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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 15 - Témoignages du 30 novembre 2009 - séance du matin


OTTAWA, le lundi 30 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit ce jour, à 10 h 12, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres, les mécanismes utilisés par le gouvernement du Canada pour que notre pays respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité).

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, nous constituons le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous sommes ici pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres, les mécanismes utilisés par le gouvernement du Canada pour que notre pays respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. Nous allons aujourd'hui nous consacrer essentiellement à l'étude de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, et à celles qui en ont découlé.

Permettez-moi d'abord de m'excuser pour le piteux état de ma voix. Je pense faire une laryngite. J'espère cependant que les personnes avec qui nous allons discuter, par vidéoconférence et en personne, réussiront à m'entendre et à me comprendre.

Nous avons parmi nous M. Kevin McCort, président-directeur général de CARE Canada . Je vous souhaite la bienvenue, monsieur McCort. Nous discuterons aussi par vidéoconférence avec Mme Carla Koppell, directrice de l'Institute for Inclusive Security du Hunt Alternatives Fund. Enfin, nous entendrons Mme Rebecca Wolsak d'Inter Pares.

Nous allons vous demander de limiter le plus possible la durée de vos exposés pour nous laisser ensuite le temps de vous poser des questions. Comme nous allons entendre certains témoins par vidéoconférence, nous allons devoir tenir compte des légers retards qu'impose l'utilisation de cette technologie. Je vais demander aux sénateurs, lorsqu'ils poseront des questions, de se présenter afin de permettre de bien les identifier par vidéoconférence.

Je souhaite la bienvenue à tous les témoins. Monsieur, McCort, puisque vous êtes le premier sur la liste, je vous donne la parole.

Kevin McCort, président-directeur général, CARE Canada : Je vous remercie. Je suis ravi d'être parmi vous aujourd'hui, et sachez que je prends la mesure des efforts que vous consacrez à ces audiences.

Comme vous le savez, CARE est l'un des plus importants organismes d'aide et de développement international du Canada. Nous faisons partie de CARE International et, comme membre de cette fédération, nous sommes présents dans plus de 70 pays, y compris dans certaines des régions les plus instables et les plus dangereuses du monde. L'an dernier, nos projets ont touché plus de 60 millions de personnes. Nous sommes également l'une des plus importantes organisations internationales non gouvernementales à être partenaires de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI.

Nous avons toujours vu, depuis la création de notre organisme, les violences à l'endroit des femmes et des filles faire partie intégrante des conflits armés. Comme vous le savez, celles-ci sont tuées ou blessées, deviennent veuves ou orphelines. Les forces combattantes ont eu recours au viol comme tactique de guerre pour humilier, intimider et traumatiser des collectivités et comme méthode de nettoyage ethnique. Des femmes et des filles sont enlevées pour en faire des esclaves sexuelles ou contraintes d'accorder des faveurs sexuelles ou de se marier pour assurer leur survie.

Les statistiques sont brutales. En 2008, le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme, l'UNIFEM, a évalué à 50 000 le nombre de femmes qui avaient été violées en Bosnie-Herzégovine et à près d'un demi-million celles qui avaient subi le même sort pendant le génocide du Rwanda. Il a également rappelé que, dans une seule province de la République du Congo, 40 femmes sont violées brutalement tous les jours.

Les femmes ne sont pas les seules à supporter les conséquences de ces violences sexuelles. Toutes les communautés sont prises en otage. Les femmes ne peuvent quitter l'abri de leurs maisons pour se rendre aux points d'eau ou aux marchés, les enfants et les enseignantes ne peuvent se rendre à l'école en sécurité. Les représailles alimentent d'autres conflits et il arrive souvent, lorsque la situation devient de plus en plus anarchique, que les viols opportunistes commis par des civils deviennent courants.

Celles qui y survivent continuent à souffrir de blessures corporelles, de traumatismes psychiques, de flétrissure sociale et de maladies transmises sexuellement, y compris du VIH-sida, longtemps après que le conflit ait pris fin. Les enfants nés à la suite d'un viol sont souvent rejetés ou victimes de discrimination.

Alors que l'on connaît fort bien les répercussions des conflits armés sur la gent féminine, dont les jeunes filles, la protection qu'on lui offre contre la violence sexuelle et les soins et l'aide à celles qui ont survécu à ces violences sont souvent tout à fait inadaptés. La poursuite de ces violences, la pauvreté, les flétrissures culturelles et sociales et l'impunité entravent leur accès à la protection, à des services et à des recours juridiques.

S'ajoutent à cela que, fréquemment, on s'intéresse avant tout aux auteurs de ces violences plutôt qu'aux survivantes. Ces dernières ne se voient offrir que peu de services pour se remettre de leurs traumatismes et de leurs cicatrices psychologiques, et peu d'efforts sont consacrés à lutter contre les causes fondamentales de cette violence. Nous sommes tout à fait convaincus que le succès des résolutions 1325 et 1820 dépend en réalité de celui de la résolution plus récente, celle qui porte le numéro 1888. Cette dernière s'attaque à la vision traditionnelle des violences fondées sur le sexe et met avant tout l'accent sur les survivantes au lieu des auteurs. Nous invitons énergiquement le Canada à favoriser la mise en œuvre de la résolution 1888, car c'est celle qui déterminera si la mise en œuvre des résolutions 1325 et 1820 aboutit aux résultats souhaités.

Son expérience humanitaire a permis à CARE de soumettre au Conseil de sécurité des Nations Unies 15 recommandations qui s'inspirent de ces résolutions. Je vais aujourd'hui vous en présenter quatre qui sont importantes pour nous assurer que les résolutions 1820 et 1325 seront effectivement mises en œuvre. Ce sera pour moi l'occasion de vous fournir davantage de détails sur les raisons pour lesquelles nous demandons la mise en place de meilleurs services pour les survivantes, comme des soins de santé et de l'aide à long terme pour permettre aux victimes de refaire leurs vies, pour offrir de meilleurs services de prévention, en s'attaquant aux causes sous-jacentes de la violence, pour utiliser de meilleures méthodes de collecte de données pour mieux protéger les survivantes et pour contribuer à empêcher que d'autres atrocités se produisent, et enfin, pour assurer une meilleure coordination des efforts des Nations Unies pour lutter contre les violences sexuelles.

Les Nations Unies ont franchi une étape importante en adoptant les résolutions 1325, 1820 et 1888, qui les engagent à s'attaquer à la violence sexuelle pendant et après les conflits. Toutefois, tenir ces engagements impose de mettre en œuvre ces résolutions. La façon de procéder fait actuellement l'objet de discussions, mais celles-ci mettent l'accès sur la sécurité et sur l'impunité. Si ce sont là des questions importantes, nous sommes d'avis que les parties à ces discussions ont négligé des aspects essentiels, soit assurer la santé, la sécurité et la dignité des survivantes. Nous tenons à ce que les mesures prises aillent au-delà des simples priorités des débats diplomatiques et mettent l'accent sur les droits et les besoins des femmes qui sont confrontées aux réalités des conflits armés.

Comme je vous l'ai dit, nous tirons parti de notre expérience de travail dans les zones de conflit à travers le monde et je vais maintenant vous présenter les quatre grands défis dont les Nations Unies doivent venir à bout pour tenir leurs engagements de mettre fin à la violence sexuelle.

Tout d'abord, les femmes qui ont survécu à des viols ont besoin de meilleurs services, et l'aide canadienne peut contribuer à l'atteinte de cet objectif. La violence sexuelle a des répercussions sur tous les volets de la vie, même si, comme je l'ai indiqué, les débats ont été centrés, jusqu'à maintenant, de façon trop étroite sur la sécurité et la justice, en négligeant l'importance absolue des soins de santé de base, du soutien psychologique et de l'aide à la survie des survivantes. On a souvent mis l'accent sur les auteurs de ces violences au détriment des survivantes. Ces dernières doivent avoir la priorité et bénéficier de l'accès à des services sociaux et de protection.

Il y a de nombreuses raisons à cela. La première est que nous sommes convaincus que l'accès à des services et à la protection est un droit de la personne et que tout civil a le droit d'obtenir sans entrave une aide humanitaire dans une situation de crise. En second lieu, les méfaits des violences sexuelles ne s'arrêtent pas avec la fin du délit. Il s'avère souvent très dangereux pour les survivantes de raconter ce qui leur est arrivé. Elles vivent souvent dans des régions éloignées dans lesquelles elles n'ont accès à aucun service et dans lesquelles elles sont stigmatisées si elles portent plainte. Le nombre de plaintes dues à des délits de ce type augmentera si on ne leur assure pas un environnement sécuritaire, attentionné et anonyme. Cela permettra par la suite de détecter rapidement les premiers cas de violences, de constater si leur nombre augmente et si les attaques nécessitant une réaction plus énergique de la communauté internationale. Cela contribuera à l'avenir à stopper ou à limiter ce type de violences.

C'est pour cette raison que le Canada, les divers gouvernements et les Nations Unies doivent veiller à ce que des programmes de soins de la santé de base, de soutien psychologique et de survie soient intégrés aux réactions à la violence sexuelle, et cela doit se traduire dans le financement consacré par le Canada à l'aide internationale. Nous devons également veiller à accorder la priorité à un accès sans entrave à l'aide humanitaire pour permettre aux survivantes de prendre la parole et informer les autres de ce qui se passe. Nous ne devons pas oublier les survivantes.

Pour s'assurer que ces efforts seront bien reçus par les populations et qu'ils seront durables, il faut les intégrer à des programmes humanitaires et de rétablissement plus vastes. Au lieu de mettre en place des programmes autonomes, il vaut mieux s'attaquer avec délicatesse aux stigmates imputables aux violences sexuelles et intégrer ce travail à des projets à plus grande échelle au sein de la collectivité. Les lignes directrices des Nations Unies sur la façon de faire face aux violences fondées sur le sexe doivent passer de la théorie à la pratique en renforçant le respect des normes ayant fait l'objet d'ententes.

Afin d'empêcher la résurgence des violences sexuelles après un conflit, des fonds doivent être mis à disposition pour permettre d'intervenir au-delà des premières mesures d'urgence, pour s'assurer que le travail sur la violence fondée sur le sexe est intégré aux programmes destinés à aider les gens à récupérer à la suite d'un conflit. On attend du Canada qu'il joue un rôle de leader dans le domaine des droits de la personne, et nous devrions défendre cette cause. Les gouvernements et les institutions qui sont des donateurs doivent contribuer à long terme au financement des programmes de première ligne. Il arrive trop fréquemment que le financement disparaisse une fois l'urgence passée.

Nous devons ensuite nous efforcer d'améliorer les mesures de prévention et nous attaquer aux causes fondamentales des violences fondées sur le sexe. Notre expérience et nos recherches sur le terrain montrent qu'il faut faire plus avant, pendant et après un conflit pour s'attaquer aux motivations sociales, culturelles et politiques sous-jacentes de la violence sexuelle. Il faut prendre des engagements à long terme pour modifier les attitudes et les comportements en condamnant la violence faite aux femmes et aux filles. En fin de compte, l'une des façons les plus efficaces de prévenir les violences fondées sur le sexe est de permettre aux femmes de disposer de plus de pouvoir, ce qui impose de travailler à la fois avec les hommes et les femmes à la reconnaissance des droits des femmes.

Le fait de confier des responsabilités aux femmes joue un rôle efficace dans le rétablissement. Notre expérience a révélé que les femmes développent leur capacité à générer des revenus en participant à des groupes d'épargne et de prêts, par exemple, et que cela a contribué à réduire les violences fondées sur le sexe dans les collectivités. Cela est particulièrement vrai de la violence familiale.

Par contre, lorsque les violences de nature sexuelle sont fréquentes dans un conflit, on constate un niveau de tolérance plus élevé à leur endroit. Les gens s'habituent à ces niveaux et à ces formes de violences inacceptables. Le fait de responsabiliser les femmes en travaillant à la fois avec les hommes et les collectivités aux rôles et aux droits des femmes contribue à contrer cette tendance.

On peut aussi faire davantage pour empêcher les abus pendant un conflit.

L'expérience révèle que les femmes s'adressent plus facilement à d'autres femmes quand elles ont été victimes de violence sexuelle. Le Canada devrait veiller, lors des discussions sur la résolution 1820, à imposer un calendrier réaliste dans un délai précis pour accroître le nombre de policières et de membres féminins du personnel civil des Nations Unies formés à la prévention et à la réaction aux violences fondées sur le sexe. Le fait d'intégrer la sensibilisation aux questions de sexe et la formation aux violences fondées sur le sexe au sein des contingents de maintien de la paix des Nations Unies sera très efficace pour résoudre certaines de leurs lacunes antérieures et garantira que ces contingents prêcheront par l'exemple dans les pays en conflit dans lesquels ils sont déployés.

Enfin, les gouvernements et les institutions qui contribuent au financement des programmes d'aide devraient consacrer des fonds au renforcement des mécanismes de plainte, qui peuvent permettre de détecter plus rapidement les cas de violence fondée sur le sexe et d'y faire face. Il est essentiel d'assurer aux femmes un accès sécuritaire et confidentiel à de tels mécanismes.

En troisième lieu, nous devons améliorer les mécanismes de collecte de données. Il arrive trop souvent que les réactions internationales aux violences faites aux femmes soient retardées par de longues discussions sur la mesure de leur ampleur. CARE est d'avis que le débat sur la surveillance et la collecte des données doit passer à la vitesse supérieure pour que les interventions ne soient plus, à l'avenir, trop réduites et trop tardives. L'objectif essentiel de la surveillance et de la collecte des données devrait être de permettre d'apporter en temps voulu des réponses aux femmes qui survivent à la violence. Il faudrait donner la priorité à des systèmes permettant d'agir sur le terrain au lieu d'éclairer des débats sur la justice au niveau international.

La collecte des données ne devrait pas être perçue comme une fin en soi menée à bien par des travailleurs sociaux, des juristes ou des statisticiens bien intentionnés. À notre avis, celle-ci devrait se faire naturellement à partir des soins médicaux ou psychosociaux offerts aux survivantes des violences sexuelles. De cette façon, elles ne seraient pas victimisées une autre fois, ni traumatisées ou stigmatisées davantage à la suite de visites pour recueillir des données de façon ponctuelle et sans assurer le caractère confidentiel des renseignements, en laissant les survivantes sans les soins ni l'attention qui convient, et en les exposant probablement à d'autres violences et à d'autres préjudices.

Les survivants, leurs familles, les collectivités et le responsable de la collecte des renseignements doivent tous avoir la certitude que cette information est compilée, conservée et utilisée de façon sécuritaire et confidentielle, sans qu'il soit possible de faire le lien entre l'information et sa source. Le personnel de collecte des données doit être formé aux soins psychosociaux et en mesure d'adresser les survivantes à des services de santé de base et d'aide à la survie.

Enfin, les Nations Unies doivent veiller à une meilleure coordination quand elles s'attaquent aux violences fondées sur le sexe. Les efforts de l'organisme pour s'attaquer à ces violences ont été régulièrement minés par une piètre coordination amenant un dédoublement et à des lacunes dans les efforts des divers organismes. Cela traduit le manque d'attention politique, de compétences et de ressources humaines et financières. Malheureusement, nous avons fréquemment constaté que le personnel des Nations Unies qui travaille sur les violences fondées sur le sexe est plus souvent situé dans les locaux du siège des Nations Unies que sur le terrain. Trop souvent, les ressources et le personnel nécessaires pour atteindre ses objectifs sont absents. Par contre, on observe fréquemment que le personnel envoyé sur le terrain est du personnel subalterne qui n'exerce pas d'influence sur la prise de décision nécessaire pour permettre les changements.

Pour résoudre ces problèmes, un poste de représentant spécial du Secrétaire général sur les questions touchant les femmes, la paix et la sécurité devrait être créé pour trois ans afin d'assurer le leadership des efforts de coordination au niveau du siège social. Il devrait relever directement du secrétaire général des Nations Unies et avoir pour mandat de regrouper tous les organismes des Nations Unies impliqués dans les réactions aux violences fondées sur le sexe et de les amener à procéder à une réforme systémique des Nations Unies dans ce domaine. Il faudrait également renforcer un groupe composé de 12 organismes des Nations Unies, appelé United Nations Action, pour s'attaquer à la cohérence du système des Nations Unies et pour procéder à une évaluation en profondeur de ce système. À plus long terme, la nouvelle entité des Nations Unies sur les questions touchant les femmes devrait accorder la priorité à la prévention des violences fondées sur le sexe et aux mesures à prendre quand elles se produisent.

Il est également important que les organismes responsables de la coordination sur le terrain pendant le déroulement d'un conflit restent neutres, indépendants et appliquent un mandat humanitaire crédible. Cela permet aux personnes victimes de violences sexuelles, de toutes les parties au conflit, d'avoir confiance dans les organismes chargés de travailler directement avec elles.

Les résolutions 1820 et 1325 représentent des étapes marquantes pour protéger les femmes pendant les conflits. Toutefois, ces résolutions n'auront vraiment d'effet que si les Nations Unies et leurs membres, comme le Canada, prennent les mesures qui s'imposent. Il faut encore venir à bout des nombreux défis que je vous ai présentés précédemment. Il faut reconnaître que la lutte contre la violence sexuelle dans le cadre des conflits est un domaine relativement nouveau des pratiques humanitaires et que de nombreux spécialistes des questions hommes femmes n'ont pas de compétences particulières dans les violences fondées sur le sexe. Il nous faut des spécialistes en la matière pour aller de l'avant. Comme pour toute résolution, la difficulté sera leur mise en œuvre.

Comme vous le savez fort bien, puisque nous en discutons fréquemment, les vies des femmes et des filles dans les collectivités continuent à être détruites par la violence sexuelle. Notre réputation nous permet de parler haut et fort sur ces questions et nous sommes d'avis que vous devez affronter les Nations Unies et leur Conseil de sécurité pour qu'ils tiennent leurs engagements et adoptent ces réformes essentielles de façon coordonnée, en fournissant des services de base, en faisant de la prévention et en recueillant les données nécessaires. Ils doivent fixer les points de comparaison et les calendriers, être tenus responsables des mises en œuvre et prendre des mesures précises, décisives et urgentes. Comme Canadiens, nous sommes d'avis qu'il est temps de passer de la parole aux actes.

La présidente : Je vous remercie, monsieur McCort.

Carla Koppell, directrice, Institute for Inclusive Security, Hunt Alternative Fund : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, honorables invités, bonjour. Je suis ravie d'être parmi vous aujourd'hui. Notre présidente, l'ambassadrice Swanee Hunt, regrette de n'avoir pu vous entretenir elle-même aujourd'hui. Elle se fera un plaisir de faciliter vos délibérations de toutes les façons possibles et serait ravie de comparaître à nouveau devant vous à l'avenir.

Je tiens à vous féliciter de votre étude systématique et en profondeur de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. J'ai lu les transcriptions de vos réunions précédentes sur cette question. Les débats qu'elle soulève sont très importants.

L'Institute for Inclusive Security, que je dirige, s'efforce depuis plus d'une décennie de parvenir à l'inclusion des femmes dans les modalités d'édification de la paix partout à travers le monde. Nous avons toujours insisté sur l'inclusion des femmes parce que nous sommes d'avis qu'elle rend les processus de paix plus efficaces. Notre action a toujours été motivée par la nécessité d'accroître l'efficacité de l'édification de la paix.

Notre tâche consiste à la fois à développer un réseau mondial de femmes œuvrant à la consolidation de la paix, qui compte aujourd'hui au total plus de 800 femmes exerçant des responsabilités dans plus de 40 régions faisant l'objet de conflits à travers le monde; des recherches pour documenter l'apport des femmes à l'édification de la paix et les stratégies qui réussissent pour leur permettre de s'impliquer dans les processus d'édification de cette paix; pour lancer des actions favorisant la mise en œuvre de la résolution 1325 et des résolutions ultérieures, à la fois au niveau mondial et à celui de pays individuels, dont l'Afghanistan, la Colombie et le Soudan; et pour dispenser la formation nécessaire pour permettre à la fois aux femmes de maximiser leur influence sur les processus de consolidation de la paix et pour aider les gouvernements et les organisations multilatérales à faire progresser la mise en œuvre de la résolution 1325. C'est ainsi que nous collaborons avec les gouvernements américains et néerlandais pour améliorer la formation des militaires et du personnel de leurs services extérieurs, et que nous collaborons avec le Programme des Nations Unies pour le développement afin de cerner des stratégies novatrices afin d'intégrer les questions de sexe aux travaux de son Bureau de la prévention des crises et du relèvement.

Il y aurait beaucoup à dire sur toute la gamme des sujets qui vous intéressent, mais afin de vous présenter le travail de l'institut en la matière, je vais m'attarder à certains résultats de notre travail sur le terrain et de nos recherches concernant la valeur ajoutée que les femmes confèrent à l'édification de la paix.

Nous sommes parvenus à trois conclusions importantes. Tout d'abord, quand elles sont impliquées, les femmes amènent à discuter de questions différentes. Cela s'est confirmé à divers endroits, comme en Irlande du Nord, où les femmes ont veillé à ce que l'éducation intégrée, la réintégration des anciens combattants et les efforts de réconciliation figurent tous dans l'accord de paix. Il en a été de même en Ouganda, où les femmes sont parvenues à faire accorder la priorité aux questions de santé et d'éducation dans le cadre du processus de démobilisation et se sont assurées que l'élimination des violences sexuelles figurait dans l'entente sur le cessez-le-feu. Il en a encore été de même dans les négociations concernant le Darfour et le Soudan, un sujet sur lequel le sénateur Jaffer fait plus autorité que moi. Je voudrais insister sur le fait que les femmes mettent particulièrement l'accent sur la protection des civils et sur les droits des personnes déplacées, en sus de questions concernant les droits des femmes.

Il est arrivé fréquemment que les questions soulevées par les femmes ne fassent l'objet d'aucune controverse. Elles avaient tout simplement été oubliées par les autres négociateurs dans la salle. Cela montre bien le besoin de points de vue variés dans les débats devant mener à la paix.

Notre seconde conclusion est que les femmes font état de types d'information et de points de vue différents. C'est ainsi que, en Afghanistan, lorsque l'équipe provinciale de reconstruction de Kandahar a consulté les femmes sur les besoins en matière de développement, celles-ci ont insisté sur d'autres priorités en matière d'investissement et ont fourni des renseignements essentiels en matière de sécurité et de corruption. Pendant la conférence des donateurs sur le Liberia et le Soudan, lorsque les femmes ont été autorisées à y participer, elles ont mis de l'avant les préoccupations en matière de sécurité humaine dont il faut tenir compte en planifiant les investissements qui seront faits une fois le conflit terminé, tout en amenant les points de vue de la société civile et des collectivités locales dans le débat.

Notre troisième conclusion est que les femmes modifient la dynamique de tout débat sur l'édification de la paix. En étudiant leur rôle au Guatemala ou en Ouganda, ou à d'autres endroits où elles ont suivi la voie qu'elles s'étaient tracées, les observateurs de l'extérieur ont constaté les effets salutaires qu'elles avaient eus sur les discussions. Comme l'a dit l'un de ses observateurs en Ouganda, les femmes huilent les engrenages de la négociation.

Cependant, bien qu'il soit tout à fait manifeste que nous ayons cruellement besoin d'un processus d'édification de la paix plus inclusif, l'implication des femmes n'est ni constante ni systématique à tous les niveaux de ce processus. Le Canada peut faire beaucoup pour aller en ce sens, en partenariat avec des pays comme la Norvège qui ont également fait des efforts assidus pour s'approcher de cet objectif. De façon plus précise, vous pourriez appeler des femmes des régions dans lesquelles il y a des conflits à témoigner quand vous tenez des audiences sur ce type de questions et rencontrez des femmes qui jouent des rôles de leader quand vous visitez ces mêmes régions. Vous conférez de l'importance à ces leaders en leur demandant leur apport et en manifestant l'intérêt qu'elles présentent pour vous. Nous serions heureuses de désigner les leaders que vous pourriez vouloir inviter. Nous serions également ravis d'organiser des réunions pour vous sur le terrain avec nombre des membres de notre réseau qui se trouvent dans toutes les régions du monde.

Ensuite, vous pourriez reproduire la réussite du Canada au niveau mondial. Vous pourriez en particulier défendre la participation des femmes aux négociations et contribuer à souscrire à cet objectif, comme vous l'avez fait dans le cas des négociations de l'entente de paix sur le Darfour. Cela a fait une différence marquée, et si cela était systématisé, cela modifierait le déroulement des négociations.

Il serait possible de reproduire et de systématiser les consultations de l'équipe provinciale de reconstruction avec les femmes en Afghanistan. Cela donnerait le même type de résultats qu'à Kandahar, où les efforts de l'équipe provinciale de reconstruction du Canada envers les femmes afghanes ont permis de fournir des renseignements utiles à l'OTAN.

Il faudrait réserver des fonds précis, peut-être sous forme de fiducies, afin d'aider les femmes à participer aux négociations, comme membres des équipes de négociation ou comme spécialistes des sexospécificités comme ce fut le cas avec l'Équipe d'expertes des sexospécificités pour le Darfour, qui a eu des effets très importants sur la dimension des sexospécificités de l'accord.

Il faudrait appuyer des symposiums sur le sexe tenus à l'occasion des conférences de donateurs internationaux pour la reconstruction à la suite des conflits. L'institut a enregistré des succès importants en soumettant les points de vue des femmes lors des conversations sur la reconstruction du Liberia et du Soudan, en partenariat avec le gouvernement norvégien et avec des entités comme l'UNIFEM et la Banque mondiale.

La troisième démarche pourrait consister à exercer des pressions pour accroître le nombre de femmes d'expérience du Canada et d'ailleurs occupant des postes de cadre supérieur aux Nations Unies, en particulier des postes de représentantes spéciales du Secrétaire général et des postes de médiateur. Il est inconcevable pour les Nations Unies de faire appel à davantage de femmes dans les négociations lorsque celles-ci n'ont jamais été nommées médiatrices principales par l'appareil des Nations Unies.

C'est en ayant ces réflexions à l'esprit que je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous fournir de plus amples précisions sur les concepts et les idées que j'ai abordés. Il y a là une possibilité très importante pour le Canada de briller dans ce domaine.

La présidente : Je vous remercie, madame Koppell.

Rebecca Wolsak, Inter Pares : Inter Pares est une locution latine qui signifie « entre ses égaux. » Nous sommes un organisme implanté à Ottawa qui milite en faveur de la justice sociale. Nous travaillons avec des organisations de toutes les régions du monde qui se consacrent à promouvoir la justice sociale au sein de leurs collectivités. Quant à moi, je m'occupe essentiellement du Myanmar, un pays victime de conflits depuis plus d'un demi-siècle.

En me préparant à vous rencontrer aujourd'hui, j'ai passé en revue les transcriptions de certains des exposés qui vous ont été faits au cours des deux derniers mois. J'ai été impressionnée par les recommandations concrètes qui vous ont déjà été faites au sujet des stratégies de mise en œuvre des résolutions 1325 et 1820 par le Canada. J'aimerais ajouter ma voix à celles demandant l'élaboration d'un plan national d'action énergique, en consultation avec les femmes des collectivités touchées par les conflits et avec la société civile canadienne.

Mon travail ne m'amène pas à analyser régulièrement l'à-propos et l'efficience de nos mécanismes gouvernementaux pour mettre en œuvre des résolutions des Nations Unies, mais je collabore étroitement avec les femmes qui sont touchées par les conflits. Quand la possibilité de contribuer à cette discussion s'est présentée, j'ai consulté mes collègues de la Women's League of Burma, la WLB.

Il s'agit d'un organisme parapluie regroupant 13 organismes de femmes d'ethnies différentes représentant des dizaines de milliers de femmes du Myanmar. Elles se consacrent à l'amélioration de la situation des femmes et à une participation accrue de celles-ci dans toutes les sphères de la société.

Le Myanmar est soumis à un régime militaire depuis 1962. Depuis plus de 40 ans, celui-ci a régulièrement utilisé la torture, les viols, l'esclavage, les meurtres et les incarcérations en grand nombre pour réduire au silence toute dissidence au Myanmar et pour conserver le pouvoir. Cette junte militaire n'a toutefois pas encore été tenue responsable de ces violations des droits de la personne largement répandues, systématiques et parrainées par l'État.

En 2002, deux organisations comparables à la nôtre, Shan Women's Action Network et Shan Human Rights Foundation, ont publié un rapport détaillé intitulé Licence to Rape. Ce rapport documentait l'utilisation systématique et impunie du viol dans l'État Shan pour terroriser, démoraliser et contrôler la collectivité. Il arrive fréquemment que les femmes soient violées non seulement parce qu'elles sont des femmes, mais également à cause de leur origine ethnique. Le rapport faisait état de 173 cas de viol impliquant 625 femmes de tous âges, surtout des adolescentes, la plus jeune ayant cinq ans. Quatre-vingt-trois pour cent de ces viols ont été commis par des officiers, le plus souvent devant leurs troupes. Ces viols ont été commis avec une brutalité extrême, et parfois sous la torture. Dans 25 p. 100 des cas, ils ont entraîné le décès de la victime. Quelles sanctions ces viols ont-ils entraînées? Seul un sur 173 a donné lieu à des sanctions.

Licence to Rape a suscité beaucoup d'attention et de soutien à l'échelle internationale. Ce rapport a incité un certain nombre d'autres organisations de femmes à documenter les violences sexuelles dans leurs États, et le recours répandu au viol comme arme de guerre au Myanmar est maintenant tout à fait manifeste.

Les crimes de violence sexuelle auxquels s'adonne le régime militaire font partie d'une stratégie systématique visant à détruire les collectivités ethniques du Myanmar et constituent une menace à la paix et à la sécurité internationale. WLB signale que les résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité des Nations Unies imposent de tenir criminellement responsables les auteurs de crimes sexuels commis dans le cadre des conflits. Cependant, bien qu'on sache fort bien que des violations graves se produisent, le Conseil de sécurité n'a pris aucune mesure. Le Canada doit en prendre et recourir à toutes les solutions qui se présentent à l'échelle internationale pour mettre de l'avant cette question.

Lors de mes discussions avec les femmes du Myanmar sur la violence sexuelle, elles ont insisté sur la nécessité d'une approche globale. Elles ont évoqué la nécessité de fournir aux femmes qui ont été violentées des services, comme du counselling, des maisons d'hébergement, des soins de santé, etc.; la nécessité d'inciter leurs propres collectivités à parler ouvertement des violences fondées sur le sexe; la nécessité de fournir des documents de sensibilisation aux hommes et aux femmes et de préparer des contenus de cours pour les enfants; la nécessité de fournir à ces femmes l'occasion d'acquérir des compétences et la confiance en elles pour assumer des rôles de leader; et le besoin de promouvoir l'autonomie des femmes. Elles insistent sur la nécessité de documenter les réalités de la vie sous un régime militaire, et d'utiliser cette information pour faire connaître les tactiques répugnantes que les militaires utilisent contre le peuple du Myanmar, mais aussi dans la région et ailleurs dans le monde. Elles évoquent la nécessité d'inciter des États comme le Canada à agir.

Je dois vous dire que, par l'intermédiaire d'Inter Pares, l'ACDI a appuyé le travail de WLB et de ses organisations membres depuis de nombreuses années. Cette aide est essentielle.

En ce qui concerne le Myanmar et les résolutions 1325 et 1820, nous sommes d'avis que le Canada peut jouer un rôle de leader dans la mise en œuvre de ces résolutions pour mettre fin à une impunité de longue date des crimes de nature sexuelle commis par les militaires. Plusieurs de nos homologues demandent au Conseil de sécurité de commencer à mettre sur pied une commission d'enquête sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et nous aimerions que le Canada prenne la tête de ce mouvement.

En 2007, Inter Pares a organisé une table ronde intitulée « Des femmes demandent justice : Ensemble pour confronter la violence sexuelle comme arme de guerre ». Vingt-deux femmes d'Amérique latine, d'Afrique, d'Asie et du Canada y ont participé, y compris deux femmes du Myanmar. Toutes avaient de solides compétences sur les questions liées à la violence sexuelle dans les conflits armés. Je vous ai apporté des copies d'un rapport qui présente les questions abordées lors de cette table ronde et les réflexions qu'elles ont suscitées.

Dès le début de la discussion, les participantes ont absolument tenu à rappeler que les violences faites aux femmes, y compris les violences sexuelles, sont présentes avant le déclenchement des conflits, et que le passage à la période faisant suite au conflit n'amène pas nécessairement l'éradication de cette violence.

La question de la justice est au cœur du problème pour les survivantes et pour celles qui leur apportent leur appui. Nous avons constaté que les femmes sortent des périodes de guerre avec des points de vue, des expériences et des besoins qui diffèrent. La voie vers l'obtention de la justice est souvent considérée comme une simple poursuite juridique au niveau local, national ou international, mais il faut qu'elle intègre également les dimensions personnelles, comme la guérison. Elles ont fait des distinctions entre le recours au système juridique pour obtenir la justice et la notion de justice elle-même.

Il s'avère nécessaire de combler l'écart entre les modalités juridiques internationales et les réalités locales des femmes. C'est pourquoi, lorsque nous parlons des violences faites aux femmes, pendant les conflits, et de l'édification d'une paix durable, nous devons nous engager à promouvoir les possibilités pour les femmes d'exercer le contrôle de leurs propres vies.

En résumé, cette étude nous amène à demander au gouvernement, tout d'abord, de renouveler ces efforts ici au Canada pour se doter d'un plan national d'action énergique en consultation avec la société civile; de prendre le leadership de la demande de mise en œuvre de ces résolutions dans le cas précis du Myanmar, en demandant la mise sur pied d'une commission d'enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité; et troisièmement, par l'intermédiaire de l'ACDI et du ministère des Affaires étrangères, de s'engager de façon explicite à financer des initiatives globales, à long terme, et s'attaquant aux causes du mal qui feront la promotion de la pleine autonomie des femmes sur leur destin.

La présidente : Merci beaucoup à tous les orateurs. J'ai une liste de sénateurs qui désirent poser des questions.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup. J'ai un certain nombre de questions et je veux commencer par m'adresser à M. McCort.

J'ai trouvé intéressant ce que vous avez dit de la résolution 1888. En vous écoutant, je me demandais ce que nous devrions faire. Il me semble que votre recommandation m'a aidée à le préciser, mais j'aimerais que vous nous fournissiez plus de détails sur la prestation de services sociaux et de soins de santé. Comme nous le savons tous, dans ces zones de conflit, il est fréquent qu'il n'y ait eu aucun service de santé ni services sociaux avant le conflit. Il ne s'agit donc pas simplement de fournir des soins de santé mais bien de doter un pays où une région d'un système complet de soins de santé ou de services sociaux, ce qui est beaucoup plus lourd. CARE a beaucoup d'expérience dans ce domaine. Pouvez-vous nous faire part de votre expérience en la matière?

M. McCort : Certainement. Comme nous sommes présents dans certains pays depuis 30 ou 40 ans, voire même 50, nous avons pu y observer un déclin à long terme de certaines structures en place, ce qui a contribué à alimenter les conflits.

Dans de nombreux cas, nous avons pu mettre en place des systèmes de santé rudimentaires relativement rapidement en mettant l'accent sur des systèmes simples sans tenter de remettre en place des services de santé complets. C'est ainsi que nous avons donné la priorité aux accouchements sécuritaires, en tentant de permettre aux mères d'accoucher en toute sécurité. Il est possible d'y parvenir en assurant la formation des sages femmes traditionnelles et en leur enseignant des méthodes relativement simples de soins à domicile.

Nous avons également enregistré des succès avec les services sociaux de base, en nous appuyant sur ceux qui sont déjà en place pour leur permettre une plus grande disponibilité dans les collectivités. Dans ce contexte, nous avons souvent aidé des travailleurs sociaux pour leur permettre de faire face plus efficacement aux nouvelles populations, en étant plus exposés et en ayant une meilleure connaissance des besoins des populations qui arrivent, ils sont en mesure de fournir plus efficacement des services.

Nous fixons souvent des objectifs modestes pour la reconstruction faisant suite au conflit, convenant implicitement que la reconstruction de systèmes complets de santé va bien au-delà de nos capacités. Nous mettons l'accent sur les domaines dans lesquels nous pouvons obtenir de résultats rapides. Nous privilégions les services aux femmes, en particulier en ce qui concerne l'accouchement et la survie des enfants de moins de deux ans et de moins de cinq ans.

Le sénateur Jaffer : Avez-vous mis sur pied des services pour aider les victimes de violences sexuelles?

M. McCort : Nous offrons toutes sortes de services. En Bosnie, nous avions des cliniques mobiles de gynécologie, travaillant avec les femmes victimes de violences sexuelles tout comme avec celles ayant besoin de services médicaux normaux. Nous avons beaucoup fait pour aider les groupes de femmes sur le terrain, en mettant sur pied des réseaux sociaux et d'entraide pour les autres femmes, en permettant aux femmes d'acquérir des capacités et en leur fournissant des lieux sécuritaires pour se réunir et discuter. Nous avons acquis de l'expérience dans de nombreuses zones de guerre en mettant sur pied des centres communautaires et des lieux sécuritaires pour permettre aux gens de se regrouper dans le cadre des opérations humanitaires. C'est un point de départ pour tenter de remettre sur pied les services.

Le sénateur Jaffer : Mme Koppell, les trois exposés m'ont amenée à me poser beaucoup de questions, et nous disposons de peu de temps. Je sais que vous aussi ne disposiez que de peu de temps et n'avez pu aborder tous les sujets qui vous tiennent à cœur. Ce serait intéressant pour mes collègues et moi si vous pouviez nous parler un peu de la trousse à outils spéciale que vous avez préparée sur la résolution 1325. Pouvez-vous également nous donner des détails sur les excellents services que vous assurez aux femmes partout à travers le monde, en faisant venir les femmes à qui il incombe de prendre des décisions à la John F. Kennedy School of Government et en leur assurant une formation sur leur prise en main par elles-mêmes. Le même sujet a été abordé ce matin, et nous aurions intérêt à savoir ce que le Hunt Alternatives Fund fait dans ce domaine.

Mme Koppell : Je vais me faire un plaisir de vous l'expliquer. La trousse à outils à laquelle le sénateur fait référence, que nous avons élaborée, permet de suivre toutes les étapes du processus de consolidation de la paix. J'en ai un modèle que je pourrais vous montrer, mais je ne l'ai pas ici. Cette trousse traite de la façon dont les femmes sont touchées à chaque étape d'un processus, qu'il s'agisse d'un processus de négociation de paix, de démobilisation, de désarmement ou de réintégration, ou concernant la violence sexuelle, et montre comment les femmes peuvent conférer une valeur ajoutée à ce processus. Nous considérons les femmes à la fois comme des agents de changement et comme des victimes. Nous serons heureuses de vous en adresser des exemplaires si vous le désirez.

Je ne pense pas que vous l'ayez encore vue, sénateur Jaffer. Nous venons tout juste de peaufiner son contenu, qui permet une formation et une vulgarisation accrue dans différents sous-domaines, qui chacun constitue un module. Si vous travaillez sur la question des négociations, vous pouvez utiliser la formation aux négociations; si vous vous intéressez à la démocratie et à la gouvernance, vous pouvez utiliser le module correspondant.

J'ai évoqué précédemment le travail que nous avons fait à la fois avec les femmes œuvrant à l'édification de la paix à travers le monde et avec les responsables des politiques. Nous utilisons cette trousse, et le contenu dont je vous ai parlé, pour assurer cette formation. Nous engageons des officiers, qu'ils soient membres des équipes provinciales de reconstruction ou des agents de police envoyés dans le cadre des opérations d'édification de la paix par le gouvernement américain, ou des gens au service du ministère des Affaires étrangères du gouvernement néerlandais, pour tenter de leur donner des orientations et les amener à réfléchir à la façon dont ils peuvent faire progresser ce programme.

En ce qui concerne la formation et, de façon plus générale, l'acquisition de capacités, nous avons deux séries de programmes. Celui auquel le sénateur Jaffer a fait référence, je crois, est notre colloque annuel, auquel nous faisons venir des femmes assumant des responsabilités dans les zones de conflits à travers le monde, en partenariat avec l'Université Harvard, pour parler du leadership des femmes dans le contexte de l'édification de la paix. Concrètement, cela se passe en janvier et le thème retenu cette année est la modération des extrémismes. Nous aurons des délégations de femmes de toutes les régions du monde qui travailleront sur ce sujet.

Nous faisons énormément de travail avec les femmes sur les questions qui se posent dans les zones de conflit. Vous connaissez bien, sénateur Jaffer, notre travail auprès des femmes soudanaises. Nous avons mis plusieurs années à mettre en place une coalition de femmes soudanaises et à travailler avec les femmes parlementaires de ce pays pour les aider à faire entendre leurs voix.

Nous faisons un travail comparable en Afghanistan et dans d'autres pays à travers le monde, que ce soit par nous- mêmes ou en partenariat avec d'autres organisations. Il s'agit pour nous de nous assurer que la défense de notre cause se fait en partenariat avec les personnes dont les voix doivent être entendues, de nous assurer que nos stratégies sont appuyées au niveau local et de veiller à ce que les femmes soient prêtes, désireuses et en mesure de se présenter à la table pour remplir les rôles de leader qu'elles se sont engagées à tenir.

J'espère que c'est bien de cela que vous vouliez que je vous parle.

Le sénateur Dallaire : La notion consistant à conférer des pouvoirs aux femmes, quelle que soit la formulation retenue, dont vous avez parlé a retenu mon attention. Je n'en ai pas entendu parler souvent. J'ai par contre beaucoup entendu parler d'autonomie et d'autres choses de ce genre. En ce qui concerne le fait de conférer des pouvoirs aux femmes et de leur accorder leur autonomie dans des États qui sont, d'un point de vue culturel, dominés par les hommes, toute une gamme d'instruments a été utilisée.

Quelle est la façon de s'y prendre pour faire réellement évoluer la domination culturelle des hommes, en particulier dans le cas des abus des femmes? Au Rwanda, j'ai vu les tribunaux de Gacaca tenir séance, les auteurs de viol et d'abus des femmes étant amenés devant toute la collectivité et se voyaient imposer une sentence donnée. Cependant, les femmes violées vivent maintenant près de leurs agresseurs, qui n'ont été condamnés qu'à quelques travaux communautaires.

Je n'ai rien vu jusqu'à maintenant qui parvienne à changer les mentalités des hommes au sujet des femmes qui ont été victimes d'abus. Comment conférez-vous des pouvoirs aux femmes? J'aime bien cette expression, si c'est celle qui convient.

M. McCort : L'une des meilleures façons de conférer des pouvoirs aux femmes est par le développement économique. J'étais au Zimbabwe cet été, et j'ai pu passer du temps avec environ 300 femmes qui avaient suivi les programmes d'économies et de prêts de CARE. J'ai été époustouflé par leurs témoignages. C'était le jour de la remise des diplômes. La cérémonie était publique et des centaines de femmes de nos programmes y assistaient, ainsi que toute la collectivité. Elles montraient ainsi ce qu'elles avaient réalisé en termes de développement économique et de création de petites entreprises.

Ce qu'il y avait de frappant dans leurs témoignages était le changement social qui avait découlé de leur démarginalisation économique. C'est ainsi que l'une des femmes a expliqué, dans ses propres mots, que son mari ne la trouve plus inutile et l'apprécie même. Lui-même ne se sent plus inutile parce qu'elle amène de l'argent à la maison. Il n'a plus honte parce que les enfants n'aillent pas à l'école, ce qui fait qu'il ne la bat plus. Cette femme a expliqué que le développement économique a eu pour effet de faire baisser le nombre de cas de violences sexuelles.

Le responsable de la police de la République du Zimbabwe dans le district est alors monté sur la scène et a corroboré ses dires. Il a précisé que les statistiques portant sur l'ensemble du district évoluent parallèlement à la démarginalisation économique des femmes dans la collectivité. La police est d'avis que ce programme a contribué à réduire la violence familiale, et cela tient au fait que les femmes ont le sentiment de contribuer à la survie de leur famille, et que les hommes apprécient davantage les rôles des femmes et sont moins enclins à exercer des violences.

Le sénateur Dallaire : Pour être clair, il s'agit donc d'une approche indirecte. Nous fournissons aux femmes les instruments en espérant que les hommes changeront de point de vue.

Le fait de démarginaliser les femmes se traduit-il par des assauts directs sur la culture masculine en ce qui concerne l'abus des femmes qui ont progressé grâce aux ONG? Je parle ici de façon générale.

Mme Koppell : Je vais vous donner deux exemples, celui de M. McCort est très important, et nous observons des preuves comparables dans des pays comme l'Inde.

C'est ainsi que, en Afghanistan, qui est l'une des sociétés les plus conservatrices, les femmes représentent maintenant 25 p. 100 des députés. Cela découle en partie d'un quota imposé par la constitution, mais nombre de ces femmes ont été élues avec plus de voix que nécessaires. Il faut cependant faire preuve de prudence et réaliser que ces sociétés sont assez hétérogènes. Il y a de nombreux hommes qui, si on leur donnait la parole, seraient partisans de l'avancement des femmes.

Il faut cependant tenir compte des circonstances. Dans un pays comme l'Afghanistan, on relève des visions beaucoup plus modernes de la place des femmes dans des endroits comme Kaboul que dans l'intérieur du pays. Je sais que Women for Women International et certaines des organisations non gouvernementales locales ont obtenu d'assez bons résultats en faisant appel à la religion et en discutant avec les responsables traditionnels pour donner un rôle plus important aux femmes. Le rôle emblématique que des femmes comme Khadeeja ont dans le Coran est un message efficace sur l'importance des femmes.

J'en viens maintenant à l'exemple que vous avez donné, celui du Rwanda. Comme vous le savez probablement mieux que moi, le Rwanda est le seul parlement à majorité féminine dans le monde. Les députées ont été élues grâce, en partie, à un contingent imposé par la constitution, mais elles se sont appuyées sur cette disposition pour devenir majoritaires. Elles ont présenté la première législation dans le pays pour éradiquer les violences sexuelles. Leur leadership dans ce domaine, grâce à la participation politique directe, a été déterminant, mais elles ont également mis l'accent sur le processus d'élaboration de cette législation, qui a été participatif. Elles ont pour cela procédé à de vastes consultations locales avec les hommes et les femmes sur les violences sexuelles qui sont considérées comme un délit et sur les sanctions qui seraient adaptées. Elles ont donc accru la sensibilisation aux problèmes que constituent les violences sexuelles et accru le sentiment de démarginalisation des femmes au niveau local, ce qui leur a permis de combattre les violences sexuelles et de réaliser que celles-ci sont un crime. En réalité, il en avait été tellement question au niveau local que les gens ont cru que la violence sexuelle était interdite par la loi avant même l'adoption de la législation.

Mon dernier commentaire au sujet du Rwanda est que nous avons fait beaucoup d'efforts dans ce pays pour donner davantage de pouvoirs politiques aux femmes. Nous avons amené des leaders féminins d'expérience à servir de mentors à des femmes moins expérimentées au niveau de base pour leur permettre d'acquérir les compétences et la confiance nécessaires pour poser leur candidature à la députation. Ces femmes expérimentées travaillent à la formation de la prochaine génération. Elles ont enregistré des succès époustouflants en leur permettant d'arriver sur le devant de la scène et de faire grimper le nombre de femmes prêtes à servir. Nous avons procédé de la même façon dans d'autres pays, comme au Liberia. Nous nous préparons à faire de même au Soudan et éventuellement au Burundi. C'est là un moyen précieux pour donner une plus grande portée aux opinions des femmes.

Vous avez parlé de stratégies directes, et j'espère que les exemples que je vous en ai donnés sont bien significatifs.

Le sénateur Dallaire : Le recours à la religion est une approche intéressante, parce que les religions, en règle générale, sont plutôt misogynes. C'est toute une prouesse que de parvenir à permettre aux femmes de s'exprimer davantage. Cela nous pose un problème, même dans l'Église catholique.

J'en reviens au viol comme arme de guerre. C'est une nouvelle arme. Auparavant, c'était surtout les soldats voyous qui l'utilisaient, et le phénomène restait secondaire. C'est maintenant devenu un instrument délibéré de guerre. La Cour pénale internationale l'a désigné comme un crime contre l'humanité. Elle a déclaré qu'il s'agit de torture, mais c'est une tactique que guerre.

De façon précise, comment combattez-vous cette tactique dans ces conflits, en particulier dans les guerres civiles qui sont en cours?

Mme Wolsak : Pour faire écho à ce qui a déjà été dit, nous devons trouver la possibilité de donner aux femmes des plates-formes pour mettre en lumière ces questions. Pour revenir un peu à votre question précédente, si vous examinez l'utilisation du viol comme arme de guerre au Myanmar, les organisations de femmes ont travaillé sur les droits des femmes dans ce pays pendant de nombreuses années, et elles ont été marginalisées pendant longtemps au sein du mouvement démocratique.

Ce rapport, Licence to Rape, publié en 2002, leur a apporté une plate-forme internationale. Il a suscité une énorme attention et il a contraint les acteurs politiques, essentiellement masculins, du mouvement démocratique à tenir compte des femmes pour la première fois et à commencer à leur parler et à apprendre d'elles comment impliquer des acteurs internationaux dans ce qui se passe au Myanmar.

Le fait de procéder de cette façon permet aux femmes d'occuper beaucoup plus de place, même si celle-ci est encore très limitée. Le mouvement démocratique respecte beaucoup plus les femmes comme jouant un rôle.

On observe maintenant une amorce de tendance à aborder cette question quand il ne s'agit pas uniquement du recours systématique au viol parrainé par un État. Toutes sortes de violences contre les femmes se produisent dans des collectivités pacifiques tout comme dans celles déchirées par la guerre. Un coin du voile commence lentement à se lever.

Le sénateur Demers : J'ai beaucoup aimé l'exposé de M. McCort. Il semble qu'on en revienne toujours à la même chose. Nous parlons de financement retardé. Qu'est-ce qui justifie ce retard? Sans poser de question à qui que ce soit, que faisons-nous réellement? Nous devons passer de la parole aux actes. Nous avons tous d'excellentes intentions. Depuis que je siège à ce comité, j'apprends beaucoup de choses sur ce qui se passe, même s'il m'en reste beaucoup à découvrir. Tout le monde ici parle fort bien, mais dans quelle mesure passons-nous réellement de la parole aux actes?

Les chiffres que vous nous avez donnés ce matin sont incroyables. Nous serons en 2010 le mois prochain.

M. McCort : Je peux vous donner quelques exemples. Un certain nombre d'études analysent le financement humanitaire à l'échelle mondiale et comparent le revenu intérieur des pays, et leurs contributions. Nous avons toujours été d'avis que le Canada pourrait en faire beaucoup plus.

Nous collaborons étroitement avec le programme d'aide humanitaire de l'ACDI pour nous attaquer aux violences fondées sur le sexe dans les conflits. Le budget de ce programme est en général de 100 à 150 millions de dollars par année, sur un budget total de l'ACDI de quatre milliards de dollars. Nous avons toujours été partisans de l'augmentation de la part du budget total qui lui est consacrée, même si l'ensemble de l'enveloppe reste le même, parce que les gens de l'ACDI sont très réceptifs.

Au niveau mondial, en moyenne, les demandes de fonds des Nations Unies aux divers pays ne sont souvent comblées qu'à moitié. Il se peut que certains pays à grande visibilité versent intégralement leur quotepart, mais d'autres s'en tiennent à 10 ou 20 p. 100, ce qui fait que les organismes des Nations Unies, de façon générale, manquent de fonds. Nous savons que nombre des organisations des Nations Unies lancent leurs appels à des niveaux relativement bas parce qu'elles s'attendent à des niveaux relativement faibles de financement et qu'elles essaient de faire financer l'intégralité de leurs demandes.

Voilà une statistique assez parlante sur l'ensemble des fonds versés par les Canadiens au titre de l'impôt : seulement 10 $ par personne sont consacrés au financement de l'aide humanitaire par l'intermédiaire de l'ACDI. C'est un petit montant par habitant. Les Canadiens pourraient faire beaucoup plus pour s'attaquer à ces questions.

La présidente : À titre de rappel, je me souviens de l'époque où nous fournissions une aide au développement, mais pas d'aide humanitaire sous ce nom. Cela a suscité un débat sur le siphonnement des fonds pour l'aide à long terme au lieu de les consacrer aux interventions en cas de crise.

Au cours des deux dernières décennies ou plus, nous avons assuré une aide humanitaire. Nous avons décidé d'assurer une aide humanitaire et une aide multilatérale de façon distincte de l'aide au développement. Nous disposons au moins de statistiques maintenant. Je suis plutôt d'accord que cela constitue la première réaction, qui est essentielle dans de nombreux cas, et que nous devrions donc nous pencher sur son financement.

Le sénateur Munson : J'ai quelques brèves questions auxquelles n'importe lequel d'entre vous peut répondre. La première porte sur la hiérarchie aux Nations Unies. Quelqu'un a fait état d'un personnel subalterne dans ce domaine. Je suppose que c'est une bonne chose d'acquérir de l'expérience sous la supervision de personnes expérimentées. Il y a également les questions concernant les femmes occupant des postes de cadre aux Nations Unies.

Je ne veux pas me lancer dans des généralisations, mais comme ancien journaliste, à chaque fois que je me suis rendu aux Nations Unies, j'ai eu l'impression de retourner dans les années 1950. Je sais que des femmes occupent des postes de cadre, mais cela semble être un endroit doté d'une bureaucratie de 1955, et les choses n'ont l'air d'évoluer que lentement.

Y a-t-il un problème en ce sens que les personnes réellement responsables ne prennent pas ces décisions cruciales ou ne comprennent pas vraiment ce qui se passe dans le domaine à l'époque à laquelle nous vivons et ne réalisent pas que les femmes ne jouent pas un rôle suffisamment important dans le processus de prise de décisions au sommet?

M. McCort : La tendance à avoir du personnel subalterne sur le terrain, alors que les cadres sont en poste au siège social, est un problème qui touche tous les organismes. J'en suis un exemple vivant. J'ai passé, au début de ma carrière, de nombreuses années sur le terrain comme travailleur humanitaire et, maintenant que je suis plus âgé et plus expérimenté, je suis ici. Nous sommes tous concernés par cette situation.

De plus en plus, les organismes essaient de procéder à des nominations croisées et à des échanges de personnel pour tenter d'élargir leur bassin de ressources afin de ne pas devoir recourir uniquement à leur personnel. On en trouve de bons exemples aux Nations Unies. La directrice du Programme alimentaire mondial en est un excellent exemple comme femme occupant un poste de direction très visible dans une organisation importante, qui assume d'énormes responsabilités à l'échelle internationale et qui consacre beaucoup de temps à voyager. Nous incitons les leaders de ces organismes à passer du temps sur le terrain, même si leurs bureaux se trouvent au siège de leur organisme, et à passer autant de temps qu'ils le peuvent sur le terrain avec leur personnel.

Mme Koppell : Ce sont des questions de culture. Il faut modifier de façon fondamentale les modalités de recrutement pour avoir accès à une gamme plus large de candidats, en interprétant les descriptions de tâche comme une façon de faciliter le recours à un bassin de compétences différentes.

C'est ainsi que les descriptions de tâche des cadres supérieurs du secrétariat général, des représentants du secrétaire général ou des médiateurs demandent d'avoir, au moins en théorie, une solide connaissance des Nations Unies, alors que le bassin de cadres féminins pouvant occuper ces postes au sein des Nations Unies est très petit. Il est peu probable que ce mode de fonctionnement amènera beaucoup de femmes à occuper des postes de haute direction. Nous devons donc aborder, de façon plus créative, les ensembles et les combinaisons de compétences qui sont nécessaires à ces postes de direction afin de permettre le recrutement de personnes ayant d'autres antécédents.

Le sénateur Munson : Nous pourrions peut-être formuler une recommandation en ce sens dans notre rapport.

Vous avez indiqué plus tôt collaborer avec le gouvernement néerlandais, sans nous donner de détail. J'aimerais que vous nous donniez des exemples de la façon dont vous collaborer avec ce gouvernement, en précisant si d'autres ONG pourraient tirer des leçons de votre expérience et de la façon dont les choses se passent avec ce gouvernement néerlandais.

Mme Koppell : Dans le cas du gouvernement néerlandais, notre travail consiste à faire de la formation du personnel des ministères des Affaires étrangères et de la Défense pour voir comment il pourrait mieux s'attaquer aux questions de sexe dans leur travail, qu'il s'agisse d'opérations d'aide au développement et de maintien de la paix ou de travail de défense. Nous avons également collaboré avec le gouvernement américain en organisant des séances d'information pour le personnel des départements d'État et la Défense des États-Unis qui se rend sur le terrain en Afghanistan. Nous avons fait de la formation des troupes à un niveau inférieur, ainsi que des agents de police, qui se rendent sur le terrain et nous assurons maintenant une formation mensuelle en cours de service pour les agents du service extérieur et le personnel de la U.S. Agency for International Development qui se rendent à tour de rôle sur le terrain.

Le sénateur Munson : Madame Wolsak, pourriez-vous nous fournir de plus amples détails sur le mandat de cette commission d'enquête? C'est une chose intéressante à envisager. Se rendra-t-elle sur le terrain?

Mme Wolsak : J'ai ici trois copies d'un rapport publié récemment par l'Université Harvard qui analyse les divers rapports qui ont été faits au cours des années sur le système de Nations Unies et documente les violations des droits de la personne. Ce document montre clairement qu'il est nécessaire de faire enquête plus avant dans ce domaine.

La commission d'enquête serait une première étape pour étudier les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, et il est très probable qu'elle aboutira à un renvoi à la Cour pénale internationale. C'est une étape intéressante, parce que nombre de personnes au sein du mouvement démocratique hésitent à s'adresser à la Cour pénale internationale parce qu'elles espèrent encore que les négociations avec le régime aboutiront. Une commission d'enquête constituerait une première étape signalant que les gens peuvent espérer que la communauté internationale va facilement les appuyer. Nous sommes d'avis que c'est une demande que le Canada pourrait facilement mettre de l'avant.

La présidente : Vous avez parlé d'un renvoi à la Cour pénale internationale. Comment cela se passerait-il? Cela supposerait-il de faire appel aux responsabilités du Conseil de sécurité reconnues par la Cour pénale internationale? Le Myanmar n'a reconnu d'aucune façon la Cour pénale internationale. Je n'ai entendu que des commentaires négatifs.

Comment ce lien pourrait-il fonctionner pour avoir au moins une approche réaliste, si vous pouviez vraiment amener les pays à s'entendre en termes politiques au Conseil de sécurité?

Mme Wolsak : C'est précisément l'autre raison pour demander, comme première étape, la mise sur pied de cette commission d'enquête. De nombreuses demandes ont été formulées au Conseil de sécurité pour agir au Myanmar et, comme vous le dites, elles ont fait l'objet d'un veto, ce qui explique pourquoi nous sommes dans une impasse. Les gens estiment que demander la mise sur pied d'une commission d'enquête est une solution plus acceptable qui pourrait éventuellement être adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce dernier donnerait un mandat à la commission d'enquête. Celle-ci étudierait les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et pourrait ensuite éventuellement recommander un renvoi à la Cour pénale internationale.

La présidente : Pour l'essentiel, vous allez vous heurter aux mêmes difficultés. Vous pensez que ce serait là un processus plus acceptable pour les pays qui ont opposé leur veto? Est-ce bien exact?

Mme Wolsak : Oui, tout à fait.

La présidente : Avez-vous relevé des indications en ce sens?

Mme Wolsak : EN vérité, c'est une demande relativement récente. Le rapport de Harvard a été publié il y a six mois et c'est la première demande bien documentée à cet effet. Un certain nombre de gouvernements à travers le monde commencent à étudier cette demande. Les membres de l'association canadienne Les amis parlementaires de la Birmanie, qui comptent un certain nombre de sénateurs parmi eux, ont signé une pétition pour demander la mise sur pied de cette commission.

La présidente : Je voulais connaître les noms des pays qui pourraient éventuellement être partisans de la mise sur pied de cette commission et, si je comprends bien, aucun de ceux qui se sont opposés auparavant à des mesures contre le Myanmar n'a bougé sur cette question.

Mme Wolsak : Voulez-vous savoir s'il y a des indications qu'ils pourraient changer de position?

La présidente : Oui.

Mme Wolsak : Cela n'a pas encore été vraiment vérifié. On peut l'espérer.

Le sénateur Munson : J'ai une question de nature statistique. C'est une question grave et brève qui porte sur le suicide. Quand on s'intéresse aux femmes qui ont été violées, violentées, etc. avec tout le travail que vous avez fait sur le terrain, disposez-vous de statistique sur le nombre de celles qui ont décidé que cela suffisait et de ne pas aller plus loin?

M. McCort : Je n'en ai pas.

Mme Wolsak : Je n'en ai pas non plus.

Le sénateur Munson : Ce serait probablement une statistique importante qui alerterait tout le monde.

Le sénateur Nancy Ruth : Madame Koppell, votre institut a-t-il eu l'occasion d'examiner les modules de formation utilisés au Canada par les Forces armées canadiennes et par la GRC? Avez-vous eu la possibilité de les comparer à ceux de votre trousse? Si vous ne l'avez pas fait, est-ce une comparaison que vous pourriez faire?

Mme Koppell : Nous ne l'avons pas fait. Nous serions ravis de le faire. Nous nous sommes penchés sur le travail réalisé par les militaires suédois dans ce domaine. Nous avons collaboré aussi avec le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées, le DCAF, installé à Genève qui travaille aussi sur ces questions. Lui aussi dispose d'une trousse à outils, et nous serions heureux de faire cette comparaison.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est excellent. J'ai été frappée de découvrir que vous collaborez étroitement avec les Pays- Bas. Y ayant vécue pendant quelques années, il me semble que c'est là une démocratie parmi les plus ouvertes et les plus attentives aux questions hommes femmes. Un pays doit-il parvenir à ce niveau avant d'adhérer aux valeurs que votre institut défend?

Mme Koppell : Je ne le crois pas. Je suis d'avis que les pays occupent des places différentes sur le spectre. Lorsque nous avons été en contact avec les militaires américains, nous avons trouvé intéressant de les entendre parler des leçons tirées de l'Irak et de la nécessité de faire de la sensibilisation auprès des femmes, et de les impliquer. Ce sont des notions dont la pénétration au sein des organisations varie en fonction de la place qu'elles occupent sur le spectre. Des exemples comme celui de la brigade intégralement indienne qui a été affectée au Liberia se sont révélés très instructifs pour de nombreuses forces armées à travers le monde quant à la valeur ajoutée que les femmes peuvent apporter.

J'ajouterais à cette occasion, et cela nous ramène à la question posée précédemment par le sénateur Dallaire, qu'un nombre accru de femmes dans les forces serait absolument essentiel pour s'attaquer aux questions de violence sexuelle pendant les conflits et à celle de l'impunité des agresseurs. Si vous ne poussez pas ces questions de l'avant, vous n'observerez pas le phénomène d'entraînement indispensable pour résoudre le problème.

Le sénateur Nancy Ruth : Au sujet des violences sexuelles dont les femmes sont victimes, je suis d'avis que si vous castriez tous les soldats de la planète, ils battraient encore les femmes. Il ne s'agit pas tant de sexe que de violenter les personnes les plus fragiles de la société. J'aimerais savoir si vous êtes aussi d'avis qu'ils s'attaqueront aux femmes de toutes les façons possibles, que ce soit en les violant ou en exerçant d'autres formes de violence.

M. McCort : C'est là un bon point au sujet du pouvoir, mais il se trouve que les violences sexuelles et les viols répondent à de nombreux objectifs. Ils violentent des collectivités entières. Cela va au-delà de s'attaquer aux femmes, c'est une façon de soumettre toute une collectivité. Cela va au-delà de simplement battre les faibles. C'est une façon de toucher toute la collectivité, et pas simplement les membres les plus pauvres et les plus fragiles de celle-ci. Cela a des répercussions sur les hommes qui vivent au même endroit que ces femmes. Ces pratiques répondent à un objectif très précis, qui va au-delà de simplement démontrer qu'on exerce un pouvoir sur des gens faibles.

Mme Koppell : Pour vous répondre directement, oui, cela pourrait continuer à se produire, parce que l'objectif est fréquemment d'éliminer la capacité de reproduction de certains groupes. Dans la mesure où c'est bien votre objectif, la façon d'arrêter cela n'est pas vraiment liée aux capacités sexuelles des combattants.

Mme Wolsak : Je suis d'accord avec ces deux réponses et j'ajouterais que cela pourrait continuer dans le cadre de la dynamique du pouvoir qui se manifeste lorsqu'il s'agit de contrôler une population. C'est pourquoi il est si important pour nous de chercher des façons d'aider les femmes à long terme et de leur venir en aide pour qu'elles puissent prendre le contrôle de leurs propres vies.

Le sénateur Nancy Ruth : J'aimerais demander aux deux témoins canadiens si leurs organisations ont jamais été consultées sur la mise en œuvre de la résolution 1325 par divers ministères du gouvernement? Vous ont-ils déjà demandé votre avis sur la façon de procéder?

Mme Wolsak : Malheureusement, j'ai voyagé et je n'ai pas pu savoir si nous étions impliqués en 2006 lorsqu'ont eu lieu les dernières consultations dans le cadre du plan national d'action. Je ne sais pas avec certitude si Inter Pares a été impliquée à cette époque. Je ne crois pas que nous ayons été consultés depuis cette époque.

M. McCort : Dans notre cas, il a surtout s'agit de conversations informelles avec nos collègues et avec les gens avec qui nous interagissons.

Mme Koppell : Je ne suis pas Canadienne, mais certains de mes meilleurs amis le sont. Je dois dire que nous avons quelqu'un cette semaine qui est allé travaillé au Centre de recherches pour le développement international, le CRDI, à des consultations consacrées aux femmes dans le domaine de la gouvernance. Nous avons collaboré avec le Centre Pearson de formation en maintien de la paix, et nous collaborons avec le Centre parlementaire du Canada sur ce qui se passe au Soudan et ailleurs, simplement pour vous dire ce qui se passe.

Le sénateur Nancy Ruth : Est-ce quelque chose qui s'est fait à votre initiative? Ou y a-t-il des gens qui vous ont invité? Cela se passe-t-il de façon plus informelle?

Mme Koppell : Non. Dans le cadre du CRDI et du Centre Pearson de formation en maintien de la paix, nous avons été invités à participer à un processus de consultation qu'ils ont organisé. Dans le cas du Centre parlementaire du Canada, nous avons en vérité mis en œuvre ensemble des programmes au Soudan. Nous avons mené des discussions avec eux pendant longtemps. En pratique, un représentant du Centre parlementaire du Canada est en train d'assister aujourd'hui à une séance de formation des formateurs à Washington, D.C. sur les questions dont nous traitons en ce moment. L'un de nos employés va les voir au Nord et l'un des leurs vient nous voir au Sud.

Le sénateur Nancy Ruth : C'est une excellente chose. Je vous remercie.

Le sénateur Mitchell : Je crois que le sénateur Nancy Ruth vous a posé la principale question que j'avais, à savoir si vous avez connaissance de la formation que nous donnons aux militaires canadiens. Je suis curieux de voir cette trousse à outils afin de déterminer si elle peut s'appliquer dans une certaine mesure au Canada.

Vous avez tous fait allusion à l'importance du rôle que le Canada pourrait jouer en prenant le leadership de la promotion des solutions envisagées à ces questions dans le cadre des Nations Unies et ailleurs. Avez-vous connaissance d'un quelconque leader politique canadien prenant actuellement la parole sur les résolutions 1325, 1888 ou 1820? Cette question semble-t-elle être prioritaire ou urgente quand vous vous adressez à des groupes des Nations Unies?

Mme Wolsak : Non, pas à ma connaissance.

M. McCort : Nous avons collaboré très étroitement avec la section américaine de CARE pour tenter d'en faire une question prioritaire en Amérique du Nord, qui touche aussi bien les parlementaires américains que canadiens. Lorsque la résolution 1888 a été adoptée au cours de l'été, nous avons constaté un certain intérêt du public à ce sujet. Toutefois, il semble malheureusement que cette question ait retenu l'attention et disparu des centres d'intérêt assez rapidement. La résolution a été adoptée; elle a suscité une certaine attention et ensuite perdu de son intérêt. Nous croyons qu'il faut faire davantage de choses, en en parlant de façon plus constante.

Il est utile pour nous de faire état des cas dans lesquels nous avons enregistré des réussites. Plus nous sommes en mesure de désigner des communautés précises dans lesquelles les femmes progressent et dans lesquelles la violence est réduite et mieux cela vaut, et nous devons faire connaître ces histoires afin que les gens puissent voir qu'il y a des stratégies éprouvées pour réduire la violence contre les femmes. Nous devons mieux faire connaître de tels cas.

Mme Koppell : Stephen Lewis a parlé très franchement du programme qu'il envisage pour la mise en œuvre de la résolution 1325 dans le cadre de AIDS-Free World, et des changements à la structure de répartition des tâches entre les sexes. La mission canadienne aux Nations Unies a été passablement impliquée à New York dans le cadre du groupe Friends of 1325. Nous avons également publié, en collaboration avec le CRDI, certaines de nos recherches faites en partenariat avec eux à l'occasion des réunions de la Commission de la condition de la femme.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie. Je crois savoir que le Canada a nommé des ambassadeurs spéciaux aux Nations Unies sur certaines questions. Conviendrait-il, à votre avis, et serait-il efficace que le Canada nomme un ambassadeur spécial aux Nations Unies sur cette question particulière, ce qui la mettrait réellement en lumière et en ferait une priorité? Nous pourrions peut-être désigner un autre Stephen Lewis. Cela vous paraît-il une bonne chose?

M. McCort : Cela me paraît une excellente idée, et il y a un certain nombre de candidats qui feraient un excellent travail.

Le sénateur Mitchell : Pouvez-vous en nommer quelques-uns?

M. McCort : Il y en a quelques-uns qui siègent à notre conseil d'administration. Je peux vous parler de Louise Fréchette, d'Aldéa Landry et de Janice Stein. Il y a un certain nombre de femmes canadiennes très réputées qui sont impliquées, et il y en a beaucoup en dehors de nos groupes. Une fois encore, si nous commençons à citer les noms et évoquer les compétences que l'on trouve au Canada, il y a un grand nombre de candidats tout à fait valables pour assumer ce rôle.

Mme Koppell : Cela pourrait s'avérer très précieux. Carolyn McCaskey est l'une des rares anciennes représentantes spéciales du secrétaire général. Cela pourrait être intéressant. Il est évident que Stephen Lewis pourrait également être candidat, étant donné l'appui marqué qu'il apporte à la résolution 1325. Le fait d'avoir quelqu'un pouvant donner plus de visibilité à la volonté de mise en œuvre des résolutions, et qui pourrait insister sur les changements systématiques nécessaires pour amener le système à mettre en œuvre les résolutions, serait de la toute première importance.

Le sénateur Mitchell : Les façons dont le Canada pourrait jouer un rôle en faisant la promotion de cette résolution sont nombreuses, que ce soit en en parlant, en en faisant une priorité, en prenant des initiatives concrètes et en assurant un financement global par l'intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Cela permettrait d'accroître le pourcentage actuel du budget de 0,6 p. 100, qui est actuellement de 150 millions de dollars sur quatre milliards de dollars.

M. McCort : Ce sont là les fonds disponibles au sein de l'ACDI, et il y a, au ministère des Affaires étrangères le Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction qui dispose d'un budget relativement modeste.

Le sénateur Mitchell : Je me suis rendu en Afghanistan avec le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, et on nous a raconté un certain nombre d'histoires comme celles que vous avez évoquées, Mme Wolsak, au sujet d'une femme qui est maintenant en mesure de contribuer au revenu de sa famille, entre autres, ce qui fait qu'elle n'est plus battue par son mari. Il y a quelque temps, j'ai lu une étude qui affirmait que l'indicateur le plus important de votre statut dans la société occidentale est le montant d'argent dont vous disposez et celui que vous gagnez. Comme les femmes ont tendance à gagner moins, elles ont tendance à ne pas être considérées sur un pied d'égalité et à occuper la situation qu'elles devraient avoir. Je ne suis pas surpris de voir qu'il en est de même dans les endroits où votre travail nous amène. Cela met en évidence de nombreuses possibilités, mais nous avons tant à faire. Je vous remercie de vous en occuper.

La présidente : Comme les ressources sont limitées et comme chaque pays cherche un équilibre entre ces besoins nationaux et internationaux, proposeriez-vous que le Canada affecte ses ressources à l'aide des femmes à l'étranger dans les pays victimes de conflits, dans des endroits comme le Rwanda, peut-être le Myanmar et l'Afghanistan? Devrions-nous porter plus d'attention aux ressources dont disposent les femmes qui ont été prises dans des conflits, ou pensez-vous plutôt que nous devrions consacrer nos efforts à la sensibilisation à la résolution 1325 au Canada et à mettre sur pied des processus, des trousses d'outils, peu importe comment vous les appelez, au Canada? Je conviens qu'il faudrait tout faire en même temps que ce serait fort utile, mais si vous deviez faire un choix, voudriez-vous en faire plus pour les femmes à l'étranger ou au Canada en ce qui concerne le processus de mise en œuvre de la résolution 1325, qui pourrait, au bout du compte, avoir les effets recherchés.

Mme Wolsak : C'est un choix très difficile à faire parce que les deux sont liés. Je suis très réticente à choisir, mais je suppose que si j'étais contrainte de faire ce choix, je préférerais venir en aide aux femmes à l'étranger qui sont directement touchées par la violence et par les conflits.

Pour que nous puissions en apprendre plus sur ces questions au Canada, nous devons être en mesure d'entendre ce que ces femmes veulent et savoir ce dont elles ont besoin, et connaître leurs opinions sur la façon dont nous pourrions mettre en œuvre la résolution 1325.

Mme Koppell : Si vous me le permettez, je choisirais une troisième solution. Je consacrerais les ressources à des moyens précis destinés à provoquer des transformations permettant d'entendre ce que les femmes ont à dire. Ce que je veux dire par là est que, si vous avez un processus de négociation de paix, consacrez vos ressources à vous assurer que les femmes sont présentes à ces négociations. Si vous avez une conférence des donateurs, investissez pour vous assurer que les femmes participent à cette conférence. Si vous apportez des changements générateurs de transformations, vous obtiendrez l'autre volet, c'est-à-dire que les femmes diront que nous devons consacrer les ressources aux services aux victimes et à réponde aux besoins des plus nécessiteux. Quand vous obtiendrez une masse critique de ces voix à la table où se prennent les décision, vous verrez que le type de question qui se dégage sera différent, et cela aura un effet domino important.

La présidente : Je fais face à un dilemme. Il me reste deux minutes, trois au maximum, et les sénateurs Jaffer, Dallaire, Nancy Ruth et Demers sont inscrits pour une seconde série de questions.

Le sénateur Nancy Ruth : Pouvons-nous poser toutes les questions et demander aux témoins de revenir?

La présidente : Cela peut-être possible si j'obtiens l'assurance que les questions seront brèves et précises. Si les témoins ne peuvent nous donner toutes les réponses, ils pourraient peut-être nous les fournir par écrit plus tard.

Le sénateur Jaffer : Mme Wolsak, je suis intéressée par le travail que vous faites auprès de femmes birmanes. Comment rejoignez-vous ces femmes? Avez-vous mis en place des réseaux? Si vous ne pouvez répondre aujourd'hui, une réponse écrite par la suite serait utile.

Mme Koppell, comme vous l'avez vu ce matin, la façon d'amener les femmes à se prendre en main a soulevé de nombreuses questions. Je constate que votre organisation consacre beaucoup de temps, et c'est peut-être sa raison d'être, à amener les femmes dans le processus. Outre votre trousse à outils, pourriez-vous nous dire ce que vous faites, et nous pourrions peut-être formuler quelques recommandations à ce sujet.

M. McCort, vous avez laissé entendre qu'une collectivité est détruite quand une femme est violée, mais j'ajoute également que c'est une honte pour la femme, ce qui fait qu'elle ne joue plus de rôle dans la collectivité, ce qui revient à l'en exclure également.

Le sénateur Nancy Ruth : La Norvège et les Pays-Bas sont des exemples de pays en mesure de pousser leurs gouvernements à adopter un programme d'action positive visant essentiellement la mise en œuvre de la résolution 1325 et des trois autres résolutions. Que s'est-il passé dans leurs cultures politiques pour que cela soit possible? Quelle leçon le Canada peut-il tirer des mesures prises par ces pays pour nous aider à mener ces questions à l'avant-scène de nos priorités politiques?

Le sénateur Demers : Nous sommes tous ici assis avec nos chemises blanches, bien habillés et avec beaucoup de documents. Que fait-on sur le terrain? Qui se salit les mains? Qui est impliqué? Il semble que nous fassions tous de notre mieux, et j'aimerais savoir qui se trouve réellement sur le terrain pour protéger ces femmes et les jeunes hommes. S'agit-il uniquement de bonnes paroles. Je ne veux manquer de respect à personne, mais ce ne sont là que de bonnes paroles et du papier. Que fait-on sur le terrain pour aider ces femmes et ces jeunes hommes maintenant?

La présidente : Cela fait toute une série de questions. Répondez, s'il vous plaît, si vous pouvez le faire rapidement pour chacune, et pour les autres nous attendrons vos réponses écrites.

M. McCort : Pour ne parler que de CARE, nous avons 15 000 employés travaillant dans 70 pays, dont 99 p. 100 sont des citoyens de ces pays, nombre des organisations sont également des organisations nationales. Nous avons des milliers d'employés citoyens des pays. Nous avons mis les femmes et les jeunes filles au cœur de notre mandat, mais je ne parle là que pour une seule organisation. C'est ce que nous essayons de faire sur le terrain.

Une chose frappante au sujet de la Norvège et des Pays-Bas est le niveau de leur aide officielle au développement et de leurs dons de bienfaisance pour les causes internationales, qui est beaucoup plus élevé qu'au Canada, et cela a constitué une sorte de vague de fonds de citoyens engagés qui savent ce qui se passe, en entendent parler dans leur propre société et demandent qu'on agisse.

Mme Koppell : Quant à savoir ce que ces pays ont fait pour attirer l'attention sur cette question, il faut tout d'abord savoir qu'ils ont de nombreux porte-parole masculins. Le responsable du service des relations hommes femmes aux Pays- Bas est un homme et de nombreux ministres masculins ont traité de cette question. Je pense que le fait de vous familiariser avec ces questions et de les mettre en évidence, vous tous et en particulier les hommes qui se trouvent dans cette pièce et qui estiment être des alliés, et amener ces hommes à parler de cette question non seulement comme d'une question de droit de l'homme ou de droit de la femme, mais comme une question de sécurité est un volet fondamental de la paix pour la réussite du processus de sécurité sur le terrain, en d'autres termes éloigner la discussion des arguments reposant sur les droits pour en venir à des arguments reposant sur l'efficacité s'est avéré un volet très important des conversations dans ces pays et ailleurs.

En ce qui concerne les gens qui œuvrent sur le terrain, nous travaillons beaucoup avec nos réseaux de leaders femmes sur place. Une grande partie de ce que nous faisons l'est en partenariat avec des femmes de la région qui ont besoin de se voir donner une plus grande confiance en elles et d'être partie à cette discussion. Nous estimons qu'il est important, pour l'intégrité du message que nous donnons dans cette pièce aujourd'hui, qu'il le soit au nom des voix authentiques sur le terrain dans ces zones de conflit et que ce message prenne la défense de cette cause et apporte des changements au contexte même du pays de ses auteurs.

La présidente : Nous avons épuisé le temps dont nous disposions et il y a encore beaucoup de questions. Mesdames et messieurs les témoins, si vous souhaitez nous faire parvenir des réponses écrites aux questions en suspens, n'hésitez pas à le faire. Si vous êtes également d'avis qu'il y a d'autres aspects que nous n'avons pas abordés et qui vous paraissent utiles pour notre étude, je vous serais reconnaissant de nous l'indiquer.

J'aimerais poser une dernière question. Nous avons dit du viol comme arme de guerre qu'il s'agit d'un phénomène récent, mais j'ignore quand il a débuté. Je sais que nous en sommes là aujourd'hui. Je veux faire état de ce qui est différent aujourd'hui et déterminer si les réponses que nous donnons sont différentes maintenant. La question est intégrée à la résolution 1325. Nous nous sommes battus pour faire reconnaître que le recours au viol et les violences faites aux femmes sont intolérables en temps de guerre. Nous nous sommes attaqués à cette question au début comme relevant des droits de la personne, mais comme on l'a signalé, c'est une question de sécurité, de paix, etc.

Quels sont les leviers dont nous disposons aujourd'hui que nous avons utilisés qui n'étaient pas là par le passé, et quelle réaction leur utilisation a-t-elle suscitée? La dimension dont j'ai eu à m'occuper, dès le départ, a été de dire à tous les leaders et à tout le monde que si vous recourez au viol dans le cadre d'un conflit, c'est un délit, un crime contre l'humanité, et reconnu comme tel dorénavant par la Cour pénale internationale.

J'aimerais en savoir plus sur votre travail dans ce domaine. Qu'est-ce qui est différent par rapport au phénomène de dernières décennies, et quelles pourraient être les nouvelles façons de réagir?

Je vous remercie tous. Comme vous pouvez le constater, les sénateurs sont vivement intéressés par ce sujet. J'espère que nous ajouterons au débat, mais, comme l'a dit le sénateur Demers, il se peut que nous soyons parmi ceux qui contribuent à l'action pour que quelque chose se produise.

Je vous remercie de votre apport. Nous allons maintenant passer à un autre groupe de témoins et poursuivre notre étude.

Nous vous prions de nous excuser d'avoir pris du retard, mais l'intérêt que les sénateurs ont porté à ces questions nous a fait prolonger la discussion et nous allons maintenant, je l'espère, pouvoir poursuivre notre débat.

Nous allons maintenant entendre par vidéoconférence, Mme Rachel Mayanja, conseillère spéciale pour la parité des sexes et la promotion de la femme aux Nations Unies. Ce sera ensuite le tour de Mme Linda Dale, directrice exécutive de Children/Youth as Peacebuilders.

Je vous souhaite la bienvenue à toutes deux.

Mme Mayanja, je m'adresse à vous. Si vous avez des remarques préliminaires, nous vous serions reconnaissantes de nous en faire part rapidement pour que nous ayons ensuite le temps de nous lancer dans une discussion avec les sénateurs sur la résolution 1325. Ils ont beaucoup de questions.

Rachel Mayanja, conseillère spéciale pour la parité des sexes et la promotion de la femme, Nations Unies : Je vous remercie beaucoup, madame le sénateur Andreychuk, ainsi que les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, de m'avoir invitée à me joindre à vous ce matin pour votre discussion des résolutions 1325, 1820, 1888 et 1889 du Conseil de sécurité. .

Je tiens également à faire part de mes remerciements et de ma reconnaissance au gouvernement du Canada, pour l'appui qu'il nous apporte dans ce domaine. J'aimerais en particulier faire état de l'aide que nous recevons aux Nations Unies de la mission permanente du Canada aux Nations Unies, de l'ACDI et du Centre Pearson de formation en maintien de la paix, qui ont collaboré étroitement avec nous. Mon bureau entretient tout particulièrement d'excellentes relations de travail, très étroites, avec les deux ambassadeurs et leur personnel sur ces questions.

Comme vous le savez, le Canada préside le groupe Friends of 1325 et convoque régulièrement de réunions. C'est grâce à son zèle et à son engagement soutenu que le corps diplomatique des Nations Unies reste préoccupé par ces questions.

Je vous signale également que mes collègues du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies et l'UNIFEM ont déjà eu des discussions avec vous sur ces questions. Je vais donc centrer mes commentaires sur le travail de mon bureau, le Bureau de la conseillère spéciale du secrétaire général pour la parité des sexes et la promotion de la femme, pour mettre en œuvre ces résolutions, en particulier de la résolution 1325.

La résolution 1325, du point de vue de notre bureau, impose deux séries de mesures : la coordination des activités de l'ensemble du système des Nations Unies à l'appui des États membres, et la défense de celles-ci avec tous les intervenants pour garantir la mise en œuvre de la résolution.

Au tout début, le Conseil de sécurité mettait l'accent sur le rôle du système des Nations Unies. En 2004, il s'en est remis à ce système pour élaborer en un an un plan d'action pour la mise en œuvre de la résolution 1325. Le système des Nations Unies a réagi rapidement. Il a produit le plan demandé en 2005. Je dois toutefois signaler que ce plan constituait davantage une compilation de ce que les organismes des Nations Unies étaient en train de faire.

Au cours de l'année suivante, mon bureau a organisé une évaluation de ce plan par plusieurs intervenants. Cela a permis de relever les lacunes et les défis, et de recommander de structurer différemment le plan sous forme d'outils de gestion des résultats axés sur trois domaines : la prévention, la protection et la participation; ce que nous appelons les trois P.

De plus, nous avons recommandé de préciser la meilleure voie à suivre et de définir des indicateurs de rendement. Nous sommes parvenus à une entente entre tous les organismes sur ce qui était acceptable. Le Conseil de sécurité en a été informé et nous a demandé de nous présenter à nouveau devant lui l'année prochaine avec une évaluation de ce nouveau plan.

Nous avons également observé que si le Conseil faisait part d'un certain nombre de demandes au système des Nations Unies, il n'en faisait pas de comparable aux États membres. Il m'est apparu clairement, dans mes activités de défense de cette cause, que les États membres qui étaient les principaux responsables de la mise en œuvre de la résolution devaient en faire davantage. Mon bureau, avec l'appui du gouvernement norvégien, a organisé deux séances régionales de dialogue ministériel. Le premier a eu lieu en Amérique latine et dans la région des Caraïbes, et le second dans la région africaine. Nous avons été alors surpris de constater que nombre des principaux intervenants des divers gouvernements ignoraient l'existence de la résolution. Nous avons également découvert que, même s'ils en avaient connaissance, ils ne disposaient que de moyens limités pour la mettre en œuvre.

Étant donné ces défis, mon bureau, en collaboration avec l'Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche, l'UNITAR, et avec l'Institut international de recherche et de formation pour la promotion de la femme, l'INSTRAW, a décidé de mettre l'accent sur un cours de formation en ligne auquel tous les fonctionnaires pourraient accéder. Nous avions envisagé au départ de faire une formation des formateurs, mais nous avons craint que cet investissement soit parfois perdu lorsque les personnes qui ont suivi la formation sont mutées à d'autres postes dans le cheminement normal de leurs carrières. Nous avons estimé qu'un cours de formation en ligne auquel tous les fonctionnaires pourraient accéder constituerait une meilleure utilisation de nos ressources.

Les deux séries de dialogue que nous avons organisées ont étudié ce cours standard de formation afin de déterminer s'il était utile pour les personnes y participant et, dans l'affirmative, s'il serait possible de l'adapter aux conditions propres au pays de chaque participant.

La préparation des plans nationaux d'action a dès lors pris beaucoup plus d'importance dans nos travaux afin de persuader les États membres qu'eux aussi devaient se doter de tels plans. Au cours de l'année dernière, nous avons accentué nos efforts en ce sens, et on compte maintenant 16 pays qui se sont dotés de plans nationaux d'action.

Les premiers plans de ce type étaient probablement préparés d'une façon comparable à celle utilisée par le système des Nations Unies. Ils n'indiquaient pas les meilleures voies à suivre ni ne comportaient d'indicateurs. Ceux qui ont été préparés par la suite, et en particulier celui du Liberia, qui est maintenant devenu notre exemple de pratique exemplaire, l'ont été en impliquant tous les intervenants, et en y intégrant des indicateurs de rendement. Toute la démarche suscite maintenant un intérêt et certains pays ont proposé une approche de jumelage, qui instaurera des liens entre les pays industrialisés et les pays en développement, et peut-être des pays sortants de conflits, pour que chacun puisse apprendre de l'autre.

Ces plans nationaux d'action sont devenus l'une de nos préoccupations. Mon bureau collabore également avec l'UNIFEM et avec le Fonds des Nations Unies pour la population, le FNUAP, pour inciter d'autres pays à suivre cette voie. Nous mettons l'accent sur quatre pays précis, soit l'Ouganda, le Sierra Leone, le Népal et la Côte d'Ivoire. Parmi eux, l'Ouganda et la Côte d'Ivoire ont déjà préparé leurs plans nationaux, alors que le Népal et le Sierra Leone doivent encore le faire. Nous aidons ces deux pays à préparer le leur, alors que nous aidons les deux autres à se doter des moyens de mettre en œuvre leurs plans nationaux d'action.

Permettez-moi d'évoquer brièvement le 10e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité. Alors que cet anniversaire approche, tous les intervenants se préoccupent des résultats qu'il faudrait obtenir concrètement à cette occasion. Nous aimerions que ce soit l'occasion d'insuffler davantage d'élan, en s'approchant le plus possible de la mise en œuvre complète de la résolution 1325, et nous accordons donc la priorité aux mesures concrètes qui pourraient être prises pour y parvenir.

Nous aimerions également voir une plus grande implication au niveau des collectivités, des pays, des régions, tout comme au niveau mondial. Il a été passablement surprenant de découvrir que, cinq ans après son adoption, des intervenants importants ignoraient encore que cette résolution avait été adoptée.

Nous nous sommes demandé, tout comme votre comité l'a fait, si cet anniversaire est pour nous une occasion de célébrer. C'est peut-être le cas parce que nous avons parcouru un long chemin et que nous avons beaucoup d'histoires de réussite à raconter. Toutefois, je ne pense pas qu'il convienne de nous louanger nous-mêmes. Il nous reste vraiment beaucoup de travail à faire et je suis d'avis que ce devrait être une année de réflexion, pour trouver des solutions et chercher des moyens concrets qui pourraient être mis en œuvre.

Je me permettrai également de suggérer, puisque votre comité s'occupe des droits de la personne, que nous étudions le travail fait par le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Comme vous le savez, ce comité s'intéresse également aux droits des femmes et à la façon dont la mise en œuvre de ces résolutions progresse. Il fait aussi la promotion des droits des femmes dans les conflits. Il a entamé les discussions sur la façon de prendre en compte l'application de ces résolutions dans ses mécanismes de rapport sur les pays, et c'est peut-être là un domaine sur lequel nous devrions tous nous pencher davantage.

Enfin, en ce qui concerne les résolutions 1820 et 1888, la 1820 nous paraît complémentaire de la 1325. La résolution 1325 reste celle qui est la plus importante, et de loin.

La résolution 1820 a une importance toute particulière parce qu'elle fait, pour la première fois, le lien entre les violences faites aux femmes, les viols et les violences sexuelles contre les femmes dans les conflits, et l'utilisation des corps des femmes comme objectifs de guerre, comme menace à la paix et à la sécurité internationales, ce qui se traduit par l'implication du Conseil de sécurité. Nous sommes tout à fait ravis des réactions dépassant toute espérance des pays membres du Conseil, et de ceux qui ne le sont pas, à l'appui de cette résolution.

La résolution 1888 met en place les mécanismes pour l'application de la résolution. Nous espérons que ces résolutions dans leur ensemble aboutiront à une mise en œuvre plus largement répandue et à une plus grande reconnaissance des rôles que les femmes jouent dans les conflits, dans la paix et dans la sécurité.

Enfin, certains ont craint qu'avec la priorité accordée aux résolutions 1820 et 1888, nous perdions de vue la réalisation la plus importante, qui est la participation active des femmes dans le domaine de la paix et de la sécurité, en veillant à ne pas les renvoyer à un seul rôle de victimes. Oui, ce sont des victimes, et oui, elles ont besoin de protection, mais ce sont également des intervenantes actives dans tout le processus de paix, et c'est une réalité qu'il faut prendre en compte.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Je vous remercie, madame Mayanja. C'est un excellent aperçu du programme et cela va nous aider dans notre travail.

Linda Dale, directrice exécutive, Children/Youth as Peacebuilders : Je vous remercie de cette invitation et de l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je suis ravie de participer aux travaux de ce comité avec Mme Mayanja.

Je représente l'organisme Children/Youth as Peacebuilders, ou CAP. Celui-ci travaille depuis 10 ans avec les enfants et les jeunes vivant dans des régions dans lesquelles des conflits sont en cours ou viennent de se terminer. Nous mettons l'accent sur l'importance des droits de la personne, sur la participation et sur la citoyenneté des jeunes. Nous nous consacrons pour l'essentiel aux personnes âgées de 14 à 25 ans, et c'est sur ce groupe que je vais faire porter l'essentiel de mes commentaires. Ceux-ci tiendront également compte des résultats d'un projet de recherche que CAP vient de terminer sur l'ampleur, la nature et les répercussions des violences sexuelles contre les jeunes femmes en Colombie, dans le nord de l'Ouganda et au Cambodge.

Cette étude, intitulée, Vicious Circles, a bénéficié de l'appui de l'Unité du développement humain et de l'égalité entre les sexes de l'ACDI. La voici et, pour vous remercier de m'écouter aujourd'hui, j'ai l'intention d'en remettre à chacun d'entre vous une copie.

La résolution 1325 demande que les femmes et les filles soient protégées et que leurs droits soient respectés. Les jeunes avec qui je travaille se trouvent entre ces deux groupes, car ce ne sont plus des enfants et pas encore des adultes. Toutefois, nous savons fort bien qu'aujourd'hui la guerre se déroule de plus en plus sur le dos des jeunes, et que cela a de lourdes conséquences pour les jeunes femmes. J'aimerais vous faire part de quelques informations que nous avons recueillies à l'occasion de notre étude.

Tout d'abord, si les taux de violence sexuelle sont élevés aujourd'hui, ils sont extrêmes dans le cas des femmes les plus jeunes. Une étude, réalisée en 2009, a déterminé que 75,7 p. 100 des crimes sexuels déclarés en Colombie avaient été commis à l'endroit de femmes âgées de moins de 18 ans. Pendant la guerre qui s'est déroulée récemment dans le nord de l'Ouganda, l'Armée de résistance du Seigneur a agressé de plus de 40 000 enfants et jeunes. Les recherches du CAP montrent que l'âge auquel les femmes avaient le plus de chances d'être agressées était entre 11 et 14 ans. Les jeunes qui ont été agressés par le passé ont expliqué qu'ils voulaient des femmes plus jeunes qui soient « fraîches ». Les femmes âgées de plus de 18 ans étaient souvent tuées ou renvoyées chez elles.

Nos recherches nous ont ensuite permis d'observer que la violence sexuelle contre les jeunes femmes serait mieux décrite comme une arme dont l'utilisation a été planifiée systématiquement et intégrée de façon constante aux stratégies et aux activités des groupes armés. Elle sert à la fois à atteindre des objectifs militaires et à illustrer la vision que les groupes armés ont du monde. Dans la pratique, cela signifie que les types de violence sexuelle varient d'un cas à l'autre.

C'est ainsi que, dans Nord de l'Ouganda, les attaques contre les villages ne s'accompagnent pas normalement de viol de civils. Les jeunes filles sont plutôt enlevées par l'Armée de résistance du Seigneur pour en faire des femmes d'officiers et des combattants. Ces femmes sont gardées par l'ARS huit ans en moyenne. En ne comptant que deux agressions par semaine, cela représente donc 832 viols.

En Colombie, l'accent a été mis sur le contrôle des populations et des ressources. Les groupes armés occupent une région et dictent tous les aspects des comportements sociaux. Dans les régions occupées par les paramilitaires, des règles rigides sont imposées sur l'habillement et le comportement des jeunes femmes sous peine de sanctions graves. Elles doivent également se tenir à la disposition des paramilitaires, en tout temps. Comme les jeunes l'ont expliqué, les droits d'une fille prennent fin là où les droits du garçon commencent.

Nous avons également observé que les violences sexuelles contre les jeunes augmentent au sein de la population civile, à la fois pendant et après une guerre, et reprennent souvent les comportements des groupes armés, en particulier en ce qui concerne leur interprétation des rôles des deux sexes.

J'insiste sur ces points parce que ce sont des considérations importantes lorsqu'on réfléchit à la résolution 1325, à la nature des violences sexuelles, et également à l'élaboration du plan d'action du Canada, à l'apport que le Canada peut avoir pour la mise en œuvre de cette résolution, dont la portée est énorme et ambitieuse comme tout le monde en convient.

J'aimerais recommander que le Canada joue un rôle important dans la concrétisation de la résolution 1325 en insistant sur les droits et les besoins des femmes plus jeunes. Cela cadre avec les priorités des programmes de l'ACDI pour les enfants et les jeunes et pour leur protection. Le Canada a des compétences sur les questions de relations hommes femmes et sur les droits des jeunes. Il y a une logique à combiner ces deux éléments. Ce qui est plus important encore, c'est que des femmes âgées de moins de 25 ans ont été victimes pendant des périodes prolongées de violence et prises dans des conflits. Dans la mesure où elles constituent des leaders actuels et de demain pour procéder à des changements, elles ont besoin qu'on leur vienne en aide et qu'on leur prête attention.

J'ai trois suggestions à formuler. Tout d'abord, le Canada devrait assumer un rôle de leader en documentant les dimensions complexes de la violence sexuelle dans les conflits, en particulier quand elle touche les populations jeunes. Nous devons aller au-delà de l'hypothèse qu'il s'agit de simples attaques et remplacer celle-ci par une compréhension plus subtile de la façon dont la violence sexuelle est utilisée différemment dans chaque conflit. Cette compréhension est indispensable pour offrir une protection et un soutien efficace aux victimes. C'est important quand on fait du travail de prévention et d'éducation publique qui, je le répète, devrait impliquer activement aussi bien les hommes que les femmes.

Ma seconde suggestion est que le Canada apporte son appui aux programmes de formation et d'acquisition de capacités pour les jeunes leaders, en particulier les jeunes femmes, et qu'il se fasse le défenseur de leur implication directe dans les processus de paix à titre d'observateurs, de témoins et de négociateurs. Dans de nombreux cas, ces jeunes ont eu leur vie touchée de façon irrémédiable par la guerre, et il leur arrive fréquemment de m'expliquer qu'ils ont été utilisés dans la guerre, mais qu'on ne tient pas compte d'eux dans le processus de paix.

Ma troisième suggestion est que, dans son rôle au sein des Nations Unies et, éventuellement au Conseil de sécurité, le Canada contribue à la mise en œuvre de la résolution 1882 du Conseil de sécurité des Nations Unies, à qui il incombe de surveiller la situation des jeunes, dont les niveaux de violence sexuelle sont un indicateur important.

La résolution 1882 appartient à la famille des résolutions qui appuie les droits des femmes et elle est unique par les pouvoirs qu'elle confère de sanctionner les violations graves des droits. La réussite de la mise en œuvre de cette résolution au sein du système des Nations Unies pourrait constituer un précédent important pour les initiatives à venir sur la sécurité humaine.

Pour terminer, j'aimerais vous faire part d'une citation de Grace Arach, qui vient du nord de l'Ouganda. Mme Arach a été enlevée par l'Armée de résistance du Seigneur et tenue captive par celle-ci pendant cinq ans. Lorsqu'elle s'est échappée, elle est devenue un défenseur énergique des droits des filles et des mères célibataires. En reconnaissance du travail qu'elle a fait, New Vision, l'un des journaux nationaux ougandais, l'a nommée la femme ougandaise de l'année en 2009. Traitant récemment de l'intérêt des résolutions internationales pour protéger les jeunes, elle a déclaré : « Vous savez fort bien toutes les difficultés que nous avons vécues, mais quand des organisations importantes comme les Nations Unies montrent qu'elles s'occupent réellement de nous, cela nous fait nous sentir mieux. »

Grace Arach fait sa part, et nous devons faire la nôtre.

Le sénateur Jaffer : Ma première question s'adresse à Mme Mayanja. Merci d'avoir pris du temps pour nous. C'est agréable de vous voir à nouveau par vidéoconférence.

Vous avez abordé un certain nombre de sujets. Nous avons également eu une présentation du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. J'aimerais vous demander quelle évaluation vous faites du travail de ce département, en particulier du travail que font ses conseillers sur les relations hommes femmes et en ce qui concerne ses missions de maintien de la paix. Quelle évaluation en faites-vous? Je réalise fort bien que cela vous met en situation difficile, mais étant donné le rôle spécial qui est le vôtre, comment évaluez-vous le travail de ce département en ce qui concerne la résolution 1325 et toutes les autres résolutions qui en découlent.

Mme Mayanja : Je vous remercie de cette question. Je suis ravie de vous voir à nouveau, sénateur Jaffer, même si c'est par vidéoconférence.

C'est une question difficile. Je vais commencer par vous dire que les Nations Unies ont parcouru un long chemin. De ce point de vue, je crois qu'elles ont très bien fait.

En ce qui concerne l'égalité entre les sexes dans les processus de paix, j'aimerais subdiviser la question en examinant la situation dans les pays qui fournissent des troupes, les troupes que nous avons là, et les policiers que nous avons. Je ne crois pas que nous ayons suffisamment de femmes dans ces deux domaines importants qui nous aideraient pourtant à rejoindre ces femmes qui ont été victimes de ces conflits.

Mme Linda Dale vient tout juste de vous parler des répercussions de la violence sur les jeunes femmes. Lorsque vous avez été violentée par un homme en uniforme, peu importe que son béret ait été bleu ou d'une autre couleur. Les femmes concernées craindront toujours que les hommes en uniforme les attaquent. La conclusion qu'elles en tirent est que, lorsqu'elles en voient, elles doivent partir en courant.

C'est pourquoi il est essentiel que les Nations Unies aient des femmes en uniforme. C'est un domaine dans lequel nos résultats sont décevants. Cela tient au fait qu'il en va de même dans les pays membres. Les Nations Unies sont un reflet de ce qui se passe dans ces pays. Je dirais donc qu'en ce qui concerne le fait d'avoir des femmes qui peuvent rejoindre les enfants qui ont été victimes de ces conflits et des femmes qui ont été violentées, nous ne sommes pas encore au niveau auquel j'aimerais voir les Nations Unies.

Quant aux conseillers sur les relations hommes femmes, cela est un nouveau développement qui a nettement amélioré l'efficacité des missions des Nations Unies, en particulier quand ces conseillers s'efforcent de combler les lacunes que je viens d'évoquer. Nombre d'entre eux sont très créatifs. Ce sont des formateurs; ils rejoignent les femmes, la collectivité. Ce sont des conseillers; ils informent le personnel des Nations Unies et les gens qui participent à la mission. La solution consistant à avoir des conseillers sur les relations hommes femmes dans chacune des missions est tout à fait louable.

J'ajouterais également que le Département des opérations de maintien de la paix a fait sienne l'urgence de l'intégration des sexes. Nous interprétons la résolution comme imposant de tenir compte de l'intégration des sexes dans tous les processus de paix, et le département a élaboré ses propres politiques en la matière. Il assure la formation du personnel, aussi bien civil que militaire, en intégration et les conseillers sur les relations hommes femmes ont joué un rôle important dans ce domaine. Dans l'ensemble, je dirais qu'il a bien fait.

Le sénateur Jaffer : Lorsque je me suis rendue au Darfour, j'ai observé qu'on nous demandait avec insistance des policières pour aider à mener les enquêtes sur les viols. Vous avez tout à fait raison de dire que nos pays membres ne sont pas très performants quand il s'agit d'avoir des femmes dans les corps policiers et les forces armées, et il est donc difficile d'obtenir des femmes dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Vous avez précisé que vous assurez la formation de gens sur la résolution 1325 et cherchez des façons d'amener les pays membres des Nations Unies à accroître le nombre de femmes dans leurs forces armées et leurs corps de police. Faites-vous quelque chose de particulier pour inciter les pays membres à accroître le nombre de femmes dans les forces armées et dans les corps policiers dans leurs propres pays?

Mme Mayanja : Oui. En réalité, lors des deux réunions pour mener des dialogues de haut niveau que nous avons organisés en Amérique latine et en Afrique, nous avons précisément mis l'accent sur cet aspect des choses. Nous avons constaté que le Département des opérations de maintien de la paix travaille avec les pays qui envoient les troupes, mais d'autres pays pourraient éventuellement fournir aussi des troupes par la suite, ou des forces policières, et ils doivent s'y préparer. Cela a été au cœur du programme que nous avons organisé et de mes fonctions de défenseur de la cause pour rappeler aux États membres que s'ils veulent que les Nations Unies s'améliorent en la matière, ils doivent accroître le nombre de femmes dans leurs forces armées et leurs corps policiers. La résolution ne limite pas l'obligation d'avoir des femmes dans des postes importants au Secrétartiat général ou au système des Nations Unies; il incombe également aux États membres de faire de même.

Comment s'y prendre pour y arriver? Tout d'abord et avant tout, nous devons impliquer les ministères concernés. Quand nous avons réuni ensemble les représentants des ministères de la Défense dans ce dialogue de haut niveau en Amérique latine, il y avait une femme ministre de la défense qui nous a dit que c'était la première fois qu'elle entendait parler de cette question. Personne ne lui en avait parlé auparavant. Comment aurait-elle pu améliorer sa performance en la matière alors qu'elle n'était pas au courant?

Cela me paraît essentiel. L'application de cette résolution ne se limite pas aux ministères responsables des questions touchant les femmes et les relations hommes femmes. Il faut bien le comprendre et les gouvernements doivent faire davantage pour nous aider à l'expliquer aux ministères de la Défense et de l'Intérieur.

Le sénateur Jaffer : Mme Dale, c'est la première fois depuis que nous tenons ces audiences du comité que quelqu'un traite du problème de jeunes. Ayant passé un certain temps dans le nord de l'Ouganda, je sais que les filles sont enlevées non seulement de leur communauté, mais également des pensionnats la nuit. C'est un vrai problème.

Vous avez dit que l'Armée de résistance du Seigneur cherche des jeunes filles. À ce que j'ai pu constater sur place, lorsque ces filles sont sauvées ou ramenées dans le Nord de l'Ouganda, aucun programme ne les aide à s'intégrer à nouveau dans leurs familles. Il arrive que leurs familles les rejettent et il n'y a absolument rien pour aider ces filles à réintégrer leurs communautés. Il se peut que les choses aient évolué depuis. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est?

Mme Dale : J'aimerais que les choses aient changé, mais je ne le crois pas. Elles bénéficient au départ d'un peu d'aide dans les centres de réception, mais comme vous le savez probablement, nombreuses sont celles qui retournent discrètement dans leurs collectivités, parce que leur réputation sera entachée à jamais si on savait qu'elles sont passées par l'un de ces centres de réception. C'est encore plus dur pour elles parce qu'elles ont souvent des enfants.

C'est là un volet bien réel et complexe de la dimension affective. Elles retournent dans leurs familles, dans lesquelles elles ont des relations très ambiguës avec les autres personnes parce qu'elles sont souvent mères elles-mêmes. Ces familles entretiennent des relations très compliquées avec les enfants nés en captivité, qui constituent une population ayant réellement besoin de beaucoup d'aide, comme vous le savez.

Un autre problème, pour lequel je ne sais pas avec certitude ce que nous faisons, est qu'au sein de la communauté internationale, pour obtenir de l'aide, les filles doivent continuer à être considérées comme des victimes. Oui, ce sont des victimes, mais pas des victimes pour l'éternité. Le problème est qu'elles comprennent parfois, et c'est là une perception renforcée par certains de nos services, qu'elles doivent considérer qu'elles appartiennent toujours à la même catégorie auprès de l'ARS, ce qui est souvent un comportement autodestructeur pour elles.

Les complications qui apparaissent lors de leur retour sont énormes. Sénateur Jaffer, je crois que vous êtes née en Ouganda, et vous savez donc très bien que la situation y est très compliquée pour elles.

L'une des choses dont je suis très fière est qu'en 1998 j'ai organisé un atelier d'art avec des filles qui sortaient tout juste de la brousse. J'ai trouvé cela troublant, parce qu'elles ne pouvaient rien faire concernant l'actualisation de soi. Elles ne voulaient que dessiner leurs maris. Sept ou huit ans plus tard, elles me parlaient davantage de qui elles étaient. On réalise alors que c'est un cheminement long et compliqué pour elles.

Le sénateur Nancy Ruth : Madame Mayanja, j'aimerais vous interroger au sujet de GEAR, la Réforme des Nations Unies visant à renforcer l'architecture de l'égalité des sexes. Il faudra au moins une autre année avant qu'elle ne se concrétise, si ce n'est plus. Quelles répercussions cette réorganisation des organismes des Nations Unies qui se consacrent aux femmes aura-t-elle sur les priorités et les ressources disponibles pour mettre en œuvre la résolution 1325 et ses résolutions sœurs?

Mme Mayanja : C'est une question évidemment très préoccupante, en particulier, pendant cette crise financière. Avec celle-ci, de nombreux pays vivent une période difficile.

Lorsque la proposition de consolidation des quatre unités qui se consacrent aux questions de sexe a été faite, on a constaté que, dans leur ensemble, elles disposaient de très peu de ressources, même si elles recevaient beaucoup de demandes d'aide des États membres. Il est manifeste que la résolution 1325 a entraîné beaucoup de demandes d'aide des États membres sur la façon d'intégrer les dispositions de la résolution à leurs plans nationaux d'action ou à leur législation nationale. On s'attend à ce que la consolidation de ces quatre unités en une nouvelle entité s'occupant des questions de sexe renforce la capacité des Nations Unies à venir en aide aux États membres. Le fait de les regrouper en une seule organisation devrait éliminer la fragmentation, lui permettre de cibler davantage sont action et d'être en mesure de lever des fonds pour assumer les mandats qui seront les siens, qui sont actuellement répartis entre quatre entités.

À mon avis, cela n'a que de bons côtés. Dans la situation actuelle, mon bureau devrait s'adresser au gouvernement du Canada pour lui demander des ressources afin de me permettre de travailler sur les activités de coordination et de défense. L'UNIFEM aurait également besoin de ressources et pourrait s'adresser aux États membres, un par un, parce que c'est l'organisme opérationnel. Nous avons également l'INSTRAW, notre groupe de recherche et de gestion des connaissances, qui ferait la même chose. Dans la situation antérieure, les ressources auraient dû être partagées entre quatre entités alors que maintenant, une fois les ressources fournies, l'entité va se réorganiser, faisant le lien entre les quatre mandats pour être en mesure de permettre la mise en œuvre des résolutions. C'est une bonne solution qui aboutira à un résultat plus cohérent.

Le sénateur Nancy Ruth : Espérons qu'il en soit ainsi. Comme toujours, les demandes de ressources dont les femmes ont besoin sont toujours en concurrence avec toutes les autres demandes. Je me demande si la prochaine série d'intégration des questions de sexe bénéficiera de budgets additionnels. Je crains un peu à vous entendre que, face aux difficultés mondiales actuelles, on vous dise : « Hélas, madame, il n'y a plus d'argent. » Est-ce ce que vous êtes en train de nous dire?

Mme Mayanja : Non, ce n'est pas ce que je dis. Je dis qu'étant donné la crise mondiale, chacun fait attention à la façon de dépenser son argent.

Nous avons prouvé que le fait d'investir dans les femmes est une bonne solution pour tout le monde. Alors que de plus en plus d'États membres en conviennent, nos chances d'obtenir les ressources dont nous avons besoin s'améliorent.

Permettez-moi d'aborder la question du développement durable. Nous n'aurons pas de développement durable si nous en excluons plus de la moitié de la population que nous essayons d'aider à se développer. Je crois que ce message est clair : nous devons investir pour permettre aux femmes de se prendre en main.

Je dis simplement que la concurrence va être serrée et ardue pour obtenir sa part des ressources disponibles.

Le sénateur Nancy Ruth : Je m'adresse à vous deux. Plus tôt ce matin, un témoin du Hunt Alternatives Fund, Mme Carla Koppell, a laissé entendre que nous devrions laisser de côté une approche basée sur les droits à la résolution 1325 et aux questions touchant les femmes et considérer qu'il s'agit plutôt d'une question de sécurité. Si nous devions suivre cette voie et impliquer énergiquement les hommes dans la défense de cette cause, croyez-vous que nous aurions davantage de succès à mettre de l'avant le programme à la défense des femmes et jeunes des filles?

Mme Mayanja : Je ne partage pas cette opinion. Je crois que les questions de sécurité impliquent les droits des femmes. Nous venons tout juste d'entendre Mme Dale parler des droits des jeunes femmes victimes d'insécurité. Je pense donc que laisser de côté une approche reposant sur les droits ne permettrait pas de résoudre les problèmes de sécurité.

Ce qui est en jeu maintenant est qu'on utilise les corps des femmes comme des terrains de bataille. Leurs droits sont donc totalement violés. Elles ne sont pas traitées comme des êtres humains. Aborder cette question d'un point de vue de sécurité signifie-t-il mettre fin à la guerre ou arrêter de percevoir leurs corps comme un champ de bataille? Ce n'est pas clair pour moi, mais ce que je sais sans ambiguïté est que les droits de la personne, des femmes et des jeunes filles doivent être garantis et protégés. La seule façon de le faire pour le Conseil de sécurité est d'aborder les droits de ces femmes du point de vue de la sécurité. Vous ne pouvez pas faire la distinction entre les deux et n'adopter qu'un point de vue de sécurité en faisant l'hypothèse que les questions de droit vont suivre, si vous permettez l'expression. Je ne crois pas que ce serait le cas. Nous avons besoin d'une approche aux questions de sécurité qui tient compte des droits.

Mme Dale : J'aurais aimé parler la première. Elle a été tellement éloquente et convaincante qu'il est difficile d'en rajouter.

Je partage l'intégralité de ce que Mme Mayanja a dit. Je comprends que le fait d'aborder ces questions en termes de sécurité est une façon de mettre en œuvre les droits de la personne. Ces droits de la personne constituent la pierre d'achoppement de la façon dont nous voulons aborder cette question et la volonté de faire respecter les droits de la personne est la vision qui va éclairer notre travail.

Si nous la limitons à une question de sécurité sans y voir une question de droits de la personne, cela nous amènera probablement à réfléchir uniquement en termes de bataille, de situations prioritaires au moment en cas de guerre, et nous savons tous fort bien que la violence sexuelle augmente en réalité après les conflits. L'approche privilégiant la sécurité ne sera probablement pas efficace alors que j'espère que celle privilégiant les droits de la personne le sera.

Le sénateur Nancy Ruth : Je suis ravie d'entendre cela. Je compte parmi les femmes qui sont d'avis que si on ne parle pas de nous, nous n'existons pas. Je suis d'accord avec vous.

La présidente : Il y a une tendance à parler de femmes et des enfants qui ont été agressés sexuellement comme des victimes, essentiellement comme des personnes qui ont été victimes d'un crime, pour mettre l'accent sur les agresseurs. Ce phénomène, qui me paraît positif, se manifeste-t-il à propos de la résolution 1325 et des résolutions qui en découlent?

Mme Mayanja : Oui. Cela semble être un nouveau phénomène. Il s'est cependant révélé le plus difficile. Lors de nos dialogues de haut niveau, une recommandation a été faite pour accroître le nombre de trois à quatre, et la quatrième serait les poursuites. Le problème auquel nous avons été confrontés jusqu'à maintenant a été la difficulté de poursuivre les auteurs de ces actes.

Il en a été ainsi pour toute une série de raisons. Tout d'abord, je ne crois pas qu'il y ait eu de volonté politique de la part des responsables qui devrait poursuivre les auteurs de ces crimes. En second lieu, la situation anarchique dans laquelle les gens travaillent est telle que personne ne peut garantir la qualité des services, comme les services de police, d'incarcération et judiciaire, pour parvenir à appliquer la loi. Le troisième point a trait à la culture dans laquelle nous avons travaillé. Dans celles-ci, les délits sexuels ne doivent pas être discutés en public ou reconnus. Quand quelqu'un le fait, cette personne est ostracisée, rejetée, ce qui complique notre tâche pour poursuivre les agresseurs.

Heureusement, grâce aux résolutions 1820 et 1888, nous sommes incités à être plus énergiques. J'espère que cela pourra passer du niveau mondial au niveau national, afin que les responsables nationaux, les leaders, réalisent qu'il leur incombe de poursuivre les agresseurs et que cela constitue un exercice valide de leur responsabilité de dirigeants.

Mme Dale : Une fois encore, je suis parfaitement d'accord avec ce qu'a dit Mme Mayanja. J'aimerais ajouter deux choses en ce qui concerne les jeunes.

Comme Mme Mayanja vient de le dire, les cultures dans lesquelles nous travaillons estiment souvent qu'il est pire d'avoir été victime de violence sexuelle que d'avoir été l'auteur de la violence. Cela doit sans aucun doute changer. L'impunité dont les auteurs de ces violences ont profité par le passé doit disparaître.

Je m'entretenais l'autre jour avec Grace Arach, et elle m'a affirmé qu'elle trouve terrible de voir ces officiers qui ont commis des sévices sexuels marcher dans les rues de Goulu et entrer dans des cafés. Ces femmes n'ont pas assez d'argent pour aller dans des cafés, mais les officiers en ont. C'est fondamentalement injuste.

Le mouvement découlant de la mise sur pied de la Cour pénale internationale et de la reconnaissance des violences sexuelles comme un crime contre l'humanité prend de l'ampleur. C'est très important.

Pour ajouter un commentaire concernant la résolution 1882, qui traite essentiellement de la situation des jeunes dans les zones de conflit, le fait que le délit de violence sexuelle ait été ajouté en août comme l'un des principaux indicateurs pour analyser la situation des jeunes est d'une importance extrême. Cette résolution permet, et elle est la seule parmi celles du Conseil de sécurité, de sanctionner les personnes qui violent gravement les droits des enfants. On observe que le mouvement qui affirme qu'elles ne devraient pas pouvoir le faire et qu'elles devraient être punies si elles le font prend de l'ampleur.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie toutes deux. Vos témoignages étaient très convaincants.

Nombre des questions que j'avais ont déjà été posées et ont obtenu des réponses, mais je m'intéresse à la question évoquée par Mme Mayanja du jumelage de pays. Pour commencer, pourriez-vous nous fournir davantage de détails sur ce programme? Ensuite, pourriez-vous nous dire si le Canada y a participé? Enfin, que faudrait-il pour que le Canada puisse y participer?

Mme Mayanja : Je vous remercie de ces questions, sénateur Mitchell. En commençant par répondre à la seconde, non le Canada n'a pas participé à ce programme. C'est un développement récent. En mars dernier, le gouvernement du Liberia, avec la présidente de ce pays et le président de la Finlande, ont organisé un colloque international sur le leadership des femmes en matière de paix et de sécurité, et la résolution 1325 a été l'un des sujets abordés lors de ce colloque. Je dois dire que la gouverneure générale était là et a prononcé un discours très marquant. C'est à ce colloque que l'idée des jumelages est apparue et a fait l'objet de discussions. Un certain nombre de pays ont fait part de leur intérêt. L'Irlande aimerait se jumeler avec le Kenya, à ce que je crois savoir. Il me semble que c'est une idée à laquelle le Canada pourrait adhérer, et il pourrait, par exemple, se jumeler avec l'Ouganda et avec certains autres pays en voie de développement, qui sortent de conflit et qui ont déjà élaboré un plan national d'action.

Il s'agit de permettre à chacun d'apprendre de l'autre. Le Canada a déjà fait un certain nombre de choses en prenant le leadership du groupe Friends of 1325, en s'engageant à mettre en œuvre la résolution, à respecter l'égalité des sexes et à permettre aux femmes de se prendre en main, de prendre la parole. Dans le cadre du Centre Pearson de formation en maintien de la paix, de nombreuses autres contributions ont permis de regrouper des policiers et des militaires pour discuter de l'intégration des sexes dans ces domaines. Ces idées pourraient être partagées avec un autre pays.

Le terme de jumelage peut parfois prêter à confusion, parce que certains l'interprètent comme le regroupement des forces de trois pays. Il s'agit ici d'apprendre l'un de l'autre et de voir comment nous pouvons nous appuyer mutuellement dans l'élaboration et la mise en œuvre des plans nationaux d'action. C'est une approche que je recommanderais vivement au Canada de retenir.

Le sénateur Mitchell : Le Canada ne s'est pas encore doté d'un plan national d'action sur la résolution 1325, et il nous reste donc beaucoup de travail à faire pour commencer. Ce comité exercera des pressions en ce sens.

Madame Dale, vous avez parlé de la nécessité d'impliquer les enfants ou les jeunes dans le processus de reconstruction à la suite des guerres. Pourriez-vous nous fournir plus de détails?

Voulez-vous dire qu'ils devraient être présents parce que c'est important pour leur guérison ou parce qu'ils ont des points de vue particuliers? Je suis sûr qu'ils en ont. Les points de vue particuliers des jeunes ont-ils eu des effets ou sont- ils traités avec condescendance dans ce processus?

Mme Dale : avant de répondre à votre question, j'aimerais faire un commentaire en réponse à la question du sénateur Andreychuk sur les auteurs des délits et sur la disparition de l'impunité dont ils ont profité par le passé. Je suis fermement convaincue que les hommes pourraient jouer un rôle important dans ce travail. La plupart de ceux que je connais, et que tout le monde connaît ne participent pas à des violences sexuelles. Ils doivent de plus en plus se tenir debout et dire : « Ce n'est pas nous qui faisons cela. Cela ne nous concerne pas. Ce ne sont pas tous les hommes. Nous ne voulons pas tolérer cela. » Je crois que les hommes pourraient jouer un rôle important dans ce domaine.

Pour répondre maintenant à votre question sur la participation des jeunes au processus de paix, je crois qu'elle est importante pour deux raisons. Une fois encore, je vais me servir en partie de l'exemple du Nord de l'Ouganda. La guerre dans cette région est souvent considérée comme une guerre contre les enfants. Elle a duré pendant 20 ans. Nombre des jeunes enfants qui ont participé à cette guerre, parfois après avoir été enlevés, étaient dans la vingtaine quand le processus de paix a débuté, et nous du CAP et d'autres organisations s'occupant des jeunes qui avons demandé à ce qu'ils aient au moins le statut d'observateur, les avons entendu dire : « C'est notre histoire. Notre histoire doit être honorée et reconnue. » Cela n'a pas été accepté. Nous avons même dit que nous ferions des pieds et des mains à l'avance et on nous a dit : « Non, vous ne pouvez pas. »

C'est là une omission majeure, en particulier si vous voulez que les jeunes mettent de côté une histoire très difficile pour travailler de façon dynamique au renouvellement de leur culture et de leur société. De ce point de vue, pas uniquement à titre individuel, ils ont une contribution à faire. Ils ont beaucoup d'énergie. Les jeunes avec qui je travaille parlent sans cesse d'avoir l'avenir qui leur convient, et non pas celui qu'on a défini pour eux.

Je crois que chaque génération refait son monde. Si nous ne travaillons pas en parallèle avec les jeunes, qui n'ont fort souvent eu qu'une expérience très limitée de la démocratie, des droits de la personne et de la citoyenneté, si nous ne commençons pas à travailler avec eux pour les accompagner, je crois que nous devrons tout refaire à neuf dans 10 ans.

Le sénateur Jaffer : Si vous le désirez, vous pouvez aussi nous faire parvenir quelque chose par écrit, madame Mayanja. Nous n'avons pas eu l'occasion de vous interroger sur les réussites des Nations Unies jusqu'à maintenant avec les questions d'intégration des sexes et sur votre point de vue concernant ce travail.

Mme Mayanja : Merci beaucoup, sénateur Jaffer. C'est une longue histoire. Comme vous l'avez proposé, nous vous ferons parvenir quelque chose.

L'intégration des sexes et un point permanent au programme du Conseil économique et social des Nations Unies. Nous sommes tenus d'intégrer les questions de sexe à tous nos travaux.

En ce qui concerne la résolution 1325, mon bureau a commencé rapidement à approcher divers départements pour les aider à définir leurs besoins afin de parvenir à intégrer ces questions de sexe. Nous avons commencé par faire de la formation et par collaborer avec différents départements, et ceux-ci nous ont incités à nous pencher sur leur propre politique dans ce domaine. Cela nous a permis de constater que la question des relations hommes femmes a été intégrée, par exemple, à tous les programmes de lutte contre les mines, ce dont nous sommes fiers. Le Département des opérations de maintien de la paix et le Département des affaires politiques ont des politiques en la matière. Tous ces départements qui s'occupent des questions touchant les femmes, la paix et la sécurité ont produit des énoncés de politique, quelle que soit leur forme, sur l'intégration des sexes, et ils reconnaissent que ces questions font partie de leur travail. Je dois dire que nous avons fait des progrès, mais qu'il reste encore beaucoup à faire.

La présidente : Au nom du comité, j'aimerais remercier Mme Mayanja de s'être entretenue avec nous à partir des Nations Unies et Mme Dale d'être venue parmi nous. Nous avons eu l'occasion d'aborder certaines des grandes questions d'un point de vue international. Madame Dale, vous avez bien ciblé la question des enfants qui se sont trouvés dans des conflits dans le Nord de l'Ouganda et ailleurs. Les suggestions que vous avez faites et les renseignements que vous nous avez donnés nous ont été très utiles. Nous vous remercions d'avoir participé à cette discussion ce matin.

(La séance est levée.)


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