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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 7 décembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes, se réunit aujourd'hui, à 14 h 10, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi et examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle des enfants dans notre pays et dans les communautés particulièrement touchées.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue. J'espère que vous pouvez m'entendre. J'ai perdu mon ouïe, alors je ne sais pas si je vous crie après ou si je parle à voix basse.

Nous sommes ici pour examiner le projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et édictant certaines autres mesures afin de fournir aide et protection aux victimes du trafic de personnes. Nous avons entendu des témoins auparavant, puis, lorsque le projet de loi nous a été renvoyé dans sa forme actuelle, nous avons entendu le sénateur Carstairs, le promoteur du projet de loi. Nous avons également entendu les hauts fonctionnaires du ministère à ce sujet. Ensuite, nous avons fait circuler les témoignages et nous avons demandé aux témoins qui avaient comparu auparavant s'ils avaient d'autres observations à formuler. Je crois comprendre que nous avons reçu des réponses.

Adam Thompson, greffier du comité : Deux groupes nous ont répondu. Ces réponses ont été déposées dans les bureaux des sénateurs vers la fin de la semaine dernière.

La présidente : Bien que les réponses contiennent des observations utiles, je pense que certaines personnes sont toujours préoccupées. Dans l'ensemble, je crois comprendre qu'elles étaient d'accord pour que nous fassions avancer le projet de loi dans un premier temps.

Chers sénateurs, nous sommes prêts à procéder à l'étude article par article, sauf que le sénateur Jaffer avait soulevé un point à propos de l'annulation des autorisations de protection. Je pense qu'il y a eu un malentendu quant au laps de temps dont le ministère disposait pour réfléchir à la question et donner une réponse au sénateur.

Cependant, je pense qu'ils seraient prêts à y répondre devant le comité. Si le comité veut bien faire preuve d'indulgence, je demanderais aux hauts fonctionnaires de se préparer à témoigner. J'aimerais d'abord que tous les témoins se présentent afin que leurs noms figurent dans le compte rendu.

Sarah Wells, analyste des politiques, Politique et programmes sociaux, Direction générale de l'immigration, Citoyenneté et Immigration Canada : Je m'appelle Sarah Wells. Je suis analyste à la Direction générale de l'immigration de Citoyenneté et Immigration Canada.

Eric Stevens, conseiller juridique, Services juridiques, Citoyenneté et Immigration Canada : Je m'appelle Eric Stevens et je suis membre des Services juridiques de Citoyenneté et Immigration Canada.

La présidente : Avec la permission du comité, je demanderais au sénateur Jaffer d'exposer son point pour le compte rendu.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup, monsieur le président.

Ce qui me préoccupait, c'était le fait que l'autorisation de protection pouvait être annulée en tout temps. La dernière fois, les représentants du ministère nous avaient expliqué qu'ils voulaient accorder explicitement aux agents d'immigration le pouvoir discrétionnaire d'annuler l'autorisation de protection d'une victime du trafic de personnes, si les circonstances le justifiaient.

La dernière fois, j'avais demandé si, au lieu de nous en tenir à l'expression « révocable en tout temps », nous ne pourrions pas y ajouter les mots « quand les circonstances le justifient ». Si j'ai bien compris, vous avez étudié la question depuis, et vous m'avez fourni, dans un très bref délai, une excellente explication des raisons pour lesquelles cette formulation n'était pas acceptable. Votre explication me satisfait. Toutefois, je vais vous demander de lire la lettre ou d'expliquer vos raisons afin qu'elles figurent également au compte rendu.

La présidente : Pour le compte-rendu, pourriez-vous nous donner votre réponse à la question dont le sénateur Jaffer parlait?

M. Stevens : Je vous remercie d'avoir posé la question et de nous donner l'occasion d'y répondre.

D'abord, j'aimerais mentionner que les mots « révocable en tout temps » figurent dans les lois sur l'immigration depuis des décennies. La loi actuelle utilise les mêmes mots lorsqu'elle fait allusion à tous les permis de séjour temporaire et les visas de résident permanent.

En outre, j'aimerais signaler aux sénateurs qu'il y a de nombreuses années, la Cour suprême du Canada a examiné ces mots dans le cadre de l'affaire intitulée Ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration c. Hardayal. Il s'agit d'une cause portée devant la Cour suprême du Canada en 1978, et M. Spence, qui était alors juge, avait examiné précisément ces mots et avait expliqué que la révocation en tout temps ne devait avoir lieu que si ses motifs étaient acceptables et justes.

C'est ainsi que nous entendons ces mots traditionnellement. Au fil des ans, nous avons ajouté des procédures au manuel afin de veiller à ce que les personnes soient traitées équitablement.

De plus, lorsqu'il est question de protéger des victimes, le principe d'interprétation des lois — selon lequel la loi doit être interprétée librement afin de mieux respecter son esprit — influera également sur la façon dont tout tribunal comprendra la portée des mots « révocable en tout temps. »

Le sénateur Jaffer : Avez-vous autre chose à jouter?

Cette explication me satisfait, je ne demanderai donc pas que cette disposition soit modifiée. Je ne proposerai pas un amendement.

La présidente : Merci.

Pourrais-je demander si d'autres sénateurs prévoient proposer des amendements, quels qu'ils soient, à part ceux que nous avons reçus en tant que série d'amendements sur lesquels le ministère, le gouvernement et le sénateur Carstairs sont tombés d'accord? Je ne vois personne lever la main.

Étant donné que le ministère et le sénateur Carstairs ont négocié la série d'amendements et que tous les sénateurs sont d'accord, nous pouvons procéder à l'étude article par article du projet de loi S-223. Lorsque nous en viendrons aux amendements, le sénateur Jaffer sera là pour les présenter, avec l'accord du sénateur Carstairs, je pense. Par ailleurs, le ministère a accepté ces amendements. Nous pouvons donc aller de l'avant.

Honorables sénateurs, le comité consent-il à procéder à l'étude article par article du projet de loi S-223?

Des voix : D'accord.

La présidente : Personne ne s'est prononcé contre. L'étude du titre est-elle différée?

Des voix : D'accord.

La présidente : Personne ne s'est prononcé contre. L'étude de l'article 1 est-elle différée?

Des voix : D'accord.

La présidente : Tout le monde est d'accord? Personne ne s'y oppose? D'accord.

L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Jaffer : Si vous me le permettez, j'ai un amendement à apporter à l'article 2 qui consiste à remplacer les lignes 6 à 18 de la page 1. Essentiellement, nous devons nous assurer que le libellé est identique à celui des autres mesures législatives. On doit parler de « traite des personnes » au lieu de « traite de personnes ». Mon amendement a pour objet d'ajouter la locution « traite des personnes ».

La présidente : Je crois que tous les sénateurs ont reçu la série d'amendements, nous pouvons donc suivre les modifications.

Vous proposez que l'on modifie l'article 2 du projet de loi S-223 en remplaçant les lignes 6 à 18 de la page 1 par les lignes suivantes :

La présente partie a pour objet de prévoir des mesures législatives spécifiques pour fournir aide et protection aux victimes de la traite des personnes qui se trouvent au Canada sans statut juridique en leur donnant le moyen de régulariser leur statut à titre de résidents temporaires et en leur facilitant l'acquisition éventuelle du statut de résident permanent dans les circonstances appropriées.

Je crois que le sénateur Jaffer nous a expliqué pourquoi cette modification était nécessaire. Quelqu'un veut-il en discuter?

Consentez-vous à adopter la motion?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

L'article 2 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Vous êtes d'accord? L'article 2 est adopté.

Nous passons à l'article 3. Je crois que le sénateur Jaffer a un amendement à proposer.

Le sénateur Jaffer : Je voudrais modifier l'article 3 en remplaçant les lignes 1 à 16 de la page 2 par les suivantes :

24.1 (1) Au présent article et à l'article 24.2, « victime de la traite des personnes » s'entend d'un étranger qui est victime, au sens de l'article 2 du Code criminel, de l'infraction prévue à l'article 279.01 de cette loi ou à l'article 118 de la présente loi.

(2) Sur demande d'un étranger qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, l'agent peut délivrer un permis de protection des victimes de traite — révocable en tout temps — autorisant l'étranger à séjourner

Après le mot « séjourner », le reste est identique. C'est l'amendement que je propose.

La présidente : Honorables sénateurs, vous avez le texte devant vous et les parties modifiées sont soulignées. Pouvons-nous considérer que l'amendement a été lu?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. Honorables sénateurs, consentez-vous à adopter la motion du sénateur Jaffer?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 3 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 4?

Le sénateur Jaffer : Si vous regardez à la page 2, l'amendement remplacera les lignes 21 à 31. La première modification est la même que celle dont nous avons parlé précédemment...

La présidente : Nous avons déjà adopté les trois parties de l'amendement, nous passons donc à l'article 4. Nos collègues ont considéré les modifications comme lues; je pense que vous nous en avez donné la raison. Passons à l'article 4 de la page 3. Je pense que vous voulez y proposer un amendement.

Le sénateur Jaffer : J'aimerais modifier les lignes 39 à 41 de la page 3 en y ajoutant ce qui suit : « ... d'un permis de protection des victimes de traite. »

La présidente : Cette motion modifie les lignes 39 à 41en y substituant ce qui suit : « ... d'un permis de séjour temporaire ou titulaire d'un permis de protection des victimes de traite. »

Le sénateur Jaffer : Après le mot « protection », je veux ajouter la locution « des victimes de traite ».

La présidente : Honorables sénateurs, consentez-vous à adopter la motion?

Des voix : D'accord.

La présidente : D'accord. L'article 4 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 4 est adopté.

Le sénateur Jaffer : Je vais continuer à la ligne 45 de la page 3. Encore une fois l'amendement que je veux apporter à l'article 5 se lit comme suit : « poraire ou du permis de protection des victimes de traite. » J'ai ajouté la locution « des victimes de traite.»

La présidente : Honorables sénateurs, consentez-vous à adopter l'amendement?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 5 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 5 est adopté.

Passons à l'article 6.

Le sénateur Jaffer : L'amendement à apporter à l'article 6 est identique. Aux lignes 49 et 50 de la page 3, j'ajoute la locution « des victimes de traite » après le mot « protection ».

La présidente : Consentez-vous à adopter la motion visant à modifier l'article 6?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

L'article 6 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 6 est adopté.

L'article 7 est-il adopté?

Le sénateur Jaffer : Nous devons rejeter cet article. Il n'y a aucune modification à apporter aux articles 7 et 8.

M. Thompson : Permettez-moi de vous expliquer ce qu'il en est. Le sénateur Carstairs et le ministère ont convenu de supprimer les articles 7 et 8. Sur le plan de la procédure, une motion visant à supprimer un article n'est pas recevable. Si le comité désire supprimer un article, la façon appropriée de le faire serait de rejeter l'article.

La présidente : L'article 7 est-il adopté?

Des voix : Non.

La présidente : Par conséquent, l'article est rejeté.

L'article 8 est-il adopté?

Des voix : Non.

La présidente : L'article est rejeté.

Il y a un amendement à apporter à l'article 9.

Le sénateur Jaffer : Je propose la modification suivante :

La présente loi entre en vigueur un an après la date de sa sanction ou à la date antérieure éventuellement fixée par décret.

La présidente : Honorables sénateurs, consentez-vous à adopter la motion?

Le sénateur Dallaire : Est-ce parce que le ministère ne peut pas mettre en œuvre la loi plus rapidement?

Le sénateur Jaffer : Je crois comprendre que le ministère sera peut-être en mesure de la mettre œuvre en temps voulu, mais, si ce n'était pas le cas, il disposerait d'une année pour le faire. Ils doivent élaborer le Règlement, et ainsi de suite.

Le sénateur Dallaire : Cela nécessite plus de six mois?

Le sénateur Jaffer : C'est ce que je crois comprendre.

Martha Vaughan, gestionnaire, Division de la santé des femmes, Direction des programmes, Santé Canada : Selon cette disposition, je crois comprendre que si nous terminons le travail en six mois, la loi peut être mise en œuvre à ce moment-là. Toutefois, nous avons jusqu'à une année pour achever le travail.

Le sénateur Dallaire : Jusqu'à une année ou jusqu'à une date plus rapprochée établie par décret du gouverneur en conseil.

La présidente : Honorables sénateurs, consentez-vous à adopter la motion?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

L'article 9 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 9 modifié est adopté.

Nous retournons à l'article 1.

Le sénateur Jaffer : Nous devons modifier l'article 1 pour qu'il soit conforme au libellé que nous avons approuvé pour les autres articles. Il devrait se lire comme suit : « victime de la traite des personnes. »

La présidente : Le sénateur Jaffer propose une motion visant à modifier l'article 1 en remplaçant les lignes 4 et 5 de la page 1 par ce qui suit :

1. Loi sur la protection des victimes de la traite des personnes.

L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'amendement est adopté.

L'article 1 modifié est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : L'article 1 modifié est adopté.

Je crois comprendre qu'il y a une autre modification à apporter au projet de loi S-223. Le titre intégral qui se trouve à la page 1 doit être remplacé par ce qui suit :

Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (victimes de la traite des personnes)

Le sénateur Jaffer propose la motion.

Le sénateur Jaffer : Je la propose.

La présidente : La motion visant à modifier le titre est-elle adoptée?

Des voix : D'accord.

La présidente : La motion est adoptée.

Le titre intégral est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Consentez-vous à ce que le projet de loi modifié soit adopté?

Des voix : D'accord.

La présidente : Le projet de loi modifié est adopté.

Le comité souhaite-t-il considérer la possibilité d'annexer des observations au rapport?

Des voix : Non.

La présidente : Consentez-vous à ce que je fasse rapport de ce projet de loi modifié au Sénat?

Des voix : D'accord.

La présidente : Donc, je ferai rapport du projet de loi.

Je remercie les honorables sénateurs et les hauts fonctionnaires du ministère. Je serai en mesure de présenter demain le rapport du comité sur le projet de loi S-223 modifié.

Nous proposons de nous occuper de la question relative à la résolution 1325. Nous étudions cette résolution et nous désirons faire comparaître quelques témoins supplémentaires. Le comité de direction s'est réuni de temps en temps pour discuter de la façon de conclure ce rapport et du meilleur moyen de cerner des recommandations appropriées visant l'élaboration d'une politique publique sur la résolution 1325. Le comité de direction suggère que nous entendions d'autres témoins, si nous le pouvons et quand nous le pourrons.

Le sénateur Dallaire devra me venir en aide. Un des témoins travaille au ministère de la Défense nationale?

Le sénateur Dallaire : Oui, elle travaille à la Défense nationale.

La présidente : Je crois comprendre que cette femme était censée comparaître devant nous, mais qu'elle a souffert de la grippe H1N1 et d'autres problèmes de santé. Nous avons pensé qu'elle avait besoin de temps pour se rétablir. Nous pourrons l'entendre après le congé de Noël. Un autre de nos témoins, Carolyn McAskie, faisait partie de la Commission de consolidation de la paix en Sierra Leone et au Burundi. Elle a participé à certaines des premières fois où l'ONU a examiné la question des conflits de manière plus systématique. Elle n'a pas été en mesure de comparaître jusqu'à maintenant.

Nous suggérons au comité d'entendre ces deux témoins et tout autre témoin qui lui semble nécessaire. Je demanderais aux sénateurs d'y réfléchir d'ici la première semaine complète de janvier et de nous faire savoir s'il y a d'autres témoins que, selon eux, nous devrions entendre. Nous pourrions les grouper et envisager la possibilité de consacrer une autre séance à la résolution 1325 à notre retour.

Le comité de direction a également eu du mal avec le fait que le dossier de la résolution 1325 semble s'orienter dans trois directions. Notre étude porte principalement sur les moyens utilisés par le Canada pour mieux comprendre, et faire comprendre à la population, la résolution 1325, sur sa mise en œuvre au sein de l'appareil gouvernemental, et sur son utilisation par les parlementaires. En d'autres mots, quel est le résultat produit par la résolution 1325? A-t-elle été mise en œuvre de manière significative au Canada? Nous pouvons examiner les témoignages à cette fin.

Il s'agit d'une résolution des Nations Unies. Les Nations Unies ont de nombreux organismes dans les zones de conflit qui reçoivent des ressources des pays membres et elles doivent jouer un rôle de leader dans l'application de ces résolutions après leur adoption. Elles ont le mandat de le faire. Nous avons examiné la question pour savoir si les Nations Unies ont utilisé avec succès ce mécanisme.

Il y a les pays en conflit et les autres pays. Nous pouvons chercher à savoir si les pays en conflit ont tenté sérieusement d'appliquer la résolution 1325 et si elle a eu un impact positif dans la vie de ceux qui vivent dans ces pays.

Il y a ici, bien sûr, une autre question : le Canada fournit du soutien à des organismes multilatéraux et, de manière bilatérale, à de nombreux pays. Avons-nous maximisé les retombées de la résolution 1325 auprès des bénéficiaires de cette aide?

De concert avec le personnel de recherche, nous avons examiné de nombreuses façons de réaliser l'étude. Celle que nous avons proposée l'été dernier semble encore la meilleure, l'étude de cas, c'est-à-dire une visite dans des pays où les conflits les plus épineux sont en voie d'être réglés, sont toujours actifs ou viennent de se terminer.

Nous avons examiné diverses études de cas possibles. Dans le cadre d'une étude de cas, il est possible d'examiner les actions du Canada, celles du pays et celles des Nations Unies, et d'utiliser l'information pour déterminer les lacunes et les succès dans la mise en œuvre de la résolution 1325. On pourra le constater sur le terrain.

Nous avons pensé à Haïti, ainsi qu'à divers pays d'Amérique centrale et d'Afrique. Nous avons examiné toutes les régions, mais il semble que ce soit dans ces points chauds qu'il y ait une certaine reconnaissance des questions liées à des conflits et une possibilité que la résolution 1325 ait été appliquée.

Le comité de direction propose que l'étude de cas porte sur le Libéria et le Sierra Leone. Ces deux pays ont connu des conflits très violents et semblent s'être intéressés de près à la résolution 1325. Comme vous le savez, le Libéria a vécu une guerre civile brutale et connaît depuis peu une paix toute relative. La présidente du pays, Ellen Johnson Sirleaf, s'est beaucoup préoccupée du sort des femmes dans la zone de conflit et a participé activement à la résolution du conflit. Son pays poursuit en outre ses efforts dans ce domaine.

Un centre a été mis sur pied, en collaboration avec la gouverneure générale et de nombreux autres leaders dans le monde. Au pays, nous avons beaucoup réfléchi à la gestion des conflits et aux mécanismes d'aide qui pourraient être utiles. La résolution 1325 peut nous apprendre beaucoup de choses. Lorsque je parle de la résolution 1325, j'inclus également toutes les résolutions qui en ont découlé.

L'autre pays est le Sierra Leone, un pays profondément marqué par les mutilations et la guerre. Je suis allée dans ce pays en compagnie du sénateur Jaffer et du Président de la Chambre des communes dans le cadre d'un projet de développement, peu après la mise en place du processus de paix et du tribunal spécial. Les victimes s'inquiétaient beaucoup de savoir si la commission de vérité fonctionnerait et si le tribunal allait s'attaquer aux vraies questions.

Nous aurions ainsi deux exemples de pays ayant chacun leur histoire et leur approche en matière de résolution de conflit, ce qui pourrait nous aider à trouver une façon pour le Canada d'aborder les conflits en général, et la résolution 1325 en particulier. On propose donc une visite dans ces deux pays.

Comme il est très difficile de se déplacer en Afrique dans ces deux pays, nous devrons sans doute passer par le Ghana, ce qui nous permettrait de voir ce qui se passe également dans ce pays. Le Ghana est maintenant un pays stable et veut devenir un champion du développement durable en Afrique. C'est là que se trouve le centre international Kofi Annan pour le maintien de la paix, qui permet aux Africains d'analyser la situation des femmes lors de conflits et les conflits eux-mêmes sur leur continent. Il serait bon de faire un arrêt dans ce pays pour voir comment les choses se passent.

Si vous vous souvenez bien, nous avions pensé à ce que cette visite fonctionne un peu sur le principe d'un sous-comité. Ce ne serait pas un sous-comité toutefois, mais le comité au complet. Tous les sénateurs ont fait preuve d'une bonne assiduité, si je peux me permettre — je parle comme un enseignant — et se sont montrés très intéressés.

Nous devons présenter une demande de fonds pour nous déplacer à l'extérieur d'Ottawa. Pour ce voyage en Sierra Leone et au Libéria, avec arrêt sans doute au Ghana, nous demanderons au Comité de la régie interne, si vous êtes d'accord, des fonds pour couvrir les dépenses de neuf personnes, soit tout le comité. Je ne sais pas encore si tous les sénateurs viendront, mais nous devrons procéder ainsi, car la politique du Comité de la régie interne veut que tous les membres s'en voient offrir la possibilité. Nous proposons également d'amener un analyste et un greffier.

Je vais également mentionner un autre point. Une règle du Comité de la régie interne veut, apparemment, que peu importe la durée du voyage, le personnel des comités doit voyager en classe économique, même pour un voyage à l'étranger. Cela semble très injuste, puisque les membres des associations parlementaires — notamment les greffiers, le personnel, et le reste — voyagent en classe affaires, ainsi que toutes les autres catégories. Nous devrions donc demander que le personnel puisse voyager en classe affaires comme nous.

Nous pensons que le Comité de la régie interne sera réceptif à notre demande, car c'est une question qu'il est en train d'examiner. Nous ne demandons rien qui aille au-delà des règles habituelles dans la fonction publique. Pour nous rendre en Afrique, nous devons passer par l'Europe, ce qui veut dire un voyage d'environ 20 heures, en comptant les sept ou huit heures d'escale et les sept heures de vol supplémentaires. Tout cela a été pris en considération. Le coût en tient compte.

Le sénateur Munson : Selon les directives du Conseil du Trésor, cela s'applique à tout voyage de plus de neuf heures.

La présidente : Je pense que c'est maintenant huit heures. Je n'ai pas vérifié. Je sais toutefois que pour les voyages en Afrique, les greffiers et le personnel peuvent voyager en classe affaires plutôt qu'économique. C'est une question discrétionnaire, mais nous avons établi le budget de cette façon. Nous pensons que cette demande se justifie, car il s'agit d'un voyage éreintant que nous voulons condenser en une semaine, en voyageant les weekends. Si le comité est d'accord, nous allons approuver le budget pour pouvoir le faire parvenir au Comité de la régie interne cette semaine.

Une autre question que nous devrons régler est la date du voyage. Nous avons examiné la possibilité de le faire en janvier, mais en raison des réunions des caucus et d'autres questions, notamment le temps nécessaire pour bien préparer le voyage, ce ne sera pas possible. Nous n'avons pas encore arrêté de date, mais nous pensons aux semaines pendant lesquelles le Sénat ne siège pas. Ce ne sera probablement pas avant le mois de mars, mais nous voulons présenter le budget pour être fin prêts.

Avez-vous des questions ou commentaires, ou sommes-nous prêts à présenter une motion? Nous en avons discuté de manière informelle, mais pas officielle.

Le sénateur Dallaire : Si le voyage a lieu après la fin de l'année financière, devrons-nous présenter une nouvelle demande?

La présidente : Oui. Tout prend fin le 31 mars, y compris nos affectations, tout ce qui est de nature financière. Si je ne me trompe pas, rien ne peut être reporté. Le sénateur Jaffer peut me corriger, elle siège au Comité de la régie interne.

Si personne n'a de commentaire, est-ce que quelqu'un veut bien proposer la motion?

Le sénateur Jaffer : Je fais partie du comité de direction. Le sénateur Brazeau ou le sénateur Munson pourrait peut-être la présenter.

Le sénateur Munson : Combien de sénateurs pourraient être du voyage?

La présidente : Cinq, probablement.

Le sénateur Munson : J'en fais la proposition.

La présidente : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Avons-nous d'autres questions à discuter?

Le sénateur Jaffer : J'ai posé la question aux membres de notre parti et tous sont intéressés à faire le voyage. C'est pourquoi nous devons faire attention.

La présidente : Nous savons que tous sont intéressés, mais il y a des conflits avec d'autres organisations. Il n'y a pas délibérément de pairage si le Sénat siège pendant la semaine du voyage. C'est ce que font les autres dans le cas de voyages internationaux.

Notre étude sur l'exploitation sexuelle pourrait nécessiter des déplacements au pays lorsque ce sera possible et lorsque les whips le permettront.

Le sénateur Munson : Le voyage est prévu pour la mi-février ou la mi-mars, n'est-ce pas?

La présidente : Nous avons un congé d'une semaine en février et en mars et de deux semaines en avril. Si nous présentons le budget au Comité de la régie interne, il sera alors au courant, même si nous devons par la suite demander des fonds supplémentaires. J'espère que le budget paraîtra raisonnable et réalisable.

Avons-nous autre chose à discuter au sujet de la résolution 1325?

Le sénateur Dallaire : J'ai un point à soulever, si je peux me permettre de le faire maintenant, car la personne est disponible actuellement. Un juge canadien a siégé pendant six ans au tribunal spécial pour le Sierra Leone. Il s'appelle Pierre Boutet et habite à Québec. Il serait utile de connaître son point de vue sur le tribunal. Il y a siégé longtemps et a vu l'évolution du point de vue judiciaire et juridique, et il sait comment le tribunal a vu l'évolution de cette résolution dans son travail.

La présidente : Nous avons divers témoins potentiels, mais la question qui se pose est de savoir si nous devons les entendre après notre visite sur le terrain. Le professeur William Schabas était également membre de la Commission vérité et réconciliation pour le Sierra Leone. J'ai parlé à ces deux messieurs et j'ai trouvé qu'ils avaient des points de vue très arrêtés. Il serait sans doute préférable d'entendre ce que les gens ont à dire sur le terrain, puis ensuite d'interroger les témoins. Ces deux personnes feraient de bons témoins.

Le sénateur Dallaire : Même si le tribunal est à l'étape de l'appel, le juge responsable est également important. Je suis tout à fait d'accord avec vous que nous devons nous rendre sur le terrain d'abord, puis ensuite inviter ces témoins à comparaître devant le comité.

La présidente : Nous en avons maintenant terminé avec la résolution 1325. Il nous faut une motion pour déposer comme pièce le rapport du 30 septembre 2009 du sénateur Dallaire. Le sénateur Dallaire a rencontré la délégation du Myanmar et nous a préparé un excellent rapport. Il me faut une motion.

Le sénateur Jaffer : Je la présente.

La présidente : Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Nous déposerons le rapport.

Le sénateur Dallaire : Le personnel du comité et mon personnel ont fait un travail très professionnel en matière de protocole, de décorum et de contenu auprès de la délégation du Myanmar. Comme le rapport le mentionne, ils ont trouvé que c'était une initiative intéressante. Le comité et le personnel méritent d'être félicités pour leur bon travail.

La présidente : Avons-nous des questions à discuter à huis clos?

Notre étude sur l'exploitation sexuelle nécessitera des déplacements. Une note de rappel sera envoyée d'ici le 15 décembre pour savoir si d'autres témoins devraient être entendus à Ottawa. J'aimerais également être informée d'ici la mi-janvier des endroits où nous devrions nous rendre pour entendre des témoins potentiels. Au comité de direction, nous avons pensé aller dans l'Ouest et dans l'Est en trouvant un équilibre. Vous devez nous dire aujourd'hui où le comité devrait se rendre, à votre avis, pour entendre des témoins. J'aimerais que vous me fassiez part de vos idées concernant les endroits et les témoins. Nous devrions aller à Saskatoon ou à Regina, par exemple. Je pourrais fournir une liste de témoins et de sujets pour l'endroit. Ce serait peut-être une bonne idée d'aller dans le Nord du Manitoba, à le Pas ou à Flin Flon. Nous voulons nous rendre dans tous les endroits possibles. Nous aurons également un volet jeunesse. J'aimerais que vous m'informiez des groupes de jeunes qu'il serait important d'entendre.

Pouvons-nous avoir le huis clos pendant cinq minutes?

(La séance se poursuit à huis clos.)


(La séance publique reprend.)

La présidente : Chers collègues, le Comité permanent des droits de la personne se réunit pour examiner la question de l'exploitation sexuelle des enfants au Canada, en particulier dans le but de comprendre l'ampleur et la prévalence du problème de l'exploitation sexuelle dans notre pays et les communautés particulièrement touchées.

Nous avons deux exposés par vidéoconférence et un qui sera présenté ici à Ottawa.

Nous avons Tanya Smith; Jennifer Coolbear, psychologue; et Jasmine Eliav, psychologue, du programme Suspected Child Abuse and Neglect du Hospital for Sick Children, appelé SCAN. Aurons-nous un exposé ou trois?

Tanya Smith, Hospital for Sick Children-Suspected Child Abuse and Neglect (SCAN) : Je ferai l'exposé pour nous trois.

La présidente : Les autres vous assisteront donc.

Nous avons également Ginette Yapety, de Vigilance sur le net, et Michael Eisen, conseiller juridique en chef chez Microsoft.

Comme personne n'a demandé à passer en premier, je vais suivre l'ordre de présentation. Je vais donc demander à Mme Smith, de SCAN, de commencer. Je vous demanderais d'être brève afin que nous ayons suffisamment de temps à la fin pour vous poser des questions.

Mme Smith : Je remercie le Sénat de nous offrir la possibilité de lui donner un aperçu de ce que nous faisons pour contrer l'exploitation sexuelle des enfants et des adolescents sur Internet. J'espère pouvoir vous aider à mieux comprendre les problèmes des victimes. J'aimerais également vous montrer comment nous procédons, en tant que cliniciens en santé mentale et en soins médicaux, pour offrir des services, dépister les enfants et les adolescents à risque, et sensibiliser les cliniciens à ce problème grandissant.

Notre programme, le programme Suspected Child Abuse and Neglect du Hospital for Sick Children — SickKids — est offert par une équipe multidisciplinaire. Nous procédons à des évaluations médicales et psychosociales des enfants et des adolescents.

Au cours des dernières années, le nombre de cas d'agressions et d'abus sexuels en lien avec Internet a augmenté. En tant que praticiens, nous avons dû chercher à mieux comprendre l'impact sur les enfants et les adolescents canadiens de leur utilisation d'Internet, et si certaines habitudes d'utilisation augmentent les risques d'exploitation. Nous avons également senti le besoin de mettre au point des traitements particuliers pour offrir aux victimes et à leur famille des soins de haute qualité.

Il manque d'ouvrages qui décrivent et examinent la situation des enfants et des jeunes victimes d'exploitation en ligne au Canada. Les enfants et les jeunes sont transformés en victimes de diverses façons. Actuellement, on voit beaucoup d'exemples d'images et de films qui montrent des enfants et des jeunes subissant des sévices sexuels ou se faisant agresser sexuellement, images et films qui sont partagés et distribués en ligne. Il y a aussi des exemples de cas de conditionnement ou de leurres d'enfants et de jeunes par Internet, ainsi que d'enfants et de jeunes dont les gardiens ont été accusés de possession de pornographie juvénile.

L'exploitation sexuelle en ligne a des répercussions importantes. Les victimes ne vivent pas seulement le traumatisme lié à l'agression sexuelle, mais aussi le traumatisme émotif plus considérable provoqué par les délinquants, soit en personne, soit en ligne.

En plus de subir le traumatisme de la violence vécue, les enfants et les jeunes dont l'agression sexuelle a été photographiée ou filmée subiront une victimisation récurrente, car nous savons tous que les images ne seront jamais retirées d'Internet. En outre, les enfants et les jeunes conditionnés ou leurrés par Internet ont été blessés émotionnellement par les méthodes de communication de prédateurs que ces délinquants emploient. En fait, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt la semaine dernière qui appuie ce dernier aspect de la question; l'arrêt souligne que les communications liées au leurre par Internet sont elles-mêmes une forme de préjudice importante.

De plus, il est nécessaire de sensibiliser les enfants, les jeunes et les familles à ce que sont des relations sexuelles en ligne saines.

Étant donné les nouvelles recherches sur le nombre élevé de cas d'exploitation en ligne et sur ses répercussions potentielles, il est important que les services spécialisés d'évaluation et de traitement soient compatibles avec les démarches et les modalités de traitement employées actuellement pour traiter les enfants exploités et victimes de traumatismes.

L'ensemble de ces questions a poussé l'équipe du programme portant sur l'exploitation sexuelle en ligne des enfants et des jeunes de l'hôpital pour enfants de Toronto à mettre en place un service clinique d'évaluation et de traitement pour les enfants et les jeunes victimes de crimes sexuels commis en ligne. L'objectif principal du programme est d'établir et de fournir des services de soins standardisés pour les enfants et les jeunes victimes d'exploitation sexuelle en ligne, dans le but d'améliorer la qualité des soins offerts aux victimes et à leur famille.

J'aimerais souligner certains thèmes uniques qui se sont dégagés de notre programme.

Le projet de recherche actuel comporte l'examen d'un échantillon clinique canadien à risque élevé unique, puisque la vaste majorité des recherches menées sur les victimes d'exploitation en ligne sont fondées sur de grands échantillons normatifs américains. Notre étude décrit les caractéristiques des délinquants et des victimes impliqués dans des cas d'exploitation en ligne; elle a aidé à comprendre et à établir les faiblesses et les facteurs de risque que les personnes de ces groupes ont en commun.

Nos résultats cliniques concordent avec ceux des recherches. Plus précisément, les recherches montrent que les jeunes à risque élevé n'utilisent pas Internet de la même façon que les autres personnes. David Finkelhor et l'équipe de recherche, du Centre de recherche sur les crimes contre les enfants, au New Hampshire, étudient l'exploitation en ligne depuis 2001; ils ont découvert qu'une grande partie des jeunes qui sont transformés en victimes et leurrés en ligne ont vécu des événements marquants négatifs, sont aussi pris en victimes à l'extérieur d'Internet, souffrent de dépression, ont déjà subi de la violence physique ou des agressions sexuelles et vivent dans un milieu où les conflits parentaux sont fréquents.

De façon générale, nos résultats cliniques et ceux de nos recherches établissent un lien très étroit entre les expériences que vivent les enfants et les jeunes à l'extérieur d'Internet et qui les rendent vulnérables, et l'exploitation en ligne. Nous avons aussi découvert que les jeunes sont plus disposés à nouer des relations en ligne s'ils ont des problèmes à la maison, s'ils souffrent de dépression ou s'ils sont peu surveillés par leurs parents.

Ces résultats cliniques préliminaires nous ont guidés dans notre façon de cibler les enfants et les jeunes canadiens à risque élevé. Nous avons aussi élargi notre rôle; nous enseignons maintenant aux cliniciens comment identifier les enfants qui semblent à risque de devenir victimes d'exploitation en ligne. En outre, nous allons créer et valider un outil qui aidera les fournisseurs de services à détecter et à évaluer l'exploitation sexuelle en ligne. De plus, un service de traitement clinique pour les victimes et leur famille sera dispensé à l'échelle provinciale et nationale.

Jusqu'à maintenant, l'exploitation sexuelle en ligne a surtout été considérée du point de vue de l'application de la loi, ce qui était essentiel pour lutter contre le problème. Toutefois, nous pensons qu'il faudrait aussi prêter attention aux victimes canadiennes — aux enfants et aux jeunes — et aux difficultés uniques qu'elles affrontent. Pour arriver à mieux comprendre tous les aspects de la question, il faut absolument que les intervenants de tous les secteurs unissent leurs efforts, y compris ceux qui œuvrent dans les domaines de l'application de la loi, de la protection de l'enfance, de la santé physique et de la santé mentale.

Enfin, nous croyons qu'il faut absolument mener d'autres recherches au Canada afin de mieux renseigner les cliniciens sur les difficultés qu'affrontent actuellement nos enfants et nos jeunes, dans le but d'améliorer leur qualité de vie compte tenu des progrès de la technologie.

Mes collègues et moi vous remercions de nous donner l'occasion aujourd'hui de partager nos travaux avec vous. Nous parlons au nom des enfants et des jeunes de notre pays, qui ne sont pas ici en ce moment, mais qui subissent directement les répercussions de l'exploitation sexuelle en ligne et qui ont besoin — et qui méritent — que nous leur fournissions les meilleurs soins possible.

Michael Eisen, conseiller juridique en chef, Microsoft : Merci beaucoup de me permettre de discuter avec vous aujourd'hui. Je suis le conseiller juridique en chef de Microsoft Canada, et on m'a demandé de vous parler du CETS, c'est-à-dire du Système d'analyse contre la pornographie juvénile. Il s'agit d'un progiciel qui a été conçu pour aider les organismes d'application de la loi à mener leurs enquêtes sur l'exploitation des enfants en ligne.

Je vais commencer pas vous présenter un bref historique de ce qui a mené à la création du CETS. En 2003, un policier de Toronto, Paul Gillepsie, qui était sergent-détective à l'époque, a envoyé un courriel à Bill Gates. M. Gillepsie m'a répété de nombreuses fois qu'il ne s'attendait aucunement à recevoir une réponse. Or, il en a bel et bien reçu une; Bill Gates a transféré le message à Microsoft Canada, et nous nous sommes chargés de la suite.

M. Gillepsie a envoyé ce courriel parce qu'il était contrarié par le fait qu'il ne sentait pas que la police avait les capacités technologiques nécessaires pour suivre les personnes qui utilisent Internet pour exploiter les enfants. Nous avons vite compris qu'un obstacle important que les enquêteurs de police devaient affronter était lié à la communication.

Par exemple, ils n'étaient pas en mesure d'établir des liens entre des données — des numéros de cartes de crédit, des pseudonymes utilisés en ligne, des adresses électroniques — mises au jour dans le cadre d'enquêtes menées dans différentes provinces ou différents pays. Ils avaient désespérément besoin d'un outil qui leur permettrait de mieux travailler les uns avec les autres.

La solution était d'utiliser les technologies Web pour créer le CETS, qui permet à de multiples organismes d'application de la loi de partager des données et de travailler ensemble à des enquêtes portant sur l'exploitation des enfants. Grâce au CETS, les enquêteurs peuvent facilement organiser, analyser, partager et rechercher des renseignements dès la découverte, tout au long de l'enquête, au moment de l'arrestation et pendant la défense.

Un des avantages du CETS est qu'il permet d'améliorer la communication. Les méthodes traditionnelles d'application de la loi se caractérisent par des limites géographiques. Tous les services de police travaillent habituellement à l'intérieur d'un territoire marqué par des frontières, qu'elles soient municipales, provinciales ou nationales.

En revanche, les prédateurs d'enfants actifs sur Internet n'ont aucun égard aux frontières. Par exemple, les personnes qui se trouvent au Canada et en Australie ont accès à des images et à des films montrant des enfants victimes de violence et de torture produits en Grande-Bretagne. Plus souvent qu'autrement, cette réalité a creusé un fossé entre ce que les criminels peuvent faire et la façon dont la police peut réagir.

Nous espérons que le CETS aide à combler ce fossé. Les organismes d'application de la loi disposent maintenant des meilleurs outils technologiques qui soient, ce qui leur permet de travailler en se heurtant moins aux frontières.

Un deuxième avantage est l'efficacité accrue des enquêtes. L'exploitation des enfants en ligne comporte souvent une foule de données électroniques qui s'entrecroisent sans cesse en voyageant d'un bout à l'autre du monde. Il est impossible pour un enquêteur humain de recueillir, d'assimiler et d'organiser toutes ces données. Le CETS aide les services de police à partager des renseignements cruciaux qu'on ne partageait pas auparavant. Le système établit également des liens importants entre des données négligées ou perdues dans le volume même de tout ce qui circule sur Internet.

Un troisième avantage du CETS est qu'il permet à des organismes d'application de la loi du Canada et de partout dans le monde d'unir leurs efforts et de travailler ensemble pour résoudre ce crime sans frontières.

Le CETS a été lancé officiellement en 2005, avec la participation de 25 services de police canadiens, y compris la GRC. Aujourd'hui, plus de 40 organismes d'application de la loi du pays l'utilisent. Or, le Canada n'est pas le seul à y avoir recours; en effet, neuf autres pays l'utilisent aussi, soit le Royaume-Uni, l'Indonésie, l'Italie, l'Espagne, le Brésil, le Chili, la Pologne, la Roumanie et l'Australie. En outre, cinq autres pays vont commencer à employer le CETS.

Jusqu'à maintenant, Microsoft a investi plus de 12 millions de dollars dans la conception, le développement et le déploiement du CETS, et Microsoft le fournit gratuitement aux organismes d'application de la loi. Tout cela étant dit, je suis particulièrement fier du fait que le CETS soit une solution « fabriquée au Canada » créée par Microsoft dans ce pays, en étroite collaboration avec les organismes d'application de la loi, en particulier avec le service de police de Toronto et la GRC.

Je ne prétends pas que Microsoft se spécialise dans la question de l'exploitation des enfants; les policiers sont les spécialistes. La tâche de Microsoft était d'employer la technologie pour contribuer à la création d'un outil qui pourrait aider la police à suivre la trace des pédophiles et des personnes qui cherchent à exploiter les enfants en ligne.

La simple raison pour laquelle nous continuons à travailler au CETS, c'est que c'est la bonne chose à faire. Il nous incombe spécialement d'aider à empêcher ou à arrêter les gens qui tentent d'employer la technologie à des fins illégales et immorales, ou à leur rendre la tâche difficile.

L'étendue du problème est intimidante. On estime qu'Internet contient un million d'images de violence faite aux enfants, et que le nombre de victimes de partout dans le monde s'élève à 50 000. Selon INTERPOL, l'Organisation internationale de police criminelle, moins de 1 000 de ces victimes ont été identifiées et sauvées.

Or, nous ne pouvons pas nous laisser intimider. Microsoft Canada travaille avec des spécialistes reconnus et des partenaires du secteur engagés pour aider à traiter de quatre aspects fondamentaux de la sécurité Internet dans son ensemble. Le CETS compte parmi ces éléments. Nous devons aussi mieux renseigner et sensibiliser les parents afin qu'ils sachent comment protéger leurs enfants en ligne. Il y a là un manque. En outre, nous devons soutenir la loi et la politique en aidant les législateurs et les organismes d'application de la loi à créer des lois et des politiques visant à rendre Internet plus sécuritaire et à protéger la vie privée en ligne. Enfin, les entreprises comme Microsoft doivent veiller à ce que la technologie que nous offrons aux Canadiens aident à protéger les familles et à rendre leurs ordinateurs sécuritaires.

Le Canada devrait continuer à jouer un rôle de chef de file mondial dans ce domaine. Nous avons l'expérience, les compétences et — je l'espère — la motivation nécessaires. Par exemple, en novembre, un représentant d'un organisme d'application de la loi d'Afrique du Sud a reçu une formation au sujet du CETS ici au Canada, formation donnée par Paul Gillepsie, de l'Alliance pour la sécurité Internet des enfants. Il s'agissait d'un moment historique de la lutte mondiale contre l'exploitation des enfants, car c'était la première fois qu'un gouvernement africain prenait des mesures pour se joindre à la lutte. Grâce, entre autres, au CETS, le monde demande des conseils au Canada, et nous devrions lui en donner.

La présidente : Merci, monsieur Eisen. Nous passons maintenant à Ginette Yapety, de Vigilance sur le Net.

Ginette Yapety, Vigilance sur le net : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. J'aimerais vous remercier de nous permettre de vous présenter notre programme, Vigilance sur le net. Cette campagne de sensibilisation a été conçue par Vidéotron en 2007 dans le but de renseigner les familles québécoises sur les dangers potentiels d'Internet et de leur montrer des façons de bien se protéger.

Plusieurs faits ont mené à la création du programme. En tant que fournisseur d'accès Internet, Vidéotron sentait qu'il avait l'obligation morale de mieux renseigner et appuyer sa clientèle, notamment les familles qui naviguent sur Internet. Nous avons donc commencé par offrir gratuitement un logiciel de contrôle parental à nos clients Internet, et nous continuons à le faire.

Or, nous savions que cette seule mesure n'était pas suffisante. Nous nous sommes aussi rendu compte que le Québec n'en faisait pas assez dans le domaine de la sécurité Internet, surtout comparativement à des initiatives semblables d'Europe, des États-Unis et du reste du Canada.

Nous avons donc décidé de mener un sondage, en collaboration avec Léger Marketing, afin de trouver les secteurs dans lesquels nous pourrions être utiles. Nous avons consulté des adolescents âgés de 12 à 17 ans, ainsi que leurs parents. Nous avons posé des questions semblables aux deux groupes. Le fait qui a attiré notre attention, c'est que 80 p. 100 des adolescents en savent beaucoup sur le web et sur ses dangers potentiels; ils sont nés une souris à la main. Or, la plupart d'entre eux ne naviguent pas de façon sécuritaire.

Selon notre sondage, 31 p. 100 de ces adolescents avaient été exposés à des conversations de nature sexuelle, soit avec d'autres adolescents, soit avec des adultes. En outre, 25 p. 100 d'entre eux avaient envoyé leur photo à quelqu'un qu'ils avaient rencontré en ligne — surtout les filles. Également, 8 p. 100 des adolescents avaient rencontré en personne quelqu'un avec qui ils avaient parlé sur Internet. Bien que les parents étaient conscients de ces dangers, ils en sous-estimaient la fréquence et ils ne savaient pas comment en parler à leurs adolescents.

Nous savions maintenant que nous voulions mettre sur pied un programme de sensibilisation destiné aux adolescents. Or, comment faire pour qu'ils nous écoutent? Ils croient en savoir plus sur le web que la plupart des adultes et, très souvent, ils ont raison.

Afin d'obtenir des résultats auprès de ce groupe d'âge, nous avons décidé de créer une présentation qui serait prononcée en direct par une personne que les adolescents connaissaient et qu'ils trouvaient « cool ». Nous avons choisi Antoine Mongrain comme animateur et présentateur parce qu'il animait une émission sur les ondes de VRAK.TV et dans les écoles secondaires depuis quelques années. Il est tout à fait à l'aise avec les adolescents.

Nous avons choisi le meilleur spécialiste que nous pouvions trouver pour élaborer le contenu de la présentation : Denis Talbot, qui travaille pour MusiquePlus depuis 13 ans. M. Talbot est un spécialiste des jeux vidéo et d'Internet; les adolescents le connaissent bien, lui aussi, surtout les garçons.

Armés de ces deux éléments gagnants, nous avons commencé à tourner dans les écoles secondaires du Québec à l'automne 2007. Nous avons simplement communiqué avec les écoles et nous leur avons demandé de réunir plusieurs centaines d'élèves dans un auditorium pendant les heures de classe. Dès le départ, nous réussissions à convaincre les écoles de nous accueillir, même si elles n'avaient jamais entendu parler de notre programme.

C'est à ce moment-là que nous avons compris à quel point les enseignants recherchaient ce genre de renseignements et en avaient besoin. Nous avons aussi compris à quel point ils étaient perdus et ignoraient comment aborder le sujet avec les adolescents. Le ministère de l'Éducation du Québec encourage fortement les écoles à aborder la question de la sécurité Internet avec leurs élèves, mais aucun matériel pédagogique n'est mis à leur disposition pour les aider à le faire.

Nous avons donné la présentation devant environ 25 000 adolescents partout au Québec. Nous offrons aussi une présentation très semblable aux parents en soirée pour les aider à mieux comprendre le monde dans lequel leurs enfants vivent. Au cours de notre présentation, nous parlons des cinq dangers principaux d'Internet selon Denis Talbot. Ces dangers sont : les virus et les autres menaces informatiques qui peuvent mener à une atteinte à la vie privée; la réception de publicités non désirées ou de pourriel; l'hameçonnage, qui est une technique utilisée par les pirates informatiques pour obtenir des renseignements personnels et qui mène à la fraude et au vol d'identité; le choix de mots de passe trop simples qui peuvent facilement être volés; ainsi que le clavardage et l'utilisation de réseaux sociaux, où les adolescents partagent énormément de leurs renseignements personnels et de leurs photos. Nous avons aussi ajouté la cyberintimidation, un problème de plus en plus grave, tant pour les adolescents que pour les enseignants.

Les jeunes filles sont habituellement plus attirées par des activités telles que le clavardage et la participation à des réseaux sociaux comme MySpace et Facebook. Le problème est qu'elles ne sont pas conscientes du danger que présente la divulgation d'informations personnelles à des étrangers. Elles envoient même des photos suggestives d'elles-mêmes à des personnes qui pourraient — et elles en sont conscientes — devenir dangereuses advenant que ces personnes se retournent contre elles. De nombreux cas de cyberintimidation commencent de cette façon. Il est même possible pour un pirate informatique d'envoyer à une adolescente des photos d'elle prises avec sa propre caméra web parce celle-ci était demeurée allumée.

Nous donnons aux jeunes filles des conseils de toute sorte pour les aider à faire face aux problèmes de harcèlement sexuel et de cyberintimidation. Par exemple, nous leur disons de porter attention au pseudonyme qu'elles choisissent pour converser en ligne. Si elles choisissent le pseudonyme « fille aguichante 96 », cela indique clairement aux pédophiles qu'il s'agit d'une jeune fille de 13 ans, ce qui en fait une victime potentielle.

L'objectif de Vigilance sur le Net est d'éduquer les jeunes afin qu'ils se protègent contre de tels dangers. S'ils vivent des situations difficiles, nous les adressons à Tel-Jeunes, un organisme québécois qui reçoit plus de 70 000 appels ou courriels de jeunes aux prises avec des problèmes de tout genre. Leur équipe de spécialistes prodigue de judicieux conseils aux jeunes, qui sont souvent réticents à parler de leurs problèmes avec leurs parents.

Malgré le peu de publicité qu'elle a reçue et son budget limité, la tournée Vigilance sur le net a connu un énorme succès. De plus en plus d'écoles voudraient que leurs élèves aient l'occasion d'assister à la tournée. Sur le web, les problèmes rencontrés par les jeunes se multiplient et prennent différentes formes. Nous nous affairons donc à prolonger le programme Vigilance sur le Net pour que plus d'écoles, plus de classes et plus de jeunes en bénéficient.

Surfer sur le web est comme se balader en voiture : cela peut être dangereux, mais cela ne veut pas dire qu'on ne doit pas le faire pour autant. Nous essayons d'aider les jeunes à se créer leurs propres ceintures de sécurité et à développer leur instinct en ce qui concerne la sécurité. Nous espérons qu'ils auront aussi acquis des outils qui leur permettront, une fois adultes, d'aider leurs enfants à affronter les dangers du web.

La présidente : Nous avons entendu trois exposés intéressants qui seront très utiles pour notre étude et qui soulèvent une multitude de questions.

Le sénateur Jaffer : Il y a de nombreuses questions. Monsieur Eisen, j'aimerais savoir ce que vous avez fait au Canada. Vous avez dit que vous créez des partenariats avec certains pays, que vous avez nommés. J'étais heureuse d'apprendre que l'Afrique du Sud est l'un de ceux-là. Travaillez-vous au même niveau avec les pays d'Asie? Comment mettez-vous en place le réseau?

M. Eisen : On pourrait dire que le Canada est notre projet pilote. Après avoir créé et mis en place le CETS au Canada, nous avons entrepris une tournée. Nous sommes allés dans plusieurs pays d'Europe et d'Asie que nous pensions intéressés. Pour sélectionner un pays, il faut s'assurer qu'il dispose de lois qui rendent illégaux les actes sur lesquels nous aidons la police à enquêter. C'est une réponse plutôt prolixe à votre question.

Bref, nous avons commencé au Canada, puis nous avons tenté d'implanter la technologie dans les services de police de partout dans le monde et, si on se fie aux décisions qui ont été prises, nous avons réussi à convaincre neuf pays de se joindre à nous. Un certain nombre de pays étudient toujours la question. Au début, chaque pays va créer une base de données pour exercer une surveillance à l'intérieur de ses frontières. Un jour, il y aura des ententes internationales sur le partage des données ainsi qu'un réseau mondial.

Le sénateur Jaffer : Aidez-vous les pays à former un réseau? Travaillent-ils ensemble ou séparément?

M. Eisen : C'est une combinaison des deux. Par exemple, Microsoft travaille assez régulièrement avec la GRC pour accueillir les services de police de partout dans le monde qui sont intéressés aux bureaux de la GRC à Ottawa. Nous pouvons également aider à mettre sur pied, une fois par année, une conférence internationale des utilisateurs. Chaque pays, à mesure qu'il s'implique, travaille localement, mais Microsoft tente de favoriser l'interaction à l'échelle mondiale et la collaboration. Le but ultime est de créer un réseau de partage d'informations.

Le sénateur Jaffer : Madame Yapety, vous avez dit que vous parlez aux jeunes. Les problèmes les plus graves surviennent avec les plus vulnérables d'entre eux. Quels efforts pouvez-vous fournir dans ce domaine? Nous sommes tous aux prises avec cela. Avez-vous de nouvelles approches pour entrer en contact avec les jeunes les plus vulnérables ou les plus marginalisés de la société?

Mme Yapety : Le meilleur moyen que nous avons trouvé est de nous assurer le concours d'une vedette de la télévision comme Antoine Mongrain. Après les conférences, les jeunes vont vers lui tout naturellement et lui parlent de leurs problèmes. Il les oriente ensuite vers la police, Tel-Jeunes ou un psychologue, qui sont tous mieux placés que lui pour les aider. Nous avons constaté que la présence d'une vedette aide certaines personnes à s'exprimer, alors qu'elles ne le feraient pas autrement. Cela aide beaucoup, mais nous ne sommes pas les meilleurs dans ce domaine. C'est pourquoi nous nous sommes associés avec Tel-Jeunes, un organisme beaucoup mieux équipé pour aider les jeunes. Nous encourageons les jeunes à parler à quelqu'un, que ce soit un adulte qu'ils connaissent, Tel-Jeunes ou leurs parents. Nous constatons souvent que ce n'est pas à leurs parents qu'ils parlent en premier. Comme vous l'avez dit, c'est difficile.

Le sénateur Poy : Monsieur Eisen, que signifie le sigle CETS?

M. Eisen : Il signifie Child Exploitation Tracking System ou système d'analyse contre la pornographie juvénile.

Le sénateur Poy : Vous avez dressé une liste de pays, mais je ne crois pas que la Thaïlande en fait partie.

M. Eisen : C'est exact.

Le sénateur Poy : Pourquoi la Thaïlande n'y participe-t-elle pas? Leur police doit-elle contacter Microsoft pour participer au programme?

M. Eisen : Oui. Tous les services de police peuvent contacter Microsoft et exprimer leur intérêt envers le programme. Ensuite, dans les circonstances appropriées, nous convenons de les aider à déterminer s'ils ont les infrastructures nécessaires, et ainsi de suite. Si un pays n'est pas inclus, c'est que, pour une raison ou une autre, il n'a pas exprimé d'intérêt envers le programme ou, s'il l'a fait, il n'est pas rendu au stade de la mise en œuvre.

Le sénateur Poy : En ce moment, le CETS est-il le système le plus efficace pour le pistage des crimes sexuels sur Internet?

M.Eisen : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Tout ce que je peux dire, c'est que la rétroaction que nous recevons des corps policiers qui l'utilisent nous indique que cela leur donne un avantage certain qu'ils n'avaient pas auparavant et qu'ils ne pouvaient obtenir cela nulle part ailleurs. Je ne sais pas si cela veut dire que c'est meilleur que tout le reste.

Le sénateur Poy : Existe-t-il d'autres systèmes qui effectuent un travail similaire?

M. Eisen : Je crois qu'il y a un certain nombre de logiciels qui effectuent différentes tâches semblables à ce que fait le CETS. À ma connaissance, aucune technologie ou solution n'offre, en bloc, l'ensemble des fonctionnalités que l'on retrouve dans le CETS.

Le sénateur Poy : Je vois. Je trouve cela intéressant que même si c'est le Canada qui est le chef de file dans ce domaine, la lettre a été envoyée à Bill Gates. Pourquoi a-t-il démarré le programme au Canada et non aux États-Unis? Y a-t-il une raison particulière?

M. Eisen : Microsoft est exploitée à l'échelle mondiale, mais, à bien des égards, elle est exploitée localement. Si M. Gates reçoit quelque chose du Canada, il confie cela aux gens de Microsoft au Canada.

Le sénateur Poy : Madame Yapety, à quelle fréquence faites-vous les exposés dans les écoles secondaires? Les faites-vous tous les ans, ou bien seulement une fois?

Mme Yapety : Nous nous rendons dans différentes régions. Nous sommes allés dans la région de Québec, où nous avons visité différentes écoles. Dans le même établissement, nous avons présenté le même exposé trois ou quatre fois par jour — trois fois durant la journée pour les élèves, et une fois dans la soirée, pour leurs parents. Le jour suivant, nous allions dans une autre école. Nous avons effectué des tournées de ce genre. Comme elles sont très coûteuses et qu'elles nécessitent beaucoup d'organisation, nous cherchons des moyens de présenter l'information de sorte que nous puissions couvrir toutes les écoles, dans toutes les régions. Bien souvent, nous donnons notre exposé aux élèves d'un niveau et six mois plus tard, on nous demande de le faire pour un autre niveau ou pour les nouveaux élèves de l'école. C'est toujours à recommencer. Nous cherchons donc des façons de multiplier ou de combiner nos efforts, car toutes les écoles en ont besoin.

Le sénateur Poy : Vous parlez d'exposés devant un public. Serait-il possible d'en faire des DVD et de les envoyer dans les écoles?

Mme Yapety : Nous avons essayé cette méthode, mais elle n'a pas bien fonctionné parce qu'elle n'était pas assez interactive. Nous avons essayé d'enregistrer la conférence et de la faire repasser dans les écoles, mais cela n'a pas fonctionné. Actuellement, nous sommes en train de créer un DVD interactif. Avec l'aide de comédiens, nous présenterons une situation; les enseignants pourront interrompre le visionnement, entamer une discussion en classe et poursuivre ensuite la présentation. L'objectif est de faire parler les jeunes, car ils se sentent souvent seuls devant leurs problèmes. Nous savons qu'ils en discutent entre eux, mais nous ne pouvons faire cela dans un auditorium. Ils pourront faire des exercices en classe, en suivant les indications fournies dans le DVD, et interrompre en tout temps le visionnement pour entamer une discussion. Nous obtiendrons de meilleurs résultats de cette façon.

La présidente : Madame Smith, vous travaillez au Hospital for Sick Children, qui offre le programme, je crois. Ces dernières décennies, nous avons tenté d'enseigner aux psychologues, aux travailleurs sociaux et aux éducateurs la façon de dépister les cas de violence envers les enfants et d'interroger les jeunes. Nous avons connu des succès et des échecs, car on ne peut approcher les enfants de la même façon que l'on approche les adultes.

Avez-vous dû modifier la formation destinée aux psychologues et aux agents de traitement des cas pour les aider à mieux repérer les jeunes qui ont été victimes d'exploitation sur Internet plutôt que dans leur entourage, et à en discuter plus facilement avec eux? Autrement dit, doit-on utiliser une technique d'enquête différente? Devons-nous recycler tous les professionnels qui travaillent auprès des enfants qui ont été leurrés ou exploités sur Internet, afin qu'ils sachent comment intervenir de manière adéquate?

Mme Smith : C'est une très bonne question. En un mot, la réponse est oui. Bien qu'il soit important que les cliniciens connaissent les méthodes traditionnelles de formation et d'information relatives à l'exploitation sexuelle, il existe de nouveaux aspects uniques et différents qui leur permettent de mieux comprendre les enfants qui risquent d'être victimes d'exploitation sur Internet.

Cela vient en grand partie du fait que notre génération, dont sont issus la plupart des cliniciens, des psychologues et des travailleurs sociaux, ne connaît pas bien l'Internet en général. Nous nous rendons compte que nous ne devons pas seulement enseigner les comportements à risque que peuvent adopter les enfants sur le web, mais aussi la signification de l'Internet et la place qu'il occupe dans la vie des jeunes. C'est l'un des aspects.

Le travail d'enquête est unique. Nous travaillons en étroite collaboration avec les policiers spécialisés dans les enquêtes sur l'exploitation dans l'Internet. Ces cas sont uniques; ils nécessitent une approche différente. Nous devons vraiment comprendre la dynamique de chacun des cas afin d'identifier les victimes et de leur venir en aide.

Cela nécessite une toute nouvelle approche. Nous consacrons beaucoup de temps à travailler avec les cliniciens, à les former ou à les recycler sur le plan des nouvelles techniques d'identification et de la dynamique liée à ce groupe. Il est évident qu'une toute nouvelle formation est nécessaire à ce chapitre.

Jasmine Eliav, psychologue, Hospital for Sick Children-Suspected Child Abuse and Neglect (SCAN) : C'est en partie la raison pour laquelle nous avons élaboré cet outil d'identification. Nous voulons maintenant le faire connaître aux cliniciens, afin qu'ils s'en servent et qu'ils soient au fait des diverses formes de victimisation. Les enfants dont nous parlons présentent de multiples niveaux de victimisation.

Jennifer Coolbear, psychologue, Hospital for Sick Children-Suspected Child Abuse and Neglect (SCAN) : En outre, ce qui est particulier, c'est que beaucoup de nos victimes ne parlent pas nécessairement de leur situation. En raison de la nature de l''exploitation sur l'Internet, elles ne se considèrent pas au départ comme des victimes. Parfois, les policiers identifient des victimes qui n'ont pas porté plainte. Nous n'avons pas l'habitude de travailler avec des enfants et des familles qui n'ont pas eux-mêmes divulgué l'information. Ce sont les policiers qui l'ont découvert; nous n'en avons pas été informés par l'enfant ou la famille.

La présidente : Merci.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Eisen, j'aimerais que nous parlions de la portée d'application de ce programme en ce moment. Vous avez parlé de 40 services de police au Canada, ce qui comprend sûrement les plus importants. Pourquoi tous les services de police, quels que soient leur nombre et leur importance, ne participeraient-ils pas à cette initiative? S'agit-il d'une question d'argent?

M. Eisen : C'est simplement une question de ressources, tant humaines que financières. Par exemple, bien des petits services de police ne disposent pas d'un agent spécialement assigné à la protection de l'enfance. Ils n'ont pas l'effectif ou le financement requis.

Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné que Microsoft fournit l'application. Mais qui offre la formation?

M. Eisen : Il y a plusieurs éléments. Il y a l'infrastructure — le matériel, si vous voulez —, généralement fournie par l'organisme d'application de la loi, le programme secondaire de Microsoft et l'application elle-même. Il y a également la formation connexe.

Microsoft fournit l'application et en général, la formation. De plus, nous avons un conseiller en disponibilité, en quelque sorte, pour aider les gens à résoudre leurs problèmes.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Ma prochaine question s'adresse aux représentants du Hospital for Sick Children. J'aimerais que vous me donniez votre avis. Vous avez parlé des services de police et des ressources. D'après votre expérience à Toronto, croyez-vous que le service de police dispose de suffisamment de ressources pour ce genre d'enquête?

Évidemment, ce n'est qu'une partie de la question; il faut aussi tenir compte des services offerts aux gens qui ont été victimes de violence et d'exploitation. À votre avis, les ressources disponibles pour aider ces gens sont-elles adéquates?

Mme Smith : En général, les ressources sont minimes. D'après ce que me disent chaque jour mes collègues policiers, on traite les dossiers en fonction de la disponibilité des effectifs. Toutefois, il y en a encore bien plus à traiter. Je pense que les ressources sont insuffisantes pour des raisons financières.

Sur le plan des services offerts aux victimes, je crois que nos services de santé mentale pour enfants sont, en général, sous-financés. Il faut penser que ce nouveau volet de l'exploitation sur Internet s'ajoute à un système qui souffre déjà d'un manque de ressources et de services.

Je crois que la demande sera de plus en plus grande. Dans notre petit programme, nous constatons une augmentation de la charge de travail lorsqu'on nous accorde des ressources financières pour accomplir un mandat précis. Maintenant, nous ajoutons en plus ce volet qui n'existait pas il y a cinq ans, mais qui devient de plus en plus important pour nous.

Du point de vue de l'application de la loi et des victimes, il y a un manque de financement et de ressources.

Mme Coolbear : Beaucoup de familles restent inscrites très longtemps sur une liste d'attente pour obtenir des services. C'est difficile. Nous avons un petit programme et nous sommes obligés de diriger un certain nombre de familles vers d'autres organismes. Les enfants et les familles restent fort longtemps sur une liste d'attente avant d'avoir accès aux services.

Le sénateur Mitchell : Madame Yapety, qui a financé les 25 000 exposés que vous avez présentés aux adolescents du Québec? Est-ce Vidéotron?

Mme Yapety : Oui, ils ont été financés en totalité par Vidéotron. Les écoles n'ont rien eu à débourser.

Le sénateur Mitchell : Il y a de nombreuses entreprises qui offrent des produits et des services web, et elles devraient toutes être conscientes de leur responsabilité et de leur obligation à ce chapitre. Y a-t-il d'autres entreprises qui financent ce genre d'initiative? Manifestement, Microsoft s'est engagée à participer.

Que ce soit le cas ou non, serait-il possible de créer un genre de collaboration parmi ces entreprises? On pourrait penser qu'elles se sentent responsables de régler ce problème, comme Vidéotron.

Mme Yapety : Il y a toujours une certaine collaboration. Il y a différents programmes. Au Québec, il existe une campagne intitulée « Je protège mon identité sur Internet », qui est parrainée par le gouvernement du Québec. Elle compte un certain nombre de partenaires, des entreprises de technologie et autres, qui participent au programme et y contribuent financièrement, afin que nous puissions toucher un plus grand nombre de personnes. Cependant, cette campagne vise un autre groupe; elle ne cible pas les adolescents, mais plutôt l'ensemble de la population adulte. Nous participons aussi à cette campagne.

Dans un certain nombre d'initiatives, diverses entreprises unissent leurs forces. Nous les avons toutes considérées, mais d'après ce que nous avions prévu au Québec, il était préférable que nous mettions sur pied notre propre programme et que nous l'élaborions en fonction de notre marché.

Les entreprises peuvent collaborer de différentes façons. Vous avez raison de dire que lorsque nous unissons nos forces, nous obtenons de meilleurs résultats. C'est pourquoi je dis que les efforts actuels sont insuffisants et que nous cherchons toujours à nous améliorer.

Le sénateur Mitchell : Monsieur Eisen, vous avez dit que nous devrions servir de guides à l'échelle mondiale sur cette question, ou du moins que le Canada ou les Canadiens concernés le devraient. Vous avez réalisé des progrès; le système que vous utilisez a été adopté par neuf pays, ce qui n'est pas négligeable.

Toutefois, le ministre des Affaires étrangères pourrait-il assumer un rôle structuré et institutionnel, ou est-ce déjà le cas? D'où pourrait venir le leadership requis? Ce n'est pas qu'une question d'altruisme — c'est une initiative positive pour les autres populations du monde —, car on pourrait ainsi tisser des liens internationaux dont profiteraient également les Canadiens.

M. Eisen : Je crois que le gouvernement canadien pourrait faire preuve d'un grand leadership en mettant sur pied le réseau international. Ce réseau n'existera pas tant que les divers pays qui ont adopté le système CETS n'auront pas pris les dispositions nécessaires à l'échange d'information. Il y aura toutes sortes de problèmes liés à la protection des renseignements personnels et à la sécurité, et probablement une certaine méfiance, mais malheureusement, c'est inévitable.

À mon avis, si le gouvernement du Canada prônait les avantages d'améliorer la sécurité grâce à un réseau international — même si on l'implantait d'abord au Canada et au Royaume-Uni, pays qui ont des liens historiques et culturels —, il s'agirait d'un grand pas vers la création d'un réseau véritablement international. Cela permettrait l'échange d'information non seulement entre les provinces canadiennes, mais également entre le Canada et le Royaume-Uni, dans un premier temps, et entre le Canada et tous les autres pays par la suite.

Le sénateur Mitchell : La société Microsoft serait-elle prête à s'occuper de tous les détails techniques?

M. Eisen : Nous serions certainement tout à fait disposés à offrir notre aide.

[Français]

Le sénateur Brazeau : J'aimerais tout d'abord vous féliciter de votre programme et de votre campagne, qui semblent avoir connu un succès. Le fait d'utiliser des personnes connues, surtout auxquelles les jeunes peuvent s'identifier, a certainement contribué au succès du programme.

Avez-vous tenté d'approcher le gouvernement du Québec afin d'examiner la possibilité d'établir un partenariat pour que ce programme soit mis en œuvre dans toutes les écoles de la province?

Mme Yapety : Nous avons en fait décidé de faire le contraire, soit de développer le programme et ensuite l'offrir au ministère de l'Éducation. Les approbations du ministère prennent beaucoup de temps à obtenir. On a donc préféré lancer le programme avec les écoles, le développer avec elles et ensuite en parler au ministère.

Le sénateur Brazeau : Avez-vous obtenu une réponse du ministère à cet effet?

Mme Yapety : Pas encore. Nous sommes en train de redévelopper le programme. Une fois cette tâche complétée, nous leur en parlerons.

Le sénateur Dallaire : Madame Yapety, je me demande pourquoi, en plus de votre compagnie, on ne retrouve pas d'autres groupes qui ont cette responsabilité sociale. Des travailleurs sociaux se rendent dans les écoles, on en retrouve aussi dans les CLSC. Pourquoi n'ont-ils pas tenté d'établir un partenariat avec vous, représentant l'industrie, alors qu'eux se trouvent continuellement dans les écoles?

Par ailleurs, vous n'êtes toujours pas en mesure de retourner dans les écoles à tous les ans. Cette possibilité fait-elle partie de vos plans futurs?

Mme Yapety : Nous avons formé une alliance avec Tel-Jeunes car cet organisme dispose des personnes habilitées, travailleurs sociaux, psychologues et sexologues, pour répondre aux besoins des jeunes. Nous nous sommes rendu compte que ces personnes pouvaient non seulement intervenir auprès des jeunes, mais également faire beaucoup de publicité afin que les jeunes sachent qui appeler et à quel numéro.

Le sénateur Dallaire : Ce partenariat n'est pas formel. Envisagez-vous de créer un tel partenariat avec tous les CLSC afin de les inclure dans votre programme ou comptez-vous faire marche-seule pour amener d'autres ONG à se joindre à vous, comme vous l'avez fait avec Tel-Jeunes?

Mme Yapety : Nous avons en effet procédé seul avec Tel-Jeunes. Nous tentons, comme vous l'avez indiqué, de couvrir toutes les écoles. Chaque année apporte de nouveaux étudiants et le processus est toujours à recommencer.

Le sénateur Dallaire : Votre budget est-il limité ou vous permet-il de poursuivre vos démarches généreusement?

Mme Yapety : Notre budget annuel est limité. Nous utilisons les fonds dont nous disposons, qui nous permettent quand même de rejoindre toutes les écoles. On compte 700 écoles secondaires au Québec. Notre programme nous permet donc de fonctionner ainsi.

[Traduction]

Le sénateur Dallaire : M. Eisen, d'après l'expérience que vous avez acquise dans votre société et dans l'industrie, les gens qui créent les sites de pornographie juvénile le font-ils pour l'argent ou pour d'autres raisons? Si ce n'est pas seulement pour l'argent, y a-t-il moyen de s'attaquer à ces autres raisons? Y aurait-il une façon d'exercer officiellement une certaine forme de censure dans l'Internet?

M. Eisen : Oui, mais je dois préciser que je ne suis pas un spécialiste de l'application de la loi. D'après mon expérience, on crée ces sites pour diverses raisons. Un certain nombre sont lancés à des fins commerciales; certains n'existent que pour servir de moyen de communication aux communautés de prédateurs. Diverses raisons expliquent la création de ces sites.

Le sénateur Dallaire : Sur le plan de la technologie, la possibilité d'instaurer un bureau de censure dans l'avenir est-elle envisagée par les gouvernements, y compris les services de police, même sur leur propre territoire, ou les fournisseurs de services Internet?

M. Eisen : Il y a une solution que je trouve plus intéressante, mais cela ne veut pas dire que c'est la bonne; ce serait que les entreprises comme Microsoft offrent diverses solutions technologiques, comme le contrôle parental intégré aux logiciels de navigation et aux systèmes d'exploitation, afin que les enfants puissent accéder uniquement aux sites jugés acceptables par leurs parents. Je crois que cette méthode serait plus efficace que la réglementation pour régler le problème.

Le sénateur Dallaire : Je pensais plutôt à la technologie. Sur le plan militaire, nous pouvons bloquer n'importe quoi. Je me demandais simplement pourquoi votre société ou une autre entreprise n'a pas lancé un logiciel pour bloquer ces sites et ce potentiel d'exploitation.

M. Eisen : Je n'ai pas la réponse à votre question. Je crois que d'offrir aux gens les outils pour guider leurs enfants afin qu'ils utilisent l'Internet de façon sécuritaire est une chose, mais que de commencer à bloquer les communications dans l'Internet en est une autre. Si l'on est absolument sûr de ce que l'on bloque, c'est peut-être une solution, mais elle devrait être assortie de garde-fous, notamment sur le plan juridique. Cependant, de façon générale, il s'agit d'une proposition inquiétante.

Le sénateur Dallaire : On nous donne toujours toutes sortes de raisons pour ne pas imposer un instrument plus contraignant qui pourrait, en fait, sauver des vies. Je suis tout à fait en faveur des droits de la personne. Je suis le premier à les défendre, mais il me semble que c'est beaucoup plus simple de repérer et de fermer ces sites.

M. Eisen : Il ne fait aucun doute que nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir sur le plan juridique ou technologique pour écarter cette menace. Toutefois, j'ai de sérieuses réserves en ce qui concerne les méthodes qui pourraient gravement porter atteinte à la liberté d'expression et au respect de la vie privée, entre autres, et entraîner beaucoup de dommages collatéraux. Je ne défends pas ces personnes, loin de là, mais comme dans bien des questions concernant l'application de la loi, il est difficile de trouver un juste équilibre entre réagir à la menace et s'assurer de ne pas créer une situation totalitaire.

Le sénateur Dallaire : Je ne suis pas partisan du totalitarisme, mais du militarisme. Un peu de discipline ne ferait pas de tort.

Vos concurrents vous ont-ils soutenu dans vos efforts?

M. Eisen : C'est un projet de Microsoft.

Le sénateur Dallaire : Personne d'autre ne vous a suggéré son aide?

M. Eisen : Je suis sûr que d'autres entreprises sont...

Le sénateur Dallaire : Ne tournez pas autour du pot.

M. Eisen : Avec ce projet, nous faisons cavalier seul.

Le sénateur Dallaire : Madame Eliav, vos travaux de recherche tentent d'établir les liens entre la théorie et la maltraitance, les constatations empiriques et la protection des enfants. Vos efforts se limitent-t-ils au secteur de Toronto? Avez-vous bâti un consortium d'ONG et d'organismes gouvernementaux pour vous aider dans vos travaux?

Mme Eliav : Nos recherches sont limitées en raison du nombre de cas observés. Nous travaillons en collaboration avec une importante équipe de chercheurs aux États-Unis, qui essaie de nouer des relations officielles avec l'équipe des intervenants. Elle effectue de nombreuses recherches relatives aux données normatives.

Il est question d'un échantillon de personnes très vulnérables. Nous avons besoin de fonds de recherche pour avoir un aperçu des activités des enfants canadiens. Quelle est l'utilisation normative d'Internet? Combien d'enfants sont approchés sur Internet? Quelle est la nature de ce phénomène? Nous en savons peu sur ce qui se passe dans le contexte canadien.

Nous collaborons avec l'Université de Toronto. Mme Coolbear et moi-même travaillons avec la faculté de travail social pour essayer de concrétiser plus d'initiatives de recherche. Dans ce secteur, une partie du problème vient du financement.

Mme Smith : Nous entretenons des relations efficaces dans la province. En Ontario, nous travaillons étroitement avec les services d'application de la loi et d'aide aux victimes sur l'ensemble du territoire. Nous commençons tranquillement à établir des relations aux quatre coins du pays.

Le sénateur Jaffer : Madame Coolbear, je me souviens du temps où je pratiquais le droit. Lorsqu'un hôpital avait affaire à un enfant maltraité, ce dernier connaissait souvent, mais pas toujours, son agresseur.

L'objet de vos recherches est complètement différent. Comment avez-vous fait la transition? Les enfants sont plus grands. Vous travaillez probablement avec des enfants plus âgés.

Mme Smith : C'est assurément un changement. La dynamique est différente, mais semblable. Les jeunes vont sur Internet et y rencontrent des gens. Ils en viennent à les connaître et à dialoguer avec eux. Ensuite, quelque chose se produit.

C'est une dynamique différente. Nous devons mieux comprendre les relations qu'entretiennent les jeunes avec les personnes qu'ils rencontrent sur Internet. Les jeunes trouvent sur Internet un réseau social à la fois semblable et différent à bien des égards. Ils se rencontrent et développent une relation émotionnelle. Une fois qu'ils connaissent la personne, un événement survient.

Nous cherchons simplement à mieux saisir la dynamique du réseau social où évoluent les jeunes. C'est l'essentiel de notre défi, à titre de cliniciens. Nous essayons de comprendre ce qui se produit dans la tête des jeunes, ce qu'ils font sur Internet et quels sont les comportements à risque.

Mme Eliav : Nous voyons des enfants plus jeunes. Toutefois, nous constatons dans leur cas qu'on leur présente des images d'enfants abusés sexuellement ou de la pornographie, pour adulte, afin de les préparer aux abus sexuel. Même s'il y a des enfants plus jeunes, ceux qu'on séduit et appâte sur le web ont généralement entre 12 et 15 ans.

Mme Coolbear : Notre programme vise à élaborer une méthode d'évaluation en consultant ces enfants et ces jeunes pour lutter contre leur abus sur Internet. Notre objectif général est d'être en mesure de communiquer cette information aux cliniciens qui ne travaillent pas à notre hôpital et qui s'occupent également des enfants et des jeunes.

La présidente : Nous sommes en retard de 10 minutes, madame Smith, madame Coolbear, madame Eliav, monsieur Eisen et madame Yapety. Vos témoignages étaient très instructifs, et vous nous avez ouvert des horizons.

Au début de notre étude, nous avions compris que nous toucherions au vaste domaine du harcèlement et de l'exploitation par le biais d'Internet, mais nous n'en savions pas autant à ce sujet et nous n'étions pas au courant de tout le travail effectué par les spécialistes. Nous ne sommes pas de la génération qui est née avec une souris d'ordinateur à la main, mais nous espérons que notre rapport bénéficiera aux décideurs publics qui s'attaqueront à ces nouveaux problèmes auxquels les jeunes sont confrontés.

Je remercie tous les témoins de leur indulgence et d'être restés plus longtemps que prévu.

(La séance est levée.)


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