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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 9 - Témoignages du 5 novembre 2009


OTTAWA, le jeudi 5 novembre 2009

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 43 pour étudier la question de l'accessibilité à l'éducation postsecondaire au Canada.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenus au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance sur l'éducation postsecondaire. Le thème du jour sera les obstacles de nature financière à la poursuite des études postsecondaires.

C'est un très grand plaisir pour moi d'accueillir M. Ben Levin, professeur à l'Ontario Institute for Studies in Education, établissement associé à l'Université de Toronto. En plus d'enseigner, M. Levin préside la Chaire de recherche sur le leadership et le changement dans l'éducation. Il vient tout juste de quitter le poste de sous-ministre de l'Éducation de l'Ontario, qu'il a occupé pendant deux ans et demi. En mars 2009, il a déposé le rapport final de la Commission sur les frais de scolarité et l'accessibilité aux études postsecondaires au Manitoba.

Je crois que nous avons ici une copie de ce rapport.

Avant de laisser les témoins dire quelques mots, j'aimerais également accueillir le sénateur Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, qui remplace aujourd'hui le sénateur Hugh Segal.

Bienvenue, monsieur Levin. Vous avez la parole. Prenez le temps que vous voulez pour présenter votre exposé, après quoi, nous allons entamer la discussion.

Ben Levin, professeur, Ontario Institute for Studies in Education, Université de Toronto : Merci beaucoup, monsieur le président, et bonjour, mesdames et messieurs. C'est avec plaisir que j'ai accepté l'occasion qui m'était donnée de venir vous entretenir de cet important dossier.

J'ai quelques très brefs commentaires à faire avant de commencer. J'enseigne actuellement à l'Ontario Institute for Studies in Education, qui fait partie de l'Université de Toronto. Ma carrière m'a amené, d'une part, dans les milieux universitaires, d'autre part, dans la fonction publique. J'ai été sous-ministre de l'Éducation de l'Ontario. Avant cela, j'ai été sous-ministre de l'Éducation et sous-ministre de l'Enseignement postsecondaire du Manitoba. J'ai donc fait partie des gouvernements du Manitoba et de l'Ontario, et, en alternance, je travaillais à l'université. C'est pourquoi, comme on le dit dans les milieux universitaires, je suis retourné étudier ce qui fonctionne en pratique pour voir si cela fonctionne en théorie.

Pendant l'été 2008, la ministre de l'Enseignement postsecondaire et de la Formation, l'honorable Diane McGifford, m'a demandé de diriger la Commission sur les frais de scolarité et l'accessibilité aux études postsecondaires, dont je serais le seul membre. Le gouvernement du Manitoba avait gelé les frais de scolarité 10 ans auparavant. Lorsque le NDP a été porté au pouvoir, en 1999, c'est-à-dire lorsque je suis devenu sous-ministre, au Manitoba, le gouvernement a en fait réduit les frais de scolarité pour les geler pendant 10 ans. Il voulait étudier les répercussions de cette politique. Je crois que vous avez en main une version sommaire de mon rapport, qui a été publié l'an passé.

Je vais essayer aujourd'hui de brosser très rapidement un tableau de l'accessibilité aux études postsecondaires, après quoi je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ou à vos commentaires et de discuter de ce sujet.

Premièrement, nous savons qu'au Canada, l'accès aux études postsecondaires et en particulier aux études universitaires n'est pas vraiment universel, puisqu'il est lié à la classe sociale et à d'autres facteurs, par exemple la situation géographique ou d'autres facteurs sociaux. L'accès à ces études, au Canada, n'est pas équitable. C'est encore plus vrai depuis les années 1990. Il est d'ailleurs tout aussi peu équitable dans les autres pays et à l'échelle du monde.

Deuxièmement, nous connaissons très bien les mécanismes grâce auxquels on peut augmenter la participation aux études postsecondaires et réduire les inégalités. Nous disposons d'un énorme volume de faits bien documentés et d'une vaste expérience sur la façon de faire. Les aspects financiers ne sont qu'une facette de cette question. Même si la plupart des recherches laissent entendre que l'aspect financier est un facteur décisif de la participation et de l'égalité de l'accès, les faits documentés, en réalité, contredisent ce point de vue. Ils laissent plutôt entendre que les aspects non financiers sont au moins aussi importants, et même peut-être plus importants que les obstacles financiers.

Je vais dire quelques mots sur les obstacles non financiers. Le plus évident, c'est celui du diplôme d'études secondaires, qui reste un prérequis pour la plupart des étudiants qui veulent poursuivre leurs études. Au Canada, le taux d'achèvement des études secondaires est de 75 à 80 p. 100. Ce pourcentage est beaucoup plus faible au Québec et en Alberta. Cependant, nous connaissons des moyens d'augmenter le taux de fin des études secondaires, ce qui, par ricochet, augmenterait la participation aux études supérieures.

C'est un aspect des choses. Si nous voulons augmenter la participation, et assurer une participation plus équitable, nous devons augmenter le taux d'obtention de diplôme de fin d'études secondaires étant donné que les étudiants qui n'obtiennent pas ce diplôme sont les moins susceptibles de poursuivre des études supérieures. Ils sont aussi plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, d'être des Autochtones, de vivre en milieu rural, et ainsi de suite.

Le deuxième point qui est lié à cette question, comme l'a mentionné le sénateur Fairbairn, concerne l'apprentissage des adultes. Le Canada compte un nombre important d'adultes qui désirent poursuivre leurs études. Ils n'ont pas nécessairement l'occasion de poursuivre un programme d'études ni les qualifications pour être admis dans un programme. C'est le deuxième des principaux obstacles non financiers.

Il est évident que le désir d'étudier a un effet sur la participation aux études, peu importe les capacités et les réalisations. Il est important qu'une personne puisse se sentir apte à poursuivre des études postsecondaires. Il est aussi important que les autres considèrent qu'elles sont aptes à le faire. Le désir d'étudier est une question qui mérite d'étre étudiée.

Je parlerai ensuite de la sensibilisation de collectivités particulières. Pour certains groupes d'étudiants, par exemple les immigrants de fraîche date, les Autochtones et les autres groupes où le taux de participation est relativement faible, nous connaissons les programmes ciblés de sensibilisation et de soutien qui les encouragent.

Le Manitoba a accumulé 40 ans d'expérience à ce chapitre, grâce à un ensemble de programmes qui ont permis à des gens de suivre leurs études postsecondaires, même s'ils auraient été jugés non qualifiés, et leur ont permis de réussir des programmes assez exigeants. Il s'agit dans la grande majorité des cas d'étudiants autochtones. L'Université du Manitoba, par exemple, a formé un très grand pourcentage des médecins et des ingénieurs autochtones du Canada.

Le Manitoba a fait cela grâce à un programme très ciblé, financé par la province — au départ, par la province et le gouvernement fédéral, mais depuis plusieurs années, par la province seulement. Le programme vise à recruter des gens et à les aider à réussir.

Nous avons donc des preuves selon lesquelles, avec un programme de sensibilisation et de soutien ciblé, on peut faire en sorte que de nombreuses personnes, qui n'auraient pas les qualifications préalables nécessaires, peuvent réussir dans des programmes collégiaux et universitaires assez exigeants.

L'information est essentielle. Certains éléments de preuve montrent que les gens les moins susceptibles de poursuivre leurs études sont ceux qui surestiment les coûts et qui sous-estiment les avantages des études postsecondaires. Les gens prennent des décisions rationnelles, mais elles sont fondées sur des informations erronées. Ils pensent que cela coûte plus cher que ce n'est le cas et ils n'en voient pas les avantages économiques et autres. Il est essentiel de donner aux gens des informations plus justes sur les coûts réels et les avantages des études. Nous ne donnons pas de bonnes informations, à l'heure actuelle.

Pour terminer, sur la question des obstacles non financiers, je parlerais des mesures par lesquelles nous incitons les institutions à chercher à sensibiliser différentes populations cibles et à modifier au regard de l'équité le profil des étudiants qu'elles recrutent. Aujourd'hui, la plupart des universités essaient de recruter les meilleurs étudiants, la tranche de 10 p. 100 qui forment l'élite. Elles ne déploient que très peu d'efforts — quelques efforts, mais pas suffisamment — pour recruter des gens qui, à l'heure actuelle, sont sous-représentés, mais qui tireraient profit des bonnes mesures de soutien et qui pourraient réussir.

Je vais aussi parler un peu des aspects financiers. La première chose que j'ai à dire, à propos du financement des études postsecondaires, c'est que, même si les droits de scolarité semblent accaparer toute l'attention, ces droits de scolarité, dans une mesure raisonnable, semblent n'avoir pour ainsi dire aucune incidence sur les taux de participation.

À mon avis, et comme je l'ai recommandé au gouvernement du Manitoba, nous ne devrions pas chercher à réduire les droits de scolarité. Nous devrions plutôt tenter de conserver des droits modestes et modérés, et nous devrions tenter de prévenir les hausses soudaines ou trop rapides. Réduire les droits de scolarité, cependant, serait une politique contreproductive, car elle coûterait cher et n'aurait que très peu d'incidence sur la participation ou l'équité de la participation. Nous pourrons y revenir plus tard.

J'aimerais dire, cependant, que nous ne voulons pas une déréglementation des droits de scolarité car cela entraînerait une hausse rapide de ces droits. Nous avons recueilli certaines données probantes selon lesquelles une hausse rapide des droits de scolarité a un effet négatif sur la participation et la participation équitable.

Un aspect dont nous ne parlons presque jamais, pendant nos discussions, est la capacité des étudiants de gagner un revenu. Plus leur revenu est élevé, moins ils ont besoin d'emprunter. Nous parlons beaucoup des emprunts et des prêts, mais nous ne parlons presque jamais du revenu.

Pensons au revenu des étudiants; j'ai parlé de deux choses, dans mon rapport. J'ai parlé pour commencer du salaire minimum. Les étudiants représentent une énorme proportion des personnes qui gagnent le salaire minimum, au Canada; si le salaire minimum augmente, les étudiants seront plus facilement en mesure de financer leurs études et auront moins besoin d'emprunter.

La deuxième chose, c'est la possibilité pour les étudiants de gagner un revenu grâce à un emploi lié à leur programme d'études. Les étudiants qui sont capables d'avoir un emploi — que ce soit dans leur collectivité ou leur établissement — qui est lié à leurs études en tirent doublement profit. Ils en profitent du point de vue de leurs études. Ils en profitent également parce qu'ils gagnent un revenu et qu'ils ont donc moins besoin de demander des prêts et bourses. On a tout à fait laissé de côté tout ce qui concerne les moyens d'aider les étudiants à avoir un revenu.

Je dirai aussi quelques mots au sujet de l'aide aux étudiants. À mon avis, les étudiants devraient continuer à payer une partie des coûts de leurs études postsecondaires. Il y a plusieurs raisons à cela, et je les ai exposées dans mon rapport. Cependant, je crois que nous devrions limiter la dette maximale que les étudiants peuvent contracter.

Il ne s'agit pas d'éliminer la dette. Les études postsecondaires restent un très bon investissement pour la majorité des étudiants. Il s'agit de limiter le montant maximal de cette dette. Par exemple, si nous décidons de limiter la dette à 5 000 $ par étudiant par année d'études à temps plein, les étudiants, après un programme de quatre ans, auraient une dette maximale de 20 000 $. C'est assez simple à financer étant donné l'amélioration habituelle du revenu des étudiants.

Il y aurait un maximum, et les étudiants sauraient que ce maximum est une protection pour eux. Par la suite, tous les autres besoins reconnus qui dépasseraient ces maximums pourraient faire l'objet de diverses formes de rabais sur les prêts, de bourses et d'autres formes de soutien.

Je crois que c'est faisable. C'est à peu près ce qui s'est fait au Manitoba. Nous avons été capables de limiter l'endettement à 6 000 $ par année, ce n'est donc pas très loin.

Le deuxième volet de cette mesure est la protection contre les catastrophes. Nous entendons beaucoup parler des étudiants qui se retrouvent avec une dette énorme. En fait, un très petit nombre d'étudiants se retrouvent avec une dette énorme. La moitié des étudiants du Canada réussissent à financer leurs études postsecondaires sans emprunter. Pour le petit nombre de ceux qui doivent emprunter, il y a toujours une incidence négative. Leur situation a un effet dissuasif marqué sur les autres étudiants, particulièrement ceux qui n'ont pas une grande sécurité financière, et ce sont ces étudiants qui sont les plus susceptibles de dire qu'ils ne veulent pas se retrouver avec une dette de 30 000 $.

Si nous adoptions un processus qui nous permettrait de protéger les étudiants, on pourrait d'abord limiter le montant maximal de leur dette, mais aussi, deuxièmement, couvrir cette dette s'ils se retrouvent sans que cela soit de leur faute incapables de rembourser cette dette. Il ne faut pas que les étudiants se retrouvent continuellement menacés parce que, à 21 ans, ils sont tombés gravement malades ou qu'une autre catastrophe de ce type est survenue.

Un programme de ce genre ne coûterait pas très cher, car il ne concernerait que très peu d'étudiants, mais aurait un effet positif. Ce serait pour les étudiants un genre d'assurance. Ils pourraient se dire : « Je suis prêt à emprunter, aujourd'hui, parce que je sais qu'il y a une protection. Cela ne peut pas se finir en catastrophe. »

Je ne parlerai pas beaucoup du Programme canadien de prêts aux étudiants; je ne suis pas un expert de ce programme. Cependant, le taux d'intérêt actuel sur les prêts d'études est beaucoup trop élevé. Il est de beaucoup supérieur au taux préférentiel, en particulier si l'on pense aux taux d'intérêt actuels. C'est pourquoi les étudiants se tournent de plus en plus vers les prêts privés. Ils peuvent obtenir de la banque un prêt dont le taux d'intérêt est deux fois moindre que le taux d'intérêt du PCPE; en outre, il est impossible de ne pas rembourser un prêt d'études ou de déclarer faillite à cause d'un prêt d'études.

Nous parlons de gens très jeunes, et on permet à certains d'entre eux d'emprunter d'importantes sommes d'argent et à qui on n'offre pour ainsi dire aucun conseil en matière de crédit — c'est une autre chose que nous devrions améliorer — et cela peut nuire de façon permanente à leur avenir économique. C'est la situation d'un petit nombre d'étudiants, mais cela a un effet dissuasif important sur les autres étudiants.

Nous serions capables de financer presque tous les changements que je viens d'examiner, et c'est ce que j'avais recommandé au Manitoba. La source de financement est déjà accessible, c'est tout l'argent qui sert actuellement aux crédits d'impôt. Les programmes actuels de crédit d'impôt pour les études postsecondaires coûtent près de 2 milliards de dollars par année au Canada — c'est deux fois la valeur du Programme canadien de prêts aux étudiants. Les éléments de preuve sont clairs, les crédits d'impôt n'ont pas d'incidence positive ni sur la participation, ni sur l'équité de la participation. Nous pourrions prendre l'argent des crédits d'impôt pour financer tous les changements que j'ai proposés, touchant l'aide aux étudiants et toutes les recommandations non financières, et il resterait quand même un généreux programme de crédit d'impôt. Il et possible de financer tout cela, à mon avis.

Pour terminer, je dirais un mot au sujet des cibles, du contrôle et de la recherche. Il serait très utile d'avoir quelques cibles touchant la participation aux études postsecondaires au Canada ou dans les provinces et territoires, et des cibles touchant une meilleure équité de la participation. Les cibles attirent en général l'attention des gens, tout comme les mesures incitatives le font pour les institutions. Nous avons ensuite besoin d'un processus pour contrôler ce que nous faisons.

Depuis huit ou neuf ans, la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire finance un programme de recherche qui m'a permis de réaliser ce travail. La plupart des recherches que j'ai utilisées ont été financées par cette Fondation. Elle doit disparaître, et on ne sait pas si ce programme de recherche se poursuivra. L'on risque de perdre la plupart des informations recueillies touchant la participation et l'accessibilité, et ce serait très malheureux.

Je m'arrête ici. J'ai fait rapidement le tour d'un très grand nombre de sujets. Je crois qu'il est mieux de commencer la discussion, puisque les sénateurs ont des questions à poser ou des commentaires à faire.

Le président : Cela est très informatif; il y a là beaucoup de bonnes idées. De toute évidence, vous avez mis à profit votre très longue expérience.

À la dernière séance, M. Marc Frenette, de Statistique Canada, nous a expliqué, en parlant des aspects financiers, que l'écart entre un faible revenu et un revenu élevé n'est que de 12 p. 100 — entre le premier et le dernier quartiles. Il en est arrivé à la même conclusion que vous, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas principalement d'un obstacle financier. Je voudrais explorer cette question un moment.

Sur le plan financier, est-il plus difficile de rester dans le système que d'y entrer?

Pour bien des gens qui ont un faible revenu, rester dans le système suppose qu'ils doivent eux-mêmes avoir un revenu. Lorsqu'une récession frappe et que le chômage des étudiants est élevé, on peut penser que l'obstacle financier devient plus important. Est-ce que c'est comme ça que ça se passe?

M. Levin : L'obstacle est évidemment plus important si les étudiants ont de la difficulté à gagner un revenu. Comme je l'ai déjà mentionné, au moment d'étudier les grands aspects financiers, nous avons laissé de côté le revenu. Selon les éléments de preuve recueillis, les étudiants qui commencent des études et qui les réussissent sont plus engagés. La grande décision, c'est d'abord celle de s'inscrire à un programme d'études; la réussite vient ensuite. Après avoir accumulé des réussites pendant un an, les étudiants sont plus susceptibles de poursuivre et de terminer leurs études.

Il y a bien sûr des problèmes financiers, mais nous savons que la moitié des étudiants n'empruntent pas. Les étudiants qui empruntent sont relativement peu nombreux. Si nous étions capables de déterminer un plafond d'endettement, cela encouragerait fortement les étudiants à poursuivre.

Le président : L'une de vos recommandations, en ce qui concerne le Manitoba, touchait le salaire minimum. Un salaire minimum plus élevé aiderait les étudiants à augmenter leur revenu de façon à pouvoir rester dans le système. Chaque fois que nous parlons d'augmenter le salaire minimum, les entreprises se plaignent du fait que cela affaiblirait l'emploi. En général, les victimes de cette situation sont les étudiants, qui n'ont pas autant d'expérience que d'autres employés potentiels. N'est-ce pas une arme à double tranchant? Est-il rentable d'augmenter le salaire minimum?

M. Levin : Ce qui est agréable, quand on est un universitaire, c'est que l'on peut présenter des recommandations sans avoir à prendre les choses en main. Cela contraste avec le travail des fonctionnaires, où cela est impossible.

Les économistes en savent plus sur le sujet, mais après avoir lu des documents économiques, j'estime que les opinions sont partagées quant aux répercussions d'une augmentation du salaire minimum sur l'emploi. Selon certains économistes, l'augmentation du salaire minimum entraîne une nette réduction des emplois, mais selon d'autres, ces répercussions sont très modestes. Les économistes et les experts discutent encore de ces répercussions, mais je comprends bien que, peu importe le gouvernement, il y a là un défi politique.

Le président : Vous avez mentionné plusieurs choses, qui sont des obstacles non financiers, et de certaines des choses qu'il faudrait faire, par exemple diffuser des informations de meilleure qualité, et vous avez dit que trop de gens pensent encore que les coûts surpassent les avantages, entre autres choses. Cependant, vous n'avez pas abordé un sujet dont il a été question la dernière fois. J'aimerais connaître votre opinion sur la culture du ménage. Si les parents n'ont pas fait d'études postsecondaires, ils n'encourageront peut-être pas leurs enfants à en faire. À quel point, ce facteur est- il important? Que peut-on faire à ce sujet?

M. Levin : C'est un facteur très important. Les aspirations sont d'une importance critique, et elles se forment en général à la maison. Certains éléments de preuve laissent croire que les étudiants n'utilisent pas les services des conseillers en orientation de l'école et qu'ils prennent leurs décisions seuls, ou avec leurs parents ou leurs amis. Si les amis et les parents n'ont aucune expérience de l'université, les étudiants sont peu susceptibles d'envisager cette option. C'est pourquoi il faut des programmes de sensibilisation ciblés. Il faut se rendre dans les collectivités où ce lien n'existe pas, et établir ce lien. Il faut commencer par les élèves assez jeunes. Il y a de nombreuses façons de le faire. Les universités et les collèges du pays font bien des choses intéressantes, mais on pourrait en faire plus pour amener les gens à avoir de plus hautes aspirations.

L'une des initiatives les plus intéressantes, c'est celle des programmes à double crédit, qui ont été lancés, au Manitoba, tandis que j'étais sous-ministre; ils sont désormais offerts aussi en Ontario. Ces programmes permettent aux étudiants qui sont encore à l'école secondaire de commencer des cours de niveau postsecondaire pour lesquels ils pourront obtenir à la fois des crédits à l'école secondaire et au collège et à l'université. Pour sensibiliser les collectivités autochtones, on pourrait offrir aux étudiants des écoles secondaires de suivre un cours d'études autochtones du niveau de la première année des études universitaires, ce qui leur permettrait de savoir s'ils sont capables de poursuivre leurs études à l'université. Ils obtiendraient des crédits à l'école secondaire, qu'ils pourraient utiliser aussi pour leurs études postsecondaires. C'est une initiative concrète et peu coûteuse. Il y a bien d'autres choses à faire dans ce domaine.

L'information est importante parce que, comme je l'ai dit, l'une des raisons pour lesquelles les aspirations sont si faibles, c'est que les gens ne sont pas renseignés au sujet des coûts et des avantages. Il faut s'attacher à intégrer les gens dans le système.

Le président : Quand vous parlez des collèges, parlez-vous des collèges communautaires et de leurs programmes?

M. Levin : Oui.

Le sénateur Keon : Monsieur Levin, votre exposé était vraiment très intéressant. J'aimerais revenir sur la question de l'emploi des étudiants. Les étudiants de notre génération ont toujours eu d'excellentes occasions d'emploi. C'était vraiment très facile. On pouvait conduire un taxi ou travailler derrière un bar; il n'y avait pas de syndicat. Aujourd'hui, les étudiants sont dans une situation beaucoup plus complexe. Les collèges et les universités pourraient peut-être leur donner les compétences en leadership nécessaires de façon que, une fois qu'ils seront organisés, ils puissent tout faire eux- mêmes. Ils pourraient s'organiser en groupes et fournir des services, ou autres choses, d'un bout à l'autre.

Pourriez-vous nous donner votre opinion sur l'incidence de l'emploi continu sur les résultats scolaires et nous expliquer comment vous pouvez organiser des occasions d'emploi continu?

M. Levin : Eh bien, en ce qui concerne l'emploi des étudiants de façon globale, nous savons que les étudiants sont plus nombreux aujourd'hui qu'auparavant à avoir un emploi. Cela est vrai pour les étudiants des écoles secondaires et des établissements d'enseignement postsecondaires. Les étudiants travaillent pour toutes sortes de raisons, entre autres pour payer les droits de scolarité des programmes d'études postsecondaires. Ils travaillent aussi afin de maintenir un certain style de vie, d'accumuler de l'expérience, d'être indépendants et autonomes. Ils travaillent pour de multiples raisons, pas seulement parce qu'ils ont besoin d'avoir un revenu. Je ne crois pas que l'on doive considérer l'emploi comme étant seulement un moyen de payer les droits de scolarité, parce qu'il existe probablement d'autres raisons de travailler.

Je suis tout à fait en faveur des programmes travail-études. En général, je ne suis pas en faveur des programmes de subventions salariales, car ils sont souvent inefficaces et ont un effet de déplacement sur l'emploi. Les programmes de subventions salariales qui visent à aider les établissements d'enseignement postsecondaire ou encore des groupes communautaires locaux pour qu'ils embauchent des étudiants et leur confient du travail lié à leurs études, ce n'est vraiment pas la même chose que les programmes de subventions salariales proprement dits, parce que les premiers ont également des avantages sur le plan de l'éducation.

Il est possible de faire beaucoup de choses intéressantes pour augmenter les occasions d'emploi. Les collèges communautaires et les universités, en particulier, pourraient à bien des égards mobiliser de façon utile les étudiants. Avec un peu d'aide, la synergie serait assez facile à établir. Les étudiants au doctorat des établissements d'enseignement supérieur sont financés et gagnent de l'argent tout en travaillant à leurs études. C'est une façon assez agréable de fonctionner. Rien ne nous empêche de faire la même chose pour les étudiants des premiers cycles universitaires ou des collèges communautaires.

Le sénateur Keon : Est-ce que ce n'est pas nuisible sur le plan scolaire que les étudiants travaillent trop?

M. Levin : Dans le cas des étudiants des niveaux supérieurs, je n'ai rien vu qui le prouve. En ce qui concerne les étudiants du niveau secondaire, les éléments de preuve recueillis montrent qu'un emploi qui n'exige pas plus que 20 heures par semaine n'a pas d'incidence réelle sur les résultats scolaires; au-delà de ces 20 heures, cependant, il y a des répercussions. La question qui se pose toujours, quand on fait de telles études, est la suivante : quelle est la cause et quel est l'effet? Il se peut que les étudiants qui travaillent plus d'heures soient au départ moins engagés dans leurs études, d'où leur décision de travailler plus.

Il ne fait aucun doute que, si nous avions une meilleure aide financière à leur offrir, les étudiants seraient mieux placés pour faire un choix quant à la façon dont ils utilisent leur temps. Les répercussions seraient alors plus nettes.

Je n'ai pas de réponse à votre question concernant les études supérieures. Au niveau secondaire, les résultats sont curvilignes. Après un certain nombre d'heures de travail, les répercussions sur les résultats scolaires sont négatives.

Le président : Le comité compte dans ses rangs le sénateur Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, qui a occupé le poste de recteur de l'Université Acadia.

Le sénateur Ogilvie : En fait, j'ai commencé ma carrière à l'Université du Manitoba.

Votre exposé était intéressant. C'est sans aucun doute un sujet fascinant et extrêmement complexe. Vous avez souligné que vous n'aviez pas exposé chaque sujet en détail. Cependant, sur cette question, je crois que bien des conclusions qui ont touché le système d'éducation étaient fondées sur une vision sommaire de la situation. Ces conclusions n'ont pas tenu compte des enjeux sous-jacents, qui ont une grande incidence. C'est un domaine si vaste et si complexe; ce n'est pas facile à faire.

J'essaierais de m'en tenir à trois questions précises. Les mesures que vous avez proposées, au Manitoba, visaient à ramener l'endettement moyen à un montant de 5 000 $ par année par étudiant, qui est le montant que vous ciblez. Vous avez mentionné que l'endettement moyen était de 6 000 $. Est-ce que cette moyenne concerne uniquement les étudiants endettés ou est-ce qu'elle tient compte de l'ensemble des étudiants du Manitoba?

M. Levin : C'est le montant maximal d'endettement que les étudiants peuvent atteindre. En réalité, le Manitoba affiche un niveau d'emprunt et d'endettement inférieur à celui des autres provinces.

Le sénateur Ogilvie : Merci de le préciser. C'est important, car cette question détourne souvent le débat. Les chiffres sur lesquels je me suis fondé pour prendre mes décisions supposaient qu'en général environ la moitié des Canadiens qui poursuivent des études postsecondaires n'ont pas de dette. Quand on mentionne le montant moyen de l'endettement, il s'agit en général de l'endettement moyen des étudiants qui ont emprunté.

M. Levin : C'est vrai, encore une fois. Cependant, le montant de 6 000 $ était un montant maximal.

Le sénateur Ogilvie : J'essaierai de bien formuler ma deuxième question, encore une fois, car c'est un vaste sujet et qu'il est probablement difficile de donner une réponse. Tout le monde s'entend pour dire que les études postsecondaires entraînent clairement des avantages financiers. Selon la plupart des études, les personnes qui terminent leurs études secondaires gagnent, une fois sur le marché du travail, un salaire moyen plus élevé que celles qui n'en ont pas fait.

M. Levin : C'est exact.

Le sénateur Ogilvie : J'aimerais en venir à la question de savoir à quels égards le salaire est directement lié aux études postsecondaires.

Nous savons que, pour bien des domaines de travail, il est relativement facile de lier le revenu des personnes qui ont terminé leurs études postsecondaires à l'enseignement reçu. Mais peut-on sans problème appliquer cette conclusion dans tous les cas? Existe-t-il une étude définitive montrant que le revenu des personnes qui ont poursuivi des études postsecondaires est réellement lié, dans absolument tous les cas, à ces études postsecondaires?

Bon nombre de ces personnes auraient été capables d'entrer sur le marché du travail à la faveur d'autres circonstances, peu importe leur programme d'études.

M. Levin : Vous avez tout à fait raison de le souligner. Si l'on prend un groupe de personnes qui ont les mêmes qualifications, on observera une importante variation du revenu. Même dans les domaines où les qualifications sont très élevées, comme la médecine ou le droit, le profil de revenu est très variable. Certaines personnes feront beaucoup plus d'argent que d'autres, même si elles ont les mêmes qualifications. Nous parlons ici de moyennes, et cela a un effet de distorsion. Il faut plutôt examiner les moyennes et la distribution.

Un de mes collègues des Pays-Bas m'a expliqué cela d'une très belle façon, dans le cadre d'une conférence. Il a dit que les études postsecondaires, c'est comme n'importe quel autre investissement. Il y a un risque. Il y a toujours un risque quand on fait un investissement.

Certaines personnes investiront dans des études postsecondaires et n'en retireront aucun avantage, pour une raison ou pour une autre. Les raisons sont nombreuses, on peut l'imaginer. La plupart des gens en tireront profit. Dans certains cas, le profit sera énorme; dans la plupart des cas, il se situera près de la moyenne; et dans d'autres cas, le profit sera nul. C'est pourquoi je propose que l'on définisse un plancher ou des mesures de protection pour les étudiants. Ainsi, les étudiants qui n'auront pas tiré avantage de leurs études ne se retrouveront pas avec de lourdes dettes, sans aucun moyen de les rembourser.

Il ne fait aucun doute que, peu importe le niveau de scolarité, les avantages varieront énormément.

Le sénateur Ogilvie : Vous avez dit, dans votre document, et vous y êtes revenu pendant vos commentaires, qu'il n'est pas souhaitable que les établissements individuels puissent fixer les frais de scolarité qui leur conviennent. Si j'ai bien compris, vous en avez fait une recommandation au Manitoba. Parliez-vous précisément du Manitoba?

M. Levin : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Ou parliez-vous de façon générale?

M. Levin : Le rapport était destiné au gouvernement du Manitoba, et cette recommandation y figurait. Je dirais que, de manière générale, je ne serais pas favorable à une déréglementation des droits de scolarité. Les établissements d'enseignement, naturellement et avec raison, choisiraient de déterminer leurs droits de scolarité de façon à maximiser leurs revenus. Cependant, le choix pour les établissements d'enseignement de maximiser les revenus n'est pas nécessairement le meilleur choix possible en ce qui concerne le taux de participation générale.

Le sénateur Ogilvie : N'êtes-vous pas en train d'aborder une autre question quand vous dites que vous considérez l'ensemble des établissements d'enseignement postsecondaire du Canada comme faisant partie d'un système national? Bon nombre de ces établissements ont une charte individuelle et privée qui leur permettrait de devenir des établissements privés s'ils le voulaient.

M. Levin : Oui. Les établissements ont tout à fait le droit de faire cela, mais ils ne doivent pas avoir le droit de s'attendre à ce que le public, dans ce cas-là, les subventionne.

Le sénateur Ogilvie : J'étais certain que c'était la façon d'interpréter la situation, mais votre commentaire est très précis. Nous avons des antécédents très différents. Je comprends votre point de vue.

M. Levin : Je ne dis pas que tous les établissements devraient exiger les mêmes droits de scolarité ou qu'il ne devrait pas y avoir de variations. Il faut qu'il y ait une fourchette. Les établissements devraient pouvoir modifier le niveau de leurs droits de scolarité. C'est une bonne chose. Mais à mon avis, ils ne devraient pas avoir la possibilité de modifier comme bon leur semble leurs droits de scolarité.

Le sénateur Eaton : J'aimerais parler de vos programmes ciblés et de vos programmes de mentorat.

Selon les témoins que nous avons entendus la semaine dernière, les études secondaires semblent constituer un moment critique. Une fois que les étudiants ont dépassé ce moment et qu'ils sont entrés à l'université, il y a une différence. Est-ce que les universités ne devraient pas prendre l'initiative de faire un ciblage dans les écoles secondaires?

Une fois que les jeunes sont entrés à l'université et qu'ils choisissent entre les programmes d'arts, de génie ou de médecine, ne devraient-ils pas, dès la première année, avoir accès à des conseillers, qui pourraient leur dire : « Vous voulez être comptable agréé, mais si l'on examine vos notes et vos intérêts, vous feriez peut-être mieux d'étudier les arts ou la psychologie. »

Nous avons aussi entendu parler des faramineux taux de décrochage. Ce sont des enfants qui entrent à l'université; ils se découragent, ils échouent ou ils ne voient tout simplement pas les avantages des études et ils abandonnent. Ne devraient-ils pas pouvoir obtenir des conseils quelconques au sujet de leur choix de programme et de leurs résultats?

M. Levin : Je suis d'accord avec vous sur ces deux questions.

Comme je l'ai déjà indiqué, les collèges communautaires et les universités font beaucoup de choses intéressantes dans le domaine du recrutement des étudiants. Par exemple, ils recrutent des étudiants non traditionnels. Il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine.

J'aimerais parler un peu de l'expérience que j'ai acquise, au Manitoba, en ce qui concerne les programmes d'accès. Ces programmes ont été institués au début des années 1970. L'hypothèse de départ, c'était qu'il fallait former davantage d'enseignants et de travailleurs sociaux d'origine autochtone afin qu'ils puissent travailler dans le nord du Manitoba. Dans cette région, peu de jeunes avaient leurs diplômes d'études secondaires.

Dans le cadre de ce programme, il s'agissait tout simplement de se rendre dans les collectivités pour recruter des adultes qui à notre avis, même s'ils n'avaient pas les qualifications, avaient la motivation et la capacité nécessaires pour réussir. Ils ont été recrutés par le programme et ils ont reçu de l'appui sous forme de conseils et de tutorat. Nous avons refait certains cours de façon que les étudiants aient plus de temps pour les terminer. Nous avons dû le faire parce qu'ils n'avaient pas les bases nécessaires. Par exemple, les étudiants s'inscrivaient à un cours prémédical, mais n'avaient pour ainsi dire aucune notion en sciences. Ils ne pouvaient pas non plus suivre un cours de première année en chimie organique. Il leur fallait un programme de douze mois pour faire tous les cours préalables à un cours de chimie organique avant de pouvoir s'inscrire à ce cours.

Ces programmes étaient associés à un taux d'obtention des diplômes d'environ 50 p. 100. Ce pourcentage ne semblait peut-être pas très élevé. Cependant, si l'on considère que, dans des circonstances normales, aucune de ces personnes n'aurait été admise à l'université alors qu'aujourd'hui elles obtiennent des diplômes en droit, en médecine, en génie, en travail social ou en enseignement, c'est assez impressionnant. En réunissant toutes les mesures de soutien nécessaires, c'est-à-dire du counselling et du tutorat, on peut obtenir des taux de réussite élevés. Le tutorat est un aspect important, car nous devons aider des gens qui n'ont pas de compétences scolaires à en acquérir.

On pourrait dire la même chose au sujet des élèves des écoles secondaires. Le mentorat est important. Il est aussi important de faire en sorte que les élèves des écoles secondaires visitent les campus des universités et des collèges communautaires. Ainsi, ils pourront voir ce qui s'y passe, et ils pourraient avoir l'impression qu'il y a là une place pour eux.

On observe un phénomène satisfaisant depuis quelque temps, au pays, et c'est que bon nombre de collèges et d'universités ont augmenté le nombre des étudiants autochtones et des programmes d'études autochtones sur leurs campus. Les jeunes Autochtones qui se présentent sur un campus le voient maintenant comme un lieu auquel ils pourraient appartenir, plutôt qu'un lieu où tout leur est étranger.

Le sénateur Eaton : Dans le même ordre d'idées, qu'arrive-t-il dans le cas des jeunes qui ont des troubles d'apprentissage? Est-ce que la plupart des universités ont prévu des mesures de soutien? Je ne parle pas des jeunes qui ont des troubles graves d'apprentissage. Je parle de ceux qui ont une légère dyslexie ou qui ont de la difficulté à écrire.

Y a-t-il suffisamment de programmes pour accueillir les personnes qui ont un QI suffisant, mais qui n'ont peut-être pas les capacités mécaniques requises?

M. Levin : Il n'y a probablement pas suffisamment de programmes. Bien des collèges et des universités ont déployé des efforts héroïques dans ce domaine, en changeant les politiques, en fournissant des mesures d'adaptation et des soutiens. Je suis sûr que tous ceux qui administrent un établissement d'études postsecondaires vous diront qu'il y a encore davantage à faire et qu'ils seraient prêts à le faire, si les circonstances le permettaient.

De manière générale, je ne considère pas qu'il manque de personnes capables. Selon tout ce que nous savons, nous n'exploitons pas de façon optimale cette capacité. Chaque fois que nous augmentons les exigences, nous constatons que, si nous offrons les bons programmes de soutien, les gens qui peuvent réussir mieux que nous le pensions sont plus nombreux que prévu.

Il y a environ 50 ans, nous estimions qu'un taux d'obtention de diplôme d'études secondaires de 50 p. 100 était un objectif ambitieux, et que la plupart des autres jeunes n'avaient pas la capacité de terminer leurs études secondaires. Nous estimons aujourd'hui que le taux d'obtention du diplôme d'études secondaires devrait être de 90 p. 100. Il y a 50 ans, 10 p. 100 des Canadiens entamaient des études de cycle supérieur. On se plaignait déjà du fait qu'ils étaient trop nombreux et qu'ils n'avaient pas les compétences voulues. Ce taux est aujourd'hui de 30 à 35 p. 100, et il pourrait encore être plus élevé.

Selon tout ce que nous savons, s'ils sont bien motivés et qu'ils peuvent s'appuyer sur des soutiens efficaces, les gens seront plus nombreux à réussir que nous le pensons généralement. Nous sous-estimons la capacité des gens.

Le sénateur Cordy : Vous nous avez donné de fascinants sujets de réflexion.

J'aimerais avoir vos commentaires au sujet des mesures de protection contre la catastrophe. Nous avons déjà dit qu'environ la moitié des étudiants, pour une raison ou une autre, n'ont pas à emprunter. La plupart de ceux qui ont emprunté gèrent raisonnablement bien leur endettement. Cependant, il est question dans les journaux d'étudiants qui se retrouvent en situation de catastrophe, et ce sont des histoires très accrocheuses. On s'apitoie bien sûr grandement sur le sort des étudiants qui se retrouvent dans ce type de situations, peu importe la raison, par exemple une maladie ou la situation économique, et qui n'ont que des emplois à temps partiel.

Vous avez abordé plus tôt un autre sujet, c'est-à-dire l'impossibilité de déclarer faillite pour se protéger avant un certain nombre d'années. Le sénateur Goldstein avait proposé un projet de loi, qui a été rejeté par le Sénat, et qui visait à réduire le nombre d'années qui doivent s'écouler avant qu'un étudiant puisse déclarer faillite. D'autres projets de loi ont été présentés à la Chambre des communes, mais aucun n'a été adopté.

Pourriez-vous nous donner plus de détails sur le fonctionnement de ce programme? Ça semble être une bonne idée, mais comment serait-il adapté aux cas les plus malheureux?

M. Levin : Pour commencer, ce problème concerne un petit nombre d'étudiants. Il semble qu'environ 10 p. 100 des étudiants ont de la difficulté à gérer leurs dettes. C'est déjà peu. Dans la plupart des cas, cette dette peut être gérée d'une façon ou d'une autre.

Le Programme canadien de prêts aux étudiants a mis sur pied un programme d'exemption d'intérêts. Et si j'ai bien compris, on est en train de le revoir complètement parce que personne ne s'en est prévalu; le formulaire de demande était trop compliqué et, en fait, les gens ont tout simplement baissé les bras. Je ne sais pas si le nouveau programme est déjà en vigueur. Peut-être que oui. On a revu le programme dans l'objectif de le rendre plus facile. C'est peut-être plus près de ce dont on a besoin.

Si l'on pouvait dire aux étudiants qu'un seuil minimal a été fixé et qu'on ne les laissera pas tomber; il y aurait des coûts minimes. Il faudrait un formulaire de demande personnalisé, parce que chaque cas est différent. Je ne pense pas qu'on puisse administrer un tel programme autrement que selon un processus de présentation de demande; mais il y a de nombreuses façons de sensibiliser les étudiants à ce processus. Par exemple, lorsqu'ils n'effectuent pas leurs remboursements, il pourrait y avoir un avertissement signalant qu'un examen est nécessaire. Pour faire l'examen des cas particuliers, il faudrait par exemple un comité.

Cela concernerait un assez petit nombre d'étudiants, étant donné que des avertissements seraient intégrés au processus. Je crois qu'il y aurait un faible coût. Cependant, comme vous l'avez signalé, ces cas attirent énormément l'attention du public. Nous aimerions qu'il n'y en ait plus, et ainsi encourager un grand nombre de personnes qui hésitent encore en les convaincant que c'est quelque chose qu'elles devraient faire et qu'il est raisonnable d'emprunter afin de garantir leur avenir.

Le sénateur Cordy : Vous avez raison. Il y a des étudiants qui hésitent et dont la situation financière familiale est telle qu'ils savent qu'ils devront emprunter le montant maximal. On pourrait réduire ce problème en imposant un plafond de 6 000 $ d'endettement, comme vous l'avez suggéré.

Cela représente un défi pour le gouvernement qui, quand il élabore des plans, a tendance à viser un « plan universel ». Vous avez parlé d'un comité. Comment fonctionnerait-il? J'ai entendu dire qu'en Nouvelle-Écosse, certaines personnes avaient tenté de déclarer faillite mais n'en ont pas eu la possibilité; elles ont tenté de se suicider. Dans certains cas, elles ont réussi. C'est vraiment quelque chose que nous devrions examiner.

M. Levin : La plupart des provinces prévoient actuellement des mécanismes permettant aux étudiants d'interjeter appel; elles versent une aide financière aux étudiants. Les étudiants qui souhaitent se prévaloir du régime d'aide présentent une demande, et cette demande est soumise à un processus relativement mécanique où on exécute toutes sortes de calculs. On obtient un chiffre, et c'est ce montant que reçoit l'étudiant.

Toutefois, dans la plupart des provinces, les étudiants peuvent écrire une lettre pour expliquer : « Écoutez, vous devez tenir compte de tel ou tel aspect dans ma vie qui ne figure pas dans votre formulaire, mais qui a une incidence. » Généralement, comme il s'agit d'un nombre restreint de cas, on les examine individuellement, et des changements peuvent être apportés au montant de l'aide financière.

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire quelque chose de semblable à la fin du processus. On dirait aux étudiants : « Si vous n'êtes pas en mesure de rembourser votre dette — et il pourrait y avoir d'autres éléments déclencheurs, comme le montant du prêt —, sachez qu'il existe un processus d'examen. Si vous avez de bonnes raisons pour justifier votre incapacité à vous acquitter de vos obligations, nous pouvons faire divers rajustements. » Ces rajustements pourraient prendre la forme d'un report de paiement, d'une radiation de la dette, et cetera. Cela permettrait aux étudiants de rembourser leur dette dans la mesure du possible, mais de ne pas se retrouver dans une situation où ils sont incapables de la rembourser ou d'en être exonérés et sont pris au piège.

Une maladie grave, un parent malade, l'obligation de s'occuper d'un parent ou d'un enfant malade, la perte d'un emploi sont des exemples de raisons justifiant l'incapacité de s'acquitter d'une dette.

Le sénateur Cordy : Oui, dans la plupart des cas, ces personnes doivent composer avec des circonstances indépendantes de leur volonté.

Je souhaiterais aborder la question selon laquelle les droits de scolarité ont peu ou n'ont pas d'effet sur le taux de fréquentation des universités. Ce n'est pas une nouvelle pour nous; nous en avons souvent entendu parler au comité. Toutefois, chaque fois qu'un groupe d'étudiants vient me rencontrer à mon bureau, si cette question n'est pas leur première préoccupation, elle est certainement la deuxième ou la troisième. L'augmentation des droits de scolarité suscite toujours de l'inquiétude chez les étudiants.

Vous avez déclaré que les droits de scolarité ne devraient pas être excessifs, que les hausses devraient être modestes. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à cet égard?

M. Levin : Il est certain que la question des droits de scolarité préoccupait grandement les étudiants qui ont participé à la commission au Manitoba. À un certain moment, j'ai dit aux représentants de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants : « Aidez-moi, alors. Montrez-moi une étude empirique, réalisée où que ce soit dans le monde, qui révèle que la diminution considérable des droits de scolarité augmente le taux de participation aux études postsecondaires. Montrez-m'en une. » Bien sûr, il n'en existe aucune. Il n'y en a littéralement aucune. Toutes les études empiriques démontrent le contraire.

Cela dit, les étudiants veulent que les droits de scolarité soient prévisibles. Lorsqu'on commence un programme de quatre ans, on veut être certain que les droits de scolarité ne vont pas subitement augmenter de 25 p. 100 à la troisième ou à la quatrième année.

Le gouvernement de l'Alberta a mis en place une initiative intéressante qui consiste à négocier, si on peut dire, la hausse des droits de scolarité. Il réunit les représentants d'associations étudiantes de la province et leur dit : « Au cours des trois prochaines années, les droits de scolarité augmenteront de tel ou tel pourcentage. » Il fait ce genre d'annonce, alors les étudiants qui commencent un programme d'études savent à combien s'élèveront leurs droits de scolarité pour les quatre prochaines années.

Généralement, les droits de scolarité devraient correspondre à 20 ou 30 p. 100 du coût total des études. Le pourcentage peut être légèrement plus élevé dans le cas d'un étudiant célibataire qui vit encore chez ses parents. Dans le cas d'un étudiant qui doit subvenir à tous ses besoins, qui a des personnes à sa charge ou qui a un manque à gagner, les droits de scolarité pourraient équivaloir à moins de 10 p. 100 du coût total de la fréquentation scolaire.

Si on augmente de 2, 3 ou 4 p. 100 les droits de scolarité qui correspondent à 30 p. 100 du coût total, cela n'a pas beaucoup d'incidence sur le coût total. Voilà pourquoi les droits de scolarité ne constituent pas un facteur déterminant. Toutefois, la situation financière d'ensemble joue un rôle important.

Je comprends le point de vue des étudiants à ce chapitre. Bien sûr, ils souhaiteraient payer des droits de scolarité moins élevés. Je crois seulement que leur revendication n'est pas défendable sur le plan de l'intérêt public.

Le sénateur Stewart Olsen : J'ai été étonnée lorsque vous avez mentionné les deux provinces qui affichent les taux de diplomation au secondaire les plus bas au Canada, car j'aurais cru que ces provinces se classaient en tête de liste.

Pour ce qui est de l'Alberta, vu l'essor de son économie, j'imagine que, comme il y a de bons emplois bien rémunérés, les jeunes se disent : « À quoi bon terminer mes études secondaires? » Toutefois, le gouvernement du Québec déploie beaucoup d'efforts pour encourager les jeunes à terminer leurs études secondaires. Que pouvez-vous répondre à cela?

M. Levin : Le gouvernement du Québec a récemment établi une commission qui s'est penchée sur la question du décrochage scolaire. J'essaie de me souvenir du nom du président, mais ça ne me revient pas. Cette commission était présidée par une personne issue du milieu des affaires au Québec.

Je connais bien ce sujet, car, lorsque j'étais sous-ministre en Ontario, nous avions mis en place une initiative importante pour accroître le taux de diplomation au secondaire qui a été plutôt fructueuse. Nous savons certainement comment y parvenir. Nous avons augmenté de neuf points de pourcentage le taux de diplomation au secondaire en Ontario; il y a maintenant 14 000 ou 15 000 jeunes de plus par année qui obtiennent leur diplôme d'études secondaires qu'il y en avait il y a cinq ans.

La commission au Québec a recommandé une approche semblable. Ce qui est intéressant au Québec, c'est qu'il y a une année d'études de moins. Les jeunes ne doivent faire que 11 années d'études, et, pourtant, cette province affiche un taux de décrochage assez élevé. Je crois que le taux de décrochage au secondaire est d'environ 30 p. 100. Je n'en connais pas assez au sujet du système scolaire québécois pour expliquer cette situation, mais je sais qu'elle préoccupe grandement le gouvernement du Québec.

Le sénateur Stewart Olsen : Cela m'a beaucoup étonnée.

Je souhaiterais ajouter que, bien que j'approuve en grande partie ce que vous dites, si nous offrons nombre de ces programmes au cours de la première année universitaire, nous ne pourrons pas accomplir ce que nous tentons de faire. L'université a pour mandat, entre autres, d'instruire de jeunes adultes et de les traiter comme tel. Ne faudrait-il pas plutôt offrir ces programmes au cours de la dernière année du secondaire? Ou peut-être que nous devrions prévoir une année de transition avant la première année universitaire, ce qui permettrait vraiment aux jeunes adultes de commencer à se débrouiller eux-mêmes?

M. Levin : Il existe de nombreux modèles qui pourraient nous être utiles, il existe différentes façons de mener à bien ce projet. Je crois certainement que les programmes visant à accroître la motivation et à amener les jeunes, ou les moins jeunes, à s'intéresser aux études postsecondaires peuvent être offerts beaucoup plus tôt. Nombre de jeunes ont des aspirations dès l'âge de 14 ou de 15 ans.

Lorsqu'on demande aux jeunes Canadiens de 14 ou 15 ans quelles sont leurs aspirations, un très grand nombre d'entre eux se voient déjà faire des études postsecondaires. Au Canada, 70 p. 100, 80 p. 100 et même jusqu'à 90 p. 100 des parents s'attendent à ce que leurs enfants fassent des études postsecondaires.

Les jeunes et les parents ont des aspirations. Mais la réalité les rattrape à mesure que les jeunes vieillissent. Lorsque les jeunes atteignent l'âge de 15, 16 ou 17 ans, ils éprouvent peut-être des difficultés à l'école ou à la maison et peuvent avoir d'autres problèmes. C'est à ce moment-là qu'ils commencent à perdre leur motivation. C'est à ce moment critique que l'on doit jumeler ces jeunes avec des mentors, que l'on doit les soutenir et les orienter davantage — même s'il se peut qu'ils ne reprennent leurs études que plus tard. Je ne veux pas perdre de vue le volet adulte de cette question.

Lorsque je travaillais au Manitoba, nous avions fini par créer un réseau de centres d'apprentissage pour adultes. Nous l'avions fait pour les mauvaises raisons, mais notre initiative a donné de bons résultats.

Ces centres d'apprentissage pour adultes ont permis à des milliers d'adultes — qui ne voyaient pas comment réintégrer le réseau de l'éducation — à non seulement terminer leurs études secondaires, mais, dans bien des cas, à commencer des études postsecondaires. Nombre d'entre eux ont suivi des programmes à double crédit, qui sont surtout offerts dans les collèges communautaires. C'était merveilleux de voir des adultes qui avaient abandonné l'école dire : « J'ai quitté l'école il y a 15 ans, mais, comme je veux que mes enfants terminent leurs études secondaires, je dois moi- même les terminer. »

Lorsqu'on donne aux gens la possibilité de terminer leurs études secondaires, cela a un effet positif non seulement sur les adultes, mais également sur leurs enfants et sur leurs petits-enfants. Je ne veux pas que l'on oublie les adultes dans ce dossier. Toutefois, vous avez raison d'affirmer que vous ne voulez pas intervenir seulement auprès des jeunes qui commencent des études universitaires; vous voulez susciter un intérêt à l'égard des études postsecondaires dès le plus jeune âge.

Le sénateur Stewart Olsen : Pourriez-vous me donner quelques exemples de programmes de sensibilisation que vous avez mis en place au Manitoba?

M. Levin : Bien sûr, et ce genre de programmes a été instauré à beaucoup d'endroits dans le pays.

Par exemple, lorsque Lloyd Axworthy a été nommé recteur de l'Université de Winnipeg, il s'est engagé à faire des activités de sensibilisation auprès des jeunes de quartiers défavorisés et des jeunes Autochtones. L'université a mis en place un ensemble d'initiatives; elle envoie, entre autres, des représentants dans les écoles secondaires et encourage les enfants à assister aux rencontres et à y inviter leurs parents. Des porte-parole de l'université participent à ces rencontres. S'il y a surtout des jeunes Autochtones, l'université invitera souvent un Aîné ou fera organiser une cérémonie autochtone qui accompagne la séance d'information.

On essaie d'établir des liens entre les enfants et l'Université de Winnipeg. On dit aux enfants de neuvième année : « Si vous terminez vos études secondaires et que vous êtes admis à l'université, vous aurez droit à une bourse d'études. » C'est une autre façon de montrer aux jeunes qu'il est possible pour eux de faire des études postsecondaires.

Il existe plein d'activités de sensibilisation — des programmes de mentorat et des camps d'été d'une semaine sur le campus auxquels participent des jeunes qui viennent de collectivités éloignées et rurales. Ces jeunes côtoient des chercheurs et des chargés de cours et peuvent donc avoir une idée de ce que font ces personnes dans une université.

Pensons aux jeunes qui grandissent dans de petites collectivités rurales et qui doivent s'installer dans une grande ville pour fréquenter une grande université où ils ne connaissent personne — ils quittent un endroit où tout le monde les connaît pour se retrouver dans un endroit où personne ne les connaît ni ne leur parle, à moins qu'ils parlent en premier aux gens; il s'agit d'une expérience traumatisante pour nombre d'étudiants. Il est pourtant si simple d'organiser des activités comme des programmes d'accompagnement qui consistent à jumeler de nouveaux étudiants avec d'autres étudiants, qui peuvent venir de collectivités semblables, pour que les nouveaux venus aient l'impression qu'on s'occupe d'eux. Il existe une multitude de programmes semblables, et beaucoup d'entre eux ne coûtent pas cher.

Le président : Le sénateur Pépin aurait une autre question à poser au sujet de la dernière intervention.

[Français]

Le sénateur Pépin : Ma collègue a posé sa première question qui traitait du sujet des études au Québec.

M. Levin : Oui.

Le sénateur Pépin : Le professeur Clément Lemelin, un professeur retraité de l'UQAM, dit qu'il faudrait peut-être qu'on change le fonctionnement du financement parce qu'actuellement le nerf de la guerre dans les universités, l'argent des universités va à la recherche et non à l'enseignement. Il dit que pour inverser cela, il faudrait qu'on finance les étudiants plutôt que les universités et qu'on augmente les droits de scolarité mais qu'on augmente aussi les bourses d'étude. On ramènerait alors l'enseignement dans les universités. Je me demandais ce que vous en pensiez?

[Traduction]

M. Levin : Je vous dirais que la situation est rarement aussi simple. Je suis en faveur du principe selon lequel les étudiants doivent assumer une part du coût des études. Je crois que cela augmente le sentiment d'appartenance des étudiants à l'égard de l'établissement d'enseignement.

Certaines des universités qui ont décidé de hausser les droits de scolarité ont négocié cette hausse avec les étudiants; une partie du malentendu tient au fait que les étudiants veulent jouer un plus grand rôle dans la gouvernance. Je crois que c'est une très bonne chose. Je crois que le fait de permettre aux étudiants d'avoir davantage leur mot à dire relativement à la gestion des universités contribuerait à augmenter les répercussions de l'importance de l'enseignement.

Les universités ne sont pas toutes sur un pied d'égalité en ce qui a trait à l'attention qu'elles accordent à cet aspect. Être plus attentif au bien-être des étudiants signifie bien plus qu'être seulement plus attentif à l'enseignement. Je parle ici du bien-être des étudiants en général. Il faut soutenir les universités et faire pression sur elles pour qu'elles ne se concentrent pas seulement sur l'enseignement, car la logique naturelle qui prévaut dans les universités et, dans une certaine mesure, dans les collèges communautaires les porte à faire justement le contraire. Elles sont obligées de faire ressortir leur caractère prestigieux et exclusif parce que, dans notre monde, c'est de cette façon qu'on peut récolter des récompenses.

Nous devons mettre en place un ensemble de mesures incitatives. L'une de ces mesures pourrait être l'intervention accrue des étudiants, ce qui est déjà appliqué, jusqu'à un certain point. Nous pourrions prendre d'autres mesures dans le même sens. Par exemple, nous devrions communiquer au public des renseignements plus clairs concernant les taux de réussite des étudiants dans différentes universités. Les étudiants devraient savoir quelle est la proportion d'étudiants qui ont réussi un programme donné dans telle université et ce qu'il advient de ces étudiants à la sortie de l'université. Ce mécanisme permettrait aux étudiants d'obtenir davantage de renseignements et, par le fait même, de jouer un plus grand rôle au sein de l'université.

En général, je conviens qu'il faut trouver des façons de faire jouer un rôle plus important aux étudiants. Toutefois, je ne crois pas que le paiement de droits de scolarité plus élevés soit la meilleure ou la seule façon d'y parvenir. Du point de vue conceptuel, des droits de scolarité plus élevés et un soutien accru ne constituent pas une mauvaise stratégie. Bien sûr, au Canada, dans les années 1990, on exigeait des droits de scolarité plus élevés, mais on offrait moins de soutien, ce qui n'était pas une très bonne idée.

Le sénateur Dyck : J'ai passé beaucoup de temps à l'Université de la Saskatchewan. Je vis à Saskatoon, et j'ai passé la majeure partie de ma vie à l'Université de la Saskatchewan, comme étudiante, professeure ou chercheure. Je ne peux m'empêcher de louanger le travail formidable que nous faisons à l'université pour ce qui est de tous les programmes destinés aux étudiants autochtones. Comme je suis une Autochtone, ce sujet me tient beaucoup à cœur. Je crois que vous avez dit que l'iniquité dans l'accès aux études postsecondaires était plus marquée dans les années 1990.

M. Levin : Elle s'est accrue pendant les années 1990.

Le sénateur Dyck : Cela était-il attribuable à la récession qu'il y a eu dans les années 1990? Quels en sont les facteurs?

M. Levin : Dans les années 1990, il y a eu une hausse considérable des droits de scolarité et une baisse marquée des diverses formes d'aide financière aux étudiants.

Le sénateur Dyck : Si la récession actuelle se prolongeait, cela aurait-il une incidence sur la capacité des étudiants de financer leurs études?

M. Levin : Cela risquerait fort d'avoir une incidence. Je crois que cela dépendra des nombreuses décisions du gouvernement concernant le financement versé aux étudiants et aux universités et, bien sûr, des possibilités d'emploi.

Le sénateur Dyck : J'ai grandi dans une famille qui n'avait pas d'argent. Notre planche de salut a été l'accès à des emplois d'été. J'ai eu la chance de travailler comme adjointe à la recherche après ma deuxième année d'université. J'ai travaillé entre autres dans le département de chimie et de biochimie. Devrions-nous allouer des fonds aux universités pour qu'elles puissent offrir plus d'emplois d'été directs à leurs étudiants? Dans mon cas, l'accès à un emploi d'été a certainement joué un rôle décisif.

M. Levin : Je serais en faveur d'une telle initiative, et elle devrait viser non seulement les universités, mais également les collèges communautaires, et elle devrait permettre d'offrir non seulement des emplois d'été, mais également des emplois durant toute l'année. Par exemple, nombre de chercheurs seraient ravis d'embaucher des étudiants qui pourraient les aider à mener à bien leurs projets. Je crois que cette initiative ne devrait pas uniquement s'adresser aux collèges et aux universités. On pourrait établir des partenariats utiles entre les établissements d'enseignement et des groupes communautaires.

Le sénateur Dyck : J'ai surtout étudié les sciences, alors j'ai tendance à ne penser qu'aux emplois dans des laboratoires. À l'évidence, des groupes communautaires pourraient également offrir des emplois intéressants aux étudiants universitaires, par exemple des emplois dans le domaine du droit.

L'autre facteur qui a une incidence importante sur le taux de réussite des étudiants, ce sont les fameux cours d'écrémage. Dans le programme de sciences, le cours de mathématiques de première année était un cours d'écrémage. Certains départements universitaires se vantent du taux d'échec associé au cours de mathématiques de première année. Qu'en est-il de ce genre de cours? Les universités n'ont-elles pas la responsabilité de faire en sorte que le contenu des cours soit bien enseigné et que l'objectif soit non pas l'échec, mais la réussite des étudiants?

M. Levin : C'est ce qu'il y a de très étrange au sujet des universités. Parfois, je les compare à une entreprise qui se vanterait de ses nombreux produits défectueux. Si une entreprise agissait de cette façon, elle ferait faillite en un rien de temps. Chaque entreprise vise la qualité totale. C'est comme cela qu'elles font de l'argent. Imaginez si les dirigeants d'un hôpital disaient : « Nous maintenons des normes de qualité élevées parce que nous ne traitons pas beaucoup de gens et que les personnes qui sont trop malades ne s'en sortent pas. » Aucun dirigeant d'hôpital ne se targuerait d'une telle chose, et, pourtant, les établissements d'enseignement se vantent du taux d'échec de leurs étudiants. C'est comme s'il y avait deux poids, deux mesures.

Cette situation tient non seulement à l'attitude des universités, mais également à un problème de perception publique. En Ontario, nous avons réussi à accroître le taux de diplomation au secondaire, mais les médias ont déclaré que le taux de diplomation avait augmenté parce que nos critères avaient été revus à la baisse. On semble croire qu'une hausse du taux de réussite découle forcément d'une diminution des exigences. Les établissements d'enseignement se retrouvent dans ce genre de piège. Je conviens tout à fait que nous devons aider les gens à réussir, et nous savons très bien comment y parvenir.

Le sénateur Dyck : En ce qui a trait aux étudiants autochtones, certaines des personnes à qui j'ai parlé il y a quelques années m'ont expliqué que les étudiants autochtones avaient du mal à trouver des programmes qui leur convenaient, qui les inspiraient et qui les motivaient. Savez-vous s'il existe des données sur le nombre d'Autochtones ou d'autres étudiants qui entrent à l'université et suivent divers cours, mais qui ne terminent jamais leurs études universitaires parce que les cours qu'ils ont choisis ne satisfont pas aux exigences d'un programme donné? Les étudiants autochtones avaient ce genre de problèmes à une certaine époque, mais j'ignore si c'est toujours le cas.

M. Levin : Je ne sais pas si ce genre de données existe; je suis désolé.

Le sénateur Dyck : J'aurais une autre question concernant les étudiants autochtones. Il y a un écart important entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes qui font des études postsecondaires, qu'il s'agisse d'études collégiales ou d'études universitaires. Devrions-nous prêter attention à cet aspect?

M. Levin : Oui. Il y a généralement un écart important entre le nombre d'hommes et le nombre de femmes qui font des études postsecondaires, ce qui est un autre élément intéressant.

J'ai parlé plus tôt des aspirations. Il y a environ 150 ans, les hommes croyaient que c'était une perte de temps pour les femmes de faire des études. Évidemment, ils étaient dans l'erreur. Aujourd'hui, ce sont avant tout les femmes qui s'inscrivent à l'université, et cette situation devient préoccupante. Nous devons nous demander : quelles sont les personnes qui ne font pas d'études postsecondaires? Quelles sont les personnes qui ne réussissent pas leurs études? Pourquoi ces personnes ont-elles échoué? Que pouvons-nous faire à ce sujet? L'objectif est d'aider ces personnes à réussir.

Le sénateur Dyck : Les femmes sont peut-être plus nombreuses au premier cycle, mais pas à tous les cycles. Chez les Autochtones, ce sont surtout les femmes qui vont à l'université.

Le sénateur Callbeck : Vous nous avez donné beaucoup d'idées formidables et beaucoup de renseignements intéressants.

J'aimerais revenir à la question de l'endettement, dont a parlé le sénateur Cordy. Je crois que vous avez dit qu'environ 10 p. 100 des étudiants étaient incapables de gérer leur dette. Pourtant, le graphique que j'ai ici montre que 25 p. 100 des jeunes qui ne vont pas à l'université affirment que c'est en raison des obstacles financiers et que 16 p. 100 des étudiants qui abandonnent leurs études universitaires se disent préoccupés par le montant de leur dette.

Je sais que vous avez recommandé au gouvernement du Manitoba de limiter le montant maximal de la dette, et vous avez proposé un maximum d'environ 6 000 $. Le gouvernement du Manitoba a-t-il donné suite à votre recommandation?

M. Levin : Oui, en effet. Lorsque j'étais sous-ministre au Manitoba, le gouvernement a conclu une entente avec la Fondation canadienne des bourses du millénaire, qui venait tout juste d'être créée. Un certain nombre de provinces ont utilisé les fonds de la FCBM pour réduire les dépenses provinciales liées à l'aide financière aux étudiants. Le gouvernement du Manitoba a plutôt décidé de verser un montant équivalent aux fonds consentis par la FCBM. Cela a entraîné une baisse marquée du montant de la dette, car, au Manitoba, le niveau d'emprunt est relativement bas chez les étudiants. Essentiellement, le gouvernement du Manitoba a pu annoncer que, à l'exception des étudiants qui suivaient des programmes très coûteux, ce qui correspondait à un petit nombre d'étudiants, un étudiant fréquentant un collège ou une université du Manitoba verrait sa dette plafonnée à 6 000 $ par année. Oui, le gouvernement du Manitoba a donné suite à cette recommandation.

Maintenant qu'on a tiré un trait sur la FCBM, j'ignore comment évoluera la situation. Lorsque j'ai terminé la rédaction de ce rapport, le gouvernement fédéral était en train de mettre la touche finale au nouveau Programme canadien de subventions aux étudiants. Vu la nouvelle entente de partage des coûts que les provinces ont conclue avec le gouvernement fédéral, j'ignore si le gouvernement du Manitoba sera en mesure de maintenir cette politique. Toutefois, la grande majorité des étudiants du Manitoba profitent de cette mesure depuis cinq ou six ans.

Le sénateur Callbeck : Cette politique a-t-elle eu une incidence énorme sur le nombre d'étudiants qui fréquentent l'université?

M. Levin : Je dirais que non, elle n'a pas eu une incidence énorme. Le taux de participation et l'équité de la participation ont augmenté, mais ce que j'essaie de faire valoir, c'est que ce ne sont pas uniquement les mesures financières qui nous permettront d'accroître le taux de participation et l'équité de la participation.

Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé du manque d'information à l'intention des étudiants et des parents. Je crois que vous avez déclaré qu'il faudrait communiquer davantage de renseignements aux étudiants et aux parents pour qu'ils puissent comprendre quels sont les coûts et les avantages liés aux études postsecondaires.

Que fait le gouvernement du Manitoba à ce chapitre? Quelles étaient vos recommandations?

M. Levin : Je lui ai recommandé de créer pour les étudiants une source indépendante d'information concernant le coût de chacun des programmes, tant les droits de scolarité que les coûts connexes, et le revenu moyen des diplômés. Cette information serait affichée en ligne et transmise aux élèves des écoles secondaires par l'intermédiaire des conseillers en orientation; les gens pourraient également se procurer cette information sur CD-ROM et sous forme imprimée.

Comme dans la plupart des provinces actuellement, un étudiant peut se rendre sur le site Web du régime d'aide financière aux étudiants, entrer quelques chiffres et avoir une idée du montant qu'il obtiendrait sous la forme d'un prêt ou d'une bourse. Cela prend environ deux minutes. On pourrait mettre en place un outil semblable. La personne se rend sur un site Web, et elle peut savoir à combien s'élèveraient les droits de scolarité et le coût du logement si elle faisait des études en enseignement, par exemple. La personne pourrait indiquer si elle habite ou non chez ses parents et si elle a ou non des enfants. L'outil calculerait le coût moyen des études et donnerait une idée du revenu que peut toucher un enseignant. De plus, l'outil pourrait calculer le montant possible de la dette et la durée de la période éventuelle de remboursement, à un taux d'intérêts donné, de la même façon qu'on peut obtenir ce type de renseignements grâce à l'outil de calcul de remboursement hypothécaire qu'ont trouve sur le site Web de toute banque.

On pourrait appliquer cette formule à différents scénarios. On pourrait obtenir des renseignements sur d'autres programmes. Il s'agirait d'un outil très simple qui pourrait être conçu et mis à jour par un tiers indépendant. Il n'en coûterait pas très cher de créer un outil semblable, et tous les élèves des écoles secondaires pourraient y avoir accès. Cet outil permettrait aux gens d'obtenir des renseignements utiles.

Lorsque les conseillers en orientation des universités ou des collèges animent des séances d'information à l'intention des élèves ou des parents, par exemple, on pourrait se servir d'un écran pour montrer à ces personnes comment utiliser l'outil en question. Ce serait très simple à faire et probablement très utile.

Le sénateur Callbeck : Comment inciter les étudiants à aller chercher en ligne cette information?

M. Levin : Je crois qu'on peut les motiver de nombreuses façons. Si les enseignants et les conseillers en orientation des écoles secondaires ont accès à cette information, ils la mettront à la disposition des élèves. Les élèves pourraient en prendre connaissance, les collèges et les universités pourraient inviter les élèves à y jeter un coup d'œil, comme on le fait dans le cas d'autres outils d'information. Cela fait partie d'un programme de sensibilisation. En lui-même, cet outil ne sera efficace que s'il est intégré à un programme plus vaste de sensibilisation et d'information.

Le sénateur Callbeck : Avez-vous examiné la situation dans d'autres pays? Vous avez sûrement tenté de savoir quels sont les pays qui affichent le taux de participation aux études postsecondaires le plus élevé chez les jeunes.

M. Levin : Oui.

Le sénateur Callbeck : Je pense que la Finlande est un pays qui se trouve à figurer dans le peloton de tête, car le taux de participation y avoisine les 52 p. 100. Le nôtre est d'environ 38 p. 100. Savez-vous pourquoi la Finlande se classe parmi les premiers? Y a-t-il des raisons particulières?

M. Levin : Je ne connais pas très bien la situation en Finlande. Le taux de participation varie grandement selon la source des données. D'après les données de l'OCDE, le Canada figure en fait parmi les pays où le taux de participation aux études postsecondaires est le plus élevé. En réalité, ce résultat est surtout attribuable à la fréquentation des cégeps au Québec, car une très grande proportion de jeunes font des études collégiales, lesquelles sont considérées comme des études postsecondaires. Dans les autres provinces, nombre de ces jeunes fréquenteraient encore l'école secondaire et ne seraient pas comptés comme des étudiants de niveau postsecondaire. Néanmoins, le taux de participation au Canada est très bon.

Je me suis penché sur la situation dans d'autres pays parce que nous entendons toujours que c'est comme ci en Irlande ou comme ça en Finlande ou ailleurs. Je dirais que chaque pays présente un ensemble unique de circonstances culturelles, sociales et économiques qui définissent son contexte, et il peut être très dangereux d'emprunter un seul élément d'un autre système.

Le Canada a adopté un modèle particulier qui se caractérise par des droits de scolarité assez élevés et des niveaux d'aide financière assez élevés, ce qui donne lieu à un taux de participation assez élevé. Certains pays, qui n'offrent presque aucune aide financière, affichent un taux de participation très bas. Il existe toutes sortes de modèles qui fonctionnent dans différentes circonstances, de différentes façons. Je dirais qu'il est toujours intéressant d'apprendre comment cela fonctionne dans d'autres pays, mais, ce que nous devrions vraiment faire, c'est de nous demander où nous en sommes rendus maintenant et comment nous pouvons améliorer la situation dans les limites de nos capacités.

Le sénateur Munson : J'aurais une question à vous poser, et j'aimerais revenir sur le sujet qu'a abordé le sénateur Eaton, à savoir les troubles d'apprentissage, pour pousser la discussion un peu plus loin. Je souhaiterais vous poser les trois questions suivantes : qui sont les personnes qui réussissent? Pourquoi ne sont-elles pas ici? Que pouvons-nous faire à ce sujet?

Je travaille auprès du milieu des personnes autistes et des personnes qui présentent une déficience intellectuelle, plus précisément les athlètes olympiques spéciaux. J'ai rencontré de nombreuses familles, de Whitehorse à St. John's, et j'ai discuté avec elles. Beaucoup d'efforts sont déployés pour aider ces personnes à obtenir leur diplôme d'études secondaires, selon le type de trouble qu'elles présentent. Elles finissent par y arriver, et cela exige beaucoup de sacrifices. Vous avez parlé des bourses d'études remises aux Autochtones, etc. Les universités en font-elles suffisamment pour aider les personnes autistes et celles qui ont certaines déficiences intellectuelles à entreprendre des études universitaires? Comme vous le savez, les statistiques relatives à l'incidence de l'autisme sont stupéfiantes.

De façon uniforme dans le pays, les universités offrent-elles à ces personnes des bourses d'études et des services de mentorat pour qu'elles puissent avoir l'occasion de poursuivre leurs études? Elles n'ont pas besoin de tisser des paniers ou de faire ce genre de choses, car elles ont réussi à terminer leur douzième année. Elles soutiennent qu'elles ont besoin non pas d'une gardienne, mais de plus d'instruction.

Le comité a accueilli des diplômés universitaires — des hommes et des femmes autistes — qui nous ont entretenus de cet aspect, lequel est abordé dans notre rapport intitulé Payer maintenant ou payer plus tard.

M. Levin : Votre point de vue est fort valable. Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons tendance à sous-estimer les capacités des gens et, lorsque nous leur donnons des possibilités et du soutien, nous constatons généralement qu'ils sont capables d'en faire plus que ce à quoi nous nous attendions. Voilà mon point de départ. En ce sens, si vous demandez si nous en faisons suffisamment, la réponse sera forcément non, nous pourrions en faire plus.

Je dirais que le milieu des études postsecondaires était un monde assez exclusif jusqu'à tout récemment dans l'histoire, jusqu'à il y a peut-être 20 ou 25 ans, lorsque nous avons en fait commencé à penser aux personnes qui ont des déficiences physiques, comme la cécité et la surdité. À cette époque, les établissements d'enseignement n'étaient pas très adaptés aux besoins de ces personnes. Maintenant, les choses se sont beaucoup améliorées dans nombre d'établissements d'enseignement, alors il est possible pour ces personnes d'être accompagnées d'une autre personne, de faire des examens oraux plutôt qu'écrits. La technologie fournit une aide précieuse. Il existe maintenant des groupes de personnes ayant des déficiences qui peuvent progresser à un rythme qui ne s'était jamais vu auparavant.

Pour répondre simplement à votre question — les universitaires fournissent rarement des réponses simples —, il est évident que nous pourrions en faire plus.

Le sénateur Munson : Les bourses d'études et ce genre de mesures incitatives pourraient-elles également jouer un rôle? De façon générale, les étudiants aspirent à quelque chose de mieux.

M. Levin : À mon avis, il doit y avoir une combinaison de mesures de soutien personnel et financier. Je dirais que les mesures de soutien personnel jouent un plus grand rôle que les mesures de soutien financier. Nous pouvons verser de l'argent aux jeunes pour qu'ils s'inscrivent à l'université. Mais, si, une fois à l'université, ils ne reçoivent aucun soutien pour réussir, alors nous ne leur avons pas vraiment rendu service en les incitant à s'inscrire.

La question qu'ils posent est la suivante : « Lorsque je commencerai mes études universitaires, y aura-t-il quelqu'un là-bas qui reconnaîtra le type de personne que je suis? Le personnel sera-t-il disposé à adapter les procédures, sans nuire à la qualité, pour que je puisse réussir en empruntant une voie différente? » Ces facteurs sont plus importants que le soutien financier.

Le sénateur Callbeck : Je souhaiterais obtenir votre point de vue à l'égard d'une recommandation de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants. Sa deuxième recommandation se rapporte à Statistique Canada. Vous avez certainement analysé beaucoup de statistiques dans ce domaine. La Fédération dit qu'il y a très peu de données relativement aux étudiants autochtones dans les collèges. Elle recommande d'accroître le financement alloué à la direction de Statistique Canada qui est responsable de la collecte et de l'analyse des statistiques liées aux études postsecondaires.

Approuveriez-vous cette recommandation? Croyez-vous que les statistiques à ce chapitre soient insuffisantes et, par le fait même, impropres à l'analyse?

M. Levin : La collecte de données statistiques dans le domaine de l'éducation constitue toujours une tâche difficile au Canada, car le pays est séparé en provinces et en territoires, et chaque province et territoire utilise des définitions différentes. On a de la difficulté à compiler des données liées aux universités, mais on a encore plus de mal à compiler des données associées aux collèges, car il existe une multiplicité de programmes d'études collégiales.

Généralement, les universités offrent des programmes de premier cycle de trois ou quatre ans ou des programmes d'études supérieures qui sont relativement semblables d'une université à l'autre. Par contre, les programmes d'études collégiales peuvent durer quelques semaines, quelques mois ou deux ou trois ans. Ces programmes sont constitués d'une grande diversité de cours, alors il est très difficile de réunir des données uniformes pour ce qui est des collèges communautaires du Canada.

En outre, dans certaines provinces, des collèges offrent des programmes de passage à l'université, alors que les collèges d'autres provinces ne le font pas. De même, certains collèges décernent des diplômes, d'autres, non. Au Canada, les programmes des collèges communautaires varient énormément, ce qui constitue toujours un défi au chapitre de la statistique.

Oui, il serait utile d'en savoir plus à ce chapitre. Lorsqu'il s'agit de groupes en particulier, comme les Autochtones et les minorités ethniques, il est évident que nous nous heurtons à la question des droits de la personne et de la déclaration volontaire. Le gouvernement de l'Ontario a fait beaucoup d'efforts dans les écoles pour renforcer les relations avec les Autochtones pour que nous puissions obtenir des données concernant leur rendement scolaire. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a également fait du très bon travail à cet égard.

Dans le domaine de l'enseignement supérieur, il y a beaucoup de préoccupations semblables. C'est rarement une seule question d'argent. Il s'agit plutôt de disposer des capacités permettant de recueillir de meilleures données.

Le sénateur Callbeck : D'accord. Merci.

Le président : Permettez-moi de vous poser une question au sujet d'un élément que vous avez mentionné deux ou trois fois : l'existence d'un plancher. À ce que j'ai compris, seul un petit nombre de personnes éprouvent des difficultés financières. Toutefois, ces personnes doivent faire face à cette réalité et à de nombreux problèmes qui sont parfois causés par un événement imprévisible ou une incapacité soudaine.

Vous avez dit que nous devions limiter l'endettement maximal pour aider ces personnes à composer avec cette réalité. Je crois que vous avez également déclaré qu'il est tout aussi important ou plus important de montrer qu'il existe un filet de sécurité. Vous croyez qu'une telle mesure inciterait les gens qui craignent l'endettement à faire des études postsecondaires.

Quel mécanisme utiliseriez-vous pour établir ce plancher?

M. Levin : J'utiliserais deux mécanismes.

Permettez-moi d'abord de parler de la perception négative de l'endettement. Il y a des données probantes qui révèlent que les personnes à faible revenu sont celles qui hésitent le plus à emprunter pour financer leurs études. Elles sont les moins susceptibles de considérer cet endettement comme une forme d'investissement. De plus, il est évidemment plus risqué pour elles de faire des études universitaires, car elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour financer leurs études. Il s'agit de personnes qui ne sont pas habituées d'emprunter de l'argent pour réaliser des projets. Par conséquent, on doit essayer de changer la perception négative de l'endettement, et cela fait partie du travail de relations publiques, si je peux m'exprimer ainsi. Tout à fait : cet aspect est important du point de vue tant symbolique que pratique.

Pour ce qui est des mécanismes en question, je dirais qu'il y a deux mécanismes principaux. Le premier consiste à imposer un plafond au montant de l'emprunt. Si l'étudiant sait qu'il aura besoin d'emprunter un montant maximal de 5 000 $ ou de 6 000 $ par année pour faire des études à temps plein, cela crée en soi un type de plancher. Il n'y aurait pas d'étudiants qui emprunteraient 8 000 $, 9 000 $ et 10 000 $ par année et qui se retrouveraient avec 40 000 $ ou 50 000 $ de dettes. L'étudiant devrait utiliser d'autres moyens pour combler le reste de ses besoins financiers.

Le deuxième mécanisme est une protection en cas de situation grave. Cela signifie être capable d'expliquer aux gens qu'ils ne seront pas placés dans une situation désastreuse si, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ou même par leur faute, ils ont contracté une dette importante qu'ils sont incapables de rembourser. Nous devons prévenir des situations où des jeunes de 22 ou de 23 ans hypothèquent leur avenir parce qu'ils ont une mauvaise cote de crédit et se voient dans l'impossibilité d'acheter une maison. Il doit y avoir un mécanisme d'appel qui permet de régler des situations semblables et qui donne aux personnes endettées la possibilité de rétablir raisonnablement leur situation financière.

À l'évidence, il faudrait faire en sorte que ce mécanisme n'incite pas les gens à se dispenser du remboursement de dettes légitimes. Je ne vois pas pourquoi il nous serait impossible ou même particulièrement difficile de le faire.

Le président : Il semble que vous dites au sujet du deuxième mécanisme — la protection en cas de situation grave — qu'il s'agirait d'un genre de programme d'assurance. Il faut également se demander qui garantirait le prêt. Est-ce qu'une partie du prêt serait garantie par le programme d'assurance et, l'autre, par le gouvernement? Si le plafond était de 6 000 $, est-ce que ce serait le gouvernement qui garantirait ce montant?

M. Levin : Ce serait une possibilité. Ce programme pourrait être financé de différentes façons, et, en fait, je n'ai pas réfléchi à tous les détails du mécanisme.

Au début, j'avais à l'esprit un modèle inspiré de l'assurance, comme l'assurance-incendie. Tout le monde verserait une prime, et on vous indemniserait si votre maison brûlait, mais les maisons de la plupart des gens ne brûleraient pas, alors ils paieraient et ne feraient aucune réclamation. Ce n'est pas un mauvais modèle.

À mon avis, l'aspect essentiel est que le coût d'un tel mécanisme serait très faible. Nous versons chaque année 900 millions ou 1 milliard de dollars en prêts étudiants; environ 90 p. 100 de ces prêts seront remboursés sans trop de difficulté.

Le sénateur Ogilvie : J'aimerais revenir sur la dernière discussion, car je vous ai entendu dire dans votre exposé et dans vos réponses à d'autres questions que le plafonnement de la dette devait être assorti d'une analyse minutieuse et de mesures de soutien.

Lorsque vous commencez à parler d'assurances, on a l'impression de s'éloigner de ce dont je croyais que vous parliez, c'est-à-dire une analyse très précise, très détaillée et très minutieuse du dossier de la personne avant de l'exonérer de toute dette. La notion d'assurances nous mène ailleurs, et j'avancerai qu'il faut être extrêmement prudent, vu l'esprit d'entrepreneur des jeunes de ce groupe d'âge.

M. Levin : Bien sûr. Les sociétés d'assurance font également preuve d'une certaine diligence avant de verser un paiement. Il faudrait établir des critères pour que ce mécanisme ne devienne pas une façon de se dérober facilement à ses responsabilités, tout à fait.

Le président : Soutirer de l'argent aux sociétés d'assurance, ce n'est pas du gâteau.

C'est ce qui conclut la séance. Je vous remercie beaucoup, monsieur Levin; votre exposé nous a été très utile. J'ai visité l'IEPO à de nombreuses occasions au fil des ans, et je garde en mémoire le souvenir d'excellentes séances. Ce que je me rappelle le plus à propos de l'IEPO est le bruit qui provenait du métro en dessous. Les murs tremblent, et ça fait tout un tapage. Peut-être que vous pourrez corriger la situation un jour.

M. Levin : Merci, ce fut un plaisir.

(La séance est levée.)


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