Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 13 - Témoignages du 19 octobre 2016


OTTAWA, mercredi 19 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni aujourd'hui à 16 h 18 afin de poursuivre son étude des questions entourant les délais dans le système de justice criminelle au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bon après-midi. Collègues et invités, bienvenue. Chers membres, plus tôt cette année, le Sénat autorisait le comité à examiner et à rendre des comptes sur les questions touchant les délais dans le système de justice criminelle, ainsi qu'à revoir les rôles du gouvernement du Canada et du Parlement lorsqu'il s'agit de s'attaquer à ces délais. Il s'agit là de notre vingt-troisième réunion consacrée à cette étude.

Il nous fait plaisir de compter parmi nous aujourd'hui, de l'Association du barreau canadien, Ian Carter, trésorier, section de la justice criminelle, ainsi que Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit. Merci à vous deux d'être ici avec nous aujourd'hui. Vous devez prononcer tous deux une allocution d'ouverture. N'est-ce pas? Mme Schellenberg, la parole est à vous.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du barreau canadien : Je vous remercie une fois de plus de l'invitation à comparaître devant vous sur le sujet important des délais dans le système de justice criminelle au Canada. L'Association du barreau canadien est une association nationale qui compte au-delà de 36 000 membres, incluant des avocats, des étudiants en droit, des notaires et des universitaires. Notre mandat consiste, entre autres, à demander des améliorations dans la loi et dans l'administration de la justice. Notre section nationale de la justice criminelle représente des avocats expérimentés de la Couronne et de la défense qui proviennent de partout au Canada. Je me trouve aujourd'hui en compagnie d'Ian Carter, un avocat de la défense qui travaille ici, à Ottawa. Ian présentera d'autres allocutions d'ouverture et répondra à vos questions. Merci.

Ian M. Carter, trésorier, Section de la justice criminelle, Association du barreau Canadien : Merci. J'apprécie la possibilité d'être ici. Lorsque nous avons comparu la dernière fois, c'était avec un préavis relativement court et nous avons tenté de sonder nos membres et de définir les préoccupations que ceux-ci avaient exprimées. À la fin, nous avons eu la possibilité de revoir le rapport initial intitulé Justice différée, justice refusée qui, nous considérons, est très bien rédigé et tient compte de plusieurs des préoccupations que nous avons exprimées, ainsi que d'autres qui ont nécessairement échappé à notre radar. Celui semble constituer un excellent point de départ pour aborder cette question relativement sérieuse.

Comme vous pouvez l'imaginer, alors qu'on représente les avocats, il est parfois difficile d'accaparer les gens très occupés par leurs pratiques afin de recueillir des commentaires. Nous avons fait de notre mieux pour ajouter à ce que nous avions recueilli auparavant. Une part importante de ce que nous avons obtenu était constituée en réalité de variations sur les thèmes qu'on avait exprimés auparavant, incluant peut-être quelques détails additionnels en ce qui concerne ces sujets particuliers. Mais peut-être, à tout le moins aux fins de mon allocution d'ouverture, une chose que nous avons recueillie davantage, sur laquelle nous n'avions pas vraiment insisté au départ et qui répond peut-être à certaines des questions qu'on nous a posées, concerne les commentaires sur ce qui se passe dans le Nord, dont tout particulièrement en lien avec les Autochtones.

Quelques-uns de nos avocats qui évoluent dans les territoires ont participé et se sont impliqués avec l'ABC et cette fois-ci, ils ont fourni des réponses passablement détaillées à leurs préoccupations. En tant qu'avocats qui pratiquent à Ottawa, nous ne connaissons tout simplement pas certains des enjeux qui surviennent à cet endroit, de sorte que j'ai cru qu'il était très utile de transmettre une partie des commentaires. Une fois de plus, je ne suis qu'un intermédiaire ici, alors que je transmets ce que m'ont dit ces gens qui sont aux prises avec les réalités quotidiennes.

Je crois qu'il est juste de dire que parmi les réponses, et il s'agit là peut-être d'une indication de l'ampleur des préoccupations à ce niveau — nous avons reçu des courriels très détaillés dans lesquels on exprimait grandement les préoccupations. Je dirais qu'ils témoignaient d'un niveau de frustration passablement élevé. Cela contraste en quelque sorte avec les avocats de Toronto ou du Manitoba qui pourraient nous refiler un paragraphe disant : « Eh bien, cela pourrait être préoccupant. » Cela semblait être à un autre niveau.

Nous avons tenté de distiller ce que nous avons obtenu. Il y avait bien des points et certains concernaient le système de justice en général et pas nécessairement les délais. J'ai donc tenté de cristalliser ces préoccupations dans la mesure où elles concernent les délais éventuels. Je suppose que le premier point que je devrais exprimer consiste dans ce que peu importe les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le Sud du Canada, ils sont généralement exacerbés et bien pires dans le Nord. Il y a quelques aspects positifs, je dirai, mais pour la plupart, les préoccupations sont bien pires à cet endroit pour différentes raisons.

La principale concerne probablement un thème qui est ressorti de toutes les réponses que nous avons reçues. Il s'agit du problème qui concerne ce que je qualifierais d'administration des infractions au système de justice. Il s'agit d'infractions touchant le bris des conditions de libération sous caution et un des principaux problèmes qu'on a au niveau de l'administration de la justice concerne ces cas où on leur interdit de boire ou de se faire prendre avec de l'alcool.

Lorsque nous parlons d'une infraction criminelle ici, nous parlons d'une chose qui est autrement légale, sauf lorsque vous faites l'objet d'une condition décrétée par un tribunal. C'est une chose lorsqu'il s'agit de l'administration de la justice, mais c'en est une autre lorsqu'il s'agit d'une infraction criminelle sous-jacente. Vous n'avez évidemment pas à traiter une telle chose; c'est préoccupant. Lorsque vous avez des infractions, ces manquements purs à l'administration de la justice sont probablement moins fréquents ici qu'ils le sont dans le Nord.

Il s'agit là d'un véritable problème, puisque chaque fois qu'une personne est arrêtée et entre dans le système, il faut consacrer une quantité considérable de ressources des tribunaux au traitement du dossier et les retards s'accumulent. Je crois que l'expression utilisée dans les courriels que nous avons reçus consiste dans ce que ces infractions surchargent les dossiers dans le Nord.

Un aspect qu'on retrouve dans votre rapport et qu'ont souligné les individus que nous avons interrogés consiste dans ce que des tribunaux alternatifs contribueraient grandement à détourner et à rationaliser ces dossiers tôt, avant qu'ils n'aillent trop loin et qu'ils n'épuisent les ressources de nos tribunaux.

Par le fait même, une fois de plus, puisqu'un si grand nombre présentent un lien avec l'alcool, et certains peuvent même impliquer des drogues, il n'existe tout simplement pas assez de programmes de traitement pour s'attaquer à la préoccupation sous-jacente. Vous avez donc le double problème qui consiste à ne pas s'attaquer à la cause première, en partie parce qu'il existe trop peu de programmes de traitement et, si on en juge par l'information que nous recevons, le niveau cognitif de plusieurs des clients est si faible qu'ils ne peuvent participer aux programmes qui sont offerts.

Vous avez donc deux problèmes. Vous avez le problème sous-jacent, la cause première, qui se trouve exacerbée lorsqu'on en fait des infractions criminelles chaque fois qu'elles se retrouvent devant le système de justice, ce qui, à son tour, entraîne des délais.

Il s'agit là vraiment du principal problème dont on nous a fait part. Les questions secondaires pouvant également entraîner des délais et représentent ce qu'on qualifie de rapports Gladue. Les rapports Gladue sont commandés pour les Autochtones qui comparaissent devant le système de justice criminelle en vue du prononcé de leur sentence. Il faut en tenir compte, puisqu'ils font vraiment partie du Code criminel. Le problème consiste dans ce qu'on dispose de trop peu de financement et d'aucun réseau qui permet d'obtenir ces rapports. Il n'existe pas de critères ou de normes minimales établies, de sorte que, lorsqu'on tente d'obtenir cette information, dont un juge a besoin afin de prononcer sa sentence, il peut en résulter des délais, parce qu'on est incapable de les obtenir.

Dans certains secteurs, également, les avocats signalent le manque d'accès aux clients. Cela peut nous ramener à certaines des choses dont on fait mention dans le rapport sur le recours à la technologie, comme la vidéo. Celle-ci n'est pas grandement répandue pour l'instant. Par exemple, on trouve à Whitehorse un tout nouveau centre qu'on a érigé à cet endroit. Ce centre comporte à peine deux salles de réunion pour tout le monde, incluant les avocats.

Vous ne pouvez évidemment pas entreprendre votre cause à moins d'obtenir des instructions de votre client, de sorte qu'il est essentiel que l'avocat de la défense puisse avoir accès à son client pour faire avancer la cause. Certaines décisions ne peuvent se prendre de façon unilatérale par un avocat, par exemple, en ce qui concerne le plaidoyer ou la décision. Toutes ces questions doivent être traitées, de sorte que l'accès au client constitue une fois de plus une préoccupation.

Il s'agit là des questions que nous avons soulevées, en particulier en ce qui concerne le Nord, de sorte que j'ai cru que je devais vous en faire part. Nous pouvons accueillir toute question à ce moment-ci.

Le président : Merci. Nous apprécions grandement que vous comparaissiez de nouveau et que vous présentiez un autre témoignage. Nous débuterons les questions avec le vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président, et merci à vous les témoins pour la présentation dont vous avez fait profiter le comité.

Une partie de la présentation qui nous a été offerte provient également du président de la section de la justice criminelle de l'ABC, une lettre de Suzanne Costom, qui en est la présidente. Elle précise, j'imagine, après avoir consulté toutes vos sections au Canada, les avocats du système de justice criminelle, les procureurs de la défense et ainsi de suite, que le principal problème concerne la communication de type Stinchcombe. Simplement pour être clairs, la communication de type Stinchcombe est accordée automatiquement. Nous n'avez pas à la demander. Il s'agit d'une communication qui doit être remise par la Couronne. Est-ce exact?

M. Carter : C'est exact.

Le sénateur Baker : Cela comprendrait la communication de type McNeil. Est-ce exact?

M. Carter : Oui.

Le sénateur Baker : L'ABC continue en disant que le but devrait consister à disposer d'une communication presque complète lors de la première comparution (plaidoyer) et à disposer par la suite de services de police disponibles, d'un avocat et de personnel de soutien d'expérience et capable de vérifier la communication.

En disant « vérifier la communication », j'imagine qu'elle veut dire annoter et retirer ce qu'ils ne souhaitent pas divulguer.

Mais vous en concluez ici que l'exercice vise à obtenir une communication presque complète. Nous avons entendu les suggestions présentées devant ce comité, avec l'aide du Service des poursuites pénales du Canada, à l'effet qu'on devrait exiger par écrit que la Couronne obtienne une communication complète avant que ne débute le procès. Que pensez-vous de cette suggestion?

M. Carter : Eh bien, si on n'obtient pas une communication complète avant le début d'un procès et qu'une nouvelle communication est présentée, vous allez presque assurément devoir composer avec un ajournement du procès, à moins que la communication soit très mineure, ce qui entraînera des délais considérables, puisque, tout dépendant de la durée de votre procès, on aura réservé un certain temps. À Ottawa, par exemple, si vous avez, disons, un procès de deux jours et que vous obtenez une communication tardive la veille du procès, ce qui l'empêche d'avoir lieu, vous vous retrouvez probablement, pour être réaliste, avec un autre délai de cinq ou six mois avant la tenue du procès. On peut ainsi se retrouver avec des délais considérables. Par conséquent, l'idée me semblerait raisonnable.

Le sénateur Baker : Maintenant, le troisième point, mais qui est un des plus importants, je crois, lorsque nous vous écoutons, M. Carter. Vous êtes un avocat plaidant d'expérience. Vous contribuez presque chaque semaine à la jurisprudence. Il s'agit d'un point que vous avez abordé face à ce comité il y a un certain temps et qui concerne les avancées technologiques pour remplacer ces comparutions routinières constantes de la part des avocats devant nos tribunaux. Cela permettrait-il de réduire considérablement le temps passé devant les tribunaux si nous devions le recommander dans notre rapport?

M. Carter : Oui. Il n'y a pas de doute que la réponse est « oui ». Cela représenterait un changement radical de notre façon de faire les choses devant les tribunaux, alors que certains adeptes de l'ancien système seront réfractaires à un tel changement. Simplement à titre d'exemple, pour un procès auquel je dois participer incessamment, la Couronne a précisé que nous devons remplir un formulaire, puisque la date du procès approche. Nous n'avons encore assigné aucun témoin à comparaître. Par conséquent, le juge dit : « Très bien, tout le monde doit se présenter au tribunal de base ce vendredi. » Vous devez donc vous présenter et, vendredi à 9 heures, vous arrivez pour traiter le dossier. Mais on a également fait parvenir cette même lettre dans près de 100 autres causes. Donc, je me présente. La salle d'audience déborde d'avocats. À la fin de la journée, tout ce qu'on a dit sur ma cause est ceci : « La Couronne vient d'assigner des gens à comparaître. Nous sommes prêts à commencer. » J'ai attendu trois heures et demie dans une salle d'audience pour qu'on me dise cela. Je n'ai même pas eu à prononcer un seul mot. Il s'agit là d'un gaspillage de temps énorme et on oblige les gens à se rendre au tribunal tous les jours. Un avocat de la défense d'Ottawa, soit Michael Spratt, qui a peut-être déjà comparu devant ce comité, a rédigé un article, soit un éditorial, pour l'Ottawa Citizen. Désolé, non, c'était dans la revue Canadian Lawyer. Il soulève la même question sur la nature en quelque sorte désuète du système.

Vous devez maintenant faire preuve de prudence dans tout. Des individus sans avocat n'ont pas accès à un ordinateur, de sorte que si vous informatisez tout, il faudra quand même rejoindre certaines personnes. Mais je considère qu'il y a des façons de le faire. Vous pourriez ainsi accroître grandement l'efficacité. Il n'y a pas de raison de toujours imposer des comparutions en personne, qu'il s'agisse du client ou de l'avocat, lorsqu'on doit simplement cocher une case pour indiquer que l'assignation a été signifiée. Pour quelle raison ne peut-on simplement pas m'envoyer un courriel? Quelqu'un envoie un courriel avec la mention « Couronne, l'avez-vous déjà fait? » Oui. Pour quelle raison nous retrouvons-nous à la cour pour aborder ces questions?

Assurément, rien de tout cela n'a lieu dans le système civil. Tout se déroule en arrière-scène jusqu'à ce que vous deviez vous présenter devant le tribunal. Vous avez un juge responsable de la gestion de l'instance qui essaie de pousser les parties à s'entendre ou à régler les problèmes en vue du procès, et voilà. Jusqu'à ce stade, les avocats civils ne se présentent pas devant le tribunal de façon routinière. Si vous vous rendez au palais de justice d'Ottawa, vous verrez que tout le monde attend. Ils entreront dans la salle d'audience. Ils réaliseront qu'ils devront attendre deux heures. Ils iront au Tim Horton dans la cafétéria pour s'y asseoir et attendre, avant de revenir s'enregistrer. Il s'agit là d'un gaspillage énorme de temps.

Le sénateur Batters : Merci à vous deux d'être ici. Je voulais également vous remercier de nous permettre de présenter notre rapport provisoire avec un préavis si court lors de la conférence nationale de l'ABC qui avait lieu cet été à Ottawa. Ce fut là une occasion formidable. Je crois qu'il a retenu énormément d'attention, parce que vous nous avez permis de le présenter à certaines des personnes qui s'intéressent le plus à ce sujet particulier.

Alors que nous l'avons parcouru, une question qui a retenu tout particulièrement l'attention concerne la conduite avec les facultés affaiblies, puisqu'elle semble provoquer tout un engorgement du système alors que les accusations pour ce type de comportement, si je me base sur les plus récentes données dont nous disposons, prennent un nombre médian de 141 jours avant d'aller à procès. Énormément de causes de ce genre vont à procès. D'après les dernières données dont nous disposons, soit pour 2013-2014, le nombre de ces causes dépassait les 38 000. Multipliés ensemble, ces deux chiffres entraînent tout un engorgement. Compte tenu des démarches que vous avez effectuées auprès de vos clients d'un océan à l'autre, je suis certain que vous avez entendu différents points de vue sur le sujet. Je me demande si vous pouvez nous présenter une information concernant précisément la conduite avec les facultés affaiblies, ainsi que les préoccupations et les solutions possibles qu'on vous a fournies sur le sujet.

M. Carter : Cela représente un problème, puisque la haute direction n'a encore adopté aucune position officielle. Vous n'êtes pas sans savoir que nous sommes des avocats de la Couronne et des avocats de la défense qui se réunissent. Nous ne représentons pas une ou l'autre des parties. Donc, sur certains sujets, je veux m'assurer de présenter une opinion unanime sur ce que j'entends. Ceci étant dit, j'entretiens des opinions relativement fermes sur le sujet et je suis prêt à vous les présenter, sans porter mon chapeau de l'ABC, si vous le voulez.

Le sénateur Batters : Certainement.

M. Carter : D'accord. Premièrement, les statistiques confirment ce que je constate dans la pratique, à l'effet que ces causes se retrouvent devant les tribunaux plus que les autres, ou tel a été le cas par le passé, ce qui tend à engorger le système des tribunaux. Donc, ce que vous disent les statistiques, je le constate dans la pratique.

Cependant, les choses ont changé. En Ontario, il y a peut-être quatre ou cinq ans, on a adopté un changement en ce qui concerne ce qui était disponible à la fin de ces causes. Si vous plaidiez coupable plus rapidement, plutôt que de vous voir imposer une interdiction de conduire de 12 mois suivie de 12 mois au cours desquels vous devez utiliser le dispositif de verrouillage, qui vous oblige à souffler afin de pouvoir conduire votre voiture, en raison d'une initiative de toutes les organisations Les mères contre l'alcool au volant (MADD), ont plutôt adopté une période d'admissibilité à une interdiction de conduire d'à peine trois mois et neuf mois avec le dispositif de verrouillage. Il peut sembler contre- intuitif de déclarer que vous réduisez la peine, mais les études ont démontré que les gens qui utilisent le dispositif de verrouillage ne récidivent pas. MADD a donc insisté pour qu'on adopte cette mesure et je constate dans la pratique que cela a permis de réduire les raisons de plaider au cours des procès. On n'a pas éliminé le problème, mais pour certaines personnes, la possibilité de conduire plus tôt présentait un avantage dont elles pouvaient se prévaloir uniquement si elles plaidaient coupables au cours des trois premiers mois. Auparavant, on vous imposait la même interdiction, peu importe que vous plaidiez coupable plus tôt ou que vous attendiez après le procès. Il n'existait aucun incitatif à plaider coupable. Maintenant, il y en a un. Je dirais que de 60 à 70 p. 100 plus de clients optent pour le faire, ce qui permet de réduire grandement l'engorgement.

Si vous allez à l'autre extrême et souhaitez voir ce qui est advenu, vous pouvez regarder du côté de la Colombie- Britannique. Je pratiquais dans cette province. Mais plus maintenant. Lorsque je m'y rends chaque année pour assister à une conférence de l'ABC et que je rencontre des avocats de la défense, plusieurs de leurs pratiques sont totalement sursaturées. Si vous vous demandez si cela est bon pour le système, cela l'est probablement. C'est la raison pour laquelle je parle ici en mon nom et non en celui de l'ABC. Certains avocats de la défense n'en seront pas heureux.

Pour l'instant, vous avez une interdiction de conduire de type administratif, qui ressemble à ce que nous avons ici, mais vous l'avez sans avoir été reconnu coupable au criminel, ce qui représente la pierre d'achoppement que je rencontre avec les clients qui ne veulent pas obtenir de dossier criminel. Ils voient l'interdiction de conduite moins sévère et certains se disent : « Parfait, je l'accepte. » Certains voient cela et disent « Je ne veux pas de dossier criminel. »

Lorsque vous enlevez ces deux aspects, vous êtes grandement encouragé à ne pas vous battre devant les tribunaux et, si je me base sur tous les comptes rendus dont on me fait part, ces causes ne vont plus à procès et, au palais de justice sur la rue Main à Vancouver, où plusieurs de ces causes sont plaidées, les gens n'ont rien à dire, puisque tout est réglé.

Je suis direct ici. Je n'ai vu aucune étude précisant que cette façon de faire est efficace ou qu'elle a fait la différence en matière de conduite avec les facultés affaiblies. La situation est-elle pire ou s'est-elle améliorée? Je ne pourrais le dire. Je peux cependant dire, d'après tout ce que j'ai vu et entendu, qu'elle influence les délais dans le système. Il s'agit là de mon opinion personnelle et non de l'opinion de l'ABC.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie et vous souhaite de nouveau la bienvenue.

Je voudrais vous remercier des remarques positives que vous avez exprimées au sujet du rapport du comité. Comme vous le savez, au moment où le comité a terminé la première partie de son audience, une décision rendue par la Cour suprême est venue rebrasser les cartes en établissant les paramètres.

Pourriez-vous commenter en tant qu'avocat plaidant? Je ne vous demande pas de commenter la décision de la cour en ce qui concerne les délais, mais plutôt de nous décrire votre propre point de vue et votre expérience d'avocat plaidant, votre évaluation du cadre que la Cour suprême a mis en place et ce qu'impliqueraient les changements si nous souhaitons vraiment respecter tous les délais imposés aux deux niveaux par le tribunal.

M. Carter : On ne peut en douter, chaque fois que vous apportez un changement important au niveau des lois on assiste normalement à une augmentation du nombre de litiges. Il existe certaines zones d'ambigüité et d'incertitude en ce qui concerne la décision et ce qu'elle implique, ainsi que les gens touchés par le litige. Ces aspects peuvent entraîner un certain délai au départ.

Pendant ce temps, mon expérience ici à Ottawa m'a permis de constater que tous les intervenants du système sont très, mais vraiment très préoccupés et conscients des délais que présentent maintenant les causes, ce qui peut faire renaître chez eux le sentiment de complaisance qu'ils ont ressenti par le passé. Les procureurs de la Couronne identifient les dossiers préoccupants en raison des délais, alors que la cour se dit préoccupée et procède à la création de tribunaux de purge auxquels elles confient des dossiers afin de favoriser leur progression. Je dirais que le système réagit à la décision et, alors qu'il est impossible de prédire à long terme s'il fera continuellement, cela reflète assurément la décision qui incite les intervenants du système à accélérer les choses.

Le sénateur Joyal : En tant qu'Association du barreau canadien, avez-vous mis sur pied un comité dans le but de partager les pratiques exemplaires avec les avocats pour vous assurer que tous savent maintenant qu'il existe un ensemble différent de paramètres et que tous doivent s'efforcer honnêtement de s'ajuster au calendrier de toute cause importante par rapport à ce que vous avez qualifié de complaisance qui prévaut dans le système?

M. Carter : Nous avons abordé la question au niveau de la haute direction. Nous ne disposons d'aucun comité sur la question, mais je vous dirais en toute équité que tous ceux qui pratiquent dans le système canadien de justice connaissent vraiment la décision et son impact. Celui-ci se fait sentir, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'en discuter avec les membres. Tout le monde est au courant de la situation et de ce qu'il faut.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas faire ombrage à ce qui découle de ce comité, mais vous déclarez, dans vos notes, que les changements apportés à la loi sur la conduite avec les facultés affaiblies qui entraîneraient un examen comparable sur le plan juridique devraient faire l'objet d'une approche minutieuse. Sur quelle base pouvez-vous exprimer de tels commentaires et les imprimer dans votre compte rendu lorsque vous parlez de la conduite avec les facultés affaiblies ou sous l'influence de drogues s'il s'agit là d'une infraction précise qui est clairement reconnue dans le Code criminel?

M. Carter : Ce que nous avons essayé de faire ici, c'est de présenter les points de vue des différents membres. Je crois que la préoccupation exprimée vient préciser l'argument selon lequel nous disons simplement que vous devez aborder prudemment ce que vous faites, puisque lorsque vous apportez des changements dans de nouveaux domaines du droit, ceux-ci peuvent avoir des conséquences imprévues et, par exemple, donner lieu à une augmentation considérable du nombre de litiges. Vous voulez procéder avec soin pour ne pas donner lieu à des défis sur le plan constitutionnel, ainsi qu'à divers problèmes qui devront faire l'objet de litiges.

Je préciserais qu'un des premiers cas de conduite avec les facultés affaiblies impliquant des drogues a été débattu devant la Cour suprême il y a à peine une semaine dans la décision Bingley. L'avocat est un de mes bons amis et il s'agit là d'une cause qui est passée de la Cour provinciale à la Cour supérieure avant de revenir pour un autre procès à la Cour supérieure et à la Cour d'appel. Les tribunaux en ont été saisis plusieurs fois et elle a donné lieu à de nombreuses procédures. Une fois de plus, la Cour suprême aura le dernier mot, mais plus la loi est claire, moins il existe de risque d'ambiguïtés qui obligeront la Cour suprême à intervenir. C'est la raison pour laquelle nous parlons d'approche prudente pour éviter d'avoir à procéder à des changements, mais la prudence est de mise.

Le sénateur Joyal : Iriez-vous jusqu'à nous suggérer d'envisager, dans notre recommandation, lorsqu'on demande au Parlement d'envisager d'ajouter au Code criminel, lors du prononcé de la sentence ou de la création d'une nouvelle infraction, d'évaluer l'impact du système de justice? Nous devrions alors mesurer, en connaissant pleinement ce que seraient les conséquences sur le fonctionnement du système si le Parlement allait dans une telle direction. Il s'agirait là d'un genre de modèle afin d'évaluer l'impact d'une décision en lien avec le Code criminel.

M. Carter : Je serai honnête : Je ne m'étais pas arrêté à cette suggestion, mais elle m'apparaît très logique. Il s'agit là toujours des conséquences involontaires de l'ajout au Code criminel de points qui peuvent avoir des répercussions à d'autres niveaux, comme les délais. En mesurant ceux-ci dès le départ, ou à tout le moins en y pensant, votre opinion restera probablement inchangée quant à votre désir d'adopter une nouvelle loi, mais il serait logique d'envisager une telle mesure.

Le sénateur Joyal : Normalement, le procureur général fédéral, lorsqu'il rencontre ses homologues ou des représentants ou qu'il fait des représentations touchant la création ou la reconnaissance d'une nouvelle infraction ou des changements importants au Code criminel, on devrait mesurer l'impact d'un tel geste sur le système, puisque, comme vous le savez, l'administration de la justice est une responsabilité provinciale et parce qu'ils sont les premiers qui subiront les impacts des délais dans le système de tribunaux.

Il me semble que, si nous sommes conscients qu'il s'agit là d'une question qui a fait l'objet d'une décision de la cour, les tribunaux savent très bien que le délai représente maintenant un facteur important de leur décision en ce qui concerne la gestion de toute cause dans le délai imparti. Je crois qu'il serait logique de s'assurer que tous les intervenants du système comprennent que ce qu'ils font n'est pas sans avoir d'impact sur le fonctionnement du système. Cela m'apparaît comme un facteur important dont on doit tenir compte.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous deux pour votre présentation!

M. Carter, dans votre présentation et votre exposé, vous énumérez à la page 2 les préoccupations et les impacts des délais des tribunaux dans les territoires et sur les peuples autochtones. Vous énoncez 10 points, dont l'un d'eux concerne les sentences minimales obligatoires.

Considérez-vous que nous devrions éliminer les sentences minimales obligatoires dans les cas impliquant des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale? Dans ce cas, plutôt que d'être emprisonnés pour une période prolongée, on pourrait les intégrer plus rapidement aux programmes de justice réparatrice.

M. Carter : Oui, la position de l'ABC a toujours été de s'opposer aux peines minimales obligatoires et il existe différentes façons de procéder à ce niveau. Mais assurément, sur la question des individus aux prises avec des problèmes de santé mentale, cela revient à dire ce que j'ai déclaré plus tôt à l'effet qu'il est essentiel de s'attaquer aux causes premières du problème pour s'assurer que les gens ne sont pas soumis inutilement au système. C'est une chose que d'avoir une peine minimale obligatoire ou une sentence d'emprisonnement prolongée, par exemple, pour un trafiquant de drogue confirmé uniquement pour des raisons de cupidité, mais si vous avez un individu aux prises avec des problèmes de santé mentale qui doit composer avec des problèmes de pauvreté et autres, il s'agit là d'un ensemble différent de circonstances et l'existence d'une peine uniforme peut devenir problématique. Dans ces cas, je crois assurément qu'il serait logique de ne pas imposer de peines minimales obligatoires.

Le sénateur Sinclair : J'ai entendu qu'on a déjà répondu à ma question. Par conséquent, merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Carter, bienvenue au comité. Concernant les cas de conduite avec les facultés affaiblies, je dois dire qu'ayant été policier et technicien d'ivressomètre, j'ai témoigné dans bon nombre de causes.

À tort ou à raison, la défense a recours à des témoins experts pour contester les tests d'ivressomètre. Je vous dirais qu'aujourd'hui, ce n'est plus la limite de 0,08 qui fait l'objet d'une contestation, mais bien la limite de 0,14. Dans un tel cas, la Couronne peut établir la preuve au-delà du test d'ivressomètre et présenter une contre-expertise.

Êtes-vous d'accord pour dire que le recours aux témoins experts ne fera que prolonger les délais de procédure? On sait que des experts témoignent dans les procès pour meurtre, mais ma question se limite particulièrement aux cas de conduite avec les capacités affaiblies.

[Traduction]

M. Carter : La première réponse est que dès que des experts sont impliqués, vous allez avoir des délais. Cela a pour effet de compliquer les causes.

En ce qui concerne l'utilisation accrue dans les causes de conduite avec les facultés affaiblies, je dirais que le contraire s'est produit au cours des dernières années.

La défense avait l'habitude de pouvoir présenter une preuve contraire, ce qu'on qualifiait parfois de défense Carter ou de l'infraction des deux verres, qui obligeait à convoquer un expert judiciaire pour la défense dans toutes les causes et on vous le permettait.

Maintenant, à tous les égards, cette défense est pratiquement inexistante. Elle n'existe que dans de très rares cas et il est extrêmement onéreux pour la défense d'embaucher un expert qui témoignera dans le dossier, parce que celui-ci présente peu de liens avec le fonctionnement de l'appareil, et cetera. Par conséquent, on a assisté à une baisse drastique. Nous avions l'habitude de voir un expert judiciaire ici à Ottawa dont le gagne-pain consistait exclusivement à témoigner dans ce genre de causes. En raison de ces changements qu'on a apportés à la loi, il n'est plus en affaires.

Dans les cas où les échantillons sont prélevés après deux heures et où la Couronne perd sa présomption d'innocence, il faut appeler un expert. On doit alors convoquer un employé du Centre of Forensic Sciences à Toronto. Cependant, la façon dont nos tribunaux ont imposé cette façon de faire a consisté à convaincre les avocats de la défense à accepter qu'un individu puisse présenter une preuve par téléphone afin de réduire les dépenses.

Je dirais qu'il en a résulté une baisse drastique du recours à des experts dans les causes de conduite avec les facultés affaiblies. Les autres causes représentent une autre histoire, comme les meurtres ou autres, ainsi que les dossiers plus complexes. Mais assurément, on a constaté une réduction considérable dans la loi touchant la conduite avec les facultés affaiblies.

Le président : Dans votre présentation consacrée à l'impact sur les territoires et les peuples autochtones, vous dites qu'on doit attendre la communication de la preuve acheminée aux laboratoires dans le Sud du Canada. Nous avons entendu certaines de ces préoccupations qu'on a exprimées lors de notre voyage dans l'Ouest, sans compter le temps perdu à attendre les résultats des laboratoires. Je présume ici qu'il n'existe que deux laboratoires de la GRC au Canada, mais je n'en suis pas certain. Nous avons des témoins qui s'exprimeront sur le sujet à l'avenir.

Si vous vous attardez non seulement aux territoires et aux peuples autochtones qui y vivent et que vous regardez la situation d'un angle plus vaste, y voyez-vous un problème du point de vue de l'ABC?

M. Carter : Oui, la communication retardée est normalement ce qui cause tous les délais au cours de la période d'admission initiale. Une fois de plus, nous avons regroupé les réponses que nous avons reçues et c'est ce qu'ont soulevé les individus qui habitent dans les territoires. Pour être honnête avec vous, ce qu'ils voient comme un problème là-bas est bien pire ici. Ils se plaignent du fait qu'ils obtiennent les communications deux jours seulement avant leur première comparution. Quant à nous, nous avons de la chance si nous en obtenons la moitié seulement avant la première comparution. Je dirais que leur problème n'est pas aussi important que le nôtre ici.

En ce qui concerne les experts et les examens qu'il faut effectuer, le principal problème concerne l'analyse judiciaire des ordinateurs. Comme vous pouvez facilement l'imaginer, les téléphones et les ordinateurs occupent maintenant une place bien plus importante dans le système de justice criminelle, ce qui peut entraîner des délais considérables en raison des ressources limitées. Par exemple, la PPO possède un centre à Orillia et tout le travail se déroule à cet endroit, ce qui explique la raison pour laquelle ils sont tellement débordés. C'est triste à dire, mais on a constaté une explosion du nombre de cas de pornographie infantile sur l'Internet. Nous n'avions jamais l'habitude de voir de telles causes, alors qu'elles se comptent maintenant par centaines, et lorsqu'on s'adresse aux agents concernés, elles se comparent à une aiguille dans une botte de foin. Ils se contentent de choisir quelques causes qu'ils sont capables de traiter. Le problème est encore bien pire.

On constate un tel arriéré lorsque les experts doivent préparer une analyse judiciaire de l'ordinateur afin de découvrir qui l'utilisait. De quelle façon peut-on dire qu'ils regardaient les photos et à quel moment? Seule une poignée d'entre eux est capable de le faire. Les procureurs à Ottawa ne commanderont même pas le rapport avant de savoir que la cause ira à procès, ce qui place la défense dans une situation difficile : Comment savons-nous si vous êtes en mesure de prouver votre cause? Vous devez donc fixer une date de procès. Dans la récente cause dont je me suis occupé, j'ai fixé la date du procès il y a huit mois et j'ai obtenu le rapport médico-légal il y a une semaine. Il leur a fallu huit mois pour le préparer, je suppose, en raison des arriérés considérables. Il s'agit là d'un domaine où les infractions sont en hausse et le délai de communication dans ces dossiers revêt une importance primordiale.

Si nous revenons à certaines des recommandations sur une vérification précoce, l'autre secteur où vous obtenez de nombreuses communications est habituellement celui des causes importantes impliquant des stupéfiants ou des gangs. Ces causes doivent faire l'objet d'énormément de vérifications et nous nous sommes grandement améliorés à ce niveau. Cependant, il existe des causes où vous vous présentez, alors qu'on effectue le strict minimum lors de la première comparution, sans compter qu'on a produit tellement de matière et les gens ne sont pas prêts à poursuivre. Ce sont là les deux principaux domaines.

Si toute la preuve avait été divulguée, vous pourriez alors exercer des pressions sur l'avocat de la défense : vous avez tout entre les mains; prenez une décision. Mais ce qui arrive, la défense se présente et dit : « Il me manque les pièces A, B, C et D ». Par conséquent, on remet à deux semaines une nouvelle comparution devant le tribunal : « Avez-vous tout ce qu'il faut maintenant? » « J'ai la pièce A, mais non les pièces B, C et D. » Le tout est retardé encore de trois semaines et on pourrait devoir se présenter à la cour pendant deux mois afin de vérifier toutes les trois semaines si tout est prêt et vous ne pouvez prendre aucune décision avant d'avoir tous les documents nécessaires.

Le président : La dernière fois que vous étiez ici, vous avez qualifié le tribunal des cautionnements de chaotique et vous nous avez encouragés à le visiter. Peut-être que nous le ferons éventuellement. Mais si je me base sur les commentaires de l'ABC en ce qui concerne l'Ontario, nous passons inaperçus. J'ignorais qu'il y avait autant de différence dans la façon dont les tribunaux des cautionnements fonctionnent en Ontario comparativement aux autres endroits au pays. L'ABC n'a-t-elle pas insisté pour que le gouvernement de l'Ontario se penche sur la question? On connaît très bien le problème. Par conséquent, je me demande le genre de réaction que vous obtenez du ministère du procureur général en ce qui a trait aux différences entre la façon dont le cautionnement fonctionne dans les autres provinces par rapport à l'Ontario.

Mme Schellenberg : Je ne crois pas que nous nous soyons attardés sur l'Ontario.

M. Carter : Nous nous sommes réunis une ou deux fois par année avec le ministère de la Justice afin d'aborder les principaux points chauds. Ils avaient un comité qui s'occupait de la question lors de la réunion qui avait lieu ce printemps. La disparité du système de cautionnement au pays les préoccupait. Ils ont signalé que cela représentait un problème. Nous en avons parlé et nous avons exprimé nos préoccupations.

J'ai eu l'avantage de pratiquer en Colombie-Britannique et en Ontario. J'ai également comparu sur plusieurs autres territoires, comme la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick. Alors que certaines choses se déroulent mieux en Ontario, il n'existe aucune comparaison avec le système de cautionnement de la Colombie-Britannique. Celui-ci demande bien plus de temps ici. En Colombie-Britannique, tout se fait sous forme de présentations à l'avocat. Aucun témoin n'est convoqué. Tout semble fonctionner comme sur des roulettes. Je n'ai jamais vu de statistiques qui démontrent qu'on libère les gens plus tôt ou en plus grand nombre.

À Ottawa, ainsi qu'à Toronto, un agent présente sa preuve au moment de l'audience. Il s'agit normalement d'un individu qui assure la liaison avec les tribunaux. Ce n'est même pas un enquêteur, à moins qu'il s'agisse d'un dossier plus important. Ils lisent les allégations. La défense doit convoquer des cautions qui doivent témoigner et qui sont contre-interrogées par la Couronne. Il arrive qu'une enquête sur le cautionnement prenne trois quarts de la journée dans un dossier relativement simple.

Lorsque j'étais en Colombie-Britannique, le tribunal des cautionnements à cet endroit traitait de 30 à 40 dossiers par jour dans un seul tribunal. Ainsi, la différence est astronomique. Notre système en Ontario est terrible, honnêtement, lorsqu'il s'agit de retarder un dossier. Il est bien trop lourd. On a présenté plusieurs recommandations. Un comité du cautionnement a été mis sur pied en Ontario et l'ABC n'y participe pas. Ce comité travaille sur la question, ainsi que sur d'autres dossiers.

Le sénateur White : Merci de votre attention. Je m'excuse de mon retard.

Vous avez parlé de la Colombie-Britannique et vous l'avez comparée à l'Ontario. Croyez-vous que le fait que la Colombie-Britannique dispose d'un système d'approbation de l'inculpation contribue à réduire ou à accroître les délais dans le système?

M. Carter : Je ne pourrais dire. Le Globe and Mail a récemment publié un éditorial sur les raisons pour lesquelles l'Ontario devrait adopter une telle façon de faire. Pour être honnête, je n'ai pas de statistiques. L'ABC n'a pas pris position, de sorte qu'il est difficile de quantifier les changements qui en résulteraient.

Le sénateur White : Je sais qu'en Colombie-Britannique, en ce qui concerne les infractions relatives aux crimes commerciaux, on dénombre moins de 147 accusations déposées entre décembre 2012 et janvier 2016. On a déposé plus d'une accusation entre les dates d'un crime qui dépasse... Croyez-vous que cela aurait un impact sur les délais des procès? Plutôt que de gérer plusieurs infractions, vous en gérez une seule?

M. Carter : Chaque fois que vous délimitez la question dès le début, cela vous rapporte. Je peux vous dire, d'après mon expérience personnelle, que la poursuite des crimes commerciaux en Colombie-Britannique était très bien organisée au niveau de la police, ainsi que du bureau de la Couronne. À titre d'avocat de la défense, je considère qu'ils étaient vraiment prêts lorsqu'ils ont pris la décision de déposer des accusations. Tout avait fait l'objet d'une enquête minutieuse. Tout avait été analysé. Tout avait déjà été défini, de sorte qu'aucun argument n'est rejeté. Cela a fait toute la différence.

Le sénateur Baker : De l'autre côté de l'équation, l'Ontario compte par habitant moins de crimes violents que tout autre endroit dans ce pays. Il présente le deuxième taux le moins élevé par habitant de crimes contre la propriété.

Vous avez récemment évoqué une cause dont on a saisi la Cour suprême du Canada. S'agit-il de cette cause qui consistait à déterminer si l'individu qui rend la décision dans un cas de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue était véritablement un expert?

M. Carter : Oui, c'est celle-là.

Le sénateur Baker : Il s'agissait d'une loi que ce comité avait adoptée ici en 2008. Certains membres de ce comité ont soulevé des questions, dont l'un d'eux prend présentement place ici à ma droite. La Cour suprême du Canada fera bientôt connaître cette décision.

Le sénateur Dagenais vous a posé une question, il y a un moment, au sujet du témoignage d'expert. Il s'agit du témoignage d'expert auquel il faisait référence, alors qu'on constate énormément de confusion dans les causes de conduite avec les facultés affaiblies.

Le sénateur Dagenais est un expert dans ce genre de causes. Il s'est qualifié en tant qu'expert judiciaire dans la mesure où l'autorisation de conduite avec les facultés affaiblies par l'alcool est concernée, n'est-ce pas?

Le sénateur Dagenais : Oui.

Le sénateur Baker : Le certificat est tout ce qu'il faut. Il n'a pas besoin de se présenter devant le tribunal. En vertu du code, son certificat signé signifie qu'il existe une preuve. Cela n'existe pas dans la disposition concernant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue.

Dans certains procès complexes impliquant les drogues, on a besoin de nombreuses communications et plusieurs mandats sont lancés. Reconnaissez-vous que le mandat 186, qui est toujours utilisé, c'est-à-dire le mandat d'écoute électronique dans les cas impliquant des drogues, ce volumineux mandat de 800 pages ou d'un millier de pages, renferme logiquement tous vos mandats précédents. Je les ai lus. Ils renferment tous vos mandats précédents afin d'étayer votre mandat 186. Si vous faites preuve de logique, on devrait divulguer ce mandat immédiatement à la cour, à la Couronne et à l'avocat de la défense accompagné des éléments de vérification appropriés. Ne reconnaissez-vous pas que nous pouvons accommoder ces procès complexes qui sont logiques? La communication McNeil pourrait s'effectuer pour tout agent de police longtemps avant même le début de n'importe quel procès. Êtes-vous d'accord?

M. Carter : Oui. Dans ces causes, on utilise généralement un mandat général, de sorte que vous avez l'écoute électronique combinée à une série d'autres éléments qu'ils recherchent.

Le sénateur Baker : 187(1.2).

M. Carter : Parmi l'information qu'il faut obtenir, si la version finale est prête, il s'agit habituellement d'un résumé qui s'ajoute à tous les autres. Vous en aurez un pour l'avocat de la défense qui résume la cause. Celui-ci doit faire preuve de diligence raisonnable et revenir. Si la version finale est prête, le processus se poursuivra.

Le sénateur Batters : Après avoir sondé vos avocats de tous les domaines d'un océan à l'autre, je me demande si vous avez entendu certaines des solutions les plus fréquemment proposées sur la question; nous avons peut-être entendu certaines et d'autres pas. Je voulais vous donner de nouveau l'occasion d'aborder le sujet.

M. Carter : Simplement de façon générale?

Le sénateur Batters : Oui.

M. Carter : Il existe toujours un désaccord en ce qui concerne les détails, en particulier parce qu'il existe des différences entre les provinces et les différentes juridictions et la façon dont elles font les choses. Il n'a vraiment rien en dehors de ce qu'on a mis en évidence. Il existe certains éléments que je n'ai pas inclus, parce qu'il s'agit de l'opinion d'un membre et parce que j'ai pris la décision exécutive qu'il ne vaut pas la peine de s'y attarder.

Nous avons tenté d'identifier des modèles — des pratiques de communication, une modernisation des comparutions de routine, l'aide juridique, ainsi que le traitement des questions sous-jacentes, dont tout particulièrement l'alcool. Nous avons entendu les gens parler des choses, comme les programmes de diversion, les tribunaux de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie, dont plusieurs sont déjà abordés dans le rapport.

Ainsi, les faits saillants que vous avez soulignés dans le rapport reflètent avec précision ce que disent les gens, ce qui est plutôt un bon signe.

Le sénateur Sinclair : J'étais curieux d'entendre certains des commentaires que vous avez exprimés sur la question des tribunaux nordiques et des Autochtones accusés, ainsi que des délais entourant leurs causes, puisque j'ai présidé une étude réalisée au Manitoba alors que j'étais juge, sans compter que j'ai lu la plupart des rapports qu'on a rédigés au sujet des peuples autochtones dans le système de justice.

Ainsi ma question était, pour débuter : avez-vous fait référence à ces sujets dans vos travaux préparatoires avant de venir ici, dans les travaux en général, ainsi que dans les études consacrées à la question des délais au sein des communautés nordiques et chez les peuples autochtones en particulier?

M. Carter : Une fois de plus, nous avons sondé nos membres, en particulier ceux qui pratiquent dans cette région, parce que je ne prétends pas être un expert sur le sujet. Par exemple, un des avocats qui travaille à cet endroit faisait référence au rapport de la vérificatrice générale sur le Yukon, dans lequel on fait fréquemment référence, en particulier, au rapport portant sur la question des individus arrêtés et qui se voient refuser un cautionnement lors d'infractions en lien avec l'alcool. Cela est ressorti tout particulièrement du rapport de la vérificatrice générale sur le Yukon.

On y constate également certaines références aux constatations de la Commission de vérité et de réconciliation. Il s'agissait des deux rapports auxquels on a fait référence dans les réponses que nous avons reçues des gens qui pratiquent.

Le sénateur Sinclair : À part la Commission de vérité et de réconciliation, les études qu'on a réalisées et qui concernent l'administration de la justice, en particulier dans les régions nordiques du Canada, font état de problèmes systémiques qui contribuent aux délais, dont un des plus importants concerne la rareté des séances des tribunaux itinérants, les problèmes ayant trait aux tribunaux itinérants, les problèmes de traduction, l'absence de traducteurs approuvés par les tribunaux, ainsi que la difficulté de trouver des traducteurs convenables, les problèmes entourant la communication, que vous avez évidemment déjà identifiés, mais également le simple renvoi dans les tribunaux itinérants du nord qui prend essentiellement un mois, alors que le même renvoi dans les régions urbaines, comme Toronto, est une question de jours ou peut-être de semaines seulement. Je sais qu'au moment où se déroulait l'enquête sur la justice et les Autochtones au Manitoba, nous avons constaté que les Autochtones accusés devaient attendre plus longtemps avant leur procès, mais que les délais étaient moins élevés avant le renvoi de leurs causes. Ils ont effectivement subi leur procès après une attente plus longue, alors qu'ils n'ont connu que trois ou quatre ou cinq renvois avant leur procès. Dans le sud, par contre, trois ou quatre ou cinq renvois pourraient prendre un mois, alors qu'il faut six mois dans le nord. Ces problèmes systémiques ont-ils suscité des commentaires de la part de vos collègues?

M. Carter : Il s'agit là simplement de l'opinion d'un avocat et, une fois de plus, nous la présentons ici afin d'obtenir une réponse. Nous en avons d'ailleurs recueilli quelques-unes. La meilleure chose à faire consiste peut-être simplement à lire les réponses que j'ai obtenues sur la question. Cela m'a quelque peu étonné. Il s'agit de l'opinion d'une personne, mais elle écrit et pratique dans les Territoires-du-Nord-Ouest. « Je ne considère pas que la géographie entraîne vraiment des délais. La Couronne, la défense et le judiciaire sont tous attentifs à l'importance d'assurer qu'on réalise le plus de travail possible sur le circuit. Nous avons la chance de compter sur un groupe merveilleux d'avocats de la Couronne qui n'ont pas peur de se débarrasser tôt des accusations qui n'iront clairement jamais à procès et de négocier des aveux qui sont, en réalité, alléchants. Nous comptons également sur un groupe aguerri d'avocats de la défense qui ont leurs clients à cœur, de sorte que nos clients peuvent ainsi établir un certain rapport et faire confiance à leurs conseils. Cela ne revient pas à dire que des vols aller-retour en une même journée représentent une manière utile d'amener le système de justice au sein des petites communautés qui ne possèdent peut-être pas une connaissance culturelle de la notion de justice en tant que bien public, mais il s'agit là d'un tout autre problème. »

Voilà donc la réponse que nous avons reçue, l'unique réponse dans ce dossier, à l'effet que les tribunaux itinérants et l'emplacement géographique n'entraînent pas nécessairement de délais. Cela ne concerne aucunement certains des autres points que vous avez soulevés en ce qui a trait au nécessaire avant d'aller à procès, même s'il y a moins de renvois. Une fois de plus, je n'ai tout simplement pas la réponse à cette question. Nous avons fait de notre mieux pour sonder les avocats, mais je ne pratique pas dans cette région.

Le sénateur Sinclair : Une des questions que vous avez soulignées dans la documentation que vous avez remise préalablement au comité concerne le temps qu'il faut pour obtenir des certificats d'aide juridique et vous n'avez pas abordé beaucoup le sujet lors de votre présentation. Je voulais connaître, d'après votre expérience, le temps qu'il faut en Ontario avant qu'un accusé ayant droit à l'aide juridique n'obtienne l'approbation de cette aide pour se faire représenter par un avocat avant que celui-ci ne puisse même commencer à demander une communication.

M. Carter : Je n'exerce moi-même que de façon limitée dans le domaine de l'aide juridique. Je m'occupe habituellement de causes plus importantes, comme des meurtres, de sorte que la situation en ce qui concerne l'aide juridique est différente et cela demande parfois un certain temps, et cetera. Je crois comprendre, en m'entretenant avec des avocats, qu'on est préoccupé au jour le jour, en particulier en ce qui concerne les gens qui font l'objet de renvois et qu'on ne libère pas sous caution, ainsi que la capacité d'obtenir l'aide juridique suffisamment tôt pour s'occuper d'eux dans un délai donné. Par exemple, si vous adoptez la position de la Couronne selon laquelle « La personne est sortie au cours du week-end. Il ne s'agit pas d'une infraction grave, mais son dossier est considérable. Nous leur donnerons le temps purgé, » l'avocat de la défense se trouve dans une situation bizarre, alors qu'il déclare : « Eh bien, c'est évidemment préférable pour le client, mais je n'ai aucune façon d'obtenir mon certificat d'aide juridique à temps. » Certains avocats leur permettent tout simplement de s'en sortir par leur plaidoyer. C'est donc un problème.

Je crois que le principal problème concerne ce que vous pouvez qualifier du pauvre travailleur qui n'a pas droit à l'aide juridique, mais qui ne dispose vraiment pas des sommes qui lui permettraient d'embaucher un avocat privé, en particulier si la cause devient un peu complexe. Il s'agit là du vrai problème et non ces gens qui auront évidemment droit à l'aide juridique. Un système est en place. Il arrive qu'il soit trop lent. Mais votre principal problème concerne ces individus qui n'obtiendront pas d'aide juridique et qui sont incapables de s'offrir le luxe d'un avocat. Le montant limite des revenus qui permet d'obtenir l'aide juridique est extrêmement faible. Celui-ci a peu évolué au cours des ans. Le gouvernement de l'Ontario l'a modifié récemment en le haussant. Je ne peux me souvenir de ce qu'est le chiffre actuel lorsque vous êtes célibataire. Oui, si vous gagnez plus de 17 000 $ par année, vous ne pouvez obtenir un avocat; un montant de 17 000 $ ne vous permettra pas d'aller bien loin si vous devez acheter une maison, payer un logement, l'épicerie, et cetera. Par conséquent, il n'existe aucun endroit où ces individus peuvent s'adresser. Vous vous retrouvez donc avec le problème des accusés qui se représentent eux-mêmes, ce qui ralentit vraiment le système de justice, puisqu'un juge doit s'assurer qu'ils obtiennent un procès juste et équitable. Ils ne savent pas faire fonctionner le système; ils ne peuvent faire certaines choses, comme des aveux. Pour être juste, on ne sait pas à quoi s'attendre d'eux. Ils ne sont pas des avocats.

Le sénateur McIntyre : Ma question concerne la promotion d'alternatives au modèle du système de justice criminelle, incluant des tribunaux alternatifs et des tribunaux thérapeutiques, comme des tribunaux de traitement de la toxicomanie, des tribunaux pour les cas de santé mentale, ainsi que des tribunaux pour les accusés de violence conjugale. En quoi consiste votre expérience, le cas échéant, avec ce genre de tribunaux? Considérez-vous qu'ils contribuent à réduire les cas de récidive? Quel est leur impact, le cas échéant, sur les délais dans les tribunaux?

M. Carter : Votre question est difficile à répondre parce que, je crois, on a mélangé les résultats. Dans le cas des tribunaux de traitement des cas de toxicomanie, on assiste à des délais interminables parce que vous devez consacrer ce temps afin d'aider ces gens. S'ils terminent le programme avec succès, eh bien, il vaut alors la peine d'avoir investi ce temps. S'ils échouent et si on obtient un plaidoyer et une poursuite, vous avez alors perdu tout près d'une année.

Il est difficile de répondre à cette question sur le plan des délais. L'ABC considère qu'ils apportent une certaine valeur au système malgré le problème des délais. Ils sont efficaces. Ils donnent une chance aux gens qui n'en auraient autrement aucune. Il est certain qu'ils n'auront pas une telle chance en prison.

Le sénateur McIntyre : Il existe assurément une façon d'amener ces gens devant les tribunaux plus rapidement. J'ignore si nous avons besoin d'une évaluation psychiatrique en premier lieu pour ensuite déterminer s'ils sont dégagés de toute responsabilité criminelle — autrement dit, s'ils sont criminellement responsables ou non pour une raison d'inaptitude ou, s'ils sont aptes, s'ils ne sont pas criminellement responsables en raison d'un trouble mental. Cependant, nous devrons trouver une façon de les amener dans ce système et de les impliquer dans un programme de justice réparatrice.

M. Carter : Ce que nous avons à Ottawa diffère du tribunal de traitement de la toxicomanie. Nous avons un tribunal pour traiter les causes de santé mentale. Vous pouvez y avoir recours pour obtenir une évaluation officielle. Je crois que le médecin y vient deux fois par semaine sans compter qu'il possède un bureau dans une des salles d'audience où il peut évaluer les individus incarcérés, et cetera. Vous pouvez lui demander de soulever la question de non-responsabilité criminelle. Mais la grande majorité des causes ne répondent pas à ce critère. La situation n'est pas prononcée au point où cela pourrait servir de défense, mais ils sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. C'est vraiment à ce moment que le tribunal qui s'occupe des causes de santé mentale entre en jeu. Il est difficile de dire s'il présente plus de valeur qu'un tribunal qui s'occupe des causes de toxicomanie. Il est difficile de les comparer. Il est certain que plusieurs personnes appartiennent à cette catégorie et qu'elles sont bien servies par ce tribunal, parce que des travailleurs de soutien y travaillent. Plusieurs intervenants et organisations sont en mesure de leur offrir des services qui répondent vraiment à leurs besoins et sont capables de les surveiller s'ils disposent des ressources nécessaires. Je ne peux parler du reste du pays, mais nous avons déjà un tribunal qui s'occupe des causes de santé mentale à Ottawa. Aucun système n'est parfait, mais il s'agit là assurément d'un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Joyal : Je n'ai pas étudié personnellement l'administration de la justice dans le Nord, mais, ayant assurément lu le témoignage que vous nous avez présenté aujourd'hui à la page 2 et le rapport du sénateur Sinclair, alors qu'il présidait la Commission de vérité et de réconciliation, je me sens impuissant. J'ai l'impression que le problème se situe ici. Nous avons la conscience et la lucidité de le savoir, mais c'est...

[Français]

Je vais utiliser l'expression française : « C'est une hydre à cent têtes ».

[Traduction]

C'est un animal à cent têtes. J'ignore ce qui commence en premier lieu. Cela semble impossible à résoudre. Cela me rend mal à l'aise, parce qu'on a demandé à notre groupe de formuler des recommandations. Alors que je lis ceci et que j'écoute le sénateur Sinclair, je sens aujourd'hui que nous allons travailler avec l'esprit tranquille, mais que nous n'en arriverons pas vraiment à une solution. Je me sens, comme je dirais, inutile en tant que parlementaire. J'ai une responsabilité. Je veux m'en acquitter. Comment peut-on y parvenir?

Je sais que ce n'est pas vous. Vous transmettez l'information qu'on vous a remise à une personne qui vit sur le terrain et qui connaît très bien l'administration de la justice au jour le jour. À première vue, il n'y a aucun doute dans mon esprit que j'aimerais écouter cette personne s'exprimer dans le cadre de cette assemblée.

Je vous dis que je me sens mal à l'aise lorsque ce comité aborde cette question, alors que nous ferons simplement preuve de bonne conscience en le mentionnant, mais sans vraiment présenter d'initiative qu'on verra comme le début d'une solution permanente. Je désire enregistrer ces commentaires et ces réactions, parce que nous sommes tous trop conscients du besoin de prendre l'initiative, que le gouvernement doit prendre l'initiative, mais à cet égard, l'administration de la justice est une responsabilité des gouvernements des territoires et des gouvernements provinciaux dans le nord, comme le sénateur Sinclair l'a déclaré, soit le Manitoba, l'Alberta et la Saskatchewan. La situation est peut-être encore pire en Saskatchewan en raison du nombre d'Autochtones derrière les barreaux. Des facteurs de corrélation sont en cause dans cette situation. Je ne sais pas quoi dire d'autre à ce sujet.

De quelle façon devrait-on aborder la question? Le gouvernement devrait-il mettre sur pied un groupe de travail permanent qui s'occuperait simultanément de tous ces droits qui provoquent la situation actuelle? Je ne le sais vraiment pas. J'ignore si nous avons un ordre du jour pour les jours ou les semaines à venir afin d'identifier certains témoins ou initiatives que nous pouvons prendre pour nous assurer que notre rapport occupe une place importante et qu'il donne lieu à certaines mesures. Je l'ignore. Je n'ai rien à vous offrir aujourd'hui, si ce n'est que mon impuissance face à la situation.

M. Carter : Je ne suis évidemment pas en position de m'attaquer à tous les problèmes d'importance. Je peux le dire, puisque je collabore avec l'ABC depuis déjà quelques années. Nous avons nos réunions, alors que nos représentants du nord viennent chaque année. Nous nous réunissons pendant quelques jours et nos représentants des provinces et des territoires participent à ces réunions. Nous donnons la parole aux gens autour de la table et nous soulevons les différentes questions.

Pour être honnêtes, lorsque les autres disent : « Oh, nous avons ce problème à Ottawa, » ou « Nous avons ce problème à Regina » ou peu importe, celui-ci semble simplement si minime et insignifiant par rapport à ce que nous entendons des représentants des territoires, du Yukon qui nous décrivent les situations qu'ils vivent. Une fois de plus, en lisant ces courriels que nous avons reçus, il s'agit de personnes que je connais depuis longtemps grâce à l'ABC, qui travaillent sans relâche dans des conditions très, mais très difficiles. Les problèmes qu'ils nous décrivent sont bien plus réels que les situations auxquelles nous sommes confrontés.

J'ai lu une petite partie des aspects positifs des circuits, mais il s'agit là du dernier paragraphe d'un courriel de trois pages faisant état de plaintes sur tout, depuis les délais jusqu'à la discrimination et tout ce qu'il y a entre les deux. Tout ce que je peux dire à partir des déclarations des membres de l'ABC dans cette région, c'est que le problème est considérable et je crois qu'il faut s'y attaquer. Il faut simplement s'y attaquer.

Le président : Nous avions des témoins qui devaient comparaître. En raison de la tempête intense, en Saskatchewan, je crois, ils ont dû annuler. Nous avons modifié ou nous tentons de modifier leur date de comparution. Certains groupes autochtones doivent comparaître jeudi prochain. Nous espérons également compter sur la présence de travailleurs autochtones du tribunal Gladue de Toronto qui comparaîtront également.

Le sénateur Joyal : Merci.

Le président : Espérons que nous puissions recueillir d'autres commentaires sur ces questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Carter, j'aimerais revenir sur deux petites choses que vous avez mentionnées dans votre présentation.

Vous avez dit que pour avoir des juges et des avocats à l'aide juridique, il faut des criminalistes chevronnés. Croyez- vous que le recours à des criminalistes chevronnés améliorera les délais dans les cours de justice?

[Traduction]

M. Carter : Oui, de façon particulière, cette question est plus critique en ce qui concerne les causes plus vastes et plus complexes en raison des avocats d'expérience; cependant, ces avocats d'expérience qui sont efficaces, qui évoluaient ailleurs depuis longtemps, mais qui comprennent également les enjeux, contribuent par leur capacité de délimiter les enjeux et par leur jugement — autrement dit, on n'assiste pas à une série interminable de motions qui ne permettront jamais de remporter une cause, mais qui auront pour effet de l'étirer d'un délai prévu de deux semaines à trois mois. Il s'agit là de la contribution des avocats expérimentés et efficaces.

La réalité consiste dans ce que le coût de l'aide juridique est si faible, alors que l'écart entre ce coût et celui que peut exiger un avocat privé... Ici à Ottawa, c'est une chose. Si vous allez à Toronto, je suis renversé d'apprendre ce qu'on demande, mais la différence est considérable.

Vous n'allez jamais combler cet écart et je ne pense pas que vous deviez le faire. Je me suis occupé uniquement d'une cause de double meurtre qui a duré deux mois, alors qu'on a épuisé entièrement votre temps et vos ressources. Lorsque vous acceptez de telles causes, vous devez vous engager à vous en occuper et je crois que les bons avocats au barreau sont prêts à le faire. Cependant, si on leur offre un montant si dérisoire qui est absolument illogique sur le plan économique, je crois que les bons avocats sont prêts à accepter moins pour rendre service au barreau et pour l'administration de la justice. Ils ne devraient pas exiger les taux qu'ils demandent des clients privés, puisque cela doit représenter un modèle en vertu duquel vous ne perdez pas nécessairement d'argent en raison de vos frais généraux, et cetera.

Dans la mesure où l'on respecte ce principe, je crois que les bons avocats offriront de s'occuper de ces causes importantes. On ne devrait pas s'attendre à ce qu'ils fassent autant d'argent que dans le secteur privé, mais ils doivent avoir atteint un niveau afin d'être prêts à le faire sans perdre d'argent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Dans votre mémoire, vous formulez des recommandations intéressantes. En ce qui concerne les méthodes de travail en Colombie-Britannique, vous avez mentionné qu'ils sont peut-être plus méticuleux dans l'évaluation de la preuve avant de déposer des accusations. Je présume que cela permettrait d'améliorer les délais?

[Traduction]

M. Carter : Oui, et ces remarques que j'ai exprimées concernaient tout particulièrement le crime commercial, où je l'ai constaté davantage.

Je n'ai pas vu l'étude en tant que telle, mais je crois qu'on l'a publiée dans The Globe and Mail à peine la semaine prochaine ou il y a deux semaines, alors qu'on y comparait les statistiques. Ce que vous avez en Ontario, c'est un grand nombre d'accusations déposées, mais peu de condamnations parce que les accusations sont trop nombreuses. Ce que vous aviez en C.-B., c'était le dépôt d'un nombre bien moins élevé d'accusations, mais un taux de condamnations bien plus élevé, puisque les accusations déposées étaient bien plus justifiées.

Chaque fois que vous devez tailler les choses, vous économisez temps et ressources si vous le faites dès le départ. À la fin, lorsque vous avez accumulé tellement de frais, cela peut entraîner des problèmes qui empêchent l'avocat de la défense de résoudre la question pour le client, alors qu'il doit accepter les points A et B, mais non les points C, D et E. Vous devez alors marchander et, si le processus échoue, vous allez à procès et la question est résolue à la dernière minute, de sorte que vous avez perdu votre temps devant les tribunaux. Mais si tout se fait au début et si vous déterminez vraiment la teneur de la cause, vous allez économiser temps et ressources.

Le sénateur White : Je vous remercie de votre présence. Je souhaite vous parler de différentes causes que vous traitez et qui impliquent la santé mentale, la toxicomanie ou un trouble concomitant qui regroupe les deux, alors que des ressources sont disponibles ou non. Vingt pour cent des appels de service logés auprès de la police au Canada présentement ont maintenant un lien avec la santé mentale et mon expérience m'apprend que la toxicomanie chez les gens impliqués dans le système de justice est assurément en hausse.

Vous constatez des cas aussi nombreux que ce que j'ai vu, n'est-ce pas? Notre modèle d'intervention présente six mois d'attente avant d'obtenir un traitement pour toxicomanie, mais si vous regardez du côté des pays qui ont réussi, comme la Norvège, la Suède et le Portugal, vous constatez qu'ils sont intervenus plus rapidement. Les infractions et les accusations initiales donnent souvent lieu à un traitement pour la toxicomanie d'une durée de 90 jours plutôt qu'à un cautionnement.

L'ABC a travaillé à la formulation de recommandations destinées au gouvernement fédéral sur un examen en profondeur, du point de vue de la santé, de l'impact que nous constatons sur notre système de justice en raison de la toxicomanie et de la santé mentale.

M. Carter : J'ai effectué une courte pause, parce qu'on avait assurément soulevé la question. Je crois que nous l'avons traitée de manière plus fragmentaire lorsqu'un problème particulier s'est présenté, comme le syndrome d'alcoolisation fœtale et son effet, mais nous n'avons pas adopté une position globale qui traite l'ensemble du problème. Je reconnais avec vous que ces cas représentent une grande majorité de ceux qu'on traite chaque jour dans les tribunaux. Il s'agit du principal cas.

Le sénateur White : Si vous examinez notre stratégie nationale en matière de médicaments, nous n'avons probablement procédé en 12 ans à aucune mise à jour axée principalement sur son impact. Nous parlons de l'impact de la toxicomanie, mais rarement de celui qu'elle a sur notre système de justice. Croyez-vous que l'ABC pourrait assumer ce rôle et défendre ainsi une stratégie nationale plus vaste afin de réduire les torts causés.

M. Carter : Il s'agit là d'une excellente suggestion et nous en informerons la haute direction, c'est sûr.

Le sénateur White : Merci de votre attention.

Le président : J'en parlerai et je suis certain que tous les membres du comité en feront autant. Merci beaucoup de votre présence et d'avoir aidé le comité dans le cadre de son étude.

(Le comité poursuit la séance à huis clos)

Haut de page