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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 14 - Témoignages du 2 novembre 2009


OTTAWA, le lundi 2 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est réuni aujourd'hui à 14 h 7 pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées; et de surveiller la mise en œuvre des recommandations contenues dans son rapport intitulé Les enfants : des citoyens sans voix — Mise en œuvre efficace des obligations internationales du Canada relatives aux droits des enfants, qui a été déposé au Sénat le 25 avril 2007.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées.

Nous accueillons aujourd'hui, du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, Steve Sullivan, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels; ainsi que Joanne Taché, directrice. M. Simon va nous faire une déclaration liminaire.

Comme vous le savez, nous examinons la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, afin d'essayer d'en comprendre l'ampleur et la prévalence. Des témoins nous ont parlé de délinquants sexuels qui ont été inculpés, voire condamnés, mais nous savons que c'est un infime pourcentage. Nous essayons de nous faire une idée de l'ampleur du problème dans les collectivités, dans le but d'enrichir le débat et de trouver des solutions, aux niveaux fédéral et provincial. Nous espérons que vous saurez nous communiquer un peu de votre sagesse à propos de toute cette question, et après votre déclaration, nous passerons aux questions.

Steve Sullivan, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : Merci. J'espère que notre sagesse, pour reprendre vos propres termes, vous aidera dans votre travail.

[Français]

Nous sommes très heureux d'être ici aujourd'hui. Depuis la création de notre bureau, en 2007, l'exploitation des enfants est une priorité pour moi et pour nous.

Je trouve encourageant que la communauté ait choisi d'accorder la priorité à nos enfants. Je m'en réjouis et j'aimerais vous féliciter d'avoir entrepris ces travaux importants.

Étant donné la période limitée dont nous disposons aujourd'hui, je n'aborderai qu'un seul aspect de l'exploitation des enfants au Canada. C'est un aspect que mon bureau a examiné en détail. Il s'agit de l'exploitation sexuelle des enfants liés à Internet ou la pornographie en ligne, comme on l'appelle souvent.

Si les membres du comité le veulent bien, j'aimerais commencer par présenter un aperçu de l'ampleur du problème. Par la suite, j'entrerai directement dans les détails et discuterai des changements positifs à apporter et nos recommandations sur la façon d'y parvenir.

Je crois que nous ne vous apprendrons rien en disant que le problème d'images et de vidéos sur Internet que représente l'exploitation sexuelle des enfants va en s'accroissant. De plus en plus d'images et de vidéos de ce genre sont disponibles sur Internet et de plus en plus de jeunes les cherchent et y accèdent.

[Traduction]

Selon les Nations Unies, environ 700 000 prédateurs sont connectés à Internet à tout moment. Le volume de matériel d'exploitation grave des enfants a quadruplé depuis 2003. Par ailleurs, le contenu est de plus en plus violent, et les enfants sont de plus en plus jeunes.

La majeure partie des enfants qui figurent dans ces images ont moins de 12 ans. La plupart d'entre eux ont moins de cinq ans, et environ 20 p. 100 ont moins de trois ans. Dans plus de 80 p. 100 des images, il y a pénétration. En outre, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance estime qu'il existe plus de quatre millions de sites dans lesquels apparaissent des victimes mineures, y compris des enfants âgés de moins de deux ans.

C'est pour ces raisons, entre autres, que mon bureau a commencé à examiner la question. À la suite de discussions avec des fournisseurs de services, des agents de police, des procureurs de la Couronne et d'autres intervenants, il nous est apparu clairement qu'il y a des problèmes, mais surtout, qu'il existe des solutions à certains des problèmes cités par les intervenants.

J'ai choisi de présenter ces solutions sous forme de recommandations formulées à l'intention du ministre de la Justice et du ministre de la Sécurité publique. Cette initiative a abouti à la publication, au mois de juin, de notre rapport intitulé Chaque image, chaque enfant. Le rapport présente au ministre de la Justice et au ministre de la Sécurité publique neuf recommandations sur la façon de régler le problème.

Nos recommandations ont été communiquées à un certain nombre d'intervenants importants, comme des ONG, des procureurs de la Couronne et des agents de police. Nous avons la chance de pouvoir compter sur l'appui indéfectible de ces groupes à l'égard des recommandations et du rapport.

Les enjeux et, par conséquent, les recommandations, comportent plusieurs volets. Il est donc nécessaire de tenir compte d'un certain nombre d'éléments, dont le premier est la nécessité d'appréhender les contrevenants. Je voudrais préciser ici qu'il ne s'agit pas simplement d'attraper les méchants, car un grand nombre de ces gens-là, qui ne font « que regarder des images », exploitent aussi les enfants.

Les autres recommandations portent sur la nécessité de trouver et de secourir les enfants; de contribuer à la guérison des enfants, ce qui est très difficile; et de garantir la protection de leur vie privée Quand on parle d'Internet, la protection de la vie privée est toujours un souci primordial, mais bien souvent on néglige les intérêts des enfants. Une autre recommandation porte sur la nécessité de mettre fin, dans la mesure du possible, à la circulation du matériel.

Je n'aurai malheureusement pas le temps aujourd'hui d'entrer dans les détails de toutes les recommandations, mais j'ai remis à M. Thompson des copies du rapport. Si vous avez des questions à ce sujet, je serai heureux d'y répondre. Permettez-moi de revenir sur certaines de ses recommandations et, si vous avez des questions, je me ferai un plaisir de répondre et, le cas échéant, de vous faire parvenir des réponses par écrit.

S'agissant de trouver les contrevenants, il est essentiel de donner aux autorités les outils dont elles ont besoin et de faire disparaître le plus grand nombre d'obstacles possible. Comme je l'ai dit, les recherches nous montrent qu'un grand nombre de ceux qui ne font que regarder ces images se livrent aussi à l'exploitation sexuelle des enfants.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que ceux qui affichent des images sur Internet et qui se livrent à l'exploitation sexuelle des enfants sont très souvent connus des enfants — un membre de la famille, un beau-père ou une belle-mère, un petit ami, un proche de la famille, et cetera. Souvent, quand on trouve le délinquant, on trouve aussi l'enfant.

À l'ère d'Internet, la technologie fait en sorte qu'il est plus facile pour les contrevenants de diffuser le matériel, ce qu'ils n'hésitent pas à faire. La technologie peut toutefois donner à la police la possibilité de suivre la trace des contrevenants et de les arrêter. Quand on parle d'images, qui sont horribles à voir, et de l'impact que leur diffusion sur Internet peut avoir sur les enfants, ce qui est encore plus horrible, il ne faut pas oublier qu'en diffusant ces images sur Internet, les délinquants — même s'ils ne le font pas tous — donnent à la police des indices qu'elle n'aurait jamais pu obtenir autrement.

Internet n'a pas inventé l'exploitation sexuelle. Des gens exploitent des enfants depuis des temps immémoriaux. Aujourd'hui, certains d'entre eux diffusent des images sur Internet, et cela donne parfois à la police les indices dont elle a besoin pour retrouver les enfants. Sinon, nous ne serions pas informés des cas d'exploitation sexuelle, car les enfants ne le disent à personne.

L'une des techniques utilisées pour appréhender les contrevenants consiste à trouver l'adresse de protocole Internet, l'adresse IP, associée à l'ordinateur contenant du matériel lié à l'exploitation des enfants. L'adresse IP est une série de chiffres et de lettres qui ne donne à la police aucune information. C'est comme la plaque d'immatriculation d'une voiture : elle n'identifie pas nécessairement le conducteur mais plutôt la voiture et l'adresse à laquelle elle est enregistrée, ce qui permet à la police d'entreprendre son enquête.

Une fois qu'elle a une adresse IP, la police peut communiquer avec le fournisseur de services Internet et lui demander le nom et l'adresse du client associé à l'adresse IP afin de commencer son enquête. Mais le simple fait de savoir qu'un ordinateur contient du matériel pornographique ne vous dit pas qui était assis en face de l'ordinateur au moment où le matériel a été consulté.

À l'heure actuelle, au Canada, les FSI peuvent fournir au policier qui n'a pas de mandat le nom et l'adresse d'un client, mais ils n'y sont pas obligés. Ils peuvent donc refuser de collaborer avec la police. Heureusement, la majorité des FSI, surtout les grands, coopèrent avec la police, mais ils ne le font pas tous. Selon la GRC, 30 à 40 p. 100 de leurs demandes restent vaines.

C'est la raison pour laquelle nous recommandons au gouvernement d'obliger les fournisseurs de services Internet à communiquer le nom et l'adresse de leurs clients à la police. Et j'aimerais signaler ici que la Cour suprême du Canada a décrété, dans plusieurs causes différentes, que le nom et l'adresse d'une personne ne faisaient pas partie des renseignements confidentiels. Ce ne sont pas des renseignements biographiques, ce ne sont que des données signalétiques. Le nom et l'adresse d'une personne n'appartiennent pas au domaine privé.

La bonne nouvelle, c'est que, depuis la publication de notre rapport, le gouvernement a proposé une nouvelle loi pour obliger les FSI à produire, sur demande, le nom et l'adresse des clients associés aux adresses IP qui ont reçu ou envoyé des images de pornographie juvénile. Il ne s'agit ici, je le répète, que du nom et de l'adresse. La police ne pourra donc pas, sans mandat, avoir accès aux courriels ou aux sites Web qui ont été consultés. Il ne s'agit que du nom et de l'adresse, afin que la police puisse commencer son enquête.

Nous nous réjouissons que le gouvernement ait pris ces mesures, mais il y a encore beaucoup d'obstacles à surmonter. Par exemple, une fois que la police a obtenu la permission d'examiner les biens personnels d'une personne, elle doit être en mesure d'accéder aux fichiers qui pourraient servir d'éléments de preuve. Deux obstacles fréquents s'y opposent : l'incapacité d'examiner le contenu de l'ordinateur d'un suspect parce qu'il est protégé par un mot de passe ou parce qu'il est crypté; et l'incapacité de récupérer et d'examiner l'historique de navigation sur le Web d'un suspect.

S'agissant du premier obstacle, c'est-à-dire le mot de passe protégé ou le cryptage, nous avons recommandé que le refus de divulguer un mot de passe ou un code de cryptage soit considéré comme une infraction criminelle, lorsque le policier qui le demande est en possession d'un mandat de la justice. Pendant une conférence à laquelle j'ai assisté pendant le week-end, un conférencier nous a dit que, d'ici cinq ou 10 ans, ce sera un véritable problème pour la police car les outils de cryptage vont devenir de plus en plus courants. Je ne suis pas un expert en informatique, mais je sais que Windows 7 est équipé d'une fonction de cryptage. Cela fait penser aux dispositions relatives au refus de se prêter à un test d'alcoolémie lorsqu'on risque d'être inculpé d'un acte criminel. Ces dispositions s'appliquent une fois que la police a obtenu le mandat de fouiller dans l'ordinateur de l'individu.

Pour ce qui est de l'historique de navigation sur Internet, il faut bien comprendre qu'au Canada, les FSI ne sont pas obligés de conserver l'historique de navigation de leurs clients. Souvent, les policiers vont présenter un mandat aux FSI pour obtenir certains renseignements, mais ces renseignements ont déjà été effacés. En effet, ces données occupent beaucoup d'espace sur les serveurs, et les FSI les purgent régulièrement. Nous avons recommandé que le gouvernement présente une loi pour obliger les FSI à conserver le nom, l'adresse, ainsi que les données relatives au trafic et au contenu pendant deux à cinq ans.

[Français]

J'aimerais maintenant passer à la façon de trouver et de secourir les enfants. Trouver et secourir les enfants figurant sur le matériel est une étape essentielle du processus qui est souvent passée sous silence. Il nous arrive parfois d'oublier que chaque image ou vidéo est une scène de crime et que les enfants qui y figurent sont des victimes qui ont besoin de notre aide.

Au Canada, nous sommes fiers de pouvoir compter parmi nous certains des meilleurs analystes d'images au monde. Puisque nous savons que la plupart des enfants ne divulgueront pas les abus sexuels commis envers eux, les images présentent une occasion unique pour la police de leur venir en aide. Les policiers dans le monde ont trouvé et secouru les enfants grâce à l'analyse d'images. Au Canada, les policiers ont trouvé 80 enfants. Il faut beaucoup de ressources en temps et en effectifs pour analyser les images en vue de trouver des indices et pour enquêter sur le lieu où se trouvent ces enfants. Il nous faut miser davantage sur l'excellent travail. Ainsi, nous avons recommandé au gouvernement d'élaborer une stratégie nationale pour identifier les victimes qui figurent sur les images d'enfants exploités sexuellement et que cette stratégie appuie l'élargissement de l'unité d'identification des victimes du Centre national de coordination et contre l'exploitation des enfants de la gendarmerie.

[Traduction]

À la conférence à laquelle j'ai assisté pendant le week-end, un conférencier du centre national nous a dit que leur banque d'images était maintenant opérationnelle, et qu'ils travaillaient avec Interpol pour développer leur banque de données internationales, laquelle leur a permis de retrouver des enfants dans le monde entier.

Votre comité examine aujourd'hui l'ampleur du problème, et c'est important, mais je ne voudrais pas que vous perdiez de vue ce que nous faisons avec ces enfants après qu'ils ont été exploités. La plupart d'entre eux ne racontent à personne ce qui s'est passé, mais une fois qu'ils se sont confiés à nous, nous devons assurer leur sécurité. Selon un agent de police qui a participé à des opérations de ce genre, retrouver des enfants par Internet n'est rien, le plus dur est de savoir quoi faire une fois qu'on les a retrouvés. On est content de soi quand on a arraché un enfant à un parent exploiteur, mais quand il s'agit du « papa » — parce que la plupart des exploiteurs sont des pères ou des hommes — c'est difficile de faire accepter à l'enfant qu'il faut mettre les menottes à son papa. On se sent bien parce qu'on sait qu'on met ainsi un terme à l'exploitation de l'enfant, mais pour ces enfants, c'est la fin d'une vie familiale qu'ils avaient toujours connue ainsi. Papa a peut-être fait certaines choses la nuit que l'enfant n'aimait pas, mais c'est aussi papa qui l'emmenait au match de baseball, qui lui achetait des cadeaux, enfin qui faisait tout ce qu'un père est censé faire.

Par conséquent, on a beau se sentir bien une fois qu'on a arrêté ces gens-là, il faut aussi prendre soin des enfants qui ont été exploités. Lorsque nous avons la chance de trouver et de sauver un enfant, nous devons lui fournir l'appui nécessaire pour l'aider à entamer le processus de guérison.

Les enfants victimes d'exploitation sexuelle sur Internet éprouvent des souffrances supplémentaires. Dans notre rapport, nous citons une jeune femme qui affirme que la diffusion des images de son exploitation sexuelle était pire que l'exploitation sexuelle en soi. L'exploitation sexuelle avait cessé, mais les images étaient toujours là. La preuve de ce type d'agression est distribuée de façon incessante, dans le monde entier. Les images ne peuvent jamais être effacées complètement. Les victimes doivent vivre sachant que ces images sont toujours utilisées par des collectionneurs et qu'elles peuvent resurgir à n'importe quel moment. Une jeune personne citée dans le rapport raconte que, lorsqu'elle marche dans la rue, elle se demande toujours si les gens qu'elle rencontre ont vu des images d'elle.

Jusqu'à maintenant, très peu de recherches ont été faites pour comprendre les conséquences de l'exploitation sexuelle par Internet sur les enfants qui en sont victimes. Nous connaissons les impacts de l'exploitation sexuelle. Votre comité en a discuté avec d'autres témoins. Mais nous ne savons pas grand-chose de l'impact que peut avoir Internet. Par exemple, nous ne savons pas comment aider les enfants à vivre avec l'idée que leurs images seront sur Internet indéfiniment et qu'elles seront utilisées par des collectionneurs pour faciliter l'exploitation sexuelle d'autres enfants. Nous n'avons pas encore suffisamment de victimes pour déterminer l'impact d'Internet à ce niveau-là. Nous recommandons au gouvernement de faire plus de recherches dans ce domaine.

Par ailleurs, notre rapport souligne la nécessité de mettre en place des services pour venir en aide à ces enfants. Les Centres d'appui aux enfants, les CAE, sont fondés sur un modèle conçu aux États-Unis, où l'enfant est la priorité. D'autres témoins ont parlé des CAE, notamment le Zebra Child Protection Centre. Les CAE rassemblent une variété de professionnels, comme des agents de police, des conseillers, des psychologues et d'autres. C'est un avantage considérable pour un enfant qui, autrement, serait obligé de rencontrer jusqu'à 10 personnes différentes dans des lieux souvent officiels ou intimidants, comme un poste de police ou un cabinet d'avocat. En plus de faciliter les choses pour l'enfant, les CAE sont rentables. Une recherche américaine a démontré que, là où il y a un centre, les enquêtes peuvent coûter jusqu'à 45 p. 100 moins cher.

Des recherches menées par le centre Zebra d'Edmonton, le plus ancien du Canada, montrent que le nombre de poursuites a augmenté. De l'avis des juges, les preuves sont de meilleure qualité, ce qui se traduit par un plus grand nombre de plaidoyers de culpabilité, un taux de condamnation plus élevé et des peines plus appropriées. De plus, les familles sont plus enclines à recourir aux services s'ils sont offerts sur place.

Nous n'avons que quelques centres de ce genre au Canada, alors qu'il y en a plus de 900 aux États-Unis. Mme Taché et moi-même avons eu le plaisir la semaine dernière de nous rendre au Centre d'expertise Marie-Vincent à Montréal, qui est un centre d'appui aux enfants où l'on fait énormément de recherche. Le Zebra Child Protection Centre d'Edmonton et le Centre d'appui aux enfants de Niagara, de la région de Niagara, dispensent des services de pointe. Ils ont chacun leurs particularités. Victoria, Toronto et Winnipeg essaient elles aussi de mettre sur pied des centres de ce genre, et je recommande à votre comité d'inviter des représentants de ces centres à venir témoigner.

Nous recommandons que le gouvernement élabore une stratégie nationale afin d'accroître le réseau de CAE dans les collectivités, partout au Canada. Tous les enfants qui font l'effort de se confier à quelqu'un devraient avoir la possibilité de s'adresser à un CAE. Nous avons demandé au ministre des Finances d'inclure dans son dernier budget une aide financière pour les juridictions qui essaient de mettre sur pied ce genre de centre et qui manquent de fonds. Malheureusement, rien de tel n'a été prévu dans le dernier budget, mais nous continuons de faire des pressions. J'ai eu l'occasion d'en parler au ministre de la Justice à plusieurs reprises, et je crois savoir que le premier ministre a récemment rencontré des gens du centre de Montréal.

[Français]

J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire, mais compte tenu du temps et par respect pour les autres témoins, je vais m'arrêter ici.

Merci d'avoir pris le temps de vous pencher sur la question. Je serai heureux de répondre aux questions des membres du comité.

[Traduction]

Le président : Je crois savoir que Mme Taché est ici pour répondre aux questions d'ordre technique. Je vais donc commencer par vous demander quelques précisions.

Monsieur Sullivan, vous avez dit que la plupart des exploiteurs étaient connus des enfants, mais que les images étaient diffusées dans les médias et sur Internet. Avez-vous des données qui démontrent que, lorsque l'exploiteur est un membre de la famille, il utilise Internet pour diffuser ce genre d'image? On nous a souvent dit que seul un faible pourcentage de ces gens-là sont inculpés car, dans un tel contexte, l'enfant ne se livre pas facilement. Nous essayons d'attraper ceux qui ne sont pas dénoncés et qui ne passent pas devant un tribunal. Vous avez dit que, même s'ils sont membres de la famille, ils utilisent ce genre d'images.

M. Sullivan : Ceux qui exploitent des enfants, qui prennent des photos qu'ils diffusent ensuite sur Internet sont des membres de la famille ou des proches de la victime. Nous donnons des statistiques là-dessus dans notre rapport, et je pourrais vous en indiquer la référence. La diffusion de ces images est certainement très commerciale, mais elle se fait surtout entre individus. D'après certaines estimations, cela représenterait plus d'un milliard de dollars. Bien souvent, c'est un membre de la famille qui exploite son enfant, qui prend des photos et qui, grâce aux liens fournis par Internet, échange ces images avec d'autres individus. Il y a aussi les collectionneurs qui, même s'ils n'exploitent pas d'enfants, font la collection de ces images. Grâce aux nouvelles technologies, les policiers découvrent des collections de plus d'un million d'images. Le plus souvent, celui qui exploite un enfant est connu de l'enfant et est un membre de la famille.

Le président : La diffusion d'images de l'exploitation sexuelle d'un enfant n'est pas une activité strictement commerciale.

M. Sullivan : Non. La plupart des images diffusées sur Internet ont été produites à la maison ou là où l'exploiteur avait accès à l'enfant. Ça se fait donc à domicile.

Le président : Les statistiques sont toujours choquantes quand il s'agit d'enfants, mais vous avez dit notamment que 20 p. 100 des enfants exploités sexuellement avaient moins de trois ans. Ai-je bien entendu?

M. Sullivan : Dix-neuf pour cent des images que nous trouvons montrent des enfants de moins de trois ans.

Le président : Je trouve cela incroyable. Quand je travaillais dans un tribunal de la famille, il m'arrivait de compter les cas qui se présentaient, et ils étaient vraiment rares. Aujourd'hui, vous dites qu'ils représentent 19 p. 100.

M. Sullivan : Oui. Selon la police, les images deviennent de plus en plus violentes, et les enfants sont de plus en plus jeunes. Je crois que c'est une tendance internationale. Comme cela arrive souvent avec un nouveau produit, la demande stimule l'offre. Il est peut-être plus facile de trouver des images d'enfants plus âgés, par conséquent les amateurs recherchent de plus en plus des images d'enfants plus jeunes. Je sais qu'en 2005, un agent de la Police provinciale de l'Ontario a témoigné avoir trouvé des images de nourrissons, ce qui à l'époque était rare. Ce n'est pas encore très courant de nos jours, mais la police trouve de plus en plus d'images d'enfants très jeunes.

Le président : Pour ceux qui ne le savent pas, FSI signifie fournisseur de services Internet.

M. Sullivan : En effet.

Le président : Vous avez parlé des FSI canadiens. Dans quelle mesure l'exploitation sexuelle facilitée par Internet est-elle un phénomène international?

M. Sullivan : Cela varie. Fort heureusement, le Canada s'est doté d'une loi très efficace sur la pornographie juvénile, notamment grâce à sa définition de « pornographie juvénile ». Les États-Unis vont même un peu plus loin, mais d'autres pays n'ont même pas de définition de « pornographie juvénile ». Les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie ont adopté des lois encourageant leurs fournisseurs de services Internet à conserver les données et à offrir un certain niveau de collaboration. Nous avons de la chance, au Canada, que la plupart des grands FSI collaborent avec la police, mais il faudrait qu'ils le fassent tous. La police nous a dit que, lorsqu'elle ne réussit pas à obtenir les renseignements, elle n'arrive pas toujours à obtenir un mandat parce qu'elle ne dispose que d'une série de chiffres, ce qui fait avorter un certain nombre d'enquêtes. Les grands FSI collaborent, mais il faudrait qu'ils collaborent tous car, sinon, cela nous pose un gros problème. D'autres pays ont légiféré un peu plus rapidement que nous dans ce domaine.

Le sénateur Munson : J'ai presque du mal à vous remercier de votre exposé, tant je suis perturbé par les informations que vous nous avez communiquées. Vous avez parlé de statistiques et des travaux de recherche que vous effectuez. Vous avez dit que l'exploitation d'enfants facilitée par Internet est un phénomène qui se développe rapidement, et qu'il a augmenté de plus de 800 p. 100 entre 1998 et 2003. Avez-vous des statistiques récentes?

M. Sullivan : Les statistiques portent sur les accusations qui ont été portées, ce qui n'est pas surprenant étant donné qu'Internet est un phénomène relativement nouveau dans les tribunaux. Je vais vérifier si nous avons des statistiques plus récentes.

Le sénateur Munson : Vous avez dit que ces statistiques n'ont pas diminué entre 2003 et 2009. Avez-vous suffisamment de ressources pour faire votre travail?

M. Sullivan : Notre bureau est relativement récent, puisqu'il a à peine trois ans, et nous avons reçu pas mal d'appels. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous nous occupons des victimes d'actes criminels de tout le pays, pas seulement des enfants. Nous aimerions pouvoir faire davantage, mais nous avons réussi à répondre à beaucoup d'appels de Canadiens qui ont été victimes d'actes criminels.

Le sénateur Munson : Faites-vous des campagnes de publicité? Les gens savent-ils comment vous contacter? S'intéressent-ils à ces campagnes?

Joanne Taché, directrice, Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : Nous y travaillons, et nous avons essayé de nous faire connaître davantage. Nous sommes un très petit bureau, et il est difficile de nous faire connaître. Il existe beaucoup de services d'aide aux victimes, ce qui crée peut-être une certaine confusion chez les victimes elles-mêmes. En fait, pour les victimes d'actes criminels, nous sommes un bureau de dernier recours. Il arrive qu'une victime reçoive des conseils juste après la perpétration du crime, alors qu'elle est encore traumatisée par ce qui lui est arrivé. Dans ces circonstances, les conseils et les documents qu'on lui donne sont souvent mis de côté.

M. Sullivan : Notre homologue est l'Enquêteur correctionnel du Canada, qui est l'ombudsman des détenus fédéraux. Sans vouloir faire de jeux de mots, je dirais que ses clients sont une clientèle captive. Il sait où ils se trouvent, par conséquent il lui suffit de leur envoyer une brochure pour leur présenter ses services. Nous, nos clients sont dispersés dans tout le pays, ils ne forment pas un groupe. Nous sommes un bureau fédéral, par conséquent nous aidons les victimes sur des questions fédérales. Si une victime a un problème avec la police de Toronto, par exemple, ou si la Couronne n'a pas porté d'accusations, il s'agit alors de questions locales.

Nous reconnaissons que nous avons beaucoup de travail à faire pour nous faire connaître des Canadiens.

Le sénateur Munson : Outre la sensibilisation, vous avez dit qu'il fallait secourir l'enfant, faciliter sa guérison. Vous avez ajouté que le père qui exploite son enfant, la nuit, est souvent le même père qui l'emmène à sa partie de hockey, le jour. Que faites-vous pour secourir ces enfants? Que fait le Bureau de l'ombudsman à cet égard?

M. Sullivan : Nous ne pouvons secourir directement cet enfant que si, par exemple, celui qui l'a exploité a été incarcéré dans un pénitencier fédéral et que la famille veut qu'il corrige son comportement. Nous ne fournissons pas de services directs. C'est au niveau local que ça se fait, par l'intermédiaire de la police, des organismes d'aide à l'enfance et de la Couronne.

Avec ce rapport, nous essayons de sensibiliser la population à ce problème. Les recommandations législatives sont claires. Les centres d'appui aux enfants sont des organismes non pas fédéraux mais locaux. Nous voulons cependant que le gouvernement fédéral reconnaisse qu'il a un rôle à jouer en facilitant la création de ces centres. Comme on le voit avec l'expérience américaine, ces centres offrent les meilleurs secours qu'on puisse offrir aux enfants. On entend souvent parler de juridictions différentes et du rôle limité du gouvernement fédéral, et c'est justifié. Toutefois, quand il s'agit des enfants, il faudrait s'affranchir de certains paramètres afin de voir comment on peut collaborer tous ensemble. Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans ce domaine, et c'est ce que nous avons essayé de montrer dans le rapport.

Le sénateur Munson : À la recommandation 6, vous parlez de développer le réseau des centres d'appui aux enfants. Il en existe déjà, mais comment, à votre avis, seraient-ils reliés? Je suis d'accord avec vous, il nous faut une stratégie nationale pour ça. C'est la seule façon pour que ça marche. Comment feriez-vous pour que tous ces centres reçoivent les données que vous produisez ainsi que d'autres organisations?

M. Sullivan : Il n'y en a qu'une petite poignée actuellement, et ils ne répondent peut-être même pas tous à la définition exacte de « centres d'appui », comme on l'entend aux États-Unis, vu le peu de services qu'ils offrent. Lorsque nous avons préparé notre rapport, nous ne connaissions pas le Centre d'expertise Marie-Vincent, de Montréal. Aucun des autres centres établis au Canada ne le connaissait non plus. Il y a donc du travail à faire à ce niveau-là. Nous avons réussi à encourager le développement de certains services, mais pour l'instant, il n'y a que trois ou quatre centres au Canada.

Le sénateur Munson : Où se trouvent-ils?

M. Sullivan : À Edmonton, à Regina — le Regina Children's Justice Centre —, à Montréal et dans la région de Niagara. La région de Niagara a attendu 10 ans avant d'avoir son centre. Ils ne reçoivent aucune aide du gouvernement. Il y a d'autres collectivités, comme Victoria, en Colombie-Britannique. Toronto essaie de créer un centre depuis longtemps, et Winnipeg en voudrait un également.

Plusieurs collectivités sont sur le point d'en avoir un. Le financement est un gros problème, comme vous pouvez l'imaginer, surtout dans l'environnement actuel. À mon avis, le gouvernement fédéral devrait les aider.

Le sénateur Munson : J'aimerais poser une dernière question. Que pouvez-vous nous dire des enfants qui sont victimes de pornographie juvénile ou qui sont leurrés sur Internet? Appartiennent-ils à un groupe démographique particulier? On pense souvent que c'est le cas, mais est-ce exact?

M. Sullivan : Je crois que les enfants victimes de pornographie juvénile appartiennent à toutes les couches de la société, indépendamment de la race et du statut économique. J'ai assisté à une conférence la semaine dernière, à Niagara Falls, où il y a le centre. À quelqu'un qui demandait comment on repérait un délinquant, de quoi il avait l'air, un agent de police à la retraite a répondu que « ça pouvait aussi bien être votre voisin l'avocat qu'un agent de police, un enseignant ou un éboueur ».

Je ne pense pas qu'il y ait un profil particulier. Lorsqu'un enfant révèle son secret et que celui qui l'a exploité est un membre respecté de la collectivité, c'est encore plus difficile pour nous, qui sommes membres de la même collectivité, de le croire. Ce serait plus facile si ces délinquants étaient tous des vieux salopards qui se cachent dans les parcs. Ça nous rendrait la tâche plus facile. Mais encore une fois, c'est un fléau qui frappe toutes les couches de la société. Bien sûr, certaines collectivités sont plus vulnérables que d'autres, mais elles sont toutes touchées par ce problème.

Le sénateur Nancy Ruth : Merci d'être venu.

Vous avez laissé entendre tout à l'heure que les exploiteurs sont des hommes et que les victimes sont souvent des femmes. Pourriez-vous nous donner des statistiques à ce sujet? Parmi tous ceux qui sont inculpés, quel pourcentage sont des hommes?

M. Sullivan : Je vérifierai dans nos rapports. Je pense que plus de 90 p. 100 des personnes inculpées sont des hommes. Cela ne veut pas dire qu'aucune femme y a participé ou a été appréhendée, mais c'est un acte criminel commis par des hommes dans la très grande majorité des cas.

Pour ce qui est du sexe des victimes, les plus jeunes sont généralement des filles, mais je vais vérifier le rapport car je n'ai pas ces chiffres en tête. Je vous les ferai parvenir plus tard.

Le sénateur Nancy Ruth : Parfait.

Pouvez-vous me dire pourquoi vous employez la forme neutre dans votre rapport? Dans quel but?

M. Sullivan : Très franchement, je ne pense pas que nous l'ayons fait délibérément, c'est simplement un style de rédaction. Pour ce qui est des statistiques, il y a encore tant de choses qui se passent sur Internet et que nous ignorons encore. Personnellement, que les filles représentent la moitié ou les deux tiers des victimes, je préfère employer la forme neutre. En ce qui concerne les délinquants, je ne peux pas vous dire exactement pourquoi nous employons la forme neutre, car il est évident que ce sont en grande majorité des hommes.

Le sénateur Nancy Ruth : Vos recommandations à propos du Code criminel portent souvent sur l'article relatif aux enfants. Je ne connais rien au Code criminel, mais il me semble bien que le Canada a des lois et des politiques qui protègent tous ceux qui sont victimes de la pornographie. Est-ce exact ou bien cette protection n'est-elle accordée qu'aux enfants?

M. Sullivan : La pornographie adulte est légale. Si deux adultes consentants se prennent en photo, c'est légal. Il n'y a rien d'illégal à ça. Ça devient de la pornographie juvénile lorsque l'enfant a moins de 18 ans.

Le sénateur Nancy Ruth : Et la pornographie qu'on appelle « snuff », c'est-à-dire qui entraîne la mort?

M. Sullivan : Le Code contient des dispositions sur l'obscénité. Il y a eu je crois la cause Butler qui traitait de ce problème. Lorsque la pornographie est accompagnée d'extrême violence, des limites peuvent être imposées. Toutefois, de façon générale, ce que nous considérons comme de la pornographie acceptable ou conventionnelle n'a rien d'illégal.

Le sénateur Nancy Ruth : Ces dispositions du Code criminel visent-elles précisément à ne protéger que ce groupe de la société?

M. Sullivan : Oui.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est intéressant.

M. Sullivan : C'est essentiellement parce que les enfants ne peuvent pas consentir à une activité sexuelle.

Le sénateur Nancy Ruth : Jusqu'à quel âge?

M. Sullivan : Seize ans, sauf à certains articles. Par exemple, pour le commerce sexuel, je crois que c'est 18 ans. Il y a différentes catégories, mais en général, c'est 16 ans.

Le sénateur Nancy Ruth : Y a-t-il d'autres groupes qui travaillent avec les victimes d'actes criminels et avec qui vous collaborez, ou bien êtes-vous tout seul?

M. Sullivan : Nous travaillons avec les ministères fédéraux qui s'occupent des victimes d'actes criminels. Nous avons également beaucoup de partenaires parmi les ONG : les fournisseurs de services, les CAE dont j'ai parlé, d'autres centres qui travaillent avec les enfants, Boost, à Toronto, qui s'occupe des enfants qui ont dû comparaître devant un tribunal. Nous essayons de collaborer avec le plus grand nombre d'organismes possible.

Le sénateur Brazeau : Bonjour. Je suis heureux de vous accueillir cet après-midi.

J'aimerais poursuivre dans la même veine, à propos des organismes avec lesquels vous collaborez, pour vous demander si vous avez l'occasion de travailler avec des organismes autochtones du Canada?

M. Sullivan : Nous avons beaucoup travaillé avec l'Association des femmes autochtones du Canada, surtout dans le cadre de leur campagne Sœurs par l'esprit, mais aussi à d'autres occasions. Nous avons aussi jeté des ponts dans les territoires. Le ministère de la Justice a organisé une conférence sur les services aux victimes dans les territoires où, comme vous le savez, on trouve surtout des collectivités autochtones. Il y a été question des difficultés qui se posaient.

Pour revenir à la question du sénateur Munson, nous n'avions pas jusque-là reçu beaucoup de demandes de services de la part des territoires, même pas cinq. Il était donc important que nous établissions des liens avec les responsables des services de victimes dans ces collectivités. Nous y sommes parvenus; en tout cas, le nombre de demandes a augmenté.

Nous nous sommes donc efforcés de nouer des relations avec diverses organisations. Je ne prétends pas l'avoir fait avec la totalité, mais notre partenaire principal est sans doute l'Association des femmes autochtones.

Le sénateur Brazeau : Des représentants autochtones, qui travaillent dans des organisations de services aux victimes, nous ont dit qu'un nombre disproportionné d'enfants autochtones étaient victimes d'exploitation sexuelle. Ils ont aussi ajouté que les enfants autochtones étaient relativement moins nombreux à révéler leur secret. Comment pouvez-vous concilier ces deux déclarations? Cela signifie-t-il que le nombre d'enfants autochtones qui sont victimes d'exploitation sexuelle est beaucoup plus élevé qu'on ne le pense?

M. Sullivan : Je vais vous dire ce que j'ai constaté personnellement, mais ce n'est pas corroboré par des travaux de recherche. C'est déjà très dur pour un enfant qui habite à Ottawa, par exemple, de révéler à une tierce personne qu'il est exploité sexuellement, mais ça l'est encore plus pour un enfant qui habite dans une collectivité autochtone éloignée. À la conférence à laquelle nous avons assisté il y a deux semaines, le juge Morin, qui préside un tribunal itinérant dans le nord de la Saskatchewan, nous a raconté l'histoire d'une jeune Autochtone qui était accusée au départ de meurtre au deuxième degré. L'accusation a ensuite été ramenée à un homicide involontaire coupable, puis à un infanticide. Elle avait accouché d'un enfant sur un chemin isolé et avait laissé mourir l'enfant. Au moment de la détermination de sa peine, elle était seule devant le tribunal, accompagnée seulement d'un représentant des services d'appui aux victimes. Elle avait été exploitée sexuellement par un adulte de sa famille, un oncle ou un cousin qui vivait dans la même maison. Quelques mois plus tard, ce dernier a comparu lui aussi devant le tribunal pour connaître sa peine. Elle n'aurait jamais révélé son secret à quiconque si elle n'avait pas accouché de cet enfant. La salle de tribunal était remplie d'anciens et de membres de la communauté, de membres de la famille, enfin tout le monde y était. Ils étaient tous là pour l'appuyer, lui, et pour demander au juge de ne pas l'envoyer en prison. Le juge nous a dit que ces cas n'étaient pas rares dans les communautés éloignées, et que la victime n'avait nulle part où aller pour dénoncer son agresseur. Et en fait, quand elle le fait, on lui conseille souvent de laisser tomber les accusations et de ne rien signaler aux autorités.

Cela se passe dans toutes les collectivités, mais ça explique peut-être pourquoi il y a relativement moins d'enfants autochtones qui révèlent leur secret. Nous savons que les taux d'exploitation sont plus élevés. Vous savez comme moi que, dans certaines collectivités, ces taux sont très élevés. Au Nunavut, les taux d'agression sexuelle sont, je crois, huit fois plus élevés que dans le reste du Canada. Malgré ces chiffres, peu d'enfants dénoncent l'agression dont ils ont été victimes. Je ne sais pas si j'ai répondu entièrement à votre question, mais j'espère y avoir contribué.

Le sénateur Brazeau : Quand on parle des personnes et, surtout, des enfants qui révèlent ce qui leur est arrivé aux autorités compétentes, c'est bien sûr leur choix personnel. J'aimerais toutefois que vous me disiez comment nous pourrions encourager ces gens-là à dénoncer plus rapidement leurs agresseurs — plus rapidement et plus spontanément qu'ils ne le font aujourd'hui —, de façon qu'ils se sentent rassurés que justice a été faite et que leurs agresseurs purgent leur peine, en prison ou ailleurs.

M. Sullivan : Je ne voudrais pas que vous pensiez que j'esquive votre question, car je la trouve excellente. Mais je dois vous dire franchement que je n'en sais rien. Je milite pour les droits des victimes depuis plus de 15 ans, et notre objectif était de faire reconnaître les droits des victimes, les déclarations des victimes, et la protection à laquelle elles ont droit lorsqu'elles témoignent devant le tribunal, afin de les encourager à dénoncer leurs agresseurs. Cela ne s'est pas produit. Le nombre de dénonciations est aussi bas aujourd'hui qu'il l'était, il y a 10, 15 ou 20 ans. Il m'arrive de penser que nous avons échoué. Nous avons encore beaucoup de travail à faire.

Notre problème est que, même si nous avons modifié beaucoup de lois — aujourd'hui, on protège les enfants qui veulent témoigner devant un tribunal en les faisant comparaître derrière un écran ou en circuit télévisé fermé, et il y a davantage de services de soutien aujourd'hui — le problème, disais-je, c'est qu'une salle de tribunal sera toujours un endroit horrible pour un enfant, car il devra raconter, devant une foule d'étrangers, tout ce que papa ou oncle Bill lui faisait. Tant que nous ne réussirons pas à rendre cette salle plus conviviale — tout en respectant, bien sûr, les droits de l'accusé à un procès juste et équitable —, je ne pense pas que le nombre de dénonciations augmentera vraiment. Je me garde toujours de faire des promesses que je ne pourrai pas tenir. Et je ne peux pas dire à des enfants qu'aujourd'hui, c'est plus facile de comparaître devant un tribunal, parce que ce ne sera peut-être pas le cas pour eux. Une salle d'audience n'est jamais un endroit convivial.

Je ne peux donc pas vous donner une réponse plus précise. Si le comité le désire, je peux essayer de me renseigner afin de lui faire parvenir une réponse écrite, mais encore une fois, c'est une question très difficile.

Le sénateur Demers : Même avant de devenir sénateur en août dernier, je m'intéressais déjà beaucoup à toute cette question. J'ai rencontré différentes personnes à ce sujet, et elles ont toutes dénoncé le manque de ressources financières. Pour un travail qui nécessiterait 50 personnes, elles n'en ont que 10 pour le faire. Alors, fatalement, il y a des lacunes. C'est ma plus grande frustration. Ces enfants sont renvoyés chez eux, là même où ils ont subi des agressions. Ils n'ont aucune protection. Il n'y a pas d'argent pour ceux qui militent en faveur des droits des enfants. Et dans 10 ans, nous serons encore ici à parler des mêmes problèmes.

Je respecte ce que vous faites. Je ne critique ni votre bureau ni le gouvernement, mais je suis sûr que, dans 10 ans, nous serons encore là à discuter des mêmes problèmes. On n'arrête pas de dire qu'on va faire quelque chose, mais en attendant, le problème prend de l'ampleur. Nous avons fait des pas importants, mais en attendant, ce sont les enfants qui écopent lorsqu'on les renvoie auprès de leur beau-père ou de leur père. C'est frustrant de voir qu'on en parle mais que, dans la réalité, il ne se passe pas grand-chose.

Je me suis rendu dans une école à Noël. Il y avait 77 enfants. On m'a dit que je ne pouvais pas prendre une photo avec 11 d'entre eux. Quand j'ai demandé pourquoi, on m'a répondu que les vacances de Noël étaient proches et qu'ils allaient renvoyer ces enfants chez eux. Autrement dit, on les replaçait dans le même environnement.

Vous avez parlé d'argent. Vous demandez environ 5 millions de dollars. Vous n'irez pas loin avec ça. C'est une goutte d'eau dans l'océan. Je ne suis pas un expert comme vous, et croyez-moi, je ne cherche pas à me faire passer pour tel. Je respecte ce que vous faites, mais tout cela doit vous frustrer énormément.

Le Centre d'expertise Marie-Vincent m'a demandé de faire du travail pour eux. Ils sont frustrés, par exemple, quand ils voient un délinquant sortir de prison. Celui-ci n'a pas le droit de se trouver à moins de 500 mètres du parc ou à moins d'un demi-mille de l'école, mais il va ailleurs. Vous n'avez pas assez de personnel, et ce sont les enfants qui en pâtissent.

Le sénateur Munson a soulevé une question très intéressante, tout comme le sénateur Nancy Ruth et le sénateur Brazeau. On ne peut pas parler de tout ça éternellement, il faut faire quelque chose.

M. Sullivan : Je suis d'accord avec vous. En ce qui concerne ces 5 millions de dollars, je sais parfaitement où ils vont aller. Nous espérions, étant donné que nous avons reçu cette somme assez rapidement et que le ralentissement économique se poursuit, que nous aiderions certaines collectivités à ouvrir un centre. Je ne sais pas comment répondre à la question du sénateur sur la façon d'encourager les enfants à dénoncer les agressions dont ils sont victimes. Il y a encore beaucoup de travail à faire à ce niveau-là. Pour les enfants qui sont prêts à le faire, ou qui se font représenter par quelqu'un, ou pour ces enfants dont nous découvrons des images sur Internet, pour ceux-là, donc, nous devons faire beaucoup plus que ce que nous faisons actuellement. Si nous ne le faisons pas, nous savons ce qui arrivera : de plus en plus de jeunes seront exploités sexuellement ou seront victimes du commerce sexuel, le taux de grossesse chez les adolescentes augmentera, de même que la promiscuité sexuelle, l'alcoolisme et les fugues. Et au Canada, tout cela se chiffre en milliards de dollars.

Nous estimons que les CAE peuvent jouer un rôle très précieux auprès des enfants et qu'ils peuvent même les sauver, en quelque sorte, en modifiant leur trajectoire. Le processus conventionnel est dur pour les victimes. Certes, il y a des gens extraordinaires qui travaillent dans le système — des agents de police, des procureurs de la Couronne et des juges —, mais le processus reste très dur pour les victimes. Nous devons donc leur offrir des services d'appui. Les CAE d'Edmonton, par exemple, ont un groupe de bénévoles qui travaillent avec les parents. Lorsque la mère doit ramener son enfant à la maison après que le père a été arrêté, et qu'elle se sent seule et stressée, nous avons des bénévoles pour lui venir en aide. Nous savons en effet que si l'enfant rentre à la maison avec une mère stressée, cela ne l'aidera pas. C'est donc toute la famille qu'il faut aider. En tant que sénateurs, vous pouvez jouer un rôle.

Le sénateur Mitchell : Ce qui m'intéresse, c'est à la fois avant et après le procès. D'autres sénateurs en ont également parlé. Trop souvent, dans les débats sur la question, on se contente d'opposer laxisme à répression, ce qui empêche de trouver de vraies solutions pour lutter contre la criminalité. Si nous voulons mener une lutte impitoyable contre la criminalité, nous devons aussi mener une lutte impitoyable contre la pauvreté et l'exploitation sexuelle des enfants. Comme vous l'avez dit, bon nombre des victimes qui ne parviennent pas à régler leurs problèmes finissent par devenir des criminels. Vous pourriez avoir un impact considérable, outre le fait que vous avez l'obligation d'aider ces enfants et ces jeunes.

Le gouvernement a réduit le budget du Centre national de prévention du crime de 60 à 19 millions de dollars, soit une réduction des deux tiers. C'est ça la prévention. Saviez-vous que le budget de ce programme et celui d'autres programmes avaient été réduits?

M. Sullivan : Je sais bien sûr que ce programme existe, mais je ne savais pas que son budget avait été réduit.

Le sénateur Mitchell : C'est ça la prévention du crime. C'est vraiment déconcertant, et je tenais à le souligner.

Si vous étiez premier ministre, y a-t-il des programmes de prévention du crime particulièrement efficaces que vous adopteriez immédiatement?

M. Sullivan : Loin de moi l'idée de me faire passer pour un expert en prévention du crime. Je suis toutefois assez bien informé de ce que fait le Centre national de prévention du crime. M. Irvin Waller, que vous connaissez peut-être, a fait beaucoup de recherches sur les programmes qui marchent dans les autres pays, mais je ne prétends pas être spécialiste en la matière. Malheureusement, la majeure partie de mon travail se fait à l'autre extrémité du système. À ce propos, Cybertip.ca, qui est administré par le Centre canadien de protection de l'enfance, au Manitoba, met à la disposition des familles et des parents une foule de renseignements sur son site Web, notamment sur la façon de protéger vos enfants et de leur parler de toutes ces choses. Tout cela est excellent.

Par ailleurs, une unité de la GRC a pour rôle d'essayer de faire participer les jeunes à ce genre de discussions. Il y a donc déjà d'excellentes choses qui se font, mais je ne suis pas un expert en la matière.

Le sénateur Mitchell : Après la prévention, parlons maintenant des services disponibles après que l'enfant a été exploité sexuellement. J'ai récemment rencontré Glori Meldrum, de Little Warriors, et cette personne tout à fait remarquable a mis sur pied un programme extraordinaire, dans le privé, et sans beaucoup d'aide de l'extérieur. Selon elle, il est pratiquement impossible de trouver des programmes appropriés une fois que le procès est terminé. Nous en avons déjà parlé. Vous avez donné l'exemple de ces groupes communautaires, les CAE. Y a-t-il d'autres programmes que vous mettriez en place si vous étiez premier ministre?

M. Sullivan : Il y a des programmes isolés, comme celui du centre Boost, à Toronto. Excusez-moi, je ne me souviens plus du sigle, mais je vous ferai parvenir ce renseignement plus tard, si vous le désirez. L'hôpital des enfants malades de Toronto a mis en place le programme SCAN, Suspected Child Abuse and Neglect Program, qui marche bien. À propos d'un autre aspect de l'exploitation sexuelle des enfants, des témoins vous ont peut-être parlé du programme Little Sisters, à Winnipeg, qui gère un foyer pour les jeunes femmes autochtones qui ont été victimes du commerce sexuel.

Il existe donc des programmes remarquables dans notre pays, mais ils fonctionnent chacun de leur côté, sans beaucoup de collaboration, car il n'y a pas de réseau en place. Par exemple, dans le domaine des services aux victimes, l'une des plus grosses difficultés est de s'assurer que les victimes savent à quel service s'adresser le jour où elles en ont besoin. C'est le rôle de notre bureau et des services offerts par la police, surtout en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants. S'il est difficile, pour les victimes, de trouver les services dont elles ont besoin, elles y renoncent. C'est la raison pour laquelle les CAE arrivent à travailler avec les enfants. J'ai entendu parler de Little Warriors par l'intermédiaire du Zebra Centre d'Edmonton. Ils sont en contact et ont mis en place une sorte de réseau, afin que la prestation des services se fasse sans accroc. Mais je sais que, pour la victime, c'est toujours difficile de savoir à quel service s'adresser une fois le procès terminé.

Le président : J'aimerais poser une question complémentaire. Vous nous avez parlé des services à offrir aux victimes qui sont connues, qui sont passées par la procédure judiciaire. Avez-vous des statistiques sur la première étape en amont, c'est-à-dire comment retrouver plus rapidement les victimes en s'adressant aux écoles, aux services de santé, aux hôpitaux, aux associations familiales ou quoi que ce soit, ou bien est-ce que vos services ne sont accessibles aux victimes que lorsqu'une accusation a été portée?

M. Sullivan : Pour ce qui est des services que nous offrons, toute victime peut s'en prévaloir, à n'importe quelle étape du processus. Parfois, les victimes recherchent des informations ou un service dans leur collectivité. Par exemple, pour la plupart des programmes d'indemnisation des victimes, il n'est pas indispensable que l'inculpé ait été condamné. Nous pouvons donc aider les victimes à trouver les services dont elles ont besoin, et ce, à n'importe quel moment.

Quand j'étais à Niagara, une activité a été organisée pour le CAE local. Des étudiants en hygiène dentaire étaient venus du collège pour parler d'un spécialiste en odontostomatologie qui leur apprenait à repérer les signes de maltraitance chez les enfants, et je n'avais jamais entendu parler de cela avant.

Une jeune femme est venue nous voir. Elle avait été exploitée sexuellement par un voisin lorsqu'elle était plus jeune. Si elle est venue nous voir, c'est parce que la veille, le professeur en avait parlé au cours d'éducation sexuelle et avait dit que, si vous êtes victime de quoi que ce soit, voilà ce qu'il faut faire. Il y a donc toutes sortes de moyens qu'on peut prendre, avec les écoles et avec la profession médicale, pour repérer ces enfants beaucoup plus tôt.

Encore une fois, notre système n'est pas très favorable aux victimes, mais s'il existe des moyens d'intervenir plus rapidement pour empêcher ces abus, il faut savoir les prendre.

Le président : Monsieur Sullivan, madame Taché, je vous remercie d'avoir comparu devant notre comité et de nous avoir communiqué toutes ces informations. Je vous invite à transmettre au greffier les renseignements que vous devez vérifier.

Comme notre réunion va sans doute être retransmise à la télévision, la population canadienne aura l'occasion d'en savoir un peu plus sur les activités du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. Notre comité aura donc été pour vous une sorte de tribune, pour mieux faire connaître vos activités.

Chers collègues, nous accueillons maintenant le professeur Benjamin Perrin, qui va s'adresser à nous par vidéoconférence, à partir de la Colombie-Britannique. M. Perrin est professeur adjoint à la Faculté de droit de l'Université de Colombie-Britannique. Nous accueillons également parmi nous, ici à Ottawa, Michael Maidment, directeur de secteur, Relations publiques et Développement, agent de liaison avec le gouvernement fédéral, Armée du Salut.

Benjamin Perrin, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Colombie-Britannique, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître. Je suis heureux de pouvoir m'adresser à vous par vidéoconférence. C'est sans doute la meilleure solution, vu le court préavis que nous avions.

Je vais surtout vous parler aujourd'hui d'une forme particulière de l'exploitation sexuelle des enfants qu'on appelle la traite des personnes. C'est là le thème central de ma recherche. Je suis en train de mettre la dernière main à une étude nationale sur l'implication du Canada dans le trafic des personnes, qu'il s'agisse d'adultes ou d'enfants. Je vais donc vous parler essentiellement des résultats de cette recherche et des raisons que nous avons de nous inquiéter.

L'étude sera publiée en octobre 2010, sous la forme d'un livre intitulé Journey of Injustice : Canada's Underground World of Human Trafficking. Elle est basée sur 60 entrevues réalisées dans huit villes du Canada auprès d'agents de police en première ligne, de travailleurs sociaux et d'autres personnes qui ont une connaissance directe de cas de traite d'êtres humains. Bon nombre des témoins que vous avez entendus sont des gens que j'ai rencontrés personnellement. Je me suis rendu dans des foyers, des maisons d'accueil et des services de police afin de bien comprendre la nature du problème. L'étude se fonde également sur un grand nombre de réponses à des demandes adressées au Bureau de l'accès à l'information.

J'aimerais tout d'abord attirer votre attention sur le rapport publié en août 2008 par le Service canadien de renseignements criminels, le SCRC, intitulé Le crime organisé et la traite intérieure des personnes au Canada. Les conclusions de ce rapport rejoignent dans la très grande majorité celles de notre étude et brossent un tableau extrêmement inquiétant de la situation. Le rapport du SCRC est à mon avis l'équivalent d'un appel 911 à tous les responsables de l'application de la loi au Canada.

Ce rapport extrêmement alarmant du SCRC indique, entre autres, que des jeunes filles de 12 ans sont recrutées pour être ensuite soumises à l'exploitation sexuelle. Dans les politiques fédérales, il n'est généralement question que de la traite de ressortissants étrangers. Le rapport de 2008 du SCRC est l'un des premiers rapports officiels à reconnaître que ce problème fait également des victimes canadiennes. Le Comité permanent de la Chambre des communes de la condition féminine a également fait état de ce problème dans son rapport de 2007, intitulé De l'indignation à l'action pour contrer la traite à des fins d'exploitation sexuelle au Canada. Des mesures ont été prises pour lutter contre la traite d'enfants à des fins d'exploitation sexuelle au Canada, mais c'est loin d'être suffisant. Vous avez entendu tout à l'heure le témoignage de Steve Sullivan, l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels. J'appuie vivement les recommandations de son excellent rapport.

Avant de laisser la parole au témoin suivant et de répondre à vos questions, j'aimerais vous parler des trois P qui, en droit international, sont le cadre dans lequel on aborde traditionnellement le problème de la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle.

Premièrement, en ce qui concerne la poursuite des trafiquants, je constate, d'après les données dont je dispose et que j'actualise régulièrement auprès des services de police du Canada, qu'il y a eu cinq condamnations pour traite de personnes en vertu du Code criminel depuis que cette infraction est entrée en vigueur en novembre 2005. Dans les deux cas les plus importants, il s'agissait d'Imani Nakpangi, le premier à être condamné pour traite de personnes au Canada, et de Michael Lennox Mark, de la région de Montréal.

Je ne pense pas que le projet de loi C-268 fasse partie de votre étude, mais je vais quand même en parler brièvement. Il a été adopté par la Chambre des communes et permettra d'imposer des peines minimales obligatoires dans les cas de traite d'enfants. C'est un projet de loi dont on a grand besoin pour obliger les trafiquants d'enfants à rendre compte de leurs actes au Canada.

Dans le cas le plus choquant que je puisse vous citer pour démontrer la nécessité d'adopter ce projet de loi, Michael Lennox Mark a été condamné à Montréal après un plaidoyer de culpabilité pour traite et prostitution forcée d'une jeune Canadienne de 17 ans. Il a été condamné à deux ans d'emprisonnement. Étant donné que le temps de détention avant le procès compte double, il ne lui restait plus de prison à faire et il a donc été libéré dans la semaine qui a suivi sa condamnation. Je n'ai pas du tout été étonné d'apprendre que sa victime de 17 ans avait refusé de faire une déclaration de la victime, après une sentence aussi scandaleuse.

Le plus urgent, c'est de protéger les enfants contre ces prédateurs. Tant qu'ils ne sont pas condamnés, ils continuent librement à chercher de nouvelles proies.

Toujours au sujet de la poursuite des trafiquants, il faut examiner la question des acheteurs de services sexuels. Le Code criminel prévoit des peines minimales obligatoires pour les hommes, puisqu'ils sont la majorité, qui paient pour exploiter sexuellement des jeunes filles mineures, mais nous avons constaté qu'il n'y avait pas assez de ressources pour faire appliquer ces dispositions, et que très peu d'hommes sont condamnés, que les victimes soient des victimes de la traite de personnes ou des jeunes exploitées sexuellement qui vendent des services sexuels en échange de nourriture, d'un abri, de vêtements ou de drogue, entre autres.

J'aimerais maintenant vous parler de la protection des victimes de la traite des enfants à des fins d'exploitation sexuelle. Il n'existe pas de réseau bien organisé au Canada des divers services offerts aux enfants victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle. Nous n'avons que quelques cas isolés de programmes efficaces, qui marchent bien et qui aident ces enfants.

Vous avez parlé de la maison d'accueil Little Sisters de Winnipeg. J'ai eu la chance de pouvoir m'y rendre et de rencontrer des jeunes filles qui y avaient trouvé refuge. C'est un exemple extraordinaire d'une collectivité qui essaie de répondre à un besoin, mais c'est aussi l'exemple d'une bonne idée pour laquelle on manque cruellement de ressources. Le foyer n'a que six lits. C'est, dans tout le Manitoba, le seul foyer géré par des Premières nations pour des jeunes Autochtones exploitées sexuellement, et il n'a que six lits. Ils ont dû refuser plus de 100 enfants qui avaient besoin d'aide, qui ne voulaient plus vivre dans la rue.

L'été dernier, je suis allé assister à une conférence de l'Assemblée des chefs du Manitoba sur la prévention de l'exploitation sexuelle des enfants, et le jour de mon arrivée était aussi celui des funérailles de Cherisse Houle. Cherisse était une jeune Autochtone qu'on avait retrouvée allongée sur le ventre dans un fossé, près d'un chantier de construction. Ce n'est malheureusement qu'un cas parmi bien d'autres, où des jeunes filles et des femmes autochtones deviennent les victimes de prédateurs qui les exploitent, sous le contrôle ou non de trafiquants.

Les jeunes femmes des Premières nations ne sont pas le seul groupe dont nous devrions nous préoccuper. Nous avons découvert des cas de traite de personnes où les victimes étaient issues d'autres collectivités ou groupes vulnérables. Il y a notamment les fillettes, les jeunes filles et les femmes qui sont actuellement prises en charge par le système de protection de l'enfance et qui, au fur et à mesure qu'elles en sortent, se retrouvent dans des foyers et des haltes d'accueil pour les femmes. Les trafiquants traquent les proies qui se réfugient dans ces foyers. Ils savent qui elles sont, et, dans plusieurs cas, ils ont littéralement encerclé le pâté de maisons pour attendre la sortie des jeunes filles et des femmes afin de les entraîner, par la force ou en leur offrant de la drogue, dans leur réseau d'exploitation sexuelle. Dans d'autres cas, ils manipulent ces femmes qui n'ont souvent pas de logement en se présentant comme le petit ami qui pourrait leur offrir un bel avenir.

J'aimerais conclure mon intervention en vous parlant de la prévention. Au Canada, nous n'avons que quelques exemples isolés de programmes de prévention efficaces, qui sont loin d'être systématiques. Un excellent exemple en est « Le silence de Cendrillon », qui est géré à partir de Montréal et dont votre comité a sans doute entendu parler. Ce programme, qui a vu le jour en 2002, s'adresse aux adolescentes de la province âgées de 12 à 18 ans. Cette tranche d'âge vous surprend sans doute, mais je peux vous dire qu'il est absolument nécessaire de faire de la prévention à cet âge-là.

En Colombie-Britannique, où j'habite en ce moment, la GRC a dû publiquement mettre en garde les parents contre le problème de l'exploitation sexuelle des enfants. Je vais vous citer un extrait de l'avis que la GRC de Vancouver-Nord a émis le 16 juin 2009. À l'approche de la fin de l'année scolaire, voici ce que la GRC a jugé bon d'envoyer aux parents :

Un grand nombre de ces jeunes filles à risque ont été recrutées par un réseau de proxénètes et de trafiquants de drogue de Vancouver-Nord. Elles sont forcées d'offrir des services sexuels au moyen de la Craigslist, et les rencontres sont ensuite arrangées dans des hôtels. Les proxénètes ont recours à la violence ou à des menaces de violence pour contrôler les filles.

C'est un exemple qui montre combien il est nécessaire de sensibiliser et d'éduquer les parents et les adolescents. Les proxénètes et les trafiquants n'ont qu'une idée en tête : exploiter la vulnérabilité de leurs futures victimes. Nous avons vu des cas de jeunes filles de la classe moyenne qui avaient simplement fait une fugue ou qui avaient des problèmes avec leurs parents, mais qui ont été ciblées par des trafiquants et forcées de vendre des services sexuels sur Craiglist. Dans certains cas, ces jeunes filles continuaient d'habiter avec leur famille, dans d'autres, on les avait encouragées à quitter la maison, après quoi elles avaient été assujetties à une exploitation sexuelle permanente.

L'étude nationale que nous sommes en train de finaliser soulève une litanie de préoccupations. Je me réjouis de voir que votre comité a décidé de s'intéresser sérieusement à cette question. C'est absolument dramatique.

J'aimerais pour terminer vous rappeler que le problème de la traite des enfants transcende les frontières géographiques. Ceux qui se livrent à l'exploitation sexuelle d'enfants au Canada voyagent aussi fréquemment à l'étranger. Selon des études effectuées aux États-Unis sur ceux qui ont été condamnés pour tourisme sexuel avec des enfants, ces gens-là ne cessent pas d'exploiter des enfants quand ils rentrent chez eux.

J'encourage donc votre comité à examiner également cet aspect de la question. J'en aurais beaucoup à dire là-dessus, si cela vous intéresse. Voilà donc les remarques liminaires que je voulais faire pour alimenter la discussion.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant écouter M. Maidment.

Michael Maidment, directeur de secteur, Relations publiques et Développement, agent de liaison avec le gouvernement fédéral, Armée du Salut : Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous sur la question de l'exploitation sexuelle des jeunes au Canada.

Je tiens absolument à vous dire, avant de commencer, que j'étais jadis un supporter des Canadiens de Montréal, quand j'étais enfant. Comme je suis assis tout à côté de vous, monsieur le sénateur, je me sens obligé de le déclarer. J'habite à Ottawa.

Le sénateur Demers : Heureusement que vous n'êtes pas un supporter des Maple Leafs.

M. Maidment : Je n'irais pas jusque-là.

Soyons sérieux. J'aimerais vous dire pour commencer que l'Armée du Salut s'est fermement engagée dans la prévention de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Nous sommes le premier fournisseur non gouvernemental de services sociaux directs au Canada, et, à ce titre, nous venons en aide aux personnes vulnérables et marginalisées de 400 collectivités du Canada. L'Armée du Salut, j'en suis convaincu, a la capacité de contribuer à la prévention de l'exploitation sexuelle des enfants, et elle est aussi particulièrement bien placée pour le faire.

Par contre, je vous dirai d'emblée que l'Armée du Salut n'est pas une cellule de réflexion. Je ne témoigne pas devant vous cet après-midi avec des études et des données sur l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Je suis sûr que vous avez accès à toutes les études et recherches universitaires dont vous avez besoin pour bien comprendre la complexité de ce problème. J'aimerais donc cet après-midi vous parler de solutions.

La semaine dernière, j'ai assisté à une réunion du Comité contre l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes à des fins commerciales, qui est présidé par le sénateur Dallaire. J'ai été frappé par une observation de l'ancien sénateur Pearson. Elle a dit en effet « il faut agir, agir, agir ». J'y ai repensé pendant tout le week-end, alors que je préparais mon témoignage de ce matin. Il est vrai que les études sont indispensables pour bien comprendre les causes profondes de l'exploitation sexuelle, mais je suis convaincu que le Canada doit privilégier dorénavant, non plus l'étude du problème, mais plutôt l'action et la prévention.

L'Armée du Salut est en mesure d'observer de près les complexités qui caractérisent l'exploitation sexuelle des enfants. Très souvent, il y a des causes sous-jacentes qui accroissent la vulnérabilité à l'exploitation sexuelle. La pauvreté, l'absence d'un toit et l'abus de drogues et d'alcool sont des facteurs qui favorisent souvent l'exploitation sexuelle. Les services sexuels sont généralement échangés contre des choses aussi élémentaires qu'un abri, de la nourriture et un moyen de transport.

Il y a deux ans, au Manitoba, des employés de l'Armée du Salut ont découvert qu'une fillette de neuf ans avait été vendue pour des services sexuels par sa mère, laquelle cherchait un moyen de financer sa dépendance à l'égard de l'alcool et de la drogue. C'est certainement un cas d'exploitation sexuelle extrêmement choquant, mais je pourrais vous citer beaucoup d'autres exemples où des services sexuels sont échangés contre un repas ou un endroit où dormir. L'Armée du Salut estime que, en prenant les mesures appropriées pour endiguer le problème de la pauvreté et des sans-abri au Canada, nous pourrions contribuer grandement à prévenir l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. Une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté permettrait non seulement d'aider des millions de Canadiens qui vivent dans la pauvreté, mais aussi de prévenir l'exploitation sexuelle des enfants.

L'éducation joue également un rôle essentiel dans ce domaine, et ce, à plusieurs égards. Premièrement, nous avons souvent constaté que les enfants victimes d'exploitation sexuelle considéraient le commerce du sexe en échange d'un abri, de nourriture, de vêtements ou d'autres produits de nécessité comme une façon acceptable de subvenir à leurs propres besoins. La plupart des Canadiens s'imaginent que, pour les enfants et les adolescents, le commerce sexuel est quelque chose de répréhensible; ce n'est pas le cas.

Il faut donc sensibiliser les enfants, les parents et les tuteurs qui appartiennent aux groupes vulnérables et marginalisés de la population. L'Armée du Salut participe activement, dans ses différents programmes au Canada, à la sensibilisation des enfants et des adolescents marginalisés au problème de l'exploitation sexuelle, mais nous ne pouvons rejoindre qu'une partie des enfants touchés par ce problème.

Il serait peut-être souhaitable, parmi les initiatives de sensibilisation, d'inclure le thème de l'exploitation sexuelle dans les programmes scolaires, afin d'atteindre le plus grand nombre possible d'enfants canadiens.

Deuxièmement, toujours en ce qui concerne l'éducation et la sensibilisation, je dois vous dire qu'un grand nombre d'enfants et d'adolescents choisissent d'être exploités sexuellement parce qu'ils pensent qu'ils n'ont pas d'autre choix. Selon une étude publiée en 2008 par l'école des soins infirmiers de l'Université de la Colombie-Britannique, la majorité des adolescents exploités sexuellement estimaient que leur collectivité avait besoin de plus de services de sensibilisation, de formation professionnelle et de formation sur le tas. L'éducation fait partie intégrante de la lutte contre la pauvreté. Une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté doit nécessairement prévoir des initiatives de sensibilisation qui pourraient faire partie d'un dispositif contre l'exploitation sexuelle.

Enfin, la législation est aussi un outil efficace pour combattre l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents au Canada. Dans ses contacts avec la justice et avec le système correctionnel, l'Armée du Salut a souvent constaté que c'était les victimes de l'exploitation sexuelle qui étaient pénalisées par le système judiciaire. Le fait de criminaliser l'achat de services sexuels permettrait de cibler ceux qui exploitent sexuellement les enfants et les adolescents.

Inversement, la décriminalisation de la vente de services sexuels éviterait de poursuivre des enfants et des adolescents qui ont été exploités sexuellement. L'âge moyen d'entrée dans la prostitution au Canada est de 14 ans. Dans le but de mettre fin à l'exploitation sexuelle des enfants, il serait souhaitable que la loi canadienne mette davantage l'accent sur ceux qui exploitent les enfants et les adolescents dans le but de faire le commerce de services sexuels.

En conclusion, j'aimerais rappeler rapidement les points suivants : il faut sans tarder mettre en vigueur une stratégie visant à prévenir l'exploitation sexuelle des enfants au Canada. L'élimination de la pauvreté au Canada en sera un élément important.

Tous les Canadiens ont besoin d'être sensibilisés à la question de l'exploitation sexuelle de certains groupes de la population, notamment les enfants et les adolescents marginalisés et vulnérables. Cette sensibilisation devrait faire partie des programmes scolaires destinés aux enfants. Il faut repenser complètement notre législation canadienne. C'est en criminalisant l'achat de services sexuels, plutôt que la vente de ces services, qu'on empêchera les victimes de l'exploitation sexuelle de se sentir doublement victimes.

L'organisation que je représente défend les intérêts des personnes vulnérables et marginalisées dans 188 pays du monde et dans 400 collectivités du Canada. L'Armée du Salut fait déjà de la prévention en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des adolescents, et elle n'est pas la seule à le faire. Il y a des centaines, voire des milliers, d'autres groupes qui poursuivent cet objectif. Nous avons toutefois besoin d'une stratégie nationale cohérente, qui nous donnerait les ressources nécessaires pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Pour en revenir à la réunion, la semaine dernière, du Comité contre l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes à des fins commerciales, le sénateur Dallaire a dit qu'on mesurait la volonté d'un gouvernement à l'aune de son action. C'est une observation pleine de sagesse. Au nom de cette fillette de neuf ans du Manitoba dont j'ai parlé tout à l'heure, qui a été vendue par une mère qui avait besoin d'acheter de la drogue, j'espère sincèrement que les Canadiens auront la volonté de décider que le moment est venu de mettre un terme à la destruction de jeunes vies par l'exploitation sexuelle.

Le président : Merci, monsieur Maidment. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Nancy Ruth : Monsieur Maidment, vous avez bien dit qu'il fallait criminaliser l'achat de services sexuels plutôt que la vente de ces services. Voilà, c'est ça. Je vous en prie, continuez.

Le président : Vous ne voulez pas plus d'explications?

Le sénateur Nancy Ruth : Non, il me manquait seulement un mot.

Le sénateur Mitchell : Je n'avais pas l'intention de poser d'autres questions, mais les interventions précédentes me font penser à quelque chose. Je ne suis pas avocat, mais je suis sûr que cela va être contesté en vertu de la Charte des droits et libertés étant donné que c'est antérieur à l'entrée en vigueur de la Charte. Pour en revenir cependant à ce que disait le sénateur Nancy Ruth, j'aimerais savoir pourquoi on n'a pas criminalisé tout simplement l'achat de services sexuels? Qu'est-ce qui nous en empêche? Est-il criminel ou non de demander ce genre de services?

M. Perrin : Les lois en vigueur qui portent sur l'achat ou la vente de services sexuels varient selon qu'il s'agit d'un adulte d'un enfant. Si la personne a moins de 18 ans, le Code criminel condamne toute tentative d'avoir des services sexuels rémunérés avec cette personne, quel que soit l'endroit où cela se passe. Pour ce qui est des prostituées de plus de 18 ans, les services sexuels ne sont généralement offerts que dans des endroits publics, et c'est là-dessus que portent les lois sur la sollicitation. Je n'aborderai pas la question plus générale de la décriminalisation ou de la légalisation du commerce sexuel. C'est une autre boîte de pandore.

Je voudrais par contre parler des enfants qui sont à la fois sexuellement exploités et poursuivis par le système de justice pénale. En effet, ils sont accusés de sollicitation s'ils offrent leurs services dans la rue, par exemple, ou d'autres infractions criminelles connexes. Il faut bien comprendre que, bien souvent, ces victimes sont considérées par le droit pénal comme des auteurs d'actes criminels et que, dans certains cas, elles ont été passibles de détention ou même de poursuites criminelles.

Laura Emerson, de la région d'Ottawa-Gatineau, a été condamnée pour traite de personnes. Pendant sa détention, elle a rencontré, au dire de certains médias, l'une de ses anciennes victimes qui était, elle aussi, en détention pour d'autres accusations. Il ne faut pas oublier que ceux qui sont victimes d'exploitation sexuelle peuvent se retrouver dans le circuit judiciaire pour toutes sortes de raisons.

Le président : Monsieur Maidment, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Maidment : Bien sûr. Je ne suis pas avocat, et je tiens à préciser que mon organisation est un fournisseur de services directs. Il n'en reste pas moins que nous voyons constamment, dans les médias et ailleurs, que, dans les cas de prostitution, par exemple, la police fait des descentes. J'habite à Ottawa et je constate que, lorsque la police fait une descente, un certain nombre de femmes sont arrêtées. C'est ce qui arrive la plupart du temps. Souvent, après une descente pendant le week-end, on lit dans la presse qu'un acheteur de services sexuels et sept femmes ont été arrêtés.

Nous avons des programmes dans tout le pays qui permettent d'aider ces femmes-là à trouver une autre profession, mais elles sont souvent stigmatisées. Si on cesse de les stigmatiser, on pourra mieux les aider.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais poser une autre question qui s'adresse plutôt à M. Perrin. Vous avez parlé des systèmes judiciaires et des difficultés à poursuivre les délinquants. Je viens de l'Alberta. J'ai sans doute parlé à trop de procureurs débordés, mais ils me disent qu'ils ont 15 minutes pour préparer un dossier. Je crois que c'est malheureusement trop souvent le cas. C'est sans doute pour cela qu'il y a des négociations de plaidoyer, ce qui permet une condamnation rapide et un règlement du dossier. D'un autre côté, ce n'est pas une solution acceptable car cela ne représente pas une sanction raisonnable vu le crime qui a été commis. Est-ce un phénomène fréquent en dehors de l'Alberta? Comment le gouvernement fédéral, qui définit les grands principes de justice, peut-il amener les gouvernements provinciaux à s'acquitter de leurs responsabilités en matière d'administration de la justice?

M. Perrin : Il y a un manque de ressources au niveau non seulement des procureurs de la Couronne, mais aussi des services de police en première ligne.

Je vais vous donner un exemple. La police régionale de Peel, qui dessert les environs de Toronto, y compris Brampton, Mississauga et Streetsville, a également la responsabilité de l'aéroport international Pearson de Toronto. Cela représente une population totale, y compris les passagers qui transitent par l'aéroport, d'environ 2,1 millions de personnes.

L'unité de répression du vice, qui s'occupe des cas d'exploitation sexuelle des enfants et de traite des personnes, s'occupe également des cas routiniers de prostitution, d'alcoolisme et de jeux. Or, cette unité n'a que quatre agents en première ligne pour faire face à tout ça. On peut même s'étonner qu'avec des ressources aussi limitées, ils aient réussi à mener à bien des poursuites.

À l'étranger, on constate qu'il y a de plus en plus de procureurs de la Couronne assignés à ces cas-là. Tous les procureurs de la Couronne ont besoin d'une formation supplémentaire, mais étant donné que ces cas sont particulièrement complexes, vu la propension des victimes à revenir sur leurs déclarations suite à des manœuvres de coercition et de manipulation, il faut que les procureurs de la Couronne soient capables d'orienter les victimes tout au long de la procédure pénale.

Pour ce qui est des victimes qui sont poursuivies pour d'autres infractions au Code criminel, il faut que les procureurs de la Couronne reçoivent une formation plus généralisée. Le gouvernement fédéral a la responsabilité de définir les infractions au Code criminel, mais la formation des procureurs mérite d'être renforcée. La GRC a déjà organisé des séances de formation, notamment à l'intention des procureurs, dans le cadre de sa campagne nationale de sensibilisation à la traite des personnes. C'est un processus qui prend beaucoup de temps, mais il importe de combler rapidement les lacunes qui existent encore chez les procureurs de la Couronne en ce qui concerne ces nouvelles infractions et la psychologie et les besoins particuliers de la victime.

La semaine prochaine, nous allons avoir notre première téléconférence sur le sujet avec les procureurs de la Couronne de la Colombie-Britannique, et cette semaine, à Ottawa, je vais aider l'Institut national de la magistrature à dispenser un séminaire d'une demi-journée sur la traite des personnes, à l'intention des femmes juges.

Ce n'est qu'un début, et il faudra d'autres programmes de formation et d'autres ressources pour faire appliquer ces dispositifs législatifs contre l'agression sexuelle des enfants. La définition des infractions risque de poser des problèmes dans certains cas, mais les dispositions sur les infractions nous donnent des outils suffisants pour intervenir beaucoup plus que nous ne le faisons en ce moment.

Le sénateur Mitchell : Cela m'amène à une autre question très importante. M. Maidment y a fait allusion tout à l'heure en disant que le débat au Parlement était surtout focalisé sur la détermination des peines. Il y a sans doute des améliorations à y apporter, d'après ce que vous dites, mais cela nous détourne du vrai problème. Si nous n'avons pas assez de policiers pour les attraper, les inculper et les poursuivre, si nous n'avons pas assez de procureurs expérimentés pour les inculper, si nous nous rendons compte finalement que les peines n'ont pas un effet dissuasif, si nous n'avons pas de services de soutien pour les victimes, et si nous n'avons pas de services d'appui pour les enfants qui sont susceptibles d'être la proie de ces gens-là, alors ce que nous faisons ne sert à rien. Nous avons aussi un gouvernement qui a promis 2 500 nouveaux policiers mais qui ne s'est pas encore acquitté de sa promesse.

La question est tendancieuse, mais il n'en demeure pas moins que nous avons besoin à la fois de développer nos services, d'améliorer le processus de la détermination de la peine, et d'appuyer davantage les procureurs et la police. Il ne faut pas examiner toutes ces questions séparément, même si ça rapporte davantage sur le plan politique.

M. Maidment : Tendancieuse ou pas, votre question est tout à fait justifiée. C'est vraiment un problème. Si nous ne nous intéressons qu'à la détermination de la peine, nous manquons à notre devoir de protéger les enfants qui risquent d'être touchés par le problème aujourd'hui, demain, dans un mois ou dans un an. Les victimes sont évidemment un aspect très important du problème. Je n'ai entendu que la dernière partie de la déclaration de M. Sullivan. C'est évidemment très important. J'ai un ami très proche qui travaillait auprès des victimes ici, à Ottawa. Je m'entendais très bien avec son fils et sa fille. C'est clair. Mais en même temps, nous devons tout faire pour que les enfants ne deviennent pas des victimes. Et, faute de ressources et de volonté politique, nous n'y arriverons jamais.

M. Perrin : À mon avis, ce n'est pas l'un à l'exclusion de l'autre. D'après les discussions que j'ai eues avec des policiers et des victimes, ces dernières refusent de porter plainte contre ceux qui les exploitent lorsqu'elles n'ont pas la certitude qu'ils seront emprisonnés et, partant, mis à l'écart.

L'origine du projet de loi C-268, qui est un projet de loi d'initiative privée, remonte à des entrevues que j'ai eues avec des agents de police de la région de Peel, qui estimaient que les peines imposées étaient tellement légères que c'en était ridicule, mais que, eux, ils ne pouvaient rien faire. Si les tribunaux n'imposent pas aux trafiquants d'enfants des peines d'emprisonnement conséquentes — c'est-à-dire pas plus que le temps passé en détention avant le procès, ce qui revient à ça dans un grand nombre de cas —, ils vont avoir du mal à identifier les victimes et à établir des réseaux d'informateurs, ce qu'ils avaient déjà commencé à faire avec un certain succès, d'ailleurs, car d'autres victimes acceptaient alors de parler. Si les victimes voient que les trafiquants sortent de prison une semaine après leur condamnation, elles ne peuvent pas être convaincues que le système judiciaire leur assurera la protection dont elles ont besoin. Tout se tient.

C'est un peu aussi le problème de l'œuf et de la poule. Je pense souvent à cela. Quelle devrait être la prochaine étape? À mon avis, il faut utiliser toutes les options possibles, et ne pas écarter un scénario plutôt qu'un autre. Le gouvernement fédéral est responsable du droit pénal, et à ce titre, il doit s'assurer que les infractions prévues au Code criminel correspondent aux formes d'exploitation que nous observons et qu'elles sont assorties de peines proportionnées. Le Protocole facultatif concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie juvénile dispose que les sanctions relatives à l'exploitation sexuelle des enfants doivent être proportionnelles à la gravité des faits reprochés. Malheureusement, les lois canadiennes qui portent actuellement sur la traite des personnes ne respectent pas cette exigence. En l'occurrence, elles ne prévoient pas une peine plus lourde lorsque la victime est un enfant. Par contre, c'est précisément ce que fait le projet de loi C-268.

Il incombe aux gouvernements provinciaux d'assumer leur responsabilité dans ce domaine. Pas plus tard que cette semaine, le Toronto Sun a publié une série d'articles écrits par Tamara Cherry, où la journaliste demande au gouvernement de l'Ontario pourquoi il n'a mis en place aucun système pour aider les victimes de la traite des personnes. C'est une critique très sévère.

C'est la même chose en ce qui concerne les ressources policières, à l'exception de la GRC. Dans la plupart des services de police municipaux, ce sont les chefs de police qui décident comment les ressources seront réparties. Je suis bien placé pour savoir que, au cours des 10 dernières années, les grandes villes du Canada ont pratiquement démembré leurs unités qui s'occupaient de ce genre de problème et qu'elles ne concentrent donc pas leurs efforts sur les questions dont nous parlons.

Le Canada a joué un rôle considérable, au niveau mondial, en intensifiant la répression contre la diffusion sur Internet d'images de pornographie juvénile, mais cette mesure, en soi positive, a eu des effets secondaires négatifs en ce sens que beaucoup d'agents de police se sont moins occupés de l'exploitation sexuelle qui se faisait dans les chambres de motel, chez des particuliers et à domicile, sans parler des publicités sur Craigslist. Comme je l'ai dit, les ressources ne sont tout simplement pas affectées à ces problèmes-là.

Je préconise l'adoption d'une stratégie globale qui comprendrait des sanctions plus sévères pour les trafiquants et les acheteurs de services sexuels, mais qui encouragerait aussi les provinces à collaborer pour mieux protéger les victimes d'exploitation sexuelle et pour faire davantage de prévention, ce qui reste notre objectif numéro un.

Le sénateur Mitchell : Je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Demers : Professeur, vous êtes très bien organisé et très éloquent, tout comme Michael Maidment, d'ailleurs. Je suis impressionné mais je suis aussi perturbé, et je vais vous expliquer pourquoi. Vous avez parlé de gens qui ont vécu ce genre d'expérience. On parle, on parle, mais rien ne se fait. En disant cela, je ne vise personne. Mais nous sommes en train de parler, et pendant ce temps, il y a des enfants qui se font exploiter. Nous savons que ce soir, cette nuit, demain, il y a des enfants qui vont se faire exploiter sexuellement. On continue de parler, et rien ne se fait. Il y a bien des mesures qui ont été prises, mais à mon avis, ce n'est pas suffisant. Des enfants continuent d'être exploités. Les témoins font un travail fantastique. Il y a une semaine environ, nous étions assis avec d'autres témoins. Toutes ces parlottes non suivies d'actions, ça ne me plaît pas du tout.

Les enfants crient au secours, et nous ne répondons pas adéquatement. Je ne veux plus entendre dire que nous n'avons pas assez d'argent ou d'effectifs. Nous avons l'obligation de protéger nos enfants, et nous ne nous en acquittons pas correctement. Ce que nous faisons est tout simplement insuffisant.

Je vous parle d'expérience. Celui qui n'a jamais mis les pieds dans une prison et qui prétend savoir ce que c'est devrait se taire. Je ne prétends pas y avoir été, mais celui qui a fait de la prison et qui en est sorti est en droit de parler de la vie en prison. On parle beaucoup, mais on agit peu. Je ne dis pas qu'on ne fait rien, mais c'est trop peu. Et pourtant, les enfants crient au secours.

Je reconnais que c'était plus une déclaration qu'une question.

Le président : Le professeur ou M. Maidment ont peut-être quelque chose à dire.

Le sénateur Demers : Je ne visais personne. J'ai déjà vécu ce genre d'expérience.

M. Perrin : Je partage entièrement votre frustration. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'intéresse autant à ce problème. J'ai commencé à étudier la question il y une dizaine d'années, et j'y pense sans cesse, surtout lorsqu'il s'agit des enfants. L'indignation morale que je perçois dans vos observations, je l'éprouve moi aussi, je peux vous l'assurer.

Ce sont des enfants, ils sont vulnérables, et les criminels les ciblent justement parce que ce sont des enfants qui n'oseront pas aller raconter ce qui s'est passé et qui ne seront pas capables de défendre leurs intérêts. Les ressources policières sont généralement réparties en fonction des plaintes provenant de la population. Lorsque l'un d'entre nous promène son chien le soir, dans son quartier bien tranquille, et qu'il constate un acte de vandalisme dans une ruelle quelconque, il prévient ses voisins, et tout le monde appelle la police; après plusieurs appels, celle-ci finit par envoyer une patrouille, l'agent fait un rapport et le classe ensuite dans un dossier.

Par contre, personne n'appelle la police pour qu'elle aille au secours de ces enfants. En réponse à ce que vous avez dit, je dirais que nous avons absolument besoin d'intensifier nos efforts dans ce domaine, qu'il ne suffit pas d'adopter des lois, et que c'est la raison pour laquelle il faut mettre en place des politiques.

J'aimerais recommander au comité de s'informer sur les dispositifs qui sont efficaces dans d'autres pays. À mon avis, l'objectif primordial devrait être de rechercher proactivement les victimes d'exploitation sexuelle afin de leur porter secours.

Je vais vous donner un exemple américain. Un groupe de policiers de Dallas ont pris l'initiative d'aller rencontrer tous ceux qui avaient fait au moins trois fugues, c'est-à-dire les fugueurs chroniques. Les policiers les ont invités à prendre un café et leur ont expliqué qu'ils ne faisaient pas une enquête criminelle mais qu'ils cherchaient simplement à connaître un peu mieux les fugueurs. Un climat de confiance s'est établi, si bien que les policiers ont réussi à arrêter un grand nombre de trafiquants de personnes qui exploitaient des jeunes dans la ville. On a également observé des résultats positifs au Manitoba, où le gouvernement provincial a annoncé qu'il avait chargé un certain nombre de travailleurs sociaux de faire la même chose, c'est-à-dire d'aller rencontrer ces enfants pour les aider. C'est un début, mais ce n'est pas suffisant.

Ce n'est pas une priorité assez importante, au Canada. La population n'a aucune idée de la gravité du problème. Le risque est trop grand que des affaires soient classées comme de simples anomalies. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de publier mes travaux de recherche sous la forme d'un livre qui sera vendu dans le commerce, plutôt que d'en faire une autre étude universitaire de plus. Le livre sera lancé l'année prochaine, dans le cadre d'une campagne nationale sur le sujet.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'on parle beaucoup mais qu'on ne fait pas grand-chose. J'espère que votre comité saura encourager les instances responsables à assumer leurs responsabilités. Encore une fois, si un comité comme le vôtre n'y parvient pas, le problème ne fera que s'aggraver avec le temps.

Le sénateur Demers : Merci, professeur, nous menons le même combat.

M. Maidment : Il est difficile de répondre quand on représente une organisation établie au Canada depuis plus de 125 ans, qui vient en aide aux victimes d'exploitation sexuelle, aux sans-abri, aux démunis ou aux femmes battues. Nous sommes sur tous les fronts. Il est difficile d'accepter que nous ne parviendrons pas à mettre un terme à ce problème. C'est une bonne chose de venir en aide et de soigner quelqu'un qui a souffert, mais comment pouvons-nous empêcher que cela arrive? C'est une question extrêmement difficile. Pour nos employés qui sont en première ligne et qui rencontrent des cas de ce genre quotidiennement, il est difficile de rester optimistes et motivés quand ils savent que demain il y aura une autre victime, et chacun des jours suivants. En tout cas, c'est la perspective d'une organisation comme la nôtre, qui travaille sur le terrain.

Même si nous sommes prêts à participer aux solutions qui seront proposées pour y mettre un terme — de la même façon que j'aime bien payer mon hypothèque —, je serais absolument ravi de me retrouver sans emploi si l'Armée du Salut n'a plus besoin de venir en aide à 1,5 million de Canadiens, de donner à manger à 2,1 millions de Canadiens ou d'offrir un toit à 168 personnes, ce soir, en plein centre d'Ottawa. Ça n'arrivera pas demain, mais j'espère que nous y parviendrons un jour parce que nous aurons su trouver et la volonté et la solution.

Le sénateur Brazeau : Mon collègue a parlé tout à l'heure de prévention du crime et des réductions budgétaires opérées par le gouvernement fédéral. Je lui demanderai tout à l'heure d'où il tient ces informations. Je tiens à remettre les pendules à l'heure en disant que le 18 août 2009, le gouvernement fédéral a annoncé à Edmonton qu'il allait investir 5,6 millions de dollars dans la prévention du crime pour financer des programmes très utiles comme l'Alberta Council of Women's Shelters, Uncles and Aunts at Large, Creating Hope Society of Alberta, et The Society for Safe & Caring Schools & Communities, pour n'en nommer que quelques-uns. Je tenais à apporter ces précisions afin de montrer que le gouvernement prend des mesures en matière de prévention du crime, entre autres.

J'aimerais maintenant m'adresser au professeur. Vous avez parlé tout à l'heure du problème de l'œuf et de la poule et vous avez ajouté qu'il ne fallait pas se contenter d'adopter une loi. Je suis d'accord avec vous, mais ne pensez-vous pas qu'il faut commencer par réprimer plus sévèrement le crime, car, d'une part, cela encourage les victimes à demander justice, et, d'autre part, cela a un effet dissuasif sur les futurs délinquants, surtout en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des peuples autochtones et des Canadiens non autochtones de notre pays?

M. Perrin : Tout à fait. Dans l'opinion publique, et surtout dans les médias, on s'interroge souvent sur la nécessité d'imposer des peines plus sévères. Mais il s'agit ici d'un crime très particulier puisque nous parlons d'exploitation sexuelle des enfants. C'est l'une des rares infractions au Code criminel à avoir fait l'objet d'un rapport, publié il y a plusieurs années. Les membres du comité s'en souviennent sans doute. Il y en a peut-être même qui ont participé à la rédaction du rapport. Je veux parler du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial qui a publié un rapport sur la prostitution, assorti de recommandations. Les auteurs indiquaient que l'exploitation sexuelle des enfants était la seule infraction du Code criminel sur laquelle ils s'entendaient tous pour réclamer des peines minimales obligatoires. Ils ajoutaient qu'en proposant d'imposer une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction, ils exprimaient l'indignation de l'opinion publique devant un tel crime. La protection de la société et l'expression de cette indignation exigent que l'imposition de peines d'emprisonnement minimales obligatoires soit prévue par la loi, et non laissée au contrôle judiciaire ou administratif.

Le passage que je viens de citer est extrait du rapport de l'Alberta Law Review. Je l'approuve entièrement, surtout lorsqu'il s'agit de prédateurs d'enfants. Il ne s'agit pas de crimes isolés. Dans la plupart des cas, ils sont systématiques. Pour certains, ça fait partie d'un mode de vie, et ça continuera tant que le criminel ne sera pas enfermé dans un lieu où il aura tout le temps de réfléchir à ce qu'il a fait, et ses victimes sauront qu'au moins pendant ce temps-là, elles sont protégées. On ne peut pas être contre l'imposition de peines plus sévères lorsqu'il s'agit d'exploiteurs d'enfants. Je suis entièrement d'accord avec vous, il faut imposer des peines plus sévères. Malheureusement, les tribunaux ne semblent pas comprendre le message.

Je vais vous donner quelques exemples. Nous avons examiné la jurisprudence et nous avons constaté que, si l'enfant a reçu de la drogue ou de la nourriture en échange de services sexuels, c'est presque considéré comme une circonstance atténuante par les tribunaux. Cela montre qu'ils ne comprennent absolument rien à ce qui se passe dans la réalité, car ce ne sont que des stratagèmes visant à exploiter la vulnérabilité des enfants et des adolescents. C'est particulièrement vrai dans le cas des victimes autochtones. Des organisations que je connais, au Manitoba, par exemple, et ici en Colombie-Britannique, dénoncent justement ce qu'elles considèrent comme des décisions partiales, en ce sens que ceux qui exploitent les femmes et les jeunes Autochtones ne sont peut-être pas punis aussi sévèrement que les autres.

Notre système de justice pénale doit être plus sévère à l'égard de ceux qui exploitent sexuellement les enfants. Ce n'est pas seulement une question de dissuasion, comme certains le disent souvent. Il s'agit d'appliquer le principe de l'exemplarité de la peine dans le Code criminel, de séparer le délinquant de la société, de l'obliger à rendre compte de ses actes, et de répondre à tous les autres objectifs du droit pénal, dont la dissuasion n'est qu'un élément. Je le répète, il faut absolument imposer des peines beaucoup plus sévères à ceux qui exploitent sexuellement les enfants.

Le sénateur Brazeau : Merci de ces bonnes paroles. J'aimerais dire, pour conclure, que je suis convaincu qu'en commençant par adopter une loi plus répressive — même si tout le monde ici s'entend pour dire que la prévention est cruciale —, et en imposant des peines minimales, nous attaquons le problème de face. Au lieu de commencer par essayer de régler les problèmes de pauvreté et d'éducation, nous nous attaquons directement au cœur du problème, tout en s'intéressant sérieusement aux autres questions que j'ai mentionnées tout à l'heure.

M. Perrin : Vous avez identifié un risque. Les causes profondes de l'exploitation sexuelle des enfants sont tellement nombreuses qu'elles occupent pratiquement tout l'agenda des gouvernements fédéral et provinciaux. Bon nombre des causes dont vous avez parlé relèvent, comme vous le savez, de la responsabilité provinciale. Même si la prévention doit se faire dans le cadre d'une stratégie nationale, il y a des mesures que le gouvernement peut prendre.

En attendant, il faut s'occuper des problèmes auxquels nous faisons face, et encore une fois, ce n'est pas l'un ou l'autre, mais l'un et l'autre. J'entends souvent des gens réclamer qu'on fasse de la prévention et rien que ça, semble-t-il, et je ne suis pas du tout d'accord avec cela. Si nous n'intervenons pas dès aujourd'hui pour punir ceux qui exploitent actuellement les enfants, nous ratons l'occasion qui se présente et nous manquons à notre devoir de protéger ces enfants.

Le président : Permettez-moi d'intervenir ici. Lorsque nous avons fait notre étude sur la Convention relative aux droits de l'enfant, je me souviens que des témoins nous ont dit que, lorsqu'il s'agit de pédophilie, il est pratiquement impossible, vu les connaissances et les ressources dont nous disposons, de traiter les délinquants. Même si nous continuons de nous y intéresser, nous nous concentrons, comme vous l'avez dit, sur l'exemplarité de la peine.

Savez-vous s'il existe des programmes de traitement pour ceux qui exploitent sexuellement des enfants, ou bien est-il toujours aussi difficile pour les professionnels de repérer ce type de comportement? Pour quelles raisons un père, un beau-père ou qui que ce soit exploite-t-il un enfant? Y a-t-il une différence entre l'exploitation d'un enfant dans la rue et l'exploitation d'un enfant à la maison?

Je sais que j'ai posé plusieurs questions en même temps, et je propose d'écouter d'abord la réponse du professeur Perrin.

M. Perrin : Je vais répondre à plusieurs points que vous avez soulevés et que je connais bien. Vous demandez pourquoi des hommes achètent des services sexuels à des enfants, et je parle du contexte hors famille. Cela soulève plusieurs questions, et en ce qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, j'ai constaté, dans la plupart des études que j'ai consultées — dont un grand nombre sont américaines et non canadiennes, malheureusement, mais, même s'il faut les prendre avec un grain de sel, elles peuvent néanmoins être utiles — j'ai constaté, donc, que les acheteurs de services sexuels recherchaient des femmes de plus en plus jeunes. C'est la tendance que l'on observe. En fait, les gens font semblant d'ignorer l'âge de la victime. Imani Nakpangi, le premier trafiquant de personnes à avoir été condamné au Canada, a exploité deux victimes canadiennes. L'une était une fille de 14 ans qui vivait dans un foyer et qui était atteinte du syndrome de l'alcoolisme fœtal. La deuxième avait entre 15 et 18 ans. Ces deux filles étaient à vendre. Des centaines de mâles canadiens ont payé pour exploiter sexuellement ces jeunes filles, à hauteur de 360 000 $ pour la fille qui avait entre 15 et 18 ans, et entre 60 000 $et 80 000 $ pour la fille de 14 ans.

Quand on parle de pédophiles, et c'est un terme que j'emploie souvent moi-même, la situation n'est pas tout à fait la même. Des hommes qui, autrement, ne se comporteraient peut-être pas de cette façon en arrivent à accepter de payer des enfants en échange de services sexuels.

Les responsables du Groupe intégré de lutte contre l'exploitation des enfants, à la GRC, m'ont dit, dans le cadre de mon étude, que ce problème est aggravé par la prévalence des images sur Internet montrant des enfants exploités sexuellement. L'un des agents que j'ai interviewés et qui travaille précisément sur ces images m'a dit qu'à son avis, c'est l'existence de ces images qui transformait en délinquants des hommes qui ne l'étaient pas avant. Autrement dit, les acheteurs de services sexuels recherchent des victimes de plus en plus jeunes.

Ces problèmes sont reliés entre eux. Une offre accrue d'images montrant des enfants exploités sexuellement peut aggraver le problème, comme cela s'est produit dans le passé.

Pour ce qui est des peines à imposer aux délinquants, permettez-moi de parler brièvement d'un cas particulièrement inquiétant en Colombie-Britannique. Il s'agit d'Orville Frank Mader, un homme qui répond à la description que j'ai donnée tout à l'heure, et nous ne devrions pas supposer que les délinquants présumés restent au Canada pour exploiter des enfants ou qu'ils exploitent seulement des enfants à l'étranger.

M. Mader fait l'objet d'un mandat d'arrestation en Thaïlande depuis 2007, pour avoir exploité sexuellement des enfants dans ce pays. Il est accusé de l'avoir fait également dans d'autres pays, notamment au Cambodge. Il a réussi à se glisser entre les mailles du filet qui avait été tendu autour de lui. Il s'est enfui en avion et a atterri à l'aéroport international de Vancouver en 2007. Plutôt que de le poursuivre en vertu de la législation canadienne sur le tourisme sexuel, telle qu'elle est énoncée au paragraphe 74.1 du Code criminel, les autorités ont préféré essayer de lui imposer un engagement, conformément au paragraphe 801.01, je crois, du Code criminel. Le mois dernier, M. Mader, plutôt que d'accepter une audience de libération de son engagement, a reconnu devant le tribunal — et le libellé du Code est clair — qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il exploitera sexuellement des enfants.

Cet homme est maintenant en liberté dans la vallée du Bas-Fraser, en Colombie-Britannique, alors qu'il a admis qu'il constitue actuellement un risque et qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il exploitera sexuellement des enfants. Il fait l'objet d'un mandat d'arrestation en Thaïlande, et il vit ici, sous conditions.

C'est le monde à l'envers en justice pénale. Si on a suffisamment de preuves contre lui, on devrait l'accuser d'avoir fait du tourisme sexuel avec des enfants, infraction qui est prévue par le Code criminel du Canada. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Quand on a affaire à des délinquants, malheureusement, on n'essaie pas de les obliger à rendre compte de leurs actes.

Les seuls programmes que je connaisse, au niveau national, sont ce qu'on appelle souvent « les cours de morale » auxquels on envoie ceux qui ont commis un premier délit d'achat de services sexuels à une prostituée. Personnellement, je ne pense pas que ces programmes conviennent à des hommes qui achètent des services sexuels à des mineures. Je ne pense pas que nous ayons actuellement un système efficace pour faire face à ce genre de situation.

M. Maidment : Je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit le professeur Perrin. Je connais, bien sûr, l'existence des cours de morale, puisque nous en organisons plusieurs au Canada.

Il existe un autre programme qui s'appelle Cercles de soutien et de responsabilité et qui vient de recevoir une rallonge budgétaire du ministère de la Sécurité publique pour développer ses activités. Ce programme s'adresse à ceux qui sont accusés d'exploitation sexuelle, mais je n'ai pas d'autres renseignements à ce sujet.

Le sénateur Nancy Ruth : Professeur, vous avez parlé des trois P, mais je n'en ai saisi que deux : la poursuite des trafiquants et la protection des victimes.

Le président : Le troisième est la prévention.

Le sénateur Nancy Ruth : Je crois savoir que l'Organisation internationale du travail a révélé que la traite des femmes représentait une valeur commerciale de 128 milliards de dollars l'an dernier. Quelle est la valeur commerciale de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada?

M. Perrin : Les estimations que nous avons au Canada ne sont pas globales. Elles sont individuelles : elles portent sur chaque enfant qui a été victime d'exploitation sexuelle à des fins commerciales. Les chiffres que je vais vous donner sont extraits d'un rapport sur le renseignement stratégique d'août 2008, du Service canadien de renseignements criminels.

Selon ce rapport, chaque victime rapporte au trafiquant un profit quotidien de 900 $, un profit hebdomadaire de 5 400 $, et un profit annuel de 280 800 $. Voilà ce que rapporte une seule victime. Ces chiffres me paraissent crédibles, si on les compare aux réseaux plus organisés qui font actuellement la traite d'enfants dans le but de les exploiter sexuellement au Canada.

Ils sont aussi confirmés par des cas comme celui d'Imani Nakpangi, dont l'une des victimes a déclaré qu'elle avait été exploitée pendant deux ans et demi. Il a fait un profit de 360 000 $ en l'exploitant sexuellement, et il a encaissé la totalité de cette somme. Lorsqu'il n'y a pas une mais 40 victimes, le profit s'élève à 13,1 millions de dollars. C'est indéniablement une grosse affaire.

D'aucuns estiment, comme dans l'affaire de Vancouver-Nord dont je parlais tout à l'heure et dans plusieurs autres causes relatives à la traite des personnes au Canada, qu'il y a des liens avec d'autres formes de criminalité génératrices d'autres profits. En effet, il arrive parfois que les victimes d'exploitation sexuelle soient également forcées d'exécuter d'autres actes illicites, comme le transport ou le trafic de drogue, l'utilisation de faux, et cetera.

Un autre problème qui se pose est celui qui concerne le harponnage, pas celui du saumon, bien sûr. Cela consiste à utiliser le mot de passe et la carte de crédit de quelqu'un d'autre. C'est un autre crime fort lucratif qui accompagne souvent ce genre de comportement.

Je n'ai pas d'estimations crédibles du volume total des profits engrangés par ce commerce illégal, qui est moins risqué que le trafic de drogue mais qui reste très lucratif. Pour cette raison, c'est non seulement un problème de droits de la personne mais aussi un grave problème de sécurité publique.

Parmi les trafiquants de personnes au Canada, certains des plus violents ont été impliqués dans des accusations relatives à des armes et à des homicides présumés. Certains ont aussi des liens avec des réseaux criminels et avec le crime organisé.

Le sénateur Mitchell : La somme de 5,6 millions de dollars que le sénateur Brazeau a mentionnée concerne bien la prévention du crime, mais il ne s'agit pas de la prévention de la traite d'enfants dans le but de les exploiter sexuellement. Ça fait partie du programme national de prévention du crime, dont le budget a été réduit des deux tiers, et pas à zéro. Il en restait donc un peu, que le gouvernement, et c'est tout à son honneur, a décidé d'investir là où il le fallait. Malheureusement, cette somme n'a finalement pas été investie là où elle le devait, si bien que c'est un secteur qui continue d'être insuffisamment financé par le gouvernement fédéral.

J'aimerais poser une question au sujet du projet de loi C-268. D'abord, je dois dire que je suis surpris, car c'est un projet de loi important, et même s'il est parrainé par un nouveau sénateur, le sénateur Yonah Martin, ce n'est pas un projet de loi du gouvernement.

Vous avez dit que vous aviez participé à la préparation de ce projet de loi. Premièrement, savez-vous pourquoi le projet de loi n'est pas assez important pour être un projet de loi du gouvernement? Deuxièmement, le minimum prévu est de cinq ans. Il est évident que l'exemple des deux ans que vous nous avez cité est tout à fait inadmissible. C'est un crime tout à fait répugnant, qui doit absolument être puni.

Puisque vous avez participé à la préparation du projet de loi, professeur, comment se fait-il que nous ayons fixé un minimum de cinq ans? Pensez-vous que ce soit un châtiment suffisant? Qu'une telle peine a vraiment une valeur exemplaire? Est-ce même suffisant pour dissuader ces gens de recommencer? La récidive va certainement continuer d'être un problème.

M. Perrin : Je vous remercie de vos questions. En ce qui concerne le projet de loi C-268, il est vraiment remarquable qu'on ait pu le présenter aussi vite. Pour ce qui est de l'affaire Michael Lennox Mark — je vous rappelle qu'il n'a passé qu'une semaine en prison après sa condamnation —, le jugement a été rendu en novembre 2008, il y a donc moins d'un an. En apprenant cela, des agents du service de police régionale de Peel et d'autres m'ont confié leurs préoccupations. Ils étaient au courant de l'étude que j'avais entreprise puisque je les avais rencontrés à plusieurs reprises. Ils se demandaient ce qu'on pouvait faire.

Le mois suivant, il y a eu une conférence au Manitoba, présidée par la députée Joyce Smith, sur la traite des personnes. Je lui ai parlé à ce moment-là de tous ces problèmes, et elle m'a immédiatement proposé de faire préparer un projet de loi, lequel a été déposé en janvier. Il est maintenant au Sénat, et je suppose que tous les sénateurs seront d'accord avec moi pour dire que ça s'est fait à la vitesse de l'éclair, et que l'on a su saisir l'occasion de modifier notre dispositif législatif afin de répondre à une grave préoccupation de la population.

Le premier ministre Stephen Harper et son gouvernement l'ont appuyé avec enthousiasme, ainsi que la totalité des députés de l'opposition officielle et la plupart des néo-démocrates. Le projet de loi n'est pas partisan. Il a été parrainé par de nombreux députés des partis conservateur et libéral. Le fait que ce soit un projet de loi d'initiative privée a sans doute facilité les choses. Cela m'encourage. C'est le seul projet de loi d'initiative privée de la Chambre des communes à se rendre au Sénat depuis le début de cette législature. C'est un avantage. J'espère que l'appui non partisan qu'il a reçu jusqu'à présent va se maintenir au Sénat.

Avant de fixer à cinq ans les peines minimales obligatoires que prévoit le projet de loi C-268 pour les cas simples de traite d'enfants, nous avons examiné de près les décisions de la Cour suprême du Canada relativement aux peines minimales obligatoires. Nous avons constaté que la Cour avait tantôt confirmé tantôt invalidé des peines minimales obligatoires. Notre objectif était donc de trouver un juste équilibre.

À partir du critère énoncé dans la décision Ferguson de 2008, nous nous sommes essentiellement inspirés de l'avis du juge en chef pour fixer une durée adéquate. La Cour suprême suggère de se reporter à des infractions comparables ou similaires pour fixer des peines minimales. Nous nous sommes donc reportés au paragraphe 212(2.1) du Code criminel qui prévoit une peine minimale obligatoire de cinq ans pour « quiconque vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne âgée de moins de 18 ans ». Dans certains cas d'exploitation sexuelle, il sera plus approprié de porter une accusation de traite de personnes. Je pourrai vous donner d'autres détails plus tard si vous le désirez. Dans d'autres cas, il sera plus approprié d'invoquer l'article 212(2.1). Cet article prévoit donc déjà une peine minimale de cinq ans, et cela nous a paru un seuil adéquat. En cas de traite d'enfants, la peine maximale est bien plus sévère. C'est donc de cette façon que nous en sommes arrivés à fixer un seuil de cinq ans.

Nous avons également examiné des décisions rendues aux États-Unis. Comme vous le savez, les peines sont généralement beaucoup plus sévères de l'autre côté de la frontière. Nous voulions nous assurer que, chez nous, les peines seraient proportionnelles. Aux États-Unis, la traite d'un enfant de moins de 14 ans à des fins d'exploitation sexuelle est passible d'une peine minimale obligatoire de 15 ans. Si la victime a entre 14 et 18 ans, la peine minimale obligatoire est de 10 ans.

Nous vous proposons donc un seuil et un plafond qui nous paraissent constitutionnellement acceptables et qui montreront à la communauté internationale que le Canada applique le principe de l'exemplarité de la peine. Un trafiquant d'enfants à des fins d'exploitation sexuelle ou de travail forcé doit absolument être passible d'une peine minimale de cinq ans au Canada.

Le sénateur Mitchell : Fixeriez-vous ce seuil à un niveau plus élevé, si vous le pouviez?

M. Perrin : Personnellement, j'estime que la traite d'enfants à des fins d'exploitation sexuelle est l'une des pires infractions prévues au Code criminel. Elle devrait donc être passible d'une sanction plus sévère que ce qui a été décidé dans les causes les plus récentes. La plupart des cas nécessiteront des peines plus sévères que la peine minimale de cinq ans. L'exploitation sexuelle d'un enfant à des fins lucratives et de façon systématique est à mon avis l'une des plus graves infractions qui puissent exister au Canada.

Il faut trouver un juste équilibre entre notre indignation face à ce crime, qui nous pousserait à fixer des peines minimales de 15 ou 20 ans, et le risque qu'une telle peine soit invalidée par la Cour suprême du Canada, quelques années après l'entrée en vigueur de la loi. Nous avons donc essayé de faire preuve de modération tout en maintenant le principe de l'exemplarité de la peine, notre objectif étant la protection de ces enfants. Les criminels doivent être enfermés pendant une période assez longue pour que ces enfants aient le temps de retrouver un équilibre et une vie normale.

Le président : Merci. Nous n'avons pas encore été saisis de ce projet de loi, mais votre témoignage va nous être utile. Certes, il est devant le Sénat, mais pas encore devant notre comité. Je vous remercie de vos observations au sujet de ce projet de loi, car elles nous seront utiles dans le cadre de notre étude.

Monsieur Perrin, je vous remercie de nous avoir fait profiter de votre grande expérience dans les domaines juridique et policier. Monsieur Maidment, je vous remercie également d'avoir comparu devant notre comité et de nous avoir parlé de vos activités sur le terrain. C'est toujours bon de se le faire rappeler. Nos deux témoins nous ont présenté des points de vue qui se complètent.

Chers collègues, nous devions accueillir un autre groupe de témoins en séance télévisée, mais je pense qu'il y a eu un malentendu. Nous allons donc accueillir le Children's Commissioner for England dans un cadre non officiel. J'espère que cela vous convient.

Nous en avons maintenant fini avec les témoins que nous venons d'entendre. Nous nous retrouverons tout à l'heure pour une discussion informelle avec le comité.

(Le comité poursuit ses travaux à huis clos.)


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