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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 22 - Témoignages du 16 mai 2017 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 16 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui à 9 h 3, pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour.

Bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

Nous allons d'abord faire les présentations. Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et j'ai l'honneur et le privilège de présider ce comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter, en commençant à ma droite.

Le sénateur Doyle : Norman E. Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, du Manitoba.

La présidente : Merci, sénateurs. Aujourd'hui, nous accueillons deux groupes de témoins. Notre premier groupe est d'abord composé de Lynn Gehl et de Nikolaus Gehl, qui comparaissent à titre personnel. Nous accueillons également Mary Eberts, coauteure de l'ouvrage intitulé Les biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves. Mme Eberts est également une avocate bien connue. Enfin, nous accueillons Emilie Lahaie, avocate interne aux Services juridiques autochtones de Toronto.

Mesdames et messieurs, vous aurez chacun 10 minutes pour livrer un exposé. Nous entendrons d'abord Lynn Gehl, qui sera suivie d'Emilie Lahaie et de Mary Eberts.

Lynn Gehl, à titre personnel : [Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]

Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui. Je suis heureuse d'être ici, sur le territoire algonquin et anishinabe, mon territoire d'origine.

J'ai suivi, en quelque sorte, un parcours de 32 ans pour me retrouver ici, et la première chose que je devrais expliquer, c'est la question de la paternité inconnue ou non déclarée dans la Loi sur les Indiens. En effet, avant 1985, la Loi sur les Indiens codifiait explicitement une disposition pour protéger les enfants de paternité inconnue ou non déclarée, mais par l'entremise de modifications apportées en 1985, la Loi sur les Indiens est devenue étrangement muette sur la question de la paternité inconnue ou non déclarée.

C'est également à ce moment-là qu'AANC a élaboré sa Politique en matière de preuve de paternité, qui présume qu'une paternité inconnue et non déclarée signifie qu'il s'agit d'un homme non indien. Il s'ensuit que lorsque j'ai fait une demande pour obtenir le statut d'Indienne en 1994, je ne savais pas ce qu'on me répondrait, car je ne connaissais pas mon grand- père paternel. J'ai découvert qu'on avait présumé qu'il était un non-Indien. Par conséquent, on a déterminé que j'étais une Indienne non inscrite.

C'est donc le résumé de la situation. Il se peut que vous deviez l'entendre à quelques reprises pour comprendre, et cela ne pose pas de problème. La première chose dont je veux parler, c'est le recours offert dans la décision Gehl. Je ne suis pas d'accord avec la décision selon laquelle je relève du paragraphe 6(2), car je crois que je devrais relever de l'alinéa 6(1)a). Le groupe de comparaison serait celui des arrière-grands-mères et des grands-mères qui n'ont jamais été émancipées. Elles relèvent, tout comme leurs descendants, de l'alinéa 6(1)a), et je crois que cela devrait être également mon cas, car je suis née avant 1985.

La première chose que je tiens à préciser, c'est que les juges m'ont offert un recours qui crée une nouvelle inégalité fondée sur le sexe.

J'aimerais également parler du fait qu'AANC et le ministère de la Justice ont délaissé une loi pour en faire une politique. Selon moi, il est évident qu'AANC et le ministère de la Justice sont d'avis que dans la plupart des cas, ils s'occuperont seulement de la discrimination fondée sur le sexe qui représente une violation de la Charte selon le tribunal. Cela pourrait signifier que des enjeux tels la paternité inconnue et non déclarée et les descendants matrilinéaires après la date limite de 1951, c'est-à-dire des enjeux qui n'ont pas été reconnus comme étant des violations à la Charte, pourraient ne pas recevoir un traitement approprié dans la loi.

Des intervenants d'AANC font valoir que ces questions devraient être réglées dans le cadre de politiques et cela nous préoccupe, car par l'entremise de Gehl c. Canada (Procureur général), nous avons appris de nombreuses choses sur la façon dont procède AANC dans ses politiques. Par exemple, il a fallu 32 ans à AANC pour élaborer sa Politique en matière de preuve de paternité et pendant ces 32 ans, les intervenants ont levé les bras au ciel en affirmant qu'ils n'étaient pas en mesure de rendre une décision ou un jugement adéquat.

Une autre chose que nous a apprise la décision Gehl, c'est qu'AANC ne divulgue pas au public ses pratiques, ses instructions permanentes d'opérations, ses aides, ses directives et ses politiques, que ce soit à l'oral ou à l'écrit. Et nous avons également appris qu'AANC a élaboré une nouvelle politique découlant de la décision McIvor qui fait savoir aux employés qu'ils ne peuvent plus présumer que la paternité est non indienne, mais le ministère n'a pas divulgué cette politique au public et il a également précisé que les anciens dossiers ne seront pas rouverts dans le cadre de cette politique.

La décision Gehl nous a également appris qu'AANC refuse de divulguer des preuves de politiques qui leur permettraient de faire l'objet d'une évaluation adéquate devant les tribunaux.

En résumé, ce qui me préoccupe, c'est que lorsque les tribunaux ne peuvent pas déterminer qu'il s'agit d'une violation de la Charte et que les cas doivent être traités en vertu d'une politique, cela pourrait permettre à AANC et au ministère de la Justice de faire le transfert et de créer ainsi une plus grande discrimination fondée sur le sexe.

Je pense aussi qu'AANC et le ministère de la Justice ont rendu la loi muette sur la question de la paternité inconnue et non déclarée pour continuer d'utiliser le cadre d'interprétation qui répond à un besoin d'éliminer tous les Indiens à tout prix, plutôt qu'un cadre d'interprétation qui préconise un bon jugement moral, comme le prône la Charte. C'est de cette façon qu'ils continuent d'exercer une discrimination fondée sur le sexe dans le cadre de ces politiques.

Nous ne devons pas permettre à AANC d'élaborer unilatéralement des politiques démunies de paramètres directeurs solides qui serviront à protéger les femmes et les filles autochtones vulnérables de la mauvaise conduite et du biais interprétatif bien connu d'AANC. Nous devons aller au-delà de l'ajout d'articles et de mots soigneusement étudiés dans le projet de loi. Nous ne pouvons pas permettre à AANC de construire les articles nécessaires.

Nous devons encadrer les articles et les mots utilisés de paramètres qui veillent à ce que les femmes et les filles autochtones ne soient pas confrontées à des obstacles déraisonnables. Autrement, AANC et le ministère de la Justice élaboreront des critères de preuve déraisonnables, par exemple l'exigence de présenter des rapports policiers, des trousses de prélèvement en cas de viol, des rapports de travailleurs sociaux et de thérapeutes, et des photographies qui montrent les bleus et les déchirures dans le vagin.

AANC est formé de bureaucrates gouvernementaux qui cherchent à éliminer les Indiens à tout prix. Ils ne veulent pas comprendre que de nombreuses femmes et filles autochtones ne signaleront pas à la police qu'elles ont été victimes de viol. Pour des raisons valables, les femmes et les filles autochtones ne font pas confiance à la police. Un grand nombre d'entre elles ne veulent pas divulguer une situation d'inceste, et un grand nombre d'entre elles n'ont pas accès à des travailleurs sociaux et à des thérapeutes. Les femmes et les filles autochtones ne devraient pas être assujetties aux examens minutieux d'AANC qui aggravent les blessures et les préjudices qu'elles ont subis. Les employés d'AANC ne sont pas des travailleurs sociaux ou des thérapeutes formés et qualifiés pour traiter des situations liées à la violence sexuelle et à des partenaires violents.

Je crois personnellement qu'il faudrait transférer directement le dossier de toute situation de paternité inconnue et non déclarée à un organisme décisionnel indépendant. Dans le cas contraire, AANC, par l'entremise de son cadre interprétatif tendancieux, continuera d'exercer de la discrimination et de causer des préjudices supplémentaires par l'entremise de ses politiques.

Sénateurs, je vous demande de réfléchir collectivement et attentivement à la façon dont nous pouvons mieux protéger les femmes et les filles autochtones des bureaucrates motivés par des critères économiques et non qualifiés d'AANC qui ont prouvé qu'ils n'exercent pas un bon jugement moral. Il faut trouver une solution qui aide les personnes les plus vulnérables dans notre société et qui empêche AANC d'humilier davantage les femmes et les filles qui sont victimes de violence sexuelle.

Nous devrions tenir compte de certaines statistiques troublantes. Lorsqu'on réfléchit, on se rend compte qu'il est évident que les femmes et les filles autochtones, qu'elles soient handicapées ou non, sont plus fréquemment victimes de violence sexuelle. En effet, elles sont plus vulnérables et plus susceptibles d'avoir un enfant de paternité inconnue ou non déclarée. Par exemple, 83 p. 100 des femmes qui souffrent d'un handicap ou d'un trouble du développement ont été victimes d'agression sexuelle, et 84 p. 100 des filles autochtones sans abri ont été agressées sexuellement. Nous devons examiner attentivement ces statistiques. Toutes nos lois, nos politiques et nos pratiques doivent prendre soin de ces femmes, car les bonnes structures de gouvernance prennent soin des personnes les plus vulnérables plutôt que de les forcer à lutter constamment contre l'exclusion et les préjudices.

En terminant, je demande un recours fondé sur l'alinéa 6(1)a). Je demande aux sénateurs d'envisager sérieusement de mettre en œuvre des paramètres directeurs liés au processus d'élaboration des politiques d'AANC, afin de protéger les femmes et les filles autochtones. De plus, dans l'ensemble, je crois que la version actuelle du projet de loi S-3 ne règle pas tous les cas de discrimination fondée sur le sexe contenus dans la Loi sur les Indiens, et que le projet de loi ne devrait donc pas être adopté dans sa forme actuelle. Les sénateurs doivent contribuer à l'élimination de toutes les occurrences de discrimination fondée sur le sexe. AANC doit aller plus loin que les occurrences reconnues comme étant des violations de la Charte. L'opinion selon laquelle l'article 1 de la Charte doit être évalué ne doit pas représenter un obstacle dans ce cas-ci.

On a mal agi lorsqu'on a choisi de ne pas s'attaquer à la date limite de 1951 parce que le tribunal avait affirmé qu'il s'agit d'une question de descendants matrilinéaires plutôt qu'une question de discrimination fondée sur le sexe. Nous savons que les juges sont seulement des êtres humains qui peuvent commettre des erreurs. Nous savons que les juges doivent recevoir davantage de formation pour comprendre les enjeux liés aux femmes autochtones. Autrement dit, je suis d'avis que la hiérarchie créée en 1985 entre les hommes indiens et leurs descendants inscrits en vertu de l'alinéa 6(1)a) et les femmes indiennes qui sont seulement inscrites en vertu de l'alinéa 6(1)c) doit être abolie si on souhaite éliminer la discrimination fondée sur le sexe et mettre fin à ce processus de modification de la Loi sur les Indiens.

La présidente : Merci, madame Gehl. Maître Lahaie, vous avez la parole.

Emilie Lahaie, avocate interne, Services juridiques autochtones de Toronto : Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui. Je suis Algonquine, et je suis reconnaissante de vous parler aujourd'hui sur le territoire algonquin, le territoire de mes ancêtres. J'aimerais prendre le temps de reconnaître la terre sur laquelle nous sommes rassemblés.

Services juridiques autochtones est un organisme offrant de multiples services juridiques aux membres de la communauté des Autochtones de l'Ontario depuis plus de 25 ans. SJA travaille avec diligence pour protéger les droits des Canadiens et des Autochtones en se penchant sur les lois, les politiques et les pratiques qui ont des répercussions sur notre communauté.

Depuis les 22 dernières années, SJA représente Mme Lynn Gehl dans le cadre de son recours judiciaire visant à obtenir le statut d'Indienne. Elle a eu gain de cause lorsque la Cour d'appel de l'Ontario lui a accordé son statut en vertu du paragraphe 6(2) dans la décision qu'elle a rendue le 20 avril 2017. Cette affaire a abordé la question de la paternité inconnue et non déclarée dans la Loi sur les Indiens et a reconnu qu'il s'agit d'une forme de discrimination fondée sur le sexe. J'ai des exemplaires de cette décision, si vous souhaitez en recevoir un exemplaire.

Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de deux choses. Tout d'abord, j'aimerais vous parler des préoccupations de Services juridiques autochtones à l'égard de la portée actuelle du projet de loi S-3 et faire valoir que les modifications actuelles ne sont tout simplement pas suffisantes. En effet, le projet de loi est une Loi modifiant la Loi sur les Indiens par l'élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription. Les intervenants de Services juridiques autochtones sont d'avis que dans sa forme actuelle, le projet de loi ne rend pas justice à son titre.

Deuxièmement, j'aimerais parler des modifications actuellement suggérées en ce qui concerne la paternité inconnue et non déclarée qui découlent de la décision Gehl. Comme vous l'ont dit les témoins qui vous ont parlé mercredi dernier, en général, le problème du projet de loi S-3, c'est qu'il perpétue les inégalités fondées sur le sexe contenues dans la Loi sur les Indiens plutôt que les éliminer. En effet, il crée davantage de couches, de catégories et de hiérarchies. Il faudra qu'une nouvelle génération de plaideurs comme Mme Gehl passe des décennies à contester une mesure législative qui pourrait être corrigée par le Sénat dans le cadre de ce processus.

Cette perspective se fonde sur notre expérience. Tout au long de l'affaire de Mme Gehl, les avocats du Canada ont fait valoir que la question de la paternité inconnue ou non déclarée n'était pas spécifiquement une question fondée sur le sexe. Nous avons fait valoir que c'était le cas, et les juges de la Cour d'appel sont d'accord avec nous. En effet, le juge Sharpe a indiqué que la filiation inconnue était presque toujours un problème qui touchait la mère, comme il le souligne au paragraphe 44 de la décision avec les mots suivants :

Il est communément plus difficile pour une mère que pour un père de fournir une preuve de l'identité d'un parent en raison de facteurs biologiques. En effet, la maternité ne soulève pratiquement aucun doute, mais la paternité peut faire l'objet d'un doute considérable.

Avant la publication de ce jugement, AANC jugeait que la question de la paternité inconnue et non déclarée était visée par la phase 2, malgré nos arguments selon lesquels il s'agissait d'une inégalité fondée sur le sexe. C'est seulement après la publication de la décision Gehl qu'on a accepté de discuter de la possibilité d'ajouter un amendement au projet de loi S-3. Si cette décision n'avait pas été publiée par la Cour d'appel le mois dernier, vous seriez en train d'écouter des gens vous dire qu'il ne s'agit pas d'une question de discrimination fondée sur le sexe et qu'on peut seulement la traiter dans la phase 2. Vous devriez donc faire preuve de scepticisme lorsqu'on vous dit que certaines questions ne sont peut- être pas liées aux inégalités entre les sexes et qu'elles sont tellement complexes qu'elles doivent être traitées dans la phase 2.

Une autre question semblable qui est directement liée à celle de la paternité inconnue ou non déclarée, c'est la question du seuil marqué par la deuxième génération. Cela crée un système d'inscription à deux niveaux qui créera toujours des inégalités. Il est ridicule de penser que la discrimination fondée sur le sexe peut être complètement éliminée de la Loi sur les Indiens avant que ce problème soit réglé.

De nombreux groupes et représentants autochtones proposent de créer un recours qui permet d'accorder l'inscription en vertu de l'alinéa 6(1)a) à toutes les personnes qui ont perdu leur statut en raison d'une discrimination fondée sur le sexe. Nous appuyons cette suggestion, et nous vous recommandons vivement d'envisager d'adopter ce recours. Même la loi la plus soigneusement rédigée n'éliminera pas complètement la discrimination fondée sur le sexe découlant de la paternité inconnue ou non déclarée tant et aussi longtemps que le seuil de la deuxième génération sera utilisé.

Tant et aussi longtemps que le registraire des Indiens exigera qu'une femme fournisse des preuves liées à la filiation de son enfant, les femmes seront forcées d'assumer un fardeau supplémentaire qui leur revient exclusivement.

Mme Gehl a approfondi cette question, car dans son cas, la décision rendue est un exemple de la façon dont la solution consistant à lui accorder le statut en vertu du paragraphe 6(2) a créé une nouvelle inégalité. En effet, AANC nous a dit qu'un grand nombre de nos préoccupations qui ne correspondaient pas à la phase 1 seraient traitées dans la phase 2. Nous sommes d'accord avec Me Schulze lorsqu'il exprime des doutes sur les résultats significatifs que produira la phase 2.

Ce n'est pas la première fois qu'un projet de loi de cette nature traite seulement des problèmes précis cernés dans le cadre de décisions rendues par un tribunal et qu'il n'aborde pas d'autres problèmes évidents posés par la Loi sur les Indiens. Trop souvent, on mène des consultations plutôt que de régler un problème.

SJA espère qu'un amendement complet sera apporté au projet de loi S-3 pour résoudre les préoccupations que nous avons soulevées. Toutefois, j'aimerais également vous parler des projets de modifications qui découlent de la décision Gehl, car c'est un domaine dans lequel, nous l'espérons, notre expertise pourra aider les membres du comité.

Tout amendement découlant de la décision Gehl doit régler deux questions. Tout d'abord, les preuves que le registraire examinera dans ces circonstances, et deuxièmement, il faut clarifier qu'il n'y avait aucune perception de paternité d'une façon ou d'une autre. SJA a des préoccupations précises au sujet du libellé de la modification de l'article 5 actuellement proposée dans l'article 1. En particulier, nous sommes préoccupés par les mots « après avoir considéré toute la preuve qu'il estime pertinente » — on fait référence au registraire — « et avoir donné à celle-ci la valeur qu'il estime appropriée ». Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il s'agit d'un critère complètement subjectif. En effet, le registraire décide quelle preuve est pertinente et quelle valeur lui attribuer sans qu'on exige que ce soit fait de façon raisonnable.

Nous proposons plutôt le libellé suivant :

Pour déterminer si une personne dont le seul parent qui figure sur le certificat de naissance a le statut d'Indien au sens de l'article 6 de la Loi sur les Indiens, le registraire accepte toute preuve raisonnable du statut d'Indien du parent qui ne figure pas sur le certificat de naissance.

Avec ce libellé, le registraire doit se montrer raisonnable. Cela permet non seulement de guider le registraire dans son travail, mais aussi d'établir un critère à respecter pour permettre la contestation d'une décision. Sans cela, on risque fort de voir le processus se dérouler dans le plus grand secret sans que les décideurs aient de comptes à rendre.

Nous proposons également l'ajout d'une deuxième disposition. En vertu de la loi, il n'y a pas présomption de paternité non indienne lorsque le père est inconnu. Le libellé proposé répond à la préoccupation exprimée par la cour quant au fardeau de la preuve dont doivent actuellement s'acquitter les personnes qui veulent obtenir le statut d'Indien. Cela permet en outre de contrer la présomption non écrite, mais bien réelle, de paternité non indienne qui caractérise actuellement la politique du ministère en matière de preuve de paternité.

Ce problème est bien mis en lumière par le juge Sharpe au paragraphe 49 de l'arrêt Gehl :

... les modifications de 1985 n'ont pas eu pour effet de substituer à l'ancienne présomption de paternité une présomption de non-paternité. L'alinéa 6(1)f) ne dit rien au sujet du degré de force probante et du fardeau de la preuve...

Je vous exhorte donc à renoncer à ce libellé conformément à notre proposition que vous pouvez trouver également dans la lettre que nous vous avons adressée le 1er mars 2017. Si cela peut vous intéresser, j'ai avec moi des exemplaires supplémentaires de cette lettre.

Nous avons une dernière observation à faire au sujet des amendements proposés. Nous sommes conscients que les dispositions prévues dans les nouveaux articles 8.1 et 8.2 visent à faire en sorte que l'on fasse rapport aux deux Chambres des résultats des consultations. Nous voudrions également que ces rapports soient rendus publics. Nous souhaiterions que les Canadiens puissent y avoir facilement accès, par exemple via les pages web du gouvernement. Ce projet de loi et les changements qui en résulteront revêtent une importance capitale pour notre communauté et nous voulons continuer à avoir notre mot à dire dans le processus.

Merci de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui au nom de mes clients et de ma communauté ainsi qu'en mon nom personnel.

Mary Eberts, coauteure de Les biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je me considère comme une immigrante, car une partie de ma famille est arrivée de France et d'Écosse dès les années 1700 alors que l'autre partie est venue du pays de Galles après la Seconde Guerre mondiale.

Je suis heureuse de me retrouver sur un territoire algonquin non cédé, et je me réjouis du fait que des membres bien- aimés de ma famille puissent vivre sur ce territoire à proximité des chutes de la Chaudière, un endroit très spécial pour nous. Mon exposé va s'articuler autour de trois éléments fondamentaux que je vous invite à garder à l'esprit.

Disons d'abord et avant tout que la Loi sur les Indiens a été le principal outil dont on s'est servi pour assimiler les membres des Premières Nations dans le but de les éliminer. C'est surtout le traitement injuste des femmes en application de cette loi qui a contribué à cette assimilation. Le gouvernement s'est toujours montré très strict quant à l'octroi du statut d'Indien, une position qui transpire encore aujourd'hui des décisions rendues dans les affaires relatives à la Charte. Je demande maintenant au comité et au Sénat de faire preuve d'une plus grande ouverture avec les dispositions visant à réparer les torts causés par l'assimilation. À cet égard, je vous rappelle le libellé de l'article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d'assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

Et au point 2 :

Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :

d) Toute forme d'assimilation ou d'intégration forcée.

Lorsque les libéraux ont proposé des modifications à l'alinéa 6(1)a) dans le cadre du projet de loi C-3 en 2010, ils ont cité cet article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, une disposition qui ne cesse de prendre de l'importance au fil des ans.

Mon deuxième argument majeur m'a été inspiré par le Cercle autochtone du Comité canadien sur la violence faite aux femmes, dont le rapport remonte à bien trop d'années déjà, qui indiquait que la meilleure façon de contrer la violence à l'endroit des femmes autochtones était de les réintégrer au sein de leur communauté. Maryanne Pearce, éminente chercheuse dans ce domaine, a déterminé que les femmes séparées de leur famille étaient celles qui risquaient le plus d'être victimes de violence. La Loi sur les Indiens a grandement contribué à isoler les femmes et leurs enfants de leur famille et de leur territoire traditionnel. Je vous ai distribué un article intitulé Victoria's Secret : How to Make a Population of Prey où j'explique comment la Loi sur les Indiens a déchiré les familles autochtones et rendu les femmes encore plus vulnérables à la violence, un phénomène qui se manifeste encore aujourd'hui.

J'en suis rendu au troisième élément fondamental que je souhaitais vous exposer. Pour avoir moi-même travaillé au libellé de l'article 15 de la Charte, je peux vous dire qu'il était prévu au départ que le Parlement allait adopter ses lois en s'assurant de se conformer à cette Charte. Pour ce faire, il devait agir de façon proactive en ne se contentant pas de légiférer pour apporter des correctifs à la suite d'une décision juridique indiquant que certaines mesures allaient à l'encontre de la Charte.

À cet égard, j'aimerais vous rappeler certaines des conclusions de la juge Masse dans l'arrêt Descheneaux c. Canada (Procureur général) où elle sert la mise en garde suivante après avoir indiqué que son jugement vise à disposer du recours exercé par les demandeurs :

Il n'exempte pas pour autant le législateur de prendre les mesures appropriées afin d'identifier et de régler toutes les autres situations discriminatoires pouvant découler de la problématique identifiée, fondées sur le sexe ou sur d'autres motifs prohibés, et ce, en conformité avec son obligation constitutionnelle de s'assurer que les lois respectent les droits consacrés à la Charte canadienne.

C'était au paragraphe 235 de ses motifs alors qu'elle semble décrire au paragraphe 239 la façon de procéder privilégiée par le gouvernement actuel et celui qui l'a précédé :

... les détenteurs du pouvoir législatif se contenteraient alors d'attendre que les tribunaux se prononcent au cas par cas avant d'agir et que leur décision force progressivement la modification des lois afin que celles-ci soient, finalement, conformes à la Constitution.

Elle ajoute au paragraphe 243 :

Une lecture aussi stricte du présent jugement que celle qui a été faite de la décision de la CACB dans McIvor, n'est pas la voie que devrait emprunter le législateur... Il fera autrement cette fois-ci...

La juge elle-même s'est donc prononcée à la fois sur le cas particulier dont elle avait été saisie et sur la nécessité pressante que les législateurs se servent des pouvoirs qui leur sont conférés pour mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, conformément au titre du projet de loi. Comme bien d'autres, je constate d'ailleurs que celui-ci n'est pas à la hauteur de son titre ambitieux. Je veux également vous citer le juge Groberman, qui a écrit ce qui suit au paragraphe 96 de ses motifs au nom de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique :

Je suis convaincu que la discrimination fondée sur l'ascendance matrilinéaire ou patrilinéaire constitue, d'une certaine manière, une forme de discrimination basée sur le sexe. Si un sexe est avantagé par rapport à l'autre quant à la possibilité de transmettre son statut juridique à la génération suivante, il est évident que l'on contrevient aux droits à l'égalité.

Malheureusement, j'estime toutefois que le juge Groberman a ensuite erré dans son jugement.

Il a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de la Charte, car chaque personne a des ancêtres masculins et féminins. Pour en arriver à une conclusion semblable, il n'a pas tenu compte du fait que les ancêtres de certains sont privilégiés en vertu de la loi alors que c'est tout le contraire pour d'autres. Ses observations du paragraphe 96 montrent toutefois qu'il a bien réfléchi à la question dont la juge Ross avait été saisie et convenu essentiellement qu'il s'agissait bel et bien d'une forme de discrimination fondée sur le sexe.

Comme bien d'autres témoins qui ont comparu devant vous, je suis donc favorable à un amendement qui irait essentiellement dans le sens de celui proposé par les libéraux devant la Chambre des communes en 2010, afin qu'il soit également prévu à l'alinéa 6(1)a) qu'une personne est admissible au statut d'Indien si elle est née avant le 17 avril 1985 et si elle est une descendante directe d'une personne visée à l'alinéa 6(1)a) ou encore d'une personne visée aux alinéas 11(1)a) à f) suivant leur libellé immédiatement avant le 17 avril 1985. Nous estimons que cela permettrait à Mme Gehl d'obtenir son statut d'Indien en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la loi.

À la lumière de mon travail de conseillère juridique dans l'affaire Descheneaux, je crois également que des cas comme celui des enfants Yantha seraient réglés par un amendement semblable, car Susan et Tammy Yantha sont des descendantes directes d'un homme qui avait le statut d'Indien au cours de la période précédant 1985.

Même si un amendement était apporté à l'alinéa 6(1)a) dans le sens de ce que proposaient les libéraux en 2010, il faudrait encore que la loi soit modifiée via certaines des mesures proposées dans le projet de loi S-3, par exemple pour ce qui est de l'émancipation, un sujet dont ne traite pas l'alinéa 6(1)a), et pour les situations où un enfant né hors mariage voit son statut d'Indien être contesté ou refusé par le registraire.

Il faudrait approfondir la question pour s'assurer que l'amendement proposé à l'alinéa 6(1)a) cadre parfaitement avec les autres dispositions du projet de loi S-3, mais je vous soumettrais respectueusement que ce serait une étape tout à fait souhaitable dans nos efforts pour éliminer les iniquités fondées sur le sexe.

Pour ce qui est de la deuxième phase du processus, je crois que le gouvernement aura encore beaucoup à faire, et je vous citerais à cet effet l'arrêt Corbiere dans lequel la Cour suprême du Canada reconnaît le droit des Indiens inscrits vivant hors réserve de participer aux élections tenues dans la réserve. Selon les quatre juges qui ont souscrit à la décision, de nombreux enjeux liés à l'application de la Loi sur les Indiens consistaient à déterminer dans quelle mesure ceux qui vivent à l'extérieur d'une réserve devraient avoir leur mot à dire dans les affaires de la réserve. Les consultations menées dans le cadre de la phase 2 pourraient fort bien servir à éclaircir les choses à ce sujet.

Je dois malheureusement vous dire que la deuxième phase pourrait aussi permettre au gouvernement d'examiner la question du financement actuellement offert aux Premières Nations et aux Indiens inscrits pour déterminer à quel endroit et dans quelle mesure — car c'est souvent dans une très large mesure — ces ressources doivent être bonifiées, non seulement en raison du nouvel apport d'Indiens inscrits à la suite des amendements, mais aussi à cause de la situation déplorable que l'on observe actuellement dans les réserves et au sein des communautés autochtones en milieu urbain.

Après l'adoption du projet de loi C-31, le gouvernement a affecté des fonds pour le logement des femmes qui retournaient vivre dans les réserves avec leurs enfants. Les Premières Nations se sont alors adressées au gouvernement pour faire valoir qu'elles manquaient déjà de logements pour les gens en place. On leur a donc permis d'utiliser à leur guise les fonds prévus pour le logement.

Même si l'on adopte l'amendement proposé à l'alinéa 6(1)a), de nombreuses questions demeureront donc à régler lors de la deuxième phase du processus. Je vous remercie.

La présidente : Nous passons maintenant aux questions des sénateurs en commençant avec notre vice-président, le sénateur Patterson, qui sera suivi de la sénatrice Lankin.

Le sénateur Patterson : Je vous prie d'excuser mon retard, et je tiens à remercier nos témoins.

Ma première question s'adresse à la représentante des Services juridiques autochtones de Toronto. J'ai ici la lettre que vous avez adressée au comité le 8 mai concernant ce projet de loi. Vous y indiquez que le ministère des Affaires autochtones et du Nord a communiqué avec vous pour solliciter votre participation dans le cadre du processus de mobilisation. Vous soulignez à la deuxième page de votre lettre avoir répondu au ministère qu'il convient de s'attaquer de façon globale au problème des iniquités fondées sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, de préférence à une approche fragmentée.

Pouvez-vous nous dire comment ce point de vue a été accueilli par le ministère des Affaires autochtones ou celui de la Justice dans le cadre de ce processus? Que vous ont-ils répondu?

Mme Lahaie : Nos échanges avec le ministère ont été tout à fait cordiaux, et nous avons notamment discuté de cette prise de position. Les gens du ministère nous ont indiqué qu'ils allaient en prendre bonne note, mais nous n'avons pas vraiment reçu de réponse directe à ce sujet. Nous avions l'impression que l'on souhaitait vraiment procéder au cas par cas comme nous avons pu le constater à la lumière du genre de conseils que l'on sollicitait de nous concernant cette loi une fois que la décision Gehl a été rendue publique. Tout au long du processus, nous avons néanmoins cherché à leur faire comprendre que, malgré toute l'importance qu'il fallait accorder à cette récente décision en intégrant notamment à la loi la notion de paternité inconnue et non déclarée, il y avait bien d'autres questions à régler et nous avions tout lieu de nous inquiéter pour l'ensemble du processus.

Je dirais donc que notre proposition a été bien accueillie. Les gens du ministère se sont montrés courtois à notre endroit, mais notre recommandation ne semble avoir produit aucun résultat concret.

Le sénateur Patterson : Merci. Vous avez recommandé certaines améliorations aux dispositions du projet de loi S-3 touchant la paternité non déclarée, mais je me demandais si vous pouviez nous suggérer des solutions pour que ce projet de loi puisse, comme vous le proposez dans votre lettre, être amélioré de façon globale, plutôt que fragmentée.

Mary Eberts vient tout juste de nous parler d'une proposition d'amendement à l'alinéa 6(1)a) qui nous permettrait de réaliser d'importants progrès dans ce sens-là. Avez-vous une idée de la manière dont nous pourrions donner suite à la préoccupation exprimée dans votre lettre?

Mme Lahaie : Nous appuyons totalement le mouvement en faveur de la pleine application de l'alinéa 6(1)a), et nous sommes certes favorables à la proposition de Mary Eberts, une suggestion qui vous a d'ailleurs déjà été faite par de nombreux témoins auparavant.

Cela remédierait à bon nombre des problèmes actuellement observés. On ne réglerait pas tout, mais nous estimons que les progrès seraient nettement plus considérables. La proposition que nous vous soumettons dans notre lettre demeure une solution partielle. Le fardeau de la preuve reposerait toujours sur les épaules de la femme. Elle est certes préférable à l'amendement dont vous êtes actuellement saisis, mais la suggestion de Mme Eberts contribuerait bien davantage à atténuer la problématique dans son ensemble.

Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier Me Eberts pour son exposé réfléchi qui témoigne d'une excellente préparation.

Je me pose une question au sujet d'un amendement présenté par un député du Parti libéral, alors que celui-ci était, si je ne m'abuse, le troisième parti en 2010, concernant ce qui était à l'époque le projet de loi C-3 dont notre comité a débattu à maintes reprises.

Maître Eberts, savez-vous qui était porte-parole pour les affaires autochtones à ce moment-là, ou qui a proposé cet amendement?

Mme Eberts : Je crois que la Dre Bennett était la porte-parole à l'époque, mais je n'en suis pas absolument certaine.

La sénatrice Lankin : Merci pour vos exposés. Je vous prierais moi aussi d'excuser mon retard. J'étais prise dans un embouteillage ce matin. Je me réjouis de votre contribution et je prendrai connaissance de tous vos témoignages. J'ai également eu la chance de lire la déclaration de Mme Gehl.

Maître Eberts, je suis heureuse de vous revoir. Je sais que vous avez pu discuter avec la ministre Bennett de l'approche prônant la pleine application de l'alinéa 6(1)a) ainsi que de l'obligation pour le gouvernement de mobiliser les intervenants et de les consulter concernant les enjeux de portée plus générale. Je dois admettre que je ne suis pas tout à fait à l'aise. Dans une large mesure, les exposés qui nous sont présentés m'interpellent et m'apparaissent tout à fait logiques. Toutefois, et je ne sais pas si c'est dû au peu de temps que j'ai déjà passé autrefois comme ministre, j'ai l'impression que les enjeux sont si complexes dans le cadre des relations intergouvernementales qu'il devient nécessaire de travailler avec les communautés elles-mêmes.

Mon amie, la sénatrice McPhedran, fait partie de ceux qui ont laissé entendre que l'on consulte simplement pour pouvoir continuer la discrimination. Je comprends que certains puissent voir les choses de cette manière. Je ne crois toutefois pas que ce soit l'intention ou le but visé.

J'aimerais toutefois que vous m'aidiez à comprendre quelque chose. Tous les amendements proposés au projet de loi S-3 à la suite des mesures initiales prévues pour donner suite à la décision rendue dans l'affaire Descheneaux et Yantha ont suscité de nouveaux problèmes. Pas plus tard qu'hier, nous nous penchions sur quelques difficultés supplémentaires découlant d'un nouvel amendement de l'Association du Barreau autochtone (ABA).

Un peu comme vous le suggériez vous-même, j'ai l'impression qu'il nous faudrait une approche beaucoup plus large pour traiter de toutes ces questions. J'ai rencontré les représentantes de l'AFAC qui m'ont dit que le temps prévu était insuffisant. La même observation a été faite par d'autres et même par l'ABA dans son dernier rapport.

À moins que nous nous adressions encore au tribunal — et je ne suis pas certaine que nous pourrions obtenir un autre report — je ne sais pas comment nous pourrions avoir assez de temps en dehors du processus proposé pour la deuxième phase. Je suppose que vous pourriez laisser l'arrêt Descheneaux en suspens de telle sorte que le délai prévu par le tribunal québécois arrive à expiration et que cette disposition soit abrogée. J'ai tout de même l'impression qu'il pourrait y avoir entre 25 000 et 35 000 personnes, selon l'initiative de chacun, dont les droits pourraient être désormais reconnus et qui pourraient obtenir par exemple du financement pour leurs études.

Cela ne devrait pas nous empêcher de chercher une solution pour les cas antérieurs à 1951, mais il reste à voir comment s'y prendre exactement. À ce titre, j'estime qu'il est très intéressant d'entendre la ministre Bennett qui, comme nous le savons tous, a ses questions à cœur autant que nous, dire que le gouvernement a l'obligation, dans le contexte de sa stratégie de relations intergouvernementales, de travailler avec les communautés pour trouver des solutions et déterminer la façon dont elles seront mises en œuvre.

Pouvez-vous simplement nous dire ce que vous en pensez? Je connais votre position, mais j'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi j'ai tort de penser qu'il pourrait s'agir d'une autre façon de faire avancer les choses, surtout si nous modifions encore la loi pour obliger le gouvernement à tenir des consultations portant expressément sur les cas antérieurs à 1951.

Mme Eberts : Merci pour cette question très difficile. Je vais essayer d'y répondre de mon mieux.

L'amendement que moi-même et bien d'autres avons proposé concernant l'alinéa 6(1)a) irait en fait de pair avec différentes autres modifications déjà prévues dans le projet de loi S-3, car il ne permettrait pas de tout régler à lui seul. Comme je l'ai indiqué, certaines dispositions du projet de loi S-3 traitent de questions précises qui ne sont pas visées par l'alinéa 6(1)a), et il n'y a aucune raison de les retirer du projet de loi simplement parce que l'on veut aussi modifier cet alinéa.

J'ai pu constater d'expérience que les consultations menées au Canada produisent rarement de bons résultats. Après l'affaire Lavell, le gouvernement a mené des consultations auprès de la Fraternité nationale des Indiens, selon l'appellation officielle de l'époque, relativement aux changements possibles à la Loi sur les Indiens. Aucun changement n'a cependant été apporté à cette loi à l'issue de ces consultations. On s'est plutôt retrouvé avec l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui, pendant près de 30 ans, a mis la Loi sur les Indiens à l'abri des examens relatifs aux droits de la personne.

Le projet de loi C-31 a lui aussi donné lieu à une vague de consultations — davantage informelles et surtout d'ordre politique, sans prendre la forme de consultations à proprement parler. Malheureusement, nous devons maintenant constater que rien n'a été fait à ce moment-là concernant de nombreuses dispositions créant une iniquité entre les sexes qui sont maintenant considérées comme contraires à la Charte. À mes yeux, le cas de la famille Yantha est le plus flagrant en ce sens. Le problème qu'a vécu cette famille — dû au fait qu'un homme pouvait transmettre son statut à son fils, mais pas à sa fille si elle est née hors mariage — était très connu en 1985. Tout le monde savait que c'était problématique, mais la loi n'a pas été modifiée en conséquence.

Les consultations, en soi, peuvent donc aboutir à de mauvais résultats ou peuvent ne pas aboutir à des résultats excellents, très clairs et très simples.

Pendant le processus de mobilisation, j'ai notamment essayé d'expliquer à Mme Joe que, pendant une consultation, il faut une adhésion très enthousiaste à la Charte canadienne des droits et des libertés. Comme l'a affirmé Me Stanton devant votre comité, dans les premiers temps de l'article 15 de la Charte, on aurait pu se satisfaire d'improviser, sans même réfléchir à l'article 1, mais, aujourd'hui, ce n'est plus acceptable.

Malheureusement, les gouvernement actuel et antérieurs ont adopté une position très étroite relativement aux litiges sur la Loi sur les Indiens. Presque tout satisferait aux critères d'un examen effectué sous le prisme de la Charte si nous adoptions la position, pour toutes ces affaires, du ministère de la Justice. D'après moi, cette position vraiment très étroite n'est pas une très bonne façon de soutenir une consultation.

Je préférerais un amendement énonçant plus exhaustivement l'alinéa 6(1)a) et comportant les éléments actuels du projet de loi S-3 épargnés par ce nouvel amendement, puis des consultations dans l'esprit de la Charte, qui comporteraient une discussion très franche avec les personnes consultées sur la nature de l'égalité et sur ce qui justifie une atteinte à l'égalité. On ne peut pas simplement décider de porter atteinte à l'égalité, et refuser toute discussion sous prétexte que c'est une décision stratégique. Cela doit résister à un examen sous l'éclairage de l'article premier de la Charte. La jurisprudence nous enseigne que les questions d'argent ne justifient pas la violation de la Charte.

Je proposerais aussi une consultation d'une durée limitée à 12 ou 14 mois et le financement de la participation à cette consultation. L'un des problèmes éprouvés pendant la mobilisation est que personne n'avait reçu de financement pour faire de la recherche. Tous les participants qui n'étaient pas du côté de l'État ont payé de leur poche. Il nous a fallu trouver le temps de faire gratuitement la recherche dont nous avons apporté les résultats à la table.

De plus, le cadre de cette mobilisation était très étroit. Le seul sujet admis était la démarche morcelée par sujet que la juge Masse détestait. On ne nous a jamais invitées à proposer des sujets plus généraux, promettant toujours que cela se ferait à la deuxième étape. Nous ne sommes jamais arrivées aux sujets qu'on voulait y réserver. C'est l'une des explications des amendements minuscules dont a seulement accouché ce processus de mobilisation, parce qu'on n'en voulait pas d'autres.

Je m'arrête ici. Voyons si j'ai même répondu à moitié à votre question.

La sénatrice Lankin : Je l'apprécie. Merci.

Le sénateur Doyle : Je tiens à poursuivre avec vous, madame Gehl, au sujet de la date limite dont vous avez parlé. Dites-m'en un peu plus. Quelqu'un m'a dit, récemment, que la ministre actuelle de la Justice, Mme Wilson-Raybould, qui a été chef régionale de l'Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, a écrit au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour dire que l'année limite 1951 consacrait effectivement la discrimination sexuelle et qu'il fallait y remédier.

Êtes-vous d'accord avec cette déclaration, et avez-vous rencontré la ministre Wilson-Raybould pour en discuter, envisager des solutions et déterminer si une modification était indiquée?

Mme Gehl : Je suis demanderesse et appelante dans l'affaire Gehl c. Canada, sur la question de la paternité inconnue et non déclarée dans la Loi sur les Indiens. C'est ce qu'on a dit. En ce qui concerne l'année limite 1951, je ne suis pas d'accord avec l'affirmation selon laquelle la filiation matrilinéaire signifie absence de discrimination sexuelle et je ne crois pas que le juge avait raison. Comment cela peut être tout sauf de la discrimination sexuelle?

Je n'en ai pas discuté avec la ministre Wilson-Raybould.

Le sénateur Doyle : Les deux autres témoins ont peut-être aussi une opinion à ce sujet.

Mme Eberts : Ce que je propose ici sur l'ajout à l'alinéa 6(1)a) est directement emprunté à la proposition des libéraux. Cette proposition a été avalisée par consensus, par appui collectif aux amendements au projet de loi C-3, et ce document, le chef régional Jody Wilson-Raybould l'a signé.

Ils semblent avoir changé leur fusil d'épaule depuis 2010, alors qu'ils n'étaient pas au pouvoir.

Le sénateur Doyle : Serait-il utile de la rencontrer à ce sujet?

Mme Eberts : Eh bien, jusqu'à très récemment, Me Lahaie et moi étions avocates dans l'affaire Gehl, et nous ne pouvions pas écrire à la ministre et lui demander une rencontre, en raison de nos intérêts opposés dans une affaire dont les tribunaux étaient saisis. Dès que la décision a été rendue, nous nous sommes engagés dans ce processus.

Plutôt que de rencontrer la ministre de la Justice, nous avons choisi de nous engager dans ce processus et d'avoir des discussions officieuses avec la ministre des Affaires autochtones et du Nord si l'occasion s'en présentait.

Le sénateur Enverga : Merci d'être ici. Madame Gehl, vous avez dit dans l'exposé général de votre position que le projet de loi S-3 ne répond pas actuellement à toutes les questions de discrimination sexuelle posées par la Loi sur les Indiens et qu'on ne devrait pas lui donner suite. C'était dans votre conclusion.

Ce projet de loi est actuellement valable pour une certaine partie de la collectivité. Seriez-vous disposée à, disons, l'accepter, quitte à ce que nous y répondions à la deuxième étape? Qu'en dites-vous?

Mme Gehl : La question de la paternité inconnue et non déclarée m'occupe depuis 32 ans, et je ne devrais pas vraiment m'en soucier, mais c'est la position dans laquelle on m'a placée.

J'y réfléchis beaucoup. Comment me sentirais-je de profiter du projet de loi? Aujourd'hui, je serais portée à refuser, pour résoudre plutôt toutes les questions de discrimination sexuelle. Cela fait 32 ans, et toutes les femmes autochtones et leurs descendants méritent mieux.

Je n'ai absolument pas confiance dans le processus de consultation, et j'ai d'excellentes raisons.

Le sénateur Enverga : Vous avez suggéré beaucoup de questions à vous poser, et l'une d'elles, qui me saisit, concerne la réponse de l'accès à l'information sur les montants gaspillés par les ministères des Affaires et du Nord canadien et de la Justice à défendre leur position dans l'affaire Joliffe c. le procureur général du Canada. Pourriez-vous nous renseigner?

Mme Gehl : Au début, j'avais 23 ans. J'en ai maintenant 55. À l'époque, j'étais désargentée, sans domicile fixe. J'étais vraiment reconnaissante que les Services juridiques autochtones soient disposés à accepter ce dossier même si je n'avais pas d'argent.

La politique sur la preuve de paternité me trouble vraiment, tout comme les trois quarts de millions de dollars dépensés par le Canada à la défendre.

Le sénateur Enverga : Ma dernière question est l'une de celles que vous vouliez que nous vous posions sur l'isolement et la délimitation de la notion de paternité inconnue et de filiation matrilinéaire, par rapport à la discrimination sexuelle, qu'on prétend distinguer conformément à l'article 15 de la Charte. Pouvez-vous en dire plus, s'il vous plaît?

Mme Gehl : J'ai écouté beaucoup de discussions sur la Charte. Je ne suis pas avocate, mais plutôt théoricienne critique inspirée, je dirais, par la théorie autochtone. À la cour supérieure, j'ai été particulièrement frappée par la non- assimilation de la question de paternité inconnue et non déclarée à de la discrimination sexuelle et par l'examen selon un point de vue administratif de la politique sur la preuve de paternité, politique qui nuit plus aux femmes qu'aux hommes. Faisant fi absolument de la notion d'inégalité réelle, que la Charte exige de prendre en considération, la juge a dit que cette politique ne faisait pas de discrimination sexuelle.

Ce à quoi je veux en venir, c'est que si les questions de paternité inconnue et non déclarée ainsi que de filiation matrilinéaire ne peuvent pas être convenablement testées selon les critères de la Charte par des juges bien formés, le Sénat hésite peut-être à en parler dans la loi, et cela me préoccupe vraiment.

Le sénateur Enverga : Est-ce que Me Emilie Lahaie peut répondre à ces questions? Pouvez-vous nous renseigner plus?

Mme Lahaie : Je suis désolée. Pourriez-vous reformuler votre dernière question?

Le sénateur Enverga : Elle a parlé de certaines réponses aux questions qui nous ont été communiquées. Pouvez-vous nous dire si vous avez des observations à ce sujet? Est-ce que cela vous interpelle?

Mme Lahaie : Oui, cela m'interpelle. J'essaie seulement de voir, parce qu'on a posé trois questions à ma collègue Gehl. J'y pense.

L'affaire remonte beaucoup plus loin que mes débuts dans la profession, et les montants d'argent que nous avons reçus et les pressions que nous avons subies au fil des ans ont été tout à fait scandaleux, particulièrement en ce qui concerne la politique sur la preuve de paternité.

Ce n'est que récemment, en 2015, que nous avons reçu la documentation la plus récente du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sur sa politique sur la preuve de paternité, bien qu'il l'ait eue depuis de nombreuses années. L'obtention de ce genre de document à une date si tardive, compte tenu, particulièrement, de son inaccessibilité pour le public — cela touche beaucoup de femmes.

Les politiques ultérieures sont inaccessibles. C'est comme chercher à se renseigner sans disposer d'indices. Nous ne savons pas quelles questions poser. Nous ignorons l'existence de ces politiques. Voilà pourquoi il importe tant d'en parler dans la loi parce que, sinon, beaucoup de ces pratiques sont enveloppées de secret. À moins de savoir quoi demander, nous ignorons comment ces décisions sont prises, à quel moment et d'après quels critères. Ce qui nous ramène à mes propos au début de la journée, quand j'ai parlé de la nécessité d'introduire le caractère raisonnable. Il faut assujettir ces décisions à une sorte d'étalon de mesure, un étalon qui doit être connu de tous. Il faut pouvoir s'expliquer certaines décisions, et cela raconte en partie pourquoi l'affaire a traîné plus de 22 ans. Ces décisions nous restaient en partie inexplicables.

Le sénateur Enverga : Je remets cela au prochain tour.

Le sénateur Sinclair : J'ai été bien attentif. Il me reste une voix à entendre, celle de Nikolaus. Je tiens à lui demander, lui qui écoute très attentivement, s'il peut dire dans quelle mesure cela le touche. Que pensez-vous de tout cela?

Nikolaus Gehl, à titre personnel : Cela fait 25 ans maintenant que je suis l'aide de Lynn. J'ai assisté à toutes les séances des tribunaux. N'étant pas Autochtone, je ne suis pas très fier du traitement qu'on a réservé à ma partenaire et c'est à peu près tout ce que peux dire.

Le sénateur Sinclair : Je voulais questionner Mary Eberts sur sa déclaration antérieure sur le processus visant à informer le public sur les changements que pourrait créer le projet de loi. Préconiseriez-vous un processus officiel d'information du public sur les modifications que ce projet de loi ou que d'autres dispositions pourraient entraîner?

Mme Eberts : Je pense que c'est une proposition du mémoire des Services juridiques autochtones. Je pense effectivement qu'un tel processus devrait exister et qu'il devrait être très accessible.

Les habitants des réserves éloignées, qui n'ont peut-être pas accès aux technologies ni aux médias de communications ni à un avocat, doivent pouvoir comprendre ce qui se passe. C'est particulièrement important dans une situation comme celle- là. Je vais demander à Mme Lahaie si elle a d'autres observations fondées sur l'expérience de ses services juridiques, parce que ces gens sont ses clients.

Mme Lahaie : Je pense que c'est très important, particulièrement pour cette question et toutes celles que soulève le gouvernement, au nom de la transparence sur les modalités de la prise des décisions, leur nature et l'état d'avancement de ces questions particulières. Nous nous en sommes vraiment occupées directement. Aux Services juridiques autochtones de Toronto, nous faisons beaucoup de protestations contre le statut d'Indien, et c'est frustrant, parce que malgré notre longue expérience, les motifs de certaines décisions continuent de nous paraître mystérieux. Il est très difficile de rejoindre les fonctionnaires des Affaires indiennes, de parler à quelqu'un du Bureau du registraire des Indiens. Il faut faire un numéro général, laisser ses coordonnées, et on nous rappelle après 5 à 10 jours ouvrables.

Je me souviens, j'attendais l'appel du registraire et j'étais en vacances à New York. J'ai répondu sur les marches du Met et j'ai dû gribouiller tous les renseignements qu'on me donnait au verso d'une feuille de papier et me rappeler sur-le-champ le dossier de mon client. Si je n'avais pas répondu, j'aurais été obligée de recommencer à zéro tout le processus. Tout baigne dans le secret. C'est aussi incroyablement inaccessible aux Canadiens. Si cela l'a été pour moi, qui ai les ressources d'une avocate exerçant dans le centre-ville de Toronto, j'imagine à peine à quel point ce l'est pour les autres Canadiens. Il faudra régler ce problème, particulièrement à la faveur de ce projet de loi, alors que notre communauté cherche à obtenir et veut obtenir vraiment voix au chapitre et veut s'assurer de bien surveiller ce qui se passe. Il faut que ce soit accessible.

La présidente : Merci beaucoup. C'est ici que se termine la première partie des témoignages de ce matin.

Pour la deuxième, nous accueillons des représentantes de l'Association des femmes autochtones du Canada : sa présidente Mme Francyne Joe; sa directrice exécutive Mme Lynne Groulx; et sa conseillère en politique Mme Kim Wakeford. Nous accueillons aussi Me Drew Lafond, de MacPherson Leslie Tyerman LLP. Lui aussi a comparu devant nous la dernière fois.

Entendons d'abord l'Association des femmes autochtones du Canada. Vous avez la parole, madame Joe.

Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) : Merci. Weytk, bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, distingués témoins et invités. Je suis la présidente par intérim de l'Association des femmes autochtones du Canada. Je suis accompagnée de la directrice exécutive de l'association, Mme Lynne Groulx et de notre conseillère en politique, Mme Kim Wakeford.

Je salue aussi la nation algonquine, sur le territoire traditionnel de laquelle nous nous trouvons. Je remercie aussi le comité de l'occasion qu'il nous accorde de présenter aujourd'hui nos constatations sur la discrimination sexuelle à laquelle donne lieu la Loi sur les Indiens et sur l'incapacité du projet de loi S-3 de s'attaquer entièrement à ce problème.

Dans un esprit de respect, de coopération et de partenariat, Affaires autochtones et du Nord Canada nous avait invitées à produire un document exposant dans leurs grandes lignes les constatations des tables rondes nationales organisées avec les femmes autochtones sur ce sujet et présentant notre point de vue informé sur le projet de loi S-3. Ces tables rondes avaient pour hôtes nos associations membres des provinces et des territoires de tout le Canada. Notre association était chargée de mobiliser ces associations membres et de synthétiser leurs réactions dans un document à communiquer au ministère dans un délai de 30 jours. Précisons que ce n'est pas une « mobilisation significative ».

Dans le retour d'information, nos associations membres ont notamment exprimé des craintes sur l'échéancier limité, ce qui a inspiré notre première recommandation. Les femmes consultées ont aussi fait observer qu'elles devaient obtenir l'accès aux documents et aux ressources didactiques sur la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens. L'accès à des documents en langage clair et le fait de disposer d'amplement de temps pour s'en imprégner étaient censés permettre aux participantes de comprendre les détails du projet de loi S-3 ainsi que la pleine portée des enjeux de la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens.

Ces documents doivent être accessibles et respectueux sur le plan culturel, et tenir compte de la différence entre les hommes et les femmes. Voilà pourquoi nous croyons que les femmes autochtones doivent participer à la création de ces documents.

Malgré la densité et la complexité des renseignements fournis et les contraintes de temps importantes, les AMPT ont pu fournir des renseignements précieux qui vont au-delà de l'étude du projet de loi S-3 et qui doivent orienter la deuxième phase de la réponse du gouvernement au jugement Descheneaux.

Le projet de loi S-3 n'aborde que partiellement la question de la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, et cet élément a été une grande source de division au sein de l'AFAC au sujet de son adoption. Huit des neuf AMPT étaient du même avis que nous : le projet de loi S-3 n'aborde pas de façon adéquate la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens en ce qui a trait aux cousins, aux frères et sœurs ou aux enfants mineurs omis. Les participantes comprennent que ces enjeux sont tous associés au refus d'accorder le statut aux femmes dans certaines situations alors qu'on l'accorde aux hommes dans ces mêmes situations ou à la discrimination des enfants en fonction du statut de leur mère. Nous allons explorer davantage ces enjeux lorsque nous résumerons les conclusions des AMPT.

Lorsque vous étudierez les questions de discrimination en fonction du statut, n'oubliez pas qu'en plus des revendications relatives à l'appartenance à une bande, les participantes ont fait part des avantages immédiats associés au statut d'indien, soit l'amélioration des soins de santé, l'amélioration des possibilités d'emploi et les exemptions fiscales.

Le même nombre d'AMPT — soit huit sur neuf — a convenu qu'il y avait de nombreux autres exemples de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens au-delà de ceux visés par le projet de loi S-3. On a également fait valoir que la Loi sur les Indiens devait être neutre afin de respecter les personnes de tous genres.

On a souvent donné l'exemple des femmes autochtones qui perdaient leur statut, en plus de celui de leurs futurs enfants, lorsqu'elles se mariaient à des non-autochtones. Ces femmes étaient aussi souvent forcées de quitter la réserve et leur communauté. L'impact de cette perte continue de se faire sentir, même si la loi a rétabli le statut de ces femmes. Ces histoires témoignent de la capacité de la Loi sur les Indiens de nuire au bien-être des femmes et de leur famille.

La discrimination émanant de l'omission des enfants mineurs accentue le sentiment des familles de vivre dans deux mondes ou, dans la plupart des cas, d'être exclues des deux mondes. La discrimination avait et a toujours une incidence sur les enfants dans leur collectivité et dans leur propre maison, et entraîne des risques tangibles pour les frères et sœurs.

Pour les participantes, le refus d'accorder le statut reléguait les personnes à une citoyenneté de seconde classe et montrait que les diverses catégories de statut créaient une hiérarchie interne au sein des bandes. La hiérarchie arbitraire donne lieu à des disparités relatives au sentiment d'appartenance à ce qui doit être un patrimoine commun. Cette hiérarchie peut donner lieu à un déséquilibre en matière de pouvoir qui favorise les personnes qui ont un meilleur statut ou un statut supérieur.

Certaines des participantes et leur famille ont été soulagées, après des décennies d'exclusion, lorsqu'on a adopté le projet de loi C-31 en 1985. Toutefois, pour des raisons politiques au sein des bandes, nombre de ces personnes n'appartiennent toujours pas à une bande. L'incidence du statut d'indien sur le traitement réservé aux femmes dans les bandes est un thème récurrent. L'autonomie gouvernementale ne pourra pas être mise en œuvre de façon appropriée tant que les lois extérieures favoriseront une telle discrimination. Les participantes ont également parlé de la nature raciste et coloniale de la Loi sur les Indiens en soi, et ont fait valoir qu'aucune modification ne pourrait changer cette réalité. Le lien de parenté non déclaré demeure une préoccupation. Ces femmes étaient d'avis qu'il fallait éliminer l'obligation pour un père de signer le certificat de naissance d'un enfant pour qu'il puisse obtenir le statut d'indien. Ainsi, on pourrait éviter toute forme de discrimination contre les enfants dont l'ascendance parentale est inconnue. Il peut s'agir d'enfants dont le père refuse de signer le certificat de naissance ou est incapable de le faire.

L'absence de la signature du père ne devrait pas avoir une incidence sur la capacité d'un enfant d'obtenir le statut d'indien. Aucune mère ne devrait être placée dans une situation où elle doit négocier avec le père pour transmettre son statut à son enfant. Les couples homosexuels et les couples ou personnes bispirituels doivent aussi avoir le droit de transmettre leur statut, au même titre que tout autre couple ou personne. Dans les cas où on a recours à un donneur, la signature du certificat de naissance par le père biologique est rarement une option.

La possibilité de se marier par amour sans dérober ses descendants de leur statut d'indien était jugée nécessaire. Nous avons le droit d'aimer qui nous voulons et les femmes autochtones devraient pouvoir transmettre le statut d'indien à leurs descendants, sans égard à la personne qu'elles choisissent d'épouser. Les couples homosexuels et bispirituels et les femmes qui épousent des hommes non autochtones continuent de subir cette discrimination. Les participantes ont aussi remis en question la nécessité d'obtenir la signature de la mère pour demander le statut d'indien, puisque les enfants de femmes disparues ou décédées voient leur demande rejetée par AINC lorsqu'ils tentent de présenter la signature de leur grand-mère.

J'inviterais maintenant Mme Groulx à s'adresser au comité. Elle présentera son exposé dans sa langue maternelle : le français.

[Français]

Lynne Groulx, directrice exécutive, Association des femmes autochtones du Canada : Nous devrions pouvoir revenir aux méthodes que nous avions avant l'imposition des pratiques coloniales pour transmettre nos lignées. Lorsqu'une femme donne naissance à un enfant, il n'est pas question de disputer la lignée de cet enfant, qui est le sien et porte en lui la vie de ses ancêtres. L'autodétermination, telle qu'elle est décrite dans la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones, a été citée par les participantes comme une étape nécessaire pour déterminer les questions de citoyenneté et d'appartenance.

Ce n'est pas au gouvernement canadien ni au ministère des Affaires autochtones de prendre ces décisions. Une participante du Québec a même élargi cette demande d'autonomie pour y inclure une perspective basée sur le genre. Elle a déclaré que des femmes doivent déterminer s'il y a ou non une discrimination fondée sur le sexe à leur égard dans la Loi sur les Indiens. Elle a aussi souligné qu'il était inapproprié que des hommes effectuent cette détermination.

Je tiens à préciser que certaines participantes semblaient découragées par les résultats potentiels des modifications apportées à la Loi sur les Indiens, car elles ont compris qu'aucun dédommagement ne serait accordé pour les iniquités antérieures. L'Association des femmes autochtones du Canada appuie la recommandation des témoins qui ont comparu avant nous, selon laquelle le gouvernement devrait régler cette question en accordant une indemnisation aux personnes qui ont été victimes des effets néfastes causés par le discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Cela équivaudrait à accorder des dommages-intérêts pour la violation de leurs droits en vertu de la Charte.

Comme nous le savons, perdre un statut, ou ne pas pouvoir l'acquérir peut dépouiller une femme et ses enfants de leurs droits et de services essentiels. J'implore ce comité de tenir compte de ces histoires de déchéance et de privation des droits des femmes avant de mettre de l'avant ses recommandations.

J'invite Mme la présidente à présenter ses remarques de clôture.

[Traduction]

Mme Joe : En plus de la recommandation visant à accorder des indemnités, nous avons désigné le besoin de consacrer temps et ressources à une consultation exhaustive avec les femmes autochtones. Je le répète : la phase 1 était associée à d'importantes contraintes de temps et d'argent qui nous ont empêchées de tenir un dialogue approfondi avec nos organisations membres.

Les femmes nous ont parlé des multiples raisons pour lesquelles le projet de loi S-3 ne s'attaquait pas adéquatement à la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, notamment en ce qui a trait aux cousins, aux frères et sœurs, aux enfants mineurs omis, à la nécessité d'obtenir la signature du père sur le certificat de naissance et à la nécessité d'obtenir la signature de la mère dans le cas d'une demande de statut, ce qui entraîne des problèmes pour les femmes qui souhaitent marier un homme qui n'a pas le statut d'indien, pour les couples homosexuels, pour les couples bispirituels et pour les enfants qui ne peuvent trouver leur parent ou obtenir leur signature sur leur certificat de naissance ou leur demande de statut d'indien.

Au cours des dernières semaines, le comité a entendu le témoignage de plusieurs experts, d'organisations de la société civile et d'associations juridiques qui ont clairement démontré l'incapacité du projet de loi S-3 de régler ces problèmes et d'être digne de son nom. Toutefois, puisque, de façon générale, les femmes autochtones du pays étaient d'avis que le projet de loi s'attaquait à une certaine forme de discrimination relative à l'inscription en permettant à certaines femmes de s'inscrire, l'AFAC reconnaît l'importance d'adopter ces modifications. Nous le reconnaissons de bonne foi, dans l'attente que la phase 2 se concentre sur un engagement significatif, ce que la phase 1 n'a pas réussi à faire. Le projet de loi S-3 est une solution temporaire qui ne doit pas être perçue comme étant adéquate en vue de régler le problème de discrimination fondée sur le sexe en matière d'inscription.

La phase 2 doit avoir pour objectif d'éliminer toute forme de hiérarchie relative au statut dans la Loi sur les Indiens. L'AFAC ne voit rien qui puisse justifier une telle discrimination des femmes autochtones et recommande d'éliminer toute forme de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens une fois pour toutes.

Merci, et meegwetch, de prendre le temps de nous écouter.

Drew Lafond, MacPherson Leslie Tyerman, LLP, Association du Barreau autochtone : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m'appelle Drew Lafond et je suis membre du conseil de l'Association du Barreau autochtone du Canada. L'ABA est un organisme à but non lucratif composé d'avocats, de juges, d'universitaires, d'étudiants et de parajuristes autochtones.

Notre organisation vise notamment à faire avancer les lois et traditions autochtones, de même qu'à préserver et à protéger les intérêts des Autochtones du Canada. Je tiens à remercier les peuples algonquins de nous recevoir sur leur territoire aujourd'hui.

Comme nous l'avons fait lors de nos témoignages devant le comité en novembre dernier, dans nos présentations écrites du 24 avril et dans celles qui ont suivi mon témoignage en 2016, j'aimerais faire un préambule avant ma présentation technique devant le comité sénatorial, et vous faire quelques mises en garde importantes.

Tout d'abord, j'aimerais insister sur les objectifs sous-jacents de l'ABA, et je ne voudrais pas qu'on les oublie pendant mon exposé. L'ABA est déterminée à accroître la capacité des nations autochtones à exercer leurs compétences sur leur propre appartenance et à désigner leurs membres. Cet objectif de l'ABA pourra être atteint lorsque les Autochtones auront le droit exclusif de déterminer qui appartient ou n'appartient pas à leurs nations. Comme nous sommes très optimistes, nous espérons aussi qu'on cessera d'utiliser le terme « Indien » pour décrire les personnes de descendance autochtone dans un avenir très rapproché.

Le principal objectif de la Loi sur les Indiens est l'élimination du statut d'indien à titre de groupe identifiable sur le plan social et juridique. Cette objection s'est exprimée par les diverses formules qui ont été présentées au cours du dernier siècle et demi en vue de déterminer l'indianité. Nous utilisons toujours ces formules aujourd'hui. C'est donc dans ce contexte que l'ABA entreprend son analyse technique fondée sur les commentaires de la ministre et des représentants de son ministère voulant que la phase 2 constitue un processus beaucoup plus poussé en vue de trouver des solutions et réparations de fond pour éliminer le recours à la Loi sur les Indiens et permettre aux nations autochtones une autodétermination en matière d'appartenance.

Selon mon expérience des derniers mois, je peux vous dire que les ressources techniques nécessaires pour réaliser une analyse exhaustive du projet de loi S-3 et des cas de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens sont considérables. Depuis notre présentation en novembre, nous avons eu l'occasion de travailler avec des représentants de la justice et des représentants d'Affaires autochtones et du Nord Canada, de même qu'avec Me David Schulze, l'avocat des demandeurs dans l'affaire Descheneaux. Nous avons eu l'occasion de parler à quelques reprises avec Mary Eberts et les représentants de l'Assemblée des Premières Nations par téléphone.

Étant donné les ressources dont nous disposons à titre d'organisation à but non lucratif, nous avons fait tout notre possible pour déterminer l'ampleur du projet de loi S-3 et ses conséquences sur les divers groupes du Canada. Nous avons réalisé une analyse juridique exhaustive de toutes les versions de la Loi sur les Indiens qui nous ont menés jusqu'ici. Nous avons aussi examiné quelques cas de jurisprudence de personnes courageuses qui ont subi de la discrimination à cause de la Loi sur les Indiens.

Aujourd'hui, notre point de vue et les résultats de notre recherche se trouvent dans nos présentations écrites très exhaustives, qui, je crois, ont été transmises aux membres du comité. Elles sont datées du 24 avril 2017. À de nombreux égards, les présentations écrites transmises au comité sont le fruit de la collaboration et des efforts de nos plus brillants talents, notamment Tamara Napoleon, Merle Alexander, Naomi Metallic et Larry Gilbert, l'ancien registraire d'AANC.

En termes simples, nous avons l'impression de pédaler dans le vide. Les progrès réalisés en matière de lutte contre la discrimination sont très discutables.

L'ABA conteste la structure des modifications proposées. En novembre dernier, nous vous avons mis en garde au sujet des failles possibles d'une approche fragmentée. Je ne veux pas m'acharner, puisque de nombreux autres témoins qui ont comparu devant le comité ont dit exactement la même chose, mais je ne peux que confirmer que l'approche adoptée dans le cas présent ne fonctionne tout simplement pas, selon notre expérience et notre recherche.

Cela commence par le titre du projet de loi, qui donne à penser que nous sommes ici aujourd'hui pour discuter de l'élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. D'une part, c'est un titre très ambitieux, mais d'autre part, l'approche utilisée par AANC consiste essentiellement à faire un examen au cas par cas. C'est une approche réactionnaire pour répondre aux cas qui ont été présentés... comme la décision dans l'affaire Gehl, rendue il y a un mois à peine.

On ne nous a pas présenté une approche tournée vers l'avenir en vue de mettre fin à la discrimination dans la Loi sur les Indiens. Je peux vous assurer que toutes les mesures prises sont réactives. De plus, on nous a demandé d'examiner des situations discriminatoires théoriques ou hypothétiques en vertu des nouvelles dispositions du projet de loi S-3. Nous devons donc supposer ou anticiper d'autres cas de discrimination fondée sur le sexe.

Jusqu'à maintenant, nous avons désigné la discrimination fondée sur le sexe selon une analyse axée sur les faits. Les failles relatives à cette approche continuent d'être dévoilées et commencent à paraître dans le texte du projet de loi, à notre avis. Comme l'ont fait valoir Me David Schulze et Me Stanton, il est indéfendable de s'attaquer à la discrimination fondée sur le sexe en faisant tout simplement allusion à de nouveaux exemples de discrimination en vase clos.

La formulation de l'article 6 donne lieu à un certain nombre de matrices factuelles pouvant entraîner la discrimination. Plus le projet de loi utilisera des termes différents, plus on risquera de voir de nouvelles formes de discrimination émerger.

Je ne voulais pas marteler ce point. La métaphore utilisée par Mme Stanton était certainement adéquate dans ce cas. Or, j'ai dû faire une recherche Google pour trouver une image correspondante. J'ai vu cette bête mythologique grecque : un serpent à qui poussent deux têtes lorsqu'on lui en coupe une, et cela représente bien à mon avis l'article 6 de la Loi sur les Indiens. Plus on ajoutera de dispositions et de sous-paragraphes, plus on aura de problèmes, à mon avis. Il faut donc se demander si l'on peut prétendre pouvoir éliminer la discrimination fondée sur le sexe à l'aide de cette approche et de ce cadre.

Tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont dit que c'était impossible, et je n'y fais pas exception.

Que reste-t-il après plusieurs mois de recherche juridique et d'étude du contexte du projet de loi? L'article 6 selon sa formulation actuelle est surabondant; il est illisible pour les gens à qui il s'adresse. Plus nous ajouterons de dispositions au projet de loi, plus il sera illisible pour la population et les gens qu'il est censé aider. C'est un problème de lien en matière de politique publique, mais, de façon plus importante, c'est un problème pour les demandeurs et les personnes visées par cette disposition.

Ensuite, je peux vous dire que dans le cas présent, nous ne sommes pas plus près d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe que nous l'étions lorsque j'ai témoigné devant vous en novembre 2016. Vous en avez deux exemples dans une lettre datée du 9 mai, qu'a fait circuler Me Schulze, je crois. Je ne veux pas aller dans les détails de la discrimination fondée sur le sexe dans ce cas précis, mais je crois que la lettre et la présentation de Mme Schulze étaient très éloquentes à cet égard et ont su illustrer la situation des femmes émancipées parce qu'elles ont épousé un non-Indien.

Tout récemment... nous n'avons pas eu la chance d'en parler en détail, mais le paragraphe c)(ii), qui se voulait une révision proposée au projet de loi S-3 — nous en avons reçu une copie vendredi seulement — souligne un autre exemple de discrimination fondée sur le sexe pour les femmes que la disposition tentait d'aider. On découvre donc que les dispositions sont elles-mêmes discriminatoires.

C'est dans ce contexte que l'Association du Barreau autochtone, ou ABA, propose essentiellement trois recommandations techniques que j'aimerais aujourd'hui soumettre au comité.

La première traite du statut antérieur à 1951, dont les arguments vous ont été présentés avec grand brio par des témoins comme Sharon McIvor. Je doute que nous ayons des éléments fondamentaux à y ajouter.

Quant au statut postérieur à 1951, nous avons des recommandations de libellé faisant suite à des remarques sur les personnes qui devraient avoir droit au statut, aux termes de l'alinéa 6(1)a).

Pour terminer, je m'attends à ce que la prochaine recommandation ne reçoive probablement pas d'attention à ce stade-ci des délibérations. Quoi qu'il en soit, nos membres nous ont sommés de vous soumettre des propositions de modifications que nous aimerions apporter aux articles 10 et 11 de la Loi sur les Indiens, conformément aux modifications à l'article 6 sur le statut d'Indien que nous proposons.

La date limite de 1951 est essentiellement un héritage impardonnable des torts historiques qui ont été causés aux femmes autochtones. Nous sommes d'avis que cette date limite a été fixée arbitrairement, et qu'elle est dictée par des modifications apportées en 1951 à la Loi sur les Indiens, c'est-à-dire un ensemble de modifications qui ont été adoptées sans consulter les peuples autochtones du Canada. Il s'agit donc d'un point de référence arbitraire.

Nous reconnaissons la date limite de 1951, et nous la considérons comme pertinente étant donné que, sur le plan juridique, c'est à ce moment que la possibilité d'obtenir ou de perdre le statut est devenue assujettie à un ensemble de règles tout à fait différentes. Nous reconnaissons donc l'importance de l'année 1951, mais elle semble être très arbitraire sur le plan pratique ou du point de vue des demandeurs.

Le projet de loi S-3 ne comprend actuellement aucune disposition visant à inclure les descendants des femmes qui ont été émancipées avant 1951, et nous nous demandons bien pourquoi cela n'a pas déjà été réglé. Le fait que nous continuions à faire preuve de discrimination envers les femmes témoigne d'un manque de volonté du gouvernement fédéral à éliminer la discrimination fondée sur le sexe au moyen du projet de loi. Inclure les descendants des femmes dont le statut a été rétabli en vertu de l'alinéa 6(1)c) permettrait selon moi de compenser une partie du lourd héritage laissé par les versions antérieures de la Loi sur les Indiens.

C'est déroutant, car ce n'est pas comme si nous refusions le statut des femmes et de leurs enfants avant 1951 dans le cadre de la politique. Au contraire, les femmes qui ont perdu leur statut avant 1951 ont déjà droit au statut conféré par l'alinéa 6(1)c). Leurs enfants, quant à eux, ont droit au statut aux termes du paragraphe 6(2). Il est donc difficile de comprendre pourquoi nous n'avons pas permis à ces femmes de transmettre leur statut à tous leurs descendants. Nous n'avons trouvé aucune raison concrète pour laquelle cette règle demeure en place.

En ce qui concerne le statut postérieur à 1951, l'ABA a indiqué, dans son mémoire écrit du 24 avril, qu'une modification à l'article 6 de la Loi sur les Indiens avait été proposée en 2010 par les libéraux dans le projet de loi C-3 et lors des délibérations du comité. Cette modification proposée a été soumise et reprise par différents témoins qui ont comparu devant le comité. Dans ce cas, nous croyons que les libéraux souhaitaient apaiser les craintes des nombreux témoins qui avaient pris la parole devant le comité et soulevé des inquiétudes relatives au cadre dans lequel le projet de loi C-3 était adopté à toute vitesse à la Chambre.

Nous croyons que le libellé qui avait été proposé par les libéraux est certainement un bon point de départ pour éliminer la discrimination fondée sur le sexe dans le contexte du projet de loi S-3. Nous allons toutefois soumettre au comité un libellé qui, selon nous, pourrait être plus approprié. Nous avons d'ailleurs distribué la proposition à certains de nos membres à l'interne. Il s'agit d'une formulation proposée sous la forme d'une disposition qui a essentiellement pour effet d'accorder le statut conféré par le paragraphe 6(1) à tout descendant direct d'une personne qui détenait un statut d'Indien selon l'article 11 de la Loi sur les Indiens de 1951, et qui a retrouvé son statut aux termes de l'article 6 de la Loi sur les Indiens de 1985.

Le dernier point se rapporte aux articles 10 et 11. En fait, l'ABA demande instamment au comité sénatorial d'apporter des modifications aux paragraphes 11(1), 10(4) et 10(5) de la Loi sur les Indiens pour éviter de retarder davantage la réinscription des femmes autochtones au registre de leur bande respective.

L'objectif est essentiellement de faire en sorte que les dispositions contestées soient modifiées conformément à une partie de la jurisprudence afférente qui, au moins dans le cas de la Cour d'appel de l'Alberta, montre que certaines de ces dispositions peuvent être ambiguës. C'est notamment le cas quand vient le temps de déterminer si le rétablissement du statut des femmes englobe aussi la réinscription des autres femmes, à compter du 7 avril 1985, au registre de la bande à laquelle elles appartiennent.

Nos membres nous ont soumis des exemples assez flagrants, et nous ont demandé de les porter à votre attention aujourd'hui pour que vous sachiez officiellement qu'il s'agit d'une lutte continuelle. Elle se poursuit depuis plus de 30 ans, c'est-à-dire depuis l'adoption des modifications de 1985, dans le projet de loi C-31.

C'est ce qui termine ma présentation d'aujourd'hui, et je serai ravi de répondre aux questions des sénateurs.

Le sénateur Patterson : J'aimerais bien sûr remercier les deux témoins, qui ont travaillé très fort sur la question.

Je vais tout d'abord m'adresser aux représentants de l'Association du Barreau autochtone, ou ABA. Le mémoire que vous avez soumis au comité en décembre dernier arrivait de façon très convaincante à souligner les défauts de la loi. Je suis très impressionné de ce que vous avez réussi à faire, même si vous êtes une organisation sans but lucratif et que vos ressources sont limitées.

Vous avez dit dans votre mémoire que les femmes autochtones qui retrouveront leur statut grâce au projet de loi S-3 ne pourront jamais bénéficier d'un statut conféré par l'alinéa 6(1)a), contrairement à leurs frères qui ont les mêmes parents. Vous avez aussi indiqué clairement que l'élargissement d'autres sous-catégories de statut inférieur à de plus grands groupes de descendants ne contribuera probablement pas à promouvoir l'équité.

Je sais que les modifications proposées nécessiteront encore plus de sous-catégories pour éviter les conséquences involontaires possibles. Votre référence au mythe de l'hydre est tout à fait appropriée : on dirait que les choses deviennent de plus en plus complexes. Nous avons reçu un témoin la semaine passée qui possède trois diplômes, dont au moins deux en droit. Il a dit que la législation était pratiquement incompréhensible, et que Dieu vienne en aide au néophyte qui tentera de s'y retrouver dans ce bourbier.

Vous avez fait référence à l'application de l'alinéa 6(1)a) pour tous, et à la modification introduite par le parti libéral en 2010 dans le projet de loi C-3. Vous êtes d'ailleurs en train de consulter vos membres à propos d'un libellé amélioré de la modification. D'après vous, pourrons-nous examiner votre proposition dans le peu de temps dont nous disposons pour étudier le projet de loi?

M. Lafond : Je n'irais pas jusqu'à parler d'un meilleur libellé, mais il a bel et bien été modifié. Nous avons une formulation que nous pourrons soumettre au comité. Veuillez nous excuser; nous avons travaillé le texte jusqu'aux petites heures du matin et pendant le week-end, et je pense que nous étions enfin quelque peu satisfaits du libellé que nous pouvions présenter au comité lorsque j'ai débarqué de l'avion hier soir.

Le sénateur Patterson : Nous vous serions fort reconnaissants de bien vouloir soumettre votre proposition à notre greffier.

Je m'adresse maintenant aux représentantes de l'Association des femmes autochtones du Canada. J'ai été étonné du temps que vous avez eu pour mobiliser vos membres. Vous avez d'ailleurs parlé des contraintes de temps sévères qui vous ont empêché d'instaurer un dialogue constructif.

Vous avez dit avoir eu du 20 mars au 28 avril pour mobiliser vos membres et soumettre un rapport définitif, n'est-ce pas? Ce qui m'étonne à propos de cette affirmation, c'est que la décision de la juge Masse d'accorder une prolongation a été rendue le 20 janvier 2017, mais que vous n'avez pas pu commencer votre travail avant le 20 mars. J'aimerais que vous commentiez ce délai.

Je vais vous poser la même question que j'ai posée aux représentants de l'ABA. Vous recommandez que toute forme de discrimination fondée sur le sexe soit retirée de la loi. Vous avez évoqué plusieurs thèmes, comme la question des couples de même sexe qui sont incapables de transférer leur statut, de même que celle de la paternité non déclarée, qui devraient être réglés immédiatement. Quoi qu'il en soit, ne convenez-vous pas que ce que certains appellent l'application de l'alinéa 6(1)a) pour tous atteindrait l'objectif que nous devrions cibler pour éliminer toute forme de discrimination fondée sur le sexe?

Mme Groulx : Je vous remercie de votre question. Nous avons reçu un appel téléphonique du ministère au début du mois de mars, soit vers le 6. Il nous avisait essentiellement que des fonds étaient mis à la disposition de notre organisation pour que nous réalisions non pas une séance de consultation, mais plutôt des séances d'information et de mobilisation. Après cette conversation, il nous a fallu deux semaines à deux semaines et demie pour signer un contrat avec le ministère, soit aux alentours du 20 mars. Nous avions alors un peu plus de 30 jours pour compléter l'ensemble du processus.

Des séances d'information ont été organisées à 12 endroits d'un bout à l'autre du pays, où des femmes des collectivités étaient invitées à la table. Notre bureau national devait avoir assez de temps pour préparer tous les documents d'information requis pour ces séances, ce qui était pratiquement impossible.

De notre point de vue, il ne s'agissait certainement pas de consultations. C'était plutôt des séances d'information très générales visant à mobiliser les gens de façon très préliminaire et à recueillir des réponses et des expériences vécues au sein des collectivités. Voilà ce que nous avons essayé de faire afin de répondre à des questions fondamentales. La deuxième phase, si elle se déroule, devra être très différente. Ce devra être un processus de consultation constructif plutôt qu'une séance d'information ou de mobilisation, et qui se déroulera sur une période de temps raisonnable. La procédure risque de durer entre 18 et 24 mois, et nécessitera une consultation complète du milieu en s'adressant à des femmes, des jeunes et des aînés autochtones.

Le sénateur Patterson : Que pensez-vous de l'application de l'alinéa 6(1)a) pour tous?

Mme Joe : Nous croyons que le projet de loi ne devrait être adopté que si nous avons l'assurance de pouvoir réaliser une mobilisation constructive lors de la deuxième phase.

Comme Lynne l'a dit, la première phase n'était pas constructive. Nous avons besoin de plus de temps et de ressources afin de nouer un dialogue avec les femmes du milieu d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Patterson : Je pense que c'était en quelque sorte le message que nous avons reçu en décembre dernier. Dites-vous que nous devrions retenir notre souffle et adopter le projet de loi S-3 dans l'espoir que la prochaine phase, si elle est réalisée correctement, offrira l'approche globale que nous désirons tous?

Mme Groulx : Pour notre part, nous ne pouvons pas affirmer que les collectivités choisiront l'application de l'alinéa 6(1)a) pour tous. Nous ne leur avons pas demandé si elles souhaitent que nous remplissions ce mandat et défendions cette position. Est-ce que les gens nous diront plutôt ne plus vouloir de statut conféré par l'article 6, et que le gouvernement doit laisser tomber l'enregistrement?

Nous devons mener une consultation adéquate. Nous ne sommes pas prêts à nous dire en faveur de l'alinéa 6(1)a). Nous y songeons, mais nous n'y adhérons pas encore totalement.

La sénatrice Lankin : Je remercie les deux organisations de leur exposé. J'ai des questions à l'intention des deux groupes de représentants. Je suis désolée que Mme Joe ait dû quitter la salle, mais je vous invite à lui faire part de mon appréciation du travail de sensibilisation que vous avez réalisé dans cette période. C'était un travail colossal. J'ai vu le matériel que vous avez créé, et j'espère qu'il sera utile à la deuxième phase.

Je m'adresse à la représentante de l'Association des femmes autochtones du Canada. En ce qui concerne la nature et la portée de la deuxième phase, est-ce que la garantie que vous recherchez... Certains d'entre nous envisagent de proposer un amendement au projet de loi qui définit davantage la phase deux sur les plans des délais, des mécanismes de reddition de comptes, mais aussi plus particulièrement des dénominations comme c'était le cas avant 1951. Il faut aussi que ces consultations soient réalisées, comme le sénateur Sinclair l'a dit, dans le respect de la Charte et des droits de la personne. Serait-il judicieux, à ce stade-ci, d'ajouter ces précisions, de sorte que la deuxième phase soit aussi constructive que vous l'espérez?

Mme Groulx : Merci beaucoup. Ce serait bel et bien utile. Il est difficile de faire comprendre nos arguments. Notre bureau provincial le répète sans cesse. Essentiellement, les mêmes thèmes ont été abordés d'un océan à l'autre. Même lors des séances de mobilisation préliminaires, nous avons entendu les mêmes choses d'un bout à l'autre du Canada. Tout ce que vous pourrez faire pour renforcer le libellé et nous permettre de réaliser les consultations dont nous avons besoin sera fort utile.

La sénatrice Lankin : Merci. Nous vous remercions du travail que vous avez consacré à la question.

De façon similaire, monsieur Lafond, l'ABA a consacré énormément d'efforts à ce sujet. Je vous ai écouté attentivement, et j'ai lu le rapport que vous avez déposé, de sorte que je comprends le défi à surmonter et l'équilibre que vous essayez d'atteindre. À certains égards, la tâche de notre comité est similaire.

Chaque amendement qui a été proposé depuis le dépôt du projet de loi S-3 a nécessité l'examen d'un autre amendement. Chacun a créé une nouvelle catégorie de comparaison. Vous avez dit que c'est comme si nous jonglions avec de nouveaux exemples. Je suis toutefois d'avis que nous n'allons vraiment pas dans la bonne direction. Vous avez dit que certains des amendements ont été proposés par les groupes visés. Chaque fois que vous examinez une disposition, vous voyez quelque chose d'autre, et c'est tout à fait légitime, mais c'est aussi une très bonne raison de s'attarder à l'arrêt Descheneaux, de prendre du recul et de procéder d'une manière beaucoup plus systématique.

Dans les documents que vous nous avez soumis, vous parlez de l'obligation procédurale de mener des consultations relatives aux importants droits ancestraux et issus de traités qui visent à contrôler la citoyenneté des Premières Nations. Je comprends le point que vous soulevez au sujet de l'appartenance à la bande. Mais je doute que nous puissions introduire à la dernière minute, dans un projet de loi, une disposition qui aurait une incidence sur l'article 10 ou sur les bandes, qui ont droit à leurs membres. Je pense que ces enjeux doivent être discutés. Vous avez mentionné des exemples très flagrants, qui doivent faire l'objet de discussions. Mais je pense que nous faisons plus de dégâts en adoptant une série d'amendements ponctuels plutôt qu'une approche globale à ce chapitre.

Je comprends les tensions que ces questions doivent susciter au sein de votre organisation. Or, vous dites d'une part que les travaux doivent être beaucoup plus exhaustifs et qu'il faut respecter le droit de mener des consultations, alors que, d'autre part, vous êtes prêts aujourd'hui à nous remettre un amendement que vous avez fini d'écrire en descendant de l'avion. Voilà qui pourrait engendrer d'autres problèmes, que nous devrons aussi régler.

M. Lafond : Je vous remercie de votre question. C'est un sujet qui a été discuté et abordé convenablement lors des audiences auxquelles Me Schulze et Me Stanton ont assisté, où une question a été posée. Je crois que Mme McIvor témoignait ensuite. Dans quelles circonstances factuelles un gouvernement des Premières Nations pourrait-il exercer son pouvoir sur l'appartenance à la bande d'une façon qui soit discriminatoire à l'égard des femmes de la bande? Il est très difficile de répondre à cette question. Je suis d'accord. J'exprime seulement notre frustration à l'égard du processus, c'est-à-dire l'introduction progressive de nouveaux amendements au projet de loi. C'est l'une des choses qui nous pose problème. Dans ce cas-ci, c'est vraiment évident étant donné que le sous-alinéa (c)(ii) a été introduit à la suite de nos mémoires pour régler le problème des descendants de femmes qui ont eu des enfants illégitimes avec une personne non inscrite. Voilà qui introduit un nouveau motif de discrimination contre les femmes au statut d'Indien qui ont eu de tels enfants. Il s'agit bel et bien d'une frustration que nous éprouvons dans le cadre de nos travaux.

Nous voulons revenir à l'objectif initial de la Loi sur les Indiens. Depuis 1876, son but a essentiellement été de priver les Autochtones de leur statut et de réduire progressivement leur nombre.

La formule prévue à la Loi sur les Indiens a toujours été plus exclusive qu'inclusive, et je pense que les femmes autochtones ont fini par en payer le prix ces 150 dernières années.

Le projet d'amendement que nous vous soumettrons ne suit pas la méthode technique ou progressive qui a été respectée à ce jour, qui prône davantage l'exclusion que l'inclusion. Notre proposition est donc plutôt inclusive. Nous voulons être plus inclusifs en essayant d'englober une fois pour toutes l'ensemble des motifs de discrimination sexuelle. Nous pourrions réaliser des gains considérables en éliminant d'autres formes de discrimination telles que la discrimination fondée sur l'âge ou sur l'état matrimonial. Nous pensons que l'amendement sera un cadre utile ou un bon point de départ pour englober toutes les formes de discrimination.

La sénatrice Lankin : Maître Lafond, d'autres témoins nous ont dit, même aujourd'hui, que cette modification ne réglerait pas tout concernant le projet de loi S-3 présenté en réponse à la décision rendue dans l'affaire Descheneaux. Pour ce qui est de ce que vous venez de dire et des autres formes de discrimination, je me demande quelle est votre position sur l'obligation procédurale de consultation; il est difficile...

M. Lafond : Justement. Comment peut-on établir un équilibre? Au bout du compte, quel camp appuierons-nous? Chaque fois que le registraire ajoute un nom à la liste de bande ou au Registre des Indiens sans le consentement d'une bande ou de ses dirigeants, c'est considéré essentiellement comme une ingérence dans le droit à l'autodétermination. On le percevra de cette façon. Des nations autochtones s'opposent activement à ce qu'elles considèrent comme des ajouts unilatéraux à leur liste de bande et elles se battent devant les tribunaux. Il est difficile de déterminer de quel côté on est.

Dans nos observations écrites, nous avons tenté de concilier les choses, c'est-à-dire que s'il y a des bases communes qui permettent de faire avancer les choses — et j'essaie de faire écho aux observations de Mme McIvor à cet égard —, pourquoi tenons-nous des consultations sur la discrimination? Dans quel système judiciaire les femmes doivent-elles s'en remettre à des consultations auprès des gouvernements pour déterminer ce qui résulte de la discrimination flagrante? Le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle stipule que les droits ancestraux ou les droits issus de traités sont garantis également aux personnes des deux sexes. L'article 44 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fait écho à ce sentiment. Donc, du point de vue organisationnel, comment établissons-nous un équilibre? Pour le moment, nous sommes d'avis qu'une approche liée à l'alinéa 6(1)a), qui est plus inclusive qu'exclusive, convient peut-être davantage.

La sénatrice Lankin : Peut-être.

M. Lafond : J'aurais assurément pu répondre à la question si j'avais eu la réponse au début, mais vous avez eu la version longue.

Le sénateur Sinclair : Dans une autre discussion que j'ai eue il y a quelque temps — je pense que c'était au sujet de cette modification —, j'ai souligné le fait que depuis de nombreuses années maintenant, les peuples autochtones dénoncent la mesure dans laquelle le gouvernement contrôle le dossier du statut d'Indien et de l'appartenance. Il y a donc habituellement un processus dans lequel les gens conviennent que nous devons éliminer le contrôle gouvernemental sur le statut d'Indien et l'appartenance. La question qui se pose alors, c'est la suivante : par quoi devons-nous remplacer cela?

Donc, à bien des égards, cette conversation me fait penser à cela, et selon moi, c'est un peu comme si on enfonçait une porte ouverte. Je me demande si nous devrions envisager d'essayer de préparer des dispositions jusqu'à ce que nous remplacions le tout, ce que nous essayons de faire en réalité. Je m'interroge sur ce qui se passera si le projet de loi — ou un projet de loi similaire — n'est pas adopté d'ici le 3 juillet. Nous n'avons rien de prévu dans le cas où, après le 3 juillet, ce projet de loi — ou un autre — n'est pas adopté, même si celui-ci est modifié.

Je me demande si vous pouvez donner votre point de vue. J'ai entendu ce qu'a dit l'AFAC : vous êtes prêtes à avaler la pilule, si je puis dire, et à accepter que ces mesures soient adoptées, simplement pour qu'il y ait des mesures en place. Je ne sais pas si c'est l'opinion de l'ABA, de Me Lafond. Vous avez peut-être une opinion similaire ou différente quant à ce que nous devons faire de sorte que nous ne nagions pas en pleine confusion le 3 juillet.

M. Lafond : Je pense que c'est un point que vous-même et d'autres sénateurs avez soulevé — ou ce n'était peut-être que vous — lors de séances précédentes du comité, et j'ai été pris un peu au dépourvu parce que cela m'a rappelé une question qui avait été posée pendant mes études en droit. Je n'ai pas eu l'occasion de faire la recherche juridique pour déterminer quelles seront les conséquences juridiques si l'on n'arrive pas à adopter un projet de loi et qu'on ne respecte donc pas une décision de la cour.

Je commence toute observation sur le point de vue de l'ABA sur ce plan en disant que je ne sais pas quels sont les effets sur le plan juridique. Nous n'avons pas eu l'occasion d'effectuer des recherches à cet égard. Selon plusieurs témoins, cela peut signifier que jusqu'à 30 000 personnes — des demandeurs du statut d'Indien qui ont fait l'objet de discrimination — n'obtiendront pas le statut ou ne seront pas admissibles et devront continuer d'attendre. À cet égard, je ne crois pas qu'un gouvernement responsable souhaiterait aller de l'avant sans modifier le projet de loi avant le 3 juillet, quelle qu'en soit la forme.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Le sénateur Enverga : J'avais essentiellement la même question à vous poser, mais j'en ai une autre qui peut nécessiter une très brève réponse.

Je sais que nous serons en mesure d'aider au moins 35 000 personnes grâce à ce projet de loi. Savez-vous combien de personnes seront toujours privées de leur droit? Je sais que nous voulons couvrir presque tout le monde, mais nous ne couvrons que 35 000 personnes. Avez-vous un nombre approximatif?

Mme Groulx : Du côté de l'AFAC, nous l'ignorons. Il est possible qu'Affaires autochtones et du Nord Canada ait ces données, mais ce n'est pas notre cas à ce moment-ci.

Le sénateur Enverga : Avez-vous des données approximatives, Me Lafond?

M. Lafond : Non, l'une des failles de la recherche présentée dans notre rapport, c'est que nous n'avons pas eu la possibilité de quantifier les ramifications des modifications proposées.

La présidente : C'est ce qui met fin aux questions. Au nom des sénateurs, j'aimerais remercier les témoins qui ont comparu ce matin et cet après-midi pour les exposés clairs, concis et pertinents qu'ils ont présentés. Cela dit, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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