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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 34 - Témoignages du 21 mars 2013


OTTAWA, le jeudi 21 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : Emploi non conforme).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Nous poursuivons notre étude sur l'emploi non conforme des produits pharmaceutiques sur ordonnance, la troisième de quatre études qu'entreprend notre comité sur les médicaments sur ordonnance.

Je vais demander à mes collègues de se présenter.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

La sénatrice Martin : Bonjour. Je suis Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto, Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Je suis Nicky Eaton, de Toronto, Ontario.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto, et vice-président du comité.

Le président : Je suis Kelvin Ogilvie, un sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité.

Nous recevons deux témoins ce matin. Nous sommes ravis que vous soyez ici. Je vais vous présenter selon l'ordre convenu des exposés. Cela signifie que je vais d'abord souhaiter la bienvenue à Maureen Smith, secrétaire de l'Organisation canadienne pour les maladies rares. Vous avez la parole.

[Français]

Maureen Smith, secrétaire, Organisation canadienne pour les maladies rares : Bonjour. Mon nom est Maureen Smith, je suis la secrétaire de l'Organisation canadienne pour les maladies rares. Je suis heureuse de représenter l'organisation aujourd'hui et de partager avec vous les défis de l'emploi non conforme de produits pharmaceutiques pour les Canadiens et les Canadiennes atteints de maladies rares. Je suis moi-même atteinte d'une maladie rare depuis l'enfance.

[Traduction]

Je vais commencer en donnant des exemples des difficultés concernant l'utilisation à des fins non indiquées pour les maladies rares au Canada.

Nicholas et Jonathan sont des enfants de 10 ans qui vivent en Ontario et qui sont atteints du syndrome de Prader- Willi, une maladie génétique rare à multiples symptômes, qui comprend fréquemment l'obésité morbide à cause d'un appétit insatiable, une déficience intellectuelle et une petite taille à cause de faibles niveaux d'hormones de croissance. Puisque c'est un médicament ancien, il n'y a pas eu d'essais de contrôle aléatoire avec des enfants atteints du syndrome de Prader-Willi, mais des études d'observation ont démontré que la thérapie aux hormones de croissance permet de corriger la taille, la coordination et le fonctionnement cognitif. La thérapie aux hormones de croissance est un traitement approuvé aux États-Unis et en Europe, mais pas au Canada. Aucun des fabricants de marque ou de thérapie aux hormones de croissance bio-similaires ne fera d'essais de contrôle aléatoire juste pour le Canada.

La famille de Nicholas a une assurance-médicaments privée et il profite de la thérapie aux hormones de croissance depuis l'âge de cinq ans. Le Programme public de médicaments de l'Ontario a refusé la thérapie aux hormones de croissance à Jonathan. Nicholas est dans le cinquantième percentile de développement physique et cognitif, alors que Jonathan est plus près du dixième percentile. Robin en Alberta profite de la thérapie aux hormones de croissance grâce à un programme d'utilisation de médicaments à des fins non indiquées, alors que Sarah en Colombie-Britannique s'y est vu refuser l'accès par le régime public de médicaments, mais reçoit cette thérapie grâce au programme d'accès pour des raisons humanitaires du fabricant.

À titre de deuxième exemple, la carence grave en alpha-1 antitrypsine, ou l'AAT, est une maladie rare qui peut mener à l'emphysème pulmonaire et à une défaillance des poumons, de même qu'à des maladies du foie, y compris la cirrhose, l'hépatite et le cancer. Pour gérer les symptômes, on utilise des bronchodilatateurs, des stéroïdes, des vaccins et de l'oxygène. Des infusions dans le cadre d'une thérapie d'augmentation de l'AAT peuvent ralentir la progression de la maladie pour ceux qui ont des symptômes aux poumons. Cependant, il n'y a pas d'études à long terme sur l'efficacité. Il y a environ trois ans, l'Ontario a décidé de refuser l'accès aux thérapies d'augmentation pour les nouveaux patients qui recevaient un diagnostic d'alpha-1 dans la province. Les conséquences sur la qualité de vie sont graves, car les patients ne peuvent plus travailler ou accomplir leurs activités quotidiennes.

À titre de troisième exemple, l'immunoglobuline intraveineuse est un produit dérivé du plasma utilisé pour le traitement de l'immunodéficience, de même que d'autres maladies très rares. L'immunoglobuline intraveineuse est fournie par la Société canadienne du sang ou Héma-Québec, et peut être prescrite par tout médecin pour n'importe quelle maladie. Au Canada, elle est surtout utilisée à des fins non indiquées et est considérée comme une thérapie de « première ligne », pour de nombreuses maladies d'origine immunitaire ou qui comprennent un mécanisme pathogène inconnu, malgré l'absence d'essais cliniques.

Ces exemples démontrent les difficultés de l'utilisation à des fins non indiquées de médicaments pour les maladies rares. Bien qu'il n'y ait pas d'études qui portent sur l'utilisation à des fins non indiquées pour les maladies rares, une enquête canadienne au Québec a constaté que 11 p. 100 des ordonnances portaient sur des utilisations à des fins non indiquées, alors que certains estiment que jusqu'à 80 p. 100 des ordonnances pour les maladies rares concernent des utilisations à des fins non indiquées. Une étude menée par EURORDIS, l'Organisation européenne pour les maladies rares, indique que l'utilisation à des fins non indiquées constitue la règle et non pas l'exception, étant donné qu'on a constaté qu'il y avait plus de 100 p. 100 d'utilisations à des fins non indiquées de médicaments pour traiter 90 maladies rares chez seulement 250 répondants.

Santé Canada ne fait aucune surveillance réglementaire de l'utilisation à des fins non indiquées de médicaments. Les médecins et les patients assument le risque de cette utilisation. Si les médicaments sont fournis par un programme d'accès spécial, il n'y a pas de surveillance ou de cueillette systématique de données relatives aux effets négatifs ou aux bienfaits. Puisque les fabricants ne peuvent pas commercialiser des médicaments pour des indications non approuvées, les médecins ne sont souvent pas informés de l'utilisation appropriée et cela augmente la possibilité qu'un patient se voie refuser un traitement qui pourrait être efficace ou qu'on lui prescrive un médicament sans qu'il n'y ait aucune preuve de bienfait.

Les régimes publics de médicaments ont tendance à refuser de rembourser les utilisations de médicaments à des fins non indiquées. Les demandes individuelles auprès des programmes d'accès exceptionnel disponibles dans certaines provinces sont insatisfaisantes. Le médecin doit recueillir les preuves qui justifient la demande, et un expert nommé par la province doit examiner chaque demande. Parfois, la même demande est acceptée par un expert et refusée par un autre. Lorsque les provinces reçoivent un grand volume de demandes pour une utilisation à des fins non indiquées, elles établissent parfois des directives pour l'approbation. Cela réduit les incohérences, mais pas nécessairement la paperasse nécessaire pour présenter de façon répétée une demande, un processus pour lequel le médecin n'est pas rémunéré.

Le projet de cadre réglementaire des médicaments orphelins annoncé par la ministre fédérale de la Santé en octobre dernier constituera un système pour l'examen des nouveaux médicaments, mais ne couvre pas l'utilisation à des fins non indiquées des anciens médicaments. Les règlements devraient permettre qu'on ajoute de nouvelles indications sans que des essais de contrôle aléatoires soient nécessaires. De plus, les États-Unis songent à permettre aux fabricants de commercialiser une utilisation à des fins non indiquées pendant qu'ils en attendent l'approbation. Nous recommandons que Santé Canada songe à ajouter cela à notre cadre réglementaire des médicaments orphelins.

Le National Institute for Health and Clinical Excellence, NICE, au Royaume-Uni a annoncé qu'il conseillera les médicaments sur l'utilisation non approuvée et à des fins non indiquées de médicaments pour des maladies spéciales, y compris les maladies rares. Son but est d'offrir aux patients un meilleur accès à ces médicaments, car il reconnaît que nombre de ces indications ne seront peut-être jamais approuvées, mais certains patients en bénéficieraient certainement. Nous croyons que cela serait un objectif louable pour Santé Canada et l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé.

Enfin, la prochaine vague de médicaments pour les maladies rares ne sera peut-être pas constituée de nouvelles entités moléculaires, mais d'anciens médicaments recyclés, ceux qui sont sur le marché et ceux qui sont dans les banques de médicaments des fabricants. Au Canada, des travaux faits en collaboration entre l'Université d'Ottawa et celle de Dalhousie, et avec l'appui des IRSC, de Génome Canada et de partenaires privés, sont parmi ceux qui se penchent sur ce genre de recherche. Il est clair qu'un processus accéléré d'examen et d'approbation de ces thérapies est nécessaire, de même qu'un mécanisme de remboursement approprié afin que les patients aient accès le plus vite possible à ces médicaments.

Nous demandons au gouvernement fédéral et à Santé Canada de faire preuve de leadership et de fournir des ressources et des mécanismes pour transformer les difficultés en matière d'utilisation de médicaments à des fins non indiquées pour les maladies rares en de réelles occasions qui améliorent la santé et la qualité de vie des Canadiens.

[Français]

Merci, il me fera plaisir de répondre à vos questions en anglais ou en français.

[Traduction]

Le président : Je cède maintenant la parole à Janet Currie, qui représente le Psychiatric Medication Awareness Group.

Janet Currie, représentante, Psychiatric Medication Awareness Group : Merci de m'avoir invitée à comparaître devant vous. Je parlerai des médicaments psychiatriques et d'autres formes d'ordonnances à des fins non indiquées et me concentrerai sur les risques pour les consommateurs et certains aspects concernant le suivi, la surveillance et aussi le consentement éclairé.

Premièrement, j'aimerais revenir sur ce que signifient les ordonnances à des fins non indiquées. La plupart des Canadiens seraient choqués d'apprendre qu'un fort pourcentage des médicaments prescrits par leur médecin n'ont pas été mis à l'essai ou approuvés pour les utilisations pour lesquelles ils sont prescrits ou n'ont pas été mis à l'essai ou approuvés pour le groupe auxquels ils sont prescrits.

Les ordonnances à des fins non indiquées sont, comme vous le savez, illégales du point de vue de la promotion et commercialisation des utilisations à des fins non indiquées par les sociétés pharmaceutiques, mais certains disent qu'il y a une échappatoire énorme qui permet aux ordonnances à des fins non indiquées d'exister et de se répandre parce que les médecins peuvent prescrire n'importe quel médicament pour n'importe quelle raison s'ils croient qu'ils apporteront des bienfaits.

C'est un peu contradictoire. Les sociétés ne peuvent pas promouvoir ou commercialiser les médicaments, mais les médecins peuvent les prescrire. Cela découle de la crise de la thalidomide, parce que ce médicament était prescrit à des fins non indiquées et, comme vous le savez, a mené à un drame à l'échelle mondiale pour les enfants nés de mères qui en avaient pris pendant la grossesse. C'est après qu'on a adopté une loi interdisant aux sociétés de commercialiser les médicaments, tout en continuant de permettre aux médecins de les prescrire.

La prescription à des fins non indiquées est très répandue. Mais l'un des problèmes, c'est que nous n'en savons pas assez sur cette situation. Il n'y a pas de suivi; nous ne la comprenons pas. Par contre, des études ont indiqué que probablement un médicament sur quatre, sinon un sur cinq, sont prescrits à des fins non indiquées. Si votre mère ou votre père est dans un foyer, il est fort probable qu'il ou elle reçoit un antipsychotique à des fins non indiquées. De 30 à 50 p. 100 des personnes âgées dans les foyers prennent des médicaments antipsychotiques, qui sont indiqués pour la schizophrénie ou la psychose, mais sont prescrits parce que ces personnes ont de la difficulté à s'endormir à 21 heures. Il s'agit d'une ordonnance à des fins non indiquées très commune.

Dans la catégorie des médicaments psychiatriques, 60 p. 100 des médicaments antipsychotiques sont prescrits à des fins non indiquées; pour les antibiotiques, c'est 40 p. 100; les médicaments oto-rhino-laryngologiques, 15 à 20 p. 100; et les anticonvulsifs, 70 p. 100.

Pour certains médicaments de ces catégories, parfois de 90 à 95 p. 100 sont prescrits à des fins indiquées. Un médicament comme le neurontin, prescrit pour une vaste gamme de douleurs pour laquelle il n'a pas été approuvé ou mis à l'essai, est prescrit à des fins non indiquées 98 p. 100 du temps. Un autre médicament, la quinine, qui est prescrite pour les crampes aux jambes, est prescrite à des fins non indiquées presque 100 p. 100 du temps. Il s'agit en fait d'un médicament contre le paludisme.

C'est bien beau tout ça, mais direz-vous, mais que se passe-t-il si ces médicaments ne sont pas efficaces? Le problème, c'est que la plupart ne le sont pas. Les études, comme l'étude canadienne dont a parlé Mme Smith, ont constaté qu'en général 80 p. 100 des médicaments prescrits à des fins non indiquées ne le sont pas sur la base de preuves. On constate, par exemple, que 82 p. 100 des antipsychotiques sont prescrits sans preuve d'effets positifs. Pour les antibiotiques, 95 p. 100 de ceux qui sont prescrits à des fins non indiquées ne le sont pas sur la base de preuves. C'est la même chose pour les autres catégories de médicaments.

On prescrit des médicaments à des fins non indiquées qui n'ont pas été mis à l'essai ou approuvés et exposent les gens à des effets négatifs sans en avoir de positifs. Je dirais que cela est un très grave problème.

Pourquoi y a-t-il des médicaments utilisés à des fins non indiquées? Du point de vue des fabricants, c'est très rentable. Les sociétés peuvent contourner le processus réglementaire en n'ayant pas à faire les essais cliniques, qui coûtent cher et prennent du temps. Elles n'ont pas à demander que leurs médicaments soient approuvés, elles peuvent simplement les promouvoir auprès des médecins et des groupes de patients.

J'ai dit qu'il était illégal de promouvoir la prescription de médicaments à des fins non indiquées à qui que ce soit, mais cela n'a pas empêché les sociétés de le faire.

J'ai ici une étude de Bloomberg Markets, qui n'est certainement pas un groupe progressiste. Cette enquête spéciale est intitulée « Big Pharma's Crime Spree ». Si on regarde les amendes qui ont été imposées aux sociétés pharmaceutiques depuis 1985 pour la promotion illégale de médicaments à des fins non indiquées, on constate que les amendes ne les ont pas empêchées d'utiliser cette pratique. Voilà une autre préoccupation.

Je crois que dans mon texte j'ai indiqué qu'entre 2004 et 2008, l'une des grandes sociétés pharmaceutiques s'est vue imposer des amendes de 2,75 milliards de dollars, cela représente 1 p. 100 de ses profits pendant cette période. Les amendes ne fonctionnent pas et on fait la promotion active des médicaments à des fins non indiquées auprès des docteurs en leur donnant des échantillons gratuits; lors de discussions en personne; dans le cadre de séminaires d'information; et aussi auprès des groupes de patients et de maladies. Les sociétés pharmaceutiques encouragent activement les groupes de patients à demander, à exiger, des médicaments à des fins non indiquées.

Que faisons-nous à ce sujet, puisque cela cause du tort? L'une de mes plus grandes préoccupations est la mesure dans laquelle on prescrit à des fins non indiquées des médicaments psychiatriques aux jeunes. Cette pratique a connu une augmentation absolument exponentielle au cours des 10 dernières années. On constate qu'au Canada, la prescription à des fins non indiquées d'antipsychotiques, qui sont des médicaments très puissants, très populaires et parmi les plus gros vendeurs des sociétés pharmaceutiques, tout comme les antidépresseurs et les anticonvulsifs, qui n'ont jamais été testés sur les jeunes, sont prescrits à des enfants aussi jeunes que trois, quatre ou cinq ans. C'est un scandale d'envergure nationale, et je m'inquiète du genre d'avenir qu'attendent ces enfants exposés à ces médicaments.

J'ai également parlé des aînés fragiles, à qui l'on prescrit trop de médicaments à des fins non indiquées, de même que tous les torts faits aux personnes qui reçoivent des médicaments qui sont peut-être nocifs et qui n'offrent aucun effet positif.

Je suis d'accord avec plusieurs des recommandations de Mme Smith, mais l'une des recommandations principales que je vous présente ce matin, c'est qu'il devrait y avoir un consentement éclairé de la part des personnes à qui l'on prescrit des médicaments à des fins non indiquées. C'est-à-dire qu'un patient devrait savoir que le médicament est prescrit pour une utilisation à des fins non indiquées, qu'il n'a pas été mis à l'essai ou approuvé, et le médecin devrait expliquer les bienfaits possibles, et comment il ou elle en est arrivé à cette conclusion. Pour bien y arriver, le médecin doit savoir qu'il prescrit pour une utilisation à des fins non indiquées. Trop souvent, de nombreux docteurs ne le savent pas. Les médecins doivent avoir accès à ces renseignements par la monographie du produit fournie par Santé Canada. Le suivi est la surveillance des ordonnances à des fins non indiquées doivent être meilleurs.

Une étude canadienne a examiné les ordonnances à des fins non indiquées, celle de Québec dont Mme Smith a parlé. Nous devons promouvoir les études qui permettent d'établir des liens entre les diagnostics et le traitement, les indications et l'efficacité. Cela peut se faire par une sorte de jumelage électronique des dossiers. Pourquoi n'effectuons- nous pas le suivi d'une pratique qui a cours à si grande échelle? Je crois qu'il s'agit d'une préoccupation très grave.

Je pense également que les sociétés qui profitent des utilisations à des fins non indiquées devraient être obligées de se soumettre à un processus d'autorisation et d'essais officiels. Santé Canada devrait exiger qu'elles obtiennent l'approbation en bonne et due forme pour les médicaments.

Voilà mes recommandations principales, mais je dirai que la chose la plus importante, c'est le consentement du patient. On demande le consentement du patient lorsqu'il doit se soumettre à n'importe quelle intervention chirurgicale, et je pense qu'on devrait également l'exiger lorsque les personnes peuvent être exposées à des effets négatifs sans qu'elles le sachent et sans leur consentement.

Le président : Merci beaucoup. Je vais maintenant céder la parole à mes collègues pour les questions.

Le sénateur Eggleton : Madame Currie, pour poursuivre au sujet de ce dont vous avez parlé, j'ai lu un rapport dans le Huffington Post rédigé par le Dr Peter Breggin, qui se dit lui-même un psychiatre réformé. L'article s'intitule « Drug Companies Drive the Psychiatric Drugging of Children ». C'est un texte axé sur les États-Unis. On y retrouve certains renseignements alarmants. Il parle de certaines entreprises mises à l'amende. GlaxoSmithKline a accepté de payer 3 millions de dollars en amendes criminelles et civiles; Johnson & Johnson a aussi reçu des amendes de 2,2 milliards de dollars. Ce ne sont pas des petites amendes, mais elles représentent probablement une goutte d'eau par rapport aux profits de ces sociétés.

D'après le Département de la Justice américain, 8,9 milliards de dollars en amendes criminelles et civiles ont été imposées à GlaxoSmithKline, Pfizer, Eli Lilly et Johnson & Johnson pour la promotion d'utilisation de médicaments à des fins non indiquées. L'article parle surtout de cas psychiatriques, de médicaments antipsychotiques, et cetera. On s'inquiète également des gens qui souffrent de THADA qui sont jeunes et à qui on prescrit des médicaments. Il semble qu'il y ait eu beaucoup plus d'études fournissant beaucoup plus de renseignements aux États-Unis qu'au Canada. Vous avez mentionné que vous n'étiez au courant que d'une seule ici.

Vous avez proposé des façons de s'occuper de ce problème : le consentement éclairé du médecin qui prescrit, et que le patient soit informé; un meilleur suivi et de meilleures études canadiennes; et exiger que le fabricant obtienne l'approbation appropriée, ce qui sera difficile. Je ne crois pas qu'ils y sont beaucoup intéressés. Le résultat pourrait être que ces sociétés retireront du marché le médicament à cette fin; mais je ne sais pas.

Expliquez-moi comment ces choses pourraient fonctionner, comme le meilleur suivi ou comment obtenir une meilleure coopération de la part des fabricants.

Mme Currie : Pour les études de suivi, il faut avoir les données sur la prescription d'un médicament, le diagnostic et les indicateurs, ainsi que les liens entre ces aspects, afin de mieux comprendre comment la prescription à des fins non indiquées est utilisée et dans quels domaines. Par exemple, l'étude canadienne mentionne que 11 p. 100 de tous les médicaments sont prescrits à des fins non indiquées, alors que l'étude américaine, qui est plus vieille, parle de 21 p. 100. L'étude américaine est beaucoup plus près de la vérité, parce que l'étude canadienne ne s'est pas penchée sur les enfants à qui l'on prescrivait des médicaments à des fins non indiquées, et cela a un effet important.

Il faut promouvoir les études en créant les conditions qui permettront à ces dossiers d'être reliés, ce qui n'est pas difficile à faire. Il faut avoir la volonté et que les organisations comme le RIEM ou les IRSC demandent ces données. Il faut savoir ce qui se passe. Cela nous renseignerait tous sur la nature essentielle de la situation. Si on parle aux gens de prescription à des fins non indiquées, la plupart ne savent pas ce que c'est. Le niveau de compréhension des consommateurs à ce sujet est presque nul.

En ce qui concerne la conformité de la part des sociétés pharmaceutiques, je suis d'accord que c'est un problème pour elles. Après tout, c'est quelque chose qu'elles ont reçu, et elles ne veulent pas chercher à obtenir les autorisations et suivre les processus officiels. Il faudrait qu'il y ait un système qui l'exige. C'est un problème lorsque le brevet d'un médicament expire, parce qu'il y aura les versions génériques, et qui encadrera ce processus? Les États-Unis sont en train d'y réfléchir. Il y a eu un très faible effort en matière de conformité. Si on regarde l'augmentation des amendes visant les sociétés pharmaceutiques, on constate qu'elles ne dérangent pas les actionnaires du tout. En fait, le prix des actions augmente.

Je vais dire quelque chose d'un peu scandaleux. Un collège m'a dit l'autre jour que c'est seulement lorsque l'on verra les dirigeants des sociétés pharmaceutiques sortir de leurs édifices encadrés par des policiers que certaines personnes porteront attention à ce problème. Les sociétés ne respectent pas les règles. Il s'agit d'une pratique illégale. C'est une pratique dangereuse. Des personnes en sont mortes. Les amendes ne servent pas à grand-chose. Je ne suis pas la seule à le dire. Le rapport de Bloomberg indique que les amendes devraient être plus élevées; et je pense qu'elles le seront. On constate l'inefficacité des sanctions pécuniaires, qui sont simplement perçues comme le coût des affaires. Si on peut faire 36 milliards de dollars grâce à un médicament qui est prescrit à des fins non indiquées, pourquoi se préoccuperait- on d'une amende de 1 milliard de dollars. Cela semble beaucoup d'argent. On entend parler de 400 millions de dollars ou 600 millions de dollars, et cela semble beaucoup d'argent, mais il ne faut pas oublier que les médicaments psychiatriques sont ceux qui sont les plus prescrits et les plus rentables. C'est pourquoi il est très important d'en parler. Il faudrait que les amendes aient un effet pour que les sociétés respectent les règles.

Le sénateur Eggleton : Les sociétés qui ont payé 8,9 milliards de dollars en amendes criminelles et civiles sont la crème de la crème. C'est aux États-Unis, mais savons-nous si des amendes ont été imposées au Canada? Y a-t-il déjà eu des poursuites ici?

Mme Currie : Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Eggleton : Quand même, ce sont ces mêmes sociétés qui commercialisent les mêmes médicaments ici.

Mme Currie : Absolument.

Un autre médicament qui n'est pas psychiatrique est le dompéridone. Il a été utilisé comme médicament pour combattre la nausée. Ce médicament a été interdit aux États-Unis parce qu'il causait des arrêts cardiaques, la mort; et des problèmes d'arythmie cardiaque pour les gens qui souffrent du syndrome du long QT, dont est morte la fille de Terence Young. La plupart des gens ne savent pas qu'ils ont ce problème. C'est un médicament très puissant qui est interdit aux États-Unis. Au Canada, il est prescrit à des fins non indiquées à des mères qui allaitent. Le médicament passe de la mère au bébé. Il est interdit à cause des effets secondaires graves, et il est transmis au bébé. On ne sait même pas s'il causera des problèmes cardiaques pour le bébé. Parce que les utilisations à des fins non indiquées n'existent pas, on ne fait pas d'études à ce sujet. Quel est l'effet du dompéridone sur les femmes? Quels sont les risques? Expliquait-on à une mère qu'elle prend un médicament qui est en réalité interdit aux États-Unis? Lui explique-t-on qu'elle prend un médicament qui n'a jamais été mis à l'essai afin d'en connaître l'innocuité pour les fins auxquelles elle l'utilise, et qu'il pourrait être transmis à son enfant?

L'un des grands problèmes, c'est que nous avons fermé les yeux sur les ordonnances à des fins non indiquées. Voilà un bon exemple d'un domaine sur lequel nous avons besoin des renseignements pour savoir à quel point il est prescrit, à quelle dose, et si les gens sont informés. À ma connaissance, cela démontre une grande différence entre le Canada et les États-Unis. Je m'inquiète que nous n'ayons pas été assez fermes envers les sociétés pharmaceutiques. Ce n'est pas ce que l'on voit au Canada.

Le sénateur Eggleton : Je vais maintenant poser une brève question à Mme Smith sur le cadre des médicaments orphelins, que la ministre a annoncé l'automne dernier à peu près en même temps que le comité le recommandait, ajouterai-je.

Mme Smith : Excellent; merci. Je suis ravie de l'entendre.

Le sénateur Eggleton : Mais il n'est pas certain que cela suffise. Dans votre exposé, vous avez parlé de l'approbation de nouvelles indications en l'absence d'essais contrôlés randomisés. Si l'on n'exige pas d'essais contrôlés randomisés, exigera-t-on autre chose? Vous avez aussi dit que, aux États-Unis, on envisage de permettre aux fabricants de commercialiser des médicaments pour des utilisations non indiquées dans l'attente de l'approbation de ces nouvelles utilisations. J'ignore si cela sera aussi possible ici si ces fabricants ne présentent pas de demandes d'homologation. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Smith : Le problème, dans le cas des maladies rares, c'est que, souvent, aucun fabricant n'est prêt à procéder à des essais contrôlés randomisés. Je vous ai donné l'exemple du syndrome Prader-Willi. Il nous est impossible de faire approuver des médicaments à des fins non indiquées pour ces symptômes, car personne n'est prêt à faire des essais contrôlés randomisés. Voilà pourquoi nous souhaitons que le cadre réglementaire n'exige pas que les nouvelles indications fassent l'objet d'essais contrôlés randomisés.

Sinon, nous ne pourrons aux besoins des patients atteints de maladies rares. Ils n'auront pas accès aux médicaments prescrits à des fins non indiquées, malheureusement, médicaments qui sauvent la vie de personnes atteintes de maladies rares pour lesquelles les médicaments approuvés sont sans effet et qui ont besoin de nouvelles thérapies.

Le sénateur Eggleton : Par quel processus Santé Canada approuve-t-il l'ajout d'une nouvelle indication?

Mme Smith : C'est là le problème : Il n'y a pas de processus. C'est ce qui nous inquiète.

J'aimerais revenir à ce qu'a dit Mme Currie sur le consentement éclairé. Les personnes atteintes d'une maladie rare sont des patients très avertis. Quand vous souffrez d'une maladie rare, vous entretenez d'étroites relations avec votre médecin. Moi, personnellement, il m'a fallu quatre ans avant d'avoir un diagnostic. Si on veut avancer, on doit défendre ses droits. Dans la communauté des personnes atteintes d'une maladie rare, le consentement éclairé et la collaboration avec les médecins est primordiale; c'est ce qu'a souligné Mme Currie. S'ils ne connaissent pas toutes les fins non approuvées auxquelles un médicament peut être prescrit, s'ils n'ont pas toutes les informations sur l'utilisation de ces médicaments, les médecins et les patients courent un grand risque. Les personnes atteintes d'une maladie rare doivent défendre leurs droits; il en va de leur survie.

Le sénateur Munson : Après avoir entendu les montants effarants que vous avez donnés, j'ai eu cette image un peu scandaleuse de cadres d'une entreprise pharmaceutique que la police venait chercher dans leur bureau. Croyez-vous que le gouvernement devrait rendre l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées illégale?

Mme Currie : La prescription de médicaments à des fins non indiquées présente certains avantages, surtout dans le cas de maladies aux effets graves et pour lesquelles il n'y a pas de traitement efficace. Toutefois, la plupart des cas de prescription à des fins autres que l'usage approuvé ne sont pas dans cette catégorie. En général, l'utilisation de médicaments à fins non conformes se fait dans des cas où il n'a pas été prouvé que cela soit efficace. Interdire totalement la prescription de médicaments à des fins non indiquées serait une erreur. Je crois toutefois qu'elle devrait être réglementée, que les sociétés pharmaceutiques devraient faire approuver ces nouvelles utilisations, que l'on devrait exiger le consentement éclairé et que l'on devrait d'abord déterminer l'ampleur de ce phénomène. Cela contribuerait grandement à créer un environnement mieux contrôlé.

Il existe un processus d'approbation des nouvelles indications. Les compagnies pharmaceutiques peuvent demander à Santé Canada d'approuver ces nouvelles utilisations. C'est un processus parfois très long, mais il y a aussi un processus pour les sociétés pharmaceutiques qui veulent procéder à de nouveaux essais pour de nouvelles indications. Malheureusement, les entreprises pharmaceutiques ne donnent pas toujours suite à leurs engagements. Quand elles demandent à Santé Canada l'autorisation d'ajouter une nouvelle indication sur une étiquette, quand elles veulent que soit autorisée la prescription de leur médicament à une fin autre que celle déjà approuvée, Santé Canada n'indique pas au public si cette demande a été approuvée ou rejetée. Par conséquent, nous manquons d'information. Il y a un processus en place, mais, à mon avis, il n'est pas appliqué de façon rigoureuse. Cela dit, la prescription de médicaments à des fins autres que l'usage approuvé a sa place.

Quand le sida est apparu, on se disait que c'était une question de vie ou de mort et que ces patients n'avaient rien à perdre. On a présumé certaines choses et permis des traitements et la prescription de médicaments jusqu'à ce que tout cela devienne plus rationnel. Or, bien des malades ont subi de graves effets secondaires, tels que des crises cardiaques et des cancers. À mon sens, même dans de tels cas, on doit être prudent. La prescription de médicaments à des fins autres que celles approuvées, c'est le Far West, car il n'y a aucun contrôle. Nous, nous estimons qu'il faut d'abord bien comprendre le phénomène pour ensuite le baliser, car actuellement, il n'y a aucun contrôle.

J'aimerais revenir à la situation qui prévaut au Canada. La plupart des informations dont nous disposons sur la promotion et la commercialisation d'usage de médicaments à des fins non indiquées nous provient des États-Unis, plus précisément des témoignages présentés par des dénonciateurs. Comme vous le savez, aux États-Unis, les dénonciateurs sont protégés et peuvent recevoir une partie de l'indemnisation versée par les sociétés pharmaceutiques. Ce sont eux la source de la majorité de nos informations. Tout est caché et cela explique, en partie, pourquoi on ne traite pas de la question. Cette pratique relève presque de l'économie clandestine.

Le sénateur Munson : Vous avez évoqué la seule étude qui a été menée, celle de Québec. A-t-elle été conduite l'an dernier? J'aimerais savoir qui l'a financée, quels en ont été les résultats et si ces résultats ont été diffusés, surtout au sein de l'industrie pharmaceutique et auprès de ceux qui prennent des médicaments à des fins non indiquées. Quelle a été la conclusion de l'analyse?

Mme Currie : Cette étude a été menée pour le compte de l'Université McGill et j'ai un exemplaire du rapport ici. L'étude a été menée en 2012 à Québec et les résultats ont été publiés dans les Archives of Internal Medicine.

Le président : Si je peux me permettre de vous interrompre, nous avons déjà ces renseignements.

Mme Currie : C'est très bien.

Le sénateur Munson : Je suis désolé, mais j'étais absent alors.

Le président : J'aimerais revenir à une chose qui m'apparaît importante. À deux reprises, vous avez dit qu'il n'y a pas de preuve. En fait, je crois savoir qu'on a plutôt affirmé qu'il n'y a pas de preuve scientifique solide.

Mme Currie : Oui, et c'est exact.

Le président : Et dans l'article, on définit les « preuves scientifiques solides » et, aux fins du compte rendu, je crois que vous êtes d'accord avec cette définition.

Mme Currie : Oui, il n'y a pas de bonnes données probantes solides. Le critère employé dans cette étude est bon. On utilise des indicateurs. Il serait difficile pour les chercheurs de dire qu'il n'y a pas de preuve. Les données qui existent pour déterminer à quelles fins sont utilisés les médicaments qui ont été homologués sont limitées. C'est juste.

Le président : Je parlais bien sûr de l'article.

Mme Currie : C'est juste.

Le président : Je ne remets pas en question votre interprétation, je dis simplement que vous faites vos affirmations dans le cadre de votre témoignage ici. Merci.

Le sénateur Munson : Comme l'a déjà indiqué le sénateur Eggleton, en octobre 2012, le gouvernement a annoncé la création d'un cadre réglementaire pour les médicaments orphelins en vue d'améliorer l'accès aux nouveaux médicaments pour ceux qui souffrent de maladies rares ou négligées. Madame Smith, pouvez-vous nous décrire la Orphan Drug Act des États-Unis et son application? Est-ce que ce serait bon pour le Canada de se doter d'une telle loi?

Mme Smith : La Orphan Drug Act a été adoptée aux États-Unis il y a une trentaine d'années, en 1982, je crois, mais je ne sais pas en quelle année précisément. Il y a 10 ou 15 ans, l'Union européenne en a fait autant. Le Canada est le seul pays industrialisé qui n'a pas de loi sur les médicaments orphelins ou une définition de « maladies rares ». Vous dites avoir recommandé un cadre réglementaire; je ne vous donnerai donc pas toutes les statistiques, car vous les connaissez probablement déjà.

La Orphan Drug Act prévoit des incitatifs à l'élaboration de médicaments pour les maladies rares. Elle prévoit aussi une méthode différente pour l'homologation de ces médicaments. Cette méthode tient compte des conditions particulières dans lesquelles on conçoit des médicaments pour soigner les maladies rares. Dans le cas de maladie comme celle dont je suis atteinte, qui touche 5 personnes sur 1 million, il est presque impossible de faire des essais cliniques auprès de 2 millions de personnes. Le Canada n'a donc accès qu'à la moitié des médicaments homologués aux États-Unis et en Europe. Parce qu'il n'a pas de politique idoine, le Canada n'encourage pas les entreprises pharmaceutiques à faire la recherche et le développement de nouveaux médicaments. Il n'y a pas d'incitatif et, par conséquent, très peu de nouveaux médicaments sont élaborés.

Le sénateur Munson : Devrions-nous étudier l'opportunité pour le Canada d'adopter une telle loi dans le cadre de notre étude?

Mme Smith : État donné que le Canada a été le dernier à se doter d'un cadre réglementaire pour les médicaments orphelins, il a pu y inclure toutes les pratiques exemplaires des 30 dernières années, et il pourrait les inclure à son cadre réglementaire pour la prescription de médicaments à des fins autres que l'usage approuvé. Je le répète, nous n'avons pas d'information sur l'innocuité, les risques et les bienfaits. Comme on est à élaborer cette politique en ce moment, c'est une bonne occasion d'inclure l'utilisation non indiquée dans nos politiques sur les maladies rares afin qu'on puisse déterminer les effets secondaires néfastes et tenir compte de toutes les préoccupations soulevées par Mme Currie.

Dans le cas des maladies rares, on regarde généralement à l'étranger, en Europe et aux États-Unis, pour voir quels sont leurs modèles. En Grande-Bretagne, par exemple, on compte fournir toutes les informations pertinentes aux médecins et aux patients. Ils vont faire cela. C'est ce qu'on appelle l'approche du bon sens. Il est en effet ridicule que nous ne sachions pas comment sont utilisés ces médicaments. Et c'est ce qui est fait par la FDA et c'est ce qui est fait ailleurs à l'étranger. Nous espérons que ce cadre réglementaire comprendra l'utilisation à des fins non indiquées, car c'est une pratique qui est loin d'être exceptionnelle dans le traitement des maladies rares, c'est même presque la norme.

La sénatrice Eaton : Si je peux marcher aujourd'hui, c'est parce que j'ai pris un médicament à des fins autres que l'usage approuvé; j'en vois donc les avantages. Est-ce qu'on ne pourrait pas tout simplement s'adresser aux médecins? Par exemple, quand mon médecin m'a prescrit ce médicament pour un usage autre que l'usage approuvé après que mon voisin me l'ait recommandé on aurait pu exiger de mon médecin qu'il le signale à la société pharmaceutique, en indiquant ce pour quoi il a prescrit le médicament, et qu'il fasse rapport deux semaines plus tard sur les effets du médicament? Est-ce qu'on ne pourrait pas commencer par cela? Ainsi, les compagnies pharmaceutiques auraient une idée de l'utilisation qu'on fait de leurs médicaments.

Mme Currie : Je ne crois pas qu'il existe à l'heure actuelle un système permettant aux sociétés pharmaceutiques de traiter de telles données, mais s'il est indiqué dans votre dossier médical qu'on vous a prescrit ce médicament pour un usage autre que l'usage approuvé on pourrait déterminer si cette pratique est courante. Le système de déclaration des effets indésirables des médicaments est tout à fait différent. Dans ce cas-là, en effet, les effets indésirables sont signalés à Santé Canada et à la compagnie pharmaceutique.

La question est de savoir comment on peut établir des liens entre toutes ces données?

La sénatrice Eaton : Mais quand un médecin prescrit un médicament pour un usage autre que l'usage indiqué, devrions-nous recommander qu'il soit tenu de le signaler à la société pharmaceutique? Devrait-il envoyer un rapport indiquant : « J'ai prescrit à Janet Currie aujourd'hui le médicament X pour la maladie X? »

Mme Currie : La plupart des médecins ne savent pas qu'ils prescrivent un médicament pour un usage autre que l'usage approuvé. Il faudrait donc d'abord amener les médecins à comprendre cela, ce qui est un vaste programme.

En outre, j'ignore si les médecins le feraient. Il n'y a pas de processus en place et je ne suis pas certaine que cela serait utile.

La sénatrice Eaton : On aurait des données sur le nombre de fois où le médicament X est prescrit pour la maladie X et où il a été efficace. Cela nous donnerait une idée des autres usages que l'on fait des médicaments, surtout dans les cas de maladies rares.

Mme Currie : Je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure solution. Je continue de croire qu'une approche plus systémique en matière d'efficacité serait préférable. Ce que vous proposez, c'est un rapport anecdotique. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise idée, mais je recommanderais plutôt une façon plus systémique de déterminer l'efficacité des médicaments, par exemple, de véritables essais cliniques ou une modification du processus actuel de ces cliniques permettant une comparaison avec les placébos et autres traitements et un véritable suivi des patients.

Les médecins font peu de déclarations d'effets indésirables de médicaments, et je doute qu'ils seraient disposés à faire ce que vous suggérez compte tenu de leur peu d'enthousiasme à signaler les effets indésirables des médicaments. De plus, ce genre de données devrait être géré par Santé Canada qui n'a aucun intérêt à ce qu'un médicament soit efficace ou non.

La sénatrice Eaton : Contrairement aux entreprises pharmaceutiques.

Mme Currie : C'est là le problème; l'efficacité et l'innocuité des médicaments doivent être établies par un organisme objectif. Les sociétés pharmaceutiques sont en conflit d'intérêts puisqu'elles vendent les médicaments. C'est difficile...

La sénatrice Eaton : Pas si elles peuvent commercialiser les médicaments pour plus d'un usage. C'est là où je veux en venir. Le médicament X n'est peut-être utile que pour vous et moi, mais il faut rassembler toutes ces informations. Si personne ne signale que ce médicament a été efficace pour vous et moi, comment le saurons-nous? On ne pourra jamais le commercialiser pour cet autre usage.

Le président : Vous avez raison, voilà la question et je crois que Mme Currie nous a donné une piste de solution. Si ces informations sont transmises à la société pharmaceutique, elle ne les diffusera pas puisqu'elle n'est pas tenue de le faire. Ce que nous explorons, c'est l'opportunité de créer une base de données. Je crois que Mme Currie a raison et que vous avez raison aussi au sujet de ce qui doit être fait. Toutefois, elle nous fait remarquer à juste titre que toutes ces informations doivent être versées dans un système central. Nous avons d'ailleurs posé la question à chacune de nos séances : comment centraliser toutes ces données?

La sénatrice Eaton : Je ne suis pas de votre avis.

Le président : Les sociétés pharmaceutiques n'utiliseront pas ces données comme vous le pensez.

La sénatrice Eaton : Il est dans leur intérêt de vendre leurs médicaments au plus grand nombre de gens possible.

Mme Smith : Puis-je intervenir?

Le président : Certainement.

Mme Smith : J'abonde dans le même sens que Mme Currie : cela devrait relever d'une tierce partie, comme c'est le cas au Royaume-Uni. Le NICE a mis sur pied un système de collecte de données, données qui sont ensuite transmises aux médecins et aux patients. Il est extrêmement important que les patients connaissent les effets indésirables. Pour les personnes atteintes d'une maladie rare, il est terrible de ne pas savoir qu'un médicament peut sauver des vies et qu'elles n'en ont pas été informées. Nous estimons que l'ACMTS ou Santé Canada pourraient avoir le mandat de recueillir ces informations et de les transmettre aux patients.

Le président : En outre, comme les médicaments utilisés à des fins non indiquées ne sont souvent plus protégés par un brevet, rien n'incite les compagnies pharmaceutiques à faire le travail nécessaire pour faire approuver le médicament pour ces autres utilisations.

Vous soulevez une question qui est au cœur du sujet dont nous sommes saisis. La question est de savoir comment recueillir toutes ces informations et constituer une base de données qui servirait autant aux chercheurs qu'aux patients. C'est une question cruciale et vos réponses nous sont très utiles.

La sénatrice Martin : Mme Currie, vous avez déclaré que, essentiellement, la prescription de médicaments à des fins autres que l'usage approuvé constitue une économie clandestine. Nous avons entendu les représentants de l'industrie hier, et nous avons aussi reçu les témoignages de professionnels de la santé. Aujourd'hui, c'est à vous, les représentants des patients, de nous faire part de votre point de vue. Il va sans dire qu'il incombe aux patients de s'informer et il est vrai que, souvent, ce sont eux qui sont les mieux informés. Toutefois, on nous a aussi dit que pour régler le problème de la prescription fréquente de médicament à des fins non indiquées, les experts aussi doivent être mieux informés, qu'ils doivent disposer de toutes les informations pertinentes au moment de prescrire ces médicaments.

Je ne veux pas pointer du doigt ma collègue et dire que les médecins et autres professionnels de la santé qui prescrivent ces médicaments et qui demandent aux patients de signaler les effets indésirables présentent une perspective, mais les patients sont ceux qui souffrent et n'ont pas la formation nécessaire pour décoder et analyser ces informations. J'aimerais qu'on s'attarde aux médecins, à ceux qui prescrivent ces médicaments; selon vous qui représentez les patients, que pouvons-nous faire pour encourager ou même obliger les professionnels de la santé à mieux faire le travail? Ils s'acquittent de leurs responsabilités, mais moi, qui suis une ancienne enseignante, je n'aurais pas demandé à mes élèves de me présenter des rapports sur un sujet qui relevait de moi, comme professionnel responsable de leur éducation.

Il est illégal pour les sociétés pharmaceutiques de promouvoir leurs produits à des fins autres que celles qui ont été approuvées, mais ça n'empêche pas les médecins de prescrire des médicaments pour des usages non approuvés; ils ne savent peut-être même pas que c'est un usage qui n'est pas indiqué.

Comment donc pouvons-nous les en informer? On nous a proposé des solutions. Toutefois, j'estime que cette responsabilité échoit aux médecins qui prescrivent ces médicaments. Comment les encourager à mieux s'informer? Y a- t-il des façons de les encourager à se perfectionner, par exemple? Puisque ce sont eux qui font les ordonnances, ne sont- ils pas responsables du suivi aussi? Quand vous avez parlé d'économie clandestine, je me suis dit que ceux qui prescrivent les médicaments sont au cœur de la solution à ce problème croissant.

Mme Currie : Je suis heureuse que vous en parliez, car, vous avez tout à fait raison, c'est un enjeu complexe. Vous vous demandez si la prescription de médicaments pour un usage autre que l'usage autorisé devrait être interdit. Nous devrions certainement interdire, ou à tout le moins, mieux contrôler la commercialisation visant les médecins. Les médecins reçoivent beaucoup d'information sur les médicaments où l'on fait la promotion de l'utilisation à des fins autres que celles approuvées. Si on veut sensibiliser les médecins, on doit notamment les soustraire à l'influence des sociétés pharmaceutiques. Ce devrait être le point de départ.

Il faudrait concevoir et mettre en œuvre des programmes plus détaillés, et je suis certaine que vous en avez discuté ici, dans le cadre desquels ceux qui fournissent ces informations aux médecins se fondent sur des données probantes solides et ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. J'estime comme vous qu'il faut tenir les médecins responsables de la prescription de médicaments à des fins non conformes. Certaines études menées aux États-Unis recommandent que les médecins fassent l'objet de poursuites s'ils prescrivent souvent des médicaments à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été homologués en l'absence de preuves solides. Je ne crois pas qu'il faille aller si loin, mais n'oublions pas que les sociétés pharmaceutiques fouillent dans les dossiers médicaux pour déterminer ce que prescrivent les médecins et qui sont ceux qui prescrivent souvent des médicaments pour une utilisation non indiquée. Ils ciblent ensuite ces médecins. À mon avis, il faudrait des dispositions législatives pour que ces médecins soient tenus de rendre des comptes, peut-être par l'entremise des collèges des médecins, car les entreprises pharmaceutiques les ciblent.

Enfin, il faut informer les médecins et il faut que les médecins s'informent des médicaments qui sont prescrits pour un usage autre que celui autorisé et des risques et préjudices qui y sont associés. Il est très difficile de le faire ou bien les médecins ne semblent pas être au courant. Quand on se fait prescrire un médicament, il suffit d'aller en ligne pour trouver la monographie qui donne toutes les indications, les contre-indications et les risques. C'est parfois compliqué pour les médecins, surtout si les détaillants de médicaments sont leurs principales sources d'information. Il faut trouver une façon plus simple pour les médecins de s'informer et d'assumer la responsabilité de leur pratique en matière de prescription. Si on mettait en place un processus de consentement éclairé, les patients seraient bien informés, vous y avez déjà fait allusion, et les médecins devraient mieux s'informer. On ferait d'une pierre, deux coups. J'en fais la proposition.

J'ai subi des chirurgies mineures, vraisemblablement comme la plupart d'entre nous ici, et certains ont peut-être même subi des interventions chirurgicales majeures. On doit toujours, avant l'opération, signer un formulaire de consentement. Pourquoi est-ce différent dans le cas des médicaments? Les préjudices peuvent être aussi grands. Si on faisait cela, les médecins assumeraient mieux leurs responsabilités. Selon moi, la prescription fréquente de médicaments pour un usage non autorisé doit être balisée de façon beaucoup plus stricte.

La sénatrice Martin : Est-ce qu'un organisme ou un groupe de travail a proposé un processus de consentement éclairé ou un formulaire?

Mme Currie : J'ai inclus dans mon rapport des documents provenant d'une étude sur l'éthique menée aux États-Unis où l'on a traité des questions qui devraient être abordées dans le cadre du processus de consentement éclairé. Qui devrait gérer ce processus? Cela nécessiterait une certaine collaboration entre les autorités médicales des provinces, Santé Canada et les associations de médecins. J'espère que les sociétés pharmaceutiques y collaboreraient aussi. On exige déjà le consentement des patients avant de procéder à une intervention chirurgicale. Si vous allez à la clinique ou à l'hôpital, on vous demandera de remplir le formulaire. C'est une tâche qui peut paraître redoutable, mais j'estime qu'avec la volonté d'agir et de collaborer, c'est tout à fait faisable. Si les Canadiens connaissaient l'ampleur de cette pratique et les risques que présente la prise de médicaments pour un usage non indiqué en l'absence de preuves solides, il serait pour l'idée qu'on exige le consentement éclairé des patients.

Ce n'est pas uniquement les maladies possibles ou les risques. Si l'on tient compte du fait que 40 p. 100 des antibiotiques sont prescrits à des fins non indiquées sur l'étiquette, ce qui, je pense, est un chiffre conservateur, et que pour plus de 90 p. 100 il n'y a pas de données probantes — et j'apprécie que vous ayez souligné mon choix de mots —, il s'agit d'antibiotiques qui sont prescrits en l'absence de données probantes pour des motifs pour lesquels ils ne font pas l'objet de tests et qui contribuent pourtant à la résistance aux antibiotiques dans notre société. La résistance à certains antibiotiques est un problème très grave qui fait que lorsqu'on en prend, on n'y réagit pas. La prescription de médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette contribue à ce problème. Je pense que cette pratique entraîne bien d'autres coûts dont on pourrait parler.

La sénatrice Martin : Je suis d'accord.

Madame Smith, vous avez dit dans votre exposé qu'il existait un programme d'accès aux médicaments pour des raisons humanitaires du fabricant.

Mme Smith : Exact. La plupart des fabricants ont ce genre de programme d'accès aux médicaments pour des raisons humanitaires. J'ai donné un exemple afin d'illustrer les disparités qui existent au pays.

Pour la même maladie, à savoir le syndrome de Prader-Willi, quatre enfants ont connu des situations différentes. Certains reçoivent le médicament, ce qui les place dans le cinquantième percentile pour ce qui est du fonctionnement cognitif et de leur taille; certains n'obtiennent pas le médicament. Ils l'obtiennent par différents moyens. C'est très fragmentaire. C'est quelque chose qui, nous l'espérons, sera réglé par le cadre de réglementation des médicaments, selon lequel votre code postal ne devrait pas déterminer à quels médicaments vous avez accès. Lorsque les médicaments sont utilisés à des fins non indiquées, cela entraîne davantage de problèmes, car ces médicaments sont plus difficiles à faire rembourser par les régimes d'assurance-médicaments provinciaux.

Pourrais-je parler de ce que vous avez dit concernant l'éducation des médecins?

La sénatrice Martin : Oui.

Mme Smith : C'est une excellente question pour ce qui est des maladies rares. Je suis certaine que vous avez dans votre cercle familial et d'amis des gens atteints de maladies rares à qui il a fallu 10 ou 15 ans pour obtenir un diagnostic et qui ont consulté un grand nombre de médecins. L'éducation des médecins est ce que nous faisons de plus important dans la communauté des maladies rares, et la formation des médecins concernant les médicaments utilisés à des fins non indiquées est un énorme problème. Souvent, les gens n'obtiennent pas les traitements qu'ils pourraient avoir, ou reçoivent le mauvais traitement. Le fait d'effectuer des évaluations d'experts que l'on pourrait transmettre aux médecins est donc important. Comme vous l'avez dit, s'il n'y a aucun incitatif, les médecins ne signaleront pas les effets du médicament; il y a bien d'autres choses à faire et il n'y a pas de programme officiel en place pour signaler ces effets. Il ne s'agit que de données fondées sur des observations.

Nous aimerions énormément assister à la mise en place d'un système de surveillance par un groupe-tiers, comme Santé Canada. Cela nous donnerait accès aux renseignements disponibles, à des renseignements sur les médicaments utilisés à des fins non indiquées et sur les résultats qu'ils donnent. Un grand nombre de maladies rares sont mortelles et cela peut donc sauver la vie de quelqu'un. La formation des médecins est donc une question très importante pour nous.

Le président : Avant de passer à autre chose, madame Currie, en ce qui a trait à votre observation sur les antibiotiques, la prochaine phase de notre étude porte sur les effets indésirables, et l'exemple que vous venez de donner concernant les antibiotiques illustrent bien ce problème. La prochaine phase de notre étude va s'intéresser à ces problèmes.

La sénatrice Seidman : Madame Smith, vous avez soulevé plusieurs points importants dans votre exposé. Le sénateur Eggleton vous a interrogée sur l'un d'entre eux et j'aimerais aller un petit peu plus loin. Cela a trait au cadre réglementaire sur les médicaments orphelins annoncé en octobre dernier. Vous avez indiqué que ce cadre permet d'obtenir des données sur les nouveaux médicaments mais qu'il n'aborde pas l'utilisation à des fins non indiquées de médicaments plus anciens. Vous avez soulevé un point très important lorsque vous avez parlé des maladies rares et de la façon dont elles sont traitées. Tout d'abord, vous avez indiqué que 80 p. 100 des médicaments prescrits pour le traitement des maladies rares l'étaient à des fins autres que l'usage approuvé. Afin de traiter les maladies rares, il est évident qu'il faut avoir recours à des traitements à l'aide de médicaments prescrits à des fins non indiquées. Vous avez bien fait valoir cet argument. Vous avez aussi indiqué qu'il s'agissait bien souvent de l'utilisation d'anciens médicaments, et pas de nouveaux médicaments. Comment devons-nous agir, si le système actuel, le cadre réglementaire sur les médicaments orphelins, ne porte que sur les nouveaux médicaments et pas les anciens? Les anciens médicaments sont importants; ils sont souvent utilisés.

L'une des idées qui a été avancée ici — et j'aimerais connaître votre opinion dessus — est l'émission de permis progressive qui permet de modifier en se fondant sur de nouvelles données, l'usage indiqué au cours du cycle de vie du produit. Pourriez-vous s'il vous plaît me dire ce que vous pensez de cette approche?

Mme Smith : C'est quelque chose que la FDA examine en ce moment dans le cadre de sa réforme de l'utilisation des médicaments à des fins non indiquées. La politique envisagée donnerait aux fabricants le droit de partager des données sur l'utilisation à des fins non indiquées. Cela permettra aux fabricants de faire une demande d'approbation pour usage à des fins non indiquées par l'intermédiaire d'une demande pour nouveau médicament, tout en leur permettant de commercialiser l'utilisation à des fins non indiquées de ce médicament. C'est la réforme que l'on envisage aux États- Unis. C'est un pas en avant dans ce contexte.

Pour ce qui est de notre cadre réglementaire, nous n'avons rien pour le moment. Nous n'avons que des promesses. On nous promet un nouveau système qui permettra d'envisager des essais cliniques pour l'approbation de l'usage des médicaments pour des maladies rares. Mais on n'a jamais mentionné l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées. C'est la raison pour laquelle nous disons que si nous pouvions intégrer cela au cadre réglementaire, étant donné le grand nombre de médicaments utilisés à des fins non indiquées, cela aiderait tous les Canadiens atteints de maladies rares.

La sénatrice Seidman : Vous parlez du cadre réglementaire sur les médicaments orphelins qui existe déjà?

Mme Smith : Non, il n'existe pas encore.

La sénatrice Seidman : Désolée, cela a été annoncé; excusez-moi.

Mme Smith : C'est exact. Ils y travaillent actuellement.

La sénatrice Seidman : On pourrait penser que ce cadre permettrait de tenir compte de l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées.

Mme Smith : Cela pourrait être le cas.

La sénatrice Seidman : Est-ce que cela pourrait être le cas non seulement pour les nouveaux médicaments mais aussi les anciens, par exemple?

Mme Smith : Oui. Nous proposons qu'étant donné que nous serons les derniers à être consultés sur ce cadre, que cela devrait être inclus, car c'est ce qui s'en vient et ce que d'autres pays font, et c'est un problème énorme sur le plan international. En raison de l'évolution des médicaments pour le traitement des maladies rares, avec tous les progrès génétiques, il semble que pour ce qui est des anciens médicaments et de redéfinir leur usage, si nous devons mettre un cadre en place, on doit s'assurer de bien faire les choses dès le départ et de faire preuve de leadership dans ce domaine plutôt que d'être en retard. Le Canada a un énorme potentiel et la capacité de bien faire les choses et de faire preuve de leadership. Je sais que les gens de Santé Canada qui travaillent sur cette politique travaillent constamment à l'international. Ils examinent constamment ce que font les autres pays.

Pour nous, il est très important que l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées soit incluse dans le cadre, et nous appuierions certainement l'émission de permis progressive.

Mme Currie : Puis-je faire quelques observations concernant l'émission de permis progressive, car c'est un objectif qui a été énoncé par Santé Canada? Cette question a été soulevée dans des audiences portant sur la modernisation de la réglementation auxquelles j'ai participé.

Cela ne vise pas précisément l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées, mais la théorie veut qu'on puisse préapprouver des médicaments sachant que la société pharmaceutique qui le produit s'engagerait à effectuer des études d'innocuité. Je pense qu'un régime semblable pourrait être mis sur pied, ce qui permettrait à la société de chercher à faire approuver des modifications importantes aux indications du produit. Par exemple, on a prescrit un médicament à des fins non indiquées ou un grand nombre de prescriptions sont faites dans ce domaine et on veut que ce médicament devienne un indicateur approuvé. Elle pourrait aussi obtenir une approbation à condition d'effectuer des études d'innocuité.

Le problème, si l'on regarde ce qui se fait du côté de la FDA, c'est que même avec l'émission de permis progressive, la conformité aux études d'innocuité n'est pas élevée. Santé Canada n'a ni la volonté ni le mandat d'insister, pour le moment, que les entreprises se conforment aux études d'innocuité. En d'autres termes, on pourrait approuver un médicament qui n'est pas nécessairement prescrit à des fins non indiquées et l'entreprise serait censée s'engager à effectuer une étude d'innocuité dans un certain délai; mais les sociétés pharmaceutiques ne le font pas ou elles ne le font pas correctement. Si on souhaite mettre en place un système d'émission de permis progressive efficace, que ce soit ou non pour l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées, il faut mettre en place un mécanisme solide pour assurer la conformité afin de s'assurer que les sociétés respectent leurs engagements. Autrement, elles ne feront pas d'étude et nous ne serons pas avancés.

La sénatrice Seidman : Étant donné que c'est fondé sur de nouvelles données, qu'envisageriez-vous? Madame Smith, vous avez parlé du fait de ne pas exiger des essais randomisés, par exemple. Surtout s'il s'agit d'anciens médicaments, il se pourrait que des essais contrôlés randomisés ne soient pas effectués pour toutes sortes de raisons qui pourraient nous venir facilement à l'esprit. Quel genre de données seraient acceptables?

Mme Smith : Si l'on prend par exemple le syndrome de Prader-Willi, l'hormone de croissance synthétique est sur le marché depuis peu, mais l'hormone de croissance l'est depuis les années 1960. Son efficacité a été prouvée, cela ne fait aucun doute. Pour les patients atteints du syndrome de Prader-Willi qui sont de petite taille, il n'y a pas assez de patients. Étant donné que ce traitement a été approuvé aux États-Unis et en Europe, personne ne va venir ici pour effectuer un essai contrôlé randomisé. On ne le fera tout simplement pas, ce qui fait que nos patients n'en bénéficieront pas. Certains en bénéficient; d'autres non. Ce n'est pas partout pareil. C'est une situation courante avec les maladies rares.

À quoi ont-ils recours? À des données fondées sur des observations. Pour ce qui est des gens qui en bénéficient, nous savons que Jonathan se trouve dans le cinquantième percentile du point de vue de la taille et du fonctionnement cognitif alors que l'enfant qui n'en bénéficie pas se trouve dans le dixième percentile. On obtient ces données, car les médecins collaborent. Cela revient à la formation des médecins. Certains médecins collaborent, mais peut-être qu'il y a un puissant groupe de défense des intérêts des patients atteints du syndrome de Prader-Willi qui s'occupent de rassembler les données concernant ces patients et qui obligent les médecins à se parler, à rassembler tous ces renseignements, mais cela peut aussi ne pas être le cas. Il y a d'autres maladies pour lesquelles il n'y a pas de groupes de défense des intérêts des patients, ce qui ne permet pas aux médecins d'avoir accès à ces renseignements. Cela est fondé sur des observations.

La sénatrice Seth : Je sais que 90 p. 100 des patients atteints de maladies rares sont traités à l'aide de médicaments prescrits à des fins non indiquées. Selon votre expérience, vous avez indiqué que lorsque l'on traite des maladies rares, les patients sont bien informés. Je comprends bien cela. Est-ce exact?

Mme Smith : Pour la plupart, mais pas tous, mais je dirais que c'est plus courant.

La sénatrice Seth : En pratique, si un médecin produit une ordonnance pour un médicament à utiliser à des fins non indiquées, il faut que le médecin en discute tout d'abord avec le patient avant d'indiquer cela dans leurs dossiers pour dire au patient qu'il rédige une ordonnance et que le patient consente à ce que le médecin lui prescrive le médicament, car les médecins ne peuvent pas donner d'ordonnances sans la permission du patient.

Mme Smith : Cependant, il n'y a pas de formulaire de consentement officiel.

La sénatrice Seth : Oui, mais nous protégeons. J'y viens. Nous sommes réglementés par le Collège. Nous avons des séminaires de formation médicale continue et un certain nombre d'heures à compléter avant d'être admis dans les hôpitaux ou autorisés à entrer en pratique privée. Tous les cinq ans, nous faisons l'objet de vérifications afin de déterminer nos aptitudes. C'est ce que l'on fait pour les médicaments prescrits à des fins non indiquées. Si de nouveaux médicaments ou de nouvelles maladies sont portés à notre attention, nous avons des séminaires. Souvent, il faut qu'on y assiste, car la formation d'un médecin est sans fin. Nous apprenons constamment parce que tout change en permanence et nous sommes bien informés.

Je pense qu'un formulaire de consentement, comme vous l'avez proposé, serait une excellente idée. S'il y a un cadre réglementaire, cela va améliorer notre efficacité. Oui, cela va entraîner plus de paperasse, mais ce n'est pas grave, nous avons le patient à cœur. Comme vous pouvez le voir d'après nos statistiques, notre système de santé est le meilleur système du monde. Il n'y a rien que nous ne faisons pas correctement.

Je sais que nous sommes ici pour améliorer notre système et le rendre plus efficace. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, et je suis tout à fait pour. Cependant, de là à dire que nos patients meurent ou qu'il y a de la négligence, à ce moment-là on ne pourrait pas pratiquer. Nous sommes très attentifs. Dans ce pays, les professionnels de la santé sont méticuleux et doivent être bien informés et avoir de bonnes connaissances avant d'aller plus loin.

Le président : On pourra en discuter un peu plus tard. Sénatrice Seth, avez-vous une question pour notre témoin?

La sénatrice Seth : Je tenais à le dire parce que les gens sont mal informés.

Le président : Avez-vous une question pour le témoin?

La sénatrice Seth : Oui, j'ai d'autres questions.

Je tiens ces informations de source sûre, et tout le monde n'est pas au courant.

Le président : Avez-vous une question pour notre témoin, s'il vous plaît?

La sénatrice Seth : Merci.

Les antipsychotiques sont souvent liés à une augmentation de certaines tendances chez les jeunes adultes et les enfants. Diriez-vous que cela est lié de quelque manière que ce soit à la prescription de médicaments à des fins non indiquées?

Mme Currie : Votre question porte-t-elle sur les médicaments psychiatriques?

La sénatrice Seth : Oui.

Mme Currie : Oui, je dirais que c'est le cas. La prescription excessive d'antipsychotiques, d'antidépresseurs, de psychorégulateurs et d'antiépileptiques ont souvent des effets indésirables. Ils entraînent l'acathisie et la dépression agitée.

Le sénateur Munson : Qu'est-ce que l'acathisie?

Mme Currie : C'est une sensation physique qui vous donne l'impression d'avoir un moteur en marche dans votre corps. C'est une agitation extrême. Cela conduit souvent à des idées suicidaires ou des tentatives de suicide.

La prescription excessive de médicaments pour le THADA, d'amphétamines et d'un mélange puissant de médicaments psychiatriques a occasionné des réactions au médicament et contribue à un niveau élevé d'anxiété et d'épisodes psychotiques. Un grand nombre de facteurs entrent en jeu, donc je ne veux pas simplifier la prescription de médicaments puissants et souvent de plusieurs médicaments. Selon des études effectuées à l'Université de la Colombie- Britannique, on a assisté, au cours des 10 dernières années, à un décuplement des effets secondaires chez des enfants de plus en plus jeunes. Cela est certainement un facteur qui contribue à l'éventail de problèmes psychiatriques que connaissent les jeunes.

Si vous examinez les données concernant les enfants pris en charge par des services de soins, vous vous apercevrez que c'est souvent les enfants les plus vulnérables qui reçoivent la plupart des médicaments. La Colombie-Britannique a effectué une étude sur les enfants pris en charge par des services de soins, des foyers de groupe et des familles d'accueil. Les enfants qui ont eu une vie difficile sont les plus susceptibles de se voir prescrire ces médicaments. Cela peut entraîner un cercle vicieux.

La sénatrice Seth : La prescription de médicaments à des patients atteints de maladies rares est souvent difficile et doit faire l'objet d'une grande attention. Quels conseils votre organisation fournit-elle à ses membres en ce qui a trait aux médicaments utilisés à des fins non indiquées?

Mme Currie : Mme Smith et moi sommes d'accord sur le fait que nous aimerions voir davantage de données. On aimerait voir un meilleur suivi et davantage de recherche pour savoir exactement ce qui se passe. Nous pensons que tous les patients, qu'ils soient atteints de maladies rares ou non, méritent de savoir qu'un médicament leur est prescrit à des fins non indiquées. Ils doivent savoir quelles données existent et que les sociétés pharmaceutiques doivent effectuer des essais adaptés.

Je ne suis pas d'accord avec Mme Smith sur le fait que les données fondées sur les observations sont suffisantes. Cependant, je comprends pourquoi les gens font ce choix s'ils pensent qu'ils n'en ont pas d'autres. Mme Smith est la mieux placée pour parler de maladies rares, mais j'aimerais fortement insister sur le fait que la plupart des médicaments prescrits à des fins non indiquées ne sont pas destinés à traiter les maladies rares. Les maladies rares sont rares. La plupart des médicaments prescrits à des fins non indiquées sont utilisés pour traiter toutes sortes d'autres maladies. C'est presque un cas spécial qui doit être traité comme tel.

Mme Smith : C'est la raison pour laquelle nous aimerions avoir un cadre réglementaire. Il faut que j'y revienne. Nous sommes très enthousiastes à ce sujet. Cela fait 30 ans que nous attendons cela, et l'utilisation des médicaments à des fins non indiquées pourrait être incluse dans le cadre réglementaire. Comme Mme Currie l'a indiqué, dans le cas des maladies rares c'est très courant et c'est souvent un dernier recours, car rien d'autre n'est disponible. Il n'y a pas d'autre traitement et les patients souhaitent rester en vie. Ils souhaitent avoir une certaine qualité de vie et ils sont très souvent prêts à prendre des risques plus élevés si le jeu en vaut la chandelle.

Je comprends bien tout ce qu'elle nous a dit. Ma mère est atteinte de démence, était en foyer d'accueil et on lui a prescrit des antipsychotiques; je comprends donc bien le point de vue de la communauté psychiatrique. Les patients atteints de maladies rares ont des besoins spéciaux et il faut donc des politiques spéciales qui n'empêcheront pas certains Canadiens d'avoir accès à un traitement qui pourrait leur sauver la vie parce que d'autres médicaments utilisés à des fins non indiquées sont mal utilisés.

La sénatrice Cordy : Vous avez été tous deux d'excellents témoins; merci beaucoup.

Madame Currie, dans votre résumé des points principaux, vous avez indiqué que dans 80 p. 100 des cas, il n'y avait pas de données scientifiques solides concernant les médicaments prescrits à des fins non approuvées, et les médicaments psychiatriques sont régulièrement prescrits à des fins non approuvées. Vous avez indiqué que dans 90 p. 100 des cas, ces utilisations ne présentent aucun avantage prouvé. C'est surprenant. Avec tout médicament, qu'il soit utilisé de la façon indiquée ou non indiquée, il y a des risques et des avantages. Si le médicament n'a aucun avantage mais qu'il comporte des risques, on expose le patient à des risques et cela représente un coût pour le système pour simplifier les choses. Vous avez aussi parlé des enfants dont on prend soin, chez qui l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées est très élevée. Il semble que l'on cible les gens les plus vulnérables de notre population. Vous avez parlé toutes les deux de la nécessité de données probantes. Il semble clairement y avoir des cas où ce que nous faisons aux plus vulnérables est presque criminel. Pourriez-vous approfondir ce point?

Mme Currie : Si l'on tient compte du fait que ce sont principalement les jeunes qui reçoivent des médicaments prescrits à des fins non indiquées parce que les compagnies pharmaceutiques en font la promotion, eh bien oui, on peut considérer qu'il s'agit des plus vulnérables, de même que les personnes âgées à la santé fragile ou les personnes âgées atteintes de démence ou vivant dans des maisons de santé. On a énormément recours à la prescription de médicaments à des fins non indiquées et oui, on expose les gens à des risques en leur prescrivant des médicaments qui n'ont pas été testés et approuvés et pour lesquels il n'existe pas de base de données scientifiques solides. On expose les gens à des risques; et c'est très grave.

Je tiens aussi à dire que cela entraîne des coûts pour le public. Le Zyprexa en est un bon exemple, car les sociétés pharmaceutiques en ont fait une promotion active pour son utilisation par le régime d'assurance-médicaments aux États-Unis. L'assurance-médicaments a acheté plus d'antipsychotiques que tout autre médicament, et ce n'est pas un petit groupe. Au Canada, c'est aussi énorme. C'est un médicament qui a fait l'objet de lobbying de la part des sociétés pharmaceutiques. L'assurance-médicaments a négocié des ententes avec les sociétés pharmaceutiques pour prescrire du Zyprexa, du Seroquel et du Risperdal à grande échelle. On s'est ensuite aperçu que l'un des effets secondaires des antipsychotiques est la prise de poids et un diabète irréversible. Ces médicaments entraînent aussi des accidents cardiovasculaires et des décès chez les patients atteints de démence. Le problème initial était le diabète. J'ai parlé à des gens en Colombie-Britannique qui gèrent des programmes pour les jeunes. Les enfants vulnérables atteints de troubles se sont vus prescrire des antipsychotiques. Les travailleurs du foyer de groupe n'avaient aucune expérience avec ces médicaments et ont commencé à constater que tous les enfants devenaient diabétiques; et ils ont commencé à en faire un suivi de leur propre initiative. Ils se sont aperçus que 10 p. 100 de leurs bénéficiaires se voyaient diagnostiquer une forme de diabète irréversible. Les États-Unis se sont portés partie prenante dans les procès qui ont eu lieu contre les sociétés pharmaceutiques et l'assurance-médicaments. Les autorités américaines leur ont dit : « Vous avez illégalement fait la promotion de ce médicament sans indiquer quels en étaient les effets secondaires. Nous nous retrouvons maintenant avec des patients atteints de diabète qui vont exiger des soins toute leur vie. » C'est la raison pour laquelle on a poursuivi ces sociétés.

On crée non seulement des risques pour les patients, mais un coût pour nous-mêmes.

J'aimerais dire à Mme Smith, qui se trouve dans une situation délicate, que les sociétés pharmaceutiques exploitent le désespoir des gens atteints de maladies rares. Je pense qu'elles exploitent en effet le désespoir des gens pour qui il n'existe pas de traitement et vont faire de la commercialisation active auprès de groupes de patients afin que les patients soient les premiers à demander certains médicaments. Je suis certaine que Mme Smith est du même avis. Même une personne atteinte d'une maladie rare qui pense ne pas avoir d'autre choix a le droit d'évaluer un médicament et son innocuité et de savoir que parfois, les répercussions en matière d'innocuité ne sont pas évidentes. J'ai parlé à un patient atteint du sida qui m'a dit : « Oui, j'ai accepté de suivre un traitement précoce, car je pensais que je n'avais pas le choix. Avec le recul, je n'aurais pas dû le faire, car j'ai eu une crise cardiaque ou le cancer. Je regrette de ne pas avoir attendu. » La clientèle de Mme Smith est constituée de gens qui ont besoin d'évaluer les risques. Parfois, les risques ne sont pas évidents tout de suite. Il se peut qu'il faille une décennie pour qu'on les découvre ou une génération, dans certains cas. C'est un problème important, et qui me préoccupe. Parfois, j'ai l'impression que les sociétés pharmaceutiques exploitent le désespoir des gens qui pensent ne pas avoir de choix.

Mme Smith : Je ne suis pas d'accord avec ça. Je pense qu'on voit des gens dans les médias qui demandent des médicaments et qui cherchent activement à obtenir des traitements, mais sans les sociétés pharmaceutiques qui fabriquent des médicaments qui sauvent des vies, je ne serais pas là en ce moment. Je prends des médicaments qui me permettent de rester en vie. Je ne serais pas là autrement.

Je viens tout juste de faire une vidéo promotionnelle pour la Rx&D afin de promouvoir la recherche médicale au Canada. Il s'agit d'une série d'annonces publicitaires télévisées et de publicités imprimées. Dans ces publicités, je raconte mon histoire personnelle, qui est assez complexe; je ne m'y attarderai pas. Cela explique comment les médicaments m'ont permis de mener la vie que je mène maintenant. Il y a environ 15 ans, je devais utiliser une marchette et j'étais alitée. Certaines personnes m'ont dit que les sociétés pharmaceutiques nous exploitaient. Ce n'est pas l'impression que j'ai, car si je ne fais pas l'effort de promouvoir la recherche et le développement, rien ne se produira. Il faut aussi voir le côté positif des choses, pas seulement les tragédies ou les gens qui se font enfermer en prison. Il y a beaucoup de bonnes choses qui ont lieu aussi. Je ne suis pas de cet avis, mais je comprends la vulnérabilité des gens atteints de maladies rares et le fait qu'ils ont droit à des renseignements afin d'être en mesure de faire des jugements éclairés fondés sur des données fiables. C'est quelque chose que nous devons leur fournir, car c'est très important.

La sénatrice Cordy : La plupart des gens pensent, comme moi, que lorsque l'on se fait prescrire un médicament, celui-ci est prescrit exactement pour ce que vous avez. Heureusement pour moi, je ne me suis jamais fait prescrire beaucoup de médicaments, mais je n'ai jamais demandé à un médecin si ceux qui m'étaient prescrits étaient utilisés à des fins non indiquées. Je n'ai jamais posé non plus cette question à un pharmacien. Je ne suis pas certaine si c'est quelque chose que le pharmacien pourrait savoir sauf si je lui expliquais mon problème.

Je pense que vos réponses décrivent très bien le problème épineux auquel se heurte le comité. Ma question est la suivante : que devrait être le rôle de Santé Canada? Que pourrait-on faire? On parle de consentement éclairé du patient et on s'aperçoit ensuite que les médecins ne sont pas toujours au courant. Vous avez fait référence au cas de Terence Young. C'est un livre tout à fait déchirant. Cependant, il est aussi incroyable que ce type de situation puisse se produire ici au Canada et que ni le patient ni son médecin ne soient au courant du fait que ces renseignements étaient disponibles aux États-Unis et qu'ils n'étaient pas disponibles à la famille dans ce cas.

Où commencer? Quelle ligne d'action le comité devrait-il recommander à Santé Canada? Quel devrait être son rôle? Vous avez toutes deux évoqué la collecte de données et l'importance d'un consentement éclairé, qui nécessiterait des données et de l'information dont nous ne disposons pas. Nous ne savons même pas combien de médicaments sont prescrits pour un emploi non indiqué à l'étiquette. Nous ne savons pas quels sont les risques ni les avantages. Pour les médicaments psychiatriques, on se fait dire que, dans 90 p. 100 des cas il n'y a pas davantage, mais nous savons qu'il y aurait des risques. Faut-il des essais cliniques pour ces emplois non indiqués à l'étiquette? Où commencer? Que devrions-nous recommander en tant que comité?

Mme Currie : J'ai fait une série de recommandations.

La sénatrice Cordy : Oui, effectivement. Elles étaient excellentes.

Mme Currie : Je pense que Santé Canada doit jouer un rôle plus marqué dans ces domaines.

Nos organismes de financement, comme les IRSC et nos organismes sur l'innocuité des médicaments, comme le RIEM et Santé Canada, doivent jouer un plus grand rôle dans le suivi de l'emploi de recherches appuyant les emplois non conformes à l'étiquette. Sans vouloir entreprendre un examen massif, on pourrait répéter de petites études comme celles effectuées au Québec, en y incluant des enfants, ce qui n'avait pas été le cas. Cela permettrait de mieux comprendre la fréquence d'emploi non conforme de médicaments.

La recherche montre que les médecins ne savent pas toujours ce qu'est un emploi non conforme à l'étiquette ni si leurs ordonnances relèvent de ce type d'emploi. Je commencerais sans doute par travailler avec les groupes de médecins afin de les sensibiliser à la fréquence et aux risques de l'emploi non conforme à l'étiquette. Il faudrait leur fournir un accès facile à l'information dans la monographie du produit, afin qu'ils puissent identifier l'emploi non conforme à l'étiquette et faciliter un processus pour l'établissement d'ordonnances pour emploi non conforme à l'étiquette.

Comment mieux informer la population? C'est aussi une question de littératie en ce qui concerne les médicaments sur ordonnance. Il s'agit en fait d'établir une culture de l'innocuité et de la comprendre. Nous l'avons fait pour l'industrie nucléaire et l'aviation; cela reste à accomplir pour les médicaments sur ordonnance, mais nous tâchons de créer cette culture. Je pense que Santé Canada dans sa fonction de modernisation de la réglementation, doit élaborer des normes plus contraignantes pour les sociétés souhaitant ajouter des indications à l'étiquette d'un produit, par le biais de tests, de nouveaux tests et d'autorisations. Le squelette de la structure existe, mais il faut contraindre plus systématiquement les sociétés pharmaceutiques effectuant les études sur l'innocuité à respecter les règles. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Si j'avais une seule recommandation, ce serait que Santé Canada joue un rôle plus proactif dans le suivi, la surveillance, la compréhension, la dissémination et l'application des règles quant aux emplois non conformes à l'étiquette. J'aimerais voir de temps à autre le Canada demander des comptes aux médecins et aux sociétés pharmaceutiques pour les ordonnances d'emploi non conformes à l'étiquette, quand existent des risques.

Je pense que l'une des choses que fait le comité est de braquer les feux des projecteurs sur l'ordonnance pour emploi non conforme à l'étiquette. Selon moi, cela va avoir des répercussions considérables, vu combien la pratique est mal connue. En soi, j'estime que c'est une contribution importante.

Mme Smith : Je suis d'accord avec presque tout ce que Mme Currie a dit sur Santé Canada et son rôle à jouer. Pour l'OCMR, il serait important qu'il existe une compréhension des besoins spéciaux des personnes ayant des maladies rares en matière d'emploi non conforme à l'étiquette. En effet, ce n'est pas l'exception, c'est souvent la règle — le dernier traitement possible. Il n'y a rien de cet ordre; il n'y a pas de médicament pour la sclérodermie; tout est non conforme à l'étiquette. Faute d'emploi non conforme à l'étiquette, on n'aurait rien. Nous aimerions que cette réalité soit intégrée au cadre réglementaire sur les médicaments orphelins. Nous sommes en train de démontrer que les essais cliniques devraient être envisagés sous un autre angle en ce qui concerne les médicaments destinés aux maladies rares. Nous aimerions qu'il en aille de même pour l'emploi non conforme à l'étiquette, vu qu'il s'agit d'une population spéciale. Étant donné les statistiques que nous avons sur la fréquence de l'emploi non conforme à l'étiquette, pour qu'il y ait un suivi, je suis entièrement d'accord, les patients doivent savoir que l'emploi est non conforme à l'étiquette. Il faut que les données soient réunies et il faut un suivi. C'est la voie sur laquelle s'engagent d'autres pays sur la scène internationale et nous devrions leur emboîter le pas.

Le sénateur Enverga : Merci de vos exposés. J'ai une question qui s'enchaîne à celles des sénatrices Cordy et Seth. Elle porte sur les médicaments psychiatriques, les stimulants, les antipsychotiques et les antidouleurs.

Quel est le lien entre ces médicaments et l'abus de médicaments? Environ 81 p. 100 des médicaments prescrits sur ordonnance pour emploi non conforme à l'étiquette sont des emplois ou des doses non approuvés. Quel est le lien entre cela et l'abus de médicaments? Ne pensez-vous pas que la consommation grandissante de ce type de médicaments est un abus de médicaments?

Mme Currie : Dès qu'il y a prescription abusive de médicaments créant par leur nature une accoutumance — soit tous les médicaments psychiatriques et les antidouleurs —, il y a une montée de l'emploi illégal de médicaments. J'ai tendance à penser que les deux phénomènes sont entièrement distincts. Il s'agit de personnes obtenant des médicaments prescrits par un docteur, pas d'utilisateurs de drogues illicites. Toutefois, chaque fois qu'un énorme montant de médicaments sur ordonnance entre sur le marché — et cela se chiffre en millions —, on utilise plus des drogues illicites.

On se préoccupe, par exemple du fait que les enfants qui prennent des médicaments contre le THADA risquent de s'habituer à l'effet de stimulation et, en vieillissant, pourraient passer à l'emploi de drogues comme le cannabis. Je l'ai vu pour ma part, mais je pense que les demandes sont vraiment distinctes, même si elles ont des liens.

Ai-je répondu à votre question? Je ne suis pas sûre de l'avoir fait.

Le sénateur Enverga : Si. Ma préoccupation est la suivante : avec ces médicaments pour emploi non conforme à l'étiquette, on légalise en quelque sorte l'abus de médicaments.

Mme Currie : Je ne pense pas que les gens qui utilisent le médicament y verraient un abus de médicaments. Ce sont des médicaments prescrits sur ordonnance en bonne et due forme. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'abus de médicaments, même si le système est abusif, faute d'être suivi, contrôlé et réglementé.

J'ai un autre sujet de préoccupation : c'est que prescrire un médicament pour un emploi non conforme à l'étiquette revient essentiellement à dire aux sociétés pharmaceutiques qu'elles peuvent contourner la réglementation. Selon moi, c'est un précédent très dangereux que d'encourager une énorme institution à faire fi de la réglementation, puisqu'elle peut la contourner et en récolter les fruits. J'estime qu'appuyer ce genre de précédents est vraiment dangereux pour un gouvernement et une société.

Le sénateur Enverga : Y a-t-il une façon d'empêcher ou au moins de minimiser ce type de toxicomanie?

Mme Currie : Là encore, la solution est en partie le consentement. Cela revient à sensibiliser le médecin et le patient. La plupart des patients ne sont pas conscients du fait que les médicaments psychiatriques entraînent une tolérance et une accoutumance, nécessitant ensuite un sevrage. La question est vraiment compliquée. La plupart des patients ne sont pas informés de ce point et de nombreux docteurs ne le comprennent pas.

Je reviens à la question de littéracie en matière de médicaments. Les médicaments nous restent largement inconnus. J'ai une amie pharmacienne dans un hôpital. Son grand-père était pharmacien, son père aussi. Son grand-père disait : « C'était écrit en latin. Aucun consommateur ne s'avisait de poser des questions. C'était comme une langue étrangère. » Quant à son père, il ne comprenait pas que des consommateurs puissent se présenter et poser des questions sur des médicaments d'ordonnance. Mais la société se sensibilise graduellement à ces questions. Même les effets indésirables des médicaments restent un concept obscur; les gens me demandent régulièrement ce que cela veut dire. Il n'y a rien donc d'étonnant à ce que les gens ne comprennent pas la notion d'emploi non conforme à l'étiquette. C'est une question d'information de base.

Le sénateur Enverga : S'il y a des médicaments susceptibles d'entraîner une accoutumance, est-ce que cela ne devrait pas être indiqué sur l'étiquette?

Mme Currie : Oui. Cela soulève d'ailleurs la question de savoir combien d'information il convient de donner à un patient quand il se procure un médicament sur ordonnance. Comme vous le savez, Santé Canada n'a jamais fait adopter de loi exigeant que certains renseignements soient fournis aux consommateurs. C'est indubitablement quelque chose que devrait faire Santé Canada. Si vous avez un petit encart dans votre boîte à pilules, c'est parce que le pharmacien a décidé de vous fournir ces renseignements, qui comportent uniquement 10 p. 100 des effets indésirables.

À titre d'information, si on vous prescrit un médicament à vous ou à un ami ou à un membre de votre famille, vous pouvez faire une recherche Google de la monographie du médicament. Faites par exemple une recherche avec « monographie de produit » et clonazépam; vous aurez les renseignements fournis par la société sur ce médicament : ce pour quoi il a été approuvé, ce pour quoi il devrait être utilisé, ses effets secondaires, les risques possibles. C'est une assez bonne source d'information. Si on vous a prescrit un médicament pour une migraine et que, en faisant des recherches sur le médicament, vous constatez qu'il est utilisé pour l'eczéma, c'est que vous avez un médicament pour emploi non conforme à l'étiquette. Il est bon alors de se poser la question de savoir s'il existe des preuves que cela fonctionne, parce qu'il est vraiment troublant de voir des médicaments comme le Neurontin être largement prescrits et, dans 98 p. 100 des cas, pour des emplois non conformes à l'étiquette, sans preuve d'efficacité à l'appui, dans 99 p. 100 des cas.

Le sénateur Enverga : Merci.

Le président : Je voudrais revenir sur certains points. On nous a brossé aujourd'hui un portrait plutôt atterrant de l'emploi non conforme à l'étiquette. Comme vous l'avez toutes deux indiqué, il y a beaucoup d'ordonnances de ce type. J'aimerais en prendre deux exemples.

Madame Smith, vous avez parlé de l'hormone de croissance humaine. En fait, il y a d'énormes avantages à l'usage de nombreux médicaments pour des emplois non conformes à l'étiquette. Vous avez indiqué que l'hormone de croissance s'utilise pour le nanisme et les problèmes reliés depuis les années 1960. C'est un médicament qui dans les années 1960 et jusqu'au milieu des années 1980 s'obtenait uniquement par extraction de l'hypophyse de cadavres humains. On l'utilisait pour traiter le grave problème du nanisme. Vous êtes peut-être nombreux à l'ignorer, mais le nanisme entraîne de graves problèmes, dont la malformation des membres et des organes, une espérance de vie réduite à 40 ans environ, et cetera. Et pourtant, un enfant traité avec une hormone de croissance humaine dans les six mois environ suivant sa naissance — tel était du moins le cas à l'époque où je suivais ces questions — peut compter sur une espérance de vie normale. Au milieu des années 1980, nous avons pu amener des bactéries à produire l'hormone de croissance humaine en laboratoire, puis élargir l'expérience pour produire cette hormone sans les contaminants qui résultaient de l'extraction de cadavres humains et la rendre disponible à beaucoup de monde. C'est un exemple des énormes avantages d'un médicament utilisé essentiellement pour des emplois non conformes à l'étiquette. Toutefois, il y a manifestement des endroits, comme l'a souligné Mme Smith, où cette hormone n'est pas disponible. C'est un exemple du type de problème auquel on se heurte dans ce domaine.

Laissez-moi vous donner un autre exemple. Vous avez évoqué le VIH, madame Currie, et certaines des situations regrettables liées à l'emploi de médicaments. Le VIH est apparu à grande échelle au début des années 1980 également. Laissez-moi préciser que le VIH n'a jamais tué personne. Sauf qu'il vous rend vulnérables à des infections opportunistes, à d'autres choses qui vous tuent. Citons parmi ces autres choses le cytomégalovirus, virus très répandu dans la population et dans les hôpitaux. Il fait partie de la famille du virus de l'herpès et, quand le système immunitaire d'un individu est affaibli, fait surface et risque de le tuer. Et si l'individu échappe à la mort, il est victime d'une maladie horrible. Le médicament que j'ai inventé, le ganciclovir, était le seul médicament au monde à pouvoir traiter le cytomégalovirus et, vu le problème émergeant du VIH et des horribles décès chez les patients atteints du VIH dans les années 1980, la FDA a accéléré l'autorisation de mise en vente du médicament.

Cela m'amène, madame Smith, à un autre point que vous avez abordé : l'accès à des médicaments pour des raisons humanitaires. L'approbation accélérée de médicaments est essentiellement une décision délibérée pour des raisons humanitaires, de traiter une maladie très grave ou susceptible d'entraîner la mort avec un médicament n'ayant pas franchi toutes les étapes des essais cliniques. On n'a pas alors, madame Currie, les preuves que vous recherchez. Dans l'exemple que j'évoquais, cela a immédiatement éliminé le cytomégalovirus comme problème pour les patients atteints du VIH. On l'utilise depuis partout dans le monde et le médicament a sans doute sauvé des millions de vies.

D'autre part, dans les années 1980, les patients ayant reçu des greffes ne mourraient plus d'organes incompatibles. Le problème avait été préalablement résolu, mais le cytomégalovirus faisait irruption quand on inhibait le système immunitaire pour effectuer une greffe, ce qui était délibéré, mais rendait le patient vulnérable à des infections opportunistes. L'apparition du cytomégalovirus entraînait parfois la mort du patient. Le médicament est maintenant utilisé comme prophylaxie pour éviter que cela se produise. Si j'ai utilisé ces deux exemples, celui de l'hormone de croissance humaine et celui d'un médicament dont j'ai moi-même l'expérience, c'est pour souligner que la pratique n'est pas totalement négative, même si les problèmes que vous avez signalés — dans le domaine psychotique, notamment, ainsi que dans d'autres domaines — sont graves et si nous devons nous efforcer de trouver des façons de les minimiser. Pour les maladies rares, cette même pratique est essentielle.

La solution en la matière est claire : d'une part, informer les patients de façon adéquate; d'autre part, réunir l'information voulue pour prescrire de façon raisonnable des emplois non conformes à l'étiquette. En fait, quand on effectue un essai clinique, on le fait dans des conditions extrêmement contrôlées. Une fois un médicament approuvé, il peut être prescrit à la population en général, qui comporte des sous-ensembles et des sous-ensembles de sous- ensembles. La prescription d'un médicament légitime dans la vraie vie est donc un énorme essai clinique dont on ne consigne pas les résultats.

Permettez-moi de vous faire quelques suggestions et de solliciter vos réactions. Sauf erreur de ma part, c'est Mme Currie qui a déjà mentionné que les patients pouvaient chercher sur Internet des renseignements sur les médicaments. Nous savons que ces renseignements sont disponibles pour plusieurs raisons, dont l'existence de personnes atteintes de maladies telles que celles évoquées par l'oncologue. Les oncologues ont souvent affaire à des groupes de populations atteints de cancers précis rares ou très peu répandus. Ils ont un formidable réseau de partage de leurs expériences et de la prescription de médicaments pour emploi non conforme à l'étiquette. Comme nous l'avons entendu, le groupe de la maladie de Crohn a, quant à lui, un réseau qui se crée spontanément par le biais des médias sociaux pour tisser des liens. Nous savons donc qu'il est possible de disséminer l'information, dans le monde d'aujourd'hui. Je reconnais que l'évaluation de l'information pose problème, donc croyez bien que j'en mesure les limites ainsi que les préoccupations que peut entraîner l'usage fait de manière fortuite de l'information ainsi recueillie.

Revenons à l'acte de prescrire un médicament. En cette année 2013, il existe des capacités électroniques phénoménales pour l'emploi de l'information. Pourquoi ne serait-il pas possible de constituer une base de données sur un médicament et ce que nous savons de ces emplois non conformes à l'étiquette? Au moment de rédiger l'ordonnance, le médecin prescripteur pourrait avoir accès à des pages qui s'ouvriraient pour qu'il ajoute des renseignements supplémentaires, comme pourquoi et pour quelle catégorie de personnes le médicament est prescrit. Avec ces deux éléments d'information et le nom du médicament, la base de données pourrait signaler un retour instantané à un emploi non conforme à l'étiquette, ainsi que les indications, contre-indications, et cetera. Nous savons que cela pourrait être élargi et qu'une base de données pourrait s'avérer extrêmement utile. Sans nous perdre dans les détails de ce que cela impliquerait, mentionnons simplement que ce serait une possibilité. Si ces renseignements figurent dans l'ordonnance que le médecin envoie sur support électronique aux pharmaciens, le pharmacien en dispose, voit que c'est un emploi non conforme à l'étiquetage, quelle est l'indication, la catégorie de patients, et cetera.

Imaginez maintenant comment ce système s'appliquerait à l'exemple. Je ne cherche pas de cas extrêmes, j'essaie simplement d'obtenir une réaction de votre part à l'égard d'un cadre probable. En l'occurrence, nous aurions la possibilité d'envisager un certain nombre d'éléments parmi ceux que vous avez recensés, notamment le fait de renseigner correctement le patient. On peut même mettre une pièce jointe. Si l'un des éléments portant un astérisque se produit, il faudra le consentement éclairé du patient, et ce, probablement dans le cabinet du médecin. Cela fait partie du spectre des possibilités, qui comprend aussi le fait de demander au patient comment il s'est administré le médicament et quels ont été les résultats.

Enfin, je tiens à vous rappeler que l'une des conséquences négatives ou fortuites rattachées à l'ordonnance de médicaments se constate dans le fait que les dépliants dont Mme Currie parlait peuvent faire peur aux patients. À leur lecture, je comprends que j'aurais peur moi aussi si je n'en savais pas un peu plus que la majorité des gens; j'aurais une peur bleue de consommer certains de ces médicaments, car même les renseignements sur l'aspirine indiquent qu'il y a une possibilité de décès dans certaines circonstances. Nous savons que de nombreux patients ne prennent pas leurs médicaments d'ordonnance parce qu'ils ont peur de ce type d'effet secondaire. Nous constatons que beaucoup de problèmes sont reliés à ce phénomène.

Croyez-vous que les points que je viens de soulever constitueraient une façon d'aller de l'avant pour atteindre certains de vos objectifs clés?

Mme Currie : L'étude au Québec portait justement sur ce type de base de données qui serait alimentée grâce aux diagnostics et aux prescriptions des médecins. On se penchait sur l'aspect de la tenue des dossiers et on a été en mesure de le faire, car il y avait la capacité nécessaire.

Cependant, ce projet ne permettait pas d'inciter une rétroaction immédiate au médecin lorsqu'un médicament est prescrit pour un emploi non conforme, mais j'estime que cela aurait représenté une façon utile d'informer les médecins.

Je suis un peu sceptique au sujet de la capacité à appliquer ce système à large échelle, puisque les dossiers électroniques nous ont donné du fil à retordre depuis des décennies. Ces dossiers soulèvent des préoccupations, car il faudrait une approche holistique. Toutefois, je crois que nous pourrions lancer un projet pilote à l'égard de cette initiative. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'un projet d'envergure pour bien comprendre ce qui se passe sur le terrain, mais il serait utile d'intégrer ces types de méthodologies.

Je suis d'accord avec l'idée de saisir la rétroaction faite au médecin. Ces renseignements seraient certainement pertinents.

Le président : Voire, pour Santé Canada.

Mme Currie : Mais cela ne permet toujours pas de s'attaquer au problème selon lequel beaucoup de médicaments sont prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, et ce, sans des données scientifiques solides, ce qui représente un risque de méfait. Je me préoccupe de la difficulté de s'attaquer à ce problème, car même si un médecin est au courant de l'emploi non conforme, il peut décider quand même d'aller de l'avant. Je souhaiterais presque que les méfaits soient énoncés dessus, par exemple : « Saviez-vous que vous êtes en train de prescrire un médicament qui n'est pas recommandé pour les patients souffrant de démence? » Nous pourrions pousser un peu plus loin ce concept.

J'estime également qu'il y a un autre problème à régler, et c'est la mesure dans laquelle les sociétés pharmaceutiques font effectivement la promotion de l'emploi non conforme. Je crois que cela donne lieu à une façon de faire qui est pleine d'assurance. Je crois qu'on fait activement la promotion de cet emploi, et j'estime que nous devrions « fermer l'eau à la source » également. Nous devons prendre toutes ces mesures.

Je ne veux pas vous donner l'impression qu'à mon avis l'information va permettre de tout régler. Je crois qu'il y a un certain nombre de facteurs autres dont on doit s'occuper également.

Le président : Merci.

Madame Smith?

Mme Smith : Citer l'hormone de croissance humaine comme exemple est très intéressant. Devant vous est assise la première fille au Canada à recevoir l'hormone de croissance humaine pour traiter le nanisme. Comme vous le voyez, je ne suis pas naine. J'ai participé au premier programme pilote à Montréal, pendant les années 1960, et il a connu beaucoup de succès.

Cependant, j'ai traversé une période de 20 ans où mon état de santé a été très mauvais. Je recevais l'hormone de croissance humaine; cela a pris fin lorsque j'avais 18 ans. En raison de la pénurie, aucune recherche n'a été effectuée pour les adultes, donc on nous a tout simplement abandonnés avec tous les autres médicaments que nous prenions. Aucune partie de mon système endocrinien ne fonctionne du tout. J'ai absolument tout remplacé.

Pendant 20 ans, j'ai écrit des lettres et fait des appels pour qu'on organise des essais en clinique, mais personne ne voulait effectuer des essais portant sur l'utilisation par des adultes. Lorsque j'ai enfin compris que je mourrais — que je ne vivrais pas au-delà de la quarantaine — j'ai enfin trouvé un médecin à Toronto. J'ai recommencé à prendre l'hormone de croissance humaine, même si l'Ontario ne la couvre pas. Je suis très chanceuse d'avoir une assurance privée.

Lorsque vous parlez du syndrome Prader-Willi, j'ai beaucoup d'affinités avec ces enfants, parce que je sais que ce traitement est efficace, et nous savons qu'il est efficace. Que se passe-t-il? Certains le reçoivent et d'autres non. Si votre système, celui que vous avez proposé, permettait d'effectuer le suivi des données et de recevoir davantage d'information, s'il fonctionnait correctement, les provinces auraient de la difficulté à refuser un traitement qui ne coûte pas particulièrement cher; ce médicament ne coûte pas des centaines de milliers de dollars. Ainsi, un enfant pourrait passer du dixième percentile de fonctionnement cognitif au quinzième percentile.

Pour l'OCMR, l'importance consiste à communiquer l'information au moyen d'un tiers, comme Santé Canada ou l'ACNTS, pour ensuite passer à la prochaine étape et annoncer : « Voici toute l'information. Ce médicament est efficace. Assurons la distribution à ceux qui en ont besoin », ou « Il ne fonctionne pas; retirons-le de ceux à qui il nuit ». Pour nous, la disponibilité de cette information est très importante, car elle attire le financement. Tout va bien quand on a accès au médicament, mais si on ne peut l'obtenir, c'est difficile. Je ne voudrais pas être à la place de ces parents.

Je ne cesse de craindre que ma société d'assurance refuse de rembourser ce médicament, qui m'a permis de me débarrasser de ma marchette. Présentement, je me prépare à faire une course de 10 kilomètres. Je n'aurais jamais pensé il y a 30 ans de pouvoir être autant en forme dans la cinquantaine. Je l'attribue aux bons médicaments prescrits à la bonne personne, et je lutte toujours pour qu'il soit couvert, mais il s'agit du bon médicament pour la bonne personne. Je ne fais pas d'emploi non conforme. Ce n'est pas exactement ce que j'essaie de vous dire, mais toute personne atteinte du syndrome Prader-Willi en ferait un emploi non conforme. Il n'existe simplement pas assez de données provenant d'études pour le justifier.

Le président : Dans l'intérêt d'une divulgation complète, madame Smith, nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant et je n'étais pas au courant de votre état.

Mme Smith : Vraiment?

Le président : Je n'étais pas au courant de votre situation, mais je connais très bien l'hormone de croissance humaine, le génie génétique qui l'a produite et toutes les répercussions. En citant de tels exemples, ce que je veux dire, c'est qu'une fois que nous aurons trouvé une solution, nous devrons faire preuve de prudence, car nous savons qu'une personne parmi nous a survécu grâce à cet emploi; nous savons que nous devons donc en tenir compte.

Nous devons trouver une nouvelle voie qui garantit une protection adéquate.

Mme Smith : Tout à fait, et j'entends tout ce que dit Mme Currie. À mon avis il est extrêmement important, en tant que Canadienne qui l'écoute. Je parle également au nom de ma communauté, où je sais qu'il s'agit souvent du dernier recours, et nous voulons de l'information sur ce traitement et d'y avoir accès. C'est une question de vie ou de mort pour de nombreux membres de notre communauté.

Le président : Je souhaite revenir à Mme Smith pour parler davantage de la question des maladies rares. Quand on pense aux maladies orphelines ou aux maladies rares, nous sommes nombreux à penser qu'il y en a moins que les maux de tête ou d'autres troubles. Cependant, quand vous avez commencé à souligner, souvent il s'agit peut-être d'un sur 10 millions, et non seulement d'un sur 5 millions. De fait, il existe aujourd'hui des situations au Canada où entre deux et 30 personnes sont atteintes d'une des 12 ou 15 maladies extrêmement rares. Dans ce contexte, le monde entier n'est même pas au courant de l'existence de ces maladies, encore moins les établissements pharmaceutiques, lorsqu'on exige qu'ils les étudient et qu'ils trouvent des médicaments pour les soigner.

Souvent, c'est dans le secteur médical et les hôpitaux de recherche où beaucoup de temps est consacré à essayer de comprendre ce qui ne va pas chez le patient et pourquoi de tels symptômes se manifestent. Effectivement, c'est là où interviennent les IRSC. Quand un médecin, en se basant sur la littérature et les problèmes semblables, a une idée et décide d'essayer un emploi tout à fait non conforme, les retombées peuvent être positives pour les personnes touchées, ce qui n'est parfois qu'une ou deux personnes dans un pays comme le Canada. L'ensemble de la question sur laquelle nous nous penchons englobe toute une gamme de problèmes de santé, de personnes et de méthodes. Nous devons nous montrer très prudents lorsque nous faisons des déclarations qui semblent tout englober.

Selon vous, madame Smith, l'appui qu'offrent les IRSC à la recherche médicale inclut-il ce genre d'essai?

Mme Smith : Absolument.

Le président : Si j'ai bien compris, cela fait partie de votre argument en faveur de la recherche portant sur de telles questions.

Mme Smith : Deux millions huit cent mille Canadiens et Canadiennes sont atteints de plus de 7 000 maladies rares, ce qui représente un sur 12. Comme on le dit toujours dans le cas des maladies rares, nous sommes seuls, mais ensemble nous formons un grand groupe. Il y en a plus de 7 000. Les IRSC procèdent à toutes sortes de recherches dans le domaine des maladies rares. De plus, Génome Canada travaille de concert avec l'Université Dalhousie. De nombreuses études existent. Le domaine connaît beaucoup de croissance, et l'emploi non conforme croît au même rythme. Nous avons besoin de fournitures pour nous aider à continuer à réutiliser d'anciens médicaments pour traiter des personnes atteintes de maladies rares. Voilà pourquoi le cadre réglementaire est si important. Si on le fait bien dès le début, et que ce cadre en tient compte, nous apporterons une aide véritable à de nombreux Canadiens et à de nombreuses Canadiennes.

Le président : Madame Currie, je vous ai interrompue.

Mme Currie : Vous avez avancé de très bons arguments, mais je veux insister sur le fait qu'il ne s'agit pas de la norme en matière d'emploi non conforme. Je suis d'accord qu'il faut trouver un moyen d'y voir clair.

Je veux dire aussi que je suis fort étonnée de constater que la fabrication et l'essai de médicaments sont des activités économiques. Les maladies rares et les maladies qui ne génèrent pas beaucoup de profits ne se verront pas accorder beaucoup de ressources dans le cadre de la recherche. C'est une tragédie lorsque les personnes atteintes de maladies rares se trouvent dans une situation où la recherche n'est pas effectuée, la surveillance d'effets secondaires indésirables n'est pas effectuée rigoureusement et les médicaments n'ont pas fait l'objet d'essais cliniques parce que c'était trop dispendieux et que les établissements pharmaceutiques ne voulaient pas le faire. C'est une observation tragique de notre société, mais je ne sais pas si nous pouvons faire grand-chose. S'il existe ou non un rôle pour un organisme de réglementation ou les établissements universitaires, il semble que c'est un rôle que vous avez en quelque sorte joué pour déterminer si les maladies peuvent être prises en compte lorsqu'il n'est pas rentable pour les établissements pharmaceutiques de mener des essais cliniques.

J'ai un ami qui a récemment reçu un diagnostic de SLA. Si peu de personnes sont atteintes de cette maladie. Le cycle de vie de cette maladie est si court que les établissements pharmaceutiques ont montré peu d'intérêt à effectuer des recherches pour y trouver un remède. Une grande partie de la responsabilité de déterminer si un médicament est sécuritaire ou non tombe sur les épaules des personnes atteintes. Quelle est l'information? Devraient-elles le prendre? Les personnes atteintes d'une maladie rare sont donc dans une très mauvaise situation, et j'aimerais qu'il y ait une solution.

Le président : Je devrais préciser que le cytomégalovirus n'est qu'un des problèmes auxquels les patients atteints de VIH font face. Je parlais de ce cas-là. Vos commentaires sur l'autre gamme de problèmes sont justes.

Aujourd'hui, vous avez attiré l'attention sur de très importantes questions. Vous nous avez fourni des recommandations. Notre discussion a été approfondie, et des idées ont été générées. Alors que vous partez, si des exemples vous viennent à l'esprit, par exemple le concept de la base de données de la clinique Mayo, ou si d'autres idées vous viennent à l'esprit, veuillez effectuer un suivi avec la greffière du comité, afin que nous puissions en tirer profit. Il arrive qu'une fois la séance terminée un témoin se dise : « J'aurais souhaité me rappeler de cet exemple. »

Mme Currie : Oui.

Le président : Au nom du comité, merci beaucoup pour votre présence ici aujourd'hui.

(La séance est levée.)


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