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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule No. 11 - Témoignages du 15 février 2012


OTTAWA, le mercredi 15 février 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 14, pour poursuivre son étude sur la cohésion et l'inclusion sociale au Canada.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte.

[Français]

Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse. Je vais demander à chacun de mes collègues de se présenter, à commencer par le vice-président, à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, vice-président.

Le sénateur Merchant : Bienvenue parmi nous. Pana Merchant, de la Saskatchewan.

Le sénateur Martin : Bonjour. Yonah Martin, de Vancouver, Colombie-Britannique. Bienvenue à tous.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, de Montréal.

Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le président : Merci beaucoup.

Nous allons demander au sénateur Callbeck de se présenter, puisqu'elle arrive.

Le sénateur Callbeck : Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le président : C'est parfait. Je viens de déclarer la séance ouverte et...

Le sénateur Cordy : Tout le monde arrive en courant. C'est bien.

Le président : Pouvez-vous vous présenter, sénateur?

Le sénateur Cordy : Je suis Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Dyck : Sénateur Lillian Dyck, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci encore.

Nous avons quatre groupes de témoins aujourd'hui, et je vais vous les présenter au fur et à mesure que je vais leur donner la parole. Nous avons décidé de commencer par les témoins assis à ma gauche.

C'est notre huitième réunion sur l'étude qui nous a été confiée, à savoir la cohésion et l'inclusion sociales. Aujourd'hui, nous allons parler de planification urbaine et de son impact sur l'inclusion ou l'exclusion de certains groupes sociaux.

Je vais commencer par inviter Peggy Taillon, présidente et directrice générale du Conseil canadien de développement social, à faire une déclaration liminaire. Je souhaite également la bienvenue à Katherine Scott, vice-présidente de la recherche, qui pourra répondre à d'autres questions.

Madame Taillon, vous avez la parole.

Peggy Taillon, présidente et directrice générale, Conseil canadien de développement social : Merci de nous avoir invitées. Je suis ravie de comparaître devant un comité qui fait un travail incroyable et qui produit des rapports documentés et progressistes, qui font autorité.

L'un de ces rapports, justement, est directement relié au sujet dont nous discutons aujourd'hui, et s'intitule Pauvreté, logement, itinérance; c'est un excellent rapport, qui est un complément utile aux questions dont nous allons traiter aujourd'hui.

Comme vous l'avez dit, je suis accompagnée de Mme Scott, l'une des voix les plus progressistes en matière de politique sociale. Je suis heureuse de comparaître avec elle.

Ma déclaration va plutôt être un aperçu général de la question. Dans la trousse que nous vous avons remise, vous trouverez une série de diapositives avec des informations détaillées sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui.

Notre pays est à la croisée des chemins. C'est une expression rabâchée bien sûr, mais cela n'a jamais été aussi vrai de bien des façons. Le Canada évolue de manière fondamentale et le changement peut en effet avoir du bon, être une occasion de croissance et de progrès. Il faut cependant se demander si nous bâtissons ou si nous détruisons. Les enjeux sont si importants et, malheureusement, bien peu en sont conscients.

Pensez un instant à ceux qui ont écarté du revers de la main le récent mouvement d'occupation en disant qu'il ne signifiait rien, n'avait pas de message cohésif ni de cause à défendre.

Peut-être devrions-nous être plus attentifs et aller à la source de ce qui a déclenché ce mouvement sans précédent. Je crois, je sais en fait, que le mouvement d'occupation nous apostrophait tous, soulignait que notre société se divise maintenant en bien nantis et en déshérités, que l'élargissement des écarts est la nouvelle pandémie et que les interventions gouvernementales ont jusqu'à maintenant été totalement inadéquates.

La source des tensions qui ont fermenté et culminé avec le mouvement d'occupation est la réalisation que la prospérité et la possibilité d'améliorer son sort seront bientôt hors de la portée non seulement de ceux qui sont déjà des laissés pour compte et des marginaux, mais aussi de la classe moyenne, dont l'érosion menace ceux qui croyaient leur avenir assuré.

Ce dont il est question, ce sont des gens aux prises avec des structures économiques ne répondant pas à leurs besoins, des gens aux prises avec des gouvernements ne comprenant pas leurs besoins et des gens se heurtant à des systèmes inadaptés à leurs besoins. C'est l'expression d'une peur, d'une crainte palpable que des politiques à courte vue ruinent notre avenir.

C'est une réaction au choix d'ignorer les signaux alarmants d'une catastrophe écologique imminente, notamment les températures de 15 degrés enregistrées à travers le pays en novembre et en décembre, tant semble grande notre phobie de l'écologie.

Ce dont il est question, c'est de la catastrophe inévitable, à cause de la hausse du coût des soins de santé et de la pression exercée sur une infrastructure sociale en érosion, qui garantit presque qu'il ne restera rien aux générations futures, pour en blâmer ensuite les aînés. Il ne faut pas oublier que la longévité est un critère de succès de nos programmes sociaux. Ce dont il s'agit, c'est que les gens ont l'impression de ne pas être entendus, ils sont frustrés de voir notre infrastructure sociale se désintégrer sous leurs pieds et de se rendre compte qu'une grande partie de ce qu'ils ont appris dans leur jeunesse au sujet de ce pays n'est désormais plus qu'un rêve.

Il s'agit aussi de la peur d'être abandonné; être abandonné au Canada, pensez-y. Notre pays est officiellement devenu un pays où le code postal a plus d'importance que le code génétique; la pauvreté rend littéralement malade une partie de notre population.

Il est inconcevable qu'un pays aussi riche que le Canada, un pays qui se targue de protéger et d'émanciper les personnes les plus vulnérables de la société, un pays autrefois cité au sein de la collectivité internationale comme un exemple de rectitude morale, se transforme aussi rapidement en pays fertile en mythes.

Les soins de santé universels, la couverture sociale, le maintien de la paix, notre héritage autochtone, la mosaïque culturelle étaient autrefois des piliers de la société juste du Canada. Ces caractéristiques, authentiquement canadiennes et source de grande fierté, ne correspondent plus à ce que nous sommes devenus.

Avons-nous décidé qu'il était normal que des enfants canadiens partent à l'école sans avoir pris de petit-déjeuner, n'osent avouer pendant le déjeuner qu'ils n'ont rien à manger et se demandent, en revenant à la maison le soir, s'il y aura un repas sur la table?

Avons-nous décidé que, après des années à élever une famille, à travailler et à contribuer à leur collectivité et à leur pays, il était normal pour les personnes âgées de ne rien recevoir, d'avoir à choisir entre payer le loyer, se chauffer ou bien manger? Où est la dignité là-dedans? Avons-nous décidé que notre héritage autochtone commun n'était pas un motif de fierté? Que, pour tant de personnes, ce riche héritage serait la condamnation à perpétuité à une pauvreté catastrophique, dans des conditions rivalisant avec celles des pays en développement? Qu'on attribuerait l'isolement, la discrimination et la faim à de simples tares, sans y voir des symptômes d'exclusion? Avons-nous décidé qu'il est normal que des gens, après avoir fui la persécution, la guerre et la torture pour venir au Canada, soient obligés, pour s'intégrer à la société canadienne, de souffrir de la faim et de vivre dans la précarité?

Il est évident qu'il est temps de repenser notre contrat social, temps encore une fois de lancer un grand débat national sur ce qui nous définit aujourd'hui, quelle orientation nous voulons prendre et comment nous allons y arriver en préservant l'unité et la cohésion de notre pays.

À quoi ressemblerait donc ce renouvellement? Il faut modifier nos systèmes et nos structures et non pas les rafistoler. L'architecture sociale d'après-guerre avec laquelle nous composons est archaïque; elle ne reflète plus la façon dont les Canadiens vivent, travaillent et se détendent, et ne répond certainement plus aux besoins des familles canadiennes d'aujourd'hui.

Il s'agit de dire la vérité, en commençant par la situation des Autochtones du Canada, qui sont victimes d'un système fondé sur le colonialisme, le paternalisme et, j'ose le dire, le racisme. C'est un racisme profondément ancré, un racisme structurel, institutionnalisé et systémique tant au sein des ministères, des systèmes et des structures de gouvernement que des dispositifs législatifs.

Tant que n'en avons pas pris conscience en tant que pays, nous nous refusons notre héritage commun et nous mettons un frein à la prospérité collective. Il faut parler de l'obligation qu'a le gouvernement de veiller à réintégrer la notion d'équité au cœur de nos valeurs et de nos comportements afin que chaque Canadien puisse de nouveau compter sur la possibilité d'améliorer son sort et sur un bon départ dans la vie.

Il faut parler d'inclusion, d'espoir en l'avenir, de participation, de valeurs communes et de prospérité partagée, tirer parti de l'innovation et de la réussite au sein des collectivités, de ce qui nous rassemble. Cela peut être aussi élémentaire que de pouvoir se rendre dans une bibliothèque à proximité ou aussi complexe que de s'assurer que les personnes handicapées ont accès à tous les édifices. Il faut mettre en œuvre des programmes d'aide aux nouveaux Canadiens, créer des emplois de qualité qui offrent des débouchés intéressants et qui font sortir les gens de la pauvreté; il faut assurer aux enfants un bon départ dans la vie et donner à tous les Canadiens de véritables occasions de participer pleinement, peu importe leur code postal, leurs privilèges ou leur situation.

Il s'agit de ce qui nous définit en tant que nation, d'une promesse que nous faisons et d'un engagement que nous prenons à l'égard de nos enfants, de chacun d'entre nous et de nos collectivités. Il s'agit de la façon canadienne de faire les choses.

Merci.

Le président : Merci.

Je vais maintenant donner la parole à Sandeep Kumar Agrawal, directeur de l'École de planification urbaine et régionale de l'Université Ryerson.

Sandeep Kumar Agrawal, directeur du Programme d'études supérieures, École de planification urbaine et régionale, Université Ryerson, à titre personnel : Je vous remercie infiniment de m'avoir invité devant votre comité. C'est pour moi un plaisir et un honneur de discuter avec vous aujourd'hui. On m'a demandé de parler de l'inclusion sociale dans les villes canadiennes ainsi que des quartiers ethniques et de la cohésion sociale. J'aborderai ces sujets sous trois angles principaux : la question de la représentation et de l'inclusion dans les processus de développement des villes, le mythe selon lequel les enclaves ethniques nuisent à la cohésion sociale, et une solution inspirée du concept d'accommodement raisonnable.

Parlons d'abord de la représentation et de l'inclusion dans les processus de développement des villes. L'un des indicateurs de l'inclusion est la participation des divers groupes socio-ethniques aux processus de prise de décision concernant le développement de la ville. Cette participation peut prendre deux formes. La première consiste à inviter et à aider ces groupes socio-ethniques à exprimer leurs préoccupations par rapport à l'élaboration et à l'application des diverses politiques.

La seconde consiste à donner aux membres des communautés minoritaires les moyens d'occuper des postes d'employés ou de gestionnaires au sein de l'administration, et d'être élus ou nommés comme représentants du public.

Mes études montrent que, contrairement à la croyance populaire, les grandes villes canadiennes et américaines ont adopté des pratiques qui facilitent l'inclusion de tous les citoyens dans les processus de développement des villes. Certaines villes offrent des services de traduction et d'interprétation en différentes langues, invitent les organisations ethniques à participer aux travaux de planification et nomment des représentants des minorités au sein des groupes de travail et des comités de planification. Les villes adoptent de plus en plus des mesures innovatrices pour accroître la participation des citoyens, comme des réunions en petits groupes chez des résidents, l'utilisation de Facebook, de Twitter et d'autres médias sociaux, et l'organisation de « charrettes de conception ».

Les minorités sont de plus en plus représentées au sein des conseils municipaux ou des commissions et services de planification, mais cette représentation n'augmente pas au même rythme que le nombre des immigrants faisant partie d'une minorité visible. Par exemple, les minorités visibles constituent 40 p. 100 de la population de la région du Grand Toronto, mais elles ne représentent que 7 p. 100 des membres du conseil municipal.

L'inclusion des minorités visibles dans les structures décisionnelles ne relève toutefois pas tant de la planification urbaine que de la politique. La représentation électorale des minorités dépend des changements d'idéologies politiques (conservatisme ou libéralisme), des conditions socio-économiques et de l'organisation des diverses communautés.

Passons au deuxième point. Les enclaves ou quartiers ethniques constituent un problème dont personne n'ose parler lorsqu'il est question d'inclusion sociale. À en croire les médias et les politiciens, les enclaves ethniques sont des endroits qui découpent les villes selon des frontières ethniques, ce qui nuit à l'intégration sociale. Cette opinion sous- entend que les enclaves ethniques créent des problèmes, mais les études que j'ai réalisées démontrent que c'est rarement le cas. Les enclaves ethniques sont bien plus qu'une simple concentration résidentielle d'une minorité particulière. Ce sont également des endroits où les minorités donnent une vie à leur communauté en établissant des lieux de culte, des institutions, des services et des entreprises.

Les divers quartiers chinois, grecs, italiens et indiens font partie des grands attraits touristiques des villes canadiennes. Il ne faut pas confondre enclave ethnique et ghetto, qui est le produit de la pauvreté, de l'exclusion et de la dégradation urbaine. La plupart des enclaves ethniques existant au Canada ne sont pas aux prises avec de tels problèmes.

Les villes sont toujours organisées selon des quartiers définis dans l'espace : les riches d'un côté, les pauvres de l'autre, les jeunes familles en banlieue, les aînés et les célibataires au centre-ville. Le fait est que ces découpages spatiaux et fonctionnels d'après les classes, les revenus, l'ethnicité, le mode de vie, les types de famille et les activités sont les principes organisateurs des villes. Tant que ces découpages ne sont pas imposés et tant qu'ils n'entraînent pas la pauvreté et l'exclusion, ils ne constituent pas des ghettos.

Les enclaves ethniques ne nuisent également pas à la cohésion sociale. De nos jours, les quartiers influent peu sur la cohésion sociale; les quartiers urbains ne sont plus depuis longtemps des communautés territoriales où on établit nos premières relations sociales et de solides liens de voisinage. La vie sociale moderne est fondée sur les communautés d'intérêts, les associations professionnelles, les organismes de bénévolat et les réseaux sociaux qui s'étendent sur tout le territoire d'une ville.

Au mieux, les quartiers ne sont qu'une organisation sociale de moindre importance revêtant un caractère local. Les relations sociales qu'on y établit reposent sur les écoles, les groupes de loisirs, les programmes communautaires et les services locaux. Autrement dit, les quartiers ne jouent pas un rôle déterminant dans le développement d'un solide sentiment d'appartenance à une société.

Il existe plusieurs stratégies pour lutter contre les problèmes des quartiers ethniques pauvres. L'une d'elles consiste à promouvoir la cohabitation dans le même quartier de ménages à faible revenu et de ménages à revenu intermédiaire, et à diminuer le taux de concentration des ménages démunis dans les quartiers pauvres. Les logements subventionnés et les crédits d'impôt pour l'accession à la propriété sont d'autres stratégies envisageables. En encourageant la construction de logements et d'entreprises sur les terrains inoccupés, on renforce le tissu économique des quartiers défavorisés. Le but est de réduire les effets synergiques de la concentration de la pauvreté. Les programmes de revitalisation des quartiers défavorisés, comme le Regent Park de Toronto, montrent bien à quel point ces outils sont populaires. C'est en jetant des ponts entre les cultures, tant au plan géographique qu'au plan social, qu'on favorise l'intégration.

Le développement social fondé sur la communauté dans les quartiers défavorisés est une autre stratégie souvent employée. Toronto dispose d'un réseau de centres multiservices dans des quartiers comme Malvern, Thorncliffe Park, Fairlawn, Davenport et d'autres quartiers où habitent des immigrants. Ces centres offrent des services de counseling pour les jeunes, de recherche d'emploi et d'aide à l'installation, de même que des cours d'anglais, des cercles d'aînés, des programmes d'activités parascolaires, et cetera.

Tout compte fait, il n'existe actuellement aucune politique ou aucun outil public permettant de réguler la concentration géographique des groupes ethniques dans ces quartiers. Les politiques peuvent influer sur la qualité de vie des citoyens puisqu'elles décident des institutions et services qui y seront établis, sans parler de l'aménagement du territoire, du logement et des règlements commerciaux, mais elles ne peuvent pas déterminer qui a le droit ou non d'habiter dans un lieu donné.

Passons maintenant au troisième point : les accommodements raisonnables. Comment maintenir le pluralisme dans nos villes et nos politiques locales tout en garantissant l'égalité sans toutefois compromettre les grands objectifs tels que le développement durable, la croissance intelligente, les logements abordables et même la création d'emplois? Formulons la question autrement : comment trouver un terrain d'entente qui fait abstraction des intérêts divergents, mais qui permet d'assurer la santé et le bien-être de tous ainsi que la préservation de l'environnement? La solution semble résider dans les « accommodements raisonnables ».

Cette stratégie n'est pas souvent prise en compte dans la planification des villes même s'il s'agit d'un concept reconnu, voire obligatoire dans certains secteurs, pour l'élaboration des politiques publiques. Au Canada, ce concept se retrouve dans le droit du travail, les lois sur les personnes handicapées et les lois sur les droits de la personne. Les accommodements raisonnables sont une approche à deux volets : ils prévoient la modification des règlements, des critères et des politiques d'une institution pour concilier les besoins et exigences divergents de la clientèle et du personnel, mais ils établissent aussi des limites pour préciser jusqu'où ces modifications sont raisonnables.

Dans le domaine du développement et de la planification des villes, les accommodements raisonnables signifient que les besoins d'une communauté devraient être conciliés avec les intérêts de la ville dans son ensemble et avec les critères de justice et d'égalité vis-à-vis d'autrui. Il reste encore à régler les questions des enclaves ethniques, des zones commerciales et des institutions qui composent le tissu urbain, et concilier les intérêts culturels avec les objectifs généraux liés au développement durable et équitable, à la forme urbaine compacte, au bon aménagement, à la croissance économique et aux logements abordables. Il faut établir des politiques exhaustives définissant des critères et des normes de rendement pour les accommodements raisonnables. Il est également nécessaire d'établir l'étendue et les limites des accommodements culturels. Les fondements des accommodements raisonnables doivent être explicitement définis dans des politiques et objectifs de planification exhaustifs. À l'heure actuelle, les modes de développement des villes ne visent pas la création de villes inclusives. À l'aide de stratégies explicites sur les accommodements raisonnables, les politiques de planification urbaine peuvent réduire — sans toutefois éliminer — les inégalités structurelles de classes et de races enracinées dans nos systèmes politiques et économiques. La sensibilisation du public, l'amélioration de l'équité en matière d'emploi, le maintien d'une société ouverte et la promotion de la participation à la vie politique sont autant de processus qui favorisent la cohésion sociale. Les institutions où ce genre d'activités sont menées — écoles, lieux de travail, gouvernements, médias, sports et arts — sont des endroits où on peut améliorer la cohésion sociale et où les politiciens doivent intervenir.

Je vous remercie de votre écoute.

Alain Mercier, membre du conseil d'administration, Association canadienne du transport urbain : Je suis heureux de me joindre à vous au nom de l'Association canadienne du transport urbain, ou ACTU pour abréger.

Selon Statistique Canada, 40 p. 100 de Canadiens ne possèdent pas de voiture et, selon Transports Canada, environ 35 p. 100 de Canadiens n'ont pas de permis de conduire. L'Association canadienne des automobilistes estime qu'en 2011, la possession, l'acquisition et l'exploitation d'une voiture coûtaient environ 20 000 dollars.

Les forfaits pour un usage illimité des transports en commun coûtent en moyenne entre 1 000 et 1 200 $, selon la ville où on habite.

Il est important de rappeler, en guise d'introduction, que les transports publics ont pour mandat général de permettre la mobilité universelle des habitants des collectivités canadiennes. Ce mandat est assorti de nombreux objectifs d'ordre économique, environnemental et social, entre autres.

Les transports publics sont censés limiter les embouteillages dans les centres urbains, contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques et, bien sûr, favoriser l'inclusion sociale.

Malheureusement, ces objectifs ne sont pas toujours entièrement compatibles. Nos clients sont issus de nombreux secteurs de la société. Certains privilégient le service rapide, direct et fréquent. Les personnes âgées privilégient la proximité et la facilité d'accès de l'arrêt d'autobus. Enfin, les étudiants ont parfois besoin de services tard dans la nuit, alors que les gagne-petit recherchent les tarifs réduits.

Pour concilier tous ces objectifs, il faut bien sûr faire des compromis.

Cela dit, je suis ici pour vous parler des objectifs d'accessibilité et de mobilité dont notre mandat est assorti dans le but d'assurer l'inclusion sociale de ceux qui ne peuvent pas s'acheter une voiture. Je ne parle pas des Canadiens de plus en plus nombreux qui choisissent de ne pas avoir de voiture en raison des avantages qu'offrent les transports publics, mais de ceux qui n'ont pas le choix.

Pour ces gens-là, les transports publics sont un service essentiel. Un grand nombre d'études indiquent que, sans transports publics, ils ne pourraient pas avoir accès à un emploi, à des services de santé, à des écoles et à des lieux de divertissement.

L'ACTU a élaboré un concept appelé Vision 2040 — qui est une ébauche pour la prochaine génération. Vision 2040 définit comment les transports publics peuvent contribuer à optimiser l'accessibilité et la mobilité dans les villes canadiennes. Cette vision s'articule sur l'adoption d'une politique canadienne en matière de transports publics et sur la promotion de l'inclusion sociale. C'est un défi pour nous tous, mais surtout dans les petites collectivités et dans les zones rurales, où la population vieillit et où les gens ont de plus en plus de difficultés à assurer leurs propres déplacements. En ville, c'est déjà un problème, mais c'en est un autre dans les collectivités sans transports publics. Les gens ne peuvent pas toujours compter sur la famille ou sur les amis pour les emmener là où ils ont besoin d'aller : chez le médecin, dans les magasins, et cetera.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est toujours difficile de concilier les objectifs économiques, environnementaux et sociaux des transports publics, mais ça l'est encore plus quand on songe à la façon dont les budgets sont structurés. Si on offre un tarif réduit aux personnes âgées, aux étudiants et aux autres groupes subventionnés — conformément à des politiques publiques tout à fait justifiées —, ça émarge généralement au budget des transports plutôt qu'au budget social.

Résultat : le secteur des transports publics est perçu comme un secteur déficitaire. C'est vrai en partie, puisqu'on nous fait assumer le coût de ce service social — sans évaluer minutieusement les avantages pour les usagers par rapport aux avantages pour la société — en fonction de ce que l'usager ou la société paie pour ces avantages.

Une autre dimension importante de la relation qui existe entre l'inclusion sociale et les transports publics concerne les immigrants récents. Dans un rapport récent de la Fédération canadienne des municipalités, qui s'inspire d'une étude effectuée pour Statistique Canada, on constate que les immigrants récents sont beaucoup plus susceptibles d'emprunter les transports publics pour se rendre au travail que les résidents canadiens qui sont nés ici. Cette constatation a été confirmée même après vérification de l'âge, du sexe, du revenu et de la distance au travail.

Dans presque toutes les grandes villes, à l'exception de Toronto, les nouveaux arrivants étaient deux fois plus susceptibles d'utiliser les transports publics pour se rendre au travail. À Montréal, à peu près la moitié des immigrants récents empruntaient les transports publics, par rapport à seulement 20 p. 100 des travailleurs nés au Canada. Même si les statistiques montrent que ces différences s'atténuent avec le temps, un transport collectif accessible est une dimension fondamentale de la qualité de vie des immigrants récents, dont un grand nombre ne peuvent tout simplement pas se permettre d'acheter une voiture. Pour beaucoup de nouveaux immigrants, l'accès à des transports publics efficaces est aussi important que le logement. Bref, l'accès à des transports publics détermine les quartiers où les nouveaux arrivants peuvent vivre et travailler, et leur permet de s'intégrer à la collectivité.

Le concept d'inclusion sociale n'est pas très développé au Canada. La plupart des études proviennent du Royaume- Uni, des États-Unis ou d'Australie, et elles visent à mieux comprendre la pauvreté, laquelle peut être soit absolue soit relative. La pauvreté absolue, c'est ne pas pouvoir subvenir à ses besoins essentiels, alors que la pauvreté relative, c'est ne pas avoir accès aux mêmes ressources que les autres membres du groupe.

Quand on dit d'une personne qu'elle se situe en dessous du seuil de pauvreté, cela signifie qu'elle n'a pas les ressources financières suffisantes pour se procurer des articles de première nécessité, mais l'exclusion sociale peut avoir des conséquences aussi graves si elle empêche des personnes de participer à la société de la même façon que les autres. Que je sache, il n'existe pas de normes universellement acceptables pour déterminer des niveaux adéquats de l'inclusion sociale.

En résumé, je dirai que les transports publics sont un élément clé de l'inclusion sociale. C'est le seul type de transport qui soit universellement acceptable et qui soit disponible presque partout. Même si ses objectifs sont parfois contradictoires, c'est un levier important pour permettre aux gens qui ne possèdent pas leur propre véhicule d'avoir accès aux services essentiels, comme un emploi, une école, des services de santé et des lieux de divertissement.

La conclusion, mesdames et messieurs, c'est qu'en améliorant les transports publics, on rend la société plus inclusive. En conséquence, nous recommandons que le Canada se dote d'une politique nationale en matière de transports publics, en partenariat avec tous les niveaux de gouvernement, qui servira de fondement à la planification urbaine, à l'investissement, à la politique fiscale et à la recherche, et qui permettra d'optimiser le rôle des transports publics vers une plus grande inclusion sociale.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais maintenant donner la parole à Caroline Andrew, directrice du Centre d'études en gouvernance, de l'Université d'Ottawa.

Caroline Andrew, directrice, Centre d'études en gouvernance, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je suis ravie et très honorée d'être ici aujourd'hui. Le sujet que vous examinez est extrêmement important pour l'avenir du Canada. On constate de plus en plus, comme l'a dit quelqu'un tout à l'heure, que l'exclusion et le manque de cohésion sociale sont des phénomènes grandissants. C'est à mon avis, et c'est bien sûr pour cette raison que vous l'étudiez, un sujet complexe, car il touche aux changements économiques, à une diversité croissante et à un individualisme de plus en plus fort.

Toutefois, j'aimerais m'attarder plus particulièrement aujourd'hui sur le design inclusif et la planification axée sur l'inclusion. Je vais vous donner deux exemples tirés d'études que j'ai faites pour des groupes communautaires au Canada. La plupart de mes recherches universitaires récentes ont été faites en partenariat avec des organisations communautaires et, très souvent, avec des gouvernements locaux, car je crois beaucoup à ce genre de recherche en partenariat.

Je vais vous parler de deux groupes qui s'intéressent avant tout, dans une optique sexospécifique, à la création de collectivités inclusives et sûres pour les femmes et les jeunes filles de toutes origines ethniques et, partant, pour l'ensemble de la population. Ces deux groupes sont Femmes et villes international, et Initiative : une ville pour toutes les femmes.

Je vais traiter des deux questions que j'ai mentionnées tout à l'heure : le design inclusif et la planification axée sur l'inclusion. Dans mon tableau — je n'ai apporté qu'un exemplaire des deux documents, car je pense qu'ils sont révélateurs. Le premier concerne Femmes et villes international. C'est un tout petit groupe de Montréal qui œuvre au Canada et à l'étranger, dans un secteur où le Canada est vraiment le chef de file mondial, à commencer par le METRAC, à Toronto — dont je salue le travail — qui fait des audits de sûreté et de sécurité publique pour les femmes et pour l'ensemble de la population.

Le projet dont je veux vous parler s'appelle Together for Women's Safety : Creating Safer Communities for Marginalized Women and Everyone. C'est un projet qui a été lancé dans quatre collectivités du Canada — Regina, Peel, Gatineau et Montréal —, en partenariat avec un groupe de femmes local et avec le gouvernement municipal. Le travail consiste essentiellement à faire des audits de sécurité, c'est-à-dire qu'on va rencontrer les habitants d'un quartier donné pour savoir ce qui leur cause de l'insécurité, et ensuite, on détermine, très souvent en collaboration avec les gouvernements municipaux et autres, qui a la responsabilité de remédier à la situation.

Je dois ajouter que ce projet a été financé par Condition féminine Canada, et qu'à ce titre, c'est aussi un partenariat avec le gouvernement fédéral.

Je vais vous dire quelques mots des leçons que nous avons tirées de notre expérience avec ces quatre groupes : des femmes autochtones de Regina, des immigrantes de Peel, des femmes âgées de Gatineau, et des femmes handicapées de Montréal. J'ai constaté qu'il était très utile d'aller du particulier au général. Nous avons travaillé avec chaque groupe et ensuite nous avons rassemblé les différents groupes. C'était vraiment incroyable de voir comment on peut essayer, tous ensemble, de résoudre des formes différentes de marginalisation dans les espaces publics.

Nous avons fait le point et déterminé ce qui avait marché et ce qui n'avait pas marché. L'objectif est bien sûr de s'assurer que chaque femme a la possibilité de se faire entendre d'une façon que les gouvernements peuvent comprendre, afin qu'ils puissent prendre les décisions adéquates. La difficulté consiste aussi à passer de l'étape du projet pilote à celle d'un programme plus structuré.

Le deuxième exemple est celui d'un groupe basé à Ottawa, Initiative : une ville pour toutes les femmes. C'est un projet en partenariat avec la Ville d'Ottawa, qui reçoit également des fonds de Condition féminine Canada — donc avec la participation du gouvernement fédéral — et dont l'optique est l'équité et l'inclusion. Ce projet est mis en œuvre par la Ville d'Ottawa, et c'est un outil qui permet aux organisateurs d'apprécier l'importance de bien comprendre les besoins des différents groupes lors de l'élaboration des politiques et lors des consultations qui les précèdent. L'outil en question est simple à utiliser, et il est accompagné d'une période de formation et de mentorat, de sorte que le personnel de la Ville d'Ottawa est mieux en mesure d'aller à la rencontre de la population de plus en plus diverse d'Ottawa.

Encore une fois, l'important est de bien évaluer ce qui a marché, ce qui a moins bien marché et ce qui n'a pas marché du tout, et pour quelles raisons. C'est là le rôle, et c'est l'un des volets intéressants du partenariat, le rôle, dis-je, des chercheurs universitaires et des groupes communautaires, car une bonne partie du travail d'évaluation peut être faite par des groupes universitaires.

Si j'ai cité ces exemples, c'est avant tout pour vous montrer leur pertinence par rapport au travail que votre comité et le gouvernement du Canada sont en train d'accomplir. Il est important d'adopter une perspective sexospécifique — avec des slogans comme « plus sûrs pour les femmes, plus sûrs pour tous » — car lorsqu'on cherche à rendre les espaces urbains plus sûrs et plus inclusifs pour les groupes les plus marginalisés de la population, on les rend plus sûrs pour l'ensemble de la population.

L'intersectionnalité ne se limite pas aux sexes, elle inclut aussi les handicapés pour qui se déplacer en ville est un gros problème. Elle inclut aussi les groupes d'âge, les sexes, les races et les classes. C'est donc davantage une question d'intersectionnalité, et, au risque de me répéter, je dirai qu'il est important de faire une évaluation rigoureuse de ce qui a marché et de ce qui n'a pas marché, afin que le programme soit de plus en plus utile et efficace et que nous ayons une meilleure idée de ce qui fonctionne bien lorsqu'il s'agit de créer des espaces inclusifs.

Pour terminer, j'aimerais vous dire en quelques mots pourquoi, à mon avis, cela concerne aussi le gouvernement fédéral. Le droit pénal, la sécurité publique et la prévention du crime sont un domaine important. Nous savons tous qu'avec une prévention efficace, le système est moins coûteux et plus efficace. Il s'agit de projets pilotes préventifs à très long terme : compétence conjointe en matière d'immigration et d'intégration des immigrants — et un certain nombre de témoins ont dit combien cela est important dans ce contexte —, stratégie autochtone urbaine et égalité des hommes et des femmes.

Il est incontestable que la peur de la violence est plus forte chez les femmes, c'est ce que démontrent toutes les études qui ont été faites à ce sujet. Cette peur provoque des changements de comportement qui empêchent les femmes de participer à certains aspects de la vie urbaine. Ce dont il est question ici, ce n'est pas du taux de criminalité, mais du mode de comportement. À cause de cela, les femmes hésitent à sortir le soir et elles restreignent leurs activités. Il faut donc trouver des solutions efficaces, et quand on réfléchit sérieusement au design inclusif, on se rend compte qu'il serait plus intelligent d'avoir une approche plus proactive à l'étape de la planification urbaine. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup à tous. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Merchant : Merci beaucoup à tous. Chacun d'entre vous a parlé d'une façon qui m'a touchée directement au cœur.

Je dois d'abord vous dire que je suis née en Grèce et que je suis arrivée au Canada alors que j'étais enfant. J'ai eu beaucoup de chance. Je vis actuellement en Saskatchewan, où il y a un grand nombre de Premières nations. Nous savons que les divisions entre les Autochtones et les non-Autochtones existent depuis longtemps. Malheureusement, il y a encore près de 30 p. 100 d'Autochtones qui vivent dans la pauvreté.

Avec nos populations d'immigrants actuelles, nous savons qu'en 2006 — et je l'ai lu quelque part —, quatre néo- Canadiens sur dix vivaient eux aussi dans la pauvreté. C'est ça le Canada : beaucoup d'immigrants, et, en Saskatchewan, beaucoup de Premières nations et beaucoup de jeunes dans ces communautés.

J'ai vu aujourd'hui à la télévision que quelqu'un avait fait une étude sur ce que les nouveaux immigrants pensaient du Canada. Les gens qui avaient été interviewés disaient qu'il y avait deux choses qui étaient très importantes pour eux. La première était l'intégration dans la communauté, et l'autre, la possibilité d'aider les autres. Je le constate dans ma propre collectivité. À Regina, nous avons une petite communauté grecque d'environ 1 000 personnes, mais tout le monde à Regina pense que c'est une communauté beaucoup plus importante, car elle est très active. Elle organise des levées de fonds incroyables. C'est la même chose avec la communauté indienne. Chaque année, ils organisent des levées de fonds incroyables. Pour eux, c'est important de pouvoir aider les autres et de faire partie de la société canadienne.

Je travaille aussi avec des immigrantes, à Regina, et vous avez tout à fait raison quand vous parlez du transport collectif, de la peur qu'elles peuvent avoir, et de la nécessité de leur donner la possibilité de faire partie de la société canadienne. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire précisément. Vous avez mentionné plusieurs choses, mais pourriez-vous nous donner un ou deux exemples précis de ce que nous pourrions faire pour vraiment aider les gens à participer? On entend parfois des critiques de notre modèle multiculturel, alors que c'est très important — en tout cas, ça a toujours été très important pour moi — car ça nous donne un sentiment d'identité. C'est très important. Quand on se sent bien dans sa peau, on a envie de participer et d'aider les autres.

Nous avons beaucoup de bonnes idées et les autres pays nous considèrent comme un modèle, alors pourquoi avons- nous encore tant de difficultés?

Le président : J'aimerais savoir qui veut essayer de répondre à cette question, car je voudrais que la réponse soit bien ciblée. Nous ne pouvons pas entreprendre tout un débat là-dessus, car il y a beaucoup de sénateurs qui veulent prendre la parole. J'aimerais donc savoir si quelqu'un peut donner des exemples précis en réponse à cette question. Les autres témoins ne pourront pas intervenir à moins qu'ils aient un exemple précis à ajouter.

Mme Andrew : J'estime que les transports publics sont un élément crucial de l'inclusion sociale. Je dirai donc d'abord les transports publics. Ensuite, je suis tout à fait favorable au financement des initiatives communautaires. Donc, l'approche hiérarchique avec les transports publics, et l'approche inverse avec le financement des initiatives communautaires.

M. Mercier : Ayant travaillé pendant 30 ans dans le domaine des transports au Québec, notamment avec des agences civiles de développement social, je peux vous dire que ce qui est primordial dans un contexte urbain, c'est l'accès à des établissements scolaires, à des services de santé et à des lieux de divertissement. Je vais vous donner un exemple.

À Ottawa, nous avons eu malheureusement une grève qui a duré 53 jours en plein cœur de l'hiver. Les gens nous ont dit l'effet que cela avait eu sur eux, de ne pas pouvoir avoir de contacts avec le reste de la collectivité. Malheureusement, il faut vivre ce genre d'expérience, où la mobilité est réduite pendant un certain temps, pour comprendre l'impact que cela peut avoir sur la population. Les gens ne pouvaient plus aller à l'école ou à leur travail. Cela montre bien que la mobilité urbaine est un facteur crucial d'enrichissement, qu'il soit économique, social ou autre. C'est un facteur très important.

M. Agrawal : Je vais essayer de répondre à cette question en prenant l'exemple du quartier de Toronto que je suis en train d'étudier. Il s'agit de Thorncliffe Park, qui enregistre apparemment la plus grande concentration de doctorats.

Quand nous leur avons notamment demandé pourquoi ils avaient émigré au Canada, et s'ils trouvaient que c'était un pays accueillant, ils nous ont répondu que oui, c'est un pays accueillant, qui leur a apporté la paix. Que c'est bien aussi pour les enfants, il y a beaucoup de camaraderie, d'entraide et de solidarité. Par contre, il y a un problème d'accès à l'emploi. La plupart de ces gens-là n'ont pas de travail, ou bien ils sont sous-employés. C'est à Thorncliffe Park, tout à côté du centre-ville de Toronto, qu'on enregistre le taux de sous-emploi le plus élevé.

Katherine Scott, vice-présidente, recherche, Conseil canadien de développement social : Je tiens à souligner l'importance des processus de consultation et de dialogue engagés par la communauté. Le Canada a toujours été un chef de file dans ce domaine, depuis facilement 15 ou 20 ans, en engageant des consultations extraordinaires sur les façons d'aller à la rencontre des gens marginalisés et de les intégrer à la planification urbaine ou communautaire ou aux projets sociaux. Ce sont des initiatives communautaires terriblement importantes, qui sont l'occasion idéale, pour les gens, de participer à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques, à différents niveaux de gouvernement. Je recommande donc le soutien des organisations communautaires de planification sociale qui travaillent avec différentes communautés car c'est un élément important.

Le sénateur Eggleton : La semaine dernière, le Toronto Star, c'est là que j'habite, donnait des statistiques sur les résultats du dernier recensement. Il y avait deux cartes indiquant les lieux d'habitation et les revenus. Pour Toronto, on indiquait les résultats du recensement précédent et ceux du tout dernier. C'est effrayant de voir comme la ville est en train de se polariser.

Le professeur David Hulchanski, de l'Université de Toronto, qui va comparaître bientôt devant notre comité, parle, lui, de trois villes. Les gens fortunés habitent au centre, à proximité des grands axes de transport, les meilleures infrastructures que nous ayons, tandis que les pauvres sont repoussés en périphérie et que la classe moyenne disparaît rapidement.

Dans les années 1970, la classe moyenne représentait 66 p. 100 de la population de Toronto, alors qu'elle n'en représente plus que 29 p. 100 aujourd'hui, et ce pourcentage diminue régulièrement. En revanche, les quartiers habités par les gagne-petit sont passés de 19 à 53 p. 100. Cette tendance était à peine amorcée à l'époque où j'étais maire de la ville, dans les années 1980, mais aujourd'hui, elle s'accentue nettement.

D'après Centraide, la ville est en train de se subdiviser en ghettos. M. Agrawal a parlé tout à l'heure d'enclaves, et c'est le terme que moi aussi j'aurais employé à une certaine époque, mais aujourd'hui, je dirais plutôt ghettoïsation car les gens, dont beaucoup d'immigrants, sont forcés d'aller habiter dans de vieux immeubles parce qu'ils ont de faibles revenus et que les loyers sont censés y être moins élevés. Je pense que cela risque de nuire au tissu social, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

J'aimerais également que vous disiez quelques mots sur le zonage inclusif, car c'est une solution envisageable en matière de planification urbaine. Quand j'étais maire, j'étais tout à fait favorable à ce concept, comme d'autres maires avant et surtout après moi. Nous voulions que les projets immobiliers se réalisent, mais à condition que les gens à faible revenu paient des loyers de 10 à 15 p. 100 moins chers que sur le marché, afin d'éviter une concentration de gagne-petit dans les logements subventionnés, car cela crée parfois des problèmes sociaux. Mais aujourd'hui, cela ne se fait plus guère, semble-t-il, à Toronto, et je ne sais pas ce qu'il en est des autres villes du Canada.

Certaines des choses dont je parle sont propres à Toronto, mais les autres grandes villes canadiennes, si elles ne connaissent pas encore ces problèmes, les connaîtront certainement un jour. J'aimerais donc savoir ce que vous pensez de l'évolution de Toronto et également du zonage inclusif.

M. Mercier : À l'Association canadienne du développement urbain, qui est responsable de la promotion du transport urbain, nous constatons que la mobilité urbaine est l'un des messages clés, même dans une ville comme Ottawa. Sur le plan de la conception et de la planification urbaines, la mobilité consiste à relier entre eux des quartiers qui ont tendance à se replier sur eux-mêmes, à la fois physiquement et socialement, ou encore des groupes d'immigrants ou autres qui ont tendance à s'installer dans un micro-quartier. C'est un défi du point de vue de la mobilité et de la planification urbaines, car il faut trouver le moyen de relier ces quartiers qui sont peut-être en train de se ghettoïser et de permettre à leurs habitants d'avoir accès à d'autres quartiers. Cette mobilité localisée est très importante, et l'Association canadienne du transport urbain est en train de revoir son mandat afin de contribuer à la promotion de ce type de mobilité, et de créer un modèle de planification urbaine et de transports publics qui empêche la ghettoïsation que nous observons aujourd'hui dans les rues de certains quartiers. Tout ça est très important.

M. Agrawal : Permettez-moi de dire quelques mots sur cette question des ghettos et des enclaves, car l'idée qu'on se fait généralement des ghettos est un peu différente. Prenons l'exemple de Thorncliffe Park. On y trouve 75 p. 100 de minorités visibles et 50 p. 100 d'immigrants récents, entre autres.

On ne peut pas dire que c'est un ghetto simplement parce que des immigrants y habitent. Il n'y a pas de dégradation physique, et on y trouve surtout des appartements à louer, où les gens choisissent de vivre parce qu'ils sont spacieux et que les loyers sont modérés. Le quartier abrite un grand nombre de services et d'institutions, sans parler d'un centre d'achats et de trois lieux de culte, et cetera.

Un ghetto, c'est la pauvreté la plus abjecte, et on en trouve dans certaines villes canadiennes, mais pas beaucoup. C'est plutôt circonscrit à un ou plusieurs immeubles, particulièrement délabrés, mais cela ne se produit pas à grande échelle.

Une utilisation mixte de l'espace et un rezonage inclusif me semblent être la solution de l'avenir. Je crois savoir que la ville de Toronto exige 20 ou 25 p. 100 de logements sociaux dans les nouveaux projets immobiliers. Quant à savoir si cette règle est appliquée, c'est une tout autre question.

Le sénateur Eggleton : C'est ça le problème.

M. Agrawal : Exactement.

Mme Taillon : Je pense que le zonage inclusif est un outil extrêmement efficace. Mais il faut lutter contre une certaine stigmatisation et amener le public à se sentir à l'aise avec le zonage mixte et inclusif. Il y a toutes sortes de raisons à cela, notamment qu'il est plus facile de planifier des lieux d'habitation collectifs et des logements sociaux en empilant des boîtes les unes sur les autres et en les appelant des logements subventionnés pour les gagne-petit. Nous savons bien comment ça se passe, mais pour beaucoup de Canadiens, c'est plutôt un facteur rassurant. Il va donc falloir engager un dialogue avec la population canadienne afin de la convaincre de la nécessité de repenser nos centres urbains, car cela sert notre intérêt à tous.

C'est un gros travail en perspective. Il y a des gens qu'on n'a pas besoin de convaincre car ils sont informés, mais il y a tous les autres, la population en général, et à ce niveau-là, il va falloir faire beaucoup d'efforts.

Le sénateur Martin : J'habite à Vancouver et il y a là-bas beaucoup d'enclaves ethniques. Ma fille, ses amis et moi- même savons très bien où aller pour manger un pho dans la petite Saïgon, ou pour boire un cappuccino dans la petite Italie, et cetera. Je suppose que certains quartiers de ces secteurs pourraient être considérés comme des ghettos. En fait, quand nous sommes arrivés, nous avons habité dans un appartement de ce genre, avec beaucoup d'autres familles d'immigrants comme nous. Le quartier où nous étions était une véritable communauté et en même temps un tremplin avant d'aller vivre ailleurs.

J'aimerais en savoir davantage sur les centres multiservices de quartiers. Je pense que le succès d'une enclave ethnique ou de ce genre de quartier est directement relié au développement et à l'épanouissement d'une communauté ethnique, de telle sorte qu'elle est capable d'offrir des multiservices ou des services multiethniques à l'intérieur du quartier. Qu'en pensez-vous, monsieur Agrawal?

Aucun d'entre vous n'a parlé de la langue, mais nous avons beaucoup de programmes et de services dont certains groupes ethniques savent tirer parti. Je pense qu'il faut créer des passerelles pour permettre aux personnes âgées ou à des communautés ethniques plus petites d'avoir accès aux programmes existants, car ces gens-là n'ont pas de centres multiservices ou de leaders dans leur communauté qui puissent les aider à faire cet effort. C'est un autre point important, et j'aimerais bien que vous répondiez à mes deux questions.

M. Agrawal : Les centres multiservices de quartier sont une des meilleures façons de servir les quartiers les plus démunis. Par exemple, le Thorncliffe Neighbourhood Office, le TNO, s'emploie à déterminer les besoins et les aspirations de la communauté. Il a réussi à mettre sur pied un certain nombre de programmes qui s'adressent aux femmes dont le mari travaille ailleurs — à l'étranger, principalement au Moyen-Orient — ou aux enfants qui ont besoin d'apprendre l'anglais, entre autres. Ces centres jouent un rôle très utile au sein de leur communauté, mais, que je sache, il y en a très peu dans la ville de Toronto. La ville de Vancouver a ce qu'on appelle des neighbourhood houses, des maisons de quartier, qui ressemblent beaucoup aux centres multiservices. Je pense que c'est un modèle que le gouvernement devrait sérieusement envisager.

Mme Andrew : J'aimerais ajouter qu'à Ottawa, il y a la Coalition des centres de ressources et de santé communautaires d'Ottawa, la CCRSC, qui a des centres un peu partout dans la ville et qui fait un excellent travail. Ces centres s'adaptent à l'évolution de la démographie et modifient leurs programmes en conséquence.

J'aimerais aussi citer le programme du gouvernement fédéral, Partenariat local en matière d'immigration, en Ontario, dont l'objectif est principalement de faire comprendre aux membres des communautés l'intérêt des programmes. Je sais que le gouvernement fédéral envisage d'appliquer ce programme dans d'autres provinces, mais le Partenariat local en matière d'immigration est un excellent modèle pour faire comprendre à la population les aspects positifs de l'évolution démographique au Canada.

La CCRSC d'Ottawa est un modèle intéressant de réseau de centres multiservices.

Le sénateur Cordy : Madame Taillon, vous avez dit que le code postal était devenu plus important que le code génétique. Nous avons fait une étude sur la pauvreté et nous avons constaté qu'on a plus de chances de mourir jeune quand on est pauvre que quand on a le cancer. Pourriez-vous nous préciser un peu votre pensée?

Vous avez parlé des obligations qu'a le gouvernement d'assurer l'équité. Qu'est-ce que notre comité et le gouvernement fédéral peuvent faire pour assurer l'équité?

Ma deuxième question s'adresse à Mme Andrew. Vous avez parlé de la sécurité des zones urbaines dans une optique sexospécifique. Existe-t-il des pratiques exemplaires? Vous avez donné l'exemple d'Ottawa, mais y a-t-il d'autres villes qui ont mis en place un système semblable? Comme vous l'avez dit, si on améliore la sécurité pour les femmes d'un quartier, on améliore la sécurité de tous ceux qui travaillent dans le quartier. Notre comité voudra peut-être recommander l'application d'un tel système dans d'autres villes canadiennes.

Mme Taillon : Pour ce qui est de la première question relative à votre étude sur la pauvreté, vous avez fort bien résumé le problème. Les maladies causées par des facteurs sociaux représentent un coût disproportionné pour le système de santé. Je faisais partie de la direction de l'Hôpital d'Ottawa avant de venir au CCDS, et je peux vous dire que notre système de santé est vraiment malade. Il est conçu uniquement pour soigner les malades, donc une fois que la maladie s'est installée. Au Canada, nous ne faisons pas suffisamment de prévention. Certes, le problème des listes d'attente s'est atténué, grâce à l'intervention de multiples niveaux de gouvernement et des professionnels de la santé. Il n'en demeure pas moins qu'à mon avis, nous ne tenons pas le bon discours aux Canadiens. Nous leur disons que, grâce à la réforme des services de santé, quand ils auront besoin de se faire remplacer une hanche ou un genou, ils n'auront plus besoin d'attendre aussi longtemps. Or, ce que nous devrions leur dire, c'est qu'ils doivent faire tout ce qu'ils peuvent pour éviter d'avoir à se faire remplacer une hanche ou un genou. Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire, surtout du point de vue de la planification urbaine. Il y a des politiques qu'on peut adopter dans ce sens. Ma réponse est peut-être un peu compliquée, mais j'estime qu'en ce qui concerne le système de santé, nous ne nous y prenons pas de la bonne façon. On parle de réforme des soins de santé au Canada, mais ce n'est pas vraiment une réforme, c'est un cataplasme sur une jambe de bois.

Votre étude sur la pauvreté met vraiment le doigt sur les facteurs sociaux, et c'est ce à quoi je faisais allusion dans ma déclaration liminaire.

Mme Scott : À ce sujet, nous avons fait une étude intitulée Poverty By Postal Code, et Centraide de Toronto en a publié une autre intitulée Poverty By Postal Code 2 : Vertical Poverty. Elle porte sur les lieux de pauvreté, sur l'impact de la pauvreté sur la santé et ses conséquences.

Du point de vue de la planification urbaine, c'est difficile d'examiner tous ces problèmes d'exclusion, d'inclusion et d'enclaves ethniques. C'est une question de choix et dans quelle mesure les gens ont le choix. Il y a une grande différence entre les néo-Canadiens qui choisissent de vivre dans un quartier en particulier pour toutes sortes de raisons complexes, et ceux qui n'ont pas le choix. Ces derniers sont forcés de vivre dans des quartiers pollués parce que les loyers sont moins chers. Après, c'est un engrenage, une forme d'exclusion en entraîne une autre, et ainsi de suite. Dans tout ce débat sur l'inclusion et la cohésion, la question est de savoir dans quelle mesure les Canadiens ont la possibilité et le choix de satisfaire leurs aspirations. Bon nombre de Canadiens démunis n'ont pas ce choix. Vous avez également demandé des exemples intéressants. Nous pourrions en faire des livres, car il y a beaucoup d'études qui ont été faites aux États-Unis et en Europe à ce sujet.

Vous avez sans doute entendu parler du Club de Madrid, et de son projet « Shared Societies ». C'est un autre exemple intéressant. Dans ce projet, on organise des processus inclusifs de consultation communautaire en tenant compte des lois et des dispositifs réglementaires en vigueur. L'objectif est surtout d'apaiser les tensions et les conflits. C'est un groupe important, à l'échelle mondiale. Mais il y a toutes sortes d'exemples et de pratiques exemplaires dont votre comité pourrait s'inspirer. Je serai ravie de vous fournir des noms de personnes-ressources, plus tard, si vous le voulez.

Mme Andrew : J'allais dire la même chose au sujet des personnes-ressources. Il y a quelques années, Femmes et villes international avait de bons exemples, à la fois au Canada et à l'étranger. Nous avons eu un concours de pratiques exemplaires. L'un des problèmes est que, bien souvent, ces pratiques sont très locales et qu'elles sont observées par des gens très occupés, qui n'ont pas le temps de les consigner par écrit, de sorte qu'elles se perdent. Lorsque les gens achèvent un excellent projet, ils n'ont pas le temps de consigner par écrit les pratiques qu'ils ont suivies, de sorte qu'elles se perdent. Je serai ravie de vous faire parvenir d'autres exemples.

Le sénateur Dyck : Je viens de la Saskatchewan. Je suis de souche première nation et chinoise. J'ai grandi dans une enclave ethnique — qu'on appelle le Chinese Cafe —, dans une petite ville des Prairies. Nous n'étions pas nombreux, donc ce n'était pas vraiment une enclave, simplement un endroit où vivre.

Ce qui m'intéresse dans cette étude, c'est la tension qui existe entre l'aspiration personnelle d'une personne marginalisée qui veut garder son identité et ne pas être incluse, et son désir, en même temps, d'être intégrée. Il y a une tension entre les aspirations personnelles et la vie publique. On veut avoir des chances égales, mais en même temps, on veut garder son identité. Les gens de ma génération, on ne les encourageait pas à conserver leur identité. Au contraire, on nous encourageait à renoncer à notre identité, à nous intégrer dans la société traditionnelle et à prétendre que nous évoluions avec elle. C'était différent d'une petite ville à l'autre.

Dans une étude comme celle-ci, il y a des avantages à être différent. Nous ne voulons pas être tous pareils. À l'échelle du gouvernement, que devons-nous faire? Quelles sont les valeurs canadiennes? Serait-il souhaitable qu'une agence canadienne lance un débat public sur la question, car notre société évolue constamment. Nous encourageons de plus en plus de gens à émigrer au Canada, mais ce faisant, nos valeurs changent. Quelles sont ces valeurs? Qui devrait les définir et comment devrions-nous les faire connaître? Qui devrait lancer ce débat et s'occuper de la promotion de ces valeurs, car il va bien falloir qu'on en parle?

Si on commençait à en discuter, le concept d'inclusion sociale deviendrait partie intégrante du quotidien et on pourrait arriver à atténuer ces tensions.

Mme Taillon : Il faudrait vraiment avoir un débat national sur la question. J'ai dit tout au début que notre pays était à la croisée des chemins, et ce, pour de nombreuses raisons, notamment parce qu'il faut qu'on détermine si les valeurs que nous avons chéries pendant des décennies sont encore les nôtres et s'il y en a de nouvelles. Nos collectivités et notre tissu social ont changé.

J'ai adopté un enfant du Kenya, alors je me pose ces questions quotidiennement. Quand vous transplantez un enfant d'un continent à un autre, à l'autre bout du monde, et que vous l'élevez sous un autre climat, dans une autre culture, il me paraît important de lui permettre de conserver son propre héritage. Il y a tant de choses qui lui arrivent, chaque jour, et qui contribuent à effacer cet héritage.

Il faudrait que nous en soyons davantage conscients. Ça me ramène à ce que je disais tout à l'heure au sujet de nos systèmes et de nos structures qui ne sont pas toujours conçus de matière à refléter, à respecter et à encourager ces caractéristiques qui font de nous des êtres uniques et qui, en même temps, assurent notre cohésion.

Tout ce qui s'est passé à Attawapiskat — je viens du Nord de l'Ontario, et je suis aujourd'hui convaincue que même la façon dont vous avez grandi dans votre communauté, la langue que vous parliez, l'éducation que vous avez reçue de vos parents, dans la communauté, à l'école, que tout ça est profondément enraciné en vous. Même les structures locales l'encouragent. Dès que vous allez vivre dans une autre région du pays, ces valeurs sont reflétées d'une façon différente. Une plus grande mobilité facilite l'adaptation. Il est utile aussi d'avoir des espaces de rencontre pour en parler.

Comme le disait Mme Andrew, les centres de santé communautaires, les lieux de culte, les bibliothèques et les centres communautaires sont tous des lieux possibles de rencontre et de partage, où la personne peut participer à la vie sociale tout en préservant sa vie privée.

C'est vraiment une question très importante.

M. Agrawal : La question que vous avez posée touche l'essence même du multiculturalisme. M. Qadeer et moi-même avons écrit que le multiculturalisme est une médaille à deux faces : le multiculturalisme fonctionne d'une certaine façon dans le domaine privé, et d'une façon complètement différente dans le domaine public.

Dans notre domaine privé, nous pouvons faire pratiquement ce que nous voulons. Nous pouvons fréquenter les gens qui nous plaisent, pratiquer la religion de notre choix, et ainsi de suite. Mais dans la sphère publique, nous devons respecter les lois en vigueur dans le pays. Il y a une étiquette et des valeurs canadiennes que nous devons respecter. Ça se passe donc à deux niveaux différents, et il faut en être conscient.

Parfois, la sphère publique empiète sur notre domaine privé et vice-versa. La façon dont nous élevons nos enfants en est un bon exemple. Au Canada, nous n'avons pas le droit de donner la fessée à nos enfants, et nous devons nous y conformer. C'est un cas où la sphère publique empiète sur notre domaine privé.

D'une certaine façon, la sphère publique et le domaine privé évoluent en parallèle, et c'est ça le multiculturalisme.

Le sénateur Callbeck : Merci à vous tous d'être venus et de nous avoir fait des exposés tout à fait intéressants.

Madame Taillon, une page de votre document est intitulée « Capitaliser sur la réussite », et vous dites qu'il y a beaucoup d'« innovations réussies » au Canada, qui, je vous cite, « jettent des ponts entre les personnes, les familles et les collectivités ».

J'aimerais que vous me donniez ce qui, à votre avis, est le meilleur exemple d'innovation réussie, et les autres témoins pourront intervenir également.

Mme Taillon : C'est elle l'encyclopédie ambulante.

Mme Scott : Je vais vous donner un très bon exemple d'innovation canadienne dont on parle dans le monde entier et qui illustre bien notre propos d'aujourd'hui.

Dans les années 1960, notre plus grande préoccupation, en tout cas celle des organisations communautaires, était la pauvreté chez les personnes âgées. C'était comme une révélation brutale, et le Canada s'est alors engagé dans un effort collectif pour mettre en place — à partir de la sécurité de la vieillesse — trois programmes de prestations incroyablement importants pour les personnes âgées, qui ont permis, au cours des 30 années suivantes, de diminuer considérablement le taux de pauvreté parmi ces personnes. En fait, nous avons été à l'avant-garde des pays de l'OCDE pour la mise en place d'un système de sécurité du revenu qui, avec la participation du gouvernement et de l'entreprise privée et compte tenu des ressources familiales, offre une plate-forme adaptée aux besoins des personnes âgées. Aujourd'hui, seule une fraction — un petit nombre, mais c'est néanmoins important — de personnes âgées vivent encore dans la pauvreté ou sont dans une situation financière très difficile.

C'est à mon avis une innovation canadienne remarquable, et c'est une politique incroyablement importante au niveau de l'inclusion sociale. Existe-t-il un programme social plus important que notre système de sécurité du revenu? À mon avis, sénateur Callbeck, c'est le programme le plus important, et c'est une innovation canadienne dont nous devons être fiers et dont nous devons défendre l'intégrité pour nos aînés.

M. Agrawal : J'allais mentionner la même chose — le filet de sécurité que nous avons.

M. Mercier : Je vais vous donner deux exemples contraires, en fait, où le Canada a été un chef de file — je parle bien sûr de mobilité urbaine —, même si nous rencontrons encore des problèmes.

Les villes canadiennes en sont un exemple parfait, car la part modale y est l'une des plus élevées en Amérique du Nord, notamment dans des villes comme New York, Toronto et Montréal. Ottawa occupe la quatrième place. Dans leurs politiques fiscales et leurs plans d'aménagement, les villes canadiennes accordent plus d'importance à la mobilité que dans les autres villes d'Amérique du Nord en général. C'est un indicateur important des efforts consentis pour accroître la mobilité sociale.

D'un autre côté, il y a une chose dont nous n'avons pas parlé aujourd'hui, et cela concerne la mobilité des personnes souffrant d'un handicap. C'est l'un des plus gros problèmes, aujourd'hui, des grandes villes canadiennes, car il s'agit de trouver le moyen d'assurer une mobilité spécialisée à ceux qui ne peuvent pas sortir de chez eux ou qui ne peuvent pas parcourir plus de 10 pieds.

Aux États-Unis, ils ont adopté au début des années 1970 — dans le sillage des lois sur les droits civils — l'American Disabilities Act qui, et c'était alors une idée révolutionnaire, oblige le gouvernement fédéral à répondre activement aux besoins des Américains en matière de mobilité. Au Canada, nous sommes un peu en retard, mais nous sommes sur le point d'avoir des normes — et bien sûr, il y a l'Ontario qui vient d'adopter une nouvelle loi.

Il faudrait que le Canada fasse un peu plus la promotion de la mobilité, surtout pour ce segment de la population, car, si les opérateurs de transports publics ont encore des progrès à faire à cet égard, il faut que les politiques fiscales et sociales les encouragent dans ce sens.

Mme Andrew : J'approuve toutes ces grandes innovations sociales. Quand je repense à l'époque dont je parlais tout à l'heure, je peux dire que les Canadiens ont fait de très bonnes choses pour améliorer la sécurité des femmes en ville, et ça fait des émules dans le monde entier.

J'ai assisté à une conférence à New Delhi l'an dernier, où il y avait 300 délégués issus de 80 pays. Le Canada est considéré comme un chef de file dans ce domaine. Même chose pour la violence contre les femmes : il nous reste encore beaucoup à faire, mais notre bilan est certainement meilleur que celui de la plupart des autres pays. Ça fait partie, je crois, de notre culture et de nos traditions, mais il y a aussi le fait que nous avons pris la chose très au sérieux et que les gouvernements ont légiféré.

Certes, il y a encore beaucoup à faire, mais nous avons été très novateurs dans ce domaine. Beaucoup de ces innovations participent de notre histoire et de notre culture. C'est vrai de celles qui concernent la sécurité de la vieillesse, mais d'autres innovations, même si elles sont moins importantes, sont aussi intéressantes. Il y a maintenant des agents de liaison multiculturels dans les écoles, grâce à un programme qui a été conçu à Ottawa, par l'Organisme communautaire des services aux immigrants d'Ottawa, l'OCISO. Le programme existe aujourd'hui dans tout le Canada, mais c'est une innovation de l'OCISO, qui a jugé nécessaire d'avoir des préposés scolaires sensibilisés aux questions d'immigration. C'est aujourd'hui un programme qui marche très bien, et on trouve ces préposés dans les écoles et dans les bibliothèques.

Il y a d'autres exemples comme ça, où des circonstances particulières, tantôt locales, tantôt nationales, ont fait naître des idées novatrices. Dans le meilleur des cas, ces idées sont reprises à l'ensemble du pays. Dans les autres cas, elles ne sont appliquées qu'à l'échelle locale, mais ce sont quand même des innovations.

Le sénateur Seidman : Nous en arrivons au genre de questions que j'allais justement poser, et qui sont un peu plus pragmatiques. Nous avons parlé de conception urbaine inclusive. Je suis certaine que nous avons tous vu des aînés portant des sacs de provisions lourds, obligés de rester debout dans un autobus parce qu'il n'y avait pas de bancs pour eux. Nous avons tous vu des personnes en fauteuil roulant qui ont du mal à descendre du trottoir pour aller sur la chaussée, et nous avons tous vu des jeunes étudiantes qui ont peur de rentrer chez elles seules le soir, après leurs cours. Il y a tout plein de situations de ce genre, par exemple les jeunes couples avec des poussettes, qui montrent bien que le design urbain n'est pas aussi inclusif qu'il pourrait l'être.

Cela dit, comment pourrait-on modifier les méthodes de planification afin de s'assurer que l'aménagement des villes tienne compte des besoins particuliers des personnes âgées, des jeunes familles, des femmes, des handicapés et des immigrants? Et en particulier, puisque nous sommes un comité sénatorial du gouvernement fédéral, j'aimerais savoir très précisément quel rôle le gouvernement fédéral devrait jouer à cet égard.

Mme Andrew : J'ai parlé, à la fin de ma déclaration, du rôle que le gouvernement fédéral pourrait jouer. Pour que le design soit plus inclusif, il faut notamment que les programmes universitaires soient conçus à cette fin et que les professeurs puissent l'enseigner. L'urbanisme, c'est une discipline professionnelle.

Pour en revenir au gouvernement fédéral, j'estime que son rôle devrait consister à appuyer des projets pilotes. Je me souviens avoir rencontré le directeur général d'une grande municipalité de l'Ouest du Canada qui m'a dit : « Nous sommes obligés d'être novateurs ». Prenons l'exemple des deux services municipaux les plus traditionnels : la police et les pompiers. La police doit s'occuper presque exclusivement de cas de violence conjugale. Voyez combien ça coûte. Gatineau a publié des statistiques incroyables sur le temps consacré à répondre aux appels, depuis 30 ans. Et les coûts augmentent parce que les cas nécessitent des enquêtes de plus en plus complexes. Les incendies sont liés à la pauvreté. Il me disait que, lorsqu'on voit le coût des services publics, on est forcé de se montrer novateur. Je pense que le gouvernement fédéral devrait, probablement dans le cadre d'un partenariat, offrir une aide financière pour que ces projets pilotes soient viables, car on sait dans quelle situation se trouvent bien des municipalités. Donc, le gouvernement fédéral pourrait accorder un financement pour ces projets pilotes, et, d'autre part, il pourrait promouvoir un design plus inclusif et s'assurer que, d'ici 10 ou 15 ans, pas dans un an — on nous demande toujours de proposer des projets d'un an —, ce type de design a vraiment eu une incidence sur les statistiques relatives à la criminalité et à la sécurité publique. On nous demande souvent de faire une étude en un minimum de temps et ensuite d'en mesurer l'impact un an plus tard. Mais c'est un délai trop court pour déterminer si un immeuble mieux conçu a eu un impact à ce niveau-là.

J'estime que le gouvernement fédéral a une part de responsabilité dans certains de ces domaines, notamment celle de s'assurer que les projets pilotes sont évalués sur une période suffisamment longue, afin qu'on sache lesquels devraient être reproduits ailleurs et lesquels ne le devraient pas. C'est un rôle qu'il devrait assumer.

M. Agrawal : S'agissant de design urbain inclusif, de planification urbaine inclusive, j'ai pu observer, toutes ces années, que les politiques d'urbanisme municipales sont inclusives en soi. Il ne faut toutefois pas oublier que c'est en grande partie le marché qui décide. En effet, une ville a beau adopter des politiques inclusives, c'est le promoteur qui est censé les respecter, et il doit tenir compte de la demande et des coûts. C'est là que le bât blesse. Il y a des limites à ce que peut faire le gouvernement en matière de planification et de design inclusifs.

Nous avons parlé de modèles comme les centres multiservices, du renforcement de notre système d'éducation publique, de la nécessité de s'assurer que le programme d'études est le même dans toutes les écoles, y compris dans les enclaves ethniques. Il y a aussi la question encore plus importante de l'accès à l'emploi et de l'équité en emploi.

Les espaces publics, leur conception et les espaces relevant de la compétence d'une ville ou d'une province doivent être conçus de façon à favoriser les rencontres entre personnes de religions et d'origines ethniques différentes, car c'est de cette façon que le multiculturalisme pourra s'épanouir. Ce ne sont que des idées.

Mme Taillon : C'est une question très intéressante. Le gouvernement fédéral a du pain sur la planche : une stratégie nationale pour le logement, une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, un programme national de garderies et d'établissements préscolaires, la prévention du crime et la réintégration dans la société des anciens détenus. Ce sont là des dossiers qui relèvent indéniablement de la compétence fédérale et qui vont devoir être négociés, en collaboration, cela va sans dire, avec les provinces et les territoires.

Dans les communautés autochtones, le gouvernement fédéral a incontestablement un rôle à jouer. Vous avez beaucoup à faire, sans avoir besoin de vous intéresser aux problèmes de trottoirs dont on parlait tout à l'heure et qui débordent nettement de votre mandat.

M. Mercier : Les responsables des transports publics canadiens ont présenté au gouvernement plusieurs positions. La première, qui est celle de la Fédération canadienne des municipalités, est que les régimes fiscaux municipaux sont en soi des régimes plutôt régressifs, et la mobilité urbaine dépend beaucoup, de nos jours, des contributions fiscales municipales.

L'Association canadienne du transport urbain a recommandé trois stratégies au gouvernement en place. La première est une stratégie à long terme de financement des infrastructures. Pour atteindre les objectifs, il va falloir prévoir des fonds pour encourager le design inclusif au niveau municipal, comme nous le souhaitons tous.

Deuxièmement, nous demandons au gouvernement une plus grande part des revenus de la taxe sur l'essence, c'est-à- dire qu'une partie des revenus de la taxe sur l'essence soit consacrée au financement de la mobilité. Il s'agirait en l'occurrence d'une contribution d'un sou pour améliorer la mobilité dans les villes canadiennes.

La troisième recommandation est en quelque sorte le grand égalisateur puisqu'il s'agit d'offrir un crédit d'impôt aux employeurs qui assument les coûts de transports publics de leurs employés. Ce n'est peut-être pas une idée nouvelle, mais il faut bien comprendre qu'à l'heure actuelle, lorsqu'un employeur offre à ses employés des places de stationnement, ceux-ci n'ont pas à les déclarer au fisc, alors que si l'employeur leur offre des forfaits d'autobus, ils sont obligés de les déclarer.

Donc, en modifiant le régime fiscal et en prévoyant un financement régulier à long terme, le gouvernement fédéral pourrait contribuer à la réalisation de certains de ces objectifs, notamment une plus grande mobilité urbaine pour certains groupes de notre société.

Le sénateur Housakos : Je remercie tous les témoins de comparaître devant nous aujourd'hui. Nous traitons d'une question à la fois très intéressante et très complexe, et vous nous avez fait toutes sortes de suggestions.

J'aimerais faire quelques observations en ce qui concerne la politique d'immigration et son impact, négatif ou positif, sur le niveau de pauvreté dans les centres urbains.

Ma collègue, le sénateur Merchant, a dit que 4 néo-Canadiens sur 10 vivent dans la pauvreté et que la plupart des néo- Canadiens vivent dans des grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver. J'ai lu plusieurs études qui le confirment, à savoir qu'un grand nombre de récents immigrants vivent dans la pauvreté.

Cela dit, nous devons tenir compte de la conjoncture économique, et au Canada, elle est relativement meilleure que dans d'autres pays. Notre taux de chômage est relativement faible et, quand je rencontre des membres de diverses chambres de commerce canadiennes, ils me disent toujours : « Sénateur, nous avons des pénuries de main-d'œuvre, surtout de travailleurs qualifiés et de manœuvres. » J'ai rencontré la semaine dernière le président de l'Association des restaurateurs du Québec qui me disait justement qu'il n'arrive pas à trouver des serveurs, des serveuses, des aides- serveurs, des cuisiniers de repas-minute, et ainsi de suite.

Cela m'amène à vous poser la question suivante : est-ce que nos critères de sélection des immigrants sont adéquats, sont-ils vraiment axés sur les besoins du marché du travail canadien? Je suis moi-même fils d'immigrants, mes parents sont arrivés dans les années 1950, au moment de l'énorme vague d'immigration qu'a connue le pays. Dans les années 1950 et 1960, il y avait beaucoup moins de programmes sociaux que maintenant, je pense aux soins de santé, aux cours gratuits, et cetera, qui sont offerts aux immigrants aujourd'hui.

Je me pose la question suivante : pourquoi les immigrants des années 1950 et 1960 semblent-ils avoir moins souffert de la pauvreté que ceux d'aujourd'hui? Et ça me ramène à ma question initiale : est-ce parce que nos politiques ne sont pas axées sur les besoins du marché et qu'elles aggravent ainsi le problème de la pauvreté?

Mme Scott : À l'étranger, le Canada a la réputation d'avoir réussi à adapter ses critères de sélection des néo- Canadiens ou des immigrants en fonction des talents et des qualifications que ces derniers offrent à l'économie canadienne. En fait, d'aucuns lui reprochent même d'accorder trop d'importance aux qualifications économiques.

Pour ce qui est du niveau de pauvreté élevé parmi les nouveaux arrivants, il faut dire que ces nouveaux arrivants ont un emploi, mais pas un emploi très rémunérateur. Et il est important de préciser que le taux d'emploi des nouveaux arrivants est élevé; il est comparable à celui des Canadiens de souche. Le problème ne vient donc pas du fait que ces gens-là ne travaillent pas très fort, dans toutes sortes d'emplois, mais plutôt qu'ils travaillent dans des secteurs qui n'offrent pas de bons salaires ni même des salaires suffisants.

C'est une nuance importance, qu'il importe de garder à l'esprit quand on discute des causes de la pauvreté parmi les néo- Canadiens.

Il est vrai qu'il y a 30 ans, si on travaillait fort, on avait des chances de grimper dans l'échelle sociale. Les nouveaux immigrants d'aujourd'hui n'ont pas les mêmes possibilités, mais ce n'est pas à cause de leur manque de qualifications. Comme l'a dit M. Agrawal, ils sont très qualifiés et ont un bon niveau d'instruction. Leur pauvreté s'explique donc davantage par le type et la qualité de l'emploi qu'ils occupent et par la situation de l'économie canadienne, à l'heure actuelle.

C'est un problème complexe, mais je ne voudrais pas que vous pensiez que c'est par manque de volonté ou de motivation que ces nouveaux arrivants ont des difficultés économiques; c'est surtout à cause de la conjoncture économique actuelle.

Je sais que, dans certains secteurs, il y a des pénuries de main-d'œuvre. Les gouvernements s'emploient activement à les atténuer, mais le problème, c'est que, selon beaucoup de nouveaux arrivants, ils ont des qualifications qu'ils n'arrivent pas à faire reconnaître.

Je ne voudrais pas que vous pensiez que les néo-Canadiens ne travaillent pas assez fort. Au contraire, ils travaillent très fort, mais pour des salaires de misère.

Le sénateur Housakos : Je n'ai absolument pas voulu laisser entendre que les nouveaux arrivants ne travaillaient pas assez fort. Je disais simplement que nos politiques d'immigration actuelles ne suffisaient pas à répondre aux besoins précis du marché du travail. C'est tout ce que je disais. À Montréal — et je suis bien placé pour en parler puisque j'y habite —, nous avons des infirmières et des médecins diplômés qui sont chauffeurs de taxi, et pourtant, nous avons une pénurie de médecins et d'infirmières dans nos services de santé.

M. Agrawal : Quand on parle de pénurie de main-d'œuvre, il faut déterminer d'abord de quel secteur économique il s'agit. La plupart des immigrants, surtout les plus récents, trouvent leur premier emploi dans le secteur des services, dans la gestion des déchets, et dans les usines de fabrication où les emplois sont peu rémunérateurs, et ils y sont coincés pour le restant de leur vie.

Quant aux autres secteurs, ceux qui exigent des qualifications et des études, on peut dire que l'économie canadienne est telle que l'offre d'emplois n'est pas égale à la demande. Les nouveaux immigrants doivent faire concurrence à des Canadiens de souche qui ont fait leurs études dans des universités canadiennes. C'est une réalité. Leur difficulté est alors de faire reconnaître les diplômes et le niveau d'éducation qu'ils ont obtenus ailleurs. Par contre, j'ai pu constater personnellement que ceux qui avaient participé à des programmes de transition ou fait des stages en mentorat s'en sortaient généralement très bien, quel que soit le secteur.

Quelqu'un a parlé des infirmières et des services de santé. J'ai fait récemment une étude sur les Asiatiques du Sud, les Philippins, les Chinois, les Bangladais et les Pakistanais, entre autres. Il est intéressant de constater, par exemple, que les Philippins se sont trouvé un créneau dans le secteur de la santé. Ils s'y débrouillent très bien — des infirmières, des techniciens médicaux, et cetera. C'est là que se trouvent les emplois aujourd'hui.

C'est un ensemble de plusieurs choses. La nature de la pénurie, le genre d'immigrants que nous faisons venir — vous savez, nous en faisons venir beaucoup qui sont très qualifiés et qui ont fait des études, mais nous n'avons pas les emplois qui correspondent à leurs qualifications.

Les programmes de transition et les stages en mentorat font des merveilles, à mon avis, mais le nombre d'immigrants qui peuvent les suivre est limité au nombre de places offertes sur les lieux de travail. C'est certainement quelque chose que les gouvernements fédéral et provinciaux devraient examiner de plus près.

Le sénateur Housakos : Je voudrais poser une question à M. Mercier au sujet des transports publics. Quelle est la performance de Montréal, Toronto et Vancouver, par habitant, par rapport à d'autres grandes villes nord- américaines?

M. Mercier : Je peux vous faire parvenir des chiffres sur les dépenses par habitant. Le rôle du gouvernement fédéral est nettement moins grand qu'aux États-Unis, par exemple, c'est évident. L'Association canadienne du transport urbain vous fera parvenir tous ces chiffres.

Le sénateur Seth : Je vous remercie beaucoup de comparaître devant notre comité. Vos témoignages sont incroyablement intéressants.

Je vais m'écarter un peu du sujet. Je suis médecin, et je vois bien que le visage du Canada est en train de changer, qu'il devient plus divers et plus multiculturel. En tout cas, c'est ce que je constate chaque jour dans mon cabinet.

Pensez-vous que l'éducation soit un facteur qui freine l'inclusion sociale? Je pense particulièrement aux immigrantes — souvent, les enfants et les maris s'en sortent plutôt bien — et je constate qu'il y a des barrières linguistiques. Elles ne veulent pas suivre des cours d'anglais langue seconde, alors elles ont tendance à rester chez elles ou à ne fréquenter que des gens de leur propre milieu. Il y a des quartiers de Toronto où il n'y a qu'un groupe linguistique, et les gens ne veulent pas se mélanger avec les autres groupes. Je parle surtout de la langue anglaise. Y a-t-il des moyens d'améliorer cela? Elles ne veulent pas aller à l'école suivre des cours de langue, elles viennent me demander des certificats de maladie pour éviter d'y aller. Pourtant, ce sont des écoles où elles pourraient apprendre l'anglais. Comment pourrait-on améliorer la situation?

Mme Scott : Pour les néo-Canadiennes, celles qui ont de faibles revenus et les mères célibataires, on devrait mettre en place un programme universel de garderies et de centres préscolaires. C'est une excellente façon d'amener ces femmes à participer à la communauté. Ça crée des occasions de rencontres. En Ontario, la maternelle à plein temps est à la fois une stratégie de lutte contre la pauvreté et une stratégie d'apprentissage préscolaire. Pour les femmes qui gardaient leurs enfants à la maison, c'est formidable de pouvoir les envoyer, gratuitement, dans ces centres dès l'âge de quatre ans. On sait que les femmes continuent d'assumer une grande partie des tâches à la maison, et quand on leur offre ce genre de programme, c'est pour elles un véritable coup de pouce.

Cela nous ramène en quelque sorte aux espaces de rencontre dont on parlait tout à l'heure. Quand les immigrantes amènent leurs enfants à l'école, a-t-on des activités à leur proposer dans cette même école? On pourrait organiser des lieux de rencontre différents, comme les bibliothèques, les centres scolaires communautaires et les centres de santé, afin de favoriser les contacts avec d'autres groupes. C'est comme si on avait différents portails. Selon l'endroit où vous vous trouvez — vous amenez votre enfant à l'école, vous allez voir le médecin —, on vous offre d'autres ressources ou d'autres contacts. Il faut améliorer nos programmes d'intégration.

Mme Andrew : Je vais vous donner un petit exemple d'améliorations à apporter à des programmes fédéraux. Il est beaucoup plus facile de s'inscrire dans un cours de langue pendant les trois premières années qui suivent votre arrivée au Canada. Or, très souvent, les femmes restent à la maison pendant les premières années pour s'occuper de jeunes enfants et faciliter l'installation de la famille dans leur nouveau pays. Et quand elles ont envie, quelques années plus tard, de suivre des cours de langue, elles n'ont plus accès à des cours gratuits, car le délai de trois ans est écoulé. Ce sont des petits détails comme ça qu'il faudrait corriger. Quand on adopte une optique sexospécifique, on voit tout de suite ce qu'il faut faire pour que les femmes puissent avoir accès aux cours de langue dont elles n'ont pas pu profiter jusque-là. Actuellement, elles n'ont plus accès à des cours gratuits au-delà de trois ans. Voilà le genre de détails qu'il faut corriger.

M. Agrawal : À mon humble avis, les nouveaux immigrants devraient suivre un cours d'instruction civique ou un cours de langue, comme cela se fait dans certaines villes européennes. Ces cours sont généralement organisés par la municipalité. Quand une famille d'immigrants arrive, c'est la municipalité qui les accueille, qui leur fait visiter les lieux, qui leur décrit leurs droits et leurs responsabilités et ce qu'elle fait pour eux, et qui leur explique qu'ils ont le droit de participer aux processus décisionnels et de se présenter devant le conseil municipal. Au Canada, ça ne se fait pas de façon systématique. L'immigrant qui arrive à l'aéroport Pearson se fait tamponner son passeport et rejoint ensuite les amis ou les proches qui l'attendent et chez qui il va habiter pendant quelques semaines, le temps de trouver un emploi.

Ça prend du temps, mais je pense qu'il faudrait mettre en place un programme fédéral qui permettrait d'accueillir les immigrants et de leur expliquer un peu les choses, et ce, de façon systématique.

Le sénateur Seth : C'est exactement ce que je pense. Il faudrait qu'ils soient obligés de suivre ces programmes. Certaines femmes ne sortent jamais de chez elles, et elles sont toujours là. Certaines sont jeunes, et elles ne veulent pas aller suivre ces cours. Elles trouvent toujours une excuse, mais il faudrait les obliger. C'est ce que je pense.

[Français]

Le sénateur Verner : Je suis une ancienne ministre de la Condition féminine, alors je suis très au fait des programmes que vous avez mentionnés tout à l'heure, et je suis contente car on entend plus souvent les critiques à l'endroit des programmes qu'on met sur pied et des budgets qu'on y consacre, les bons résultats et les bons mots.

Je voudrais partager une réflexion et faire un commentaire, mais j'aimerais entendre les vôtres. Effectivement, il a fallu que la société s'occupe des femmes parce que, traditionnellement, elles n'allaient pas à l'école, elles se mariaient jeunes, avaient des enfants, et cetera. Aujourd'hui, on sait qu'il a énormément de femmes dans les universités; d'ailleurs les femmes réussissent mieux à l'école, que ce soit dans les universités ou pour obtenir un diplôme professionnel.

C'est sûr, il y aura toujours quelque chose à faire, il y aura toujours de nouvelles arrivantes au Canada dont il va falloir s'occuper; mais concernant les plus jeunes, est-ce qu'il n'y a pas lieu de se dire que la pauvreté parmi les femmes au Canada est appelée à diminuer parce que les femmes, maintenant, vont à l'école et occupent de bons emplois? Je me souviens qu'on avait mis sur pied un programme pour permettre aux femmes de suivre une formation pour occuper des emplois, soit si elles voulaient se présenter en politique, soit, aussi, si elles voulaient occuper des emplois au sein de conseils d'administration, des emplois de haut niveau. Je me suis plu à penser que, à l'avenir, parce que les jeunes femmes fréquentent davantage l'école, on pourrait assister à une baisse de la pauvreté et de l'exclusion des femmes dans la société.

Mme Andrew : Je dirais que c'est possible, mais cela ne tient pas compte de ce que j'appellerais « l'intersectionnalité », c'est-à-dire les femmes autochtones, les femmes avec des handicaps. Le travail que nous avons fait avec le groupe des femmes handicapées de Montréal était pour moi une leçon spectaculaire sur le courage de ces femmes. J'ai vu les défis que rencontrait une jeune femme atteinte de la sclérose en plaques, en chaise roulante. Une vidéo magnifique a été faite. On y voit une scène dans laquelle une femme veut aller à l'école pour rencontrer le professeur de ses enfants; elle est en bas d'un escalier de 15 marches, en fauteuil roulant, et il n'y a pas moyen pour elle de rentrer dans l'école. On comprend son désarroi, en tant que mère, face à cette situation.

Je pense qu'on a beaucoup de choses à faire. Si je parle de moi, femme issue de la classe moyenne, instruite, pour toutes sortes de raisons, c'est une chose; mais c'est différent si on tient compte de « l'intersectionnalité », des groupes femmes qui sont doublement ou triplement marginalisées.

Il y a aussi des choses comme la peur. On sait que les femmes changent de comportement à cause du sentiment de peur dans les espaces publics. Pour moi c'est important de tenir compte de ces facteurs. Pendant un certain temps, on regardait le genre, homme ou femme, comme le seul facteur. Or c'est plus complexe, on se rend compte qu'il y a plusieurs choses qui jouent en même temps, et je suis moins optimiste que vous quant au fait que nous allons changer les choses dans une période de temps aussi courte. Mais je pense qu'il y a plein de choses sur lesquelles on peut travailler.

Le sénateur Verner : Loin de moi l'idée de dire que tout avait été fait, que tout était accompli, effectivement. Je n'incluais pas dans mes commentaires les femmes, par exemple, handicapées ou membres de communautés autochtones en région éloignée. Ce n'est pas ces femmes que je visais. Je me plaisais à croire que, pour des raisons de culture, canadienne ou québécoise, elles n'avaient pas eu accès à l'éducation et qu'on était en train de pallier cela, car elles se prennent en main. Et je m'étais permis de croire que, s'étant prises en main, elles allaient être en mesure, comme vous, d'aider les autres, celles pour qui existent des facteurs qui s'ajoutent à la simple question des genres. Effectivement, ce n'est plus maintenant tellement une question d'hommes ou femmes, il y a d'autres facteurs qui s'ajoutent.

[Traduction]

Mme Scott : Je pense que les jeunes femmes sont en train de faire des avancées incroyables, notamment dans nos universités et collèges. Par exemple, si vous comparez les revenus entre les jeunes, hommes et femmes, vous constatez qu'ils sont pratiquement à égalité. Ce sont des progrès faramineux.

En revanche, lorsque ces jeunes femmes ont des enfants, c'est là que l'écart recommence à se creuser. Et quand elles atteignent l'âge de 40 ou 50 ans, leur salaire ne représente plus que 70 p. 100 du salaire des hommes, car on tient compte du fait qu'elles ont quitté temporairement le marché du travail. Les statistiques le montrent très nettement.

Je viens du Québec et j'ai été surprise de voir, dans les études qui ont été faites sur les garderies à 7 $ par jour, que cet outil d'inclusion sociale, en mettant des garderies à la disposition des familles, avait sensiblement contribué à réduire la pauvreté parmi les familles avec de jeunes enfants. En effet, ce programme a facilité l'intégration des jeunes mères au marché du travail, ce qui a eu une incidence positive sur la situation économique de ces familles.

À l'heure actuelle, c'est vrai qu'il y a pratiquement égalité des salaires entre les jeunes, hommes et femmes, mais il y a toute la question des garderies et des centres préscolaires, et à ce niveau-là, la performance du Canada n'est pas très bonne, si l'on fait exception du Québec.

Le président : Avant de clore la séance, j'aimerais revenir sur une remarque que vous avez faite tout à l'heure et qui m'a intrigué, monsieur Mercier. Vous avez dit que le système de transports publics subventionnait en fait un certain groupe d'usagers. Ce ne sont pas exactement les termes que vous avez employés, mais c'est comme ça que je les ai compris.

Je me suis alors demandé comment ça se passe quand vous préparez votre budget et que la ville décide qu'un groupe d'usagers seront subventionnés. Est-ce que c'est financé par les programmes sociaux de la ville ou est-ce le transporteur public qui doit se débrouiller à même son budget? Je suppose qu'un opérateur peut calculer le coût au kilomètre pour tous ses usagers, mais vous avez dit tout à l'heure que certains groupes de la société avaient besoin d'être subventionnés pour pouvoir payer leur carte de transport et que cela favorisait leur intégration, leur mobilité, et cetera.

Pourriez-vous m'expliquer dans les grandes lignes comment un gros opérateur de transports publics établit sa structure de prix?

M. Mercier : En fait, tout est fondé sur le principe de l'interfinancement entre les usagers. La majorité des systèmes de transports publics au Canada, et même aux États-Unis et ailleurs dans le monde, établissent leur barème de prix en fonction principalement de l'âge : enfants, adolescents, étudiants, adultes et personnes âgées. Au Canada, la question qui préoccupe actuellement la plupart des opérateurs est de savoir comment gérer le modèle fiscal. Les systèmes de transports publics sont de plus en plus des organisations municipales, et il y a de moins en moins d'indépendants. Ils sont donc fortement influencés par les politiques municipales.

La question du niveau de service est un bon exemple. Dans quelle mesure un arrêt d'autobus situé à proximité d'une résidence ou d'un lieu de travail fait-il partie d'un réseau de transports publics? C'est un critère. Il y a donc une tension entre les besoins des consommateurs, qui, au Canada, sont pour la plupart des navetteurs, et les besoins de la population, qui relèvent davantage des programmes sociaux. Pour les villes, c'est un grand débat.

Je suis responsable à la Ville d'Ottawa. Par exemple, nous venons d'adopter une politique de service gratuit pour les personnes âgées, notamment dans le but de leur assurer une certaine mobilité et de réduire leur dépendance vis-à-vis de la voiture. Vous savez que les risques d'accident augmentent avec l'âge. Il y a toutes sortes de politiques sociales au niveau des municipalités. Je ne ferai pas de commentaires sur les politiques axées sur l'âge, mais je peux dire qu'en ce qui concerne la tarification des transports publics, nous devons constamment faire des compromis entre la contribution d'un groupe et celle d'un autre. Dans toutes les villes canadiennes, le contribuable urbain — celui qui habite au centre- ville — subventionne le banlieusard, compte tenu du coût du billet et des impôts qu'il paie. C'est un choix politique très difficile pour les villes.

Le président : Merci beaucoup à vous tous d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Au nom du comité, je tiens également à vous remercier de nous avoir donné des réponses très intéressantes, qui vont nous aider à mieux comprendre certains aspects de l'étude qui nous a été confiée. Il y a plusieurs questions sur lesquelles nous aurions aimé nous attarder, notamment, madame Taillon, l'exemple que vous donnez au sujet du temps que les jeunes enfants passent à l'école et l'incidence que cela a sur les jeunes familles. Ce sont vraiment des enjeux sociaux. Les horaires scolaires ne sont peut-être pas directement reliés au service assuré à une partie de la société, mais plutôt à une autre entité qui a négocié de tels horaires, mais ça fait quand même partie de la structure globale des services qui sont offerts aux jeunes familles, sans parler des grandes villes et des autres aspects. Vos témoignages nous sont extrêmement utiles.

Cela dit, chers collègues, nous allons lever la séance.

(La séance est levée.)


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