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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 5 - Témoignages du 29 mai 2008


OTTAWA, le jeudi 29 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes, se réunit aujourd'hui à 9 h 4 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne examine aujourd'hui le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes.

Au Canada, nous accueillons le sénateur Lovelace Nicholas, le sénateur Poy, le sénateur Phalen, proposeur de ce projet de loi, le sénateur Dallaire et le sénateur Munson.

Je souhaite la bienvenue à nos invités qui témoigneront par vidéoconférence, à savoir, du Conseil de l'Europe, M. Hallvard Gorseth, administrateur de l'action contre la traite de la Division de l'égalité entre les femmes et les hommes et la traite des êtres humains et Mme Marta Requena, chef de division. Nous aimerions que l'un de vous, ou tous les deux, fasse un exposé préliminaire avant que nous ne passions à la période des questions.

Marta Requena, chef de division, Conseil de l'Europe, Division de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre la traite des êtres humains : Bonjour. Je donnerai un bref aperçu de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. La première chose que j'aimerais signaler, c'est que le Conseil de l'Europe estime que la traite des êtres humains constitue une violation des droits de la personne et que c'est une atteinte à la dignité et à l'intégrité de l'être humain. C'est pour cette raison et pour lutter contre cette forme moderne d'esclavage qu'en 2005 le Conseil de l'Europe a adopté un traité exhaustif. C'est le premier traité européen dans ce domaine et c'est un traité auquel peuvent également adhérer les États non membres du Conseil de l'Europe ou les États non européens. Ce traité est un traité exhaustif, dont le principal objet est, premièrement, de prévenir la traite des êtres humains, deuxièmement, de protéger les droits de la personne des victimes et, troisièmement, de poursuivre les trafiquants de personnes.

Notre perception est que le champ d'application de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains s'étendra à toutes les victimes de la traite des êtres humains, qu'il s'agisse de femmes, d'hommes ou d'enfants. Il touchera également toutes les formes d'exploitation, non seulement l'exploitation sexuelle ou le travail forcé, mais aussi d'autres formes, comme le prélèvement d'organes. En ce qui concerne ce champ d'application, il est important de souligner que la convention du Conseil de l'Europe s'applique non seulement à la traite transnationale des êtres humains, mais aussi à la traite nationale, car le trafic de personnes à l'intérieur d'un pays est possible.

J'aimerais mentionner très brièvement les principales mesures que contient notre convention. La première est la mesure de sensibilisation prévue dans le cadre de la convention. Il est très important de faire de la sensibilisation parmi les personnes les plus vulnérables à la traite des êtres humains et aussi de prendre des mesures pour décourager le consommateur, non seulement le consommateur de victimes d'exploitation sexuelle, mais aussi de victimes de travail forcé.

Deuxièmement, la convention indique que les victimes de la traite doivent être reconnues comme telles et qu'il ne faut par conséquent pas les confondre avec des immigrants illégaux ou avec des prostitués, pour éviter que la police et les pouvoirs publics les traitent comme des immigrants illégaux ou des criminels et les rapatrient dans leur pays d'origine.

La troisième mesure principale de notre convention est que la victime de la traite mérite protection. Par conséquent, on doit lui accorder de l'assistance physique et psychologique, ainsi que du soutien pour son intégration à la société. Les soins médicaux, des conseils et des informations sont parmi les mesures prévues dans la convention, mais les victimes ont également droit à une indemnisation.

Une autre mesure importante est que les victimes ont droit à un délai de rétablissement et de réadaptation d'au moins 30 jours. La convention prévoit un minimum mais nous conseillons, naturellement, à l'État concerné de prolonger ce délai si c'est nécessaire pour des raisons humanitaires ou parce que les victimes de la traite d'êtres humains coopèrent avec les autorités policières, et dans le cadre d'une enquête criminelle ayant pour objet de poursuivre les trafiquants.

Parmi les mesures pénales prévues dans la convention, il y en a une qui est très importante, à savoir que la traite des êtres humains devrait être considérée comme une infraction pénale pour que le trafiquant et ses complices soient poursuivis.

En outre, pendant la procédure pénale et la procédure judiciaire, il est très important de protéger la vie et la sécurité des victimes de la traite. La traite des êtres humains est souvent le fait de réseaux de criminels et de mafias. Ces personnes peuvent être très dangereuses et, par conséquent, les victimes ont besoin de protection tout au long de la procédure pénale.

Une autre mesure importante est la criminalisation de l'utilisation des services d'une victime de la traite d'êtres humains. En d'autres termes, ce sera une infraction pénale d'utiliser sciemment les services d'une telle victime.

Enfin, une autre mesure prévue dans la convention, pour protéger la victime, est de ne pas imposer de sanctions aux victimes pour leur participation à des activités illégales si elles y ont été forcées à titre de victimes de la traite d'êtres humains.

J'aimerais souligner que cette convention du Conseil de l'Europe renferme un mécanisme de sanction pécuniaire important et puissant. On est en train de le mettre en place et il sera entièrement fonctionnel au début de l'année prochaine. Le principe est de faire surveiller sa mise en œuvre par les parties à cette convention par des experts indépendants hautement qualifiés.

Actuellement, 17 États membres du Conseil de l'Europe ont déjà ratifié la convention et 21 États l'ont déjà signée. Nous prévoyons de nombreuses ratifications supplémentaires prochainement.

On compte charger ces experts indépendants hautement qualifiés de contrôler la mise en œuvre par les parties à la convention, notamment nos États membres, de toutes les mesures qu'elle contient. Ce mécanisme de sanction pécuniaire est appelé GRETA, qui désigne le « Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains ». L'objet est non seulement de déterminer quels pays ne font pas du bon travail ou ne mettent pas très bien en œuvre les mesures de la convention; il est en outre, dans l'esprit de coopération avec les parties à la convention, d'essayer de surmonter les éventuels obstacles à la mise en œuvre de la convention et d'apporter aux parties l'assistance technique nécessaire pour mettre en œuvre les mesures qui ne le sont pas.

Je pense que vous envisagez ou vous vous proposez de mener une campagne de sensibilisation contre la traite des êtres humains. Je me dois de signaler que le Conseil de l'Europe mène une campagne de ce type depuis plus de deux ans et qu'elle vient de se terminer, en février 2008. Plus de 41 États membres y ont participé; elle a d'ailleurs été très importante pour une sensibilisation accrue au sein des États membres et pour leur faire comprendre qu'il s'agit en l'occurrence d'atteinte aux droits de la personne et que, par conséquent, ils ont une responsabilité dans de telles circonstances. En d'autres termes, nous mettons non seulement l'accent sur les infractions pénales, mais aussi sur les violations des droits de la personne.

C'était donc un bref aperçu de la convention. Mon collègue, M. Hallvard Gorseth, vous donnera peut-être de plus amples informations sur le fonctionnement de la convention et sur les rapports qu'il pourrait y avoir entre elle et votre Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Hallvard Gorseth, administrateur, action contre la traite, Conseil de l'Europe, Division de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre la traite des êtres humains : Vous avez lu votre projet de loi. Il porte surtout sur le droit qu'ont les victimes du trafic de personnes de rester au Canada, et sur l'assistance à ces victimes.

Je dirai quelques mots au sujet des dispositions de notre convention qui correspondent à celles de votre projet de loi.

Le droit de rester dans un État membre du Conseil de l'Europe pour les victimes de la traite des êtres humains est lié à plusieurs situations : premièrement, pendant la procédure d'identification des victimes et, deuxièmement, pendant une période de rétablissement et de réflexion de la victime. Il y a ensuite la question de la délivrance d'autres permis de résident permanent.

Comme je l'ai signalé, il y a d'abord l'identification des victimes. Si une victime n'est pas correctement identifiée, elle sera probablement privée de ses droits fondamentaux. La poursuite de l'auteur de la traite perdra son principal témoin et n'aboutira probablement pas. En outre, les victimes non identifiées sont susceptibles d'être traitées comme des immigrants illégaux, des prostitués ou des travailleurs illégaux. Elles pourraient être punies pour l'activité illicite à laquelle elles ont participé et être expulsées du pays sans qu'on leur accorde de l'aide, ce qui pose ensuite un risque qu'elles soient à nouveau victimes de la traite.

L'identification d'une victime de la traite peut, naturellement, prendre un certain temps. La convention cherche à éviter que les victimes, ou les victimes potentielles, soient expulsées pendant cette période d'identification. La convention n'exige toutefois pas une certitude absolue qu'il s'agit bien d'une victime, car ça irait à l'encontre de la disposition comme telle. La convention exige qu'on ait des motifs raisonnables de croire qu'une personne a été victime. C'est suffisant pour ne pas expulser la victime, ou la victime potentielle, avant la fin du processus d'identification.

Deuxièmement, Mme Requena a fait mention du délai de rétablissement et de réflexion. Comme vous le savez probablement tous, les victimes sont souvent extrêmement vulnérables après le traumatisme qu'elles ont subi. La plupart d'entre elles se trouvent illégalement sur le territoire de l'État concerné et sont susceptibles d'être expulsées. La convention instaure par conséquent ce délai de rétablissement et de réflexion en vertu duquel les victimes ne sont pas censées être expulsées du territoire de l'État concerné tant qu'elles n'ont pas eu le temps de se rétablir ou, du moins, avant un délai de 30 jours.

Il y a ensuite la question d'un permis de séjour plus permanent. La convention précise qu'il faut délivrer un permis de séjour renouvelable aux victimes dans deux hypothèses : si leur séjour s'avère nécessaire en raison de leur situation personnelle ou s'il s'avère nécessaire pour l'enquête ou une procédure pénale.

C'est une disposition de notre convention qui fait un compromis, pour permettre aux États de choisir entre les deux options, à savoir un permis de séjour pour les besoins de la victime ou pour sa coopération avec les autorités policières ou judiciaires. Il semblerait que les deux situations soient prévues, dans votre projet de loi.

En bref, à propos du droit de rester, pendant le séjour de la victime dans le pays de destination, il est nécessaire de lui apporter de l'assistance. Il est essentiel qu'elle puisse se libérer du contrôle du trafiquant; elle vit en outre dans une grande insécurité et une grande instabilité. La convention précise qu'on donne aux victimes un niveau de vie qui permet d'assurer leur subsistance. À titre d'exemple particulièrement pertinent pour aider les victimes, la convention mentionne l'assistance psychologique et matérielle, et un hébergement convenable. À ce propos, de nombreux refuges protégés spéciaux ont été établis en Europe.

La convention prévoit en outre l'accès à des soins médicaux d'urgence pour toutes les victimes. Une aide linguistique est en outre souvent nécessaire, car les victimes ne parlent pas toujours la langue du pays dans lequel elles se trouvent.

La convention contient une disposition spéciale sur l'assistance aux enfants victimes, à savoir l'accès à l'éducation, afin d'éviter qu'ils aient des empêchements supplémentaires de mener une vie normale. Les victimes ont en outre droit à de l'assistance juridique pour s'assurer que leurs intérêts sont pris en compte tout au long de la procédure pénale.

La présidente : Pourrais-je avoir quelques éclaircissements avant de donner la parole à mes collègues? Y a-t-il une différence entre le fait d'être identifié par une victime par le biais de ce processus et être un réfugié d'un des pays qui permettent d'obtenir un permis de séjour permanent et la citoyenneté? En d'autres termes, si l'on détermine qu'on est victime de la traite et qu'on a le droit de rester et d'obtenir le permis de longue durée, peut-on aller jusqu'à demander la citoyenneté? Le processus est-il différent de celui qui est prévu pour les réfugiés ou est-ce le même?

Mme Requena : Dans les cas dont nous discutons, un être humain victime de traite transfrontalière passe illégalement la frontière. La personne n'a pas de capacité légale dans le nouveau pays. C'est une victime de la traite et la mesure de protection des victimes de la traite a pour objet de leur accorder provisoirement un statut juridique, que ce soit au début, par le biais d'un permis de séjour avec période probatoire, ou d'un permis de séjour ordinaire.

Il est possible qu'à l'avenir cette personne devienne un réfugié pour d'autres motifs. En fait, la convention du Conseil de l'Europe indique expressément ceci, à l'article 40 :

Aucune disposition de la présente Convention n'a d'incidences sur les droits, obligations et responsabilités des États et des particuliers en vertu du droit international, y compris du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme et en particulier [...] relatif au statut des réfugiés [...]

Les victimes de la traite ne sont pas des réfugiés. Il est possible qu'une victime soit un réfugié pour d'autres motifs mais, à titre de victime de la traite, cette personne n'est en principe pas un réfugié. On pourrait être victime de la traite et avoir aussi été victime de persécution politique. Cependant, à titre de victime de la traite, cette personne n'est pas considérée comme un réfugié. Les deux situations pourraient converger mais, normalement, elles ne le font pas.

Le sénateur Phalen : J'ai plusieurs questions à vous poser. Vous avez signalé que ces pays ont ratifié la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et que 21 autres pays l'ont signée mais ne l'ont pas encore ratifiée. Pourriez-vous indiquer si ces pays sont également signataires du Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes?

Mme Requena : Dix-sept États membres du Conseil de l'Europe ont ratifié la convention et, comme vous l'avez signalé, 21 l'ont signée. Ces pays ont ratifié le Protocole de Palerme, le protocole complémentaire à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale. Comme je l'ai signalé, tous ces pays sont parties au Protocole de Palerme. J'aimerais préciser qu'il n'y a pas incompatibilité entre les deux instruments, entre le Protocole de Palerme et la convention du Conseil de l'Europe. Pourquoi? Le Protocole de Palerme est, par définition, axé sur la criminalisation du trafiquant. Il s'agit d'un protocole complémentaire à l'instrument principal qui est axé sur la criminalité transfrontalière. La convention du Conseil de l'Europe a pour objet de poursuivre le trafiquant, mais l'objet principal est de protéger les droits de la personne des victimes.

Le sénateur Phalen : La convention du Conseil de l'Europe indique que les victimes ont droit à un délai minimum de 30 jours pour se rétablir et échapper à leurs trafiquants, et pour prendre une décision en ce qui concerne leur éventuelle coopération avec les autorités; elle précise en outre qu'un permis de séjour renouvelable peut être accordé aux victimes si leur séjour s'avère nécessaire en raison de leur situation personnelle ou de leur coopération dans le cadre d'une enquête pénale.

Dans le projet de loi S-218 que nous examinons — et vous l'avez probablement sous les yeux —, la coopération avec l'enquête pénale n'est qu'une des options accessibles aux victimes qui souhaitent rester dans le pays, peu importe qu'elles coopèrent à l'enquête ou non. Elles pourraient rester dans le pays et recevoir une série de prestations sociales pour les aider à se rétablir.

On nous a signalé que si le fait d'avoir la coopération avec les autorités policières et judiciaires comme option forçait les victimes à faire un choix entre l'expulsion et la coopération, cela pourrait les mettre en danger. Pourriez-vous faire des commentaires sur cette question, en vous basant sur l'expérience que vous avez acquise en Europe et avec les victimes participant aux poursuites intentées contre leurs trafiquants?

M. Gorseth : Si je comprends bien votre question, vous demandez s'il est nécessaire d'aller plus loin que la situation dans laquelle la présence de la victime est essentielle pour poursuivre les trafiquants.

La convention du Conseil de l'Europe est un instrument des droits de l'homme et, par conséquent, pendant les négociations qui ont précédé la mise en place de cette convention, on a pensé à faire intervenir les motifs humanitaires, à savoir qu'il est nécessaire que la victime reste pour que ses droits de la personne puissent être protégés. Ce n'était pas possible d'en faire une exigence absolue et, par conséquent, on a prévu deux options — et aussi une troisième qui englobe les deux possibilités, comme vous l'avez fait au Canada.

Si une victime est rapatriée, il y a, comme vous l'avez pertinemment signalé, un risque de violation de ses droits de la personne. Elle court surtout le risque d'être à nouveau victime de la traite. C'est ce qu'on a souvent constaté en Europe. Surtout avant la promotion ou la rédaction de la convention, les victimes étaient automatiquement renvoyées dans leur pays d'origine, souvent des pays d'Europe de l'Est, sans mesures d'accompagnement et elles étaient par conséquent à nouveau victimes de la traite.

Mme Requena : Dans sa convention, le Conseil de l'Europe a prévu les deux options parce qu'il y a eu un processus de négociation. Vous êtes parfaitement au courant de ce processus. Parfois, les États membres ont des opinions très différentes et les États membres du conseil de l'Europe ont refusé d'accorder ce que nous appelons des permis de séjour en invoquant seulement la disposition concernant les motifs humanitaires, à savoir au mieux des intérêts de la victime, peu importe qu'elle coopère ou non avec les autorités policières. Nous encourageons les États à adopter non seulement l'octroi de permis de séjour pour les victimes dans les cas où elles coopèrent avec les autorités policières ou judiciaires compétentes à la procédure pénale. Le principe est que nous estimons que nous ne pouvons pas utiliser la victime comme un outil pour poursuivre les auteurs de la traite, mais que nous devons aussi protéger ses droits, non seulement dans son intérêt personnel, mais aussi dans l'intérêt du pays.

Les victimes, si elles se sentent en sécurité et protégées, coopéreront probablement de façon plus efficace avec les autorités compétentes et c'est aussi dans l'intérêt supérieur du système judiciaire de poursuivre les auteurs de la traite.

À cet égard, je tiens à vous féliciter pour le projet de loi. Vous avez cette option liée à l'intérêt de la victime, pas seulement lorsqu'elle coopère. Il existe différentes possibilités, mais une d'entre elles est de délivrer un permis de séjour dans les cas où cela s'avère nécessaire pour la victime.

Le sénateur Munson : Merci de discuter avec nous d'Europe aujourd'hui. Vous avez fait des commentaires sur le projet de loi que nous examinons, et j'ai l'impression qu'il bénéficie d'un bon appui. Une disposition du projet de loi propose d'adopter la politique de résident temporaire pour une période de 180 jours qui est déjà en place et de l'intégrer à la loi.

Une autre disposition du projet de loi ajouterait les termes « autorisation de protection » de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, afin de s'assurer que les victimes de trafic aient les mêmes droits et les mêmes obligations que les autres titulaires de permis de résident temporaire.

Un autre aspect dont nous n'avons pas encore discuté est qu'on a demandé au ministre de la Santé du Canada d'établir et d'exploiter un service téléphonique d'urgence sans frais, national et multilingue, pour donner des conseils, des informations et offrir des services d'aiguillage aux victimes de trafic de personnes.

Est-ce que vous cautionneriez ces trois propositions dans ce projet de loi? Avez-vous des questions à ce sujet ou n'avez-vous aucun commentaire à faire?

Mme Requena : Si vous le voulez bien, j'aimerais poser une question sur le service téléphonique d'urgence du ministère de la Santé qui donnerait des conseils, des informations et offrirait d'autres services aux victimes.

Je suis désolée si j'ai mal interprété cette disposition du projet de loi, mais cette ligne serait-elle ouverte 24 heures par jour, sept jours par semaine?

Le sénateur Munson : Oui.

Mme Requena : Est-ce que les informations qu'on donnerait à la victime incluraient des renseignements sur des possibilités d'hébergement? La victime recevrait-elle des informations sur les refuges? Nous pensons que les lignes d'assistance sont importantes, car la plupart du temps, les victimes ne savent pas quoi faire. Elles ne savent parfois même pas dans quel pays elles se trouvent. Est-ce que la ligne d'assistance inclurait un service dans d'autres langues que l'anglais et le français?

Le sénateur Munson : Oui. Je pense que l'objet de cette disposition concernant la ligne d'urgence est d'apporter un certain réconfort aux victimes, de leur permettre de discuter avec d'autres personnes que des agents de police. Elles auraient ainsi un autre recours que les représentants de l'autorité en uniforme, et ça leur apporterait ce type de réconfort.

Certaines dispositions de ce projet de loi accorderaient une « amnistie générale » aux personnes victimes de trafic qui auraient pu commettre de graves infractions criminelles. Cette section du projet de loi a fait l'objet de quelques questions. Que pensez-vous de cette possibilité d'amnistie générale, par rapport à la politique actuelle du Canada qui permet de faire une analyse au cas par cas de toute éventuelle inadmissibilité?

Mme Requena : La convention du Conseil de l'Europe contient une disposition appelée Disposition de non-sanction, à savoir l'article 26. Le principe sur lequel repose cette disposition est de ne pas imposer des sanctions aux victimes pour avoir pris part à des activités illicites, en raison de leur situation de victimes — par exemple, une personne qui est forcée de se prostituer et qui est également forcée par l'auteur de la traite de vendre de petites quantités de drogue dans la rue.

Le but est de ne pas imposer de sanctions à cette personne. Nous en avons discuté durant les négociations sur la convention, et j'estime qu'il est très important de faire la distinction entre les deux choses. La première est la responsabilité pénale et la deuxième est la sanction.

Ça ne veut pas dire que la personne qui a commis un acte illicite ou un délit criminel n'est pas responsable sur le plan pénal. Cette personne est responsable. La responsabilité pénale est là. Ce que nous voulons éviter, c'est que des sanctions soient imposées à cette personne. Il n'est pas exclu pour autant que l'accusateur public intente des poursuites contre cette infraction. Ce que nous voulons éviter, c'est d'imposer des sanctions aux victimes.

Si l'on impose des sanctions à ces personnes, il s'agit, d'une part, de victimes qui sont exploitées et, d'autre part, elles sont pénalisées pour des actes qu'elles ont été forcées ou contraintes de commettre. Dans les codes criminels de tous les pays démocratiques du monde, lorsqu'une personne a été forcée de commettre un acte illicite, et que cette personne n'a pas pu éviter de le commettre, il ne faut pas lui imposer de sanctions. C'est cela le principe.

Il est très important de faire la différence entre les deux, car certains de nos États membres ont fait des critiques sous le prétexte qu'on ne peut pas intenter des poursuites pour un acte qui n'est pas une infraction pénale. Nous ne disons pas ça, naturellement. Nous estimons que l'on peut intenter des poursuites contre les infractions pénales, mais qu'on ne peut pas imposer de sanctions à une victime qui n'avait pas le choix.

Le sénateur Poy : Si j'étais victime de trafic et que j'identifiais le trafiquant, ma vie serait en danger. La seule chose qui est prévue, c'est qu'on offrirait un hébergement convenable à la victime.

Pouvez-vous donner des informations plus précises sur le mécanisme que contient la convention en ce qui concerne la protection des victimes, outre un hébergement convenable? Quelles autres mesures de protection sont prévues?

Mme Requena : C'est très important. Nous avons mentionné au début que nous avions mis en place différentes mesures pour la protection des victimes. L'hébergement convenable en est une. Pour la victime, la protection est naturellement, comme vous l'avez si bien signalé, très importante.

Nous avons fait allusion à la mafia. Dans un tel cas, si j'identifie le trafiquant et que je témoigne contre lui, ce n'est pas seulement ma sécurité, mais probablement aussi ma vie qui sera en danger. Il est par conséquent très important que les victimes soient protégées pendant la procédure judiciaire, depuis le début de l'enquête, pendant toute la procédure pénale, et même après.

Dans la convention, il s'agit surtout de l'article 28, mais aussi de quelques autres articles concernant la nécessité de protéger les victimes. Par exemple, quand on est une victime et que l'on témoigne contre l'auteur, le témoignage peut parfois être fait de façon à ce que ce dernier ne voie pas la victime. Il y a aussi possibilité de témoignage enregistré, et le visage de la victime est caché pour que les trafiquants ne puissent pas le voir. La voix peut en outre être altérée pour qu'on ne puisse pas la reconnaître.

Dans les cas extrêmes, il y aurait même possibilité de changement d'identité — c'est ce qui est arrivé dans les affaires contre la mafia où l'on en vient parfois jusqu'à donner une nouvelle identité à la victime. Une série de mesures sont prévues pour la protection de l'identité des victimes.

C'est très important. Il faut être conscient du fait que les mafias qui font de la traite sont parfois très dangereuses. Par conséquent, il faut prendre des mesures énergiques pour protéger les victimes. Il ne suffit pas qu'on ne puisse pas voir la victime pendant le procès. Il faut parfois prendre des mesures extrêmes pour protéger les victimes, notamment en leur donnant une nouvelle identité et en changeant complètement leur vie — en les faisant déménager dans une autre région, et cetera. C'est une autre mesure qu'on prend.

M. Gorseth : Je précise que ces mesures sont également parfois applicables aux membres de la famille des victimes, car on s'en sert souvent comme moyen de représailles pour dissuader le témoin ou la victime de témoigner.

Le sénateur Poy : Vous venez en fait de répondre à ma deuxième question, qui concernait l'identification des victimes et de leur famille. Ça pourrait devenir très complexe s'il fallait changer l'identité de toute la famille et la faire changer également de milieu de vie. Est-ce vraiment faisable?

Mme Requena : La question est importante. Il serait difficile de tout changer pour toute la famille. Normalement, quand on parle de la famille, il s'agit par exemple du fils ou de la fille de la victime ou, éventuellement, du mari, mais surtout des enfants.

Je pense que c'est effectivement possible. Il faut tenir compte du fait que c'est la troisième activité illégale en importance en termes de profits potentiels. De toute apparence, après le trafic d'armes et de drogue, c'est la troisième activité illicite la plus rentable. Par conséquent, elle génère des profits importants et nous devons également y investir beaucoup de fonds et affecter des ressources à la protection des victimes.

La famille la plus proche de la victime est également très importante. Nous avons une affaire en Europe dans le cadre de laquelle une victime de la traite a d'abord témoigné puis s'est désistée. Elle ne voulait pas que son témoignage soit maintenu, car son enfant était encore dans son pays d'origine. Si vos enfants ne sont pas protégés, vous n'accepterez, naturellement, jamais de témoigner contre le trafiquant.

Le sénateur Goldstein : Je vous remercie l'un et l'autre d'avoir accepté de participer à notre étude sur ce projet de loi.

J'ai eu la très grande chance d'être membre de la délégation canadienne au Conseil de l'Europe lorsque la question a été examinée, en comité et au sein du conseil même, et d'avoir participé à ce débat qui était d'un très haut niveau et suscitait beaucoup d'intérêt. Je suis très reconnaissant d'avoir vécu cette expérience.

La convention est entrée en vigueur au début de février 2008. Il y a eu quelques ratifications, mais relativement peu. De nombreux pays signataires n'ont pas ratifié la convention. Pourriez-vous nous aider à comprendre les raisons pour lesquelles certains des pays qui ont signé la convention ne l'ont pas encore ratifiée?

Mme Requena : Comme je l'ai signalé, nous avons 21 États signataires pour le moment. Il y a diverses raisons pour lesquelles ces pays n'ont pas encore ratifié la convention, mais il y en a deux principales. La première est probablement que nous avons des procédures internes. Vous savez très bien, probablement mieux que moi, que pour ratifier un traité international ou une convention internationale, il est d'abord essentiel de se conformer aux procédures internes du pays et d'obtenir l'autorisation. Certaines considérations financières entrent aussi généralement en ligne de compte. De toute façon, il faut probablement que le Parlement accepte la ratification de la convention. Par conséquent, la première raison pour laquelle on ne ratifie pas est qu'il faut avoir suivi toutes les procédures internes concernant la ratification d'un traité international, que ce soit celui-ci ou un autre.

Une deuxième raison pourrait être que la convention demande aux pays qui l'ont ratifiée de mettre en place une série de mesures pour protéger les victimes. Normalement, quand on signe une convention, ça veut dire qu'on a une certaine compatibilité avec la législation. Ça veut dire que la législation est compatible avec la mesure principale de la convention. Certains des États qui ont signé la convention mais ne l'ont pas encore ratifiée doivent établir, au niveau national, différentes mesures pour protéger les victimes. Il existe différents types d'hébergements et de refuges, et il faut les établir. Ça prend aussi du temps.

Jusqu'à présent, certains des 21 États membres qui ont signé la convention sans la ratifier, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Pologne, ont annoncé qu'ils le feraient très prochainement. Ils la ratifieront d'ici peu, dans le courant de l'année. L'Italie a également une législation très protectrice sur les victimes du trafic des êtres humains. En Belgique, il y a eu des élections et un nouveau gouvernement, et il faut un certain temps pour ratifier cette convention.

M. Gorseth : Sur une note optimiste, le processus de ratification a été rapide pour une convention du Conseil de l'Europe. La convention est entrée en vigueur il y a seulement un peu plus de deux ans. C'est en fait exceptionnel pour nous. Nous aimerions, naturellement, que tous les États membres la ratifient rapidement mais, jusqu'à présent, le processus s'est déroulé de façon assez rapide.

Le sénateur Goldstein : Merci pour votre réponse. J'aimerais poser une question un peu plus précise. Est-ce que certains des États qui n'ont pas encore ratifié la convention ont signalé des difficultés au sujet d'une disposition ou l'autre ou est-ce que sa non-ratification est, dans tous les cas, liée au seul fait qu'il faut suivre des procédures internes précises, comme vous l'avez indiqué?

Mme Requena : Aucun des États signataires à la convention n'a, à ma connaissance, soulevé de problèmes précis à propos d'une disposition ou l'autre de la convention. Les États signataires ont marqué leur accord de principe en signant; comme je l'ai mentionné, ce délai est probablement dû à certains problèmes de compatibilité ou au fait que ces pays rédigent de nouvelles lois.

Sur les 47 États membres, les neuf qui n'ont même pas encore signé la convention jusqu'à présent n'ont pas signalé de problèmes particuliers, mais nous n'avons peut-être pas des informations complètes. Un État membre n'a pas encore signé à cause d'un problème avec un autre pays membre du Conseil de l'Europe. Ça n'a donc aucun rapport avec la convention. Il s'agissait plutôt d'un problème bilatéral concernant tous les traités internationaux, mais le problème a maintenant été résolu. Ce pays, c'est l'Espagne, qui a d'ailleurs annoncé qu'elle signerait et ratifierait la convention. Pour autant que je sache, les États signataires n'ont aucune difficulté avec une partie précise de la convention. Ils auront peut-être des problèmes après sa mise en œuvre, mais ils n'en ont pas en principe.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci. Je vous souhaite la bienvenue. Comme nous le savons tous, le trafic pose un problème dans tous les pays. Pensez-vous qu'il soit possible d'imposer des lois plus strictes pour les personnes qui font la traite d'êtres humains à travers le monde?

Mme Requena : En ce qui concerne la question des poursuites, comme je l'ai déjà signalé, il est essentiel de criminaliser l'infraction dans le Code criminel. On ne peut pas faire de la traite des êtres humains une infraction criminelle, mais on peut poursuivre ses auteurs pour d'autres infractions criminelles prévues au Code pénal. Pour ce faire, il faut, naturellement, légiférer.

Le problème est souvent moins lié à la nécessité d'adopter des dispositions pénales plus strictes pour poursuivre la traite qu'à la mise en œuvre des dispositions existantes. D'après nos renseignements, la plupart des pays ont des lois. Le problème est lié à la mise en œuvre des lois, car la traite des êtres humains est un phénomène complexe.

Il faut d'abord identifier la victime et lui accorder des droits. Après avoir prouvé que la personne concernée a été victime de la traite, il faut essayer d'arrêter l'auteur. Nous insistons sur la protection des victimes, car on l'oublie souvent pendant la poursuite du trafiquant. C'est dans l'intérêt de toutes les parties — la victime et aussi l'État — de protéger la victime.

M. Gorseth : Notre convention contient également des dispositions plus strictes en ce qui concerne les poursuites pour transport aux fins de la traite. Elle contient des dispositions sur la coopération entre les États ayant ratifié la convention, qui accroîtraient l'efficacité de la poursuite.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Y a-t-il des victimes de la traite qui sont des sans-abri? Sinon, est-ce que toutes les personnes sont prises en compte?

M. Gorseth : Voulez-vous dire des victimes qui vivent dans la rue?

Le sénateur Lovelace Nicholas : Oui, c'est bien cela.

M. Gorseth : J'ai entendu une histoire intéressante, dernièrement, racontée par une ONG, dans laquelle il est question d'enfant victime de la traite. On constate une recrudescence de la traite d'enfants en provenance du continent africain comme esclaves domestiques. Quand ces enfants vieillissent, ils deviennent généralement inutiles comme esclaves domestiques et on les abandonne tout simplement dans les rues des grandes villes européennes. Ils sont parmi les personnes qui sont particulièrement exposées à devenir des sans-abri. Certaines ONG européennes se mettent à travailler davantage pour aider cette catégorie précise de victimes sans-abri.

Le problème de l'itinérance peut également se poser pour d'autres victimes de la traite. Quand certaines victimes arrivent à échapper à leurs trafiquants sans pouvoir obtenir un logement sûr ou recevoir de l'aide d'une ONG, leur seule option est de vivre dans la rue.

Mme Requena : Un événement terrible s'est produit il y a plusieurs années dans un de nos États membres en ce qui concerne des enfants sans-abri ou de jeunes adultes vivant dans la rue. Ils ont été capturés par des trafiquants pour être utilisés pour la récolte d'organes. On pouvait les tuer pour prélever leur cœur. Par conséquent, le trafic d'organes est également une réalité. L'enquête a permis de dévoiler tout un réseau de trafiquants qui prenaient ces enfants de la rue.

La présidente : Faites-vous allusion à une affaire dans le cadre de laquelle des organes, comme le cœur, étaient prélevés pour être utilisés à certaines fins rituelles dans certains milieux ou s'agissait-il de trafic d'organes pour les transplantations?

Mme Requena : C'était pour les transplantations d'organes. C'était manifeste, car on retrouvait les enfants morts dans la rue et il était évident qu'ils avaient été opérés par un médecin. Ce n'était pas à des fins rituelles. Comme vous le savez, le nombre d'organes disponibles pour les transplantations est parfois très restreint.

La présidente : A-t-on mis fin à cette situation dans ce pays-là en adoptant une loi ou en prenant d'autres mesures? Vous dites que ça a cessé. En êtes-vous certaine?

Mme Requena : On ne peut jamais être certain que ça a cessé. On n'est jamais certain en ce qui concerne le trafic, que ce soit pour le prélèvement d'organes ou à d'autres fins. On avait toutefois des motifs de penser que c'était une affaire de trafic d'êtres humains.

M. Gorseth : Cette affaire a soulevé, dans les pays européens, un tollé de protestations contre les autorités de l'État concerné, auquel on reprochait de ne pas avoir agi assez rapidement pour mettre un terme à ce trafic. Nous pensons que cet État a finalement pris des mesures. Nous n'en avons pratiquement plus entendu parler depuis lors.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais poser trois questions. Premièrement, quand vous identifiez des victimes, quelles mesures de contrôle avez-vous à votre disposition pour vous assurer qu'elles ne disparaissent pas? Quels moyens avez- vous à votre disposition pour maintenir un contrôle sur elles, en attendant que des décisions soient prises au sujet de leur avenir?

Deuxièmement, à quelle échelle se pratique la traite interne, surtout celle des femmes et des filles, et celle des femmes et des filles en provenance de l'extérieur des États membres de l'Union européenne?

Troisièmement, dois-je comprendre que même si une victime coopère dans le cadre d'une enquête, elle n'a finalement absolument aucune possibilité de devenir un citoyen reçu et qu'elle pourrait être renvoyée dans son pays d'origine? La politique est-elle la même pour les personnes en provenance de l'Union européenne que pour celles venant de l'extérieur?

Mme Requena : En ce qui concerne votre première question, qui porte sur les mesures de contrôle, si nous prenons soin de la victime en attendant qu'une décision soit prise au sujet de son avenir, on lui donne un appui considérable dès l'instant où elle échappe aux trafiquants. On lui fournira un hébergement convenable, avec de l'assistance médicale et on lui donnera des conseils. Ces personnes sont en outre protégées pendant la procédure.

Après ça, on fera une réévaluation de la victime en ce qui concerne son retour dans son pays d'origine. Même si la victime aimerait retourner dans son pays, nous devons faire une évaluation des risques afin d'éviter la possibilité qu'elle tombe à nouveau dans le piège des trafiquants. C'est ce qui se passe souvent, et c'est très important. Dans le cadre du programme de rapatriement, il est important de faire un suivi de la victime. Sinon, elle se retrouvera prise à nouveau dans le réseau des trafiquants.

M. Gorseth : J'aimerais faire un autre commentaire. À propos d'hébergement convenable et de refuges pour les victimes, ce qu'on entend notamment dire au sujet de la mise en œuvre de la convention dans certains États, c'est que les autorités ont en fait recours aux prisons. Les victimes peuvent, naturellement, être en sécurité dans les prisons, mais il ne faut pas qu'elles soient traitées comme des criminels. Elles ne devraient pas être dans des prisons. Cette option a pour but de s'assurer que les victimes ne disparaissent pas en les plaçant dans une prison, ce qui va à l'encontre de la convention. Un refuge sera une étape vers la réintégration sociale des victimes sous une forme ou sous une autre.

Le sénateur Dallaire : Avant que vous ne répondiez à la question suivante, j'aimerais absolument savoir combien de victimes vous n'arrivez plus à retrouver; comment une personne peut-elle disparaître dans la société, se trouver un emploi comme plongeur, ou un autre emploi, et qu'on n'entende plus jamais parler d'elle?

Mme Requena : Je ne peux pas vraiment vous le dire, car ça dépend des différents États et des différentes mesures qui ont été prises. Si vous perdez la trace des victimes parce qu'elles ont été vraiment intégrées à la société, je trouve que c'est parfait. Le but est d'assurer une certaine protection, mais aussi d'aider les victimes à se réintégrer à la société. L'objectif final est, dans toute la mesure du possible, la réintégration de la victime à la société. Si les victimes deviennent serveurs ou plongeurs, comme vous le dites, ou font un autre métier, c'est le but principal de l'intervention.

En ce qui concerne le nombre de victimes, comme je l'ai précisé, il est différent d'un pays à l'autre, mais j'ai l'impression que le pourcentage des victimes de la traite qui retombent dans les filets des trafiquants est malheureusement élevé. Par exemple, lorsque les victimes rentrent dans leur pays d'origine, elles ne sont protégées par aucun programme. Elles rentrent dans leur pays d'origine et sont souvent rejetées par leur communauté ou par leur famille.

Vous pouvez imaginer comment ça se passe dans un petit village où une personne rentre, quand tout le village sait que c'était une prostituée à Londres, par exemple. Ce qui arrive souvent, c'est qu'elle est ostracisée par tout le village. La victime essaie d'échapper à ce type de situation et, par conséquent, elle retombe très facilement dans les filets du trafiquant.

Je n'ai pas de réponse à votre question. Je ne peux pas mentionner un nombre, car nous n'avons pas de nombre total pour l'Europe; ça dépend des pays. Un pourcentage élevé des victimes retombent malheureusement dans les filets des trafiquants, et ceux-ci profitent de ces situations.

La deuxième question concerne, si je l'ai bien comprise, l'échelle à laquelle se pratique la traite, surtout des femmes et des filles, venant non seulement de l'Europe, mais aussi de l'extérieur. C'est du trafic illégal. Par conséquent, nous n'avons pas de statistiques fiables. Nous pouvons seulement faire des présomptions sur la situation, sur la base de certaines données que nous avons.

Par exemple, d'après l'Organisation internationale du travail, en 2005, il y avait 2,5 millions de personnes victimes de la traite à l'échelle mondiale. Cette organisation a indiqué que 43 p. 100 de ces personnes étaient victimes d'exploitation sexuelle et 32 p. 100 étaient utilisées pour le travail forcé.

Vous avez demandé combien ça représentait de femmes et de filles. Le pourcentage qu'elles représentent est apparemment élevé; il oscille autour de 60 et 70 p. 100, selon les pays. Il est vrai que les femmes et les filles sont victimes de la traite surtout pour l'exploitation sexuelle. En outre, on les utilise pour ce que l'on appelle l'esclavage domestique, autrement dit pour travailler comme domestiques.

J'aimerais toutefois signaler que nous recevons de plus en plus d'informations concernant des hommes utilisés comme esclaves pour l'exploitation économique et le travail forcé. Surtout dans la culture africaine, le nombre de jeunes hommes victimes de trafic augmente. Par conséquent, pour répondre brièvement, le nombre de victimes est en l'occurrence très élevé. On dit parfois qu'à l'échelle de l'Europe, cela représenterait plus de 700 000 personnes. Comme je l'ai toutefois signalé, l'étude la plus fiable est celle de 2005 faite par l'Organisation internationale du travail, qui indique que 2,5 millions de personnes sont victimes de la traite à l'échelle mondiale.

Votre troisième question était la suivante : « Est-ce qu'une victime de la traite peut devenir un citoyen, un ressortissant du pays où elle a été exploitée? ». Comme je l'ai mentionné au début de la séance, un aspect important de la réintégration d'une victime est, naturellement, d'acquérir la nationalité du pays où elle vit et travaille. Nous serions heureux si nous pouvions en arriver à ce que les victimes deviennent des ressortissants du pays de destination, celui dans lequel elles ont été exploitées. C'est le but — c'est de réintégrer ces personnes à la société.

Le sénateur Phalen : Votre site web contient un article concernant une étude sur les méthodes utilisées par les auteurs de la traite pour recruter leurs victimes par Internet et sur les méthodes de lutte contre ces façons de procéder. Pouvez- vous donner un aperçu des constatations qui ont été faites dans le cadre de cette étude et indiquer dans quelle mesure les pays réussissent à lutter contre cette méthode de recrutement?

Mme Requena : En ce qui concerne les victimes d'exploitation sexuelle, nous savons qu'un grand nombre d'entre elles sont recrutées en personne. Cependant, grâce aux nouvelles technologies actuelles et à l'accès général à Internet, nous devons surveiller le recrutement par ces méthodes.

Il y a plusieurs cas. Il y a ce qu'on appelle des agences de mariage. Si on cherche un mari ou une femme, on peut visiter certains sites Internet qui ne sont en fait qu'une façade pour acheter les services d'une personne. On peut choisir une personne qui deviendra votre victime sexuelle et sera aussi exploitée comme esclave domestique.

Les agences matrimoniales ne sont qu'un cas. Les forums de discussion sont un autre exemple. Ils sont différents surtout parce que les enfants sont visés également dans ces sites Internet. Ils font du clavardage en ligne; les enfants et les jeunes adultes utilisent très souvent ces sites.

Le but de l'étude est d'avertir les gens qu'il existe de nouvelles méthodes de recrutement de victimes pour la traite des êtres humains. Ces méthodes sont basées sur Internet. Il est très difficile de connaître l'origine de ces sites web. C'est très complexe de les faire fermer et de rester à jour sur les méthodes utilisées par les trafiquants. Par conséquent, le but de cette étude est d'avertir les gens et de les mettre au courant avant tout des outils utilisés par les trafiquants pour qu'ils les repèrent, et aussi d'avertir l'État qu'il doit adopter des dispositions législatives visant spécifiquement ce type de recrutement de victimes de la traite.

La présidente : Je remercie nos témoins d'avoir accepté de partager leurs connaissances spécialisées. Quand nous avons examiné ce qui se passait au-delà de nos frontières pour établir des comparaisons, le Conseil de l'Europe, et en particulier votre division, sont sortis instantanément du lot.

Étant donné vos compétences en la matière, nous vous remercions d'avoir participé à cette discussion ce matin — c'est plutôt l'après-midi chez vous. Nous aurons certainement encore d'autres questions à vous poser en poursuivant notre étude de ce projet de loi et de toute la question du trafic de personnes. Nous nous réjouissons de collaborer avec vous et vous remercions pour les connaissances spécialisées dont vous nous avez fait profiter aujourd'hui.

La séance est levée.


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