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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 14 - Témoignages du 23 novembre 2009


OTTAWA, le lundi 23 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes, se réunit aujourd'hui à 14 heures pour en étudier la teneur.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne tient séance. Nous sommes ici pour examiner le projet de loi S-223. Le comité se souviendra que nous avons déjà été saisis de ce projet de loi sous une autre forme. Il avait un autre défenseur à l'époque. Je suis ravie que l'honorable sénateur Carstairs soit parmi nous en tant que parrain du projet de loi S-223. Vous avez la parole.

L'honorable Sharon Carstairs, C.P., parrain du projet de loi : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est avec plaisir que je présente au comité le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic des personnes.

Je ne crois pas qu'il y ait lieu avec votre groupe en particulier de parler du fléau qu'est le trafic. Lors de votre étude sur l'exploitation sexuelle des enfants, on vous a fourni beaucoup de données sur l'effet dévastateur de l'activité sexuelle forcée sur quiconque — enfant ou adulte. Comme les sénateurs le savent, et comme l'a indiqué la présidente, l'honorable Gerard Phalen, qui est maintenant à la retraite, a présenté ce projet de loi à la Chambre à plusieurs reprises. J'ai accepté de lui succéder à titre de parrain du projet de loi parce que j'appuyais — comme la plupart des sénateurs, je crois — le principe selon lequel les victimes du trafic des personnes devraient avoir droit à la meilleure protection possible lorsqu'elles sont amenées au Canada.

Peu après ma décision de parrainer ce projet de loi, le sénateur Comeau, leader adjoint du gouvernement au Sénat, m'a demandé si j'accepterais de rencontrer le personnel du ministre de la Citoyenneté, de l'Immigration et du Multiculturalisme, l'honorable Jason Kenney, afin de rendre le projet de loi réalisable. On m'a assuré que le ministre était en faveur du principe du projet de loi, et c'est avec grand plaisir que j'ai rencontré les représentants. Ce que vous avez devant les yeux aujourd'hui, c'est un projet de loi assorti d'une série d'amendements qui ont été approuvés par le ministre et moi. J'aimerais consacrer le reste de cet exposé aux façons dont nous avons amélioré ensemble ce projet de loi et l'avons rendu réalisable.

Je vous invite à suivre les amendements dans le texte du projet de loi devant vous. Le projet de loi n'est pas particulièrement volumineux. J'essaierai d'être aussi claire que possible.

Tout d'abord, le titre a été amendé; on a supprimé les mots après « réfugiés » et mis entre parenthèses « victimes de la traite des personnes ». Lorsque le ministère de la Justice Canada a examiné les amendements, il a apporté ce changement à des fins de clarté. Essentiellement, c'est ce que le projet de loi faisait, alors je ne vois aucun problème à changer le titre.

Il n'y a aucun changement à la page 1 du projet de loi. Je vous invite à regarder la page 2, en commençant par le paragraphe 24.1(1) proposé. À la deuxième ligne, « victime du trafic de personnes » a été remplacé par « victime de la traite des personnes ». Cela concorde maintenant avec le titre du projet de loi et également avec d'autres passages du projet de loi où il sera désormais écrit « victimes de la traite des personnes » au lieu de « victimes du trafic de personnes ».

« Personne » a été remplacé par « étranger qui est victime, au sens de l'article 2 du Code criminel, de l'infraction prévue à l'article 279.01 de cette loi ou à l'article 118 de la présente loi ». Les représentants ont essayé de rendre ce passage très clair, de façon à ce qu'il concorde avec le Code criminel et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le paragraphe 24.1(2) proposé ajoute après « permis de protection » les mots « révocable en tout temps ». Cela vise à donner aux agents d'immigration le pouvoir discrétionnaire explicite d'annuler un permis si les circonstances le justifient. J'ai eu un peu de mal avec ce passage, mais je crois qu'il est nécessaire afin de ne pas trop lier les mains des agents d'immigration.

Les changements apportés à l'alinéa 24.1(2)b) sont à (i), « traitent des personnes » et à (ii), « d'autre part, la délivrance du permis est d'ailleurs justifiée dans les circonstances ». Ces amendements visent à donner un pouvoir discrétionnaire aux agents lorsqu'ils délivrent les permis. On a fait valoir de façon très convaincante qu'il devait y avoir un équilibre. La personne peut être victime de la traite, mais il peut y avoir d'autres préoccupations en matière d'interdiction de territoire, comme la grande criminalité ou l'implication passée dans le crime organisé.

Le paragraphe 24.1(3) proposé du projet de loi renferme un autre amendement : « Le détenteur du permis visé au paragraphe (2) est admissible aux mêmes services de santé fédéraux que les demandeurs d'asile se trouvant au Canada. » La formulation a été modifiée pour s'assurer que les changements apportés au Programme fédéral de santé intérimaire ne s'appliqueraient pas dans ce cas-ci. Ce programme fait régulièrement l'objet de changements; par conséquent, il se pourrait qu'une victime ne soit pas assurée de bénéficier des protections appropriées en matière de santé. Nous devons faire en sorte que les victimes soient assurées de bénéficier de soins de santé peu importe les changements apportés au programme fédéral de santé.

L'autorisation à travailler et à étudier qui se trouvait à l'alinéa 24.1(3)b) a été supprimée du projet de loi. Il a été recommandé qu'elle soit donnée en vertu d'un règlement plutôt que d'une loi. C'est la façon de faire dans les autres exemples tirés de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la LIPR. Pour que ce projet de loi concorde avec les dispositions de la LIPR, l'autorisation sera donnée en vertu d'un règlement. On m'assure que ces règlements seront publiés prochainement. Vous pouvez poser la question aux représentants.

Le paragraphe 24.1(3) proposé dans les amendements a trait aux instructions du ministre. Il vise à s'assurer que le projet de loi cadre bien avec les autres dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

L'amendement au paragraphe 24.2(1) proposé ajoute « révocable en tout temps » et « d'au plus » en ce qui a trait à la période de trois ans. Encore une fois, l'objectif est d'accorder aux agents un pouvoir discrétionnaire. Le second changement vise à l'adapter aux circonstances et à supprimer une voie directe vers la résidence permanente.

L'alinéa 24.2(1)b) proposé, sous-alinéas (i), (ii) et (iii) ont tous été supprimés pour permettre d'énoncer dans les instructions ministérielles les critères relatifs aux permis. Ainsi, le processus continuerait de bien correspondre à la nature du cadre de la loi, et le gouvernement aurait la souplesse nécessaire pour répondre aux besoins des victimes.

Au paragraphe 24.2(2) proposé, les changements prévoient que les agents sont tenus de se conformer aux instructions du ministre. Ce paragraphe a été supprimé pour s'assurer qu'il n'y aura aucun empiètement sur les compétences des provinces, étant donné que les services dont il est question dans le projet de loi sont fournis par les provinces, et non par le gouvernement fédéral.

Le paragraphe 24.2(3) proposé dans le projet de loi renferme des dispositions sur le travail ou les études; elles ont été supprimées dans les amendements, étant donné qu'elles figurent actuellement dans les règlements de la LIPR, et qu'elles devraient l'être aussi dans ce cas-ci.

Le paragraphe 24.2(4) proposé est un changement important. Il remplace le concept de l'admissibilité à la résidence permanente par celui d'immunité. En termes clairs, nous voulons que ces victimes soient à l'abri de poursuites pour des infractions mineures qu'elles ont peut-être commises lorsqu'elles étaient victimes de la traite; toutefois, elles ne recevraient pas une amnistie totale.

L'article 24.3 proposé dans le projet de loi avait trait à la dispense de frais et a été supprimé pour que le projet de loi corresponde bien à la LIPR. De telles exemptions devraient être accordées en vertu d'un règlement, comme elles le sont dans tous les autres cas.

« Dispositions transitoires » a été supprimé afin de respecter la logique d'autres lois canadiennes, selon la recommandation du ministère de la Justice Canada.

À la partie 2, les responsabilités du ministre de la Santé ont toutes été supprimées. Voilà le seul élément qui me préoccupe, étant donné que leur suppression signifie que la nature proactive du projet de loi, conçue à l'origine pour les victimes, a été supprimée. La justification qui a été présentée, c'est qu'il faut prévenir tout empiètement sur les compétences des provinces. Comme nous le savons, la plupart des services sociaux et des services de prévention ne sont pas fournis par le gouvernement fédéral; ils sont fournis par les gouvernements provinciaux.

Cependant, j'aimerais bien qu'on m'assure que le gouvernement fédéral s'efforcera de tendre la main à ces victimes et de faire en sorte qu'elles reçoivent le soutien dont elles ont besoin. Le service téléphonique d'urgence envisagé par le sénateur Phalen dans ce projet de loi n'est peut-être pas la meilleure solution, mais certains services doivent être fournis. Rappelez-vous, chers collègues, que je n'ai pas rédigé ce projet de loi. J'espère que les représentants qui témoigneront cet après-midi pourront garantir au comité que cette aide sera fournie.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi a énormément changé, comme je l'ai indiqué pendant que je vous présentais tous les amendements. Cependant, je crois que le principe a été conservé, et ce principe est de nous assurer que les victimes de la traite ne sont pas victimisées davantage par notre système d'immigration et de réfugiés.

Je ne suis pas de ceux qui croient que les projets de loi d'initiative parlementaire, malgré toutes leurs merveilleuses intentions, sont adoptés facilement dans les chambres du Parlement, qu'il s'agisse des assemblées législatives ou du gouvernement fédéral. Ils ne sont pas adoptés facilement pour deux raisons, selon moi.

Premièrement, les rédacteurs de ces projets de loi — et j'ai rédigé mes propres projets de loi — ne peuvent pas compter sur l'assistance technique offerte au gouvernement lorsque celui-ci rédige des textes de loi similaires. En conséquence, ils se trouvent souvent dans des situations où le but ou l'objectif est très bon, mais les moyens qu'ils ont pris pour atteindre ce but ou cet objectif ne sont pas nécessairement faciles à suivre.

La seconde difficulté, c'est qu'il faut que le gouvernement veuille qu'un projet de loi d'initiative parlementaire soit adopté. Nous savons que ce n'est souvent pas le cas, peu importe le parti politique au pouvoir. Les gouvernements n'aiment pas particulièrement les projets de loi d'initiative parlementaire à moins qu'ils soient simples. Je pense par exemple au projet de loi de M. Chrétien, à l'époque où il était un jeune député, qui proposait de changer le nom des Lignes aériennes Trans-Canada pour Air Canada; le concept était merveilleux, mais pas très difficile à réaliser dans l'ensemble.

Je considère qu'un projet de loi d'initiative parlementaire est quelque chose qui permet d'alerter le gouvernement, d'informer le gouvernement qu'il y a un problème important qui doit être réglé. C'est pourquoi j'étais ravie que le sénateur Comeau me demande si j'accepterais de rencontrer les gens de Citoyenneté et Immigration Canada, et en premier lieu le personnel du ministre, pour prendre le concept souhaité par le sénateur Phalen et en faire un texte de loi réalisable que le gouvernement pourrait ensuite appuyer; puis nous étions en train de faire des progrès.

C'est pourquoi j'ai consenti aux amendements et pourquoi, bien honnêtement, je me réjouirais de votre appui à l'égard du projet de loi sous sa forme amendée. Je suis maintenant prête à entendre vos questions.

La présidente : Merci, sénateur Carstairs. Merci de nous l'avoir présenté sous cet angle. Je peux vous assurer qu'étant donné les négociations que vous avez eues, nous l'examinerons sous toutes les coutures. Comme vous le savez, nous étudions également la question de l'exploitation au cours de la présente séance. En conséquence, ce projet de loi représente une petite partie, si je peux m'exprimer ainsi — et mon intention n'est pas de diminuer son importance —, mais il s'inscrit dans un ensemble de questions sur l'exploitation sexuelle et la traite qui intéressent notre comité et qui continueront de l'intéresser. Nous espérons pouvoir examiner l'étendue générale de la question et combler les lacunes que nous percevrons tout au long de notre étude.

Si je me souviens bien, lorsque le projet de loi a été présenté la première fois dans sa forme initiale, le sénateur Phalen disait qu'il devrait y avoir plus de services et de services immédiats pour les victimes de la traite de personnes. En retour, la victime aurait la responsabilité de témoigner devant les tribunaux. Je crois que notre comité a bloqué le projet de loi parce que nous étions très préoccupés par le fait d'obliger les victimes qui se trouvaient déjà dans une situation difficile à suivre ce processus juridique. Comme il s'agit d'un problème international, personne ne connaît les moyens que les trafiquants ont pu utiliser sur ces personnes.

Dans la version suivante, le sénateur Phalen a laissé tomber cet aspect, mais les autres questions touchant la compétence provinciale et l'uniformité n'étaient pas abordées. Vous avez insisté sur le fait que — et j'aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet — dans la version actuelle, vous vous fondez sur le système d'immigration et d'accueil des réfugiés en vigueur et vous dites que ces victimes ne devraient pas être isolées et traitées différemment. Si nous savons avec assez de certitude que ces personnes sont venues au Canada contre leur volonté ou qu'elles sont ici parce qu'elles l'ont voulu, mais que tout s'est fait d'une manière que nous n'approuvons pas, elles devraient avoir droit aux mêmes services que n'importe quel autre immigrant. C'est ce que prévoit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et le règlement devrait en découler.

Est-ce que c'est l'une des raisons pour lesquelles vous avez décidé d'utiliser la voie de la réglementation et de faire fond sur la loi?

Le sénateur Carstairs : Je ne pense pas que l'on puisse s'attendre à ce que deux systèmes parallèles fonctionnent bien, quelle que soit la législation en vigueur concernant la protection relative à l'immigration et à la citoyenneté. Si on essaie de mettre en place deux systèmes, ils devront nécessairement se faire concurrence.

Par conséquent, j'étais convaincue que, si on pouvait faire en sorte que les personnes constituant dans une certaine mesure une catégorie spéciale soient visées par la législation actuelle, au moyen de règlements, cela favoriserait l'adoption du projet de loi, tout d'abord, pour que l'attention soit dirigée vers les victimes. Je suis une personne pragmatique. Deuxièmement, le fait est qu'on aurait un système d'immigration et d'accueil des réfugiés qui serait complet en soi, sans ramification.

Le sénateur Jaffer : Merci, sénateur Carstairs, pour le travail que vous avez accompli dans ce dossier. Je suis certaine que nous vous avons très bien compris quand vous avez dit que vous étiez une personne pragmatique. Je m'en remets à votre vaste connaissance de la façon dont on doit s'y prendre pour faire accepter les projets de loi des parlementaires par le gouvernement.

Vous avez abordé certaines de ces questions, mais tout le débat a trait au passage de clandestins et au trafic de personnes — le fait que la personne soit entrée illégalement au pays ou qu'elle ait été victime de trafic. Les préoccupations des agents d'immigration sont fondées, parce qu'il leur arrive de ne pas être en mesure de dire si une personne a été introduite illégalement ou si elle a été victime de trafic. Toute la discussion porte sur le passage de clandestins ou le trafic de personnes.

Quand je vois les amendements proposés et que je constate que la majeure partie du projet de loi s'est transformée en règlement, je suis très inquiète du fait que le projet de loi en a été édulcoré. J'approuve ce que vous dites et, par conséquent, je vais me prononcer en faveur du projet de loi, si vous acceptez d'envisager d'ajouter un autre amendement, pour que le règlement soit examiné par le Parlement.

Je pense que vous avez dit plus tôt que les règlements se rattachant à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés faisaient l'objet d'un examen par le Parlement. Si je me trompe, les fonctionnaires du ministère pourront certainement me corriger. Cependant, si c'est exact, j'aimerais qu'on ajoute un autre amendement — même si ce n'est pas dans la loi — selon lequel le Parlement procéderait à un examen périodique de ces règlements.

Nous savons tous que les règlements peuvent être modifiés. Je me préoccupe du fait qu'une grande part de ce projet de loi qui devait constituer une loi du Parlement va devenir un règlement, qui peut être modifié, et j'estime qu'il devrait y avoir un examen. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, et puis j'ai quelques questions supplémentaires à poser.

Le sénateur Carstairs : Je ne m'opposerai certainement pas à un tel amendement. J'aimerais bien savoir ce que diraient les gens du ministère à propos d'un tel amendement.

À mon avis, nous devons tenir compte de deux choses. Tout d'abord, le comité du Cabinet procède toujours à un examen des règlements. Deuxièmement, un comité conjoint de la Chambre des communes et du Sénat, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, se penche sur les règlements.

Si vous voulez aller plus loin et faire en sorte que ce règlement en particulier soit soumis à l'examen, par exemple, du Comité permanent des droits de la personne, j'imagine qu'il faudrait alors élargir la portée des travaux et examiner toutes les dispositions relatives à l'immigration et aux réfugiés, plutôt que de se pencher uniquement sur la question du trafic des personnes.

À mon avis, ce qui se fait actuellement au Parlement ne suffit pas. Nous n'examinons pas la réglementation dans le détail. Bien que le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation fasse du bon travail, il ne peut consacrer qu'une part de son temps à cette tâche. L'application de la législation repose de plus en plus sur des règlements, plutôt que sur la loi elle-même.

Les règlements sont plus faciles à modifier. Nous le savons tous. C'est l'avantage qu'offre aux gouvernements le recours au processus réglementaire. Votre comité devrait peut-être se pencher sur la formulation d'un amendement. Toutefois, je ne voudrais pas que le projet de loi soit rejeté à cause d'un conflit entre Citoyenneté et Immigration et le comité et que, au bout du compte, nous ne soyons pas en mesure de fournir aux victimes de trafic le type de protection dont elles ont besoin, ce que vise ce projet de loi. Ne perdez jamais de vue l'objectif principal du projet de loi.

Le sénateur Jaffer : Je n'irais pas jusqu'à dire que je n'appuierais pas le projet de loi si cet amendement n'était pas ajouté. Ayant déjà été membre du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation et connaissant très bien sa charge de travail et le type d'examen qu'il doit effectuer, je sais qu'il n'a peut-être pas l'expertise de votre comité.

Par ailleurs, Citoyenneté et Immigration ne participe pas aux travaux de ce comité. Normalement, le ministère collabore avec le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. C'est une autre raison pour laquelle je voulais qu'un examen soit effectué; et j'espère que c'est à notre comité qu'il sera confié.

Ma deuxième question porte sur la révocation du permis de protection en tout temps. Cela m'inquiète énormément. J'ai parlé à des gens qui se sont présentés à l'Immigration et ont demandé cette protection, et je sais à quel point ils ont peur et je sais qu'ils doivent se soumettre à un interrogatoire rigoureux — et c'est correct; je ne remets pas en cause cette mesure. Le fait de dire que le permis est révocable en tout temps — révocable en tout temps sans raison, pour un motif raisonnable, rien — c'est plutôt radical. J'en suis très préoccupée, parce que je sais à quel point c'est difficile pour eux.

Dès que les femmes arrivent, l'attitude adoptée, c'est de traiter le dossier comme s'il s'agissait d'un cas d'introduction de clandestins que l'on veut faire passer pour un cas de trafic de personnes. C'est ce que les femmes me disent. C'est ce que disent les groupes qui travaillent avec ces femmes. Les agents d'immigration pensent immédiatement qu'il s'agit d'un cas d'introduction de clandestins et ils veulent traiter le dossier comme tel. J'ai beaucoup de difficultés à accepter cela.

Ça ne vaut presque pas la peine d'avoir un projet de loi si le permis de protection peut être révoqué en tout temps. Mis à part le fait qu'il sensibilise les gens, ce projet de loi n'apporte pas beaucoup plus que l'autre version. Oui, il ajoute certains éléments; je ne veux rien minimiser. Quoi qu'il en soit, il faut ajouter au libellé l'expression « pour un motif raisonnable » ou quelque chose de ce genre; je suis très préoccupée du fait qu'il est possible de révoquer le permis en tout temps sans avoir à donner d'explication ou du fait qu'il n'y a rien dans la loi qui protège ces femmes. Je sais que vous avez vous aussi soulevé des inquiétudes à cet égard, mais je voulais vous faire part des miennes.

Le sénateur Carstairs : Oui, cette question me préoccupe beaucoup. On comprend bien qu'il faille donner le pouvoir discrétionnaire aux agents d'immigration. Peut-être faudrait-il, et vous devrez poser la question aux fonctionnaires qui témoigneront après moi, qu'un règlement soit établi en ce qui concerne la révocation du permis de protection en tout temps.

Le fait est que certaines des personnes qui voudront se prévaloir de cette disposition sont sans aucun doute des victimes innocentes. Tandis que d'autres font partie du problème. Je pense que c'est ce que veulent les fonctionnaires relativement à la révocation en tout temps. S'ils sont en mesure de déterminer qu'il ne s'agit pas d'un cas réel de trafic, que la personne est en fait le trafiquant et non la victime, ils veulent savoir qu'ils ont la possibilité de révoquer le permis. Je vais m'arrêter ici et demander des précisions aux gens du ministère quand ils vont témoigner. Je vais me joindre à vous, en tant que sénateur, pour voir s'ils peuvent nous en dire plus à ce sujet.

Le sénateur Jaffer : Si je puis faire un commentaire, je ne sais pas combien de trafiquants ont présenté une demande relativement à cette disposition; j'espère que le ministère sera en mesure de nous fournir cette information. La préoccupation ne concerne pas tant les trafiquants que les femmes vulnérables — le fait qu'elles aient été introduites illégalement ou non, qu'elles aient réellement été victimes du trafic de personnes.

Je suis très cynique lorsqu'ils disent que les trafiquants cherchent à se prévaloir de cette disposition. Il y a d'autres aspects pour lesquels ils peuvent présenter une demande. Ce que je souhaite, c'est que nous examinions la question de plus près, et nous allons évidemment parler aux gens du ministère.

La présidente : Puis-je ajouter quelque chose? D'après votre témoignage, la disposition relative à la révocation inciterait les agents d'immigration à accorder le permis sans délai, ce qui favoriserait un traitement plus rapide des dossiers et permettrait aux victimes d'avoir accès aux ressources rapidement. Ensuite, si certains permis doivent être révoqués, les agents devront fournir une justification. Sinon, sans la révocation, les services de première ligne seraient retardés, je suppose. Ai-je bien compris?

Le sénateur Carstairs : C'était ma préoccupation, c'est-à-dire que les agents rejettent la demande catégoriquement s'ils n'ont pas ce pouvoir. Tandis que, s'ils pouvaient accorder le permis, accepter chaque demande d'emblée, alors le processus se poursuivrait et le règlement pourrait s'appliquer. Par la suite, s'ils venaient à recevoir de l'information selon laquelle une personne en particulier ne serait pas admissible, ils auraient le droit de révoquer le permis.

Vous avez tout à fait raison, madame la présidente; j'ai bien peur que, si cette disposition n'existe pas, le processus en soit retardé. Ce n'est pas facile de déterminer si une personne est victime de trafic, utilisons donc l'aide dont nous disposons; à moins que vous ne puissiez fournir une voie détournée pour que les agents n'aient pas à faire ce choix.

Le sénateur Jaffer : Par ailleurs, j'ai compris que le délai passait de 180 jours à trois ans, et que la révocation se ferait dans le délai de trois ans.

Le sénateur Carstairs : Après trois ans.

Le sénateur Jaffer : Le ministère a déjà le pouvoir d'accorder le droit de rester ici.

Le sénateur Carstairs : Bien sûr.

Le sénateur Jaffer : De ce que j'ai compris, si on accorde le temps additionnel, le délai de trois ans, et que quelque chose survient pendant ces trois années, il serait possible de révoquer le permis.

Le sénateur Carstairs : C'est exact.

La présidente : Je pense que c'est ce que j'essayais de dire. Une période de 180 jours, c'est vite passé. Trois ans, c'est une bonne période de temps. Dans les poursuites, un délai de 180 jours peut s'écouler très rapidement quand on cherche à rassembler la preuve. C'est la raison pour laquelle je pense qu'un délai de trois ans est une proposition intéressante.

Le sénateur Carstairs : L'idée ici est d'assurer une protection pour la personne qui pourrait bien être victime d'un réseau de trafic de personnes, mais aussi de préserver l'intégrité du système d'immigration et d'accueil des réfugiés. Il faut mettre les deux en balance, et j'espère que c'est ce que cet exercice a permis de faire.

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais poursuivre la discussion concernant la révocation du permis en tout temps. Y a-t-il un mécanisme d'appel pour la femme qui a été victime de trafic, ou bien est-ce que c'est ça — on annule et c'est tout?

Le sénateur Carstairs : Non. Il y a la procédure d'appel habituelle par l'entremise de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, mais il n'existe aucun mécanisme d'appel pour ce qui est de la révocation. Les agents d'immigration rendent un jugement selon lequel, oui, il s'agit d'une victime de trafic, et ensuite ils décident que, non, cette personne n'est pas une victime de trafic.

Le sénateur Mitchell : Sénateur Carstairs, ce projet de loi semble important. Il ne fait aucun doute que vous y avez consacré beaucoup de temps et d'efforts. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas mis au point un projet de loi de ce genre? Le savez-vous?

Le sénateur Carstairs : Pour être honnête, la législation sur l'immigration est imposante et il y a un grand nombre de priorités dans tous les ministères. C'est là où se situe à mon avis la force du projet de loi présentée par un parlementaire, c'est de dire au gouvernement : « Regardez, voici un aspect qui n'a peut-être pas reçu le type d'attention que vous devriez lui prêter. » Quand j'ai accepté d'être la marraine de ce projet de loi, j'ai été enchantée de trouver immédiatement une personne-ressource qui estimait que le ministère était susceptible d'y accorder son appui et qui voulait discuter des amendements possibles.

Je ne trouvais pas que les amendements proposés étaient particulièrement extraordinaires. J'ai parlé de certains domaines au sujet desquels nous ne devrions pas faire preuve de tant de générosité envers le gouvernement, si je peux dire. D'un autre côté, le projet de loi a sans aucun doute attiré l'attention du gouvernement, ce qui est une bonne nouvelle.

Le sénateur Mitchell : Absolument. Vous avez mentionné dans votre exposé qu'un des changements envisagés dans l'amendement éliminerait une voie directe vers la résidence permanente. Je ne comprends pas. Pourriez-vous expliquer vos propos? La résidence permanente était-elle plus facilement accessible auparavant?

Le sénateur Carstairs : Une personne au Canada pendant trois ans a une voie directe vers la résidence permanente. C'est pourquoi on mentionne « jusqu'à trois ans ». Le fait d'être victime de trafic ne donne pas automatiquement la possibilité d'obtenir la citoyenneté canadienne. D'autres raisons pourraient empêcher cette personne de l'obtenir. À mon avis, il est logique que ces droits soient protégés. Ce n'est pas parce qu'une personne a vécu l'horreur qu'elle peut obtenir plus rapidement le statut de résident permanent au Canada. D'autres facteurs sont pris en compte avant que ce statut soit accordé.

Le sénateur Mitchell : L'assurance qu'une personne peut retourner dans son pays d'origine en toute sécurité constituerait manifestement un de ces facteurs.

Le sénateur Carstairs : Le fait de pouvoir retourner dans son pays d'origine en toute sécurité est un facteur déterminant; il l'était déjà en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Le sénateur Peterson : Merci, madame le sénateur Carstairs. Les articles 24.1 et 24.2 qui ont été proposés se rapportent à l'opinion de l'agent qui doit déterminer si une personne a été victime de trafic. Quelle est la norme de pensée à ce niveau? Cette norme marque-t-elle un tournant par rapport à ce qui existe aujourd'hui?

Le sénateur Carstairs : Sénateur Peterson, je ne sais pas s'il y a eu des changements. Les représentants du ministère seraient plus à même de répondre à cette question, mais je ne crois pas que la norme soit différente. Nous ne sommes toujours pas suffisamment conscients de l'ampleur du trafic de personnes. C'est pourquoi nous voulions traiter du sujet dans un article distinct. En même temps, tout repose toujours sur le jugement de l'agent d'immigration, qui doit déterminer si une personne a été victime non seulement de trafic, mais également d'autres actes.

Le sénateur Jaffer : Je m'inquiète qu'on puisse considérer cette disposition comme une voie d'accès directe vers la résidence permanente. Ça me préoccupe beaucoup. Un demandeur qui voudrait invoquer de telles raisons pourrait plutôt utiliser des motifs d'ordre humanitaire pour demander sa citoyenneté. Par exemple, une victime de la traite qui est entrée au Canada, qui a commencé à travailler et qui s'est établie aurait pu obtenir le statut pour des motifs humanitaires sans devoir recourir à cette méthode.

Je suis très inquiète lorsque je vois le ministère dire que ces dispositions, qui ne sont pas nécessaires, deviendraient un moyen d'obtenir la résidence permanente. Je suis vraiment très inquiète de voir que cette voie est considérée comme un point d'entrée vers la résidence permanente. Comme je l'ai dit, si c'est l'intention de la personne, elle a d'autres moyens pour y arriver. Les gens peuvent rester ici et travailler, se marier, et ainsi de suite, pour ensuite présenter une demande fondée sur des motifs humanitaires. On n'a pas besoin de se servir du trafic de personnes comme point de départ pour l'octroi de la résidence permanente. Je voulais partager ces inquiétudes avec vous.

La présidente : Madame Carstairs, comme toujours, vous avez fait preuve d'efficacité et de pertinence. Je vous remercie d'avoir pris ce projet de loi sur vos épaules et de l'avoir présenté au comité. Nous en poursuivrons l'étude.

J'accueille maintenant notre prochain groupe de témoins de Citoyenneté et Immigration Canada. J'aimerais les informer que dans le groupe précédent, nous avons entendu le sénateur Carstairs qui nous a parlé de ses démarches avec le ministère, qui se sont soldées par certains amendements à son projet de loi initial.

J'aimerais aussi rappeler aux sénateurs que nous avions déjà tenu des audiences concernant une des précédentes versions de ce projet de loi lorsqu'il était sous la responsabilité du sénateur Phalen. Le comité de direction s'est rencontré, et il va recommander que les témoignages du sénateur Carstairs et des représentants du ministère soient envoyés aux témoins des séances précédentes pour obtenir leurs réactions et leurs commentaires après avoir rencontré les représentants du ministère. Ainsi, nous n'aurons pas à tenir de nouvelles audiences avec eux, parce que nous avons déjà leurs points de vue, que nous désirons appliquer. Je voulais vous en informer.

Nous accueillons donc parmi nous M. Les Linklater qui est sous-ministre adjoint du Secteur des politiques stratégiques et de programmes de Citoyenneté et Immigration Canada, ainsi que Mme Martha Vaughan, gestionnaire de la Division pour la santé des femmes à la Direction des programmes de Santé Canada, et Mme Gigi Mandy, directrice de la Division de la Loi canadienne sur la santé à la Direction des programmes, de Santé Canada également.

Je vois que plusieurs personnes sont derrière vous. Vous avez emmené des renforts. Si vous avez besoin de faire appel à eux, ils devront venir à la table et s'identifier.

Monsieur Linklater, la parole est à vous.

Les Linklater, sous-ministre adjoint, Politiques stratégiques et programmes, Citoyenneté et Immigration Canada : Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis accompagné de mon collègue, Eric Stevens, qui est également de Citoyenneté et Immigration Canada, ainsi que de collègues de Santé Canada. C'est avec plaisir que je me joins à vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi S-223 et je tiens à remercier les sénateurs Phalen et Carstairs de s'être penchés sur cette question importante.

Le gouvernement est en accord avec les objectifs d'immigration du projet de loi S-223, soit la protection des étrangers victimes de trafic de personnes se trouvant au Canada. Nous avons toutefois quelques préoccupations quant à la forme actuelle du projet de loi, mais nous sommes persuadés qu'il sera possible de les atténuer en apportant des modifications qui n'auront aucune répercussion sur l'esprit de ce projet de loi.

Le gouvernement du Canada fait la promotion d'une approche concertée à l'égard du trafic de personnes : une approche qui met l'accent sur la prévention, la protection, la mise en accusation et le partenariat. CIC vise principalement la protection des étrangers victimes de trafic de personnes se trouvant au Canada.

À cet égard, en mai 2006, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a émis des instructions ministérielles ainsi que des lignes directrices permettant aux agents d'immigration de délivrer aux étrangers victimes de trafic de personnes se trouvant au Canada un permis de séjour temporaire — ou PST — exempt de frais et valide pour une période maximale de 120 jours. En 2007, à la lumière des préoccupations soulevées par des intervenants et par le Comité permanent de la condition féminine, la durée de validité maximale de ce permis est passée à 180 jours.

Ce changement important donnait aux victimes accès à un permis de travail exempt de frais, qu'elles ne pouvaient pas obtenir auparavant. En obtenant un permis de travail, les victimes ont la possibilité de gagner leur vie au Canada en attendant de prendre une décision quant à leur avenir. Les victimes à qui un PST à court terme est délivré ont accès à une protection médicale dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire, notamment à une aide psychologique à la suite d'un traumatisme.

Le PST vise un objectif simple : aider les victimes de trafic à échapper à l'influence de leurs trafiquants et à commencer à se remettre de cette dure épreuve pour qu'elles soient en mesure de prendre une décision quant à leur avenir. Lorsque les circonstances d'un cas le justifient, CIC peut délivrer un PST valide pour une période maximale de trois ans.

De manière générale, les mesures proposées dans le projet de loi S-223 correspondent à l'approche que l'on privilégie actuellement envers les étrangers victimes de trafic de personnes se trouvant au Canada. Le projet de loi propose la délivrance aux victimes, sans frais, d'une autorisation de protection à court ou à long terme. Il propose également la délivrance d'un permis de travail ou d'études, ainsi que l'admissibilité des victimes aux services sociaux et de santé.

Comme je l'ai indiqué, le gouvernement du Canada est en accord avec l'objectif des dispositions, mais nous avons une certaine réserve de nature technique quant à sa forme actuelle. C'est la raison pour laquelle nous aimerions apporter certaines modifications, comme l'a souligné le sénateur Carstairs.

Notre principale préoccupation repose sur le fait que le projet de loi S-223 limiterait la marge de manœuvre dont le gouvernement dispose par l'intermédiaire des instructions du ministre et des lignes directrices. À titre d'exemple, il aurait été impossible de faire passer la durée de validité du PST de 120 à l80 jours s'il avait été nécessaire d'apporter une modification législative. Il est essentiel que le gouvernement puisse bénéficier de la souplesse nécessaire pour répondre en temps opportun aux besoins des victimes du trafic de personnes.

L'expérience du Canada en matière de la lutte contre le trafic de personnes, particulièrement en lien avec les questions touchant l'immigration, est limitée. Nous devons avoir la capacité d'ajuster notre approche et de réagir rapidement aux situations imprévues ainsi qu'un éventail de nouvelles connaissances.

Afin de conserver la souplesse que nous offre l'approche actuelle du gouvernement envers les victimes du trafic de personnes, nous recommandons la modification du projet de la loi S-223 afin que les critères d'admissibilité à l'autorisation de protection soient détaillés dans les instructions du ministre et les lignes directrices, comme c'est le cas actuellement.

Nous sommes également préoccupés par le fait que le projet de loi créerait une amnistie générale pour les victimes du trafic de personnes tout en permettant aux détenteurs d'autorisations à long terme de présenter une demande de résidence permanente, sans qu'on tienne compte de circonstances découlant du fait qu'elles ont été victimes du trafic de personnes; cela pourrait inclure tout crime commis par la victime.

La politique actuelle en matière d'immigration permet une analyse au cas par cas de toute interdiction de territoire. Même si nous savons que les victimes peuvent être vulnérables et être forcées de commettre un crime, il est important de conserver la capacité d'examiner les circonstances individuelles. Cette approche individuelle nous aide à trouver un équilibre entre le besoin de protéger les victimes et le besoin de tenir compte de la sécurité des Canadiens.

Nous recommandons la modification de la disposition afin de la rendre semblable à l'article 133 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui protège les réfugiés contre des accusations liées à la présentation de fausses déclarations ou de faux documents lorsqu'ils entrent au Canada.

La modification permettrait de garantir que les victimes du trafic de personnes reçoivent la même protection. Les victimes ne pourraient pas être accusées relativement à ces infractions particulières, qui sont souvent hors de leur contrôle, tandis qu'une évaluation au cas par cas serait effectuée pour les infractions plus graves.

[Français]

Une autre de nos préoccupations liées au projet de loi S-223 est l'abus de l'autorisation de protection à long terme. La fraude est une préoccupation dans tous les programmes, notamment dans un programme qui permet d'obtenir la résidence permanente au Canada.

Le projet de loi S-223 prévoit une autorisation de protection de trois ans pour les victimes. Après cette période, la victime pourrait présenter une demande de résidence permanente. Cet accès direct à la résidence permanente pourrait devenir un incitatif et attirer de faux demandeurs d'asile se faisant passer pour des victimes du trafic de personnes. Bien qu'il soit possible d'obtenir la résidence permanente aux termes des lignes directrices existantes, nous possédons actuellement une plus grande marge de manœuvre nous permettant de délivrer un permis pour une durée adaptée à la situation de la victime. Nous pouvons également annuler le permis s'il s'avère que la délivrance est fondée sur une demande frauduleuse. C'est pourquoi nous recommandons la modification de la disposition afin de donner aux agents le pouvoir discrétionnaire de délivrer une autorisation pour une durée maximale de trois ans et d'annuler l'autorisation en tout temps.

De plus, le gouvernement est préoccupé par le fait que le projet de loi S-223 permettrait aux victimes du trafic de personnes d'être considérées comme des résidants permanents aux fins de la prestation des services sociaux et de santé. Nous interprétons cette disposition comme une tentative visant à empiéter directement sur les compétences provinciales, territoriales et elle ne doit donc pas être incluse dans le projet de loi.

Par conséquent, nous recommandons la suppression de la disposition qui considère les étrangers détenteurs d'une autorisation de protection d'une durée de trois ans comme des résidants permanents aux fins de la prestation de services de santé et sociaux.

Finalement, le projet de loi S-223 prévoit une nouvelle définition de « victime du trafic de personnes » qui ne cadre pas avec les autres lois fédérales, comme le Code criminel. Nous sommes préoccupés par le fait que cette incohérence pourrait semer la confusion chez les législateurs et les responsables de l'application de la loi.

Madame la présidente, il s'agit des commentaires de mon ministère sur le projet de loi S-223. Nous recommandons donc la modification de la définition de « victime de trafic de personnes » de façon à ce qu'elle soit alignée avec le Code criminel.

Nous avons présenté nos observations et d'autres modifications techniques au comité. Nous répondrons avec plaisir à vos questions et nous avons hâte de travailler avec vous dans le cadre de cette initiative importante visant à protéger davantage les victimes du trafic de personnes. Je laisse maintenant la parole à mes collègues de Santé Canada.

[Traduction]

Martha Vaughan, gestionnaire, Division de la santé des femmes, Direction des programmes, Santé Canada : Bonjour et merci de m'avoir invitée à être ici cet après-midi. Je suis ici pour parler de la partie 2 du projet de loi S-223.

La partie 2 du projet de loi donnerait au ministre fédéral de la Santé de nouvelles responsabilités, notamment offrir un service téléphonique d'urgence multilingue et sans frais et mettre en œuvre une campagne de sensibilisation du public portant sur le trafic de personnes. De plus, le ministère serait tenu de faire en sorte que ses bureaux régionaux offrent des services de counseling, de renseignement et d'aiguillage aux utilisateurs du service téléphonique d'urgence.

Pour ce qui est de la responsabilité, dans la partie 2, d'élaborer et de mettre en œuvre une campagne de sensibilisation du public portant sur le trafic de personnes, le gouvernement fédéral a déjà pris des mesures à cet effet. En janvier dernier, le ministre de la Sécurité publique a annoncé la création d'un partenariat avec l'Association canadienne Échec au crime pour lancer une campagne de sensibilisation qui inclut une ligne nationale de dénonciation que le public peut utiliser pour dénoncer des cas soupçonnés de traite de personnes.

Pour ce qui est de l'exigence, pour Santé Canada, de fournir des services de counseling, de renseignement et d'aiguillage dans ses bureaux régionaux, les provinces et les territoires offrent déjà ces services à leurs citoyens. La participation de Santé Canada serait vue comme un chevauchement d'initiatives provinciales et territoriales, et dépassant son mandat fédéral. De plus, les dispositions proposées pour Santé Canada auraient d'importantes répercussions financières pour le gouvernement fédéral.

C'est pourquoi Santé Canada recommande que la Partie 2 du projet de loi S-223 soit supprimée.

Le sénateur Carstairs : Monsieur Linklater, je voudrais m'assurer que tout ce que j'ai dit est compatible avec l'intention du projet de loi.

M. Linklater : Oui, tout à fait. L'aperçu présenté au comité par Mme Carstairs est tout à fait compatible avec mes remarques ainsi que les intentions du ministère.

Le sénateur Carstairs : Madame Vaughan, quels sont les commentaires que vous avez reçus au sujet du service téléphonique d'urgence qui a été mis sur pied par le gouvernement en collaboration avec l'Association canadienne Échec au crime?

Mme Vaughan : J'ai communiqué avec des collègues de la GRC, qui m'ont indiqué que le service était un succès. Je ne peux pas donner plus de commentaires à ce sujet. Nous n'avons pas mis le service sur pied. Si vous le désirez, je serai ravie de répondre à votre question à une date ultérieure.

Le sénateur Carstairs : Est-ce que le ministère de la Santé verse des fonds à Échec au crime pour ce programme?

Mme Vaughan : Non.

Le sénateur Carstairs : Les fonds ne proviennent pas de Santé Canada, mais du ministère de la Sécurité publique?

Mme Vaughan : C'est ce que j'ai compris.

Le sénateur Carstairs : Merci.

Le sénateur Jaffer : Merci d'être venus aujourd'hui. Je sais que votre ministère a fait de grands progrès sur ces questions, mais le travail est loin d'être terminé. Je crois que vous serez d'accord avec moi.

Combien de permis de séjour temporaire avez-vous délivré jusqu'à maintenant?

M. Linklater : De 2007 à 2008, nous avons délivré 27 permis à 18 personnes. Les deux chiffres ne correspondent pas parce que certaines personnes ont d'abord obtenu un permis à court terme et ont ensuite demandé et obtenu un permis à long terme. Le nombre de permis délivrés est donc supérieur au nombre de titulaires.

Le sénateur Jaffer : Je veux simplement m'assurer d'avoir bien compris : on obtient d'abord un permis à court terme valide pour une période de 120 jours, puis on demande un permis d'une durée de 180 jours?

M. Linklater : La période de validité des permis — 120 ou 180 jours — dépend de la date d'arrivée au Canada et des directives qui étaient en vigueur à cette époque. Toute personne qui a présenté une demande depuis 2007 obtiendra, le cas échéant, un deuxième permis valide pendant au plus trois ans.

Le sénateur Jaffer : Savez-vous combien sont en instance de traitement actuellement?

M. Linklater : Non, je ne le sais pas. Toutefois, comme vous pouvez le constater, il y en a eu très peu jusqu'à maintenant.

Le sénateur Jaffer : De quelle région provient la majorité des demandes d'obtention de ce type de permis?

M. Linklater : Je ne peux pas vous répondre avec certitude, mais j'ai l'impression que la majorité de ces permis sont délivrés en Ontario.

Le sénateur Jaffer : Je veux m'assurer que le comité comprend bien le fonctionnement des choses : une personne qui souhaite obtenir un permis de séjour temporaire en vertu du projet de loi proposé ou de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés doit déclarer qu'elle a été victime de trafic de personnes. Est-ce exact?

M. Linklater : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : J'ai parlé à des représentants de votre ministère et j'ai cru comprendre qu'à leurs yeux, la grande question est de savoir si ces gens ont été victimes de trafic ou s'ils ont été introduits au pays en tant que clandestins. Ai-je bien compris?

M. Linklater : En partie. Lorsqu'une personne dit avoir été victime de trafic à l'un de nos agents, nous veillons à ce que l'atmosphère ne soit pas hostile ni accusatoire. En règle générale, les agents d'exécution de la loi, y compris ceux des services frontaliers, n'assistent pas à l'entretien avec la personne. C'est à ce moment que l'on prend note des faits et que l'agent détermine s'il est justifié, dans les circonstances, d'accorder un permis initial. À ma connaissance, c'est de cette façon qu'on procède habituellement.

Le permis initial donne le temps à la victime présumée — qui est une femme, dans la majorité des cas, de réfléchir aux options qui s'offrent à elle, bref pour décider si elle souhaite collaborer avec le poursuivant, c'est-à-dire prendre part aux poursuites devant les tribunaux, ou si elle préfère quitter le Canada et rentrer chez elle.

À la fin de la période de 180 jours, la personne peut demander une prolongation de la période de validité de son permis auprès d'un de nos bureaux, présenter une demande de résidence permanente en invoquant des raisons d'ordre humanitaire, ou encore demander le statut de réfugié.

Le sénateur Jaffer : Selon la nouvelle loi, la période de validité restera-t-elle à 180 jours ou sera-t-elle toujours d'une durée de trois ans?

M. Linklater : La période de validité du permis initial sera encore de 180 jours, et les demandeurs auront ensuite la possibilité de demander à obtenir un permis d'au plus trois ans.

Le sénateur Jaffer : Le projet de loi ne modifie pas la période de validité du permis initial, n'est-ce pas? Elle ne sera pas de trois ans, mais bien de 180 jours?

M. Linklater : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : Ma collègue, le sénateur Nancy Ruth, a posé une question au sujet des demandes d'appel. Il n'est pas possible de faire appel, n'est-ce pas? La décision n'est-elle pas définitive?

M. Linklater : Pour qu'un permis soit annulé, il faudrait présenter de nouveaux éléments de preuve qui auraient entraîné le refus de la demande s'ils avaient été disponibles au moment de délivrer le permis initial. Compte tenu du caractère litigieux des dossiers d'immigration, nos agents sont formés de façon à ce qu'ils appliquent le principe de justice naturelle. Si des renseignements défavorables sont mis au jour, on les communique au titulaire du permis et on lui donne l'occasion de les démentir. La décision n'est pas automatique. On doit absolument communiquer avec le titulaire pour lui permettre de fournir des renseignements supplémentaires.

Et même si le permis est révoqué, la personne n'est pas nécessairement renvoyée sur-le-champ du Canada. Comme je l'ai dit plus tôt, les gens qui se trouvent dans une telle situation peuvent présenter une demande en invoquant des raisons d'ordre humanitaire ou encore demander le statut de réfugié. S'ils sont visés par une mesure de renvoi de l'Agence des services frontaliers du Canada, ils ont droit à un examen des risques avant renvoi avant de devoir à quitter le Canada.

Le sénateur Jaffer : Y a-t-il un ministère en particulier qui s'occupe de ces cas? Offrez-vous de la formation actuellement? Si oui, pendant combien de temps comptez-vous en offrir? Mettez-vous sur pied une unité spécialisée dans vos bureaux qui serait responsable de ce type de permis?

M. Linklater : Nous n'avons pas d'unité en tant que telle, mais le ministère et mon groupe coordonnent cette responsabilité gouvernementale. Toutefois, les agents qui s'occupent directement des victimes communiquent leurs constats par l'intermédiaire de notre structure régionale. Nous sommes divisés en cinq régions. Les agents suivent une formation. Nous collaborons étroitement avec l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, et la GRC. Nos agents ont accès à des vidéos et à des séances de formation. Nous avons également établi des directives opérationnelles qui expliquent de façon assez détaillée comment nos agents doivent s'y prendre pour traiter les cas de victimes présumées de trafic.

Le sénateur Jaffer : Les gens qui demandent un permis de séjour temporaire tentent parfois de fuir une situation dangereuse.

M. Linklater : C'est exact.

Le sénateur Jaffer : Et la majorité des gens qui le font sont dans cette situation. Quels services directs offrez-vous aux femmes victimes de trafic pour les protéger de leurs trafiquants? Est-ce que toutes les villes offrent ces services?

M. Linklater : Si on décide de délivrer un permis initial de courte durée, nos agents peuvent s'occuper, de concert avec des organismes communautaires et les autorités policières locales, de trouver un logement, et, s'il le faut, faire appel à des policiers de la région de façon à assurer la meilleure protection possible. Mais je le répète, jusqu'à présent, nous avons connu très peu de cas de ce genre; en fait, il y en a eu 18 au cours des dernières années. Nous apprenons en cours de route; nous apporterons au fur et à mesure des améliorations au programme et nous cernerons les lacunes possibles quant à la couverture offerte aux victimes titulaires d'un permis de courte durée.

Le sénateur Poy : J'ai une question pour Mme Vaughan. Je n'ai pas très bien compris votre exposé. Nous parlons ici de victimes de trafic assujetties à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui relève du gouvernement fédéral. Dans votre exposé, vous avez dit que la participation de Santé Canada serait vue comme un chevauchement d'initiatives provinciales et territoriales et qu'elle ne s'inscrirait pas dans le mandat du gouvernement fédéral. Il pourrait y avoir d'importantes répercussions financières qui pourraient sembler excessives et démesurées.

Si je comprends bien, il existe en ce moment un service téléphonique d'urgence multilingue géré par le gouvernement fédéral. Est-ce exact?

Mme Vaughan : Il n'existe aucun service téléphonique de ce genre à l'heure actuelle.

Le sénateur Poy : Lorsqu'il sera mis en service, le gouvernement fédéral en sera responsable. C'est bien ça?

Mme Vaughan : D'après le projet de loi, la réponse est oui.

Le sénateur Poy : Lorsque des services de consultation ou d'aiguillage, ou encore des services de santé, s'avèrent nécessaires, la responsabilité en incombe au gouvernement provincial, n'est-ce pas?

Mme Vaughan : Santé Canada ne fournit pas directement de services de santé aux victimes ou aux résidents.

Le sénateur Poy : Santé Canada ne peut pas les aiguiller vers les services de santé des provinces?

M. Linklater : Toutes les victimes de trafic qui obtiennent un permis de courte durée sont admissibles au Programme fédéral de santé intérimaire de CIC, qui couvre tous les services médicaux nécessaires, y compris les soins dentaires d'urgence et les services de consultation en traumatologie. Cette couverture est en vigueur pendant la période de validité du permis, soit pendant 180 jours.

Une fois la période de 180 jours écoulée, les victimes sont prises en charge par le régime d'assurance-maladie des provinces. Où qu'elles soient aiguillées, Santé Canada n'a pas de rôle officiel à jouer. Ce rôle revient aux intervenants désignés par le Programme fédéral de santé intérimaire de CIC et aux médecins de la collectivité, en vertu du Régime d'assurance-maladie de l'Ontario, par exemple, s'il est question de cette province.

Le sénateur Poy : Au cours des 180 premiers jours, les coûts seraient assumés par le gouvernement fédéral?

M. Linklater : Oui.

Le sénateur Poy : Je ne comprends pas pourquoi Mme Vaughan dit que la partie 2 du projet de loi doit être supprimée. Les victimes de trafic ont besoin de ces types de services. À quoi bon protéger ces gens si on ne leur offre pas de services de santé ni d'avantages à cet égard? Je ne comprends pas la logique de son argumentation.

M. Linklater : Je pourrais peut-être clarifier les choses. Dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire de CIC, on aiguille pendant les six premiers mois les présumées victimes de trafic vers les soins de santé dont elles ont besoin. On estime qu'après six mois, lorsque leurs soins de santé relèvent désormais de la compétence provinciale, la plupart des gens sont suffisamment bien intégrés dans leur collectivité pour savoir où trouver les fournisseurs de soins de santé dans leur ville, s'ils décident de rester au Canada. En fait, ils devront alors se tourner vers les services sociaux et les soins de santé offerts par le gouvernement provincial. Nous sommes persuadés que l'information est facile à obtenir dans la plupart des provinces, par exemple sur les sites Web et par l'intermédiaire de services de sensibilisation et de santé locaux, ce qui permet aux victimes titulaires d'un permis à long terme d'avoir accès aux soins de santé dont elles ont besoin.

Le sénateur Poy : Est-ce que le projet de loi S-223 fait obstacle à cela?

M. Linklater : Il confie à la ministre de la Santé le mandat de mettre sur pied des services qui existent déjà en bonne partie dans les provinces et qui sont strictement du ressort des provinces en vertu de la Constitution.

Le sénateur Poy : Merci.

Le sénateur Peterson : Dans le même ordre d'idées que Mme le sénateur Poy, croyez-vous qu'en éliminant le chevauchement des services — qui n'est pas nécessaire —, nous éliminerions du même coup les répercussions financières et la nécessité de l'éliminer?

M. Linklater : Si je comprends bien la question, je dirais qu'il est difficile de déterminer combien de victimes de trafic sont prises en charge par le régime d'assurance-maladie des provinces. Elles sont très peu nombreuses. Jusqu'à présent, nous n'avons pas engagé avec les provinces les discussions dont nous aurions besoin pour comprendre l'ampleur du chevauchement. Mais les provinces se sont montrées coopératives; elles ont accepté que les véritables victimes de trafic bénéficient des services sociaux et des soins de santé du ressort des provinces à partir du moment où elles ne sont plus admissibles au Programme fédéral de santé intérimaire, soit après une période de six mois.

Le sénateur Peterson : Il n'est donc pas nécessaire de retirer cette disposition du projet de loi. Vous avez dit que vous offrez une couverture pendant 180 jours. Après cette période, les provinces ont accepté d'en prendre la responsabilité. Pourquoi devrions-nous retirer cette disposition? Outre la formulation de cette disposition, vous inquiétez-vous du fait que ce mandat leur soit confié? Est-ce là la source de vos préoccupations?

M. Linklater : Ce qui nous préoccupe avant tout, c'est que nous outrepassons les ententes constitutionnelles que nous avons conclues avec les provinces en les mandatant d'offrir des services de leur ressort.

Le sénateur Peterson : Alors laissez-nous retirer cette disposition et ça devrait coller dans l'ensemble.

Le sénateur Mitchell : Mettez-vous à la disposition de ces victimes les services d'un avocat d'aide juridique? Si c'est le cas, à quels moments et pour quelles raisons?

M. Linklater : Les gouvernements provinciaux offrent une aide juridique aux personnes qui ont entrepris des démarches d'immigration. Le système des principales destinations — c'est-à-dire le Québec, l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta — semble assez bien fonctionner. Si les gens demandent un représentant, les provinces veilleront à ce qu'ils obtiennent l'aide juridique dont ils ont besoin pour composer avec le système.

Le sénateur Nancy Ruth : Le chiffre 18 m'a frappée. Je suppose qu'il est difficile de savoir qui sont ces personnes, si elles se sont identifiées comme victimes et quelles étaient les circonstances. Dans les refuges ou les autres établissements, comment encourage-t-on les femmes à parler de leur situation?

M. Linklater : Je ne suis pas au courant de toutes les mesures qui sont prises au pays. Cependant, je sais que CIC a établi des directives qui indiquent à nos agents comment s'y prendre dans de telles situations. Je crois que c'est la GRC qui joue le plus grand rôle pour ce qui est de sensibiliser les collectivités au trafic. Il existe un groupe de travail fédéral qui regroupe plusieurs ministères, dont Santé Canada et CIC. Pour l'instant, je ne peux pas vous dire quels sont précisément les produits d'information utilisés, mais je pourrais volontiers obtenir ces renseignements pour vous.

Le sénateur Nancy Ruth : Ce serait parfait. Je suppose que ces femmes séjournent dans différents refuges. Est-ce que le gouvernement fédéral assume leurs frais d'hébergement? En fait, voici ce que je veux savoir : le gouvernement provincial paie la facture d'hébergement des victimes de violence familiale, mais qui paie l'hébergement de ces femmes? Ajoute-t-on des lits pour compenser les places occupées par ces femmes? Comment procède-t-on? Est-ce que l'hébergement de ces femmes réduit le nombre de places disponibles pour les victimes de violence familiale?

M. Linklater : Les chiffres sont si peu élevés que cela ne semble pas poser de problème dans les provinces. Comme vous le savez, les coûts associés aux services sociaux sont couverts en partie par le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, le TCPS. Ces personnes comptent dans le calcul du TCPS.

Une victime du trafic de personnes pourrait attirer notre attention à n'importe quel moment, pas nécessairement à un point d'entrée. Il pourrait s'agir d'une personne qui travaille ici depuis plusieurs mois et qui finit par s'apercevoir qu'elle est victime de trafic, puis qui décide de communiquer avec CIC. Elle a peut-être déjà son propre logement ou des amis à qui elle peut demander de l'aide. Lorsqu'une victime fait appel à CIC, le principal rôle que nous jouons est de garantir son statut, de lui obtenir la protection dont elle a besoin et de lui donner l'occasion de réfléchir à ce qu'elle veut faire par la suite.

Le sénateur Nancy Ruth : Merci.

La présidente : Les victimes du trafic de personnes viennent de pays où les systèmes ne sont pas conviviaux, si je peux dire, alors il est possible qu'elles arrivent ici sans savoir qu'elles font l'objet d'un tel trafic. Dans certains cas, elles peuvent savoir qu'on les force à venir ici, mais elles n'y pensent pas en termes techniques de trafic de personnes.

Habituellement, les points d'entrée relèvent des services frontaliers et de la police. Est-ce la police ou les services frontaliers qui vous signalent des cas, ou les victimes sont-elles portées à votre attention par d'autres intervenants?

M. Linklater : Les victimes de trafic qui viennent d'un autre pays et qui sont amenées jusqu'ici sont mises en contact avec nous au point d'entrée ou dans un bureau local de CIC. Toutefois, il ne faut pas oublier le problème du trafic intérieur. Dans ce dernier cas, les victimes n'attireront pas l'attention de Santé Canada ou de CIC, mais plutôt celle de la GRC ou de la police locale.

La plupart des cas qui nous sont transmis proviennent de nos agents qui travaillent à des points d'entrée, de nos bureaux locaux qui reçoivent de l'information des aéroports, par exemple, ou d'un agent des services frontaliers à la frontière terrestre qui, à la suite d'un premier interrogatoire, a dirigé la personne vers un agent de CIC au point d'entrée pour qu'elle subisse un deuxième interrogatoire plus approfondi.

La présidente : Pourrait-on dire alors que l'élément déclencheur est un représentant du gouvernement du Canada?

M. Linklater : Qui est approché par une victime, c'est exact.

La présidente : Et que font les services d'INTERPOL, les autres organismes gouvernementaux et les organismes des Nations Unies qui ne se gênent pas pour nous dire qu'ils luttent eux aussi contre le trafic de personnes parce que c'est un problème qui prend de plus en plus d'ampleur? Ne vous avertissent-ils pas d'avance, de sorte que l'intervention est plus rapide?

M. Linklater : C'est la capacité de la victime à demander de l'aide qui fait foi de tout. Comme vous l'avez dit, il arrive parfois que des personnes soient de connivence avec les trafiquants pour pouvoir entrer au Canada. Mais dans d'autres cas, ce n'est qu'après leur arrivée ici, une fois qu'elles y ont vécu quelque temps, que certaines personnes s'aperçoivent qu'elles ont été victimes de trafic. Ça dépend de leur capacité à sonner l'alarme, si vous voulez, à s'adresser à une figure d'autorité — la police, CIC ou un médecin, par exemple — pour lui raconter leur histoire. La situation varie au cas par cas.

À l'heure actuelle, on a identifié seulement 18 victimes étrangères. Il est donc trop tôt pour analyser les tendances à propos d'INTERPOL et déterminer si elle joue un rôle de prévention ou de dissuasion.

La présidente : À vous entendre parler, vous avez une formation spéciale, vous êtes conscients du problème et vous évaluez seuls la situation. Ça me semble être le gros bon sens, mais l'identification des trafiquants et des personnes victimes de trafic est faite par d'autres organismes — la police et les services frontaliers — et non par vous. Est-ce exact?

M. Linklater : En partie. Mais si une victime qui s'adresse à CIC est en mesure de nous fournir de l'information sur les trafiquants ou les présumés trafiquants, nous transférerons cette information à l'Agence des services frontaliers du Canada.

La présidente : Parmi les 18 victimes, y en a-t-il qui se sont adressées directement à vous, ou ont-elles toutes été dirigées vers vous par l'un des autres services?

M. Linklater : Je ne peux pas le dire avec certitude aujourd'hui, mais nous pourrions examiner le dossier.

La présidente : Merci. Ma préoccupation vient du fait que si nous voulons que le projet de loi permette de garantir que les victimes obtiennent les services dont elles ont besoin, il faut d'abord savoir qui sont ces victimes. Dans les journaux et dans certains organismes, le chiffre avancé est supérieur à 18. D'où nous vient cet écart? Soit les chiffres qui circulent sont exagérés, ce qui est tout à fait possible, soit nous ne savons pas qui sont les victimes.

M. Linklater : Vous avez mis le doigt sur un écart important dans le taux de déclaration de cas de trafic de personnes. Les chiffres que je peux vous donner représentent les personnes qui se sont adressées à CIC, dont la situation a été évaluée et qui ont reçu un permis. Mais si on parle de cas présumés de trafic de personnes, ou du nombre de personnes qui entrent au Canada dans les griffes de trafiquants, CIC ne possède pas d'estimations sérieuses à cet égard. Il faudrait plutôt s'adresser aux services frontaliers ou à la GRC.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Ma question est pour vous, monsieur Linklater et a trait au pouvoir du ministre de révoquer des permis. De ce que je peux comprendre, c'est un amendement apporté par le gouvernement du Canada. Est-ce que cela a été fait pour nous protéger contre des cas ou ceux qui se disent victime de traite sont, dans certains cas, directement liés à la traite ou promeuvent la traite des personnes?

M. Linklater : Merci pour la question.

[Traduction]

Comme je l'ai dit plus tôt, la capacité de révoquer un permis ne serait pas prise à la légère par les responsables ministériels. Cela dit, on craint que si un permis de trois ans est délivré par erreur à un trafiquant, sans le pouvoir discrétionnaire de révoquer le permis, comme l'a fait remarquer le sénateur Carstairs dans sa déclaration, on ouvrirait la voie à la résidence permanente pour des criminels qui ne le méritent pas, et ce, peut-être au détriment de leurs victimes.

Il s'agit d'un pouvoir important, mais je vous assure qu'on l'exerce avec parcimonie et prudence. Je répète que par souci de respect des principes de justice naturelle, tout renseignement défavorable est communiqué au titulaire pour lui permettre de le contester avant que la décision de révoquer son permis ne soit prise.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Il est certain que cela va causer des soucis à des gens, et c'est correct; mais est-t-il également vrai aussi de dire que cette mesure a été introduite comme une mesure de protection contre les cas que j'ai mentionnés plus haut?

M. Linklater : Évidemment il faut avoir une marge de manœuvre comme je l'ai mentionné plus tôt, pour prendre en compte la survenue d'informations et d'éléments qui n'étaient pas disponibles au moment de l'entrevue initiale et qui peuvent amener à une autre conclusion l'agent qui fait l'évaluation de la demande pour le permis.

Le sénateur Brazeau : Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Permettez-moi de poser une question complémentaire. Il faut poser des questions; idéalement, il faudrait aussi savoir quelle pourrait être la réponse. Dans ce cas-ci, je vais plaider l'ignorance.

Si le permis est refusé, il n'y a pas d'appel. Mais un examen administratif est-il possible, comme c'est le cas selon la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés? Pourrait-on utiliser cet examen pour faire valoir qu'on nous a refusé un permis pour une raison de partialité ou de mauvaise évaluation — les éléments qui relèvent de l'administration?

M. Linklater : Au sein du ministère, non, mais devant la Cour fédérale, oui.

La présidente : Très bien, merci.

Le sénateur Jaffer : J'ai de nombreuses questions à poser. Si quelqu'un d'autre souhaite prendre la parole, madame la présidente, vous n'avez qu'à m'arrêter.

M. Linklater, je vais revenir sur votre déclaration. Vous avez parlé de souplesse, un concept que je comprends très bien, mais ça peut aller dans les deux sens. Vous êtes passés de 120 jours à 180, mais si on applique ce principe de souplesse, vous pourriez aussi bien passer à 60 jours. Ai-je raison?

M. Linklater : Vous avez raison. La souplesse est là pour permettre au ministre de réagir à n'importe quelle situation.

Le sénateur Jaffer : Le nombre de jours peut diminuer. Ce ne sera pas toujours des jours additionnels.

M. Linklater : Aller sous la barre des 180 jours maintenant que c'est la norme qui a été reconnue comme une pratique exemplaire dans le monde entier serait difficile. Assurément, si on veut que la transition se fasse en douceur entre le Programme fédéral de santé intérimaire et le régime d'assurance-maladie de la province, un retour en arrière poserait davantage de problèmes que de laisser les choses comme elles sont.

Le sénateur Jaffer : Vous étiez là lorsque j'ai posé des questions au sénateur Carstairs. Vous entendre dire que les gens qui détiennent un permis de longue durée peuvent présenter une demande de résidence permanente même s'il y a des problèmes, comme une infraction criminelle, me préoccupe grandement. Pour autant que je sache, la demande de résidence permanente se fait en deux temps. D'abord, la personne reçoit le consentement ou est en mesure de présenter sa demande, qui est acceptée, en théorie; si des vérifications judiciaires sont nécessaires, c'est à la suite de ce processus que la demande peut être refusée. Je suis certain que c'est la même chose dans ce cas-ci.

Dans vos notes d'allocution, vous dites que l'autorisation accordée aux titulaires de permis de longue durée pour présenter une demande de résidence permanente ne tiendrait pas compte de tout crime commis par la victime, mais est-ce qu'il ne s'agit pas d'un processus en deux temps de toute façon? Si c'est le cas, ça importe peu.

M. Linklater : En vertu de la loi, toute personne qui détient un permis valide depuis trois ans peut présenter une demande de résidence permanente. Cette demande est acceptée presque automatiquement, bien qu'il faille s'assurer que les exigences en matière de santé et de sécurité sont respectées.

Nous avons des réticences à l'égard du libellé actuel du projet de loi tel qu'il a été proposé par le sénateur Phalen — le sénateur Carstairs en a aussi parlé dans sa déclaration préliminaire. Si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, nous n'aurions pas le pouvoir discrétionnaire de procéder aux vérifications judiciaires. En fait, le projet de loi prévaudrait sur la capacité des agents de CIC à intervenir dans le processus d'octroi de la résidence permanente même si un fait emporte interdiction de territoire, remplaçant du même coup les dispositions en vigueur.

Le sénateur Jaffer : Je comprends tout à fait votre point de vue à ce sujet. Je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites que cette vérification doit être faite systématiquement.

Là où je ne suis pas d'accord, c'est quand vous parlez de combiner cette vérification à la demande de résidence permanente. Vous dites que ce pourrait être une façon de présenter une demande, mais je ne crois pas que les deux aillent ensemble. Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point.

M. Linklater : En fait, être titulaire d'un permis peut mener à l'obtention du statut de résident permanent. Notre façon de traiter les victimes du trafic de personnes a évolué, si bien que les gens qui reçoivent des permis de longue durée se retrouvent dans la catégorie des titulaires de permis. Mais aux termes du projet de loi initial, nous ne pourrions pas refuser la résidence permanente au motif d'une interdiction de territoire, tout particulièrement dans le cas des victimes qui ont commis des infractions afin d'obtenir ce statut au Canada.

Les amendements dont on a discuté ne trahissent pas l'esprit du projet de loi, à notre avis. Cependant, nos agents posséderont toujours le pouvoir de faire en sorte que ceux qui menacent de façon sérieuse notre santé et notre sécurité se voient refuser le statut de résident permanent.

Le sénateur Jaffer : J'ai deux questions, mais je n'ai pas nécessairement besoin que vous y répondiez aujourd'hui. Vous voudrez peut-être y réfléchir et nous revenir avec la réponse.

Tout d'abord, est-ce que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit un processus d'examen de la loi et de la réglementation devant le Parlement?

M. Linklater : Il n'y a pas de processus officiel pour la loi. Comme l'a dit le sénateur Carstairs, il y a le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation.

Le sénateur Jaffer : Je parle du projet de loi.

M. Linklater : Une des dispositions de la loi prévoit que certains règlements sont présentés au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes. En règle générale, il s'agit de règlements qui portent sur la protection des réfugiés ou sur la migration sociale par opposition à la migration économique.

Le ministre Kenney a déposé tous les règlements devant le comité en signe de respect. Mais d'un point de vue purement juridique, les règlements portant sur les questions d'ordre social ou humanitaire sont les seuls qu'il se doit de présenter.

Le sénateur Jaffer : En gardant ces éléments en tête, pourriez-vous concevoir d'ajouter une disposition à la loi? Pourriez-vous y réfléchir et nous faire part de vos conclusions? Le sénateur Carstairs a été très claire : c'est un effort de collaboration. Je vous demande donc s'il devrait également y avoir un examen visant les dispositions prévues au projet de loi.

M. Linklater : Bien entendu, nous confirmerons à votre comité si les règlements découlant des dispositions proposées doivent être déposés devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes.

Le sénateur Jaffer : « Seraient déposés », non pas « devraient être déposés ».

M. Linklater : C'est bien ça.

Le sénateur Jaffer : L'autre chose qui me préoccupe est que vous avez parlé d'accorder le statut de résidence permanente, mais certainement pas de l'accorder à l'auteur de trafic de personnes. Avez-vous déjà eu de tels cas?

M. Linklater : Relatifs à l'émission d'un permis?

Le sénateur Jaffer : Relatifs à l'émission d'un permis temporaire délivré à des individus qui se sont avérés être des trafiquants.

M. Linklater : Il faudrait que j'en parle avec notre direction de gestion des cas. Je ne suis pas en mesure de vous donner des exemples sur-le-champ, mais je connais au moins deux cas où un permis a été délivré puis révoqué par la suite lorsque des renseignements supplémentaires ont été reçus.

Le sénateur Jaffer : Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est que l'essence de cette présentation visait à s'assurer que les trafiquants n'obtiennent pas ce permis.

M. Linklater : C'est bien ça.

Le sénateur Jaffer : Je travaille beaucoup sur cette question. Je n'ai pas eu une telle expérience. Aucun employé de votre ministère ni aucune autre personne n'a mentionné qu'un trafiquant avait déjà fait une demande de permis. Je ne suis pas à l'aise avec le fait que vous regroupiez ces choses. J'aimerais que vous me disiez, par l'entremise du président, si vous avez déjà eu des cas de cette nature.

J'aimerais également que vous et votre ministère songiez à une formulation comme « révoqué pour une raison ». Si le cas se rend devant la Cour fédérale, la loi est sans équivoque : il peut être révoqué en tout temps. Je crois que la formulation devrait être « révoqué pour une raison quelconque ». Il n'est pas nécessaire d'utiliser mes mots, mais bien d'opter pour une formulation similaire.

Je sais que vous avez dit qu'un processus est respecté, mais je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites qu'une assistance juridique est fournie. Vous devriez venir en Colombie-Britannique pour voir le type d'assistance juridique offert, mais c'est une question pour un autre jour.

J'aimerais que vous songiez à la possibilité d'ajouter un autre type de disposition. J'ai beaucoup de difficultés avec « révocable en tout temps ». Il faudrait peut-être opter pour une formulation comme « pour un motif raisonnable » ou autre qui est plus équitable et moins arbitraire.

M. Linklater : Nous tiendrons compte de cette suggestion dans le cadre de nos délibérations. Je dirais que la formulation utilisée ici reflète d'autres dispositions qui se trouvent dans la loi. Nous devons nous assurer que ce que nous modifions ici n'occasionnera pas de problèmes dans d'autres dispositions de la loi.

Le sénateur Jaffer : De la loi ou de ce projet de loi?

M. Linklater : D'autres parties de la LIPR actuellement en vigueur.

Le sénateur Jaffer : Pouvez-vous nous dire ce que signifie le terme « instructions »?

M. Linklater : Il faut retourner à la question de la souplesse. À l'heure actuelle, pour interagir avec les victimes, nos agents s'appuient sur des instructions. Ces instructions stipulent que si un permis est octroyé, il doit d'abord l'être pour une période de 180 jours, et ce, sans frais. Pour une demande subséquente, les instructions stipulent qu'un second permis peut être délivré pour une période allant jusqu'à trois ans, que les agents ne doivent pas faire d'opposition lorsqu'ils procèdent à une évaluation, que dans la mesure du possible les forces de l'ordre ne devraient pas être présentes, et que la victime sera référée aux administrations municipales ou provinciales appropriées pour se trouver un abri.

Je crois que ces instructions se trouvent sur notre site Web. Si tel n'est pas le cas, c'est avec plaisir que nous les déposerons devant ce comité afin que vous puissiez prendre directement connaissance du contenu de celles-ci.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais revenir une minute sur un point. Je vois dans vos notes explicatives qu'au lieu de dire « révocable en tout temps » vous avez utilisé la formulation « autorisé si les circonstances le permettent ». Songeriez-vous à utiliser la formulation « si les circonstances le permettent » au lieu de « révocable en tout temps »?

M. Linklater : Nous parlerons à nos avocats.

Le président : Merci à vous, monsieur Linklater, madame Vaughan, madame Mandy, et à tous les autres témoins que nous avons entendus.

Je ne sais pas si j'ai besoin d'une motion formelle. Avec le concours du comité, nous enverrons les témoignages d'aujourd'hui aux personnes qui ont présenté des témoignages sur les projets de loi précédents afin qu'ils nous donnent leurs commentaires et nous les retournent au plus tard le 2 décembre. Nous évaluerons alors le projet de loi. Monsieur Linklater, cela devrait vous donner le temps de vous pencher sur certaines suggestions qui vous ont été faites.

J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs que le Comité permanent des droits de la personne a été convoqué pour entendre des témoins au sujet de notre étude afin d'examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en mettant particulièrement l'accent sur la compréhension de la portée et de la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans l'ensemble du pays et dans les communautés particulièrement touchées par ce problème.

Le groupe d'experts qui comparaît devant nous est composé de deux groupes représentés par Mme Shelley Cardinal, conseillère auprès des Autochtones dans le cadre du programme Prévention de la violence de la Croix-Rouge canadienne, et de Mme Lianna McDonald, directrice administrative du Centre canadien de protection de l'enfance.

Je crois que vous savez que notre manière de procéder consiste à écouter votre discours d'ouverture et vos commentaires, puis de passer aux questions des sénateurs.

Shelley Cardinal, conseillère auprès des Autochtones, Programme de la prévention de la violence, Croix-Rouge canadienne, Croix-Rouge canadienne : J'aimerais commencer en disant hi hi, hychka siem pour nous donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui et de rompre le silence qui permet à l'exploitation sexuelle de s'infiltrer dans nos communautés.

Je suis originaire de la Nation crie de Bigstone. Mon hokum est Tallcree, et mon muchum est la Nation crie de Bigstone. J'ai été élevée dans le Nord de l'Alberta, et j'habite actuellement en territoire salish dans la partie où la langue d'usage est le Lak'waman. Je tiens à remercier les Algonquins qui nous reçoivent actuellement sur leurs terres.

Je suis ici au nom de la Croix-Rouge canadienne, un organisme humanitaire à but non lucratif voué à l'amélioration de la situation des gens les plus vulnérables au Canada et ailleurs dans le monde. Nous sommes membres du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui compte environ 100 millions de bénévoles à travers le monde. Ce mouvement comprend le Comité international de la Croix-Rouge, qui agit à titre de gardien des conventions de Genève et qui, en vertu du droit humanitaire international, a la responsabilité de protéger la vie et la dignité des victimes qui se trouvent dans des situations de conflit armé.

L'autre organe de ce mouvement est la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui coordonne des activités d'aide dans 187 pays lors de désastres nationaux, à l'instar de la Croix-Rouge canadienne.

La Fédération dirige et coordonne des opérations de secours à l'échelle internationale, et répond à des urgences d'envergure, comme les récents tremblements de terre en Indonésie, avec le concours de ses sociétés nationales membres. Des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge national existent dans presque tous les pays du monde, et chacune agit comme un auxiliaire au gouvernement de son pays.

Notre réseau est vaste, mais notre approche est simple. Tous les programmes et toutes les activités de la Croix-Rouge sont guidés par les principes fondamentaux que sont l'humanité, l'impartialité, la neutralité, l'indépendance, le bénévolat, l'unité et l'universalité. Ces principes nous permettent d'offrir immédiatement de l'aide à toute personne qui en a besoin, peu importe où son lieu de résidence, sa race, ses convictions politiques, sa religion, son statut social ou sa culture.

Notre organisme humanitaire fait figure de chef de file. Par l'entremise de celui-ci, les gens démontrent sur une base bénévole leur compassion envers ceux qui sont dans le besoin. Depuis 25 ans, la Croix-Rouge canadienne est un chef de file national en matière d'éducation préventive grâce à ses programmes ÉduRespect : Prévention de la violence et des abus. L'objectif d'ÉduRespect est de briser le cycle de l'abus, de la négligence et de la violence interpersonnelle et, par conséquent, de promouvoir des relations sécuritaires et aidantes entre les membres d'une même famille et dans l'ensemble de notre communauté.

Je travaille pour ce programme depuis 13 ans, et je suis déterminée à créer un environnement sécuritaire dans nos communautés. La compréhension de la vulnérabilité et des facteurs de risque qui contribuent à la violence envers les enfants constituent des connaissances essentielles pour mettre un terme au cycle de la souffrance.

« Regroupons nos esprits et voyons ce que nous pouvons faire pour nos enfants. » Ces mots ont été prononcés il y a plus de 100 ans par le chef Sitting Bull, mais ils sont encore à propos aujourd'hui. Je crois qu'ils sont particulièrement à propos en ce moment où nous nous rassemblons pour nous attaquer au problème et confirmer notre engagement à prendre part à la création d'une vie meilleure pour nos enfants.

Tous les jours, dans chaque communauté et groupe culturel, des milliers d'enfants et de jeunes sont victimes de mauvais traitements émotionnels, physiques et sexuels. Les ramifications sur les individus, les familles et la société sont vertigineuses. Les enfants et les familles deviennent prisonniers de la douleur et du dysfonctionnement, alors que la société essaie de répondre à ces problèmes à l'aide d'interventions en situation de crise qui sont souvent insuffisantes et trop tardives.

Ce sujet n'occupait pas une place importante dans nos pensées jusqu'à ce qu'une personne, reconnue comme importante au Canada, parle des préjudices qui ont eu d'importants impacts sur sa vie. Nous avons récemment été témoins du courage de Theo Fleury qui a lancé un livre dans lequel il parle des préjudices sexuels dont il a été victime. En tant qu'organisme, nous l'avons soutenu tout comme nous l'avons fait pour Sheldon Kennedy, qui a bravement parlé des répercussions qu'ont eues sur sa vie les agressions sexuelles dont il a été victime pendant dix ans.

Des études effectuées à l'échelle nationale indiquent que l'agression sexuelle, l'exploitation et le mauvais traitement des enfants sont de graves sujets de préoccupation. Soixante-trois pour cent des cas fondés d'agressions sexuelles au Canada ont été perpétrés contre des femmes. Les hommes sont quant à eux plus vulnérables de 4 et 7 ans. Les jeunes qui vivent dans la rue et ceux qui ont été exploités sexuellement deviennent presque toujours impliqués dans des histoires de consommation de drogues et d'alcool, ce qui renforce leur dépendance envers ceux qui les exploitent, et peuvent même devenir proxénète afin de combler leurs besoins.

Pour les communautés autochtones, les racines de ce problème se trouvent dans l'histoire de la colonisation et de l'assimilation forcée qui a été très nuisible aux familles et aux communautés. Les taux élevés de pauvreté, de consommation de drogues et de violence, combinés au racisme systémique de la société canadienne, rendent les jeunes Autochtones particulièrement vulnérables. Les jeunes Autochtones quittent leur communauté éloignée pour aller habiter dans des régions urbaines en quête d'occasions d'emploi, ou quittent leur domicile pour échapper aux agressions dont ils sont victimes ou au manque de soutien social et de ressources économiques. Ils deviennent des proies et sont souvent exploités sexuellement.

Nous croyons que chaque année, entre 400 et 2 000 enfants et jeunes sont exploités sexuellement au Manitoba. Cette estimation peut paraître faible puisque seule une petite portion est visible. Entre 70 et 80 p. 100 des enfants exploités au Manitoba sont de descendance autochtone. La majorité est composée de fugueurs. Au Canada, des études ont montré que 80 p. 100 des jeunes Autochtones qui sont exploités sexuellement à des fins commerciales disent avoir déjà été victimes d'agressions sexuelles.

Les jeunes Autochtones comptent pour au moins la moitié des jeunes gens qui sont exploités sexuellement au Canada. Ces statistiques sont surprenantes quand on pense que le peuple autochtone ne représente que 5 p. 100 de la population.

Dans ma vie personnelle et professionnelle, j'ai eu l'occasion de comprendre le rôle que joue la violence dans la communauté. Les antécédents de douleurs et de perte ont détruit les liens qui nous tiennent ensemble. En tant que peuple, nous avons subi des pertes par l'adoption de certaines lois, et perdu cinq générations d'enfants dans des pensionnats uniquement pour avoir à survivre au système de bien-être des enfants et au système de justice. Nous connaissons intimement les répercussions de la violence sur nos vies.

Ce passé nous a laissé un héritage de violence. L'exploitation sexuelle n'est qu'une des retombées de cette violence. Il est temps de prendre nos responsabilités et d'appliquer l'article 34 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, ratifiée par le Canada, dans laquelle il est clairement indiqué que les États doivent protéger les enfants contre toute forme d'exploitation et d'agressions sexuelles.

Pour régler les problèmes auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes Autochtones exploités sexuellement à des fins commerciales, il faut se pencher sur les attitudes sociales à l'égard de ceux-ci. Bien que 86 p. 100 des Canadiens savent que des jeunes travaillent dans l'industrie du sexe, peu semblent réaliser ou souhaiter connaître les dangers associés à ce travail ni le caractère sérieux de celui-ci : il s'agit de l'agression d'enfants. Pour la plupart des Canadiens, ces gens ne sont pas « quelqu'un ».

Lorsque ÉduRespect a commencé à travailler en partenariat avec la Victoria Capital Region Action Team sur la question des jeunes exploités sexuellement afin de tenir une conférence à l'intention des jeunes sur l'exploitation sexuelle, la plupart des Premières nations de Saskatoon ont rempli des autobus de jeunes qu'ils ont envoyés pendant trois jours à la conférence préliminaire en compagnie de deux travailleurs auprès des jeunes. Pendant ces trois jours, les jeunes — ce qui inclut des garçons et des filles qui ont travaillé dans l'industrie du sexe, certains avant d'avoir 12 ans —, ont tranquillement commencé à s'exprimer. À la fin de la conférence préliminaire, ils étaient en mesure de participer avec d'autres jeunes et adultes à des discussions, des jeux de rôle et des séances, et de parler de l'exploitation sexuelle et des répercussions de celle-ci sur leur vie. La conférence était intitulée « Finding Your Voice and Making a Connection ».

Qu'il s'agisse de l'étudiante modèle d'école privée qu'on a su attirer en lui promettant un contrat de mannequin ou du jeune homme qui a été vendu et revendu sans cesse, chacun de ces jeunes avait vécu une histoire à vous glacer le sang. Toutefois, lorsqu'on leur a fait comprendre l'importance de leurs histoires, ces personnes ont trouvé un moyen de faire entendre leurs voix auprès de l'ensemble plus large des fournisseurs de services présents à la conférence et ont accepté leur soutien.

Un jeune de Vancouver nous a dit penser qu'il aurait fait de meilleurs choix à l'adolescence et comme adulte s'il avait été informé de ces choses dès son enfance. On enseigne tant de choses aux enfants à l'école, pourquoi ne pas leur apprendre tout ce qu'ils doivent savoir sur la prévention, spécialement s'ils peuvent eux-mêmes agir et éviter ces dangers?

Les professionnels qui travaillent auprès des enfants et des jeunes sont des appuis et des modèles vitaux. La Croix-Rouge canadienne estime qu'appuyer ces professionnels en leur offrant des ressources et des possibilités de formation de grande qualité sur la sécurité des enfants et des jeunes est une des meilleures façons de créer un monde où peuvent évoluer sans crainte les enfants et les jeunes.

L'exploitation sexuelle n'est pas inévitable. Lorsque nous unissons nos forces et clamons que le moment est venu d'en finir, lorsque nous nous éduquons et que nous enseignons à nos enfants qu'ils sont maîtres de leurs corps et que c'est là un de leurs droits, lorsque nous leur apprenons comment trouver de l'aide et veillons à mettre des ressources à leur disposition, nous avons de bonnes chances de mettre un frein à l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes.

Le programme ÉduRespect entretient une vision du Canada où tous nos enfants ont la possibilité de s'épanouir plutôt que de s'acharner à survivre, et où ils bénéficient des appuis pour le faire. Compte tenu de l'objectif de son programme ÉduRespect, la Croix-Rouge canadienne a trois recommandations à formuler.

Tout d'abord, nous recommandons qu'une étude nationale soit menée pour examiner l'exploitation et la violence sexuelles non signalées et les déterminants sociaux sous-jacents. Les conclusions de notre étude longitudinale, que continuent de mener les universités Memorial, Dalhousie et de Calgary, ont révélé que le principal besoin des enfants et des jeunes de 6 à 17 ans est celui d'avoir un endroit où parler de leurs souffrances. Nous n'habilitons pas les enfants et les jeunes à parler de la violence et des mauvais traitements dont ils sont victimes dans leur vie de tous les jours. De nombreux jeunes auprès de qui nous avons travaillé nous ont dit n'avoir personne dans leur vie en qui faire confiance. Il est essentiel de comprendre la portée réelle des préjudices.

Deuxièmement, nous recommandons l'adoption d'une stratégie nationale de prévention qui tient compte des déterminants sociaux, qui cible les adultes et leur responsabilité de protéger les enfants et qui enseigne aux enfants quels sont leurs droits. Nous avons clairement appris que les jeunes personnes sont vulnérables à l'exploitation s'ils n'ont pas d'appuis solides et stables à la maison ou dans leurs communautés. S'ils ont été victimes de violence ou de négligence, s'ils sont toxicomanes ou s'ils vivent dans des collectivités où les conflits ou la pauvreté sont omniprésents, ils sont tout particulièrement à risque. Trop souvent, les enfants ne savent pas qu'ils ont le droit d'être protégés.

Troisièmement, nous recommandons l'adoption d'une stratégie nationale en vue d'enrayer l'exploitation sexuelle des enfants et des jeunes. Le plus souvent, le chaos engendré par l'instinct de survie obscurcit tout espoir de s'en sortir ou d'obtenir de l'aide. Nous devrons comprendre la violence sexuelle et toutes ses incidences, nous devons pouvoir la nommer et mettre au point des stratégies de protection. Le programme ÉduRespect est fondé sur les facteurs de résilience qui croient en la force des communautés et en notre capacité d'empêcher la violence et de protéger nos enfants. Unissons nos efforts et voyons ce que nous pouvons créer pour nos enfants.

La présidente : Je crois que vous avez distribué à tous les membres du comité votre document exposant les 10 étapes pour créer des environnements sûrs pour les enfants et les jeunes, faisant partie de votre programme.

Mme Cardinal : Oui.

La présidente : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme McDonald.

Lianna McDonald, directrice exécutive, Centre canadien de protection de l'enfance : Je vous remercie de nous donner ainsi l'occasion de présenter certaines observations à propos de cet important dossier. J'ai eu l'occasion de lire certaines transcriptions d'allocutions présentées à ce comité. Mon but aujourd'hui est de fournir un éclairage et des renseignements nouveaux et de formuler également quelques recommandations au nom de notre organisation en vue de mieux protéger les enfants du Canada.

Le Centre canadien de protection de l'enfance est une organisation caritative vouée à la sécurité personnelle des enfants. Nous exploitons le site Cyberaide.ca, qui tient lieu de centrale canadienne de signalement des cas d'exploitation sexuelle d'enfants sur Internet. À ce jour, nous avons reçu plus de 40 000 signalements du public canadien, qui ont donné lieu à l'arrestation de plus de 55 personnes et permis de retirer de nombreux enfants de milieux caractérisés par la violence.

La semaine dernière, notre organisme a publié une étude portant sur plus de 15 000 sites web hébergeant des images de mauvais traitements infligés aux enfants, qui s'est penchée sur plus de 4 000 images différentes de violence sexuelle perpétrée à l'endroit d'enfants. Vous trouverez dans vos trousses d'information une copie intégrale du rapport, de même qu'un rapport sommaire mettant en évidence les points principaux.

L'étude, qui est axée sur les images tirées de sites Web montrant des actes de violence sexuelle perpétrés à l'endroit d'enfants, brosse un tableau de la portée du problème de la perspective du service de signalement. Les résultats sont préoccupants et j'aimerais attirer votre attention sur certains d'entre eux.

Tout d'abord, 82 p. 100 des images analysées montrent de très jeunes enfants de moins de 12 ans. Des plus de 4 000 images différentes évaluées par les analystes, plus de 35 p. 100 montrent des agressions sexuelles d'enfants. Ces enfants ont été victimes d'agressions sexuelles graves, notamment dans des cadres de bestialité, de ligotage, de torture et d'actes dégradants. Ces agressions ont principalement été commises à l'endroit d'enfants de moins de 8 ans. Enfin, 83 p. 100 des images montraient des fillettes.

Le rapport fournit également des renseignements sur la mobilité internationale des sites Web hébergeant des images d'abus pédosexuels, cerne les enjeux associés à la nature décloisonnée de l'Internet et recommande des solutions additionnelles pour lutter contre ce fléau. La réalité est celle-ci : les sites Web consacrés aux mauvais traitements d'enfants sont largement accessibles et bougent sans cesse pour éviter d'être mis hors ligne.

Au Canada, les intervenants du domaine de l'exploitation sexuelle d'enfants sur Internet, tout particulièrement les personnes affectées au matériel et aux images montrant des mauvais traitements d'enfants, ont fait des progrès considérables. Outre nos lois vigoureuses, la Stratégie nationale pour la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet a connu d'importants succès. De plus, le secteur privé, tout particulièrement les grands fournisseurs canadiens de services Internet, collaborent de longue date à ce dossier. La Coalition canadienne contre l'exploitation des enfants sur Internet, également appelée CCCEEI, a collaboré à l'établissement de Cleanfeed Canada, une solution visant à bloquer l'accès aux sites Web basés à l'étranger qui hébergent de la pornographie infantile.

Grâce au travail accompli par notre organisme, nous sommes mieux en mesure de comprendre les complexités et les enjeux associés à la gestion des crimes commis sur Internet contre les enfants. Ainsi, nous recommandons de changer la façon de voir le problème des images d'abus pédosexuels sur Internet et d'envisager les solutions. La violence sexuelle est d'abord et avant tout commise dans le monde réel. Il faut s'efforcer de prévenir les abus sexuels d'enfants dans les foyers et les collectivités. Ainsi, nous réduirons la probabilité de voir ces images circuler un jour sur Internet. Pour cela, il faut que les adultes qui côtoient des enfants comprennent le processus qui conduit à la violence sexuelle et sachent reconnaître les comportements inappropriés, faire cesser les abus sexuels et créer des environnements qui amèneront les enfants à parler.

Lorsque nous examinons le continuum de l'exploitation sexuelle d'enfants et des mauvais traitements qui leur sont infligés, il en ressort un dénominateur commun : un trop grand nombre d'adultes manifestent un intérêt sexuel envers les enfants. Bien que certains soient plutôt en faveur d'approches axées sur les délinquants, notre organisme souhaite voir des investissements dans les stratégies de prévention primaires des abus pédosexuels. En outre, il faut porter une attention particulière aux situations dans lesquelles les enfants risquent le plus de s'exposer. Il est absolument essentiel d'éduquer le public quant à sa responsabilité civique et à son obligation de signaler tout cas soupçonné de violence infligée à des enfants.

Notre organisme mène régulièrement des campagnes nationales de sensibilisation du public à l'égard de l'exploitation sexuelle des enfants. Nous surveillons et mesurons les incidences de ces campagnes et constatons qu'elles ont pour conséquence directe l'augmentation des signalements. Pour vous citer un exemple précis, pendant une campagne de sensibilisation en particulier, nous avons constaté une hausse de 103 p. 100 des signalements faits à Cyberaide.ca, ainsi qu'une augmentation de 55 p. 100 des téléchargements de matériel didactique. Ces résultats font ressortir l'importance de la communication de renseignements au public; il importe tout autant d'habiliter les gens à agir. Toutefois, pour pouvoir le faire, nous devons compter sur des investissements stables et à long terme dans les initiatives de sensibilisation du public. Il n'est pas possible de court-circuiter cette démarche : il faut investir à long terme.

Bien que la sensibilisation du public soit essentielle, il est tout aussi important d'éduquer nos enfants quant aux façons de se protéger des abus sexuels ou de l'exploitation sexuelle. Notre programme de sécurité personnelle Enfants avertis est maintenant enseigné dans chaque province du Canada. Le programme interactif est enseigné en classe et englobe des facteurs de protection qui habilitent les enfants et développent leur résilience.

Toutefois, il n'est pas toujours facile de s'assurer que les enseignants accordent la priorité nécessaire à l'éducation sur les abus pédosexuels. Grâce à notre mise à l'essai de divers programmes de sécurité, nous avons appris que les enseignants ne se sentent souvent pas à l'aise d'enseigner ce type de matière.

Cela n'est pas inhabituel chez les professionnels qui travaillent auprès des enfants. Très récemment, notre organisme a piloté un nouveau programme axé sur les sévices sexuels infligés aux enfants appelé Tatie se confie, à propos duquel je pourrai vous distribuer des documents. Ce programme est destiné à être appliqué dans des milieux de garde de très jeunes enfants. Compte tenu de nos recherches les plus récentes qui démontrent à quel point les enfants dans les images d'abus pédosexuels sont jeunes, nous nous sommes rendu compte de l'importance de l'éducation dès la petite enfance; il faut commencer tôt à aborder ces questions avec les enfants.

Au cours des prochains mois, nous prévoyons distribuer plus de 10 000 trousses à chaque centre de la petite enfance au Canada. De plus, nous comptons distribuer notre nouveau programme Priorité jeunesse, qui aide les organisations à instaurer des environnements sûrs pour les enfants. Ce programme fournit des stratégies, des politiques et un plan par étapes afin de réduire les risques d'abus sexuels et d'exploitation sexuelle d'enfants. À la fin se trouve un manuel de protection des enfants auquel peuvent adhérer les organisations. Les organisations qui œuvrent au service des enfants doivent s'engager à fond pour s'assurer que les enfants sous leur garde sont protégés et qu'ils ne sont pas vulnérables à la victimisation. La vérification des dossiers criminels et du registre des cas d'enfants maltraités ne suffit pas.

L'indignation du public, l'attention médiatique et les programmes politiques tendent à s'interroger sur quoi faire avec les délinquants plutôt que d'examiner ce qui pourrait être fait du côté des enfants et de leurs familles et comment prévenir d'emblée les sévices sexuels infligés aux enfants. Il faut un virage. Il faut cesser de s'attarder uniquement au processus de justice pénale et aux efforts visant à contrer la criminalité pour mettre davantage l'accent sur les politiques de protection de l'enfance. Grâce aux efforts que nous déployons par l'entremise de Cyberaide.ca, nous savons que de nombreux adultes manifestent un intérêt sexuel envers les enfants. Nous savons également que de nombreux délinquants qui commettent des crimes à l'endroit des enfants ne sont jamais appréhendés. Par conséquent, un effort concerté visant à sensibiliser le public à l'égard du problème se révèle une meilleure stratégie, qui aura vraisemblablement une incidence plus grande sur la protection de nos enfants. Cette approche axée sur la prévention nécessitera un leadership politique continu de même qu'un engagement et des investissements à long terme dans ce dossier.

En conclusion, le Centre canadien de protection de l'enfance a publié tout récemment douze recommandations concernant les abus pédosexuels et l'exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Je vous ferai part aujourd'hui de deux d'entre elles. La première fait appel au gouvernement pour appuyer les efforts visant à sensibiliser les enfants de moins de 12 ans à la question des abus pédosexuels et pour accorder à ces efforts la priorité qui s'impose. La deuxième fait appel au gouvernement pour appuyer les campagnes visant à sensibiliser la population générale à l'égard des abus sexuels d'enfants et de l'importance de signaler ces situations, et pour accorder à ces campagnes la priorité qui s'impose. Ce sont des stratégies faisables qui contribueront grandement à protéger nos enfants.

Je remercie les membres du comité pour leur temps et leur intérêt, et pour leur engagement à trouver de nouvelles façons de régler ce problème important. Bien que la route soit jalonnée de défis, nous sommes optimistes et nous croyons que le Canada peut jouer un rôle de chef de file pour enrayer ce problème non seulement mondial, mais aussi moral. Nous reconnaissons que l'obligation d'agir n'incombe pas uniquement aux gouvernements. Pour véritablement faire une différence, les citoyens doivent s'engager davantage et comprendre le rôle qu'ils ont à jouer dans la protection des enfants et de l'enfance en général. Merci.

Le sénateur Poy : Madame McDonald, dans votre exposé, vous avez dit que de nombreux adultes manifestaient un intérêt sexuel envers les enfants. Le Centre canadien pour la protection de l'enfance sait-il pourquoi?

Mme McDonald : Certaines choses peuvent être dites à ce sujet. Tout d'abord, la littérature et la recherche n'arrivent pas à déterminer exactement pourquoi certains adultes manifestent une préférence sexuelle pour les enfants. Il y a des explications cliniques, mais la cause profonde n'est pas comprise. Est-ce inné? Le chemin de vie d'une personne peut-il expliquer pourquoi elle en vient à commettre ces types de crimes contre les enfants? Nous n'en sommes pas certains. C'est d'ailleurs une des facettes de ce problème complexe.

Ensuite, il y a une très grande sexualisation des enfants dans la société actuelle. On constate qu'il y a une « sexploitation » des enfants dans les médias et dans les publicités. On peut penser, par exemple, aux magasins qui vendent des strings pour des fillettes de huit ans. Nous créons un environnement qui transforme les enfants en objets sexuels. Le CCPE croit fermement que ces différents facteurs font un cocktail dangereux, dont découlent une culture et un environnement dans lesquels on tolère de telles attitudes et croyances au sujet des enfants.

Le sénateur Poy : Croyez-vous que le gouvernement a un rôle à jouer en ce qui concerne le contrôle de la sexualisation commerciale des enfants?

Mme McDonald : C'est assurément un domaine où le gouvernement pourrait exercer son influence. Il y a beaucoup d'exemples d'organisations du secteur privé qui établissent des codes de conduite ou qui examinent d'autres systèmes de règlements, pour aider à modifier les approches de marketing ciblant les enfants. Au Canada, on pourrait commencer à prendre des mesures pour freiner les entreprises et les campagnes de publicité qui présentent clairement les enfants comme des objets sexuels.

Le sénateur Poy : Croyez-vous que ces produits sont achetés par les enfants? Je crois que ce sont des adultes qui les achètent pour eux, parce que les enfants n'ont pas l'argent qu'il faut.

Mme McDonald : Je crois qu'ils les achètent. Certains jouets, comme les poupées Bratz et d'autres jouets destinés aux jeunes enfants, sont des objets sexualisés. Les enfants les voient dans des publicités, quand ils sont ce qu'il y a de plus nouveau et de plus extraordinaire sur le marché des jouets, et ils veulent les avoir. Le jugement des enfants n'est pas nécessairement assez développé pour qu'ils soient capables de prendre la mesure de ce qui leur arrive. Encore une fois, les adultes sont placés dans une situation difficile, et ils ont tendance à minimiser les dommages que leurs enfants risquent de subir.

La question comporte deux volets. D'abord, les adultes doivent être sensibilisés aux torts que de tels messages peuvent causer à leurs enfants. Ensuite, on doit inciter les entreprises, avec les mêmes arguments, à hausser leur niveau de responsabilité sociale, en comprenant le problème et en jouant un rôle relativement au marketing destiné aux jeunes enfants.

Le sénateur Poy : La meilleure chose à faire est de ne pas acheter ces produits. Cela fera comprendre aux entreprises qu'ils doivent cesser de les fabriquer.

Le ratio des adultes qui commettent des actes de violence sexuelle à l'endroit d'enfants est-il plus élevé chez les personnes qui ont elles-mêmes été victimes d'actes de cette nature pendant leur enfance?

Mme McDonald : C'est une question très controversée. Dans le passé, nous avons entendu très souvent parler du rapport entre le fait d'avoir été victime d'abus sexuel durant l'enfance et la propension à commettre de tels actes. Mais les études récentes ne vont pas nécessairement dans le même sens. Évidemment, cela ne revient pas à dire qu'une personne qui a abusé d'un enfant n'a pas elle-même été victime d'abus dans son passé. Mais on commence à penser qu'il n'y a pas de lien de causalité direct entre les deux, contrairement à l'idée qui était régulièrement véhiculée par les médias.

Le sénateur Poy : Qui finance votre organisation?

Mme McDonald : Depuis 2005, nous recevons un financement annuel du gouvernement du Canada pour la gestion de Cyberaide.ca. Nous recueillons également des fonds auprès du secteur privé grâce à certains de nos programmes et services.

Le sénateur Poy : Et depuis quand votre organisation existe-t-elle?

Mme McDonald : Nous avons commencé à exercer nos activités à la suite du meurtre d'une jeune fille de 13 ans à Winnipeg, au Manitoba, en 1985. Elle s'appelait Candace Derksen. L'organisation a évolué et, en 2005, on l'a rebaptisée afin que son nom soit le reflet des travaux qu'elle accomplit à l'échelle nationale. Cela fait 25 ans que notre organisation existe.

Le sénateur Poy : J'aurai une autre question pour le deuxième tour.

Le sénateur Jaffer : J'ai trouvé vos deux exposés intéressants. J'aimerais vous poser, à toutes les deux, une question sur l'exploitation sexuelle et les distinctions liées au genre. Est-ce que les expériences vécues par les garçons et les filles sont différentes et, le cas échéant, quelles sont les différences?

Mme Cardinal : J'ai essentiellement travaillé dans différentes collectivités autochtones du Canada, où les programmes d'ÉduRespect sont mis en oeuvre. Quand on examine les cas d'abus sexuels qui se sont produits au sein de nos collectivités dans le passé, on constate que les expériences des garçons et des filles ont été similaires. Et quand on se penche sur les cas d'abus sexuels récents, on constate encore que les expériences sont très semblables.

Il y a de plus en plus de témoignages, et ils remontent, dans certains cas, à des situations qui se sont produites alors que les victimes n'avaient que cinq ans. Un de nos programmes enseigne aux enfants de la maternelle à s'assurer de leur sécurité physique. Dans le cadre de ce programme, au fur et à mesure qu'on sensibilise les jeunes à la notion de parties intimes, et qu'on leur apprend qu'ils ont le droit de dire non à certaines choses, ils commencent à parler davantage de situations où ils ont subi des attouchements.

Les statistiques sur les abus sexuels dans nos collectivités sont semblables pour les garçons et les filles. Dans le cas des jeunes Autochtones exploités sexuellement dans les centres urbains, les taux sont considérablement plus élevés pour les jeunes filles. Cela s'explique en partie par le marketing qui vise davantage les jeunes filles que les jeunes garçons dans nos collectivités.

Mme McDonald : Une des recommandations de notre rapport concerne précisément l'éducation en fonction du genre. Nous ne savons pas avec certitude comment cela s'explique, mais lorsque nous avons examiné les images transmises à Cyberaide.ca, nous avons constaté que de très jeunes filles figuraient sur près de 83 p. 100 d'entre elles. Il est évident que cela constitue un sujet de préoccupation. Nous savons très peu de choses au sujet des enfants qui apparaissent sur ces images.

Nous devons discuter avec des pédiatres et d'autres spécialistes du domaine pour voir comment nous pouvons cibler les jeunes filles en particulier et pour savoir à quels discours et à quelles tactiques elles seraient réceptives.

Le sénateur Jaffer : Madame Cardinal, je suis particulièrement préoccupée par la question des Olympiques dans ma région. Je constate qu'il y a de plus en plus de jeunes enfants autochtones dans nos rues. Si de l'information est disponible à ce sujet, pouvez-vous nous parler de ce qui se fait actuellement en ce qui concerne l'exploitation des enfants autochtones dans le contexte des Jeux olympiques?

Mme Cardinal : Je sais que les cinq nations associées au COVAN, le comité organisateur des Jeux, ont formé leur propre comité. Elles se consacrent entre autres à la question de l'amélioration des programmes de prévention dans les collectivités en ce moment, afin de guider les adultes relativement à la protection de leurs enfants.

Je crois que nos enfants sont vraiment enthousiasmés par les Jeux. Ils ont accès à un grand nombre de lieux et d'endroits que des gens visiteront sur la côte ouest. Cela suffit en soi à accroître les risques qu'ils courent et leur vulnérabilité dans ces lieux.

Nous déployons des efforts accrus dans le domaine de l'éducation, particulièrement auprès des cinq nations sur les territoires desquelles les Jeux se tiendront. Dans ces collectivités, nous sensibilisons les adultes à la protection des enfants; nous leur présentons les messages qu'ils doivent leur transmettre, les facteurs de protection qui doivent être mis en place pour eux, les messages que les collectivités doivent leur communiquer dans les écoles sur la manière dont ils devront se protéger pendant qu'il y aura plein de visiteurs.

Le sénateur Jaffer : Vos propos sont encourageants. On nous a dit que si les enfants arrivaient dans les rues de Vancouver, il serait trop tard. Il est rassurant d'entendre que vous faites de la prévention.

Mme Cardinal : C'est sur la prévention que nous mettons l'accent, et c'est une tâche très difficile. Lorsque les enfants sont dans la rue, il est très difficile de les éduquer, car on a alors affaire à une personne qui s'est enfuie et qui est isolée.

Nous ne nous sommes pas mêlés personnellement de ce dossier, mais nous avons recommandé que le COVAN envisage de créer des affiches sur l'exploitation sexuelle, qui pourraient être placardées dans des stations de métro, aux arrêts d'autobus, etc. Des numéros de téléphone apparaîtraient sur ces affiches, de sorte que les enfants auraient accès à un certain soutien, même s'il ne leur serait pas apporté par une personne connue. Nous avons travaillé avec le programme Jeunesse, J'écoute pour nous assurer que des numéros soient visibles pour les enfants qui n'ont personne pour les soutenir autour d'eux. Si les enfants sont seuls et qu'ils se retrouvent dans une situation où ils sont vulnérables, il y aura un endroit où ils pourront téléphoner.

Le sénateur Jaffer : Madame McDonald, je regrette de ne pas avoir pu lire les documents que vous nous avez fournis. Y a-t-il une manière de savoir si des Canadiens accèdent à des sites Internet internationaux ou nationaux? Que font les autorités pour que des accusations soient portées contre les personnes qui font ce que j'appelle du tourisme sexuel par Internet? Je sais que ce n'est pas le terme exact, mais il y a des personnes qui vont faire du tourisme sexuel à l'étranger. Est-ce qu'il y a un équivalent dans le cas d'Internet?

Mme McDonald : Nous travaillons sur ce dossier. Notre organisation reçoit des signalements à ce sujet également. Quand on y pense, Internet facilite les choses. C'est une manière d'agir dans l'anonymat; c'est plus simple. Les gens ne s'exposent pas et ils utilisent la technologie à cette fin.

Nous voyons tout l'éventail des abus sexuels à l'égard des enfants. Cela va du téléchargement d'images jusqu'aux délinquants sexuels qui cherchent des moyens d'abuser sexuellement d'enfants en utilisant des sites Web ou dans le cadre de voyages touristiques.

Beaucoup d'efforts sont déployés à l'échelle internationale pour faire face à ce problème. Dans nos recommandations, nous faisons observer que nous tournons en rond, à certains égards. Il y a par exemple eu un cas où une fillette de cinq ans était agressée sexuellement. Une image sur laquelle on la voyait se faire agresser a été reproduite parfaitement plus de 800 000 fois sur une période de 18 mois.

Quand on décortique le problème et qu'on s'interroge sur ce que nous faisons, on conclut qu'il est plus avisé de se concentrer sur l'abus qui a lieu dans un domicile ou dans le voisinage, pour qu'il n'y ait, dès le départ, aucune image à diffuser sur Internet. Pour reprendre une idée cruciale exprimée par ma collègue, le principe est le même que lorsqu'on cible les enfants avant qu'ils n'aboutissent dans les rues. Il faut envisager des investissements de cette nature.

La présidente : Madame McDonald, pour poursuivre sur la question du cyberespace, un autre témoin a mentionné que, bien qu'on se soit concentré sur le transfert d'images à des fins commerciales, la majorité des images sont téléchargées par l'intermédiaire de réseaux non officiels. Le point de départ est le domicile d'une personne ou n'importe quel autre lieu de ce genre. Ces images ne sont pas diffusées par les mêmes canaux que ce que l'on considère habituellement comme le commerce du sexe, qui passait par les magazines. Maintenant, cela se fait par Internet. À votre connaissance, est-ce ainsi que les choses se passent?

Mme McDonald : Oui, en effet. Nous savons qu'il existe beaucoup de technologies différentes ou de plateformes Internet qui permettent aux gens d'échanger des images d'enfants victimes d'abus. Les échanges se font au moyen de réseaux point-à-point. La répression de la criminalité présente un certain nombre de difficultés lorsque les images passent essentiellement d'un ordinateur à un autre et que les gens les échangent ouvertement.

Les travaux auxquels nous participons nous montrent par ailleurs que ces échanges se font de manière clandestine. Ils se font au moyen de réseaux sécuritaires et fermés, qui servent de cadre à des abus et à un échange actif d'images de cette nature. Globalement, le problème est que même si, techniquement, ces images ne font pas l'objet d'un commerce, en ce sens que les échanges ne donnent lieu à aucun profit à proprement parler, elles deviennent en elles-mêmes une monnaie d'échange. Pour avoir accès à des images, une personne diffuse des images. Cela renforce les comportements déviants en encourageant des gens à produire de cette monnaie afin de l'échanger avec d'autres abuseurs.

La présidente : Madame Cardinal, d'après ce que je comprends, les travaux que vous menez dans les collectivités autochtones et ailleurs, avec votre programme en 10 étapes, sont des travaux axés sur les collectivités. Vous faites de la sensibilisation et vous incitez les enseignants, les parents et les enfants à parler du problème et à y faire face. Y a-t-il des techniques autres que la sensibilisation culturelle qui doivent être utilisées dans les collectivités autochtones? Faut-il consacrer davantage de ressources à ces collectivités pour qu'elles puissent commencer à faire face à ce problème par elles-mêmes?

Mme Cardinal : Comme je l'ai dit dans ma déclaration, la communauté autochtone est aux prises avec un héritage de préjudices. C'est dans cet héritage que nous sommes enlisés aujourd'hui quand nous examinons les problèmes qui ont des répercussions sur les collectivités. Il y a de nombreuses stratégies qui doivent être mises en place pour les Autochtones. Nous comblons une petite partie des besoins à cet égard.

La sensibilisation culturelle est impérative au sein des collectivités. Nous savons que plus la culture d'une collectivité est forte, plus forts y sont les facteurs de protection. Les enfants de ces collectivités ont plus d'assurance et ils sont plus résistants. Moins il y a d'abus sexuels, de sévices sexuels et de problèmes liés à la consommation de drogues et d'alcool, moins le taux de suicide est élevé. C'est un fait avéré.

Une des incidences des abus sexuels qui ont été commis au sein de nos collectivités dans le passé est que les taux d'abus sexuel sont élevés dans de nombreuses collectivités aujourd'hui. Il faut que les frontières sexuelles soient clarifiées. Nous devons comprendre ce dont les enfants ont besoin aux différentes étapes de leur vie, du point de vue du développement. Les enfants, par exemple, doivent savoir ce que sont leurs organes sexuels, et on doit leur apprendre que personne n'a le droit de les toucher. Il faut qu'ils sachent cela. Ils ont besoin que des adultes autour d'eux leur apprennent ce langage afin qu'ils puissent l'utiliser eux-mêmes et être capables de prendre par eux-mêmes des mesures de protection.

Même s'ils n'ont pas toujours un ordinateur au foyer, les parents doivent comprendre comment protéger leurs enfants, à mesure qu'ils grandissent, contre les dangers en ligne. Par exemple, on trouve des ordinateurs dans les écoles. Où qu'ils soient, les enfants jouissent en fait d'un excellent accès à l'information en ligne. Les parents doivent comprendre comment garder les enfants à l'abri. Ma collègue vous a parlé du cybermonde et des dangers qu'il recèle. Nous savons que l'exploitation sexuelle augmente en ligne plus vite que n'importe où ailleurs dans le monde actuel.

Parler de sexe inspire beaucoup de crainte aux parents, tout simplement à cause de leur propre vécu, de leur histoire et du tort que tout cela leur a causé. On n'impose aucune limite à nos jeunes sur ce sujet, c'est-à-dire que les jeunes ne connaissent aucune limite sexuelle quand ils quittent la collectivité.

Il faut trouver les paroles qui leur permettent de parler de sexe; c'est un facteur de protection essentiel, que nous devons transmettre à nos enfants.

Il ne suffit pas à une collectivité d'être sensible à la culture, il lui faut aussi tout un vocabulaire sur la nature de la violence sexuelle et des autres aspects de la violence. Cette information aide les gens à comprendre. Il faut diffuser largement l'information sur les systèmes de soutien, pour que nos jeunes comprennent que même si les mots n'existent pas au foyer, ou s'ils ne se sentent pas en sécurité chez eux, il existe d'autres lieux où ils peuvent faire connaître le mal qu'ils ont ressenti, en discuter et parler. Ils doivent comprendre qu'il existe des lieux sûrs où ils peuvent trouver refuge, même si c'est contraire à leur expérience au foyer. Il faut tenir compte de tout cela.

Le sénateur Brazeau : Nous vous remercions toutes les deux de votre présence cet après-midi. Je voudrais savoir si vous avez eu la moindre discussion avec les gouvernements provinciaux ou fédéral au sujet d'une campagne de sensibilisation du public qui ciblerait, par exemple, des conseils scolaires canadiens, les divers ordres de gouvernement, les fournisseurs d'accès Internet et les entreprises canadiennes de fabrication de matériel. Des annonces pourraient être faites sur des sites de réseautage social, ou on pourrait diffuser des messages d'intérêt public, parce que la diffusion en onde de ces annonces ne coûte pas très cher.

Avez-vous eu la moindre discussion sur ces sujets?

Mme McDonald : En fait, oui, sur tous les fronts. Nous collaborons avec les ministères provinciaux de l'Éducation sur notre programme Enfants avertis et sur tous les types de nouveau programme. J'ai inclus dans votre dossier une feuille illustrant le matériel que nous distribuons et qui est adapté aux différents âges. Rien que l'année dernière, nous avons distribué aux enfants plus de trois millions de copies-papier individuelles à rapporter chez eux. Nous devons absolument aussi prendre conscience que les parents ont besoin d'avoir en main les outils nécessaires. Il ne faut tout simplement pas s'attendre à ce qu'ils se procurent l'information concernant la sécurité sur Internet, parce qu'ils sont trop occupés. Nous avons collaboré avec les gouvernements provinciaux dans tout le Canada pour leur remettre cette information.

Sur le plan de la sensibilisation du public, nous menons des campagnes au moins deux fois par an, comme nous l'avons déjà dit. L'une porte le plus souvent sur l'exploitation sexuelle des enfants et sur la nécessité de signaler cette exploitation, et une autre sur un domaine précis, comme la sécurité Internet ou le programme « Respect Yourself », ou encore l'enseignement aux enfants du danger de transmettre des photographies d'eux-mêmes. Nous adaptons notre travail de sensibilisation en fonction des circonstances.

Mais il me semble que toute cette activité en cours nécessite une meilleure coordination. J'ai déjà mentionné ce point. Nous devons nous appuyer sur des idées et du matériel qui fonctionnent. Nous devons mener des enquêtes préalables et postérieures pour comprendre les mesures qui exercent un effet véritable. Il nous faut l'investissement à long terme nécessaire pour prendre ces mesures à long terme.

Nous ne pouvons nous borner à apprendre aux gens à signaler les cas d'exploitation, puis cesser pendant trois ans. L'une des difficultés consiste à mobiliser différents ordres du gouvernement et les investissements — certains provenant du secteur privé — afin de subventionner et d'appuyer ce type d'apprentissage de la sensibilisation.

Le sénateur Brazeau : Vous dites bien que votre plus grand défi ou obstacle est le manque des ressources financières nécessaires pour lancer un tel plan?

Mme McDonald : Nous sommes très reconnaissantes envers le gouvernement du Canada pour le financement qui nous est versé par l'intermédiaire de Sécurité publique Canada en vue de la sensibilisation de la population. Pour nous permettre d'optimiser les investissements, il faudrait que tous les intervenants collaborent davantage en se communiquant le matériel pour les campagnes et en cherchant un plus grand nombre de réseaux pour distribuer ce matériel.

L'autre problème est ici encore que la campagne doit être menée en permanence, dans le sens qu'elle est un processus pluriannuel. Ce sont là quelques-uns des problèmes rencontrés. Comme il est possible d'engloutir beaucoup d'argent dans la sensibilisation du public, nous devons savoir comment nous y prendre. Il faut que nous puissions prendre des mesures, puis analyser ces mesures pour déterminer si nous avons réussi; nous devons aussi nous appuyer sur les autres partenariats conclus avec les intervenants. Une telle stratégie nationale combinant tous ces éléments pourrait se révéler utile.

Le sénateur Peterson : Nous vous remercions toutes les deux pour vos exposés. Madame McDonald, je vois dans vos états financiers que les frais d'administration représentent moins de cinq pour cent de vos recettes, ce qui est tout à fait louable. Est-ce que vous vous occupez aussi de Cyberaide.ca? Est-ce que cela provient aussi de votre budget?

Mme McDonald : Absolument tout.

Le sénateur Peterson : Ça alors!

Mme McDonald : Nous disons toujours, en riant, que vous en avez plus que pour votre argent. Notre budget s'élève à environ quatre millions de dollars, et nous remettons la plus grosse partie de ce que nous faisons entre les mains des Canadiens. Tout est fait à l'interne, par exemple toute la conception, et nous tirons le maximum de nos rentrées d'argent.

Le sénateur Peterson : Personne ne peut dire le contraire.

Pour Cyberaide.ca, vous avez mentionné toutes sortes de choses, mais vous est-il possible d'en faire davantage? Bien évidemment, votre financement vous interdit de vous engager trop profondément. Vous avez discerné le problème, vous savez qu'il existe. Vous ne pouvez en faire davantage, n'est-ce pas? Quelle est la prochaine étape? Est-ce que vous espérez qu'un autre ministère ou organisme prendra la relève et s'en occupera?

Mme McDonald : Il reste toujours plus à faire. Comme je l'ai déjà dit, et comme l'a réitéré Mme Cardinal, il est temps de lancer une prévention initiale et de commencer à investir. Nous faisons connaître ce que nous avons appris au sujet des images et de leur mode de diffusion, et nous abordons aussi les difficultés très réelles dans notre travail.

Pour mettre fin à ce genre de choses, il faut instaurer une collaboration plus globale et faire appel à des stratégies de perturbation ou autres, plutôt que de se concentrer exclusivement sur les stratégies axées sur la justice pénale. Il reste beaucoup à faire; tout le problème est de le faire aussi intelligemment que possible.

Le sénateur Peterson : Une chose est certaine, je recommande qu'on vous qualifie pour un financement supplémentaire.

La présidente : Vous pouvez soumettre un formulaire d'adhésion.

Le sénateur Peterson : Madame Cardinal, l'exploitation sexuelle est par malheur assez répandue parmi les Premières nations; une bonne partie se déroule dans l'ombre, souvent dans des familles qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts.

Quels sont les obstacles quand on essaie d'éduquer les enfants à un jeune âge? Quelles difficultés rencontrez-vous à cet égard dans ce milieu?

Mme Cardinal : Toutes sortes de difficultés. Nous faisons un travail très intéressant. Je gère depuis 14 ans Le Cercle bénéfique de la prévention, qui est le volet autochtone du programme ÉduRespect. Nous avons donné plusieurs ateliers différents fondés sur l'éducation dans de nombreuses collectivités, et nous avons compris qu'il est absolument nécessaire de commencer à intégrer un modèle de renforcement des capacités qui nous permettrait d'enseigner aux adultes dans les collectivités. Quand nous avons pu enseigner à ces adultes, nous leur avons passé la main.

Si nous parvenons à créer un réseau de sûreté dans les collectivités mêmes, nous pourrons enseigner aux jeunes à chercher refuge auprès des adultes dans ces collectivités, au lieu de s'adresser à des gens qui arrivent en avion et présentent des renseignements, puis s'en vont. Nous ne voulions pas que nos jeunes commencent leur éducation avec des gens comme moi, qui arrivent dans la communauté, les éduquent, puis disparaissent. Je ne vais pas rester dans la collectivité en question.

Nous avons tout de suite compris qu'il fallait créer les partenariats indispensables. Nous mettons l'accent tout d'abord sur des partenariats avec les dirigeants communautaires. Ensuite, c'est l'école — nous établissons toujours un partenariat avec l'école, ses enseignants, ses conseillers et son administration.

Nous nous associons aussi au ministère de la Justice. Nous faisons toujours intervenir la Gendarmerie royale et les employés du ministère de la Justice qui se trouvent dans la collectivité, de même que les travailleurs de la santé en présence. Si des chercheurs en santé communautaire ou des agents de santé communautaire et un personnel de soutien sont sur place, nous concluons des partenariats avec eux. Ensuite, nous commençons à former des éducateurs en prévention dans cette collectivité.

Ce modèle nous donne de très bons résultats. À l'heure actuelle, nous collaborons avec 200 collectivités autochtones au Canada. Dans 87 de ces collectivités, des éducateurs en prévention prennent entièrement en charge l'éducation des jeunes.

Notre travail auprès des adultes consiste à poser le cadre de l'éducation et des messages concernant le besoin pour nos enfants d'augmenter leur protection et leur sensibilisation; nous aidons aussi les adultes à devenir des modèles de rôle différents, à apprendre des choses qui les aideront à mieux remplir leur rôle de parent et à trouver une autre façon de travailler avec nos jeunes.

Le sénateur Brazeau : Vous avez dit que vous avez conclu des partenariats avec environ 200 écoles, ce qui représente plus ou moins un tiers des collectivités des Premières nations au pays.

Mme Cardinal : Avec 200 collectivités autochtones.

Le sénateur Brazeau : Y a-t-il des entraves à la formation de partenariats avec les autres collectivités? S'il existe des obstacles, que faut-il faire pour les surmonter? L'utilité est tellement évidente qu'il serait facile de convaincre les intéressés, au profit de nos enfants.

Mme Cardinal : Nous avons entériné un excellent partenariat avec l'Assemblée des Premières Nations, il y a deux ans, par la signature d'un protocole d'entente. L'APN avait demandé à la Croix-Rouge d'aider à préparer des plans d'intervention en cas de catastrophe dans les collectivités où nous constatons que des sinistres de plus en plus graves se produisent, surtout dans le Nord, où la glace fond. L'APN a ainsi pris connaissance des dossiers actuels de la Croix-Rouge, notamment du programme ÉduRespect et des lieux où nous avons conclu des partenariats actifs. Le but visé dans le protocole d'entente est d'établir des partenariats avec toutes les collectivités autochtones au Canada en dix ans.

Il est certain que les collectivités sont plus ou moins bien préparées. Si une communauté traverse une crise grave, le moment est mal choisi pour appliquer cette éducation. Il est très difficile d'apprendre en même temps qu'on fait son deuil. Nous devons donc choisir avec soin le moment du lancement de cette éducation dans la collectivité et tenir compte de l'état de préparation des gens.

Il est arrivé que des collectivités fassent appel à nous à la suite d'un nombre élevé de suicides. C'est là un moment critique, mais un moment difficile de guérison pour la collectivité. Ce moment est mal choisi pour commencer tout de suite l'éducation.

Nous pouvons contribuer à faire venir des appuis dans la collectivité. Nous pouvons faire des renvois, indiquer qui sont les partenaires les plus susceptibles d'aider la collectivité dans la situation où elle se trouve à cet instant. Si une collectivité est dans un état de non-préparation, nous devons respecter ce fait et les facteurs qui y ont mené. Nous collaborons avec les collectivités pour les aider à se préparer.

Vous avez demandé si nous formons des partenariats avec des conseils scolaires. Nous avons conclu une cinquantaine de partenariats avec des écoles dirigées par des Autochtones, dont beaucoup se trouvent dans la Division scolaire Frontier, qui couvre la moitié environ du Manitoba. Nous avons une solide association avec cette Division scolaire, dont la plupart des écoles sont situées dans des collectivités autochtones. Si nous avons établi un partenariat ferme avec une école, nous pouvons donner le programme par son intermédiaire. Dans ce cas, nous faisons souvent appel à l'école pour évaluer l'état de préparation des différentes communautés.

Le sénateur Brazeau : Comment déterminez-vous qu'une communauté est prête à vous accueillir et à commencer son éducation? Votre protocole d'entente avec l'APN prévoit-il que la recommandation émane de l'APN? Est-ce que la collectivité communique directement avec vous? Comment est-ce que tout cela fonctionne?

Mme Cardinal : Notre partenariat actuel est conclu avec les collectivités qui communiquent directement avec nous. Dans ce cas, nous commençons par une évaluation des besoins communautaires. Dès le début, nous nous informons de la raison pour laquelle la communauté nous demande d'instaurer le programme ÉduRespect. Le plus souvent, ce sont les collectivités qui nous invitent. De là, nous commençons notre engagement.

L'engagement initial consiste ordinairement à discuter de la situation actuelle de la collectivité, de ses systèmes de soutien, de ses partenariats et connexions internes, de ses points forts sur le plan culturel. Nous menons un important travail d'évaluation avant de commencer à agir dans la collectivité. Nous ne nous engageons pas tout de suite dans l'éducation.

La présidente : Madame McDonald et madame Cardinal, merci de votre venue, mais merci surtout de l'œuvre que vous accomplissez. Vous avez pointé du doigt la complexité de la situation et les possibilités qui s'offrent à nous de réduire l'exploitation des enfants si nous continuons à faire un travail essentiellement pratique, un travail au cas par cas, un enfant et une famille à la fois. Vous avez porté à notre attention des solutions pratiques sur lesquelles nous devrions nous concentrer. Merci de votre témoignage et merci de votre travail.

(La séance est levée.)


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