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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 22 - Témoignages du 16 mai 2017 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mardi 16 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à 15 h 34, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit ici, dans la salle, ou sur Internet. Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel du peuple algonquin.

Je m'appelle Lillian Dyck et je viens de la Saskatchewan. J'ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J'invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l'Ontario.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente : Nous accueillons cet après-midi l'honorable Carolyn Bennett, ministre des Affaires autochtones et du Nord, et ses collaborateurs, qui viennent nous parler du projet de loi S-3, que nous étudions, comme vous le savez, depuis novembre.

Les fonctionnaires d'Affaires autochtones et du Nord Canada qui accompagnent la ministre sont : M. Martin Reiher, sous-ministre adjoint, Résolution et affaires individuelles, la prédécesseure de M. Reiher, Mme Joëlle Montminy, ancienne sous-ministre adjointe, Résolution et affaires individuelles, Mme Candice St-Aubin, directrice exécutive, Résolution et affaires individuelles, et Mme Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et Gestion intégrée des programmes.

Je remercie de nouveau les gens du ministère. Je donne la parole à la ministre, qui fera son exposé. Les honorables sénateurs pourront ensuite poser des questions.

L'honorable Carolyn Bennett, C.P., députée, ministre des Affaires autochtones et du Nord : Je vous remercie d'avoir organisé cette réunion spéciale. Je veux moi aussi reconnaître que nous sommes sur le territoire traditionnel du peuple algonquin. C'est pour moi un honneur d'être ici avec vous aujourd'hui.

Je vous remercie d'avoir présenté mon impressionnante équipe. Je veux juste préciser que Natalie est, à proprement parler, la registraire. C'est son rôle. Nous étudions des amendements et il question du rôle du registraire. Voilà donc nos spécialistes juridiques. Nous vous remercions encore une fois de votre aide dans le cadre du nouvel examen du projet de loi.

[Français]

Comme vous le savez, le projet de loi S-3 est la première étape de la réponse en deux étapes du gouvernement à l'arrêt Descheneaux et d'une réforme plus large de l'inscription des Indiens et de l'effectif des bandes.

[Traduction]

Je remercie les membres du comité pour le travail indispensable qu'ils ont accompli — et cela inclut cette réunion spéciale. Merci au comité d'avoir compris la nécessité de travailler dans les délais serrés imposés par le tribunal. Il était impératif de consulter les personnes touchées et de laisser le processus parlementaire suivre son cours, ce qui a résulté en deux périodes écourtées de trois mois, même compte tenu de la prolongation accordée par le tribunal.

Dans le contexte, j'estime important d'expliquer ce que le gouvernement entend quand il dit vouloir éliminer les « iniquités connues fondées sur le sexe » au moyen du projet de loi S-3.

D'abord, permettez-moi d'être très claire : la conformité à la Charte n'est pas négociable. Le projet de loi S-3 amendé permettra de remédier aux iniquités connues fondées sur le sexe concernant l'inscription au registre des Indiens aux termes de la Loi sur les Indiens, qui n'est pas conforme à la Charte. Cette mesure ne se limite pas aux situations pour lesquelles un tribunal a déjà rendu un jugement, mais elle s'étend également aux situations futures où un tribunal pourrait conclure à l'existence d'une violation des dispositions de la Charte fondée sur le sexe.

C'est pourquoi nous avons inclus dans la version initiale du projet de loi la modification se rapportant aux mineurs omis. Par ailleurs, grâce au travail de l'Association du Barreau autochtone, nous avons établi d'autres modifications ayant trait à des questions fondées sur le sexe en matière d'inscription sur lesquelles les tribunaux ne se sont pas encore prononcés.

Le gouvernement a exclu du projet de loi S-3 les cas où les tribunaux ont jugé que les politiques respectaient la Charte et les cas où la situation est plus complexe qu'une simple inégalité fondée sur le sexe. Ces cas seront examinés lors de l'étape 2, le processus de collaboration en vue d'une réforme plus vaste.

La période supplémentaire accordée par le tribunal nous a fourni l'occasion non seulement d'améliorer notre processus de mobilisation des personnes intéressées, mais aussi de déterminer des façons d'améliorer et de renforcer le projet de loi.

[Français]

Le ministère a déjà présenté les grandes lignes de ces engagements plus étendus, que je ne décrirai pas dans mon allocution, afin de permettre suffisamment de temps pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Je suis heureuse de confirmer que ces discussions, le travail de l'Association des femmes autochtones du Canada et de l'Association du Barreau autochtone, ainsi que l'arrêt Gehl de la Cour d'appel de l'Ontario pendant cette période ont offert au gouvernement l'occasion de proposer un certain nombre d'améliorations importantes au projet de loi.

Comme vous le savez, nous nous occupons de façon proactive d'autres groupes qui, selon l'Association du Barreau autochtone, risquent de faire l'objet de discriminations fondées sur le sexe quand le projet de loi S-3 sera adopté.

Nous proposons également un amendement au projet de loi concernant la paternité non déclarée, qui inscrira dans la loi les garanties procédurales supplémentaires envisagées dans l'arrêt Gehl.

En plus, le gouvernement propose une série d'amendements qui l'obligera à faire rapport au Parlement un certain nombre de fois et de différentes manières afin de vous tenir au courant, vous et tous les Canadiens, des progrès relatifs à la réforme plus large qui est prévue.

Bien que nous soyons d'avis que ces amendements amélioreront considérablement le projet de loi S-3, je souhaite expliquer ouvertement la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de ne pas aborder la question du seuil d'admissibilité de 1951 dans le projet de loi.

De nombreuses personnes ont fait valoir avec éloquence que, malgré le fait que le projet de loi n'a bénéficié que de deux périodes écourtées de trois mois de travaux et d'une étude parlementaire comprimée, le gouvernement devrait prévoir l'élimination du seuil d'admissibilité de 1951 dans le projet de loi S-3. Certains ont été plus loin encore en disant que tous ceux et celles qui ont été touchés par la myriade de politiques problématiques en matière d'inscription et d'appartenance avant 1985 devraient être inscrits en vertu de l'alinéa 6(1)a). Bien que la simplicité de cette approche puisse être attrayante, je vous demande d'y réfléchir très prudemment.

[Français]

Le présent gouvernement a promis, pendant la campagne électorale, d'établir une nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones.

[Traduction]

Il s'est engagé à ce que les décisions ayant une incidence sur les droits et les communautés des peuples autochtones soient prises en partenariat et à la suite de consultations véritables.

La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé, dans l'affaire McIvor, qu'il n'était pas nécessaire pour se conformer à la Charte de revenir avant 1951 en ce qui concerne l'inscription des Indiens. Elle a rejeté l'approche qui, selon la plaignante, devrait être incorporée dans le projet de loi. La Cour suprême du Canada a par la suite refusé l'autorisation d'en appeler.

Cela ne veut pas dire qu'un autre tribunal ne peut pas rendre un jugement différent dans l'avenir ou qu'il ne s'agit pas là d'une situation qui doit être prise en compte. Toutefois, étant donné la loi actuelle, la suppression du seuil de 1951 ne relève pas de la Charte. Il est aussi important de faire remarquer que les questions fondées sur le sexe qui sont liées au seuil de 1951 sont entremêlées avec d'autres types de discrimination alléguée, comme ceux fondés sur la date de naissance et sur l'état civil.

Éliminer le seuil d'admissibilité de 1951 est une décision stratégique que le gouvernement ne peut pas prendre seul.

[Français]

À l'heure actuelle, nous ne disposons même pas de données démographiques fiables pour comprendre les répercussions possibles d'une telle décision.

[Traduction]

Les données démographiques préliminaires qui ont été présentées dans l'affaire Descheneaux et qui ont été communiquées au comité montrent que la mise en œuvre de la proposition de Mme McIvor est susceptible d'étendre l'inscription à des milliers — voire des millions — de nouvelles personnes et d'altérer complètement la composition des communautés.

Ce travail préliminaire, qui est fondé sur le registre d'Affaires autochtones et du Nord Canada et sur les données du recensement, laisse cependant deviner de multiples répercussions possibles et il est trop incomplet pour nous permettre de prendre des décisions. Nous avons besoin de beaucoup plus d'information détaillée et nous avons déjà entrepris le travail nécessaire. Résoudre le problème lié au seuil d'admissibilité de 1951 exige des consultations sérieuses avec les Premières Nations, tant les communautés que les autres personnes concernées. Ces consultations nous permettront de comprendre exactement les effets pratiques et démographiques.

Le gouvernement est d'avis qu'il serait irresponsable de sa part d'ajouter dans le projet de loi une modification dans le but de supprimer le seuil d'admissibilité de 1951, ou toute autre modification analogue, sans procéder à des consultations adéquates et sans connaître au préalable les conséquences pratiques d'un tel changement. Nous ne sommes donc pas en mesure d'accepter pareille modification.

Je comprends également le scepticisme des Premières Nations et des parlementaires, qui se demandent si l'étape 2 aura lieu et si elle débouchera sur une réforme appréciable des mécanismes liés à l'appartenance et l'inscription définis dans la Loi sur les Indiens. Je veux qu'il soit clair pour les membres du comité, et pour les personnes qui ont témoigné devant vous, que je m'engage personnellement à concevoir avec les Premières Nations, y compris les communautés, les personnes touchées, les organisations et les experts, un processus qui engendrera des réformes importantes et, éventuellement, des modifications législatives.

Je tiens également à vous assurer que je me suis attachée durant des dizaines d'années à favoriser des consultations sérieuses et à faire en sorte qu'on tienne aussi compte des opinions autres que celles des intervenants habituels et que les participants aient les ressources nécessaires pour apporter leur pleine contribution. Il s'agira d'un processus qui permettra à l'ensemble des parties prenantes de faire entendre leur voix et qui accordera une importance à la question des droits de la personne.

Pendant l'étape 2, la conformité à la Charte sera le minimum à atteindre, et non le but ultime.

Vous avez tous entendu les critiques constantes à l'égard de l'approche fragmentaire adoptée par les gouvernements qui se sont succédé. Le processus de collaboration que prévoit l'étape 2 mettra fin à cette approche malavisée et traitera de manière exhaustive de la réforme de l'inscription des Indiens et de l'appartenance à des bandes.

Il y aura peut-être des points à reformer au sujet desquels nous n'arriverons pas à dégager un consensus, mais un tel consensus ne constituera pas un préalable pour passer à l'action. Si le gouvernement doit agir en l'absence d'un consensus, il faudra que ses décisions s'appuient sur des consultations véritables et sur des données crédibles relativement aux répercussions possibles.

Je veux souligner les conséquences de ne pas adopter le projet de loi avant le 3 juillet, nouvelle date limite imposée par le tribunal, et vous donner l'assurance que nous ne perdons pas de vue les personnes qui sont directement touchées par le projet de loi.

Près de 90 p. 100 des Indiens inscrits le sont aux termes de l'une des dispositions invalidées par le tribunal dans l'arrêt Descheneaux.

Comme vous le savez, si nous ne faisons pas adopter le projet de loi S-3 d'ici le 3 juillet, ces articles deviendront inopérants au Québec. La conséquence pratique pour la registraire est qu'elle ne sera pas en mesure d'inscrire des personnes en vertu de ces dispositions dans le reste du pays. Je vous exhorte également à ne pas oublier les 35 000 personnes qui font l'objet de discriminations à l'heure actuelle et à ne pas retarder davantage les choses de sorte qu'on puisse rendre justice à ces personnes.

Le chef national, M. Bellegarde, l'Association des femmes autochtones du Canada, l'Association du Barreau autochtone et d'autres l'ont déjà déclaré : il est temps d'adopter le projet de loi et de procéder à une réforme plus vaste dans le cadre de l'étape 2.

Je m'engage fermement à aborder les multiples enjeux qui ont trait à l'inscription et à l'appartenance. Mais je veux aussi veiller à ce que le gouvernement, même s'il est animé des meilleures intentions, ne répète pas les erreurs du passé en agissant sans tenir compte de toutes les parties présentes à la table ou des données nécessaires. Sinon, il risque encore de provoquer des conséquences imprévues ou de créer plus de préjudices.

Merci de votre attention. Chi-miigwech.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre présence, madame la ministre. Vous n'avez pas une tâche facile; j'en suis conscient. J'admire l'énergie qui vous a toujours animée, que ce soit comme ministre ou, auparavant, comme porte-parole. Je ne remets nullement en question votre attachement aux peuples autochtones et l'intérêt que vous portez aux problèmes auxquels ils se heurtent.

Il n'en demeure pas moins que, la dernière fois que nous avons étudié le projet de loi S-3, en novembre et en décembre 2016, les intervenants ont déploré, comme vous le savez, le peu de temps qui avait été accordé pour examiner la mesure de manière approfondie. Nous vous avons priés, vous et vos fonctionnaires, d'envisager de demander une prolongation du délai. Je me réjouis que vous l'ayez fait et que le tribunal, le 20 janvier dernier, ait accédé à cette demande.

Quatre mois se sont écoulés depuis. Or, nous avons appris aujourd'hui que l'Association des femmes autochtones du Canada — à l'instar d'autres grandes organisations — n'a pu commencer son travail que le 20 mars et qu'elle ne disposait que d'un mois environ pour consulter ses membres aux quatre coins du Canada et faire rapport. Il s'agit d'une tâche herculéenne. Les responsables de l'association sont catégoriques : on ne peut pas parler ici de dialogue constructif.

Je sais que le gouvernement est résolu à rebâtir une relation de nation à nation avec les peuples autochtones et que vous souhaitez adhérer pleinement à la déclaration des Nations Unies. J'en suis fort impressionné. Comment réagissez- vous aux propos tenus par pratiquement tous les témoins que nous avons entendus, selon lesquels le processus qui a eu lieu jusqu'à maintenant ne constitue pas une consultation véritable?

Mme Bennett : Je suis d'accord, mais il nous a fallu composer avec des délais imposés par le tribunal. Nous avons dit à l'automne que la prolongation maximale que nous allions obtenir ne serait pas suffisante pour nous permettre d'accomplir tout le travail nécessaire. Vous nous avez envoyé une lettre pour nous demander de solliciter une prolongation du délai, ce que nous avons fait. Je pense que toutes les parties savaient qu'elles prendraient part à ce nouveau chapitre et il me semble qu'on a demandé en janvier à l'Association des femmes autochtones d'entreprendre son travail. Voilà pourquoi nous voulons élaborer, de concert avec l'association et les autres organisations, une approche exhaustive pour l'étape 2. Nous voulons éviter à l'avenir qu'un changement ait la conséquence inattendue de priver une population d'un droit ou de créer une injustice pour certaines personnes.

Aujourd'hui, nous axons nos efforts sur l'établissement de liens de confiance et nous voulons montrer notre volonté d'exécuter l'étape 2 comme il se doit, afin de ne pas avoir à revenir sur le projet de loi. Nous avons espoir d'éliminer toutes les formes de discrimination qui peuvent découler de la Loi sur les Indiens et de favoriser l'autonomie gouvernementale des Premières Nations. Nous voulons que les Premières Nations puissent prendre leurs propres décisions en ce qui concerne leur statut et l'appartenance à leurs effectifs.

Le sénateur Patterson : Merci. Je vous signale respectueusement, madame la ministre, que les gens de l'Association des femmes autochtones nous ont dit ce matin que ce n'est que le 6 mars qu'on leur a demandé de participer au processus et qu'il leur a fallu deux semaines pour prendre les arrangements financiers requis pour amorcer leur travail, le 20 mars.

Je veux maintenant discuter d'une autre question qui a été abordée ce matin par le comité et dont des témoins qui ont comparu récemment nous ont parlé. Vous y avez fait allusion dans votre exposé, mais de manière indirecte, je crois. Il s'agit de l'amendement qu'avait proposé le député Todd Russell, alors porte-parole en matière d'affaires autochtones, au projet de loi C-3. M. Russell avait proposé que tout le monde puisse s'inscrire aux termes de l'alinéa 6(1)a). C'est ce que nous appelons « l'application universelle de l'alinéa 6(1)a) ». C'est peut-être une manière simpliste de dire les choses.

Si je comprends bien, cette option est considérée comme impossible. Je vous pose à nouveau la question : pourquoi donc? Nous avons entendu des témoignages on ne peut plus passionnés et convaincants venant de personnes touchées par ce qu'elles estiment être une approche fragmentaire pour remédier aux discriminations fondées sur le sexe en ce qui a trait à l'inscription. Ces personnes et ces organisations — Pam Palmater, Sharon McIvor, Shelagh Day, le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, l'Association du Barreau autochtone et d'autres — se sont montrées très éloquentes.

Selon un amendement recommandé par le gouvernement au projet de loi S-3, le ministère disposera de 18 mois pour consulter les Premières Nations dans le cadre de l'étape 2 et se pencher sur bon nombre de questions déjà examinées ici. Cet amendement inquiète les gens. Le 3 juillet, dernière date butoir imposée par le tribunal, cela nous aura pris 23 mois, si mes calculs sont bons, soit presque deux ans, pour examiner la question que le ministère considère sans doute comme la plus facile à régler.

Et si les consultations duraient plus de 18 mois? Et si cela durait deux ou cinq ans? Je me fais l'écho des craintes de nombreux témoins. Combien de temps pouvons-nous sciemment laisser perdurer la discrimination plus générale? Ne devrions-nous pas essayer de régler le problème dès maintenant dans le projet de loi et éliminer véritablement la discrimination fondée sur le sexe une fois pour toutes?

Mme Bennett : C'est un excellent point, sénateur. À mon sens, si nous n'étudions pas tous les aspects comme il se doit, nous nous retrouverons dans la même situation qu'avec le projet de loi C-3, lequel a donné lieu à l'affaire Descheneaux. Il faut tout examiner. L'application universelle de l'alinéa 6(1)a) est un concept que le comité n'a pas dûment exploré et que les différents groupes n'ont pas eu la chance de commenter. D'après ce que j'ai entendu, pareille mesure pourrait avoir une incidence considérable à l'heure actuelle sur le vote et certaines règles en vigueur. Il pourrait y avoir des répercussions notables sur ce qui régit le taux de participation au scrutin. Les votes au sujet des systèmes scolaires posent déjà problème, car quiconque ne vote pas est considéré comme ayant voté « non ». Ce n'est pas seulement une question d'habiter ou non dans la communauté.

Avant d'aller de l'avant, il faut veiller à examiner toutes les répercussions. Nous voulons faire ce qui est juste. Nous sommes prêts à apporter les changements stratégiques qui s'imposent, qu'il y ait consensus ou non. Nous désirons faire ce qui est juste, mais il nous faut écouter le point de vue de tout le monde sans quoi nous risquons de provoquer des conséquences inattendues et de créer des problèmes en essayant d'en régler un autre.

Je ne crois pas que nous ayons discuté suffisamment de l'application universelle de l'alinéa 6(1)a). Nous n'avons aucune donnée démographique là-dessus. Il peut y avoir un million de personnes d'écart entre les diverses estimations.

Le sénateur Patterson : Merci, madame la ministre. Dans ce contexte, le titre du projet de loi me gêne un peu. Il s'intitule : Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).

Vous avez parlé dans votre exposé d'iniquités connues fondées sur le sexe. Il en existe d'autres. Certaines personnes proposent que nous allions plus loin et que les amendements soient d'une plus grande portée. Si nous ne sommes pas en mesure d'aller plus loin, il faudrait à tout le moins modifier le titre du projet de loi et parler plutôt d'« élimination partielle des iniquités fondées sur le sexe ». N'êtes-vous pas d'accord?

Je n'essaie pas d'être arrogant, mais il m'apparaît important que le contenu du projet de loi en reflète le titre.

Mme Bennett : Je suis prête à prendre en considération tout ce qui peut rendre le comité plus à l'aise. On m'a rappelé hier ou avant-hier que le titre du projet de loi C-3 était en quelque sorte une réponse à l'affaire McIvor; il était question d'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens. À l'époque, la mesure visait à ce que le gouvernement se conforme à la décision du tribunal, sans plus. Dans le cas présent, nous nous conformons à la décision du tribunal, mais nous allons un peu plus loin, même si nous ne réglons pas tous les problèmes de discrimination. Si modifier le titre peut vous rendre plus à l'aise d'adopter le projet de loi, nous sommes très ouverts à vos idées.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

La sénatrice Lankin : Madame la ministre, je vous remercie de votre présence ici. Je vous remercie de vos observations.

Au cours du processus, votre ministère a accueilli les suggestions et collaboré avec des groupes comme l'Association du Barreau autochtone, ce qui a donné lieu à des amendements. Nous venons juste de recevoir copie d'autres documents envoyés par David Schulze, dans lesquels d'autres amendements sont proposés. Le comité a également entendu des propositions d'amendement ce matin.

Je me dis que c'est pour étudier ce genre de suggestions que vous avez prévu une étape 2. Mettons-nous à l'œuvre. L'idée d'appliquer universellement l'alinéa 6(1)a) a l'air tout ce qu'il y a de plus simple, mais nous n'avons pas examiné les incidences possibles, y compris les conséquences imprévues. J'estime qu'il serait très irresponsable pour la parlementaire que je suis d'appuyer cette idée à ce point-ci, aussi séduisante soit-elle.

Dans votre exposé, vous avez dit quelque chose de très important. Vous avez déclaré que vous alliez élaborer l'approche associée à l'étape 2 de concert avec les Premières Nations et faire en sorte que la voix des personnes touchées soit entendue. Je voudrais avoir l'assurance que cela comprend les femmes avec qui travaillent Sharon McIvor et Pam Palmater, celles qui n'ont pas le statut d'Indien. Vous avez dit que les participants auraient les ressources nécessaires pour apporter leur pleine contribution. C'est un engagement crucial pour l'Association des femmes autochtones du Canada, qui ne dispose pas des ressources voulues, mais qui a un rôle clé à jouer. Je le dis sans détour : c'est un engagement sérieux.

Vous avez souligné que le processus tiendrait compte des droits de la personne et que le respect de la Charte serait le minimum à atteindre, et non le but ultime. Vous avez affirmé à quelques reprises que vous prendriez des mesures stratégiques afin de faire ce qui est juste, même en l'absence de consensus, mais qu'il fallait procéder à des consultations pour en arriver à des décisions.

Vos propos me rassurent un tant soit peu. Je vous ai aussi entendue dire que vous étiez disposée à ce que le projet de loi fasse mention du processus et des échéanciers. J'aimerais aussi qu'on fasse mention de certains autres enjeux, comme l'admissibilité avant 1951, et qu'on tienne compte ce faisant des droits de la personne et de la Charte, comme l'a suggéré le sénateur Sinclair quand nous en avons parlé.

Seriez-vous disposée à travailler avec nous et à intégrer tous ces éléments dans le projet de loi afin que nous puissions dire aux gens que c'est inscrit noir sur blanc dans la loi?

Mme Bennett : Absolument. Quand je parle d'engagement véritable, je le pense. J'ai pratiqué assez longtemps la médecine pour savoir que je n'étais pas toujours d'accord avec les décisions de l'Association médicale canadienne. Nous avons même déjà fait fabriquer des macarons disant « L'AMC ne parle pas en mon nom. » Je crois que c'était dans le cadre du débat sur le contrôle des armes à feu. C'est ce que je veux dire quand je parle des personnes touchées. Nous voulons entendre le point de vue des personnes qui n'ont pu obtenir le statut d'Indien à cause des anciennes règles. Nous voulons surtout qu'elles sachent que nous tenons à connaître leur opinion.

Cela veut dire qu'il faudra affecter des ressources aux organismes comme l'AFAC et consulter des experts dans le domaine des droits de la personne. Nous sommes sincèrement convaincus que le projet de loi S-3 respecte la Charte et que les obstacles en ce sens ont été aplanis, mais nous sommes aussi convaincus que, pour être juste et sensé, on peut aller au-delà de la Charte.

Nous sommes aussi disposés à consulter votre comité pour être certains que le processus est sur la bonne voie. Nous pouvons vous donner une idée de ce que nous entendons faire, après quoi nous pourrons revenir pour vous expliquer comment vont les choses et vous donner un aperçu de la rétroaction reçue. Dans ce genre de démarche, il est parfois bon d'établir un plan de travail et de faire une pause pour revenir sur ce qu'on a entendu jusqu'ici. Nous ferons tout pour assurer le comité de notre sérieux concernant l'étape 2.

Comme je le disais tout à l'heure, je comprends que les personnes touchées et les parlementaires puissent être cyniques. Il n'est pas question ici d'arriver au but le plus rapidement possible et de ne plus donner de nouvelles à personne, avec comme conséquence que les familles et les personnes touchées ne sauront même plus vers qui se tourner. Nous ferons le nécessaire pour que tout le monde sache précisément qui est en charge et ce qui nous attend.

La sénatrice Lankin : L'un des arguments les plus convaincants qu'on entend concernant l'élimination du seuil d'admissibilité, c'est qu'on ne peut pas consulter dans le but de bafouer les droits fondamentaux des gens. Ça me fait terriblement mal d'entendre des choses comme celle-là. Pourtant, je comprends que, pour le bien des relations de gouvernement à gouvernement entre le Canada et les Premières Nations, il doit y avoir des consultations.

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que vous consultez dans le seul but de mieux discriminer?

Mme Bennett : Notre but, c'est d'obtenir l'avis des personnes qui s'estiment être encore victimes de discrimination. Le voilà, l'objectif principal du prochain chapitre : consulter les personnes qui estiment que les politiques sont injustes envers elles et leurs proches. Nous voulons savoir ce que pensent les personnes qui ont été rejetées et qui estiment sincèrement que les politiques doivent changer.

J'ai entendu les critiques sur les ressources, j'ai aussi entendu les récriminations des chefs et des conseils. Mais le but de cette consultation pourrait bien être de mettre le doigt sur un problème de mise en œuvre dont il faudrait tenir compte. Peut-être constaterons-nous que nous devrions modifier le processus de vote pour que les gens soient traités sur un pied d'égalité, qu'ils vivent dans une communauté ou non. Toutes sortes d'autres choses devront être faites pour mettre en œuvre l'étape 2 ou donner suite aux recommandations qui ressortiront de cette importante conversation.

Parfois, quand on étend un droit à une minorité, cela peut avoir des répercussions sur les personnes qui en jouissaient déjà, ce qui cause une certaine résistance. Nous nous sommes préparés en conséquence.

La sénatrice Lankin : Sans préjuger de rien, rêvez-vous du jour où l'inscription ne sera plus un enjeu au Canada et où nos relations auront pris un nouveau tournant?

Mme Bennett : Oui, et j'en ai déjà parlé à votre comité. Nathalie sait qu'à long terme, ce n'est sans doute pas au Canada de prendre ces décisions. Le concept même de « nation à nation » veut dire que c'est aux nations de déterminer qui peut en être membre et quel statut à accorder à chacun, de la même façon que les Métis s'emploient présentement à peaufiner leurs registres et à s'approprier ce processus. La décolonisation et la réconciliation sont des buts à atteindre, et les concepts de « gouvernement à gouvernement » et de « nation à nation » permettent justement de nous en approcher.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci à vous et à vos collaborateurs de vous être déplacés aujourd'hui.

J'aimerais revenir sur l'étape 2. Sera-t-elle intégrée à la mesure législative et le gouvernement s'engagera-t-il à la financer?

Mme Bennett : Absolument. En fait, nous reviendrons discuter de l'étape 2 avec le comité, à qui nous soumettrons un plan de travail, et nous ferons le nécessaire pour que personne ne soit exclu des consultations et des rapports subséquents, ça c'est certain. Si nous devons amender le texte pour que les gens soient plus à l'aise ou pour les assurer de notre sérieux, alors nous sommes prêts à tout envisager, à donner à qui de droit l'assurance que les 35 000 personnes visées par le projet de loi pourront bel et bien commercer à exercer leurs droits et à faire en sorte que les autres, celles qui sont encore discriminées, soient incluses dans le prochain chapitre.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Le sénateur Patterson voulait savoir ce qu'il adviendrait si le processus devait s'étirer sur trois ou quatre ans. Qu'arrivera-t-il si le gouvernement change?

Mme Bennett : Excellente question. Je crois que ces deux processus tronqués nous ont certainement permis d'apprendre ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien dans les consultations. Personnellement, je crois que, cette fois-ci, les gens sont déterminés à aller jusqu'au bout. Nous avons consulté un tas de personnes extrêmement intelligentes qui réfléchissent à tout ceci depuis très longtemps. Selon moi, cela ne devrait pas prendre une éternité, mais je crois néanmoins que chaque proposition mérite d'être discutée et étudiée afin qu'on ne se retrouve pas à discriminer d'autres personnes, car elles pourraient alors exiger qu'on remédie à la situation. Je crois que nous pourrons mener ce processus à terme d'ici la fin de notre mandat.

Le sénateur Enverga : Je comprends pourquoi cette mesure législative doit être adoptée, puisqu'elle profitera à 35 000 personnes. Puis-je demander à vos collaborateurs combien de personnes seront touchées si nous modifions l'alinéa 6(1)a) ou le seuil d'admissibilité?

Mme Bennett : Je ne crois pas que nous ayons ces chiffres. Voilà pourquoi il est aussi difficile de même envisager cette option : parce qu'il peut s'agir autant de 80 000 personnes que de 2 millions. Le gouvernement peut difficilement donner son aval s'il ne sait même pas combien de personnes seront touchées. Peut-être que Candace ou Joëlle pourront vous en dire plus.

Joëlle Montminy, ancienne sous-ministre adjointe, Résolution et affaires individuelles, Affaires autochtones et du Nord Canada : L'incidence démographique qu'aurait la suppression du seuil d'admissibilité de 1951 n'est pas encore déterminée. M. Clapworthy a commencé à débroussailler le terrain. Si je ne m'abuse, le comité a pu consulter un des rapports faisant partie de l'affaire Descheneaux. Toutes sortes de chiffres ont été évoqués selon les différents scénarios et hypothèses. Comme Mme la ministre vient de le dire, selon certains scénarios fondés sur le recensement, il se pourrait que 2 millions de personnes puissent dorénavant s'inscrire. De toute évidence, il faudra pousser les calculs plus loin et étudier plus attentivement la question afin de bien évaluer les répercussions que pourrait avoir la suppression du seuil d'admissibilité.

Le sénateur Enverga : Énormément de gens m'ont dit que nous devrions modifier le titre du projet de loi pour parler plutôt de « l'élimination partielle de certaines iniquités ». Cela dit, ne croyez-vous pas que les personnes visées par la décision rendue en 1951 ont assez attendu? Cela fait plus de 60 ans maintenant. Ne croyez-vous pas qu'il est temps d'y voir, et sérieusement à part ça, au lieu d'y aller à la pièce comme vous le faites?

Mme Bennett : Absolument. C'est exactement pour cela, selon moi, que l'alinéa 6(1)a) touche une corde aussi sensible. Le fait qu'il n'y avait pas de registres avant cette date et que nous ne mesurons pas encore bien les répercussions nous obligera à être encore plus rigoureux pendant l'étape 2. Les choses doivent absolument être justes parce qu'énormément de personnes sont passées par là. Nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout et nous croyons qu'il est possible à la fois de mener rapidement le processus à terme et de tenir compte de toutes les implications.

Le sénateur Enverga : Selon vous, l'alinéa 6(1)a) devrait-il être appliqué universellement?

Mme Bennett : Il faudrait — et les parlementaires que vous êtes aussi me comprendront — que j'entende l'avis de plus... bien des gens sont de cet avis, mais beaucoup n'ont jamais eu l'occasion de se prononcer parce qu'on ne leur a jamais posé la question. J'aimerais que les personnes qui s'intéressent à ce dossier depuis longtemps me disent si on réglerait le problème ou si on risquerait au contraire d'en précipiter d'autres. Pendant l'étape 2, nous devrons évaluer ce qui adviendrait si l'alinéa 6(1)a) était appliqué universellement : combien de personnes seront touchées? Qu'arrivera-t-il exactement?

Je crois que, pour les communautés, l'intégration et l'intégrité culturelle sont vraiment importantes. Les gens ont besoin de mots comme « culture » et « communauté ». Nous savons que c'est bon pour eux. Nous savons aussi que l'engagement est important, parce que c'est beau le statut, mais les gens doivent aussi être attachés à leur milieu, à leur terre et à leur peuple.

Le sénateur Enverga : Donc, ce n'est pas l'application universelle de l'alinéa 6(1)a), mais l'application conditionnelle de l'alinéa 6(1)a).

Mme Bennett : Je crois que l'application universelle de l'alinéa 6(1)a) est possible. Cependant, nous n'avons pas suffisamment de renseignements pour prendre une décision en ce qui concerne l'approche intellectuelle qui serait nécessaire pour évaluer les répercussions et pour s'assurer que d'autres personnes ne subissent pas de répercussions accidentelles d'une autre façon.

Le sénateur Sinclair : Eh bien, c'est du moins l'application partielle de l'alinéa 6(1)a).

Comme vous le savez, madame la ministre, j'ai quelques préoccupations au sujet des amendements. Je n'essaierai pas de les aborder toutes. Avec l'aide de la sénatrice Lankin, nous avons discuté abondamment d'un certain nombre d'entre elles. Je tiens à vous mettre en garde, ainsi que les autres personnes au sein de votre équipe, au sujet du principe dont vous ont parlé vos conseillers — tiré de l'affaire McIvor —, et sur lequel vous comptez, qui prétend que vous pouvez ignorer la discrimination commise avant 1951 parce que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique l'a déclaré. En fait, ce n'est pas ce que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a déclaré. Elle a statué que, en appliquant un principe découlant d'une décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Benner, qui portait sur la citoyenneté canadienne, si une violation antérieure à la Charte a actuellement des conséquences discriminatoires, le demandeur actuel peut alors invoquer la violation antérieure ou l'acte de discrimination antérieure afin de justifier l'octroi d'une réparation en vertu de l'article 15. Ce n'est pas aussi évident que certaines personnes souhaiteraient peut-être vous le faire croire.

Mon argument concernant la question de la date limite de 1951, c'est qu'il ne s'agit pas simplement d'abroger la disposition de 1951.

Les demandeurs actuels victimes d'un acte discriminatoire qui s'est produit avant 1951 pourraient obtenir une réparation en vertu de l'article 15 de la Charte parce qu'il a des répercussions continues. Cet acte de discrimination commis avant 1951 a des répercussions continues sur les gens aujourd'hui. Dans l'affaire Benner, la Cour suprême a déclaré qu'une telle situation peut représenter une violation de la Charte. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a tout simplement déclaré qu'il faut examiner les affaires au cas par cas. Par conséquent, on ne peut pas simplement dire que, s'il s'agit d'une politique ou d'une loi discriminatoire datant d'avant 1951, la Charte ne s'y applique pas. De façon simpliste, c'est le cas. On ne peut pas changer la loi en utilisant la Charte, mais il serait possible d'accorder une réparation aux personnes qui sont touchées aujourd'hui par le fait que leur grand-mère ou leur mère a peut-être été victime de discrimination avant 1951.

Je désirais vous prévenir, puisqu'il se pourrait que ce soit un argument qui sera utilisé plus tard.

C'est ce qui me préoccupe. Je l'ai expliqué à de nombreuses personnes. On s'embrouille sur la question des frères et des sœurs et sur la question des cousins. Le jargon interne au sein du ministère a tendance à obscurcir la question. La question est très simple : si on refuse le statut à une personne aujourd'hui parce que sa grand-mère a été victime de discrimination avant 1951, peut-elle, oui ou non, obtenir une réparation en vertu de la Charte? Je crois que la Cour suprême, dans l'arrêt Benner, a statué que la personne le pouvait. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique n'a pas eu besoin d'appliquer l'arrêt Benner parce qu'elle a trouvé une façon différente d'accorder une réparation à Mme McIvor. Ce n'est donc pas aussi évident que vos conseillers juridiques vous l'ont peut-être fait croire.

Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je tiens à vous offrir la chance d'expliquer pourquoi le Parti libéral a modifié sa position sur l'alinéa 6(1)a). J'ai entendu la réponse que vous avez donnée à la question du sénateur Patterson. Par contre, dans la conversation entourant le projet de loi C-3, le caucus libéral à la Chambre a présenté un amendement très clair qui précisait que le fait d'amender ce projet de loi pour permettre aux personnes qui ont été victimes de discrimination antérieure d'être en mesure de s'inscrire en vertu du paragraphe 6(1) était en soi une solution suffisante. Il semblerait que, maintenant que vous formez le gouvernement, vous n'adoptez plus cette position.

Voulez-vous tenter de m'expliquer ce qu'il en est encore une fois? Je vais vous dire pourquoi : si je vote en faveur de ces amendements, je dois également être en mesure de me justifier auprès des gens.

Mme Bennett : Comme nous avons été dans l'opposition pendant une décennie, nous étions en mesure de présenter des amendements sans vraiment en saisir toutes les répercussions et sans avoir les ressources pour mener les consultations qui sont nécessaires. Je ne dirais pas que nous avons changé d'idée. Je dirais simplement que, en tant que gouvernement, nous devons faire preuve de diligence raisonnable et mener les consultations appropriées.

Le sénateur Sinclair : Ce qui soulève une autre question, c'est-à-dire : pourquoi n'avez-vous pas fait preuve de diligence raisonnable? Je ne veux pas dire vous personnellement, mais pour quelle raison le gouvernement n'a pas fait preuve de diligence raisonnable? Depuis 1985, il est évident que quelqu'un a anticipé la possibilité que les actes de discrimination commis antérieurement entraînent une marée de gens qui désirent s'inscrire en raison de la Charte.

Comment se fait-il que vous ne disposiez pas de renseignements provenant de votre ministère concernant l'estimation du nombre de personnes en question? Nous dire qu'il peut y en avoir entre 80 000 et 2 millions, c'est presque tenir des propos alarmistes, puisque vous ne nous donnez pas d'information sur laquelle nous pouvons fonder une décision éclairée. Savez-vous pourquoi ces renseignements n'ont jamais été compilés?

Mme Bennett : Je peux seulement affirmer que c'est la raison pourquoi nous avons besoin de l'étape 2. Sans les bons chiffres, je n'ai pas suffisamment d'information pour parvenir à réellement aller de l'avant avec cette application élargie. Oui, j'aimerais savoir tout cela.

Le sénateur Sinclair : Peut-être que, dans le cadre de l'étape 2, vous pourrez former un groupe de chasseurs pour déterminer qui en est responsable.

Mme Bennett : C'est ce que je vais faire. Regarder derrière n'est jamais aussi intéressant que de regarder devant.

Le sénateur Sinclair : Alors, regardons devant nous un instant et oublions ce qui est derrière. Pour l'instant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, supposons que le projet de loi ne soit pas adopté par le Sénat ou que, s'il l'est, il est amendé. Vous ne l'approuvez pas, donc nous aboutissons devant une impasse, et le projet de loi ne devient jamais une loi. Je présume qu'une personne de votre ministère a mené une analyse pour déterminer quelles seront les répercussions sur le Canada et sur les nombreuses personnes qui présentent une demande et à quoi ressembleront les chiffres à cet égard. Pouvez-vous nous dire quels seront ces chiffres?

Mme Bennett : Je vais demander à la registraire de donner sa meilleure estimation, mais, comme vous le savez, puisque les dispositions ont été invalidées, elle n'est pas autorisée à les appliquer au Québec. Par conséquent, on considère qu'il serait malavisé, voire injuste, qu'elle inscrive des personnes dans le reste du pays en vertu de ces dispositions, donc, techniquement, elle ne le peut pas. Par contre, avez-vous un...

Le sénateur Sinclair : En fait, elle était en mesure de le faire, puisque la décision a été suspendue pour le moment. Elle était en mesure de...

Mme Bennett : Je suis désolée, monsieur le sénateur, je me disais que, à compter du 3 juillet, si nous ne respectons pas l'échéancier imposé par les tribunaux, la registraire aurait des ennuis. Elle n'aura pas d'ennuis, mais toutes les personnes qui souhaitent s'inscrire ne le seront pas.

Le sénateur Sinclair : Peut-être aura-t-elle également des ennuis. Alors, écoutons-la pour savoir comment elle pense s'en sauver.

Mme Bennett : C'est vrai que, si elle a des ennuis, ce sera de notre faute.

Nathalie Nepton, directrice exécutive, Registraire des Indiens et gestion intégrée des programmes, Affaires autochtones et du Nord Canada : C'est une bonne question. Techniquement, les répercussions immédiates dont on a discuté touchent les 35 000 personnes qui ont actuellement droit à une réparation et qui n'en ont pas encore eu.

Or, même si je ne peux pas donner de chiffre exact, je peux vous dire que le ministère reçoit annuellement environ 28 000 demandes. Selon ce volume, en principe, la capacité d'inscrire au moins la moitié de ces personnes pourrait être menacée.

Mme Bennett : Au départ, ce sont donc 35 000 personnes qui seraient inscrites en réponse à l'affaire Descheneaux ou aux termes du projet de loi S-3, puis 14 000 personnes de plus par année.

Mme Nepton : Nous parlons aussi des amendements portant sur les catégories, soit toutes les personnes actuellement inscrites qui devraient changer de catégorie, par exemple, quelqu'un inscrit en vertu du paragraphe 6(2) qui changerait peut-être pour le sous-alinéa 6(1)c.1)(iv) ou pour tout autre numéro. Je crois que cette disposition aura aussi une incidence considérable sur les gens parce qu'il s'agit des personnes inscrites aux termes du paragraphe 6(2) et de leur capacité à transmettre leur statut.

Le sénateur Sinclair : Merci. Madame la ministre, je présume que vous avez réfléchi à une disposition de dérogation dans l'éventualité où le projet de loi n'est pas adopté. Avez-vous rejeté cette idée?

Mme Bennett : Ouf.

Le sénateur Sinclair : Cela veut-il dire « oui »?

Mme Bennett : À vous de me le dire. Je crois que le projet de loi est très important, et nous espérons que nous pouvons vous prouver que l'étape 2 est sérieuse et que nous adopterons les amendements proposés par le comité qui nous permettront de faire le travail.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Enfin, il ne me reste qu'une observation à faire. Je ne vous dirai probablement rien que vous ne savez pas déjà. Beaucoup de gens se plaignent qu'il n'y a personne qui veut leur parler lorsqu'ils appellent le registraire pour poser des questions au sujet de l'appartenance à une bande. Je me demande si la registraire et d'autres personnes au sein de votre ministère prendraient des mesures pour communiquer nos préoccupations quant aux personnes qui n'arrivent pas facilement à obtenir de l'information et à connaître l'état de leur demande. Il s'agit d'un grave problème pour les Autochtones qui ont déjà du mal à communiquer avec le gouvernement. Le fait d'apprendre qu'ils ne sont pas bien traités n'est pas une bonne nouvelle.

Mme Bennett : Je suis tout à fait d'accord. Ce n'est pas ce que nous voulons. Ce n'est pas notre marque de commerce. Ce n'est pas l'impression que nous voulons donner aux gens. Je le répète, je crois que, en matière de service et de respect, c'est ce que nous essayons d'accomplir. Je crois que, si les gens sont de cet avis, ils doivent nous le faire savoir parce que c'est de cette façon qu'on s'améliore.

Le sénateur Sinclair : Je vous informe au nom des personnes qui m'ont parlé. D'accord? Merci, madame la ministre.

La présidente : Notre temps est maintenant écoulé. Il est 16 h 30, et, au nom des membres du comité, je tiens à remercier la ministre de s'être présentée devant nous pour nous informer sur ce qui se passe et pour répondre aux questions des sénateurs. Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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