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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 13 - Témoignages du 26 octobre 2009 - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 26 octobre 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 14 h 06, pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne est ici aujourd'hui pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées.

Nous entendrons aujourd'hui des témoins de Statistique Canada. Mme Lynn Barr-Telford est la directrice du Centre canadien de la statistique juridique. M. Craig Grimes est le chef d'unité du Centre canadien de la statistique juridique. Mme Mia Dauvergne est l'analyste principale du Programme des services policiers du Centre canadien de la statistique juridique. Je me souviens lorsque ce centre a été créé. Il a fait beaucoup de chemin depuis.

Je vous souhaite la bienvenue ici cet après-midi. Nous examinons plus particulièrement l'ampleur et la question de l'exploitation sexuelle. Nous savons à quel point il est difficile d'obtenir des preuves concrètes. Nous entendons des anecdotes. Nous vous avons demandé de venir pour nous aider à tenter de définir l'ampleur de l'exploitation sexuelle au Canada puisque vous êtes en mesure de le faire et de déterminer quels groupes, s'il y a lieu, sont particulièrement touchés. Je sais que vous avez un exposé. Je vous demanderais de commencer et nous poserons ensuite des questions.

Lynn Barr-Telford, directrice, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : J'invite le comité à suivre l'exposé.

La présidente : Membres du comité, veuillez noter que nous avons un document contenant des graphiques et des statistiques auxquels nous ferons référence.

Mme Barr-Telford : Je remercie le comité de me permettre de présenter la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Dans notre exposé, nous donnons des données sur l'étendue et la nature des infractions sexuelles contre les enfants du point de vue du système de justice. Le Centre canadien de la statistique juridique recueille des données sur les infractions sexuelles contre les enfants qui sont portées à l'attention de la police et des données sur la façon dont les tribunaux de la jeunesse et les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes traitent les causes d'infractions sexuelles contre les enfants.

Dès le départ, il est important de faire quelques observations. Premièrement, les données que nous présentons nous renseignent seulement sur les infractions portées à l'attention du système de justice par la police et dans les tribunaux.

Deuxièmement, les infractions sexuelles contre les enfants ne sont pas toutes portées à l'attention des organismes d'application de la loi. Par exemple, d'après l'enquête que nous menons tous les cinq ans auprès des Canadiens âgés de plus de 15 ans pour connaître leurs expériences de victimisation, les agressions sexuelles ne sont souvent pas signalées. Toujours selon cette enquête, plus de 8 agressions sexuelles sur 10 contre des personnes âgées entre 15 et 17 ans n'ont jamais été signalées à la police. L'enquête sur la victimisation ne nous donne pas l'information sur les expériences des jeunes de moins de 15 ans. Toutefois, il est normal de s'attendre à ce que le taux de signalisation des infractions sexuelles contre des enfants plus jeunes soit également faible. Cela signifie que l'information que nous présenterons sur les infractions sexuelles contre les enfants minimise sans doute leur prévalence globale au Canada.

Troisièmement, les infractions sexuelles contre les enfants englobent un vaste éventail de types d'infractions. Nos données policières font état de toutes les infractions sexuelles où un enfant peut être reconnu comme la victime. En d'autres mots, il s'agit des infractions sexuelles où un enfant était la victime, ainsi que de la série d'infractions sexuelles visant les enfants énoncées dans le Code criminel, telles que les contacts sexuels, l'incitation à des contacts sexuels, et cetera.

Les données des tribunaux nous permettent d'examiner seulement les causes d'infractions sexuelles visant les enfants, parce que ces données ne font pas état de l'âge des victimes. Dans les notes de chaque diapositive, vous trouverez les types d'infractions qui sont inclus, la source de données utilisée et toutes autres données pertinentes.

En plus de notre exposé, nous avons distribué au comité une copie d'un récent article de Juristat portant sur les infractions de leurre d'enfants au Canada signalées à la police. Mes collègues, M. Grimes et Mme Dauvergne, m'aideront à répondre aux questions.

J'invite le comité à aller à la diapositive 2 de l'exposé. Les données de la diapositive 2 et des suivantes sont fondées sur les cas d'infractions sexuelles contre des enfants signalés à la police où la victime était connue et identifiable. On entend par « enfants », les enfants âgés de zéro à 17 ans.

La diapositive 2 illustre le taux de victimes selon l'âge et le sexe en 2008. Le graphique indique qu'à tous les âges, le taux de filles victimes d'infractions sexuelles était plus élevé que celui des garçons et que l'écart entre le taux chez les garçons et les filles tend à s'accentuer avec l'âge. Chez les enfants, les filles âgées de 13 'a 16 ans étaient plus à risque d'être victimes d'une infraction sexuelle signalée à la police.

En 2008, environ 13 000 enfants ont été reconnus comme la victime d'une infraction sexuelle signalée à la police. Ce qui signifie que pour 100 000 enfants, il y a environ 202 victimes d'une infraction sexuelle signalée à la police. Comme on l'a vu, la plupart de ces victimes étaient des filles — environ 8 sur 10. Pour 100 000 filles, il y a environ 337 victimes, et pour 100 000 garçons, il y en a environ 72.

Même si on ne le voit pas ici, la tendance relative aux infractions sexuelles contre les enfants signalées à la police a été relativement stable ces cinq dernières années.

La diapositive 3 montre le taux de victimes d'infractions sexuelles contre les enfants signalées à la police selon la province ou le territoire. De toute évidence, le taux de victimes est plus élevé chez les filles que chez les garçons où qu'ils se trouvent au Canada. Dans les provinces, le taux global était plus élevé au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador. Le Nouveau-Brunswick avait le taux de filles victimes le plus élevé, tandis que Terre-Neuve-et-Labrador avait le taux de garçons victimes le plus élevé. Autant chez les garçons que chez les filles, le taux de victimes était à son plus bas en Ontario.

Lorsqu'on tient compte de la population, il est normal que les territoires affichent un taux global de criminalité plus élevé qu'ailleurs au Canada. C'était aussi le cas du taux de victimes d'infractions sexuelles contre les enfants signalées à la police, mais particulièrement au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest.

La diapositive 4 contient la même information que la précédente, mais selon la région métropolitaine de recensement. Vous pouvez voir des variations entre ces régions. Une fois de plus, le taux de victimes d'infractions sexuelles contre les enfants signalées à la police était plus élevé chez les filles que chez les garçons, peu importe la région. Chez les filles victimes, le taux était plus élevé à Saint John; alors que chez les garçons, le taux était plus élevé à Peterborough.

Pour mieux comprendre qui sont les enfants à risque, nous pouvons regarder l'information sur les personnes accusées d'infractions sexuelles contre les enfants. À la diapositive 5, on utilise l'information signalée à la police pour montrer la relation de l'auteur présumé avec la victime quand la victime d'infraction sexuelle était un enfant âgé de zéro à cinq ans. La plupart du temps, l'auteur présumé était quelqu'un connu de l'enfant, en général un membre de la famille. C'était vrai autant chez les garçons que chez les filles, même si la proportion était plus forte chez les filles victimes. Une proportion plus grande de garçons étaient victimes d'une connaissance, comme un ami de la famille ou un voisin. Pour environ 6 p. 100 des jeunes garçons victimes et 3 p. 100 des jeunes filles victimes, l'auteur présumé était un étranger.

La diapositive 6 illustre la relation de l'auteur présumé avec la victime de l'infraction sexuelle pour les enfants de six à 11 ans. À mesure que les enfants vieillissent, il est normal de s'attendre à ce que leur cercle de contacts s'agrandisse. Tout comme les enfants plus jeunes, ceux âgés entre 6 et 11 ans risquaient davantage d'être la victime de quelqu'un qu'ils connaissaient. Une fois encore, les auteurs présumés étaient en général des membres de la famille, même si les proportions étaient moins élevées que celles des enfants plus jeunes. Les victimes âgées de six à et 11 ans, en particulier les garçons, risquaient davantage que les jeunes garçons d'être la victime d'une connaissance.

La diapositive 7 montre la relation de l'auteur présumé avec la victime quand la victime de l'infraction sexuelle était âgée de 12 à 17 ans. À cet âge, on peut s'attendre à ce que leur cercle de contacts change. On peut voir une chute de la proportion des membres de la famille accusés d'avoir pour victime un enfant plus âgé. Les filles et les garçons de ce groupe d'âge risquaient davantage d'être la victime d'une connaissance. On peut également voir une augmentation de la proportion des enfants plus âgés victimes d'étrangers — environ 14 p. 100 chez les garçons et 15 p. 100 chez les filles. On voit une hausse de la proportion des garçons de 12 à 17 ans victimes d'un symbole d'autorité. L'auteur présumé était un symbole d'autorité pour environ 13 p. 100 des garçons victimes, ce qui est environ trois fois plus élevé que le pourcentage chez les filles.

À la diapositive 8, nous étudions l'âge de l'auteur présumé des infractions sexuelles contre les enfants. Notons qu'en 2008, 97 p. 100 de tous les auteurs présumés des infractions sexuelles contre les enfants signalées à la police étaient des hommes. À cette même diapositive, nous étudions les infractions où un auteur présumé a été identifié. L'auteur présumé des infractions sexuelles contre les enfants n'est pas toujours identifié, parce qu'elles ne sont pas toutes résolues par la police. La diapositive montre que le taux d'auteurs présumés d'une infraction sexuelle contre un enfant âgé de zéro à 17 ans était le plus élevé chez les enfants de 13 à 16 ans.

Jusqu'à maintenant, nous avons examiné les infractions sexuelles contre les enfants en utilisant l'information signalée à la police. Nous avons constaté que le taux de victimes est plus élevé chez les filles — surtout celles âgées entre 13 et 16 ans — que l'auteur présumé est souvent connu de l'enfant et qu'il s'agit souvent d'un homme, que la relation de l'auteur présumé avec la victime change en fonction de l'âge, et que le taux d'auteurs présumés d'infractions sexuelles contre les enfants est à son plus haut chez les jeunes.

À la diapositive 9, nous cherchons à savoir comment les tribunaux de la jeunesse et de juridiction criminelle pour adultes ont traité les causes d'infractions sexuelles contre les enfants en 2006-2007. Rappelez-vous que les données des tribunaux ne nous permettent pas d'identifier les victimes. Ici, nous étudions les causes dont au moins une accusation concerne une infraction sexuelle prévue au Code criminel dont les victimes sont des enfants. Par exemple, parmi les infractions au Code criminel où les enfants sont désignés comme les victimes figurent les contacts sexuels et l'incitation aux contacts sexuels.

En 2006-2007, il y avait environ 2 900 causes réglées par les tribunaux de la jeunesse et de juridiction criminelle pour adultes dont au moins une accusation concerne une infraction sexuelle contre un enfant. Comme vous pouvez le constater à partir du graphique, la plupart de ces causes comportent plusieurs accusations.

Au total, il y avait plus de 13 500 accusations pour toutes les infractions dans ces causes et 6 500 accusations pour les infractions sexuelles contre les enfants. Le grand nombre d'accusations dans ces causes n'est pas courant dans les causes devant les tribunaux de juridiction criminelle, en général. Dans l'ensemble, environ six causes sur 10 comportent plus d'une accusation. Les causes comptant des infractions sexuelles contre les enfants ont tendance à avoir une grande proportion de causes comptant beaucoup d'accusations. Environ 40 p. 100 des causes comptant des infractions sexuelles contre les enfants comportent au moins quatre accusations.

À la diapositive 10, nous examinons plus attentivement la nature des causes comptant au moins une accusation d'infraction sexuelle contre un enfant. Les infractions figurant dans le graphique sont les plus graves dans les causes comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant. Vous pouvez remarquer que presque la moitié du temps, une accusation pour contacts sexuels était l'infraction la plus grave dans la cause. L'agression sexuelle de niveau 1, qui constitue la moins grave des accusations d'agression sexuelle, était l'infraction la plus grave dans 14 p. 100 des causes; et dans 10 p. 100 des causes, la pornographie juvénile était l'accusation la plus grave.

On voit bien que les infractions les plus graves dans ces causes sont presque exclusivement divers types d'accusations d'infractions sexuelles.

La diapositive 11 illustre l'âge de l'accusé dans les causes comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant. Dans un peu plus d'une cause d'infraction sexuelle contre un enfant sur cinq réglée par les tribunaux de juridiction criminelle, l'accusé était un délinquant juvénile, et un homme dans 97 p. 100 des causes. Cela concorde avec les données policières.

Sur la diapositive 12, vous pouvez constater que deux tiers des causes comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant ont abouti à un verdict de culpabilité devant les tribunaux. Au total, il y avait environ 1 900 causes avec condamnation en 2006-2007. Même si l'infraction sexuelle contre un enfant n'était pas nécessairement l'une des accusations de culpabilité, nous avons vu plus tôt que dans la vaste majorité de ces causes, une infraction sexuelle était l'accusation la plus grave.

La proportion des causes d'infraction sexuelle ayant abouti à un verdict de culpabilité était environ la même que toute autre cause portée devant les tribunaux, mais les causes comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant ont tendance à avoir une proportion beaucoup plus grande des causes où un coupable a été reconnu que les causes d'agression sexuelle en général. La proportion des causes d'infraction sexuelle contre un enfant ayant abouti à un verdict de culpabilité était plus forte lorsque l'auteur présumé était un jeune délinquant que lorsqu'il s'agissait d'un adulte.

La diapositive 13 montre les types de sanctions imposées pour les causes avec condamnation comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant. Chez les jeunes, la probation était la peine la plus souvent imposée, alors que chez les adultes, c'était l'emprisonnement. Plus de la moitié des causes avec condamnation chez les adultes ont abouti à une peine d'emprisonnement.

C'est plus que ce que nous voyons habituellement dans les tribunaux pour adultes. Par exemple, à peu près un tiers des causes avec condamnation ont abouti à une peine d'emprisonnement dans les tribunaux pour adultes en 2006-2007, et environ 44 p. 100 des causes de crimes contre la personne avec condamnation lorsqu'on ne tient pas compte des causes de voies de fait mineures.

Sur la prochaine et dernière diapositive, la diapositive 14, vous pouvez observer la durée des peines imposées dans les causes avec condamnation comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant et ayant reçu la peine d'emprisonnement devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes. Le graphique montre que les causes sont réparties dans les catégories de durée de la peine. Ce ne sont pas les durées de peine d'emprisonnement que nous voyons d'habitude dans les tribunaux pour adultes.

La plupart des peines d'emprisonnement imposées par les tribunaux pour adultes sont de courte durée. Plus de la moitié de toutes les peines d'emprisonnement imposées en 2006-2007 étaient de moins d'un mois. Comme l'illustre le graphique, seulement 13 p. 100 des causes avec condamnation comptant une infraction sexuelle contre un enfant ont abouti à une peine d'emprisonnement de moins d'un mois.

Par ailleurs, environ 4 p. 100 des peines d'emprisonnement imposées par les tribunaux pour adultes sont d'au moins deux ans. Une peine d'au moins deux ans était imposée dans un pourcentage plus élevé de causes avec condamnation comptant une infraction sexuelle contre un enfant et ayant abouti à l'emprisonnement — environ 19 p. 100. Cela veut donc dire que les peines d'emprisonnement pour les causes avec condamnation comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant ont tendance à être plus longues que pour les autres causes.

En résumé, les causes portées devant les tribunaux qui comptent au moins une infraction sexuelle contre un enfant semblent différer en plusieurs points des autres causes portées devant les tribunaux. Souvent, elles comportent plusieurs accusations, dont la plupart sont des infractions sexuelles. Lorsqu'un coupable est reconnu devant les tribunaux pour adultes, ces causes ont abouti la plupart du temps à l'emprisonnement, et les peines d'emprisonnement ont tendance à être plus longues.

Dans cet exposé, nous avons fourni de l'information sur les infractions sexuelles contre les enfants du point de vue du système de justice. Merci au comité. Cela met fin à notre exposé.

La présidente : Je rappelle aux sénateurs que vos données sont transmises aux tribunaux de juridiction criminelle et qu'il s'agit des statistiques du système de justice. Vous avez fait remarquer à juste titre que vous n'êtes pas en mesure de parler de l'activité de l'exploitation sexuelle, de façon plus large. Les statistiques sont fondées sur les infractions qui ont été signalées à la police et pour lesquelles des accusations ont été portées.

Le sénateur Jaffer : Vous avez tellement abordé d'aspects que cela prendra un peu de temps à digérer. Il est donc possible que je pose une question à laquelle vous avez déjà répondu, donc excusez-moi.

Vous savez sans doute que la Chambre des communes a récemment adopté un projet de loi sur l'imposition de peines minimales aux gens qui font le trafic d'enfants. Pouvez-vous me dire dans quel graphique nous pouvons évaluer cela? Je sais que vous n'avez pas parlé du trafic d'enfants, mais je considère cela comme des infractions sexuelles contre les enfants. J'exagère peut-être. De ce que j'ai compris, les personnes qui exploitent sexuellement les enfants reçoivent des peines plus graves que celles qui commettent d'autres infractions. Est-ce exact?

Mme Barr-Telford : C'est exact. Vous avez aussi raison de dire que l'information sur le trafic de personnes n'est pas fournie ici.

On constate qu'il y a plus de peines d'emprisonnement imposées par les tribunaux de juridiction criminelle, par exemple les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, que par les tribunaux pour adultes en général. Les peines d'emprisonnement sont également plus longues que celles imposées par les tribunaux pour adultes en général.

Le sénateur Brazeau : Avez-vous une répartition de la proportion des infractions contre les Autochtones?

Mme Barr-Telford : Non. Nous n'avons aucune information sur l'exploitation sexuelle des enfants autochtones au Canada.

Le sénateur Brazeau : Quand vous recevez les renseignements de la police, sont-ils tous réunis, sans ventilation en fonction des groupes minoritaires?

Mme Barr-Telford : D'après nos données policières, nous n'avons pas l'information cohérente ou fiable sur le groupe autochtone des contrevenants ou des victimes. Nous ne pouvons pas ventiler les statistiques de cette façon.

Le sénateur Brazeau : Si nous parlions aux personnes qui vous fournissent cette information, quelles seraient vos recommandations sur ce que nous devrions demander pour obtenir cette ventilation? Un tableau de ce qui se passe vraiment pourrait être brossé.

Mme Barr-Telford : Nous n'avons pas l'information fournie par nos services de police d'une manière cohérente et fiable, c'est donc absolument vrai. Les services de police pourraient vous donner des réponses que nous ne pouvons pas vous fournir; nos données ne nous permettent pas de répondre à ces questions.

La présidente : Comme question complémentaire, il semble que nous ayons déjà eu cette conversation avec Statistique Canada. Quels sont les obstacles que pose le système de justice ou la Charte à la collecte d'information auprès d'une collectivité particulière au Canada par opposition aux statistiques génériques? Est-ce ce qui empêche d'obtenir ces statistiques? Ou est-ce parce que vous n'avez pas le mandat de faire cela, et les tribunaux ne sont pas constitués pour les obtenir?

Mme Barr-Telford : Je répondrai d'abord à la dernière partie de votre question. Les tribunaux ne sont pas constitués pour recueillir l'information sur les sous-groupes de la population. Toutefois, le problème est souvent la difficulté qu'ont nos fournisseurs de recueillir cette information. Il peut être difficile de recueillir cette information.

Nous avons collaboré avec nos partenaires et nous avons parlé de cette question particulière dans un dialogue permanent sur la collecte d'information. En ce qui concerne votre question sur la législation qui nous empêcherait de recueillir l'information, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Dallaire : Vous recueillez beaucoup d'information, mais quelle est votre responsabilité en matière d'analyse de données? Laissez-moi poser les questions qui pourraient aider.

Par exemple, vous dites que la tendance relative aux infractions signalées à la police est stable. Si je comprends bien, vous dites que la tendance est proportionnellement stable par rapport à la hausse de la population, exact?

Mme Barr-Telford : Oui.

Le sénateur Dallaire : Qu'en déduisez-vous?

Mme Barr-Telford : C'est dans notre mandat de recueillir l'information ainsi que de la publier, de l'analyser et de la diffuser. C'est tout à fait dans notre mandat. En règle générale, nous produisons des rapports annuels sur les tendances en nous fondant sur l'information fournie par la police, les tribunaux ou le Service correctionnel du Canada. Nous abordons divers sujets, et il y a un volet analyse des tendances et ce qu'elles nous apprennent sur la nature et l'étendue des infractions criminelles au Canada.

Le sénateur Dallaire : C'est la collecte normale de renseignements.

Pourquoi est-ce stable?

Mme Barr-Telford : C'est difficile de répondre à cette question.

Le sénateur Dallaire : Je n'ai pas besoin d'une réponse précise tout de suite, mais vous pouvez nous donner une idée. Maintenant qu'on accorde plus d'attention à ce genre d'infractions, la tendance aurait dû s'atténuer au cours des années, mais vous dites que ce n'est pas le cas. Je ne sais pas si vous avez analysé cela.

Mme Barr-Telford : Il est difficile d'analyser les raisons et les facteurs sous-jacents qui peuvent être attribuables surtout au changement. Fait important sur les infractions sexuelles contre les enfants : toutes les infractions ne sont pas signalées aux organismes d'application de la loi. Il ne faut pas l'oublier. Comme je l'ai mentionné dans mes observations préliminaires, environ huit infractions d'agression sexuelle sur dix contre des enfants de 15 à 17 ans n'ont pas été signalées aux organismes d'application de la loi, d'après les enquêtes sur la victimisation. Nous savons que l'information minimise la prévalence.

Le sénateur Dallaire : C'est empirique, vous n'avez aucune donnée scientifique qui appuie cela.

Mme Barr-Telford : En ce qui a trait au signalement, l'information est directement tirée d'un sondage que nous faisons tous les cinq ans et dans lequel nous interrogeons les Canadiens quant à leurs expériences de victimisation. Nous demandons si un crime a été rapporté ou non à la police.

Le sénateur Dallaire : Une très grande part des crimes ne sont pas signalés, et pourtant la tendance est la même. Il doit exister une méthodologie qui mène à cette conclusion.

La diapositive 3 montre que la proportion de crimes sexuels signalés est plus grande dans les territoires. La diapositive 8 montre que la grande majorité des crimes signalés sont commis par des jeunes. Dans les Territoires du Nord-Ouest il y a une grande proportion d'Autochtones; et une grande proportion de jeunes, la plupart des hommes, commettent ces crimes. Ensuite vous dites que les contacts sexuels constituent la plus importante infraction rapportée. La diapositive 11 montre que seulement 14 p. 100 des cas qui sont présentés devant les tribunaux sont liés aux jeunes.

Il semble y avoir une coupure ici : la majorité des crimes sexuels sont commis par des jeunes dans les territoires précis où il y a une grande proportion d'Autochtones. Pourtant très peu passent par le système judiciaire. C'est à se demander ce que nous faisons pour réduire la prévalence chez les jeunes. Étant donné que la plupart des criminels sont des hommes, que faisons-nous? Quelles analyses avez-vous faites sur ce que les jeunes garçons font aux jeunes filles dans ces régions éloignées où la majorité des habitants sont Autochtones?

Mme Barr-Telford : Je vais répondre aux différents volets de votre question.

Il est important de savoir que les renseignements sur les provinces et les territoires reflètent des taux. Pour ce faire, les infractions sont divisées par population afin de tenir compte des différentes tailles des populations au pays. Ce n'est pas une analyse proportionnelle, mais une analyse par taux. Pour chaque population donnée, c'est le nombre d'infractions que l'on retrouverait dans une population de 100 000 personnes.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que cela s'applique à cette région?

Mme Barr-Telford : Oui, c'est une analyse par taux de cette région en particulier. Vous avez raison de dire que d'après notre analyse, les jeunes sont plus souvent accusés ou sont plus à risque d'être accusés d'un crime sexuel contre un enfant; et 97 p. 100 du temps l'accusé est un homme. En ce qui concerne les types de crime qui sont répertoriés, nous avons deux différentes séries de données. L'une concerne les données rapportées par la police qui sont recueillies dans les dossiers d'infractions signalées à la police, et l'autre série de données vient du système judiciaire.

Environ la moitié des affaires qui se sont rendues en cour pour un crime sexuel précis concernent des contacts sexuels, et c'était l'infraction la plus sérieuse. Nous retrouvons également une proportion importante d'agressions sexuelles dans les données de la police. Il existe une légère différence de perspective entre les données qui viennent de la police et celles qui viennent de dossiers qui sont jugés devant les tribunaux.

En bref, les données démontrent qu'il y a un plus grand nombre de femmes que d'hommes parmi les victimes. Plus particulièrement, les femmes de 13 à 16 ans sont plus à risque d'être victimes. Nous constatons que les hommes sont plus souvent accusés de ces crimes que les femmes, à un taux de 97 p. 100. Les jeunes sont plus à risque d'être accusés selon les données colligées par la police. Dans les tribunaux, nous voyons plus de jeunes contrevenants c'est certain. En ce qui a trait aux décisions et aux règlements en cour, il y a plus souvent des peines d'emprisonnement qui sont imposées et les sentences sont plus longues.

Le sénateur Dallaire : Vous nous rapportez des données sans en faire l'analyse. Vous n'avez que répété vos données.

La présidente : Sénateur Dallaire, Statistique Canada donne des statistiques. Nous devrions laisser la parole à d'autres témoins qui pourraient nous donner une interprétation des données en se basant sur leur travail. Statistique Canada récolte des données.

Le sénateur Dallaire : Ils font des analyses.

La présidente : Oui, ils font des analyses et je crois que c'est exactement ce qu'ils viennent de faire.

Le sénateur Dallaire : Eh bien.

La présidente : Vous dites que ce n'est pas assez.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que ce n'est pas seulement de la recherche de renseignements?

La présidente : Je ne crois pas qu'il s'agisse de recherche de renseignements.

Le sénateur Dallaire : Je crois que nous parlons de 20 p. 100 de ce qui est réellement signalé. Pouvez-vous extrapoler et dire que les 80 p. 100 qui ne sont pas signalés affichent les mêmes proportions, à moins que ces 80 p. 100 n'impliquent surtout des adultes et non des jeunes?

Mme Barr-Telford : Une des difficultés qui touchent les renseignements que nous colligeons pendant cinq ans, est le fait que nous ne recueillons que des informations pour les personnes âgées de 15 ans et plus. Nous sommes limités à l'analyse des 15 à 17 ans, si l'on se réfère à la définition d'un enfant. De ce point de vue, nous sommes limités dans les conclusions que nous pouvons tirer concernant votre question. Nous n'avons tout simplement pas cette information dans ce sondage.

Le sénateur Munson : J'ai à peu près la même opinion sur les statistiques que nous avons devant nous. Elles sont très tristes. Au numéro 4, je m'interroge à savoir pourquoi les chiffres sont élevés dans les villes de Saint John, de Saguenay, de Peterborough, de Brantford, de Thunder Bay et de Saskatoon, comparativement aux plus grandes villes. Quelque chose se passe dans ces plus petites communautés. Je suis Néo-Brunswickois et, bien évidemment, je suis étonné par ce que je vois et par les chiffres élevés de Saint John. C'est très dérangeant. Je reconnais la difficulté de tirer des conclusions, mais vous avez les chiffres, et sûrement quelqu'un est assez curieux pour se poser la simple question du pourquoi.

Mme Barr-Telford : Il s'agit-là d'une des difficultés propre à l'information que vous avez devant vous. Elle décrit la nature et l'étendue du phénomène, mais ne traite pas des facteurs qui sous-tendent ce phénomène. Nous ne pouvons tout simplement pas parler des multiples facteurs qui peuvent jouer un rôle dans ces diverses régions et qui ont pour résultat les taux que nous observons.

Le sénateur Munson : Je vais en rester là aussi. Ce sont des données importantes à conserver et comme la présidente l'a dit, nous devons continuer et chercher une réponse à tout cela.

La présidente : Il est important de se rappeler que nous avons dressé une liste de témoins, et qu'il ne s'agit-là que d'une partie de l'étude. Espérons que d'autres témoins peuvent étudier ces données et en expliquer une partie. Alors nous pourrons avoir une vue d'ensemble.

Le sénateur Dallaire : Est-ce que le ministère de la Justice reçoit ces données? À qui sont présentées ces données afin que le ministère de la Justice travaille à la prévention au lieu de tout simplement appliquer la loi? Est-ce que quelqu'un reçoit ces données de vous et en fait l'analyse au sein du ministère de la Justice pour établir un plan de prévention?

Mme Barr-Telford : Je ne suis pas très au courant des différentes structures au sein du ministère de la Justice et de quel service, direction ou section est responsable de ce type de travail. Cependant, je peux dire que les informations de Statistique Canada sont des informations publiques, qu'elles sont disponibles et qu'elles font partie du domaine public.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais savoir si vous avez des statistiques concernant la part de ces crimes qui impliquent l'usage d'Internet.

Mme Barr-Telford : Nous possédons certaines informations concernant les infractions de leurres d'enfants avec l'usage d'Internet. Il s'agit d'un type d'infraction assez nouveau, introduit environ en 2002. Peu de ces types de crimes ont été traités par le système judiciaire jusqu'à aujourd'hui, mais nous avons fourni au comité certains renseignements dans un document supplémentaire qui décrit, d'après les données que nous possédons en ce moment, les infractions de leurres d'enfants à l'aide d'Internet.

Le sénateur Mitchell : Étant donné qu'en général les infractions en matière de violence à l'endroit d'enfants sont perpétrées par des membres de la famille, qu'ils soient proches ou moins proches, j'imagine que le leurre d'enfants est différent? Est-ce qu'alors l'accusé est plus susceptible d'être une personne que la victime ne connaît pas?

Mme Barr-Telford : Je ne crois pas que nous ayons fait une analyse précise de la relation entre les victimes et les accusés concernant les infractions de leurre d'enfants. Nous pouvons très certainement en faire le suivi et voir s'il est possible de faire une telle analyse avec les données qui nous sont disponibles. La difficulté évidemment en ce qui a trait aux infractions de leurres d'enfants par Internet est de savoir si un accusé a été identifié et si nous pouvons faire ce type d'analyse.

Le sénateur Mitchell : J'ai quelques questions au sujet de l'importance qu'accorde le système judiciaire à ce type de crime. Avez-vous tenté de comparer les tendances en ce qui concerne les sentences pour exploitation d'enfants ou crime sexuel contre des enfants comparativement à d'autres formes de crime violent? Par exemple, quel genre de sentence est-ce qu'un père qui abuse de son enfant obtient comparativement à un homme qui entre dans un magasin avec une arme et commet un vol?

Mme Barr-Telford : Il y a des renseignements, certains d'entre eux sont dans la présentation. J'aimerais attirer votre attention sur quelques diapositives.

Les diapositives 13 et 14 montrent plus particulièrement ce type de décision. Avec les données des cours criminelles, nous pouvons nous pencher sur les types d'infractions qui impliquent uniquement des enfants, c'est-à-dire des infractions comme des contacts sexuels ou des incitations à des attouchements sexuels.

Environ deux tiers des affaires qui sont jugées en cour et qui comptaient au moins une infraction sexuelle ont reçu un verdict de culpabilité. C'est à peu près la même proportion dans les affaires judiciaires en général. Cependant, cela représente une proportion plus grande que dans les affaires d'agression sexuelle en général. Soixante-cinq pour cent des affaires qui impliquent au moins une infraction sexuelle contre un enfant ont reçu un verdict de culpabilité, alors que 52 p. 100 des dossiers d'agression sexuelle en général reçoivent un verdict de culpabilité.

À la diapositive 13, nous avons les types de peines imposées dans les causes avec condamnation comptant au moins une infraction sexuelle contre un enfant. En ce qui a trait aux tribunaux pour adultes en général, l'usage de peine d'emprisonnement est plus élevé, il y a donc là une différence. Environ un tiers des condamnations dans les tribunaux pour adultes comportent une peine d'emprisonnement. Dans ce cas particulier, lorsqu'une infraction sexuelle contre un enfant est commise, la moitié des condamnations comportent une peine d'emprisonnement.

Il existe également des différences quant à la durée des peines d'emprisonnement qui sont imposées dans les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, cette information est à la diapositive 14. Généralement, dans les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, les peines d'emprisonnement sont plus courtes. Plus de la moitié sont typiquement d'au plus un mois. Dans les cas d'infraction sexuelle contre un enfant, 13 p. 100 sont d'au plus un mois.

En général, des peines d'emprisonnement sont plus souvent imposées et les sentences sont plus longues dans les tribunaux pour adultes.

Le sénateur Mitchell : Avez-vous des statistiques sur les récidives?

Mme Barr-Telford : Non.

Le sénateur Mitchell : Est-ce que c'est quelque chose que vous ne pouvez pas faire ou que vous n'avez tout simplement pas fait, ou est-ce logiquement impossible à faire?

Mme Barr-Telford : Nous avons cherché une façon de fournir des renseignements sur ce que nous appelons les contacts répétés. Il y a certaines difficultés à cela, notamment la nécessité de faire le lien entre différentes séries de données. Nous avons fait quelques recherches, mais nous ne possédons pas de données précises sur les récidives.

Le sénateur Mitchell : Le corollaire de cela serait de savoir si vous possédez des preuves selon lesquelles des peines d'emprisonnement plus longues sont un élément de dissuasion important et si elles aident à réduire le nombre de récidives.

Mme Barr-Telford : Je n'ai pas cette information.

La présidente : J'aimerais comprendre vos statistiques. Si l'on examine les statistiques urbaines de Saint John, Halifax, et cetera, Saint John sort du lot. Vous êtes-vous penchés à nouveau sur ces statistiques comme vous le faites à tous les cinq ans? Parfois une image instantanée ne rend pas fidèlement l'éventail plus général des infractions à cet endroit. Est-ce que ces données corroborent celles que vous aviez auparavant ou s'il s'agit de nouvelles données que vous ne pouvez comparer?

Mme Barr-Telford : Les renseignements que nous possédons proviennent des informations déclarées par la police que nous recueillons à chaque année. Nous avons donc des renseignements annuels. Je vais demander à Mme Dauvergne à savoir si nous pouvons générer ce type d'information pour une autre année. Si nous le pouvons, nous vous en ferons part.

La présidente : Si l'on observe Regina, Saskatoon et Winnipeg, les statistiques sont élevées. Peut-être que pour une année les statistiques sont plus élevées qu'une autre. Je peux comprendre ce que cela veut dire, et je peux aussi faire des recherches pour savoir pourquoi les résultats sont si élevés. Mais les villes de Saguenay, Saint John et Moncton sortent du lot et dans toutes les recherches que j'ai faites ou que j'ai consultées, ces régions n'ont jamais été source de discussion ni de recherche en particulier, pas même dans les documents provenant d'autres sources telles que les organismes non gouvernementaux.

Je suis curieuse de savoir pourquoi elles ressortent de cette façon. Est-ce que c'est une erreur du système qui arrive parfois — un événement inhabituel survient une année et les statistiques font un bond? Ou s'il y a une autre année avec laquelle on peut comparer les résultats que nous avons obtenus?

Mia Dauvergne, analyste principale, Programme des services policiers, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Je pourrais faire des recherches sur les années précédentes, vérifier les renseignements pour les différents sondages faits dans les régions métropolitaines, les RMR; toutefois, je ne pourrais pas couvrir toutes les RMR.

La présidente : Si vous pouviez trouver une autre référence que nous pourrions comparer à Moncton, Saint John et Saguenay, nous l'apprécierions.

Mme Dauvergne : Cette information pourrait être disponible pour certaines des RMR que vous avez devant vous. Je devrais examiner la série de données afin de savoir pour quelle RMR nous possédons cette information. Nous pourrions en faire part au comité.

La présidente : Merci.

Étant donné que nous discutons de statistiques provenant des tribunaux, je serais intéressée à connaître les statistiques concernant les ressources policières qui sont dans le système judiciaire. En d'autres mots, une personne évalue s'il faut porter des accusations ou non, ensuite des accusations sont portées et ensuite vous obtenez l'information.

Est-ce qu'il est possible de faire le suivi de cette information et savoir comment la police est contactée? Est-ce que c'est pendant leur enquête? Vous comprenez probablement où je veux en venir avec les enfants. Est-ce que les dossiers sont montés par les services sociaux ou s'ils sont produits par d'autres sources? Au cours des années, les statistiques ont démontré que si vous êtes pris dans le système des services sociaux, vous avez plus de probabilité d'être l'objet d'une enquête policière. Certains des liens qui sont faits sont tout à fait justes et utiles, d'autres sont discriminatoires. C'est un débat qui dure depuis longtemps sur la question du bien-être des enfants.

Réussissez-vous à saisir ce type d'information?

Mme Barr-Telford : Non. Il s'agit ici d'informations déclarées par la police. Les infractions qui nous sont signalées ont soit été déclarées à la police ou ont été identifiées par des enquêtes faites par la police. Nous ne recueillons pas d'information sur la source qui a fourni les renseignements à la police.

La présidente : Avez-vous des données qui tiennent compte des cas où plusieurs personnes sont accusées? Je veux en venir à une affaire très médiatisée en Saskatchewan qui a duré un certain temps. Un certain nombre d'adultes avaient été accusés et avaient fait l'objet d'enquêtes policières. Ma mémoire me fait défaut, mais cela concernait la façon dont l'enquête avait été menée et les conclusions que certaines personnes avaient tirées. Cette année-là, les statistiques étaient absolument horrifiantes à cause de toutes les accusations qui avaient été portées, mais plus tard, tous les accusés avaient été acquittés.

Est-ce que vos données traitent des récidivistes? Là où je veux en venir, ce sont les activités de gang qui ont tendance à faire monter les statistiques. Peut-on tirer d'autres informations des statistiques brutes?

Mme Barr-Telford : Je vais demander à Mme Dauvergne de traiter cette question quant à savoir comment les données sont recueillies dans le système policier et toutes les subtilités qui entourent cette question. Nous recueillons des informations sur les gens qui ont plusieurs condamnations, nous recueillons également des informations sur la nature des différentes infractions. Peut-être que nous pourrions être plus précis sur la manière dont nous comptabilisons et sur la manière dont nous recueillons ce type d'information.

La présidente : C'est comme le réseau Internet. Lorsque vous en attrapez ici et là, nous devons le savoir.

Mme Dauvergne : Il y a une grande variété de façons de présenter l'information — en fait, ce sont différentes unités de mesure. Comme vous l'avez dit, il peut y avoir des personnes qui ont été accusées plusieurs fois associées à chaque infraction; il peut y avoir plusieurs victimes liées à chaque infraction ou nous pourrions présenter chaque infraction seule.

La façon dont nous présentons l'information dépend de ce que l'on recherche. Dans ce que Mme Barr-Telford a présenté, nous avons utilisé les « victimes » comme unité de mesure. Si vous voulez plus d'information sur les personnes qui sont accusées, et plus précisément les personnes qui sont accusées plusieurs fois pour ces crimes, c'est alors un peu compliqué. Il est difficile de lier nos séries de données ensemble, mais nous pourrions très certainement y remédier.

La présidente : L'un des secteurs est la prostitution et l'usage de jeunes personnes dans ce type d'exploitation. Est-ce que vos données font la part entre les activités de rue et les autres environnements dans lesquels se produisent les mêmes crimes?

Mme Dauvergne : Nous pouvons étudier les crimes selon les endroits où ils ont lieu. Nous pouvons vous dire si les infractions ont lieu dans des résidences ou dans la rue ou dans des endroits publics. Nous pouvons diviser les données de différentes façons.

La présidente : Si nous vous demandions précisément ce type d'information, vous pourriez nous l'obtenir?

Mme Dauvergne : Absolument.

Le sénateur Jaffer : Pour clarifier votre présentation, vous avez dit que vous étudiez uniquement les données qui sont déclarées dans les tribunaux. Est-ce que c'est exact?

Mme Barr-Telford : Nous étudions les données de la police afin d'obtenir des réponses qui reflètent le point de vue de la police. Les données des tribunaux sont une série de données séparée spécifique aux dossiers qui sont jugés devant les tribunaux.

Le sénateur Jaffer : Vous avez mélangé les deux pour votre présentation?

Mme Barr-Telford : On peut dire que l'exposé est divisé en deux parties. Les diapositives 1 à 8 proviennent de renseignements de la police; les autres diapositives sont basées sur les données des tribunaux. Dans les notes en bas de page, vous pouvez voir la source de l'information. Il est très utile de connaître les sources des données.

Le sénateur Jaffer : Je vais probablement étirer votre mandat, et si c'est le cas vous pouvez me le dire, mais vous obtenez uniquement des dossiers de la police et des tribunaux. Nous savons tous que les affaires ne sont pas toutes signalées à la police ni aux tribunaux, donc nous n'obtenons pas une vue complète de ce qui se passe dans notre pays, est-ce exact?

Mme Barr-Telford : C'est exact. Cependant, tous les cinq ans nous faisons un sondage sur la victimisation et nous interrogeons les Canadiens au sujet de leurs expériences avec des types de crimes précis qui se produisent au Canada. Le sondage est limité à la population qui a plus de 15 ans. Nous ne posons pas ces questions à qui que ce soit de moins de 15 ans. Pour ce qui est des expériences de victimisation vécues par les enfants, votre déclaration est exacte. Toutefois, en général, nous recueillons des données sur la victimisation de tous ceux qui ont 15 ans ou plus.

Le sénateur Jaffer : Et quand aura lieu votre prochaine étude de cinq ans?

Mme Barr-Telford : Nous terminons tout juste la récolte des données et nous prévoyons une publication en juin ou au printemps de l'année prochaine, en 2010. Nous avons recueilli des données plus récentes.

Le sénateur Dallaire : Quels sont les pouvoirs que vous détenez pour forcer les institutions à vous fournir des données que vous croyez que non seulement le public, mais également les législateurs pourraient utiliser? Vous avez été très habile dans votre choix de mots pour décrire vos discussions avec le ministère de la Justice ou avec vos collègues en ce qui a trait à l'obtention de données objectives sur l'origine ethnique des victimes et des accusés.

Ayant travaillé à la fonction publique, je sais que vous pourriez être l'un à côté de l'autre à discuter pendant 50 ans et ne jamais recevoir les données que vous avez demandées. Avez-vous des pouvoirs pour dire par exemple : « Voici les données que nous avons demandées et nous allons les incorporer dans le questionnaire » ou « Nous voulons avoir les pouvoirs d'imposer aux institutions la collecte de tel type de données? »

Mme Barr-Telford : La réponse que je peux vous donner à ce sujet est complexe. La Loi sur la statistique régit notre mandat de recueillir des renseignements. Dans ce contexte, pour ce qui est des renseignements signalés à la police, nous rassemblons ce qui vient de différents systèmes. Dans de nombreux cas, nous recueillons des renseignements provenant des systèmes administratifs de nos différents partenaires. À certains égards, nous sommes limités par la quantité de renseignements qu'ils recueillent afin de recevoir cela. Dans de nombreux cas, il s'agit de renseignements administratifs. Ce sont des renseignements qu'ils utilisent pour gérer leurs dossiers administratifs, et nous recueillons des renseignements qui viennent de ces dossiers.

Il existe certaines contraintes concernant le genre de renseignements qu'il nous est permis de recueillir. Cela étant dit, nous sommes en communication constante avec les services de la justice et divers intervenants de la justice, notamment les corps policiers, les tribunaux et les services correctionnels au Canada, de manière à combler les lacunes existantes dans les données.

Le sénateur Dallaire : Nous sommes ici dans le cadre du processus législatif et nous avons besoin de données. Vous êtes un organisme gouvernemental qui est censé fournir des données. Pour relever l'un des défis auxquels nous faisons face dans l'atteinte de notre objectif, nous avons besoin que des données — de bons renseignements — nous soient fournies. Devons-nous nous adresser à vous — et vous êtes là pour recueillir ces données — et vous dire que nous voulons que vous obteniez ces renseignements, ou devons-nous demander à chaque ministère qui pourrait avoir ces renseignements de vous les fournir afin que vous puissiez nous les donner?

Il semble y avoir quelque chose qui cloche. Nous avons un problème. Nous avons besoin des renseignements, mais vous ne semblez pas avoir l'autorité nécessaire pour nous les fournir. Peut-être que les organisations qui les recueillent ne les fournissent pas non plus.

La présidente : J'ai un point de vue un peu différent du vôtre. Je crois qu'ils nous fournissent ce qui est public — le système d'accusation ou de traitement. J'ai travaillé au Centre canadien de la statistique juridique. Dans ce système, nous avions besoin de renseignements. Nous discutions souvent avec les aidants, les gens du système juridique, et cetera, et nous leur disions qu'il nous fallait de bonnes données pour bien faire notre travail. De ce fait, le Centre canadien de la statistique juridique a été mis sur pied. Il n'existe pas depuis très longtemps, mais les politiciens et les bureaucrates ont répondu à l'appel.

Je ne sais pas si chaque ministère dispose actuellement d'un service de la statistique. Je sais qu'on peut s'adresser aux gens du service. Ils font un travail précis, c'est-à-dire qu'ils obtiennent les renseignements de sources publiques, du provincial et du fédéral. Au terme de cette étude, nous recommanderons peut-être à Justice Canada d'examiner de plus près certains éléments, comme nous l'avons fait pour le centre. À cause d'Internet, et cetera, nous n'obtenons peut-être pas ce que les législateurs, les aidants et les provinces ont besoin. Nous ferons peut-être avancer le débat en indiquant ce qui manque ou en recommandant ce qui serait utile.

L'exposé des autres témoins et la déclaration de Mme Barr-Telford nous ont appris que s'ils sont signalés, c'est-à-dire s'ils sont connus, nous pouvons les obtenir. Ce qui pose problème pour bon nombre des éléments que nous étudions, c'est que la victime ne se manifeste pas. Ce sera l'autre partie de notre étude : comment nous y prendre pour obtenir ce qui n'a pas été confirmé? Espérons que certains des autres témoins répondront à cette question. Cependant, le problème très ancien lié à cette étude, et à la bibliographie que nous avons, c'est de faire en sorte que les enfants se manifestent. Les statistiques, même celles que nous avons devant les yeux, indiquent que les agresseurs sont étroitement liés à la victime; ce sont des personnes que la victime connaît, des aidants. L'inconnu compte pour une petite partie, apparemment, selon les statistiques. De façon générale, pouvons-nous dire que cela est vrai pour l'ensemble du groupe? Nous devrons prendre une décision à cet égard.

Le sénateur Dallaire : Nous essayons d'aller aussi loin que nous le pouvons.

La présidente : Nous irons aussi loin que nous le pourrons.

Le sénateur Dallaire : Si nous pouvons obtenir au moins les 20 p. 100 sur lesquels ils peuvent obtenir des données, parce que c'est ce qui est signalé, alors nous devrons extrapoler ou trouver une façon d'obtenir les autres 80 p. 100. J'essaie de faire le maximum pour obtenir les 20 p. 100.

La présidente : Tout à fait, et c'est à ce sujet que nous pouvons faire la recommandation et ensuite réunir autant de grands esprits autour de la table pour nous aider à obtenir les autres données qui semblent se cacher pour toutes sortes de raisons. Peut-être que si nous arrivons à comprendre ces raisons, nous pourrons commencer à élaborer. Il existe peut-être des réponses non juridiques à certains de ces autres problèmes.

Mme Barr-Telford : Si on prend certains éléments de données, ce n'est pas toujours vrai de dire que nous ne disposons pas de la capacité nécessaire pour recueillir ces renseignements. Nous avons peut-être la capacité de recueillir les renseignements, mais il s'agit de savoir si les renseignements ont en fait été recueillis par ceux de qui nous les recueillons.

Le sénateur Dallaire : C'est exactement cela.

La présidente : C'est là que nous essayons d'aller. Les statistiques disponibles aujourd'hui ne l'étaient pas il y a 30 ou 40 ans dans de nombreux cas. Nous progressons, mais nous devons être plus sensibles à l'égard des jeunes dans ce domaine.

J'aimerais vous remercier de votre présence. Il est évident que vous avez suscité un débat encore plus grand parmi nous sur la façon dont nous pouvons faire avancer notre étude afin d'en arriver à une conclusion productive. Je vous remercie d'avoir apporté les renseignements que vous détenez. Veuillez nous fournir les autres éléments que nous avons demandés et tout autre renseignement qui pourrait être utile selon vous. Je ne peux pas vous assurer que nous ne vous ferons pas travailler dans l'avenir. Je vous remercie d'être venus aujourd'hui.

Honorables sénateurs, nous avons maintenant quatre témoins. Nous accueillons Cindy Blackstock, directrice exécutive de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations du Canada. Du Métis National Council, nous recevons Clément Chartier, président, et Bernice Cyr, présidente-directrice générale, de la Métis Child and Family Services Authority. Finalement, Deborah Tagornak représente la Pauktuutit Inuit Women of Canada.

Si vous avez de brèves déclarations sur vos faits saillants, cela serait utile. Vous connaissez très bien le domaine d'étude que nous entreprenons. J'aimerais qu'il y ait suffisamment de temps pour que les sénateurs puissent poser des questions.

Cindy Blacktock, directrice exécutive, Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations du Canada : Merci. C'est un honneur de me trouver sur le territoire des Algonquins, et je les salue.

La question que j'aborderai va droit au coeur de la conscience de la nation. Le principe d'égalité a été ancré par les ancêtres du Canada et célébré par les peuples des Premières nations pendant des millénaires avant l'arrivée des premiers colons. Il est si important pour le mieux-être des enfants et des jeunes qu'il est consacré par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, l'Observation générale sur les droits des enfants autochtones préparée par le Comité des Nations Unies des droits de l'enfant, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et, évidemment, l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Toutes les recherches ont révélé que l'exploitation sexuelle n'est pas le choix des enfants. Elle est la conséquence de l'appartenance à un milieu défavorisé et de la discrimination qui ne leur laissent pas d'autres choix pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Ce qui n'est peut-être pas aussi bien connu, c'est qu'une partie de cette discrimination se produit à un niveau systématique qui tire son origine au sein du gouvernement fédéral lui-même.

Votre comité entendra d'importants témoignages de nombreuses personnes sur ce qui peut être fait au premier échelon. Les problèmes que je veux examiner plus particulièrement sont les inégalités relatives au financement fédéral dans les réserves et la façon dont elles contribuent parfaitement au désavantage structurel et à l'exploitation sexuelle des enfants des Premières nations.

Comme vous le savez, mesdames et messieurs les sénateurs, les lois provinciales sur l'aide à l'enfance et l'éducation des enfants s'appliquent tant à l'intérieur des réserves qu'à l'extérieur, mais les provinces s'attendent à ce que le gouvernement fédéral finance les services dans les réserves. Si le gouvernement fédéral ne le fait pas ou le fait à un niveau moindre, les provinces ne complètent pas ce niveau de financement.

Ainsi, sur le plan de l'éducation, on estime que les enfants des Premières nations reçoivent de 2 000 à 3 000 $ de moins annuellement que les autres enfants. Pour ce qui est de l'aide à l'enfance, on estime que les enfants reçoivent 22 p. 100 moins de financement que tous les autres enfants reçoivent grâce au système d'aide à l'enfance.

Ces niveaux d'inégalité dans le financement fédéral sont aggravés par l'absence d'investissements dans le secteur bénévole. Comme vous le savez, mesdames et messieurs les honorables sénateurs, le secteur bénévole au Canada fournit des services très nécessaires aux Canadiens, dont des banques alimentaires, des loisirs et des services culturels, ainsi que des maisons d'hébergement pour les victimes de violence familiale. Le secteur bénévole emploie plus de 1,2 million de Canadiens et bénéficie d'un revenu annuel d'environ 115 milliards de dollars, dont 60 p. 100 sont financés par les gouvernements fédéral et provinciaux.

Au terme d'une étude que nous avons réalisée en 2003, nous avons fait ressortir des avantages négligeables pour les enfants des Premières nations vivant dans les réserves. Cela signifie que deux secteurs de la société, que tous les autres enfants trouvent naturels, ne sont tout simplement pas offerts ou sont offerts à des degrés de loin inférieurs à ceux dont peuvent bénéficier les autres enfants canadiens.

Ce n'est pas parce qu'il n'existe pas de solution. Par exemple, dans le domaine de l'aide à l'enfance chez les Premières nations, nous avons collaboré avec le gouvernement fédéral pendant plus de dix ans pour trouver des solutions fondées sur des preuves avec la participation de 25 des grands spécialistes en économie, en aide à l'enfance, en toxicomanie, en sociologie et en développement communautaire. Le gouvernement fédéral a tourné le dos deux solutions au moment où il accusait un surplus budgétaire de 22 milliards de dollars. Il n'aurait fallu que 0,5 p. 100 du surplus fédéral à l'époque pour donner aux enfants des Premières nations l'égalité dans les services d'aide à l'enfance, et pourtant cela ne s'est pas produit.

Maintenant, le gouvernement fédéral dépense des milliards de dollars sur des projets qui pourraient démarrer immédiatement pour stimuler l'économie, et selon les annonces budgétaires de 2008 et 2009, les enfants des Premières nations ne recevront que 33 p. 100 de l'argent nécessaire pour obtenir l'équité, à l'exclusion de l'Ontario et des Premières nations dans les territoires.

Nous célébrons le vingtième anniversaire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, un document que le Canada a été l'un des premiers à signer et à ratifier, avec grande fierté. Je siégerai au Tribunal canadien des droits de la personne, qui examine une poursuite contre le gouvernement du Canada selon laquelle le gouvernement exercerait une discrimination raciale contre les enfants des Premières nations en leur fournissant un financement moindre pour l'aide à l'enfance. Le dossier a été monté par la vérificatrice générale du Canada et, plus récemment, par le Comité permanent des comptes publics en mai 2009. La semaine dernière seulement, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a fourni au même comité permanent des preuves similaires.

Le fait de corriger ces inégalités dans le financement fédéral n'éradiquera pas le problème de l'exploitation sexuelle, mais il donnera aux enfants, aux jeunes et aux familles des Premières nations dans les réserves une chance équitable de prévenir l'apparition de ces problèmes. Cela ne fait aucun doute : il y a une raison pour laquelle la discrimination et l'inégalité ne sont pas des déterminants de la santé des enfants. Un pays comme le nôtre a également l'obligation morale de s'assurer qu'aucun enfant ne reçoit moins en raison de sa race.

De toute évidence, les enfants des Premières nations auraient besoin d'un financement additionnel, parce que leurs besoins sont plus grands que ceux des autres enfants, et pourtant ils n'obtiennent même pas le même niveau de financement. C'est une question de conscience morale. C'est quelque chose qui peut être résolu rapidement. Il existe des solutions. Il suffit de les mettre en œuvre.

Donc, également, en ce qui concerne la question de l'exploitation sexuelle, j'ai été très honorée de présenter un exposé devant le comité sénatorial dans le cadre de son étude des questions relatives aux droits des enfants, qui a mené à la publication de l'excellent rapport intitulé Les enfants : des citoyens sans voix. Il y a également le Trisha's Trust Report et beaucoup d'autres rapports sur l'exploitation sexuelle.

Avec tout le respect que je vous dois, mesdames et messieurs les sénateurs, je ne crois pas que votre travail consiste à trouver des solutions : il consiste à favoriser la mise en œuvre des bonnes solutions qui existent déjà. L'égalité pour les enfants des Premières nations et le respect pour les enfants métis, inuits et des Premières nations devraient être les pierres angulaires de toute stratégie de prévention et de réponse en matière d'exploitation sexuelle.

La présidente : La parole est maintenant à M. Chartier.

Clément Chartier, président, Ralliement national des Métis : Merci de me donner l'occasion de témoigner devant le comité à propos de cette question très grave qu'est l'exploitation des enfants. Je suis heureux d'être accompagné de Bernice Cyr, présidente-directrice générale de la Child and Family Services Authority de la Fédération des Métis du Manitoba. Mme Cyr a consacré la majeure partie de sa carrière aux questions touchant les enfants métis, et nous sommes chanceux de compter sur son expertise et sa perspective aujourd'hui.

Je commence par un bref aperçu de la nation métisse. Le foyer national de la Nation métisse est le territoire traditionnel des Métis dans le Centre-Ouest de l'Amérique du Nord, qui comprend les trois provinces des Prairies et qui s'étend en Ontario, en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest et aux États-Unis, par exemple au Dakota du Nord et au Montana.

Les Métis représentent environ le tiers de la population autochtone au Canada, et ils résident principalement dans les provinces de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Ontario. Selon le recensement canadien, la population métisse s'accroît plus rapidement que celle des Premières nations et des Inuits, et elle est jeune, puisque 25 p. 100 des Métis ont moins de 14 ans.

Bernice Cyr, présidente-directrice générale, Métis Child and Family Services Authority : L'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes est une préoccupation dominante. De nombreux enfants et jeunes métis deviennent des victimes dans les rues, des repères de trafiquants de drogue, des maisons privées, ou des régions éloignées, rurales et urbaines.

Il est généralement reconnu qu'un nombre disproportionné d'enfants exploités sexuellement au Canada sont des enfants métis, inuits et des Premières nations. Cependant, le manque de recherche et de capacité de recherche axée sur les Métis nous empêche de donner au comité les statistiques précises qu'il demande sur l'étendue et la prévalence de l'exploitation sexuelle dans les communautés métisses particulièrement affectées.

L'absence de données fondées sur des preuves, comme l'ont confirmé d'autres témoins, constitue une préoccupation importante et un obstacle à l'élaboration de lois, de politiques et de programmes appropriés sur le plan culturel qui répondent directement aux besoins des enfants métis. Les recherches existantes indiquent qu'il y a un manque de données ventilées qui font une distinction entre les Autochtones et entre les Métis et les autres Canadiens. Les Métis sont souvent compris dans la grande catégorie des Autochtones, sans distinction aucune entre les participants métis, inuits et des Premières nations.

L'absence d'approches en matière de recherches, de politiques et de programmes axées sur les Métis contribue à la négligence systémique des droits et des intérêts des enfants et des jeunes métis au Canada. Les recherches soulignent la complexité des déterminants sociaux sous-jacents qui contribuent à la vulnérabilité des enfants métis à l'égard de l'exploitation sexuelle. Ces problèmes comprennent la pauvreté endémique, les séquelles relatives à l'expérience des pensionnats indiens, la marginalisation sociale et culturelle, la discrimination fondée sur le sexe ainsi que la santé mentale et physique.

La colonisation a mené à des politiques hautement destructives qui ont tôt fait de mettre la table dans l'histoire métisse pour un héritage d'inégalités sociales et de problèmes de santé qui est toujours présent, et qui se manifeste essentiellement dans la santé et le statut social des enfants métis. À leur tour, ces facteurs rendent nos enfants et nos jeunes vulnérables aux conséquences négatives, notamment à la participation à l'aide à l'enfance, aux gangs, à la traite de personnes et au commerce du sexe, et à l'implication dans le système de justice pénale.

Bref, les enfants métis qui deviennent des victimes risquent de dépendre à long terme des services sociaux et d'élever des enfants qui risquent de répéter les mêmes expériences. Pour presque tous les indicateurs de la qualité de vie, les enfants métis font piètre figure comparés aux enfants non Autochtones. Ces disparités figurent dans le rapport de 2009 d'UNICEF Canada intitulé La santé des enfants autochtones : Pour tous les enfants, sans exception, le supplément canadien au rapport La situation des enfants dans le monde 2009.

Le rapport reconnaît que les enfants métis font face à des défis et à des obstacles distincts, et que ces défis sont enracinés dans le manque de volonté du gouvernement fédéral d'accorder aux Métis le même statut que les Premières nations et les Inuits dans les réserves. Les enfants métis qui ne bénéficient pas d'une infrastructure de soins de santé similaire permettant d'exécuter les programmes et les services destinés à d'autres enfants autochtones reçoivent des services de santé non assurés. Les enfants métis ont accès aux services courants; cependant, peu d'attention, voire aucune, est portée aux besoins culturels ou géographiques.

Bien qu'il y ait un manque de données cohérentes fondées sur des preuves, en général nous savons que l'étendue de l'exploitation sexuelle est alarmante. Par exemple, selon le coordonnateur provincial des questions relatives à l'exploitation sexuelle des jeunes au Manitoba, au moins 70 p. 100 des enfants et des jeunes exploités sexuellement dans la province sont autochtones.

Selon les travailleurs communautaires métis, la plupart des adultes plongés dans l'industrie de l'exploitation sexuelle déclarent qu'ils ont commencé à être des victimes à un très jeune âge, aussi jeunes que huit ou neuf ans. La plupart des enfants et des jeunes métis qui sont victimes d'exploitation sexuelle sont des femmes; cependant, nous sommes de plus en plus conscients de l'exploitation sexuelle de garçons et de jeunes transgenres.

Une étude qualitative des Métis pris au piège dans l'industrie de l'exploitation sexuelle a récemment été menée dans le cadre du Metis Survivor Family Wellness Program de la Fédération des Métis du Manitoba. Ce programme a pour objet de s'assurer que les enfants métis qui ont fréquenté des pensionnats et des écoles de jour ne sont pas les enfants oubliés des écoles oubliées. Selon l'étude, environ 87 p. 100 des gens qui sont pris au piège dans l'industrie de l'exploitation sexuelle au Manitoba sont de descendance autochtone. Parmi eux, près de la moitié sont Métis. On a interrogé 70 personnes prises au piège dans l'industrie à Winnipeg et à Thompson, et la GRC a indiqué que la plupart d'entre elles étaient âgées de moins de 18 ans.

M. Chartier : Les pratiques prometteuses pour régler l'exploitation des enfants sont celles entreprises par la communauté métisse elle-même. Une pratique de premier plan est le transfert législatif des compétences du gouvernement fédéral en matière d'aide à l'enfance, comme celui qui a été établi avec la Métis Child and Family Services Authority sous la gouvernance de la Fédération des Métis du Manitoba.

Mme Cyr peut parler plus en détail des questions que la Métis Child and Family Services Authority règle au moyen d'initiatives comme le programme qui vise à sensibiliser les enfants exploités sexuellement et ceux qui courent un risque élevé de l'être s'ils disparaissent de leur foyer ou du lieu où ils sont placés. Les programmes de prévention qui visent à établir des relations positives et saines, comme le programme Circle of Care au Manitoba, sont nécessaires d'un bout à l'autre du foyer national métis.

La Métis Child and Family Services Society à Edmonton a été mise sur pied en 1984 par des citoyens métis préoccupés. L'organisation effectue des recherches sur la traite des personnes et exécute des programmes de sensibilisation à la violence familiale et à la rue destinés à environ 15 jeunes en tout temps. Ces pratiques sont prometteuses, mais pour qu'elles aient une incidence réelle sur l'étendue et la prévalence des problèmes, elles doivent être appliquées à une échelle beaucoup plus grande, être cohérentes et être dirigées par les communautés.

Il est clair que le fait d'améliorer le soutien et l'accès aux services pour les enfants et les familles métis fait partie de la solution. Toutefois, les grandes inégalités nécessitent que des changements globaux soient apportés aux politiques publiques, notamment une approche cohérente fondée sur les distinctions comme celle qui est au cœur du protocole de la Nation métisse signé par le ministre Strahl, l'interlocuteur fédéral, en septembre 2008.

Lorsque je me suis adressé au Sénat le 11 juin 2008 puis en 2009, je lui ai demandé d'exhorter le gouvernement fédéral à affirmer sa compétence afin de s'occuper de la Nation métisse. Plus particulièrement, j'ai prié le Sénat de demander au premier ministre de saisir la Cour suprême du Canada de la question de savoir si les Métis sont inclus à l'article 91.24 de la Loi sur la Constitution, 1867, comme ce fut le cas pour les Inuits en 1930.

J'ai également recommandé que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones reçoive le mandat de tenir une audience spéciale sur la mise en œuvre d'une loi fédérale qui a mené à la dépossession des Métis de leurs terres et de leurs ressources. À des fins de référence, j'ai donné au greffier un exemplaire de la lettre que j'ai adressée au Sénat à la suite de mon témoignage du 11 juin, lettre qui a été envoyée il y a peut-être deux semaines.

La lacune constitutionnelle ne peut plus être ignorée. Elle a des implications matérielles, morales, politiques et juridiques pour les Métis, surtout étant donné que le gouvernement fédéral a renoncé à exercer ses responsabilités dans les domaines des soins de santé, de l'éducation et du règlement des revendications territoriales fédérales pour les citoyens métis.

Nous recommandons que les principes suivants figurent dans les recommandations que vous adopterez : égaliser les services de santé et les services sociaux pour les enfants métis, inuits et des Premières nations; renforcer la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et métis de façon à accroître la participation à la conception, à l'élaboration et à la prestation de services de santé et de services sociaux destinés aux enfants métis; transférer les compétences en matière d'aide à l'enfance aux gouvernements et autorités métis; créer un cadre éthique dirigé par les Métis qui met les droits et le mieux-être de l'enfant métis en son centre afin d'orienter la recherche fondée sur les preuves ainsi que la prestation des programmes et des services; et accroître le soutien financier pour les gouvernements métis afin qu'ils puissent participer à l'établissement de partenariats communautaires et de recherche forts et équitables.

Dans l'intérêt des enfants métis, nous devons oeuvrer collectivement à la réconciliation en nous attaquant aux problèmes de longue date qui freinent actuellement le plein exercice et la promotion des droits et des libertés que la Constitution nous reconnaît. Il faudra une volonté politique au plus haut niveau pour mettre en branle le changement que requiert le bien des enfants métis au Canada.

Au nom des enfants et des familles métis du Canada, je demande respectueusement que l'on prenne pleinement en considération nos recommandations. Merci.

La présidente : Merci, madame Cyr et monsieur Chartier.

Le dernier témoin que nous entendrons est Mme Tagornak.

Deborah Tagornak, directrice, Problèmes d'abus, Pauktuutit Inuit Women of Canada :

[Le témoin parle Inuktitut.]

Distingués membres du comité, c'est un honneur et un plaisir pour moi de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vous transmets les vœux de notre présidente, Rhoda Innuksuk, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui.

La société Pauktuutit, constituée en personne morale en 1984, a le vaste mandat de se pencher sur les priorités d'ordre social, politique, de santé et de bien-être des femmes inuites, de leurs familles et de leurs communautés. Son mandat embrasse une vaste gamme de domaines, de la santé au développement économique en passant par l'égalité entre les sexes, la prévention de la violence, la protection du savoir culturel et traditionnel, l'environnement et le changement climatique, pour ne nommer que quelques-unes de ses priorités actuelles.

La violence familiale et la prévention de la violence sont au coeur des priorités des membres de la société Pauktuutit depuis sa création. L'une des clés du succès de la société Pauktuutit dans son travail sur des dossiers douloureux et délicats a été l'élaboration et la mise en œuvre d'initiatives proprement inuites guidées et orientées par des spécialistes inuits et autres. Notre travail est diffusé en inuktitut et en anglais par toutes sortes de moyens, dont l'un, la radio, est particulièrement efficace dans le Nord.

L'une des priorités de la société Pauktuutit Inuit Women of Canada est la prévention de la violence sexuelle contre les enfants. Ce phénomène était rarement abordé ou reconnu dans la société inuite. Il suscitait un malaise généralisé, parce que, dans nos cœurs et dans nos esprits, nous savions que c'était mal, des points de vue de la morale et de la loi.

De nombreux facteurs propres au Nord sont susceptibles d'exposer les enfants inuits à la violence sexuelle ou à la violence et à l'exploitation sexuelles. Notre société et nos communautés ont connu beaucoup de changements extrêmement rapides. Individuellement, en famille et en tant que peuple, nous nous sommes battu pour nous adapter à des institutions de l'extérieur et aux modèles économiques occidentaux, tels que l'économie basée sur les salaires. Beaucoup d'entre nous vivent encore avec les séquelles des actes de violence commis dans les pensionnats. Je voudrais souligner que les cas d'aide à l'enfance sont trois fois plus nombreux que ceux des survivants des anciens pensionnats; cela fait réfléchir.

Le taux de suicide chez les jeunes du Nord est élevé; si les centres urbains du sud connaissaient une telle épidémie de suicides chez les jeunes, on la traiterait à coup sûr comme une urgence de santé publique. Nous devons également mieux comprendre la situation et les difficultés particulières des Inuits qui résident dans les centres urbains partout au Canada.

Les conséquences des cas non résolus de violence peuvent prendre de nombreuses formes préjudiciables tant à la personne touchée et qu'à ses proches. Nous savons au fond de nous-mêmes sans pouvoir en donner la preuve que nombreux sont ceux parmi les victimes qui choisissent de mettre fin à leur souffrance en s'enlevant la vie.

C'est en 1991 que la société Pauktuutit a commencé à s'attaquer à ce dossier particulier quand elle a fait paraître le rapport intitulé No More Secrets, qui rendait compte de travaux de recherche et d'éducation sur la violence à l'endroit des enfants inuits dans le nord du Canada. Cette recherche novatrice sur la violence sexuelle dans les communautés inuites avait pour objectif de déterminer la nature et l'étendue du phénomène et de définir les obligations légales pour les travailleurs de première ligne.

On a ainsi appris que, à l'époque, 85 p. 100 des professionnels de la santé, des policiers et des travailleurs sociaux contactés connaissaient un enfant qui avait été victime de violence sexuelle ou un cas de violence qui n'avait pas été signalé. Il ressortait de l'étude que l'éducation du public était la clé de la prévention primaire. Il ressortait également que les attitudes sociétales contribuaient à la perpétration de la violence sexuelle contre les enfants. Pour s'attaquer avec succès à ce problème, il faut aller à la racine du mal.

L'un des objectifs du projet No More Secrets était de reconnaître l'existence du problème de la violence sexuelle contre les enfants dans les communautés inuites, ce qui était le premier pas sur la voie de la guérison. Le rapport qui en était issu visait à démystifier la violence sexuelle envers les enfants en faisant connaître la nature et l'étendue probable du problème, la façon d'intervenir quand un enfant révèle qu'il est victime de violence, et le processus de signalement des cas de violence sexuelle envers un enfant; il recommandait aussi des façons de gérer ce problème dans le Nord.

Dix ans plus tard, en 2001-2002, la société Pauktuutit a effectué, avec l'appui de la Fondation autochtone de guérison, un sondage auprès d'organisations et de particuliers qui assurent des services de prévention de la violence sexuelle envers les enfants dans le Nord. Le rapport issu de ce travail préconisait une intensification des efforts de sensibilisation à la question de la violence sexuelle envers les enfants dans les communautés du Nord afin d'aider ces dernières à prévenir et à détecter les cas de violence et d'offrir des services d'aide aux survivants et aux contrevenants.

Dans un effort pour réduire la violence familiale en général, la société Pauktuutit a mis sur pied, en 2003, le projet Nuluaq, qui visait à réunir des personnes, des organismes et des groupes des régions nordiques, qui partagent le même intérêt pour la prévention de la violence, depuis Nunatsiavut, dans la région du Labrador, jusqu'au Nunavut et aux établissements de Nunatsiaq et Inuvialuit, en passant par le Nunavik, dans le Nord du Québec. D'une durée de trois ans, le projet Nuluaq a donné lieu à l'élaboration d'une stratégie inuite nationale de prévention de la violence dont les grands axes étaient la recherche et l'identification des causes profondes de la violence, les carences des services et les pratiques à adopter. La société Pauktuutit travaille toujours à la mise en œuvre des recommandations issues de la stratégie dans le cadre d'activités prenant la forme de projets.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la violence dans les communautés inuites, nous avons créé quatre modules de ressourcement dirigés par des Inuits pour des Inuits. Ce sont le module de counseling et de guérison pour couple, le projet concernant les filles et le lien parental, le cercle de guérison communautaire et le cercle de guérison familiale.

Plus récemment, en 2008-2009, la société Pauktuutit a entrepris, à l'aide de fonds fournis par Santé Canada, des projets ayant pour objet d'adapter, en vue de leur utilisation au Canada, un DVD sur la prévention de la violence sexuelle envers les enfants qui a été produit au Groenland. Les grands objectifs de ce projet étaient de sensibiliser le public à la question de la violence sexuelle à l'endroit des enfants et des jeunes Inuits dans les communautés du Nord et de contribuer aux efforts de la communauté visant à prévenir et à détecter les actes de violence; de promouvoir et, chaque fois que possible, de faciliter la participation de spécialistes inuits aux discussions portant sur la violence sexuelle à l'endroit des enfants et des jeunes Inuits; de promouvoir des approches appropriées sur le plan culturel en matière de prévention de la violence sexuelle chez les Inuits.

Le film traite des conséquences de la violence sexuelle dans tous les domaines de la vie d'un enfant et des difficultés qu'elle lui cause. Il constituera une ressource précieuse pour les travailleurs de première ligne, et pour ceux qui sont appelés à travailler avec des enfants qui ont été victimes de violence sexuelle dans leur enfance.

Nous aimerions exprimer notre gratitude aux membres du groupe de travail sur la violence sexuelle envers les enfants de la société Pauktuutit, qui ont piloté le projet de DVD. Ce groupe multidisciplinaire réunit des gens de la GRC, du Service de police régional Kativik, des services sociaux, des services judiciaires et d'organisations inuites ainsi que de spécialistes inuits des communautés locales. Nous avons travaillé avec des Inuits et des spécialistes des régions du Nord et de certains centres urbains du Canada. Nous voulions qu'ils nous orientent et qu'ils nous guident pour la réalisation du projet et pour la formulation de recommandations et de priorités d'action. Le projet nous a également permis d'élaborer une stratégie de communication initiale, avec auditoire cible et messages clés.

Outre la diffusion de ressources particulières telles que le DVD Hidden Face, le groupe de travail a formulé un certain nombre de grandes recommandations, notamment sur la nécessité d'accroître la capacité locale de prévention de la violence sexuelle envers les enfants et de guérison de ceux qui l'ont subie; de concevoir et de mettre sur pied des ateliers sur le rôle parental spécifiquement inuit dans toutes les communautés inuites, dont l'un des volets portera sur la question qui nous occupe. Imaginez, il y a plus de 53 communautés inuites éloignées accessibles uniquement par la voie des airs et le coût de la vie y est épouvantable, c'est-à-dire trois fois et parfois quatre fois supérieur à celui du Sud. Voici encore quelques recommandations : améliorer l'accessibilité des services pour les enfants qui ont été victimes de violence sexuelle; former des ressources inuites locales qui prendront en charge les cas de violence sexuelle envers les enfants; accroître la capacité des services locaux de répondre à des augmentations possibles des signalements de cas de violence sexuelle envers les enfants.

Certaines recommandations issues d'un projet de la société Pauktuutit visant à cerner les lacunes des services disponibles pour les enfants inuits qui sont témoins d'actes de violence portent sur des questions telles que la législation et la dimension pratique des services sociaux pour tout territoire où l'on compte une population inuite importante; des services en santé mentale pour les enfants; la coordination des services; des programmes de prévention de la violence dispensés dans les écoles.

C'est un plaisir de voir le sénateur Dallaire. Notre organisation est membre du Comité contre l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes à des fins commerciales qu'il dirigeait.

Je serai heureuse de communiquer de l'information détaillée à tous les intéressés. Je voudrais vous remercier encore une fois de nous avoir invités à cette réunion.

La présidente : Je vous remercie tous de nous avoir présenté vos points de vue si divers. L'exercice a été extrêmement utile et il en est ressorti de nombreuses recommandations pratiques.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais en entendre davantage sur la question du trafic, en particulier du trafic des enfants. Je viens de la Colombie-Britannique et je suis soucieuse de connaître le lien qu'on peut faire entre ce phénomène et les Jeux olympiques. En Colombie-Britannique, nous avons pu voir que notre gouvernement fait du bon travail quand il s'agit de faire en sorte que les femmes et les enfants provenant de l'extérieur du Canada ne fassent pas l'objet de trafic pendant les jeux. Mais quand je circule à pied dans les rues de Vancouver le soir, je vois de plus en plus de jeunes enfants autochtones et métis pour lesquels il n'y a pas beaucoup de services. Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet?

Mme Blackstock : Si je puis me permettre, j'aimerais attirer votre attention sur le Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Vous trouverez dans ce document un certain nombre de très bonnes recommandations auxquelles le Canada a donné suite dans certains cas et dans d'autres, non. Ces recommandations étaient valables lorsqu'elles ont été faites et elles conservent leur importance, surtout, comme vous l'avez souligné, à un moment où tant de représentants de la communauté internationale afflueront à Vancouver en escomptant que le pays hôte protège les droits humains de tous les enfants, ceux du Canada et ceux d'ailleurs.

Mme Cyr : Pour aller dans le même sens, les enfants des communautés rurales des Prairies font l'aller-retour entre chez eux et le Downtown Eastside de Vancouver. Nos communautés doivent travailler de concert avec la GRC et les forces policières et se doter de stratégies coordonnées à l'égard des jeunes avant que ceux-ci ne partent pour la Colombie-Britannique. Pour la plupart de nos jeunes, la Colombie-Britannique est la fin de la route. Pour avoir travaillé dans le quartier nord et avec de nombreux jeunes au North End Women's Centre et au Andrews Street Family Centre, je sais qu'il existe déjà beaucoup de ressources et de réseaux de qualité. Nous devons souvent composer avec le manque de fonds et l'absence d'une coordination élargie, en particulier avec les travailleurs des services d'intervention en matière d'exploitation sexuelle. Il s'agit de travailler avec les jeunes avant qu'ils fuguent, avant qu'ils partent pour Vancouver, car une fois là, ils disparaissent dans le quartier Downtown Eastside. Il existe de nombreux centres et organismes de réduction des méfaits là-bas, mais nos enfants ne sont pas forcément en contact avec eux. Il faut commencer à la maison, dans nos communautés.

Le sénateur Jaffer : Ma prochaine question concerne les enfants disparus. Que savez-vous de ce terrible phénomène, la disparition de nombreux Autochtones et enfants autochtones, dans ma province en particulier?

Mme Blackstock : Je viens moi aussi de la Colombie-Britannique; je suis de la nation Gitxsan, qui se trouve en plein milieu de l'horrible « route des pleurs ». Il faut absolument faire une priorité de l'investigation de tout cas de disparition d'une fille, d'une femme, d'un jeune homme ou d'un homme dans ce pays.

Mais avant, en rapport avec la question, il y a beaucoup à faire au niveau de la prévention. Nombreux sont les enfants qui quittent la réserve parce qu'ils sont incapables d'obtenir des services équitables. Ils se sont vu refuser une éducation adéquate; ils ont été placés en régime d'aide sociale à l'enfance dans des proportions qui représentent trois fois celles des enfants des pensionnats; l'investissement dans la culture et les régimes d'éducation fait défaut. Et après on se demande pourquoi les enfants des Premières nations sont surreprésentés parmi les enfants disparus.

La réponse, c'est que nous n'avons pas investi à part égale dans ces enfants et que les résultats de cette incurie sont marqués au coin de l'inégalité; en tant que pays, nous devons prendre conscience de cette réalité. Tant qu'à se plaindre et à vouloir nous soucier véritablement du fait que trois enfants des Premières nations sur 10 seulement mènent à terme des études de niveau secondaire, donnons-leur au moins la chance de bénéficier d'une éducation correctement financée comme tout autre enfant. On peut bien s'essayer à mettre en place toutes sortes d'autres traitements des symptômes, mais il est essentiel d'aller à la racine du mal, c'est-à-dire l'inégalité, et c'est à elle qu'il faut s'attaquer.

Le sénateur Poy : J'aimerais enchaîner sur ce que vous venez de dire, madame Blackstock, au sujet de l'inégalité du financement fédéral. La réalité que vous avez décrite ne s'observe que dans les réserves. Quand les enfants n'y sont pas heureux et qu'ils s'en vont, est-ce qu'ils relèvent alors des services communautaires réguliers? Est-ce ainsi que ça fonctionne? Ne vaudrait-il pas mieux pour eux, s'ils quittent la réserve, d'aller à l'école comme tout le monde? Je suis un peu perplexe.

Mme Blackstock : À mon avis, jamais un enfant ne devrait être obligé de quitter son foyer et sa famille pour avoir une éducation de qualité au Canada. Vous vivez dans une région éloignée au Canada seulement dans la mesure où les gouvernements ne trouvent ni diamants, ni pétrole, ni produits forestiers sur votre terre. Nos enfants, quels que soient leur race ou le groupe culturel auxquels ils appartiennent, sont notre plus grande ressource naturelle. Ils veulent simplement recevoir l'éducation à laquelle ont droit tous les autres enfants canadiens. Il est du devoir du gouvernement fédéral de veiller à ce qu'ils bénéficient d'une éducation comparable. Ce n'est pas là seulement l'avis des Premières nations; c'est un droit inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Faut-il demander aux enfants appartenant à un groupe racial de quitter leur foyer ancestral et le réconfort de leur communauté et de leur famille tout simplement pour avoir accès à une éducation de qualité? Est-ce ainsi que l'on veut que les choses se passent dans un pays riche comme le Canada? C'est un choix intenable qu'aucun autre groupe de ce pays n'a à faire.

S'il fallait que le gouvernement dise aujourd'hui que les membres d'un groupe racial donné doivent aller s'installer ailleurs pour que leurs enfants aient accès à une éducation comparable à celle des autres Canadiens, ce serait un scandale, et à juste titre. Telle est pourtant la situation pour les enfants des Premières nations. Le gouvernement peut se permettre de pratiquer l'égalité. Je ne suis pas sûr que, moralement, il puisse se permettre de maintenir l'inégalité, mais c'est ce qu'il fait depuis 140 ans.

Le sénateur Poy : Je reconnais avec vous que c'est moralement condamnable. Est-ce la raison pour laquelle les parents et des familles entières quittent les réserves?

Mme Blackstock : Oui, exactement. Nous avons également constaté que ces familles sont coupées des endroits où elles pourraient apprendre leur langue et préserver leur culture. C'est la quadrature du cercle pour une famille des Premières nations : est-ce que je veux que mon enfant ait accès à la même éducation et bénéficie des mêmes services d'aide à l'enfance que n'importe quel autre enfant? Si oui, je dois quitter ces cocons où sont préservés notre culture et notre patrimoine. Pour moi, il ne devrait pas être nécessaire de faire un tel choix, il faudrait que ce soit « oui, et en plus... ».

Le sénateur Poy : Merci. J'ai une question au sujet de la Nation métisse. Je n'ai jamais bien compris ce qui fait d'une personne un Métis. Se dit-on Métis parce qu'on a un certain pourcentage de sang autochtone? Qu'est-ce qui fait de vous un Métis?

M. Chartier : C'est une très bonne question.

La présidente : Ce n'est pas la première fois qu'on vous la pose. Vous êtes donc bien placé pour y répondre.

M. Chartier : C'est une question qu'on pose en effet très souvent. Ce n'est pas une question d'ascendance mixte parce que — sans vouloir offenser personne — l'immense majorité des personnes visées par la Loi sur les Indiens seraient des Métis si on retenait cette définition d'ascendance mixte. C'est plus que cela; c'est une culture, un peuple dont les racines plongent dans l'histoire. Les Métis forment un peuple nouveau dans ce pays, un peuple dont les origines remontent à quelque 400 ans. Ils en sont venus à former un peuple ayant une histoire, une conscience politique, et une aire géographique qui constitue la patrie que j'ai décrite; et on en fait partie de naissance.

Naturellement, c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens d'ascendance mixte qui sont passés entre les mailles du filet et qui sont peut-être actuellement coupés de leur communauté propre, comme la Nation crie ou le peuple ojibwa, et il leur faut toujours trouver leur appartenance. Espérons que la situation sera bientôt corrigée, mais les Métis forment un peuple distinct qui a des droits, un territoire géographique et des problèmes distincts.

C'est pourquoi nous proposons diverses solutions mises en œuvre au moyen de processus distincts qui concernent spécifiquement la Nation métisse. Une politique générale visant les Autochtones n'est pas utile pour nous parce que les membres de la Nation métisse tombent invariablement dans les failles de celle-ci. Nous devons résoudre ce problème.

J'ai essayé d'aborder cette question dans ça et dans la lettre que j'ai envoyée au Sénat. Dans cette lettre, j'ai demandé au Sénat d'adopter une motion pour demander au premier ministre de se référer à l'article 91.24 de la Constitution de 1867 dans lequel il est stipulé que le gouvernement fédéral a la compétence de légiférer sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens. Le terme « Indien » est un terme utilisé de nos jours de manière générique pour faire référence aux « peuples autochtones ». Cependant, en raison de la politique fédérale en vertu de laquelle les Métis ne sont pas visés par l'article 91.24, leur sort relève donc des gouvernements provinciaux. Dans la province, les Métis relèvent du gouvernement fédéral. On se retrouve donc au milieu d'une joute politique et nous devons résoudre ce problème.

Les Métis sont un peuple particulier; ce ne sont pas toutes les personnes d'ascendance mixte qui peuvent être appelées Métisses.

Le sénateur Poy : Lorsque vous parlez d'égaliser les services de santé et les services sociaux pour les Métis, il faut tenir compte du fait que les Métis peuvent vivre n'importe où au Canada. Par conséquent, lorsque vous avez besoin de services sociaux ou de services de santé, vous avez donc accès aux services offerts à toute autre personne. Ai-je tort? Peut-être que je ne comprends pas.

M. Chartier : Les Métis ne peuvent vivre partout où ils veulent au Canada. À titre d'exemple, ils ne peuvent pas vivre sur le territoire de peuples des Premières nations. C'est donc une exception.

Les Métis peuvent vivre comme toute autre personne au Canada. Ils peuvent vivre dans tout centre ouvert à tout citoyen canadien. Oui, c'est vrai. Les Métis, comme toute autre personne, peuvent avoir accès aux programmes et aux services généralement offerts aux Canadiens, mais dans l'ensemble, ces services sont souvent inadéquats ou non disponibles pour une raison ou une autre, notamment la barrière linguistique. La vérité, c'est que les Métis ne peuvent vivre dans leur propre territoire. On ne peut commencer à dire que nous allons délimiter ce territoire pour en faire notre terre traditionnelle parce que le Canada a prétendument décrété l'extinction de notre droit de vivre sur ce territoire en particulier et nous a dépossédés de nos terres. Nous n'avons donc pas ce choix.

Oui, le gouvernement fédéral est d'avis que les Métis doivent avoir accès aux programmes et aux services provinciaux comme tout autre Canadien, ou à tout programme fédéral offert à chaque Canadien, mais encore une fois, et de façon générale, les Métis semblent passer entre les mailles du filet. Prenons l'exemple du virus H1N1 : dans bon nombre de nos communautés, on ne trouve aucun lieu de vaccination. Nous devons donc aller nous faire vacciner dans la ville la plus proche. Si on n'a pas les moyens de s'y rendre, comment serons-nous vaccinés? À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral ne veut pas traiter particulièrement avec les Métis, mais il est prêt à fournir de l'argent afin que nous puissions informer nos membres au sujet de la vaccination. Par exemple, on ne reçoit que quelques-uns des nombreux services fournis par la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits et des services offerts dans le cadre du programme national de lutte contre l'abus d'alcool et des drogues. Nous sommes entièrement tenus à l'écart de ça.

Dire que nous avons le privilège d'être citoyens canadiens et de pouvoir accéder aux services auxquels les autres Canadiens ont accès n'est pas vraiment une solution aux problèmes sociaux et économiques de notre peuple.

Le sénateur Poy : Vous dites que si vous ne vivez pas dans de grosses villes, vous vivez à la campagne. Vous n'avez pas le même accès aux services de soins de santé et aux services sociaux. N'est-ce pas ce à quoi on doit s'attendre quand on habite à l'extérieur des grands centres urbains?

M. Chartier : C'est un des problèmes auxquels est confronté notre peuple, oui. C'en est un, mais seulement qu'un.

Mme Cyr : J'aimerais aborder la question des services sociaux et la raison pour laquelle ils ne sont pas offerts aux Métis. En ce qui concerne le gouvernement provincial dont nous relevons, on traite 12 p. 100 des cas provinciaux. Cependant, le gouvernement fédéral soutient le gouvernement provincial afin de négocier l'argent du fédéral. Puisque nous entrons dans la catégorie des Autochtones, nous sommes soumis aux caprices de cette négociation. Cependant, nous ne profitons pas du tout de cet argent. Comme nous relevons de quatre autorités provinciales distinctes, notre régime d'aide à l'enfance est donc paralysé. Nous avons transféré le pouvoir de notre régime d'aide à l'enfance afin qu'il relève de la gouvernance métisse, mais comme d'autres négociations sont en cours, nous sommes soumis à ces caprices. Pour vous donner un exemple parfait, à l'heure actuelle, 65 postes de notre régime sont sous-financés, et les travailleurs des services permanents et des services à la famille ont 67, 57 et 38 cas. Il y a une crise en cours ici avec les Métis et l'accès aux services n'est pas le même. Il peut sembler l'être, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Dallaire : Madame la présidente, combien de temps avons-nous?

La présidente : Nous arrivons à la fin, mais commencez et nous verrons comment ça se déroule.

Le sénateur Dallaire : J'ai 17 questions pour commencer.

La présidente : Nous pourrions peut-être passer aux questions, puis utiliser notre temps. Veuillez donc commencer à poser vos questions et nous verrons comment ça se déroule.

Le sénateur Dallaire : Je ne m'opposerai pas, mais j'aimerais simplement souligner qu'il pourrait être utile de penser à les réinviter.

La présidente : Nous avons toujours cette possibilité.

Le sénateur Dallaire : Bien. C'est tout ce que je souhaitais entendre.

Madame Blackstock, croyez-vous que la manière dont vous avez exposé la situation concernant les peuples des Premières nations, et peut-être, par extension, des aspects particuliers aux Autochtones, suggère en fait que les politiques gouvernementales tentent de vous embobiner par une sorte d'assimilation au courant canadien principal en ne vous donnant pas les moyens de satisfaire aux normes minimales auxquelles on s'attend de tous?

Mme Blackstock : Nous avons dit que le gouvernement du Canada fait de la discrimination raciale envers les enfants des Premières nations en leur octroyant consciemment un financement d'aide à l'enfance qui est inférieur aux normes établies. Un an après les excuses formulées pour les mauvais traitements infligés dans les pensionnats, qui ont été chaudement accueillies et nécessaires, le gouvernement du Canada a demandé à la Division des pensionnats de Justice Canada d'avoir gain de cause contre les enfants des Premières nations. Il dépense des milliers de dollars des contribuables pour avoir gain de cause au lieu de composer avec le problème.

Si nous avons gain de cause à ce tribunal, ce que j'espère, mon organisation et l'Assemblée des Premières Nations, l'APN, ne toucheront pas un seul sou. Nous ne voulons pas faire de l'argent avec cette histoire. Nous souhaitons simplement que ces enfants soient traités équitablement.

Je passe devant le monument aux morts tous les jours en me rendant au travail, et je pense à mon oncle qui a combattu lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s'est battu pour l'égalité, la justice et la liberté. Pourquoi combattons-nous dans toutes ces guerres si nous ne faisons même pas preuve de ces valeurs à l'égard d'enfants vulnérables de notre propre pays? Je ne comprends pas. Ça doit changer.

Si le Canada veut que les enfants des peuples métis, des Premières nations et inuits grandissent en santé, il doit investir dans des services adéquats et équitables fondés sur la culture, point final. S'il ne le fait pas, il y aura encore des audiences comme celle-ci dans 20 ans, et je miserais même sur le fait que peut-être d'autres excuses du gouvernement seront faites pour les actes répréhensibles qui sont perpétrés à l'heure actuelle.

Le sénateur Dallaire : Vous avez dit que nous n'avons pas à étudier la situation en tenant compte de l'exploitation sexuelle des enfants autochtones parce que cela a déjà été étudié à fond et qu'il existe une foule de solutions. Quelle est votre analyse de ces solutions, dans la mesure où elles n'ont pas été mises en œuvre?

Mme Blackstock : Je ne les ai pas examinées systématiquement. Nous les avons examinées en 2003 en tenant compte de la Convention relative aux droits de l'enfant. De manière générale, j'estimerais que 20 p. 100 des recommandations n'ont jamais été mises en œuvre. La plupart d'entre elles ne sont pas concrètes.

Des recommandations concrètes tiendraient compte des facteurs qui résultent de l'exploitation sexuelle : la pauvreté, le manque d'occasions d'études ainsi que l'importance de l'enrichissement culturel et linguistique. Ces choses demeurent en suspens.

Il est facile de publier une brochure sur papier glacé ou un livre, mais ce genre de choses n'aide pas vraiment les enfants qui sont actuellement victimes d'exploitation sexuelle et leur famille. Nous avons l'obligation de composer avec ces recommandations.

Je recommande au comité de demander au greffier de recueillir des données sur ces recommandations et de mettre en place une activité de surveillance afin que nous puissions nous assurer que les choses utiles déjà élaborées soient mises en œuvre et que nous n'ayons pas à réexaminer les choses pour en arriver aux mêmes recommandations.

Le sénateur Dallaire : Cela devrait être bidirectionnel. Je crois qu'il serait plus utile pour les peuples autochtones de nous tenir responsables d'avoir élaboré toutes ces recommandations et d'avoir mentionné publiquement si nous avions tenté ou non de les mettre en œuvre. Ce devrait être fait des deux côtés. Vous devriez faire l'impossible pour sensibiliser davantage les gens.

J'ai examiné la dimension de l'exploitation sexuelle sur les réserves ou dans des régions isolées auprès de la population inuite. J'ai interviewé des hommes inuits qui ont dit qu'il n'y avait pas d'exploitation sexuelle chez les Inuits. J'ai également entendu ce commentaire d'un monsieur du Darfour issu d'une religion particulière, alors que nous connaissons très bien les viols massifs qui s'y déroulent.

Dans le contexte culturel, qui est fort au sein des peuples autochtones, comment ce changement envers l'exploitation des enfants est-il survenu? Ça revient à dire, est-ce un phénomène plus moderne qu'il y a 20 ou 40 ans? Est-ce parce que la pauvreté est plus difficile?

Madame Tagornak, vous avez indiqué que votre peuple a de la difficulté à s'ajuster au modernisme, et cetera. Est-ce que quelque chose a changé au sein des peuples autochtones, particulièrement en ce qui a trait aux statistiques voulant qu'il y aurait potentiellement de jeunes hommes qui exploiteraient de jeunes filles autochtones en particulier?

Mme Tagornak : Merci pour cette question, sénateur Dallaire. En tant qu'Inuits, il y a deux choses avec lesquels nous devons composer. Il y a les Inuits du Nord, qui sont isolés et qui vivent dans des collectivités accessibles uniquement par avion où il n'y a pratiquement pas d'exploitation sexuelle. Cependant, avec cette technologie, nous devons des recherches dans certains secteurs pour réellement déterminer et comprendre dans quelle mesure on retrouve des activités d'exploitation sexuelle des enfants dans les collectivités du Nord.

Pour ces Inuits élevés au Nord qui se sont rendus dans des centres au sud — pour des raisons médicales, pour approfondir leurs études ou pour se sortir d'une situation de violence —, c'est un énorme choc culturel. Quand on provient d'une petite collectivité isolée, il est difficile de s'ajuster à une grande ville.

Environ 2 600 Inuits vivent à Ottawa, mais nous devons toujours faire des recherches pour savoir combien d'Inuits vivent à l'extérieur des communautés auxquelles ils sont associés. Nous devons savoir combien de ces gens habitent à Montréal, à St. John's ou à Vancouver. Il n'y a pratiquement aucune preuve concrète du nombre d'Inuits qui vivent dans des centres urbains.

Cela étant dit, dans le recensement ou dans toute recherche statistique, les Inuits sont intégrés aux Premières nations ou aux autres Autochtones. Il est donc très difficile de faire la distinction entre ces groupes. Beaucoup de travail reste à faire.

Malheureusement, nous n'avons aucune donnée sur le nombre d'Inuits qui vivent dans les centres urbains de chacune des provinces canadiennes hormis dans quelques parties de centres urbains.

Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup.

Madame Blackstock, en ce qui a trait aux membres des Premières nations non inscrits et qui n'habitent pas sur une réserve, quel est l'état des choses au sein de ce groupe en ce qui a trait au fait d'être plus ou moins ciblé par le trafic et d'autres formes d'exploitation sexuelle?

Mme Blackstock : Je réitère ce qu'a dit Statistique Canada : Il n'y a que très peu de statistiques, qui sont regroupées de toute façon, sur les peuples autochtones.

L'Étude canadienne sur l'incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants indique que les probabilités sont moins grandes que les agressions sexuelles sur les enfants autochtones soient signalées aux services de soutien à l'enfance que pour les enfants non autochtones. Cette information est conforme aux données recueillies au cours de deux cycles de cette étude — le troisième est en cours — ainsi qu'avec les données sur les peuples indigènes provenant des États-Unis et de l'Australie.

Cette information est en lien avec votre question précédente concernant le fait que les agressions sexuelles ne sont pas un problème grandement endémique dans les communautés des Premières nations. Ce qui est endémique, ce sont les conditions sociales qui prédisposent les enfants à ce désavantage. Ces conditions existent à l'extérieur des réserves et, à un niveau plus important, sur les réserves, en raison du financement fédéral inéquitable.

En ce qui a trait aux enfants défavorisés — inscrits, non inscrits, Métis, Premières nations, Inuits, hors réserve —, ils sont malheureusement plus à risque d'être victimes d'exploitation sexuelle et d'autres problèmes du genre.

Le sénateur Dallaire : Dans quelle mesure les ONG qui travaillent sur la scène internationale et les ONG qui ne travaillent qu'à l'échelle nationale œuvrent-elles dans des milieux où vivent des Autochtones — je parle de manière générale — afin de les aider à faire progresser leurs systèmes scolaires, leurs programmes sociaux et leurs programmes de santé entre autres choses? Nous faisons ça dans un certain nombre de pays où nous dépensons beaucoup d'argent, bien que je crois que ce ne soit pas suffisant pour aider ces gens.

Mme Blackstock : Mon organisation est la seule organisation nationale qui travaille avec des enfants autochtones, et nous avons quatre employés. Avant le dépôt de la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, nous recevions environ un demi-million de dollars du gouvernement fédéral. Cependant, depuis que nous avons déposé une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne afin d'obtenir l'équité pour les enfants des Premières nations, nous n'obtenons plus un sou.

Si les gouvernements désirent voir de réels progrès dans certains de ces dossiers fondamentaux et bien établis, il faut des ressources. Les gens ne devraient pas être pénalisés parce qu'ils parlent d'iniquité légitime et d'investissements insuffisants dans les programmes culturels.

Mon organisation, composée de quatre personnes, s'attaque au gouvernement du Canada. Nous sommes prêts à risquer notre organisation pour ça, parce que les enfants sont plus importants que notre organisation ne peut l'être. Cependant, de nombreuses organisations font un travail similaire. Paukuutit fait un excellent travail avec les peuples inuits du nord.

Nous avons besoin de ressources pour composer avec les questions liées à la défense des droits, non pas parce que nous voulons nous battre avec des gens, mais plutôt parce que nous voulons lutter ensemble pour une idée commune, la qualité, la dignité, le respect et l'honneur des peuples autochtones. C'est pourquoi ces choses doivent être dotées des ressources nécessaires.

Le sénateur Dallaire : Selon la politique d'UNICEF International, UNICEF Canada ne peut venir en aide aux Autochtones ou à tout autre résident du Canada de la même manière qu'il le fait dans les pays en voie de développement. Cependant, est-ce qu'UNICEF International ou d'autres agences fournissent des ressources, comme elles constatent que le gouvernement canadien ne le fait pas, afin d'attirer l'attention sur les conditions qui pourraient conduire à l'exploitation sexuelle ou à la traite d'enfants autochtones dans des régions isolées?

Mme Blackstock : Nous avons été très heureux de constater que, au cours des cinq dernières années en particulier, des ONG internationales ont porté un intérêt particulier aux enfants autochtones du Canada. Mme Cyr a cité le récent rapport d'UNICEF Canada sur la santé des enfants autochtones. Amnistie Internationale s'est vu octroyer le statut de partie intéressée par le juge Sinclair du Tribunal canadien des droits de la personne sur le bien-être des enfants des Premières nations. Nous sommes très reconnaissants de leur participation. Des groupes comme Kairos, que Mme Tagornak et moi avons eu l'honneur de présenter la semaine dernière, sont tout à fait au courant de ces problèmes et souhaitent collaborer. Nous voulons voir plus que ça parce que ce problème n'est pas exclusif aux peuples autochtones, ni même aux Canadiens. C'est un problème qui touche les valeurs humaines fondamentales et qui est de plus en plus reconnu par la communauté internationale.

Le sénateur Dallaire : UNICEF Canada est en difficulté. Il a soulevé ce point, mais il ne peut rien faire d'autre que de le soulever. C'est un dilemme qui est, à mon avis, tout à fait inacceptable.

En ce qui a trait aux signalements de disparations de femmes autochtones et de leurs impacts sur les jeunes filles autochtones, une étude en cours au Manitoba démontre que les femmes autochtones disparaissent et que le processus de signalement est imparfait. Dans quelle mesure le fait de ne pas avoir de nouvelles de leur mère ou de leur tante peut-il avoir des effets négatifs sur les jeunes filles? Est-ce que la disparation des enfants autochtones qui habitent dans des réserves dans des régions isolées est immédiatement signalée, et est-ce que les mesures prises pour les retrouver sont similaires, dans une moindre échelle, à l'alerte Amber dans le centre-ville de Toronto?

Mme Cyr : Il y a un gros problème à l'heure actuelle au Manitoba concernant les meurtres et les disparitions de femmes, et ce problème perdure depuis le cas de Helen Betty Osborne en 1971. À ce jour, on compte au moins 137 meurtres et disparitions de femmes. La plupart d'entre eux, notamment les trois derniers, impliquaient de jeunes femmes qui ont été prises en charge ou non, qui ont quitté les réserves, qui ont été placées à de nombreuses reprises et qui ont lutté contre des dépendances. Ces jeunes femmes ont été traitées comme de simples femmes autochtones victimes d'exploitation sexuelle. C'est ainsi qu'elles ont été dépeintes. Personne n'a pris le temps de penser au fait qu'elles étaient les filles de quelqu'un. Elles ont eu des interactions avec nous tous de différentes manières. J'ai connu trois des dernières filles dans le nord. Les médias disent qu'elle est jeune, d'origine autochtone et victime d'exploitation sexuelle, donc son sort importe peu.

Au cours des 10 dernières années, nous avons dit aux policiers que lorsqu'ils enquêtent sur des cas de disparition, il devrait y avoir un volet obligatoire. Ça doit compter. C'est tout récemment que le gouvernement du Manitoba et le service de police de la ville de Winnipeg ont constitué un groupe de travail sur la jeunesse composé de la GRC, du service de police et des services d'aide à l'enfance représentés par la Régie des services à l'enfant et à la famille du Sud du Manitoba, la Régie des services à l'enfant et à la famille des Métis, la Régie des services à l'enfant et à la famille des Premières nations du Nord du Manitoba et le service de police de la Régie générale des services à l'enfant et à la famille. Nous nous sommes regroupés et avons constitué notre propre table ronde et notre groupe de travail afin d'identifier les jeunes qui présentent un risque élevé dans nos villes et nos centres urbains, ainsi que ceux qui habitent dans des régions éloignées et rurales. Nous tenons cette liste à jour et essayons actuellement de travailler de concert avec les services policiers parce qu'ils ont une liste qu'ils ne partagent toujours pas avec nous sur nos propres jeunes. Ils ont commencé à afficher des photos d'enfants disparus avant même que les services à l'enfance ne soient au courant de la situation parce qu'ils ont cette liste magique.

Des efforts concrets ont été faits afin que nous travaillions ensemble à l'identification de ces jeunes. Cette table ronde vise essentiellement à identifier quels jeunes pris en charge courent le plus de risques et à rassembler tous les systèmes, comme celui de la justice, des services correctionnels, de l'EAI, de l'aide à l'enfance, des agences de services pour les jeunes et des services d'éducation aux jeunes, et à avoir une base systémique pour redresser la situation lorsque nos jeunes risquent d'être portés disparus. Par le passé, l'échéance était d'un an, puis ils étaient disparus et personne ne disait rien, sauf les parents ou les membres de la communauté qui installaient des affiches dans les jours qui suivaient. Je ferais preuve de retenue avec les alertes Amber qui sont émises suivant des critères particuliers.

Je trouve très efficace d'avoir une table ronde où on peut se rassembler et identifier nos jeunes à risque, qu'ils soient ou non pris en charge, et avoir toute l'aide nécessaire quand on sait que cette enfant de 11 ans se sauvera. Il est donc préférable d'avoir toute l'aide nécessaire quand ça arrivera. On peut observer certaines variables explicatives. Il y a de nouvelles choses en cours à l'heure actuelle au Manitoba qui sont très novatrices et concrètes.

La présidente : Sénateur Dallaire, je vous redonnerai la parole lors du deuxième tour, s'il y en a un. En toute franchise, il y a d'autres sénateurs qui souhaitent poser des questions.

Le sénateur Brazeau : Je crois que j'ai également environ 20 questions, mais j'essaierai de réduire ce nombre à deux. On a entendu des commentaires au sujet de l'éducation, et je crois que vous avez fait un commentaire, madame Blackstock, voulant que personne ne devrait quitter sa communauté pour poursuivre ses études. En toute honnêteté, les citoyens de ce merveilleux pays, qu'ils soient Autochtones ou non, doivent parfois quitter leur lieu de résidence pour poursuivre leurs études. C'est une réalité pour de nombreux citoyens qui vivent dans des régions éloignées et rurales de l'ensemble du pays. Je souhaitais faire ce commentaire.

Je crois que la même chose s'applique à la question de l'accès aux services. De nombreux Métis que je connais qui habitent au Labrador n'ont pas accès aux services. C'est difficile. Ils vivent dans des régions éloignées. C'est un problème que nous avons tous en tant que pays, pas seulement la population autochtone, qu'il s'agisse de peuples des Premières nations, d'Inuits ou de Métis.

Mme Blackstock : J'ai travaillé pour la Première nation Squamish, que vous avez dû visiter lors de votre mandat. Elle se trouve directement dans le centre-ville de Vancouver. Ces enfants vivent en face d'un des plus grands centres métropolitains du pays, mais ils obtiennent 22 p. 100 de moins, et moins de financement pour leurs études.

Le sénateur Brazeau : Je ne contesterai pas ça. Cependant, ces mêmes enfants ont également la possibilité de fréquenter une école provinciale pour poursuivre leurs études. Je ne suis pas ici pour débattre de la question de l'éducation. Je veux parler de l'exploitation sexuelle.

Vous avez mentionné que les enfants des Premières nations qui vivent sur des réserves reçoivent moins d'argent que ceux qui vivent à l'extérieur des réserves ou au sein de la population non autochtone. Où avez-vous obtenu ces statistiques?

Mme Blackstock : Je vous recommande le rapport sur l'éducation de la vérificatrice générale paru en 2004 ainsi que le rapport sur les services à l'enfance et à la famille des Premières nations paru en 2008, le rapport du Comité permanent des comptes publics publié en 2009, et la série de rapports Wen :de qui ont été rédigés par 25 experts reconnus. Les principaux chercheurs étaient M. John Loxley de l'Université du Manitoba, M. Fred Wien de l'Université Dalhousie et M. Nico Trocmé de l'Université McGill. Je vous recommande également une étude effectuée en 2000 par McDonald et Ladd. Toutes ces études ainsi que le rapport du Comité permanent de 2007, intitulé Les enfants : Des citoyens sans voix, documentent à des degrés divers, l'inégalité qui existe. Les plus précis sont probablement le rapport Wen :de ainsi que le rapport de la vérificatrice générale de 2008.

Le sénateur Brazeau : Vous avez dit que votre organisation a travaillé avec le gouvernement fédéral au cours des 10 dernières années ou à peu près, et qu'il s'est ensuite retiré. S'est-il retiré parce que vous avez déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne?

Mme Blackstock : Non. La série de rapports Wen :de a été terminée en 2005. La plainte n'a été déposée qu'en 2007. Il s'agissait vraiment d'un dernier recours. Je suis travailleuse sociale. Je veux simplement que ces enfants aient ce dont ils ont besoin. Je ne suis pas une avocate. Je ne veux pas entamer des procédures juridiques, mais, si c'est nécessaire pour s'assurer que ces enfants jouissent des droits de base et aient une certaine dignité, alors je suis prête à le faire. Malheureusement, en 2009, c'est nécessaire.

Le sénateur Brazeau : Ça m'amène à ma question suivante. En ce qui a trait à la discrimination, vous avez mentionné que cela vous attriste, tout comme ça m'attriste, de voir que certains enfants des Premières nations en sont victimes. Si on retourne en juin 2008, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-21 pour accorder les droits humains aux membres des Premières nations qui vivent dans des réserves ou non, et leur donner la possibilité de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne s'ils se croyaient victimes de discrimination en raison de décisions prises par leur conseil de bande ou le gouvernement fédéral. Comme vous le savez sans doute, certains dirigeants du pays ont réagi, car ils ne souhaitaient pas que ce projet de loi soit adopté. D'une manière ou d'une autre, nous avons également réussi à faire des pressions sur les autres partis politiques dans d'autres lieux pour être exemptés de ça pour les trois prochaines années. Puisqu'il a été adopté en 2008, ça signifie aujourd'hui en termes concrets qu'un conseil de bande peut continuer à discriminer ses propres membres, mais que toute forme de discrimination exercée par le gouvernement fédéral envers les membres des Premières nations et tout citoyen canadien peut faire l'objet d'une plainte.

Quel est votre avis à cet égard? Je ne suis pas ici pour débattre de la pertinence de la possibilité de déposer une plainte. C'est un droit que nous avons et c'est un des avantages qu'offre notre pays. Ne voyez-vous pas l'ironie dans tout ça? Vouloir que ce texte législatif soit adopté, mais utiliser la même méthode pour déposer une plainte?

Mme Blackstock : C'est intéressant. J'ai été inspirée par ce qu'a dit le ministre Strahl aux Nations Unies lorsque le Canada a voté contre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il a dit qu'une des raisons pour lesquelles nous avons des moyens de protection au Canada, c'est l'existence de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a dit ça quelques mois après que nous ayons déposé la plainte. Très franchement, j'ai été choquée par le comportement du Canada après le dépôt de la plainte. Il a remis en question le pouvoir de la Commission canadienne des droits de la personne d'entendre la plainte à chaque niveau. Le principal argument du Canada consiste en une technicalité légale. On peut appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne seulement s'il y a discrimination à l'égard d'un bien, d'un logement — logement de location, ce genre de choses — ou d'un service. Le gouvernement fédéral soutient que le financement fédéral, qu'il soit équitable ou non, n'est pas un service et que, par conséquent, il ne devrait pas être tenu responsable en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Cette loi a été adoptée par les parlementaires en raison des questions morales prédominantes liées à la discrimination. Le gouvernement n'a jamais offert de preuve comme quoi cette discrimination n'existait pas. Il ne fait que s'appuyer sur cette subtilité juridique. Si le gouvernement réussit à faire valoir son point, je me demande s'il aura la voie libre pour exercer sciemment une discrimination à l'endroit des groupes minoritaires, notamment des femmes, des personnes handicapées ou des différents groupes religieux, pour autant que le sous-financement se limite au sous-financement gouvernemental des services. Si ce Canada est bien celui qu'on veut, l'actuel gouvernement nous aura mis sur la bonne voie.

Je crois en l'universalité des droits de la personne et je m'attends à ce que les mécanismes en place respectent ce principe également.

La présidente : Je dois vous interrompre ici. J'ai été très indulgente. Je ne vois pas ce comité supplanter la commission pour ce qui est des questions d'application. Je vous ai accordé beaucoup de latitude pour exprimer vos opinions, mais vous permettre d'aller plus loin serait inapproprié car cela m'obligerait à envisager la possibilité de convoquer l'autre partie et forcerait le comité à jouer le rôle d'arbitre. Là n'est pas le but de la présente étude. Je vous demanderais de bien vouloir vous abstenir d'en dire davantage sur cette question.

Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Brazeau : Monsieur Chartier, la traite de personnes est un problème qui prend de l'ampleur au Canada, dans l'Ouest du pays en particulier, mais qui est en train de faire son chemin dans l'Est également, à Montréal. Le territoire de la Nation métisse s'étend de l'Ouest de l'Ontario jusqu'en Colombie-Britannique. Qu'arrive-t-il si une personne ou une victime potentielle membre de la Nation métisse fait appel depuis Montréal au Ralliement national des Métis? A-t-elle accès aux services offerts par le Ralliement national des Métis?

M. Chartier : Nous ne sommes pas en mesure de filtrer les appels, même en Saskatchewan, en raison du manque de capacités et de personnel. Sur le terrain, nous fonctionnons de la manière suivante : si nous recevons un appel depuis la Saskatchewan, il est redirigé vers la Métis Nation of Saskatchewan, un organisme semblable à la Fédération des Métis du Manitoba. Notre incapacité à offrir l'éventail complet de nos services aux citoyens de la Nation métisse qui vivent dans d'autres régions du Canada est une de nos faiblesses. Nous tentons d'y pallier et espérons pouvoir nous améliorer à ce chapitre. Actuellement, nous ne sommes pas en mesure de le faire; toutefois, cela ne veut pas dire que nous refuserons systématiquement de répondre aux appels d'aide lancés par nos citoyens qui vivent dans d'autres régions du Canada. Nous n'avons pas vraiment de structure organisationnelle ni même beaucoup d'employés. Dans ce genre de situation, nous ferions de notre mieux, mais nous n'avons pas de programme à proprement parler.

Le sénateur Brazeau : Ces mesures s'adresseraient-elles également aux personnes ou aux citoyens métis, par exemple, qui sont nés et qui ont grandi dans la province de Québec?

M. Chartier : Oui. Le lieu de résidence ou de naissance des citoyens de notre nation nous importe peu. Si ces personnes font partie de la nation métisse, nous sommes prêts à faire de notre mieux pour les aider.

Le sénateur Brazeau : Les Métis vivant dans l'Est du Canada ont-ils accès aux services du Ralliement national des Métis, s'ils ne sont pas citoyens de la nation métisse?

M. Chartier : Ne pourrait-on pas dès lors s'interroger sur leur appartenance? À eux de déterminer s'ils sont des Métis ou non. Nous avons simplement la responsabilité d'aider les citoyens de la nation métisse.

Le sénateur Brazeau : Merci.

Le sénateur Mitchell : Madame Blackstock, je me sens interpellé par vos propos au sujet des écarts entre le financement accordé aux enfants non autochtones — les miens — et celui accordé aux enfants autochtones. Je crois que vous avez parlé d'un écart de 22 p. 100.

Mme Blackstock : Vingt-deux pour cent pour ce qui est de la protection de l'enfance. Les niveaux diffèrent selon les autres programmes destinés à l'enfance.

Le sénateur Mitchell : Voilà où je veux en venir. Cette donnée ne concerne que la protection de l'enfance.

Mme Blackstock : Oui, seulement la protection de l'enfance.

Le sénateur Mitchell : L'écart serait-il différent pour l'éducation?

Mme Blackstock : Oui, l'écart serait différent.

Le sénateur Mitchell : Connaissez-vous ces données ou du moins les services pour lesquels les niveaux de financement diffèrent? Y a-t-il moyen de connaître ces chiffres, en gros? Je ne dis pas qu'il importe de savoir ces choses. Je comprends que c'est une question d'équité. Dans quelle mesure le gouvernement fédéral doit-il augmenter ses dépenses actuelles pour créer l'équilibre?

Mme Blackstock : Je peux répondre pour ce qui est de la protection de l'enfance. Dans une étude de 2005 co-rédigée par un économiste du nom de Loxley, ce dernier estimait à 109 millions de dollars le manque à gagner, en excluant l'Ontario et les territoires, pour en arriver à une quelconque parité en matière de protection de l'enfance. Ce n'est pas une très grosse somme. À l'époque, je crois que ce montant correspondait à moins de 1 p. 100 du surplus budgétaire fédéral.

Le sénateur Mitchell : Pour la protection de l'enfance seulement. On ne pourrait qualifier ce montant de prohibitif, même s'il était beaucoup plus élevé. L'éducation viendrait toutefois augmenter ce montant.

Mme Blackstock : Oui, l'éducation viendrait augmenter ce montant. Cette étude a également déterminé quel était le coût de l'inertie. Si nous n'investissons pas dès aujourd'hui dans l'enfance, tout particulièrement du côté des enfants placés longuement en famille d'accueil ou qui ont du mal à réussir à l'école, nous aurons demain une génération plus dépendante de l'aide sociale et davantage aux prises avec des problèmes juridiques et des problèmes de santé et de toxicomanie.

Dans une étude menée en 2006, on estimait à 15 milliards de dollars par année le coût des mauvais traitements au Canada. Nos gouvernements doivent inverser cette tendance et agir de manière responsable, en investissant dès aujourd'hui pour éviter de dépenser demain et en s'assurant de pouvoir réinvestir cet argent dans d'autres programmes publics pour le bien de chacun.

Le sénateur Mitchell : Vous avez clairement fait valoir, comme d'autres avant vous, que les enfants vulnérables s'exposent bien davantage à être exploités sexuellement et que ce sont l'éducation, les services et d'autres facteurs qui interviennent du côté de leur développement qui font en sorte de les rendre moins vulnérables.

Voici l'envers de la médaille : si ces enfants évoluent dans un milieu de très grande pauvreté où le chômage et les dépendances chez les parents sont omniprésents, ces problèmes ne seraient pas réglés simplement en égalisant les paiements destinés aux services. Tout compte fait, il n'y a pas de solution facile. S'il n'y a pas d'emplois disponibles, on ne peut pas en inventer. Que pouvons-nous faire pour régler ce problème?

Mme Blackstock : Nous pouvons encore nous tourner vers la Commission royale sur les peuples autochtones, dont bon nombre des recommandations judicieuses n'ont jamais été appliquées. Même si l'essentiel de mon travail relève de la protection de l'enfance, je ne peux m'empêcher de constater certaines choses. Prenons par exemple la situation de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug, dans le Nord de l'Ontario. Cette collectivité a une énorme pénurie de logements, mais elle possède des terres à bois situées dans des terres fédérales. Les membres de la collectivité n'ont pas le droit d'abattre les arbres pour construire des maisons, ce qu'ils aimeraient bien faire afin d'enrayer la crise du logement. Ces choses pleines de bon sens seraient faciles à faire et permettraient d'atténuer certains problèmes; ainsi, grâce aux investissements dans les services à l'enfance, nous constatons une amélioration globale des conditions socio-économiques dans les collectivités métisses, inuites et des Premières nations.

Le sénateur Mitchell : Imaginons qu'une personne se fait appréhender pour violence envers les enfants dans une collectivité éloignée du Nord, puis que cette personne est accusée, condamnée et incarcérée dans le Sud du pays. Lorsqu'elle retourne dans sa collectivité, les mesures de soutien offertes pour aider cette personne et empêcher une telle situation de se produire de nouveau posent clairement problème. Est-ce bien ce que vous constatez? Madame Tagornak, ces personnes, lorsqu'elles reviennent dans leurs collectivités, ont-elles été quelque peu réhabilitées ou non? Les services offerts dans les prisons du Sud sont-ils suffisants?

J'aimerais également savoir si vous pensez que des peines plus longues feraient ou non une différence.

Mme Tagornak : Lorsqu'un enfant est victime de violence sexuelle dans le Nord, nous n'avons aucun système judiciaire. Un tribunal d'une autre instance est temporairement mis sur pied dans une collectivité ou dans un plus grand centre aux fins du procès et le processus est parfois très long — il s'étend parfois sur des mois, voire des années. Après que l'auteur du crime est condamné puis incarcéré dans le Sud du pays, dans une prison à sécurité maximale par exemple, celui-ci n'a accès à aucun programme ou service adapté à sa réalité culturelle. Lorsque l'auteur du crime est admis au régime de libération conditionnelle, nous nous butons à une autre difficulté, parce qu'il n'y a pas de maisons de transition dans le Nord, ce qui rend la réhabilitation et la réinsertion sociale du détenu très difficiles.

Par conséquent, de nombreuses municipalités et organisations locales bannissent ces personnes de la collectivité, ce qui crée des difficultés dans les plus grands centres, collectivités ou régions, qui ont du mal à accueillir tous ces délinquants sexuels. Cette situation est en passe de créer des problèmes inévitables. Nous devons faire face à des défis uniques dans le Nord dans la façon de traiter les auteurs de crimes et les délinquants dans des affaires d'abus sexuels.

Le sénateur Mitchell : Merci.

La présidente : Merci. Nous avons dépassé de beaucoup la durée prévue et je m'excuse auprès des sénateurs qui ont d'autres engagements et qui sont attendus à d'autres séances de comités. Nous devrions libérer la salle avant que quelqu'un ne vienne nous en expulser.

Pour pallier le peu de temps qui nous est accordé, le sénateur Jaffer a pris l'habitude de mettre ses questions par écrit et de demander aux témoins d'y répondre. J'inciterais fortement les sénateurs qui ont encore des questions à poser à nos invités à les mettre par écrit et à les déposer auprès du greffier, qui les transmettra ensuite aux principaux intéressés. Si vous êtes de nouveau cités à comparaître, nous vous saurions gré de bien vouloir vous déplacer de nouveau jusqu'ici. De nombreuses questions n'ont pas été abordées. J'espère que nous pourrons le faire par écrit.

Je tiens à vous remercier pour tout le travail que vous faites. Cette séance m'a rappelé ma carrière de juriste, lorsque je prenais place autour d'une table. Vous avez abordé les sujets de manière très détaillée. Vous avez savamment illustré ce que font de très nombreuses personnes dans les collectivités, et il nous faudrait entendre davantage de ces histoires.

Une fois de plus, merci pour tout ce travail. Je vous prie de nous faire part de vos recommandations particulières — et je tiens à remercier M. Chartier de nous les avoir énumérées —, car elles nous aident beaucoup dans nos travaux. Je connais Mme Blackstock depuis si longtemps que je n'ose pas lui rappeler notre première rencontre, qui remonte à bien des années. Merci pour toutes les observations que vous avez formulées aujourd'hui et pour toutes celles que vous aurez peut-être à formuler un peu plus tard.

(La séance est levée.)


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