cela fait partie du processus ou du programme. Mais oui, on peut en faire plus.

Par exemple, nous avons réalisé que nos agents d'exécution travaillant en sol canadien ont besoin de plus de formation sur l'identification des victimes et des partenaires avec qui on doit collaborer, et quant au moment de faire appel au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Nous allons continuer de travailler sur ces aspects en collaboration avec notre groupe de travail interministériel, et nous allons utiliser la formation actuelle comme fondation. CIC s'emploie à concevoir un CD interactif et à mettre à jour la formation donnée à tous nos agents.

Le sénateur Dallaire : Je suis sûr que vous devez couvrir d'innombrables sujets. Ce projet de loi vise l'amélioration de la formation et le renforcement des capacités, tout au moins pour ce qui relève du ministre de la Santé. Nous n'avons pas vraiment l'impression que beaucoup d'efforts seront déployés aux fins de la formation. Il faut espérer que les agents auront accès à cette formation. Nous n'avons pas l'impression que ces questions seront intégrées à la formation générale des agents.

Monsieur Cabana, vous faites partie des services de police nationaux, n'est-ce pas?

M. Cabana : Oui, sénateur.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que vous apportez votre aide à tous les autres services de police au pays relativement aux enquêtes sur la traite des personnes?

M. Cabana : Sénateur, je ne suis pas sûr d'avoir compris votre question. Je veux m'assurer de bien répondre à la question que vous avez posée. Si vous demandez si la GRC est responsable d'enquêter sur les cas de traite des personnes au Canada, la réponse est oui, absolument, cela fait partie de notre mandat. En vertu du Code criminel, c'est également la responsabilité des forces policières. De plus, c'est une responsabilité de nos partenaires au niveau municipal et provincial.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Pourquoi semble-t-il essentiel de faire le suivi avec la GRC? On a tout de même des gens supposément entraînés au niveau de l'immigration, et c'est un problème d'immigration aussi puisqu'il s'agit d'une entrée illégale. Pourquoi ne pas laisser cela entre leurs mains pour une certaine période de temps, ce qui pourrait donner l'opportunité aux gens de s'adapter?

Je crois que c'est ce que veut dire le projet de loi. Je ne crois pas que le projet de veuille dire donner l'information ou ne pas pouvoir rester.

M. Cabana : Absolument, mais la réalité d'aujourd'hui rejoint ce concept en ce sens que l'importance d'impliquer les agences d'application de la loi le plus tôt possible peut permettre à ces agences de sécuriser l'évidence qui peut potentiellement exister. Cela ne veut pas nécessairement dire que la victime doit à ce moment-là coopérer et donner son engagement à participer dans les poursuites judiciaires plus tard.

Mais il est important pour les enquêteurs et pour ces agences d'application de la loi de s'impliquer au niveau du dossier le plus tôt possible et de tenter d'établir une certaine relation avec la victime, tout en réalisant que cette relation de confiance peut prendre plusieurs mois avant d'être établie.

Le sénateur Dallaire : Le ministre de la Santé, dans le projet de loi, est mandaté pour faire beaucoup de choses de façon progressive afin d'améliorer la capacité de ces gens à non seulement survivre à leur traumatisme, mais aussi à devenir citoyen et, ultimement je pense, arrêter les trafiquants.

Est-ce que dans la philosophie ou dans la culture de la GRC, il y a une orientation significative vers une collaboration ou même une intégration avec les ONG qui ramassent les pots cassés et qui, en bout de ligne, n'ont peut- être pas mal plus de données et d'informations que vous pouvez posséder? Avez-vous un processus formel d'éducation à différents niveaux pour entrer dans ce réseau et vous y intégrer?

M. Cabana : La relation entre les agents de police, les corps policiers et les ONG existe depuis belle lurette. Cette relation est donc déjà en place. Là où les concepts ont changé un peu, c'est en relation avec la réalité du trafic d'êtres humains. Y a-t-il quelque chose de concret en place? Oui. C'est la raison pour laquelle il y a des coordonnateurs. Ces coordonnateurs, pour la majorité, ne sont pas des policiers. Ils sont en place dans les régions pour justement engager des discussions avec les ONG et les amener à la table pour développer des solutions. On réalise, en tant que corps policier, que l'expertise pour les soins aux victimes ne réside pas nécessairement au sein de notre agence. On réalise donc qu'il faut que ce soit une approche coopérative.

Le sénateur Dallaire : Cela veut dire que vous avez des civils qui travaillent pour vous et qui ont cette responsabilité d'intégration avec les ONG?

M. Cabana : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Phalen : Est-ce que nous exportons des victimes comme nous en importons? Est-ce que nous exportons qui que ce soit? J'ai entendu lors de conférences que pour d'autres pays le problème de l'exportation est tout aussi important que celui de l'importation. Est-ce que cela tiendrait également pour le Canada?

M. Cabana : Des données empiriques ne sont pas nécessairement toujours disponibles, mais je crois que le Canada sert de pays de transition. J'estime également qu'il est possible que des Canadiens soient exportés ou victimes de la traite vers l'étranger. Ma réponse est donc oui, je crois que c'est le cas au Canada.

Le sénateur Phalen : Lorsque j'ai commencé à étudier cette question il y a environ un an et demi, on disait que le marché de la traite des personnes valait environ 9,5 milliards de dollars. Mais lors de deux conférences auxquelles j'ai participé à Vienne, on parlait de 30 milliards de dollars. Quelle est l'ampleur de la traite des personnes? Auparavant, on comparait ce phénomène au trafic de la drogue et des armes. Comment se comparerait donc la traite des personnes si elle rapporte 30 milliards de dollars?

M. Cabana : Sénateur, si vous me le permettez, et je répète que je n'aime pas les statistiques, je vous soumets que ce crime est incomparable à cause de l'impact qu'il a sur les victimes et leurs communautés. Qu'importe l'ampleur du problème, nous devons nous y attaquer.

Le sénateur Phalen : J'essaie tout simplement de comprendre l'ampleur de ce crime. Qu'est-ce que cela représente? Voilà l'information que je recherche. Je crois que c'est peut-être l'une des infractions les plus importantes.

M. Cabana : Peut-être, mais j'espère que non.

Le sénateur Phalen : Vous avez indiqué avoir mis en place un service téléphonique d'urgence. Pensez-vous qu'il serait préférable que ce service soit offert par un autre ministère qui accompagnerait les gens dans le processus, plutôt que de les amener à s'adresser directement à la GRC?

M. Cabana : Pour préciser ma réponse précédente, sénateur, les appels logés à ce service téléphonique d'urgence n'arrivent pas à la GRC. Ils sont reçus par la International Crime Stoppers Association, qui n'est pas une entité de police, mais bien une organisation civile. Notre rôle est de fournir le soutien requis à Échec au crime et de les aider à développer l'expertise dont ils ont besoin pour répondre à tous les appels de façon appropriée.

Le sénateur Phalen : Quand ce service téléphonique d'urgence a-t-il été mis en place?

M. Cabana : Je ne sais pas s'il est déjà en place. Sinon, cela ne tardera pas.

La présidente : Je comprends le travail fait par les forces policières, puisque j'ai travaillé comme avocate à poursuivre et à défendre. Je sais comment vous allez tenter d'éradiquer le trafic de personnes. Vous allez étudier la loi pour savoir comment vous allez la mettre en application. Vous allez examiner vos directives.

Les témoins qui ont comparu lors de notre dernière séance n'ont pas pu répondre à la question suivante. Disons que vous êtes un agent à la frontière et quelqu'un arrive pour traverser. Avez-vous un profil à votre disposition? Avez-vous un guide pour vous mettre en garde? Si cette personne transporte des armes, il y a certaines choses que vous recherchez; par exemple, comme quelqu'un a dit, vous pouvez regarder sous les sièges d'auto.

Quelles informations ou quels documents sont donnés aux agents pour les aviser que tel ou tel cas pourrait en être un de traite de personnes, et que telle ou telle personne est peut-être l'objet d'un trafic? Je ne vous demande pas une définition, je veux savoir quels outils sont mis à la disposition des agents frontaliers pour les aider? Ont-ils un manuel que vous pourriez nous soumettre ou avez-vous une réponse à cette question?

Mme Imrie : Oui, cette question est opportune. Nous sommes en train de mettre à jour les directives sur le trafic de personnes, directives qui seront intégrées à notre manuel d'application et accessibles à tous les agents des services frontaliers. Ces directives feront référence à tous ces éléments. On y précisera, par exemple, les indicateurs à repérer pour l'identification des victimes du trafic de personnes. On expliquera aussi la marche à suivre en ce qui concerne les renvois à la CIC, le travail avec la GRC, le cas échéant, et les ONG pouvant offrir des services appropriés.

Ce manuel est en cours de mise à jour et sera disponible pour nos agents des services frontaliers. Il complète la formation actuellement dispensée, qui traite de tous ces éléments.

La présidente : Tout ce que vous pouvez nous donner sera utile.

Mme Imrie : D'accord.

La présidente : L'autre chose, c'est que nous voulons cerner la nature de ce problème du trafic de personnes. C'est effroyable.

D'un autre côté, dans le domaine des droits de la personne, je veux m'assurer que quelqu'un qui entre au pays n'est pas indument catalogué. Par exemple, nous entendons beaucoup d'histoires de jeunes femmes provenant de l'Europe de l'Est. Nous sommes souvent portés à conclure qu'elles sont l'objet du trafic parce qu'elles correspondent à un certain profil. Mais qu'en est-il des personnes qui veulent simplement entrer au pays à titre de visiteur, d'immigrant ou de réfugié? Il faut éviter le profilage abusif de ces gens. Avez-vous réfléchi à ce sujet?

Le sénateur Goldstein : C'est une excellente question.

Mme Imrie : À l'heure actuelle, nos agents des services frontaliers doivent s'occuper de tels cas tous les jours lorsque les gens arrivent à notre frontière. Ils reçoivent une formation qui leur permet de déterminer le statut d'immigrant. Ils ont les outils nécessaires pour ce qui est d'interroger les personnes, d'examiner les documents de voyage, de tenir compte de certains indices, de traiter les gens avec respect, et cetera.

Nous ne disposons pas de beaucoup de preuves à l'heure actuelle en ce qui concerne le trafic, car il n'existe pas tellement d'éléments permettant d'en établir l'ampleur. Toutefois, nous pouvons compter dans de tels cas sur des indicateurs particuliers, et ces cas seraient renvoyés à CIC sans nécessiter de tels jugements. Je ne suis pas certaine que cela réponde à vos questions.

La présidente : Merci. Si vous pouviez nous fournir de l'information, nous vous en serions reconnaissants.

D'une part, nous voulons détecter les actes criminels. D'autre part, nous voulons que les gens puissent arriver au Canada de façon légitime sans être automatiquement associés à une catégorie quelconque. Il s'agit toujours de trouver le juste équilibre et une mesure législative comme celle-ci nous donne l'occasion d'y réfléchir.

Mme Imrie : C'est exact.

La présidente : Je remercie les témoins et les sénateurs de leur patience. Il faisait froid dans la salle; nous avons essayé de corriger la situation, mais c'était malheureusement impossible.

La séance est levée.


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