Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 31 - Témoignages du 6 février 2018


OTTAWA, le mardi 6 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 9, pour étudier la nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis et pour étudier un projet de budget.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Tansi. Je m’excuse auprès des témoins de vous avoir fait attendre, mais nous avions une autre réunion.

Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et sénatrices, ainsi qu’aux membres du public qui assistent à notre séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, en personne ou sur Internet.

J’aimerais reconnaître, dans un effort de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles et non cédées des Algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck et j’ai l’honneur et le privilège d’être la présidente du comité. Je viens de la Saskatchewan. J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente : Nous accueillons de plus aujourd’hui une sénatrice qui vient d’être nommée.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

La présidente : Merci, mesdames et messieurs.

Nous poursuivons notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous poursuivons notre examen de l’historique de ce qui a été étudié et discuté sur ce sujet.

Aujourd’hui, nous allons entendre le vérificateur général nous parler du travail accompli dans ce domaine, mais, avant de le faire, le comité doit se pencher sur l’examen du projet de budget, dont vous avez tous un exemplaire, je crois. Y a-t-il des questions au sujet du budget? Vous pouvez prendre quelques instants pour y jeter un coup d’œil. Comme vous le savez, nous avons proposé une série de témoins et notre première incursion à cet égard se fera dans l’Ouest canadien.

Comme il n’y a pas de questions, sommes-nous d’accord pour que la demande de budget pour l’étude spéciale concernant des audiences publiques et une mission d’étude à Winnipeg, Buffalo Lake, Prince Albert, Île-à-la-Crosse [1], Siksika [2] et Calgary, dans le cadre de l’étude que réalise le comité sur la nouvelle relation entre l’État et les peuples autochtones, pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018, soit approuvée, avec les modifications discutées, et que le Sous-comité du programme et de la procédure soit autorisé à approuver la version définitive du budget pour que la présidente le remette au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration? Sommes-nous d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci. C’est adopté.

Nous revenons maintenant à nos témoins. Nous accueillons Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, accompagné de Joe Martire, directeur principal, Glenn Wheeler, directeur principal, et James McKenzie, directeur principal. Monsieur Ferguson, vous avez la parole. Suivront ensuite des questions des sénateurs et sénatrices. Allez-y.

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci. Madame la présidente, nous sommes heureux de pouvoir parler de nos travaux de vérification qui pourraient être utiles dans le cadre de l’étude de votre comité sur la nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Le Bureau du vérificateur général du Canada effectue depuis longtemps la vérification des activités et des programmes fédéraux qui touchent les peuples autochtones. En 2011, nous avons abordé certains de ces travaux dans un rapport d’étape qui exposait ce que le gouvernement fédéral avait fait pour mettre en œuvre les recommandations que nous avions formulées dans sept rapports de vérification publiés entre 2002 et 2008. Nous avions montré que le gouvernement n’avait pas amélioré les résultats des programmes que nous avions examinés.

Nous avons également inclus une préface à notre rapport d’étape de 2011 dans laquelle nous identifiions quatre obstacles qui limitaient grandement la prestation de services publics destinés aux Premières Nations et qui entravaient l’amélioration de la qualité de vie dans les réserves.

Depuis 2011, nous avons fait d’autres vérifications sur des sujets d’intérêt pour les peuples autochtones. Nous avons ajouté à la présente déclaration un sommaire de ces vérifications.

D’après nos récents travaux, je suis désolé de le dire, il y a encore peu d’améliorations aux programmes fédéraux destinés aux peuples autochtones.

[Français]

Madame la présidente, je tiens à être clair. Nous trouvons ce manque de progrès très décevant. Dans un de mes messages en 2016, j’ai souligné qu’à la fin de son mandat, ma prédécesseure avait employé le mot « inacceptable » pour résumer son impression après 10 ans d’audit sur les enjeux touchant les Premières Nations. Depuis mon arrivée, nous avons continué à auditer ces enjeux en tenant compte des résultats de nos derniers audits, en plus de ceux obtenus par le passé, et je ne peux que conclure que la situation actuelle est pire qu’inacceptable.

Nous avons invariablement démontré que les programmes du gouvernement n’ont pas efficacement servi les peuples autochtones du Canada. Pour livrer des programmes efficaces, il faut du leadership au niveau fédéral, provincial, territorial et des Premières Nations. Le gros de la responsabilité incombe au gouvernement fédéral, mais tous les niveaux ont une certaine responsabilité. Tant qu’une perspective axée sur la résolution de problème n’est pas adoptée pour aborder ces enjeux et trouver des solutions qui s’articulent autour des gens plutôt que des litiges, des querelles d’argent et des entraves administratives, le pays continuera de dilapider le potentiel et les vies d’une forte proportion de sa population autochtone.

Dans le but de trouver des solutions, nous avons cerné huit facteurs qui permettraient d’assurer l’efficacité des programmes destinés aux peuples autochtones. Nous avons fait ressortir ces huit facteurs pour trouver des façons d’améliorer les services. Cependant, bon nombre d’entre eux sont aussi importants pour établir des relations matures entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones.

Le premier facteur est la volonté politique soutenue. Dans notre rapport de 2015 intitulé La création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, nous avions affirmé que l’engagement soutenu sur 10 ans des dirigeants des Premières Nations de la Colombie-Britannique, du gouvernement du Canada et du gouvernement de la Colombie-Britannique avait favorisé un climat de confiance et de respect qui avait permis à ces parties de créer la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique.

Le deuxième facteur est le regroupement. Un des défis de la création de nouvelles relations est le manque de regroupement des différents acteurs. D’un côté, il y a plus de 600 communautés et organisations représentatives autochtones et, de l’autre côté, de multiples ministères fédéraux œuvrant sans direction commune. Ajoutez à cela les provinces et les territoires, qui ont un rôle à jouer. Dans le cadre des négociations visant l’établissement de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, les Premières Nations de cette province ont accepté de faire front commun pour négocier avec les autres ordres de gouvernement. Ils ont ainsi formé le Conseil des leaders des Premières Nations. Ce conseil a servi de point de contact unique pour les gouvernements fédéral et provincial.

[Traduction]

Le troisième facteur est la tenue de consultations réelles. Bien des gens en connaissent beaucoup plus que moi sur l’obligation de consulter. La consultation est un sujet que nous avons mentionné dans bon nombre de nos rapports de vérification. Par exemple, dans notre rapport de 2016 sur les revendications particulières des Premières Nations, nous avons noté que le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada avait élaboré sans l’apport des Premières Nations un processus distinct pour traiter les revendications de faible valeur. En ne consultant pas les Premières Nations, le ministère a créé des obstacles au processus de règlement plutôt que d’en supprimer. Par exemple, le ministère n’avait pas fourni aux Premières Nations l’information qu’il avait utilisée pour préparer une offre et la lettre dans laquelle le ministère énonçait son offre d’indemnisation aux requérants des Premières Nations pour les revendications de faible valeur ne contenait aucune invitation à négocier le montant de l’indemnisation ou à en discuter. Les offres étaient à prendre ou à laisser.

Le quatrième facteur est la nécessité d’avoir des énoncés clairs sur les niveaux de service à offrir. Ce facteur ainsi que les trois facteurs qui vont suivre étaient les quatre obstacles que nous avions relevés en 2011. En 2015, nous avions signalé ce problème dans notre rapport de vérification sur l’accès aux services de santé pour les collectivités éloignées des Premières Nations. Nous avions constaté que Santé Canada n’avait pas comparé l’accès aux services de santé dans les collectivités éloignées des Premières Nations à celui d’autres collectivités éloignées. Le ministère n’avait pas atteint son objectif de faire en sorte que les membres des Premières Nations vivant dans des collectivités aient un accès aux services de soins cliniques et services aux clients comparable à celui offert aux autres résidants provinciaux vivant dans des emplacements géographiques similaires.

Le cinquième facteur est le besoin d’établir un fondement législatif approprié qui appuie les niveaux de service désirés. Un fondement législatif est un engagement non ambigu du gouvernement à offrir certains services. Il permet de définir le financement à verser et favorise la reddition de comptes. Le gouvernement fédéral a souvent élaboré des programmes pour les Premières Nations sans établir de fondement législatif. En 2011, nous avions dit que cela signifiait qu’il n’y avait pas de lois ni de règlements qui encadraient les programmes destinés aux Premières Nations vivant dans les réserves dans des domaines comme l’enseignement, la santé et l’approvisionnement en eau potable. Dans notre rapport de 2014 sur le Programme des services de police des Premières Nations, nous avions constaté qu’en Alberta et au Manitoba, les ententes de services de police exigeaient clairement que les services financés par le programme soient livrés conformément aux dispositions législatives et aux normes de la province.

[Français]

Le sixième facteur est la capacité de fournir à l’échelle locale des services dotés de structures de gouvernance appropriée et d’un mécanisme de reddition de comptes aux peuples autochtones bénéficiant de ces services. Les provinces ont mis sur pied diverses organisations et structures pour appuyer la prestation des programmes et des services à l’échelle locale. Par exemple, les provinces ont fondé des commissions scolaires et des conseils de santé. En 2011, nous avions affirmé qu’il y avait peu d’organisations de ce type pour appuyer les prestations des services au sein des communautés des Premières Nations. Même si des organisations de prestation de services sont établies à l’échelle locale, elles ne réussiront que si elles ont des structures de gouvernance appropriée. Dans notre rapport de 2015 sur la création de la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique, nous avons pu démontrer qu’en mettant sur pied la régie, les parties avaient réussi à surmonter les quatre obstacles que nous avions relevés en 2011. Par contre, nous avions trouvé des problèmes dans le cadre de la gouvernance de la régie.

Le septième facteur est un financement approprié et stable. En 2015, nous avons examiné l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador. Cet accord a été signé en 2005 par les Inuits du Labrador et par les gouvernements du Canada et de Terre-Neuve-et-Labrador. Il s’agissait d’un accord sur les revendications territoriales globales exhaustif, qui a permis de régler les questions concernant les droits de propriété des terres et des ressources des peuples autochtones, et de préciser un cadre de relation entre les trois parties signataires ainsi que leurs obligations respectives. Cet accord était appuyé par un accord de financement budgétaire de cinq ans qui prévoyait un soutien financier au gouvernement du Nunatsiavut. Cependant, même si selon cet accord, le gouvernement du Nunatsiavut avait des responsabilités dans le domaine du logement, l’absence d’un programme fédéral d’aide au logement pour les Inuits au sud du 60e parallèle limitait la capacité de ce gouvernement de s’acquitter de ses responsabilités en matière de logement.

[Traduction]

Le huitième et dernier facteur est la nécessité pour le gouvernement fédéral de vérifier s’il respecte ses engagements. Lors de notre vérification de 2014 sur le programme Nutrition Nord Canada, nous avions constaté que la stratégie de mesure du rendement d’Affaires autochtones et du Nord Canada prévoyait des indicateurs de rendement, comme le poids des aliments expédiés. Cependant, cette stratégie ne prévoyait aucun indicateur pour déterminer si l’intégralité des contributions était transférée aux consommateurs. Le ministère mesurait donc ce qui était facile à mesurer — la quantité d’aliments expédiés — et non ce qui était important : si ces aliments étaient distribués aux bénéficiaires visés et quel était l’effet du programme sur le prix des aliments subventionnés. À notre avis, il est essentiel que le gouvernement mesure son rendement et qu’il présente fidèlement ses résultats par rapport aux modalités des programmes afin de savoir si ses programmes améliorent la vie des gens.

Madame la présidente, nous espérons pouvoir contribuer aux réflexions de votre comité. C’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Ferguson. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici, messieurs.

Monsieur Ferguson, je veux me concentrer sur les aspects de la clarté et de la mesure dont vous avez parlé, notamment des énoncés clairs pour le service, des mesures appropriées et, je suppose, certaines conséquences ou la réaction si vous n’effectuez pas les mesures, parce qu’il n’est pas utile d’avoir des peuples autochtones qui peuvent dire en toute confiance qu’ils ne reçoivent pas les services, mais le fait qu’il n’en ressorte rien n’est pas plus utile. Il y a donc tout un continuum d’énoncés clairs, de mesures et de conséquences si les niveaux de service ne sont pas respectés.

Y a-t-il un endroit au sein du gouvernement du Canada où vous pourriez trouver un exemple que vous pourriez montrer aux responsables d’Affaires autochtones et du Nord ou du sous-ensemble chargé de la prestation des services? À défaut de cela, existe-t-il quelque part dans le monde d’excellents exemples que vous pourriez leur citer et qui les aideraient à élaborer ce qui doit être fait?

M. Ferguson : Merci. Malheureusement, à l’heure actuelle, rien ne me vient à l’esprit pour ce qui est du gouvernement fédéral. Je suis certain qu’il y en a, il faudrait que j’essaie de trouver un exemple. Par contre, c’est un thème que nous avons relevé dans plusieurs vérifications récemment. Nous avons fait une vérification des centres d’appel de l’Agence du revenu du Canada récemment et nous avons indiqué qu’il y avait une nette différence entre ce que l’Agence du revenu du Canada disait de son rendement par rapport à ce que nous avons constaté.

Pour mentionner un point davantage relié à votre étude, nous avons aussi publié récemment un rapport de vérification sur le programme d’hygiène buccodentaire des Premières Nations et des Inuits. Dans ce cas, même si nous avons constaté qu’il est bien connu que la situation des maladies dentaires dans ces populations est deux fois plus grave que dans le reste de la population canadienne, nous avons constaté que le ministère ne mesurait pas le rendement de son programme pour savoir si ce qu’il faisait avait réellement une incidence sur ce résultat du niveau des maladies dentaires. Le ministère exécute et administre le programme selon ses règles et le programme paie pour beaucoup de services, mais même après de nombreuses années et après que le ministère se soit engagé au moins deux fois à mettre en place un processus de mesure pour déterminer s’il atteint son objectif, rien n’indique qu’il y ait des améliorations.

Le ministère a effectivement mis en place un petit programme axé sur la prévention chez les enfants et certains indices laissaient croire que le programme avait une incidence, mais il n’était pas accessible à toutes les Premières Nations. De fait, selon les données fournies, l’inscription à ce programme était en baisse, même si le programme semblait connaître un certain succès.

Par conséquent, toute la question des ministères qui ne mesurent pas vraiment les résultats qu’ils obtiennent est un problème généralisé dans de nombreux ministères et programmes que nous vérifions.

Le sénateur Tannas : Compte tenu de cela, pensez-vous que certaines des solutions pourraient provenir du financement des particuliers pour leur permettre de demander les services quand ils en ont besoin? Est-ce parce que ce n’est pas un problème ou une question que le gouvernement devrait régler, mais bien un problème que les gens sont les mieux placés pour résoudre et que s’ils ont les ressources, ils peuvent le faire? Est-ce là le problème ou est-ce autre chose?

M. Ferguson : Je n’aborderai pas les options de politique. C’est le rôle du gouvernement et nous ne faisons pas de commentaires sur les politiques.

Le sénateur Tannas : Très bien.

M. Ferguson : Encore une fois, le message que nous continuons d’essayer d’envoyer à tous les ministères — et je pense que c’est particulièrement important dans ce dossier — est que lorsque les ministères exécutent des programmes et offrent des services aux gens, ils doivent comprendre ceci : quelle est l’expérience de cette personne lorsqu’elle accède au service, peut-elle accéder au service de la bonne façon, est-ce qu’elle estime qu’elle obtient le service que le gouvernement a dit qu’elle recevrait et est-ce que le service atteint le résultat qu’il est censé atteindre?

Donc, pour nous, fondamentalement, tous les ministères devraient examiner leurs programmes sous cet angle. Si, au bout du compte, ils constatent que les programmes ne donnent pas les résultats escomptés, c’est à ce moment-là que vous amorcez un débat pour savoir s’il s’agit de corriger la politique ou si l’on a mal mis en œuvre la politique. Fondamentalement, nous voyons trop souvent les ministères ne pas examiner le service ou la prestation du service du point de vue de la personne qui le reçoit.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous de votre travail.

Compte tenu de ce que vous avez présenté, les nombreuses vérifications que vous avez réalisées et les recommandations que vous avez faites, quel serait le meilleur conseil que vous pourriez nous donner ainsi qu’au gouvernement fédéral sur le genre de nouvelles dispositions fiscales qui pourraient combler les écarts socioéconomiques que vivent les collectivités autochtones et y a-t-il des recommandations d’après vous que nous pourrions faire pour faciliter l’étude que nous faisons sur la relation de nation à nation?

M. Ferguson : Vous avez utilisé l’expression « combler les écarts socioéconomiques ». Nous avons une vérification en cours qui examine la façon dont le gouvernement mesure et surveille l’écart socioéconomique. Comme nous ne l’avons pas encore terminée, je ne peux pas parler de nos constatations. Par contre, comprendre et pouvoir mesurer ce qu’est cet écart socioéconomique, c’est une chose, pouvoir savoir si le gouvernement a effectivement une incidence sur cet écart, c’est une autre chose.

Je vais revenir aux huit facteurs que j’ai mentionnés dans ma déclaration liminaire. Cependant, avant de le faire, je mentionnerai le fait que j’ai participé à différentes conférences — de l’Institut sur la gouvernance, par exemple — sur toute la relation de nation à nation. L’une de mes préoccupations est que le fait de l’encadrer comme une « relation de nation à nation » simplifie peut-être trop ce qui doit être fait, parce que, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, il y a plus de 600 collectivités et organisations des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Cela signifie que ce n’est pas tout simplement une conversation entre deux entités; il faut une façon de comprendre ce qu’est cette conversation. Même du côté du gouvernement fédéral — et je sais qu’il y a eu récemment un changement apporté aux deux ministères pour que l’un soit responsable des services et l’autre des relations —, mais, au fil du temps, il y a eu de nombreux ministères responsables du côté du gouvernement et ils ne relevaient pas non plus d’une seule direction. Tout cela a compliqué cette idée de relation de nation à nation. C’est le bon concept, mais je pense que c’est plus compliqué que de tout simplement dire « relation de nation à nation ».

Je veux encore une fois expliquer d’où viennent les huit facteurs. En 2011, ma prédécesseure, Sheila Fraser, a publié un rapport dans lequel elle cernait quatre obstacles que, sur une période de 10 ans, le bureau avait relevés et qui empêchaient la bonne prestation des services aux Premières Nations. Ces quatre obstacles étaient des énoncés clairs du niveau de service à offrir, un fondement législatif qui convient, une capacité locale de prestation de services ainsi qu’un financement stable et approprié. Il y avait un manque de financement approprié et stable, un manque de fondement législatif, un manque d’énoncés clairs sur le niveau de service et un manque de capacité locale de prestation de services.

Par la suite, nous sommes allés rencontrer les dirigeants de la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique, une organisation qui a réussi à s’établir. Nous voulions savoir comment ils avaient surmonté ces quatre obstacles lors de l’établissement de leur organisation. Je ne vais pas dire qu’une régie de la santé est nécessairement le meilleur exemple de ce qui peut en ressortir. Je ne le sais pas. C’est encore nouveau. Par contre, le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique et les organisations des Premières Nations ont réussi à créer cette régie. Pour ce faire, ils ont dû surmonter ces quatre obstacles. Par exemple, ils ont surmonté l’obstacle du financement en concluant une entente de financement de 10 ans. Le simple fait qu’ils créaient cette régie établissait la prestation locale de services.

Ils ont donc surmonté ces quatre obstacles, mais nous avons constaté qu’il ne suffisait pas seulement de surmonter les quatre obstacles pour connaître du succès; d’autres facteurs ont permis ce succès.

Le premier était une volonté politique soutenue, c’est-à-dire que toutes les parties ont participé à cette conversation pendant 10 ans pour que la régie soit créée.

Il y a eu agrégation. Les Premières Nations ont indiqué qu’il serait plus facile pour le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de négocier avec un interlocuteur plutôt que 200 Premières Nations. Cela a aidé à réduire la complication dans la conversation avec le gouvernement. Cela n’a pas réduit la complication pour les Premières Nations; il y en avait toujours 200, de sorte qu’elles se sont elles-mêmes assurées que cela fonctionnerait.

Il y a eu de véritables consultations, ce que nous ne voyons pas dans beaucoup d’autres programmes.

Par contre, la seule chose qui nous inquiétait au sujet de la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique, c’était qu’il s’agissait d’une nouvelle organisation qui tentait d’en assumer beaucoup tout à la fois et nous nous inquiétions du fait qu’elle ne disposait pas de structures de gouvernance solides. Elle avait du travail à faire pour mettre en place ces solides structures de gouvernance afin de ne pas compromettre le succès de la création de la régie.

Le huitième facteur, qui n’est pas vraiment issu de ce travail, est que le gouvernement fédéral doit en fait savoir s’il respecte ses propres engagements : est-ce que le gouvernement fédéral respecte les engagements qu’il a dit qu’il respecterait?

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Ferguson, à vous et votre équipe de faire la vérification des programmes et services fédéraux consacrés aux peuples autochtones. Je vous sais gré des huit facteurs que vous avez décrits dans votre exposé. Je pense qu’ils trouvent tous un écho en moi.

Avant de parler de vos huit facteurs, il y a quelques mentions que vous avez faites dans votre exposé et que j’aimerais que vous précisiez, si vous le pouvez. Premièrement, au paragraphe 6, vous avez parlé de la nécessité d’une perspective axée sur la résolution de problèmes. Deuxièmement, au paragraphe 7, vous dites à quel point il est important d’établir des relations matures entre le gouvernement fédéral et les peuples autochtones. Pourriez-vous préciser les raisons pour lesquelles vous estimiez qu’il fallait avoir une perspective axée sur la résolution de problèmes et des relations matures?

M. Ferguson : Encore une fois, aux paragraphes 5 et 6, je répète un message que j’ai donné en 2016, lorsque nous avons publié quelques rapports d’évaluation.

Il est important d’avoir une perspective axée sur la résolution de problèmes. C’est important dans le dossier dont nous parlons en ce moment, mais c’est important pour tous les programmes gouvernementaux afin de comprendre, encore une fois, ce que le programme est censé donner. Est-ce ce qu’il fait? Si ce n’est pas le cas, comment pouvons-nous faire en sorte qu’il fasse ce qu’il est censé faire? Trop souvent, nous constatons que cette perspective est absente.

Par exemple, je vais parler des revendications particulières. M. Martire peut m’aider à ce sujet. Encore une fois, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, le ministère des Affaires autochtones et du Nord a décidé qu’une façon de régler peut-être les revendications plus rapidement serait de mettre en place un processus distinct dans le cas des revendications de faible valeur, mais le ministère a décidé de lui-même ce qui constituait une revendication de faible valeur. Il n’a pas parlé aux Premières Nations de ce que représentait une revendication de faible valeur. Il n’a pas communiqué l’information qu’il a utilisée pour évaluer la revendication. Ensuite, à la fin, il a tout simplement envoyé une lettre à la Première Nation et a dit, essentiellement : « Voici ce que nous allons fournir », et ce, sans lancer une invitation à négocier de ce montant ou à en discuter, de sorte que les Premières Nations ont considéré qu’il s’agissait d’une offre à prendre ou à laisser.

Donc, dans ce cas, les dirigeants du ministère ont décidé de ce qu’ils voulaient faire, c’est-à-dire d’accélérer le règlement de ces revendications de faible valeur. En réalité, ils ont fini par empirer la situation au lieu de l’améliorer. Ils ont donc examiné la question du point de vue de ce qui accélérerait les choses pour Affaires autochtones et du Nord Canada. Il ne s’agissait pas de savoir ce qui accélérerait le processus du point de vue des personnes qui administrent le programme et des personnes qui présentent des revendications. Ils se sont posé une seule question : comment pouvons-nous accélérer notre processus?

L’autre chose était que dans le cas du processus visant les revendications particulières, ils ont déterminé qu’il fallait établir un service de médiation. Si une Première Nation n’était pas satisfaite du règlement, il allait y avoir une médiation. Mais ce service de médiation est mis sur pied au ministère des Affaires autochtones et du Nord. Donc, pour la Première Nation, elle ne considérait pas qu’il s’agissait d’une médiation réelle, indépendante, parce que le service était offert à l’intérieur du ministère des Affaires autochtones et du Nord. Le service n’a été utilisé qu’une fois.

Voilà ce que nous entendons par une perspective axée sur la résolution de problèmes. Joe, je ne sais pas s’il y a autre chose que vous voulez ajouter au sujet des revendications particulières.

Joe Martire, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : J’ajouterai simplement qu’il s’agit d’un bon exemple de la façon dont la volonté politique a été établie par le truchement de la réforme qui s’est amorcée avec La justice, enfin, où toutes les parties se sont entendues pour aller de l’avant. Maintenant, il revenait au ministère de prendre les principes établis dans La justice, enfin et de les mettre en œuvre grâce à sa conception et son exécution de programmes. Certains de ces principes concernaient tous le règlement des revendications, ce qui permet d’améliorer la réconciliation et les relations. Lorsque nous avons fait la vérification, nous avons constaté qu’au lieu de s’employer à améliorer la situation, les mesures qu’ils ont améliorées et dont le vérificateur général vient de parler ont en réalité entravé les négociations.

Ensuite, pour faire le lien avec les rapports dont nous avons parlé plus tôt, lorsque vous examinez sa façon de mesurer son succès, le ministère mesurait son succès au nombre de dossiers qu’il fermait. Fermer des dossiers, ce n’est pas l’équivalent de régler effectivement des revendications. Ils renvoyaient les dossiers d’où ils venaient. De plus, en réduisant le financement pour la recherche, cette obligation reviendrait à la Première Nation, mais l’obligation en suspens, reconnue comme une obligation juridique, existe toujours. Le coût lié à cela augmenterait au fil du temps.

Donc, tout ce qui visait à améliorer la relation par les mesures qu’ils mettaient en place a finalement eu l’effet contraire. Voilà un exemple concret, peut-être, d’une décision politique bien intentionnée par La justice, enfin. Il revenait ensuite au ministère de les mettre en œuvre et cette mise en œuvre a été essentiellement insuffisante.

Le sénateur Christmas : Monsieur Ferguson, pourriez-vous aussi nous parler de la nécessité de relations matures entre les parties?

M. Ferguson : Encore une fois, je pense que nous avons vu cela en divers endroits. Je pense que la création de la Régie de la santé de la Colombie-Britannique était l’exemple d’une relation mature réelle entre toutes les parties qui ont mis cela sur pied. Encore une fois, cette organisation doit s’assurer de connaître du succès, parce que c’est cette maturité des relations qui a permis aux parties de conclure cette entente.

Je pense que j’ajouterais — et M. McKenzie peut m’aider ici — que dans la négociation de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, une fois de plus, il y a beaucoup de bonnes choses qui ont fait partie de cette négociation. Mais même là, il y a des aspects à l’égard desquels j’estime que le gouvernement aurait peut-être dû mieux faire. Par exemple, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, le gouvernement du Nunatsiavut avait des responsabilités dans le domaine du logement, responsabilités qu’il a assumées, mais il ne disposait d’aucun moyen pour le faire. Il y a eu quelques programmes uniques, mais il n’y avait aucune façon générale pour ce gouvernement d’assumer toute cette responsabilité. Lorsque vous négociez avec une autre partie et que cette dernière assume une responsabilité, je pense que cela devient la responsabilité des deux parties de s’assurer qu’il sera possible pour cette partie de l’assumer. Dans le cas du logement, ce mécanisme n’existait pas.

Encore une fois, l’autre chose est qu’à l’instar de la médiation dont j’ai parlé plus tôt au sujet des revendications particulières, ils ont mis en place un mécanisme de règlement des différends dans l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador. Cependant, même s’il y avait des différends sur des questions comme la pêche à la crevette et quelques autres choses, aucun n’est passé par le mécanisme de règlement des différends, ce qui, encore une fois, je pense, vous indiquerait que les parties n’étaient peut-être pas prêtes à faire confiance au règlement des différends et que l’une ou l’autre des parties ne voulait pas vraiment le faire par le biais du règlement des différends. Encore une fois, dans le cas d’une relation mature, je pense qu’on établirait un mécanisme de règlement des différends et qu’on lui donnerait ses pouvoirs. Alors les parties se feraient confiance et auraient confiance dans ce mécanisme.

Je pense qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour s’assurer que, dans certaines de ces choses, il y a vraiment une relation mature pour déterminer qui sera chargé de quoi et comment nous savons que cela va se faire.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Ferguson.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je suis heureuse que vous soyez ici.

Je m’intéresse depuis de nombreuses années à la nutrition et la santé, une vie active et en santé. Je me demande : lorsque vous avez fait votre examen du programme Nutrition Nord, vous avez déjà mentionné aujourd’hui que la mesure des résultats n’était pas vraiment faite de façon appropriée. Pourriez-vous nous parler de ce programme sous l’angle de la façon dont l’alimentation et la valeur nutritionnelle de ce que nous subventionnons pour le Nord sont déterminées? Y a-t-il eu des consultations suffisantes auprès des populations autochtones dans le Nord pour nous assurer que ce que nous envoyons était compatible avec les aliments traditionnels plutôt que de tout simplement envoyer ce à quoi les non-Autochtones vivant dans le Nord étaient habitués, c’est-à-dire les aliments du Sud? J’ai toujours été préoccupée par le fait qu’il doit y avoir un lien entre la nutrition et la qualité des aliments. À mesure que les populations autochtones passent à l’alimentation du Sud, aux aliments transformés, aux boissons gazeuses et à ce genre de choses, l’incidence sur leur santé buccodentaire est probablement liée. Dans le cadre de votre vérification, y a-t-il moyen de lier les subventions dans le domaine de l’alimentation que nous leur donnons au programme de santé buccodentaire? Ce sont deux vérifications distinctes; je le reconnais.

M. Ferguson : Je vais commencer, puis je demanderai à M. Wheeler de fournir des détails sur la vérification Nutrition Nord.

Dans Nutrition Nord, le but ou l’objectif du programme était de subventionner des aliments nutritifs. Cela faisait partie de la conception du programme afin d’essayer de fournir des aliments nutritifs. Bien sûr, il s’agit ensuite de définir ce que sont des aliments nutritifs et je vais laisser M. Wheeler vous en parler.

En ce qui concerne la vérification des programmes de santé buccodentaire, nous avons recensé de nombreux éléments qui expliquent pourquoi il s’agit d’un défi important au sein de ces populations. Vous parlez de populations éloignées qui ne sont pas toujours près des services dont elles ont besoin et qui n’ont peut-être pas toujours accès à des aliments nutritifs. Il y a plusieurs contextes de ce genre, mais nous n’avons pas pu établir directement un lien avec les résultats de la santé buccodentaire.

C’est la raison pour laquelle notre principale préoccupation était qu’il y avait suffisamment d’indications que sur une période d’environ 15 ans, la santé buccodentaire ne s’améliorait pas, ce qui faisait partie de l’objectif du programme. Nous estimions que le ministère devait faire beaucoup plus pour tenter de déterminer ce qu’il faudrait faire pour essayer d’améliorer les résultats en matière de santé buccodentaire. Peut-être que cela pourrait remonter jusqu’à la question de savoir si une partie du problème est liée à la consommation d’aliments.

Je vais demander à M. Wheeler de parler du programme Nutrition Nord Canada.

Glenn Wheeler, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs, nous avons constaté que le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada a effectivement fait un bon travail. Il a entrepris des consultations exhaustives auprès de Santé Canada afin de déterminer quels aliments étaient les plus nutritifs selon le Guide alimentaire. Il a déterminé les aliments nutritifs qui étaient admissibles à ce que l’on appelait la totalité de la subvention et les aliments moins nutritifs qui n’étaient admissibles qu’à une partie de la subvention. Il s’agissait d’un mécanisme qu’utilisait AINC pour encourager le programme à se concentrer sur les aliments nutritifs. Nous avons d’ailleurs fait des observations positives à cet égard.

Pour ce qui est des aliments traditionnels, la dynamique était un peu différente. Nous n’avons pas en réalité inclus les aliments traditionnels dans notre vérification, la raison étant que beaucoup d’aliments traditionnels sont produits dans le Nord. Il y a d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte quant à la façon dont ces aliments sont produits et fournis aux collectivités. Nous n’avons donc pas inclus cet aspect dans la vérification.

La sénatrice Raine : D’après ce que vous venez de dire, Santé Canada a déterminé ce qui était nutritif, probablement en fonction d’aliments provenant du Sud, notamment des fruits et légumes frais, du lait entier et ce genre de choses, aliments qui sont très difficiles à expédier dans le Nord et à livrer aux collectivités éloignées. Mais ils n’ont peut-être pas pensé à expédier des choses comment les magnifiques légumineuses que nous cultivons au Canada et que l’on peut expédier sèches, que l’on peut entreposer pendant de longues périodes et que l’on peut ajouter comme éléments nutritifs supplémentaires à des aliments comme la viande de gibier et le poisson et pour la fabrication traditionnelle de ragoûts, de soupes et de choses du genre. Ce serait relativement peu coûteux.

J’appellerais cela : « Voyons ce qui fonctionne pour le Nord par des gens qui ont vécu des centaines de milliers d’années dans le Nord et qui savent comment vivre peut-être plus sainement avant d’être initiés à la nourriture du Sud .» Ce qui me préoccupe le plus, c’est que l’introduction du sucre raffiné dans le régime alimentaire des gens du Nord a certainement donné de piètres résultats. J’aurais pensé que le programme Nutrition Nord Canada aurait pu faire l’objet d’une vérification afin de déterminer si ces facteurs avaient été pris en compte.

M. Wheeler : La liste des aliments admissibles et des aliments entièrement subventionnés se fondait sur le Guide alimentaire canadien, oui, qui est un document élaboré en fonction d’un régime alimentaire principalement du Sud. Notre vérification n’a pas permis d’entrer dans les détails que vous suggérez. Cependant, une des choses que nous avons relevées au cours de notre vérification, c’est que le ministère s’était engagé à examiner continuellement la liste des aliments désignés entièrement subventionnés par rapport à ceux qui sont partiellement subventionnés. J’ose espérer que dans le cadre de cet examen, le ministère étudiera différents aliments et d’autres solutions de rechange à l’avenir. Nous n’avons tout simplement pas atteint ce niveau de détail dans notre travail de vérification.

La sénatrice Raine : Merci.

La sénatrice Boniface : Merci à nos témoins, en particulier d’avoir exposé les huit facteurs. Cela nous est extrêmement utile.

Je voulais mettre l’accent sur la volonté politique soutenue. L’un des exemples que j’aimerais citer est votre vérification sur les services de police des Premières Nations. J’ai des antécédents dans ce domaine. D’après mon expérience, j’ai été frappée par ce que j’appelais autrefois le remaniement fédéral-provincial qui se produit lorsque vous essayez d’amener des parties à la table pour offrir un service dans les collectivités, en particulier lorsque le financement accuse un tel retard par rapport aux collectivités non autochtones. En prenant cet exemple, comment établir la confiance à la table pour faire en sorte que les parties puissent réellement travailler ensemble? Comme vous le savez, dans l’histoire, dans le cadre d’un partage 52-48, différents gouvernements ont des intérêts différents à différents moments dans le temps. Parce que l’écart est tellement minime dans un partage 52-48, il est souvent difficile d’obtenir qu’ils s’entendent sur l’objectif de même que le résultat. Cet aspect m’intéresse beaucoup, en prenant ce programme comme exemple.

M. Ferguson : Pour ce qui est de la façon de le faire, je ne suis pas nécessairement certain. L’importance, par contre, est évidente.

Si vous revenez à l’établissement de la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique, les trois parties étaient à la table, elles comprenaient ce qu’elles essayaient d’atteindre et elles sont restées à la table. Une partie de cette relation mature est que le gouvernement fédéral et les provinces unissent leurs efforts pour tenter de mettre en place ces choses.

Je vais laisser M. Martire parler des détails du maintien de l’ordre, mais l’une des choses que nous avons constatées, c’est qu’il était censé y avoir une négociation de ces accords sur les services de police. Cependant, dans bien des cas, la Première Nation a reçu un accord de services de police au cours du dernier mois avant l’échéance du précédent et ont essentiellement dit : « Signez ceci, sinon vous n’aurez aucun service de police ». C’était une autre approche du genre « à prendre ou à laisser .» Ce sont là des signes qu’il ne s’agit pas d’une relation mature, dont j’ai parlé plus tôt.

Je vais maintenant spéculer. Je vais peut-être aller plus loin que je le devrais, mais bien souvent, lorsqu’il s’agit du côté fédéral-provincial-territorial de ce genre de questions, au lieu de dire : « Que devons-nous faire pour résoudre le problème, puis trouvons le moyen de le régler », ils se préoccupent d’abord de comment on va le payer. Parce qu’ils ne peuvent pas s’entendre sur la façon dont c’est payé et qui paye quoi, ils ne parviennent pas à l’aspect : «Voici ce que nous devons faire pour régler le problème .» Encore une fois, c’est la raison pour laquelle j’ai dit à maintes reprises que la première chose à faire, c’est de déterminer quel service doit être fourni et comment il peut être bien fourni. Ensuite, il s’agit de savoir comment payer. Bien entendu, tous les services doivent être abordables, mais le point de départ doit être de savoir le genre de service dont on a besoin, ensuite comment nous pouvons le structurer de façon à ce qu’il soit abordable.

Je vais demander à M. Martire de parler davantage de la vérification de l’aspect policier.

M. Martire : Avec ce programme, comme pour de nombreuses vérifications, nous avons tendance à examiner la conception du programme, l’exécution du programme ainsi que la mesure et la communication des résultats du programme. Celui-ci a été mis en œuvre au début des années 1990, en réaction aux événements de l’époque, comme beaucoup de gens dans cette salle le savent. Il s’agissait d’un programme amélioré de services policiers; il ne visait pas à remplacer un programme existant.

Encore une fois, on a fait du bon travail en ce qui a trait à l’établissement du cadre législatif et des principes de ce que ce programme était censé faire. Au départ, il y avait en fait plus de financement que ce dont on avait besoin. Au fil du temps, cela a changé et les choses se sont embrouillées.

Lorsque nous avons fait la vérification, il y avait beaucoup de confusion quant à l’objectif réel du programme. Encore une fois, cela vous ramène à la conception du programme. Lorsque nous avons rencontré les chefs de police des services de police des Premières Nations, ils nous ont essentiellement dit qu’ils étaient sur le terrain. Mais quand on se penche sur le programme, ce n’était pas son intention. Le programme visait à compléter et améliorer les services policiers existants, et non à les remplacer.

Cela fait ressortir, encore une fois, l’importance de réunir les parties, grâce à des ententes tripartites, étant donné qu’il s’agit là de l’instrument dont il est question. Même dans le cas de la régie de la santé en Colombie-Britannique, il s’agit essentiellement d’une entente tripartite.

Pour ce qui est des services de police, un certain nombre d’examens ont été menés. Les Premières Nations ont présenté leur point de vue, mais elles ont été déçues parce qu’elles n’ont jamais eu de rétroaction au sujet de ce qui s’était produit, et que les choses n’ont pas changé. À la fin de l’année, on leur a essentiellement remis l’accord de l’année précédente et on leur a demandé de le signer, sans quoi elles n’obtiendraient pas le financement. Cela a, encore une fois, trait aux relations et, malheureusement, à une détérioration et non pas à une amélioration de celles-ci.

C’est donc dire que lorsque nous nous sommes attaqués à ce travail, nous nous sommes dit : « D’accord, voici les principes dont on avait convenu à l’intérieur du cadre. Comment ont-ils été mis en œuvre et comment en a-t-on rendu compte? » C’est là que les problèmes ont commencé à apparaître.

La bonne nouvelle, c’est que dans deux des trois provinces où nous sommes allés, ces principes ont été respectés, de sorte que les services de police ont été reconnus comme tels. En Ontario, par ailleurs, les ententes de service ne prévoyaient pas une telle reconnaissance, ce qui a suscité une certaine ambiguïté. Celle-ci a été la source de problèmes réels pour la sécurité des Premières Nations, les membres des collectivités et les policiers eux-mêmes, du point de vue des normes qu’ils devaient respecter, ainsi que des conditions dans les unités de détention, notamment. Rien de tout cela n’était régi par un cadre législatif.

Nous n’avons pas suivi les événements récents, mais dans le cadre de cette entente tripartite, je crois qu’il a été annoncé que ce programme avait été amélioré. Je pense qu’il s’agit d’un domaine où des progrès sont réalisés, mais le temps nous dira si cela améliore réellement la sécurité des gens dans les collectivités, ce que visait le programme dans les faits.

Le sénateur Doyle : Monsieur Ferguson, j’ai noté dans votre rapport sur les Inuits du Labrador, et vous l’avez mentionné aussi il y a quelques minutes, que les pêches représentent un point de discorde entre les Inuits et le gouvernement fédéral. Il en est ainsi depuis un certain nombre d’années, tout comme avec les gouvernements provinciaux successifs. Est-ce que les Inuits ont fait des percées dans le dossier des pêches fédérales depuis votre rapport initial? Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous nous dire quelle serait une façon pour les Inuits du Labrador de résoudre ce problème qui semble se poser depuis pas mal de temps déjà?

M. Ferguson : Encore une fois, je vais intervenir en premier, puis je vais demander à M. McKenzie de vous faire part de ce qu’il sait concernant ce qui s’est passé depuis.

La première chose, je suppose, c’est que nous ne nous attendons pas à ce que ce genre d’entente soit parfaite à 100 p. 100. Une entente est conclue, et les parties font de leur mieux pour la respecter, mais il arrive parfois que des problèmes imprévus se posent, auxquels on n’avait pas complètement réfléchi, ou qu’on n’avait peut-être pas pris en considération dans une optique particulière, ce qui peut entraîner un différend. Dans ce cas, un différend est survenu au sujet de la pêche à la crevette, de même que des récoltes à l’échelle locale. Le fait est que cela aurait pu être résolu en partie plus tôt, mais il reste que ce genre de différend est appelé à se produire.

Je pense que ce qui nous inquiétait le plus, dans le cas de la pêche à la crevette plus particulièrement, c’est le fait que le différend remontait à loin et qu’il n’avait pas été réglé. La position du ministère semble avoir changé. Au départ, elle semblait correspondre davantage à celle du gouvernement du Nunatsiavut, mais elle a évolué par la suite. Toutefois, ce que nous craignions vraiment, c’était l’impossibilité de régler le différend. Même si l’entente comportait un mécanisme de règlement des différends, les parties n’étaient pas prêtes à y avoir recours, de sorte que le différend s’est poursuivi sans que l’on puisse le résoudre.

Je vais demander à M. McKenzie de donner plus de détails au sujet de ce que je viens de dire ou de vous faire part de tout autre élément dont il aurait pu prendre connaissance à ce sujet.

James McKenzie, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : En ce qui concerne la question des pêches, je mettrais peut-être l’accent sur l’accès à la pêche à la crevette. C’est intéressant parce que, pour revenir au point 6 de la déclaration d’ouverture du vérificateur général où il mentionnait qu’il était important d’adopter une perspective axée sur la résolution de problèmes, je crois qu’il s’agit d’une cause sous-jacente ou d’un facteur qui a empêché que des progrès soient réalisés dans ce domaine. Le gouvernement avait pris le parti d’examiner la façon dont il interprétait les obligations. Il existe des politiques au gouvernement fédéral, et à d’autres niveaux, comme à la Cour suprême, par exemple, qui ont incité le gouvernement fédéral à se pencher sur l’objectif des obligations, sans l’obliger nécessairement à les traiter de façon raisonnable. Il se peut dans ce cas que l’on ait affaire à une interprétation étroite, qui n’a pas réellement tenu compte des résultats attendus.

D’après ce que j’ai compris, depuis le dépôt de l’audit, le ministre a établi un comité consultatif chargé d’examiner la politique relative au principe du dernier entré, premier sorti, qui était en place. Il s’agissait d’une cause sous-jacente du différend entre les Inuits du Labrador et le gouvernement fédéral. Essentiellement, aux termes de cette politique, si vous étiez l’un des derniers à être entrés dans le secteur de la pêche, et s’il y avait des restrictions ou une diminution des quotas, vous étiez l’un des premiers à en sortir. Les Inuits estimaient que, du fait de la contiguïté, de la pratique historique de la pêche et des obligations précises énoncées dans l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, cette politique du dernier entré, premier sorti n’avait pas lieu de s’appliquer. Si je ne me trompe pas, le comité consultatif a recommandé au ministre d’annuler la politique, et j’aimerais signaler quelque chose que j’ai trouvé très intéressant dans sa décision. La pêche était traditionnellement pratiquée par des organisations et des entreprises de pêche et ce n’est qu’avec le temps, au fur et à mesure qu’ils ont développé une capacité, que les Inuits du Labrador se sont lancés dans l’exploitation de la ressource. Toutefois, étant donné qu’ils se retrouvaient derrière les organisations de pêche traditionnelle, pour ainsi dire, ils figuraient de toute évidence parmi les premiers à sortir, ayant été parmi les derniers à entrer. Je trouve cela intéressant, le comité consultatif ayant indiqué que la politique ne tenait pas compte des situations comme celle qui mettait les Inuits du Labrador, ainsi que d’autres, dans une position où ils faisaient partie des derniers entrés. Un décalage dans le temps a fait en sorte que les conditions et les circonstances ont changé.

De toute évidence, la pêche est un secteur très difficile à gérer, et il y a beaucoup d’intérêts concurrents. Je pense qu’il s’agissait d’une décision importante, du fait qu’elle reconnaissait qu’il fallait tenir compte du décalage entre la capacité des Autochtones de se lancer dans l’exploitation de la ressource et celle des autres intervenants du secteur, et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la politique change avec le temps pour tenir compte de ce genre de circonstances. Je trouve cela, tout à fait, intéressant.

Je crois comprendre que le ministre a accepté les recommandations du comité consultatif. Je ne sais pas exactement ce que cela signifie sur le terrain, mais d’après ce que j’ai compris, les Inuits du Labrador avaient fait pression pour signifier leur désaccord à l’égard de la politique. Je pense qu’ils ont bien accueilli les recommandations. Il est intéressant de voir que la situation a changé et que le gouvernement fédéral, en s’occupant davantage de la façon de résoudre le différend, plutôt que d’interpréter de façon restrictive les obligations de l’entente, s’est concentré sur le problème et les résultats à atteindre. Cela semble avoir contribué à résoudre une partie du différend.

Le sénateur Doyle : Dans le rapport, vous avez noté que les Inuits avaient des problèmes concernant les dépenses de logement. J’ai eu l’impression que les domaines de compétence n’étaient pas clairs et que le financement était insuffisant. Pouvez-vous nous dire quel devrait réellement être le niveau de financement dans ce domaine particulier? Le problème se pose depuis un certain nombre d’années déjà.

M. Ferguson : Je vais demander à M. McKenzie de préciser, mais oui, la question fondamentale était que, dans le cadre de l’accord de financement budgétaire, le gouvernement du Nunatsiavut s’était vu confier la responsabilité du logement, sans qu’il existe un programme fédéral permettant d’assurer le financement approprié et stable dont j’ai parlé plus tôt. Aucun programme n’était prévu au sud du 60e parallèle. Un certain financement a été versé, mais il n’y avait pas de congruence entre le fait de confier la responsabilité du logement au gouvernement du Nunatsiavut et les moyens mis à sa disposition pour s’en acquitter. M. McKenzie pourrait vous préciser cela davantage.

M. McKenzie : Cela concerne en partie l’accord de financement budgétaire qui a été conclu entre le gouvernement fédéral et les Inuits du Labrador, qui a joué un rôle important pour ce qui est de fournir aux Inuits du Labrador la capacité et les moyens de soutenir leur autonomie gouvernementale.

Il est intéressant de noter que le gouvernement fédéral, la province de Terre-Neuve-et-Labrador et le gouvernement du Nunatsiavut ont collaboré pour mener une étude sur les besoins de logement. Celle-ci a démontré qu’il existait des problèmes importants en ce qui a trait au nombre de logements, mais elle a aussi fait état des réparations qui s’imposaient, des lacunes graves ayant été notées dans la qualité du logement.

Comme vous l’avez mentionné, il y avait un problème au chapitre des compétences. Le financement allait à la province, puis au gouvernement du Nunatsiavut, ce dernier étant d’avis qu’il avait la capacité et les ressources nécessaires pour gérer ces enjeux directement. D’après ce que j’ai compris, en 2016, le gouvernement fédéral a annoncé du financement pour le logement dans son budget, et 15 millions de dollars ont été alloués au gouvernement du Nunatsiavut pour qu’il s’attaque aux problèmes de logement. Je crois comprendre qu’il y a eu quelques accrochages au départ, parce que le financement devait passer par la province, dans un sens, mais je crois que la situation s’est redressée depuis et que le financement va au gouvernement du Nunatsiavut. Celui-ci s’en sert pour résoudre certains des problèmes cernés dans l’étude sur le logement menée par lui-même, le gouvernement fédéral et la province.

Le sénateur Doyle : Merci.

La présidente : À titre de précision, je crois que les changements dans l’accord de financement sont le résultat des travaux de ce comité, du rapport et des recommandations que nous avons soumis aux ministres à ce sujet.

La sénatrice McCallum : Merci d’avoir accompli tout ce travail et d’avoir fait entendre votre voix après avoir examiné toutes les questions dont vous avez été saisis. Il s’agit d’une tâche très ardue.

Je vais revenir à certains commentaires des différents sénateurs. J’aimerais vous mentionner que je suis dentiste de profession. J’ai travaillé sur le terrain, à contrat, pendant de nombreuses années, mais aussi comme responsable en chef des soins dentaires pendant quatre ans, ce qui fait que j’ai pu prendre connaissance, à la fois, des politiques et des obstacles que les Premières Nations doivent surmonter en matière d’autonomie gouvernementale et lorsqu’elles tentent de faire des progrès, dans un contexte de financement inapproprié et de ressources humaines insuffisantes.

Tout d’abord, il y a eu une question sur les initiatives menées à d’autres endroits ou d’autres pays dont nous pouvons nous inspirer. À cet égard, je tiens à réaffirmer que les relations avec les Premières Nations sont spéciales et qu’il y a des droits issus de traités en cause, ce qui complique les progrès à ce chapitre.

Ma deuxième observation porte sur la santé buccodentaire au sein des Premières Nations et sur le fait qu’on y retrouve deux fois plus de problèmes de santé dentaire. Je travaille auprès d’elles, et lorsque je me rends dans une collectivité pour la semaine, j’ai environ 25 rendez-vous à offrir. Il arrive parfois que de 200 à 300 personnes se présentent. Les soins que nous dispensons sont tous des soins d’urgence et nous ne pratiquons jamais d’interventions poussées.

L’amélioration de la santé buccodentaire des Premières Nations contribue à l’amélioration de l’état de santé général. Dans le contexte de la prestation de soins d’urgence, nous avons éduqué les gens pour qu’ils consultent uniquement lorsqu’ils ont mal. En ce qui concerne l’amélioration de la santé des Premières Nations, nous devons nous pencher sur la façon de fournir des soins complets, de faire participer les gens au plan de traitement que nous établissons avec eux et de leur faire accepter ce plan. Leur responsabilité première est de s’assurer d’obtenir les soins dont ils ont besoin, mais ils en ont été privés par les pensionnats autochtones et d’autres politiques qui ont été adoptées.

C’est donc dire que lorsque je traite des gens des Premières Nations, je dois tenir compte des déterminants sociaux de la santé. Cela m’amène à parler de Nutrition Nord Canada. Lorsqu’un patient vient me consulter, je dois prendre en compte les déterminants sociaux de la santé qui ont des répercussions sur sa santé buccodentaire. Le problème n’est pas uniquement un problème bactérien. Il y a aussi un problème d’itinérance, par exemple. Ces personnes vont de logement de fortune en logement de fortune et n’ont pas toujours accès à des denrées fraîches, même lorsqu’elles sont âgées, parce qu’elles n’ont pas l’impression que leur contribution au ménage est suffisante.

Lorsque vous vivez dans une maison où il n’y a même pas d’armoires, vous n’avez pas non plus de verre où mettre votre brosse à dents. Où gardez-vous votre brosse à dents? Elle peut se retrouver n’importe où dans la maison, et il arrive parfois qu’elle soit jetée dans les toilettes par les enfants. Mes étudiants me disent : « Mon petit frère a jeté ma brosse à dents dans les toilettes .» Les mères me disent : « Pourquoi se préoccuper d’une brosse à dents alors que nos besoins de base ne sont même pas comblés? »

Il y a aussi le chômage. Ces personnes ne peuvent pas se payer de nourriture ni de brosse à dents. Il y a la violence, les dépendances, le coût de la nourriture, tous des éléments qui ont des répercussions sur la façon dont les gens prennent soin d’eux-mêmes et sur leurs compétences de vie, qui sont aussi un autre déterminant de la santé.

Lorsque je me rends dans une collectivité qui reçoit la visite de quatre dentistes à tour de rôle, je constate qu’il n’y a pas de continuité dans les soins. Cela contribue à diminuer l’accès aux soins dentaires, parce que les patients n’arrivent pas à établir un niveau de confiance suffisant à l’endroit des fournisseurs de soins. Lorsque l’accès aux soins dentaires est réduit et qu’il se limite aux soins d’urgence, cela a pour effet de rendre un grand nombre de personnes moins fonctionnelles parce qu’elles n’ont plus de dents. Comment pouvez-vous, par exemple, mastiquer la nourriture à laquelle vous avez accès lorsque vous n’avez pas de dents?

Je suis sans voix, tellement j’ai parlé de mes problèmes. Comment peut-on envisager même un début de solution? Ces personnes n’ont pas l’impression d’avoir le droit d’exprimer leurs préoccupations et, parfois, compte tenu de leur peu de compétences en littératie, elles ne le peuvent pas.

Les données présentées par Santé Canada sont des données quantitatives. J’ai consulté le rapport. En fournissant des données quantitatives, les responsables reconnaissent qu’ils n’ont pas réussi à rassembler les données nécessaires pour produire un vrai rapport, alors comment peuvent-ils dire que la situation s’est améliorée? Ils ne peuvent pas, parce qu’il n’y a pas de statistiques qualitatives disponibles.

Les données quantitatives se fondent sur la rémunération à l’acte. C’est donc dire que lorsque je me rends là-bas, plus les interventions que je fais sont coûteuses, comme des traitements de canal ou des chirurgies, plus mon indemnité quotidienne est élevée. Si je fournis les soins dont les gens ont besoin, des soins de restauration, mon indemnité quotidienne baisse. Je travaille beaucoup, mais la rémunération que je reçois est une rémunération à l’acte qui fait partie d’un système qui n’a jamais fonctionné. C’est pour cette raison que le programme de soins dentaires avait été mis en place, parce qu’on savait que la rémunération à l’acte ne fonctionnerait pas dans les collectivités des Premières Nations. C’est le modèle qui est utilisé à l’heure actuelle, et la situation ne semble pas vouloir changer. J’ai reçu le nouveau contrat, et je constate que le fardeau du dentiste augmente encore davantage. Nous devons déterminer à l’avance une grande partie des indemnités, et celles-ci ont augmenté. C’est donc dire que notre capacité de fournir des soins en régions éloignées diminue de plus en plus.

Il y a l’Initiative en santé buccodentaire des enfants, et je travaille dans une région où elle est appliquée depuis 10 ans. On a assisté à une augmentation des soins sous anesthésie générale, ce qui montre qu’elle ne fonctionne pas. Je ne sais pas comment on est arrivé à la conclusion qu’elle donnait de bons résultats. L’Initiative en santé buccodentaire des enfants repose sur des gens qui ne sont pas qualifiés, ne sont titulaires d’aucune certification et ne relèvent d’aucun organisme de supervision. Ces personnes n’ont aucune certification. Elles s’occupent des Premières Nations, et ce n’est qu’en territoire autochtone que de telles choses se produisent. Nous avons soumis la question à la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits au Manitoba, mais ils ne s’en sont pas occupés.

Parmi les autres solutions qui ont été proposées figurait le versement du financement aux Autochtones pour qu’ils gèrent certains de leurs programmes. Je travaille auprès de Premières Nations qui participent au processus de transfert du contrôle des programmes, qui fonctionne selon un modèle de financement global, ainsi qu’un modèle de financement préétabli. Cette Première Nation participe au processus de transfert depuis 25 ans. Lorsque j’ai commencé à travailler auprès d’elle, en 2013, de nombreuses décisions étaient prises unilatéralement par les représentants du gouvernement qui s’occupaient de gérer le programme. Il s’agissait donc d’un simulacre de transfert. Nous les avons rencontrés, puis nous avons écrit une lettre à la ministre Philpott et au premier ministre Trudeau concernant les problèmes de structure de gouvernance de ce processus. Le financement était tellement insuffisant que j’étais la seule dentiste à temps partiel à fournir des services à 12 000 personnes, en raison du manque d’argent pour faire venir d’autres dentistes au besoin.

Il est donc très frustrant d’examiner cette question de gouvernance dans le contexte du modèle qui est en place. Quand je pense à ce qui s’est détérioré dans nos rapports avec le gouvernement, je me rends compte que c’est la confiance. Il s’agit de problèmes de silos entre les secteurs de compétence que le gouvernement a créés. Lorsqu’il est question de gouvernance, c’est avec Affaires indiennes et du Nord Canada qu’il faut traiter, pour la santé, c’est la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, et pour ce qui est des problèmes de santé des membres des Premières Nations incarcérés, c’est le ministère de la Justice. Force est de constater que personne n’a été en mesure de réunir tout le monde autour de la table pour dire : « Comment allons-nous résoudre cela? » Dans le contexte historique des revendications territoriales, et je parle du continuum de transfert et du conflit d’intérêts que cela suscite, lorsqu’il est question de ces rapports de gouvernement à gouvernement, il est aussi question de dévolution dans un grand nombre de ministères. Qu’est-ce qui pourrait motiver les gens qui y travaillent à nous aider à aller de l’avant?

Les remarques finales concernent l’entente de la Colombie-Britannique. J’ai examiné l’entente de la Colombie-Britannique, car ils ont pu obtenir une licence et faire en sorte que les thérapeutes dentaires travaillent dans leur collectivité selon un accord tripartite. Nous avons essayé de faire la même chose au Manitoba, mais nous n’y sommes pas arrivés, car l’Association dentaire s’oppose à ce que les thérapeutes dentaires soient reconnus au Manitoba. C’est là l’un des problèmes également.

Si l’on considère la volonté politique soutenue dont elle bénéficie, c’est la seule province avec des traités modernes. Si l’on se tourne vers les autres provinces, on y trouve 11 traités différents. Puis, vous dites qu’on parle d’une seule voix en Colombie-Britannique. Pourtant, il y aura de nombreuses voix dans tout le Canada. Il est tout simplement impossible de parler d’une seule voix, car cette voix ne peut pas représenter tout le monde et elle ne l’a jamais pu. Cela nous a apporté plus de problèmes de santé et je crois que cela a mené à — je ne sais pas si je dois utiliser le mot « racisme » contre les Premières Nations —, mais les gens semblent nourrir une perception selon laquelle tout cela est la faute des Premières Nations, que nous sommes où nous sommes parce que nous avons choisi de vivre de l’aide sociale ou choisi d’être paresseux ou choisi d’être ce qu’ils veulent nous appeler. Dans les faits, nous sommes incapables d’assumer des responsabilités parce que le gouvernement a les mains liées et qu’il n’a pas trouvé la façon de fonctionner malgré toutes les contraintes.

La question que je vous pose vient de l’Institut sur la gouvernance. Comment notre compréhension de la relation que je viens de décrire et dont j’ai personnellement fait l’expérience de différentes façons doit-elle être modifiée ou peaufinée afin qu’elle tienne compte de la place spéciale qu’occupent les Premières Nations au Canada? Je sais qu’il ne s’agit pas d’une question à laquelle vous pouvez répondre en ce moment et que la réunion d’aujourd’hui ne suffira pas, ne serait-ce qu’à terminer la conversation que nous avons amorcée. Je ne fais pas partie du comité. Je remplace quelqu’un. Je sais qu’ils ont travaillé vraiment fort. Merci beaucoup. C’est la première fois que je viens ici et je ne veux offusquer personne. C’est là ma question et je ne sais pas quelle est la prochaine étape.

La présidente : Le vérificateur répondra à votre question.

La sénatrice McCallum : D’accord.

M. Ferguson : Merci. Nous effectuons la vérification des ministères du gouvernement fédéral, souvenez-vous. C’est là notre mandat, effectuer la vérification des ministères du gouvernement fédéral. Alors, nous relevons essentiellement ce que les ministères du gouvernement fédéral ne font pas et qu’ils devraient faire.

Vous avez mentionné bon nombre de choses, dont par exemple les droits issus de traités. Lors de la vérification que nous avons effectuée sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, nous avons tenté de relever combien d’obligations découlant du traité il y avait pour le gouvernement fédéral. On ne disposait pas d’une liste complète de toutes les obligations qui découlaient du traité. On s’efforçait de la faire. Il y avait un système en place et on essayait de l’alimenter. Mais on ne connaissait pas les obligations et on ne s’entendait pas sur quelle obligation relevait de quel ministère. Alors, pour le gouvernement fédéral, il y a un point de départ. En tout premier lieu, on devrait avoir une liste des obligations fédérales en vertu des traités et une façon de voir si elles sont respectées.

En ce qui a trait au programme buccodentaire que nous venons d’examiner, oui, une fois de plus, le ministère payait essentiellement des services et il payait beaucoup de services, mais les services pour lesquels il payait étaient du genre de ceux dont vous parliez, comme les extractions et ce type d’intervention. Il y avait certaines indications selon lesquelles l’Initiative en santé buccodentaire des enfants, l’ISBE, faisait en sorte de réduire le nombre de caries, mais ce n’était qu’une indication. Une fois de plus, on ne disposait pas de données sur les effets qu’auraient les services préventifs sur la santé dentaire générale, pas plus qu’on ne comprenait s’il fallait utiliser des traitements préventifs ou restauratifs, ou encore si d’autres facteurs entraient en jeu, comme les facteurs socioéconomiques, qui font que peu importe le genre de programme buccodentaire qu’on instaure, on ne voit jamais d’amélioration. On ne possède pas ce genre d’information. Ce que les fonctionnaires savent, c’est qu’ils reçoivent de nombreuses réclamations tous les jours et ils reçoivent des demandes pour certaines procédures qu’ils doivent soumettre à un processus pour savoir s’ils paieront la facture. C’est cela, le programme qu’ils gèrent, plutôt qu’un programme réellement axé sur l’amélioration de la santé buccodentaire. Et nous avons cru qu’ils s’en satisferaient.

À propos de l’écart socioéconomique, comme je l’ai dit, nous travaillons là-dessus actuellement afin de voir comment il est déterminé, comment il est défini et de quelle façon il est contrôlé. Je crois que lorsqu’on parle de certaines des situations que vous décrivez, il est difficile de penser que des situations aussi graves auraient cours ailleurs que dans les collectivités autochtones. Je suis certain que cela se produit dans des collectivités non autochtones, mais il est évident que c’est beaucoup plus répandu dans les collectivités autochtones. Alors, une fois de plus, cela tient au fait qu’année après année après année, ces problèmes n’ont pas été réglés.

Comme je l’ai dit, ma prédécesseure, après 10 années à effectuer des audits dans ce domaine, a qualifié la situation d’inacceptable. Nous n’avons vu aucune amélioration du programme gouvernemental depuis que je suis ici, donc depuis six ans et si l’on songe aux enfants qui commencent l’école et qui ont maintenant six ans ou plus, il est difficile de corriger d’un coup tous les problèmes dont on ne s’est pas occupé pendant six ans. C’est pourquoi j’ai dit dans mes remarques liminaires que nous courons le risque de continuer à gaspiller le potentiel de nombreux Autochtones au pays si nous ne réglons pas ces problèmes, et ce, le plus rapidement possible.

Je comprends toute la complexité de l’exercice et c’est pourquoi, lorsque vous parlez de la différence entre la Colombie-Britannique et le Manitoba, je crois qu’il est trop simpliste de parler de relation de gouvernement à gouvernement ou de relation de nation à nation, car ce qui a fonctionné en Colombie-Britannique pour parvenir au regroupement pourrait ne pas fonctionner au Manitoba et dans les autres provinces. Il doit y avoir une façon d’obtenir cette confiance et de résoudre les problèmes liés aux différentes compétences ou à la complexité de ces multiples conversations dans le but de faire avancer les choses. Mais, une fois de plus, ce que je puis proposer de mieux est qu’il y ait un point de départ pour la résolution de ces problèmes, qui serait autre que de partir d’un tas de programmes en fonction desquels le gouvernement fédéral paie certaines choses et les gouvernements provinciaux en paient d’autres, à ne plus savoir qui gère quoi et qui pilote quoi, avec comme seul résultat que nous gérons tous différents types d’activités et que le fait de gérer ces activités ne permet pas d’améliorer le sort de quiconque.

Je suppose que vous avez eu l’intelligence de vous rendre compte que je n’allais pas pouvoir répondre à votre question, mais je pense que tout notre travail peut à tout le moins aider le comité à se concentrer sur certains des problèmes sous-jacents qui plombent les efforts du gouvernement fédéral dans la mise en œuvre de ses programmes destinés aux peuples autochtones.

La présidente : Merci. Nous allons passer à un second tour avec le sénateur Christmas. Mais avant cela, j’ai une question.

Nous avons parlé du processus des revendications particulières et des problèmes qui y sont associés. Certains d’entre nous se souviendront de ce projet de loi, qui établissait un processus pour les revendications particulières et du tribunal qui avait été créé par ce comité sous l’excellente direction du sénateur St. Germain, je crois, et qui avait été conçu conjointement par les avocats du gouvernement et les avocats de l’Assemblée des Premières Nations. Cependant, cette conception conjointe a évidemment donné lieu à des problèmes et on dirait que certaines de ces difficultés touchent la mise en œuvre par le ministère. Peu importe la direction que nous prendrons, à présent l’AINC fera partie de la mise en œuvre du programme d’une manière ou d’une autre en ce qui a trait au développement ou aux services.

Vous parlez du besoin d’une volonté politique. Actuellement, nous avons la volonté politique de progresser, mais comment traduire cette volonté politique en ce que nous pourrions appeler une volonté opérationnelle? Car nous avons l’organe opérationnel du gouvernement, qui passe par l’AINC dans sa forme ancienne, ou par les deux ministères séparés que sont à présent les Relations Couronne-Autochtones et les Services aux Autochtones. Comment changer les gens qui tentent actuellement de mettre en œuvre des changements? Comment obtenir la volonté opérationnelle d’une mécanique quelconque composée d’employés? Comment implanter ce changement dans leur esprit, de sorte qu’ils se mettent à penser différemment?

M. Ferguson : Madame la présidente, cela revient, je crois, à mon point sur le fait que c’est le gouvernement fédéral qui contrôle lui-même le respect de ses engagements. La volonté opérationnelle, en quelque sorte, tient au résultat escompté. Lorsque le programme La justice, enfin est arrivé, il régnait un certain optimisme quant à la possibilité qu’il permette de répondre à des revendications particulières. Mais, comme nous l’avons dit, la façon dont il a été mis en œuvre a entraîné une baisse de la confiance dans le système et non une amélioration de celle-ci. Encore une fois, cela vient du fait que les ministères, une fois qu’ils acceptent de se charger de la mise en œuvre, doivent savoir quel est l’objectif, quel est le but à atteindre et se demander si la mise en œuvre de leur programme donnera les résultats escomptés.

Dans le cas des revendications particulières, par exemple, nous avons constaté que le ministère disait avoir beaucoup de succès, mais nombre des revendications qu’il a qualifiées de succès en vertu de La justice, enfin avaient déjà été négociées en grande partie avant l’entrée en vigueur de ce programme. Le paiement a été effectué après l’entrée en vigueur de La justice, enfin, de sorte qu’il a reçu cet argent comme étant une preuve du succès du programme La justice, enfin, alors que ce processus n’y était pour rien.

Une partie du problème vient de ce que les ministères ne se concentrent pas toujours sur les résultats, sur la façon de les mesurer et sur la façon de communiquer aux gens si les objectifs ont été atteints ou pas. Le problème vient de ce que les ministères ont tendance à essayer de faire croire que les programmes fonctionnent alors qu’ils ne fonctionnent peut-être pas. À mes yeux, cela relève de l’ensemble des mesures de performance. Quel est l’objectif que nous souhaitons atteindre, à quoi savons-nous que nous l’avons atteint et, si nous ne l’avons pas atteint, admettons que nous ne l’avons pas atteint de sorte que nous puissions faire les rajustements nécessaires. Jusqu’à ce que l’on fasse de l’atteinte des objectifs que l’on s’était fixés une priorité, on continuera de s’attacher aux seules activités et c’est là ce qu’il faut changer.

La présidente : Pour poursuivre brièvement dans la même veine, je ne crois pas que les bénéficiaires, les Premières Nations, aient un rôle à jouer pour déterminer si l’objectif a été atteint. Devraient-ils alors être en mesure d’évaluer si le service fourni par le ministère a vraiment fonctionné?

M. Ferguson : Je pense que le fait d’obtenir ce genre de rétroaction de la part des bénéficiaires d’un programme ou d’un service serait une façon normale de vérifier si ce programme donne les résultats escomptés. Oui, je pense que le ministère devrait disposer d’un mécanisme pour obtenir la rétroaction des Premières Nations afin de savoir si le processus fonctionne pour elles.

Le sénateur Christmas : Comme notre présidente vient de le mentionner, le gouvernement du Canada est en train de scinder le ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien en deux ministères. D’après ce que j’ai compris, le ministère des Services aux Autochtones sera chargé d’établir des modèles permettant d’améliorer les services et de rendre des comptes aux peuples autochtones.

J’ai deux questions. Comment le ministère des Services aux Autochtones peut-il comparer de façon mesurable les services fournis aux Autochtones par rapport à ceux que les provinces offrent aux Canadiens? Deuxièmement, monsieur Ferguson, quelles seraient vos recommandations maintenant que ce nouveau ministère est en cours d’instauration?

M. Ferguson : Une fois de plus, la comparabilité est une question que nous avons soulevée lors de différents audits. Nous avons soulevé la question de la santé des Premières Nations vivant dans les régions éloignées, et nous l’avons soulevée parce que le ministère lui-même a exprimé que l’offre de services comparables constituait pour lui un objectif.

Lorsqu’il essaie de fournir aux Premières Nations des services comparables à ceux qui sont offerts aux provinces, il doit avant tout lui-même définir un niveau de service qui fasse office de base comparative. Il faudrait donc qu’il se penche sur les services offerts dans une certaine province. À quoi ressemble un niveau de service normal? Il faudrait probablement introduire un facteur qui tienne compte du fait que les services offerts seront différents en région métropolitaine par rapport aux régions éloignées, alors il faut le définir. À mon avis, il faut définir un niveau de référence quant aux services offerts dans une province et ce qui peut être offert aux Autochtones dans cette province : on pourrait ensuite vérifier si c’est effectivement ce qui est offert. La première chose qu’il faut faire est de définir cette base. Si l’on veut offrir des services comparables, il faut d’abord définir les termes de la comparaison.

Je conseillerais au ministère, à ce stade-ci, de s’attacher à bien comprendre les services. Nous portons toute notre attention sur les programmes et la prestation de programmes. En ce qui a trait à ce qui doit être fait pour créer cette relation plus mûre, nous donnerons accès à nos audits, mais nous nous attacherons principalement aux services de tous les jours. Le message que nous leur adressons est d’accorder moins d’importance à la réalisation d’activités et de voir, en revanche, si le programme améliore effectivement la vie des gens qui reçoivent les services. Quand il y a au départ un taux de maladie dentaire — ou un autre critère mesurable —, qui est deux fois plus élevé, comment savoir que l’on est en train de hausser la barre et d’améliorer la situation pour les populations que l’on dessert? C’est le conseil le plus important que je puisse leur donner. Sachez quelle est la situation actuelle, sachez quels objectifs vous souhaitez atteindre à l’aide de vos programmes, vérifiez si vous atteignez ces objectifs et sachez si ce que vous faites améliore réellement la vie des personnes qui reçoivent ces services.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Ferguson.

La sénatrice Boniface : Je voulais soulever une question sur la consultation. Vu votre travail, quels conseils êtes-vous en mesure d’offrir sur les résultats d’une consultation importante avec les Autochtones? Nous avons souvent entendu à cette table de la part d’autres témoins que les consultations sont menées différemment d’un ministère à l’autre, alors je serais curieuse de connaître les conseils que vous pouvez offrir.

M. Ferguson : Je vais commencer par demander à M. Martire d’offrir d’autres pistes de réflexion. Comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, beaucoup de gens en savent bien plus que moi sur le devoir de consulter et sur la façon de mener des consultations. Je ne veux pas laisser croire que j’ai plus d’information que j’en ai réellement.

Nous avons vu certains endroits où les ministères avaient fait un très bon travail de consultation avec les Premières Nations. Celui qui me vient à l’esprit est Service correctionnel Canada, qui a fait un bon travail de consultation avec les Premières Nations au sujet des types de programmes devant être instaurés pour les délinquants autochtones. Je ne dis pas que les programmes pour les délinquants autochtones sont parfaits, mais on a vraiment essayé de faire participer les Premières Nations dans le but de comprendre ce dont il fallait tenir compte avant de les concevoir.

Encore une fois, il y a l’exemple du processus de revendications particulières, qui a été établi dès le départ avec la participation des Premières Nations, mais lorsque le ministère l’a mis en œuvre et y a apporté des changements, ils n’ont pas consulté les Premières Nations.

Je pense que M. Martire en sait probablement un peu plus que moi sur le travail qu’une consultation suppose.

M. Martire : En bref, nous avons examiné les consultations dans les audits que nous avons effectués et je dois dire que ce n’est pas très positif.

J’aimerais attirer l’attention sur la politique des revendications particulières et nombre des difficultés qui ont été soulevées dans ce rapport en ce qui a trait aux obstacles dont nous avons parlé plus tôt. Les Premières Nations elles-mêmes ainsi que leurs représentants, des adjoints de recherche, avaient exprimé ces mêmes préoccupations au ministère bien avant que nous ne commencions l’audit, alors cela n’aurait pas dû surprendre le ministère que ces obstacles empêchent la satisfaction des revendications. C’était là le but du programme. Il ne s’agissait pas de clore des dossiers. Il ne s’agissait pas de pousser les chemises vers la gauche du classeur pour retourner vers les Premières Nations ou vers le tribunal. Le but était de satisfaire des revendications par voie de négociation. Lorsque tout cela a été renvoyé, on a entendu des voix fortes au ministère demander ce qui se passait et s’interroger sur le manque d’information. Certains étaient frustrés parce qu’on ne leur répondait pas. Voilà pour les revendications particulières.

Lorsque nous parlons de contrôle, une fois de plus, il y a eu deux séries de consultations lorsque le programme a été examiné. Lorsque nous avons parlé aux Premières Nations, à leurs représentants et aux chefs de police, on n’a jamais obtenu de réaction. Il y a eu toutes sortes d’activités et toutes sortes de négociations et de rencontres, mais rien n’en est vraiment ressorti en fait de rétroaction pour les Premières Nations ni en ce qui a trait aux répercussions sur leurs programmes.

Je dirais que cela vaut également pour les comités. Il y a les conflits de compétence dont on a fait mention à plusieurs reprises aujourd’hui. Des comités de travail et des comités de haut niveau se réunissent souvent pour discuter. Néanmoins, si vous examinez ce qu’ils font, en réalité, ils ne règlent aucun problème. Ils se réunissent et font des recherches, mais nous n’avons pas trouvé d’exemples de cas dans lesquels on avait constaté un problème, décidé des mesures à prendre et réuni les personnes compétentes pour élaborer un plan d’action et essayer de faire bouger les choses. Nous l’avons mentionné dans un certain nombre de nos rapports d’audits, y compris au sujet de l’accès aux services de santé dans le Nord. Encore une fois, nous voyons qu’il y a des mécanismes, mais qu’ils ne fonctionnent pas comme prévu. C’est ce que nous avons signalé à plusieurs reprises.

La sénatrice Pate : J’ai été à la fois contente et surprise de vous entendre dire que le Service correctionnel faisait mieux que les autres sur le plan de la consultation, mais compte tenu de ce qu’a dit M. Martire, je me demande si des consultations satisfaisantes — du moins en apparence — permettent de résoudre les problèmes. Il est évident qu’en ce qui concerne le Service correctionnel, ce n’est pas le cas. L’audit qui vient d’être terminé montre que les modalités de mise en œuvre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui reposent sur l’octroi de ressources aux communautés autochtones afin qu’elles puissent prendre en charge les détenus ou les libérés conditionnels autochtones, n’ont pas été respectées non plus.

Il y a peut-être beaucoup de consultations au sujet de ce qui pourrait être bon pour les Autochtones qui se retrouvent en prison, mais compte tenu du taux d’incarcération, du manque de libération conditionnelle et du surclassement des détenus, je veux juste m’assurer que vous ne dites pas que les autorités ont résolu certains des problèmes sur lesquels elles ont tenu des consultations? Ai-je bien compris?

M. Ferguson : Je dirais que oui. Si vous prenez les revendications particulières, même s’il y a des consultations au départ, cela ne veut pas forcément dire que le programme est mis en œuvre comme il devait l’être et que cela donne des résultats.

Pour ce qui est de SCC, nous avons constaté certaines lacunes. Il y a les pavillons de ressourcement, les transfèrements aux communautés et aînés autochtones, mais les délinquants autochtones du pays ne peuvent pas tous se prévaloir de ces dispositions de la même façon. Ils ne participent pas tous aux programmes adaptés à leur culture parce que dans certains cas, ils n’y ont pas accès au même moment. Ils peuvent être plus rapidement admissibles à la libération conditionnelle s’ils suivent les programmes pour les non-Autochtones. La façon dont Service correctionnel Canada gère les délinquants autochtones continue de poser un certain nombre de problèmes. Encore une fois, il n’est pas question ici du nombre de délinquants autochtones qui entrent dans le système, mais seulement des délinquants autochtones que le système doit gérer.

Nous avons mentionné que SCC avait tenu des bonnes consultations et qu’il a mis en œuvre certains programmes pour les délinquants autochtones. Néanmoins, ces derniers restent incarcérés plus longtemps que les non-Autochtones. Ce simple fait montre que SCC doit s’efforcer davantage d’aider les délinquants autochtones à se préparer à la libération conditionnelle plus tôt et de façon plus cohérente, comme il le fait pour les non-Autochtones.

La sénatrice Pate : Vous avez également constaté, je crois, que son système de classement qui, selon de nombreux groupes, dont le vôtre et la Commission canadienne des droits de la personne, a des effets et des caractéristiques discriminatoires, entraîne un surclassement des délinquants autochtones. Ces détenus risquent davantage de se retrouver en isolement et d’avoir moins accès aux quelques programmes qui existent ou aux aînés qui sont disponibles. Cela contribue également à l’augmentation du nombre d’Autochtones incarcérés, car ils n’ont pas non plus accès à la libération conditionnelle. Par conséquent, SCC ne peut peut-être pas limiter le nombre d’entrées, mais il entrave aussi le processus de sortie.

M. Ferguson : Il est encore moins capable de préparer les délinquants autochtones à leur mise en liberté que ce n’est le cas pour les autres délinquants. Lorsque le délinquant autochtone entre dans le système, SCC doit notamment demander si les antécédents sociaux des Autochtones ont été établis et il doit en tenir compte pour le classement et le programme de l’intéressé. Nous avons constaté que dans un certain nombre de cas, SCC n’avait pas obtenu les antécédents sociaux même s’ils avaient été préparés. Par conséquent, certains aspects de la procédure d’admission font en sorte que les délinquants autochtones sont classés à un niveau de sécurité peut-être plus élevé qu’il est nécessaire ou font l’objet de programmes plus lourds que nécessaire. C’est important, car vous n’êtes admissible à la libération conditionnelle qu’à la condition d’avoir complété votre programme et probablement aussi d’avoir déjà été reclassé à un niveau de sécurité inférieur. Les décisions prises à l’entrée peuvent se répercuter sur la possibilité de préparer un délinquant à la libération conditionnelle.

La sénatrice Pate : En fait, il est prouvé que lorsqu’ils sont établis, les antécédents sociaux des Autochtones contribuent parfois au surclassement, car ces principes sont mal compris.

J’aimerais aussi poser une question : s’il s’agit d’un bon modèle de consultations, mais qui ne donne pas les résultats escomptés, quel impact cela a-t-il, selon vous, sur les relations de nation à nation? Que faudrait-il conclure de vos constatations selon lesquelles les consultations du SCC sont parmi les meilleures, mais ne donnent pas de résultats concrets?

M. Ferguson : Cela me ramène, je pense, à la raison pour laquelle je n’ai pas dit, par exemple, qu’il n’y avait qu’un seul facteur. Il y a de nombreux facteurs à considérer pour que tout cela fonctionne. La consultation en fait partie, mais comme l’a dit M. Martire, si le gouvernement consulte les gens et recueille des renseignements, mais ne retourne jamais voir les Premières Nations pour leur parler de ce qu’il a entendu et de ce qu’il compte faire et pour leur demander ce qu’elles en pensent — il ne suffit pas de tenir des consultations. Il ne suffit pas de mesurer les résultats. La volonté politique ne suffit pas non plus. Il y a de nombreux aspects de la problématique à mettre en place pour avoir des relations matures sur tous ces fronts.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

La présidente : Avant que nous ne terminions, je voudrais poser une question au sujet du fonctionnement d’AINC sous sa forme actuelle. Le grand public ne comprend peut-être pas très bien combien le ministère coûte à gérer. Bien des gens pensent qu’un pourcentage important du budget global est consacré aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Nous avons entendu dire, plus tôt aujourd’hui, que c’était seulement 6 p. 100 du budget total. Avez-vous des chiffres indiquant combien le ministère coûte à gérer?

D’autre part, comme vous avez cité un certain nombre d’exemples montrant que le ministère ne s’acquittait peut-être pas de ses fonctions comme il le devrait sur le plan de la prestation des services, est-il sage d’utiliser l’argent des contribuables pour administrer un ministère qui ne s’acquitte pas de sa mission sur le plan opérationnel?

M. Ferguson : Madame la présidente, je n’ai pas les chiffres sous la main. Nous pourrions aller vérifier dans les Comptes publics. En général, le gouvernement fédéral dépense environ 300 milliards de dollars par année. Si vous prenez 6 p. 100, cela donne un chiffre approximatif de 18 milliards de dollars, mais nous allons devoir vérifier. Quand vous examinez le budget d’AINC, vous devez tenir compte du fonctionnement du ministère et également de ce qui est payé pour fournir les services. Il faut tenir compte de ces deux éléments. Mais nous pouvons obtenir des chiffres pour vous à ce sujet.

Quant à savoir si nous en avons pour notre argent, c’est la raison pour laquelle le ministère doit toujours pouvoir dire : « Tels sont les résultats que nous sommes censés atteindre et voici ceux que nous obtenons. » Si vous constatez que l’incidence des maladies buccodentaires demeure deux fois plus élevée qu’ailleurs, vous dites : « Attendez un instant. Quels sont les résultats obtenus? » Ce sont les quelques renseignements disponibles au sujet des résultats de certains programmes qui incitent les gens à poser ces questions. Il revient non seulement à AINC, mais à chaque ministère de pouvoir dire : « Voici les résultats que nous essayons d’obtenir et voici ceux que nous avons obtenus. » Les gens peuvent alors voir s’ils en ont eu pour leur argent.

Je voudrais rappeler au comité — je ne l’ai pas mentionné dans ma déclaration préliminaire — que nous sommes également le vérificateur général pour chacun des trois territoires du Nord. Nous faisons des audits dans chacun des trois territoires du Nord sur des questions importantes pour les Canadiens autochtones. Nous faisons rapport de ces audits directement aux assemblées législatives de ces territoires. Nous n’en faisons pas rapport au Parlement, mais directement aux assemblées législatives. Nous nous sommes penchés notamment sur les services correctionnels dans chacun des trois territoires du Nord, de même que sur la santé et un certain nombre d’autres enjeux. Je voulais seulement le rappeler au comité.

La présidente : Merci. J’ai seulement une dernière question. Je vais poser la question qui fâche suite à certaines des questions que la sénatrice McCallum a soulevées. Il y a certainement beaucoup d’iniquités systémiques et des discriminations dans la prestation des services et certaines personnes, y compris des sénateurs, ont laissé entendre qu’il faudrait mener un audit de chaque Première Nation pour assurer une reddition de comptes et une bonne utilisation des deniers publics. Que pensez-vous de cette suggestion?

M. Ferguson : La reddition de comptes et la transparence jouent un rôle fondamental dans notre travail. C’est pour nous une condition fondamentale. La façon dont j’envisage la reddition de comptes et la transparence en ce qui concerne le dossier autochtone est qu’à mon avis, nous les devons, d’abord et avant tout, aux peuples autochtones. Si on consacre de l’argent à des programmes censés améliorer leur vie, j’estime que ce sont les Autochtones qui devraient obtenir les renseignements sur la mise en œuvre de ces programmes et les résultats qui sont atteints. Je pense qu’on insiste trop souvent pour rendre des comptes au gouvernement fédéral alors qu’il faudrait en rendre principalement aux Autochtones qui reçoivent des services. Je crois qu’ils ont également intérêt à savoir s’ils obtiennent les services qu’ils devraient obtenir pour l’argent dépensé. Voilà ce que j’en pense personnellement.

La présidente : Pour ce qui est de la reddition de comptes des Premières Nations au gouvernement fédéral, quelles sont les mesures en place?

M. Ferguson : Comme je l’ai dit, si l’on rend suffisamment de comptes aux Premières Nations qui reçoivent des services, cela donnera probablement la responsabilisation nécessaire pour comprendre si les programmes fonctionnent comme ils le devraient, s’ils donnent des résultats escomptés et donc, si l’argent est dépensé à bon escient.

La présidente : Je pourrais peut-être poser ma question de façon plus précise. Les Premières Nations doivent-elles rendre compte au gouvernement fédéral de la façon dont elles gèrent leur argent?

M. Ferguson : Encore une fois, je pense avoir expliqué ce qui est le plus important à mes yeux. Je ne vais pas vous répondre par oui ou par non, car il s’agit d’une décision politique du gouvernement fédéral. Je recommanderais de veiller à ce que l’on insiste surtout sur la reddition de comptes et la transparence vis-à-vis des peuples autochtones.

La présidente : Merci. Monsieur Michael Ferguson, vérificateur général, je tiens à vous remercier au nom du comité, vous et les collaborateurs qui vous accompagnent. Vous avez fourni au comité un témoignage très convaincant, surtout à propos des huit facteurs que vous nous avez clairement décrits comme étant essentiels au succès des nouvelles relations de nation à nation.

(La séance est levée.)

Haut de page