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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 13 - Témoignages du 20 octobre 2016


OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 45, pour poursuivre son étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et à nos invités. Il s'agit de la 24e séance consacrée à l'étude sur les délais dans le système judiciaire.

Nous recevons aujourd'hui, par vidéoconférence, William MacKay, sous-ministre de la Justice pour le gouvernement du Nunavut.

Monsieur MacKay, nous vous remercions d'être là à titre de témoin et d'avoir fait preuve de votre patience, car nous avons eu des problèmes techniques, que nous n'avons d'ailleurs pas pu résoudre. Monsieur, je vous cède la parole pour votre déclaration préliminaire.

William MacKay, sous-ministre, ministère de la Justice, gouvernement du Nunavut : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Je comparais à l'invitation de Keith Peterson, ministre de la Justice ici, au Nunavut. Il regrette de ne pouvoir être présent. Je témoignerai donc en son nom.

Je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion de vous entretenir aujourd'hui des retards dans l'administration de la justice pénale. Le gouvernement du Nunavut a bien hâte de voir les résultats des travaux du comité, qui portent sur de nombreux enjeux importants pour les Nunavummiuts.

Dans le cadre de mon exposé, je vais m'attarder sur quatre questions : les retards judiciaires, la nomination des juges, l'aide juridique et la justice réparatrice. Bien entendu, je suis prêt à répondre à toute autre question qui vous intéresse.

Je vais d'abord parler des retards judiciaires. En tant que sous-ministre de la Justice du Nunavut, monsieur le président, je comprends l'importance de l'équité et de l'efficacité du système de justice pénale. Les retards qui nuisent à l'équité et à l'efficacité sont un sujet de préoccupation national, et cela vaut aussi pour le Nunavut. Cependant, les retards ont parfois des causes régionales et locales qui appellent des solutions propres à chaque province et territoire et aux collectivités qu'ils servent. C'est certainement le cas au Nunavut.

La décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Jordan est venue souligner encore plus les retards dans la tenue des procès. Évidemment, le Nunavut ne fait pas exception. Il arrive que des procès soient retardés — dans certains cas, il faut plusieurs années avant qu'une affaire soit résolue —, mais pour l'essentiel, ce n'est pas là notre principale source de préoccupation.

Dans l'ensemble, le Nunavut est l'un des endroits au Canada où l'administration de la justice pénale est la plus rapide. Selon Statistique Canada, la durée médiane du traitement des causes au Nunavut était de 71 jours en 2013- 2014.

Cependant, des obstacles menacent cette efficacité. Certains d'entre eux sont propres au Nunavut et ont trait à l'administration de la justice dans des collectivités inuites éloignées du Nord. D'autres sont les mêmes dans l'ensemble des provinces et des territoires.

J'aimerais maintenant, monsieur le président, aborder la question de la nomination des juges.

Ce qui inquiète surtout le gouvernement du Nunavut en ce qui concerne la lenteur de l'administration de la justice pénale, c'est la pénurie constante de juges et de juges suppléants de la Cour de justice du Nunavut. Comme les sénateurs le savent peut-être, le système judiciaire du Nunavut repose sur un tribunal unifié, dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral; c'est donc dire que nous comptons sur la rapidité du processus de nomination fédéral pour la nomination de nos juges et juges suppléants et pour leur affectation au Nunavut.

Comme l'a déclaré le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans son rapport provisoire, intitulé Justice différée, justice refusée, notre système judiciaire ne peut fonctionner efficacement que s'il y a suffisamment de juges pour traiter les affaires criminelles en temps opportun. Il faut un système de nomination plus rapide et efficace pour remédier promptement à cette pénurie.

Monsieur le président, cela vaut assurément pour le Nunavut. Sur six postes de juge résident au Nunavut, deux sont vacants. Cela représente 25 p. 100 de notre effectif judiciaire.

De plus, ces dernières années, la liste des juges suppléants a été réduite presque de moitié — de 92 à 45 — par l'attrition et faute de nouvelles nominations. Monsieur le président, nous avons également grand besoin de juges suppléants dans le territoire. Il s'agit de juges qui ne résident pas au Nunavut, mais qui sont disposés à utiliser leurs jours de congé pour se rendre sur place afin de servir comme juges dans nos cours de circuit. Voilà un autre aspect important du système judiciaire que le gouvernement fédéral doit examiner.

Le manque de ressources judiciaires se répercute sur l'inscription des causes aux rôles des tribunaux. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le Nunavut compte sur une courte itinérante qui se rend dans 24 collectivités accessibles uniquement par la voie des airs. Chacune de ces collectivités compte de 130 à 2 500 résidants, mais elles ont toutes besoin de services judiciaires et reçoivent la visite de la cour de circuit de une à cinq fois par année environ. Cette cour itinérante passe continuellement d'une collectivité à l'autre.

En 2016, faute de juges, deux circuits de tribunaux supérieurs ont dû être annulés, retardant les causes dans ces collectivités pendant plusieurs mois jusqu'au circuit suivant. Si les pénuries se prolongent, d'autres cas semblables pourraient se produire.

Puisque les juges ne peuvent être nommés que par le gouvernement fédéral, le Nunavut appuie la recommandation du comité permanent voulant que le gouvernement du Canada veille à ce que les nominations nécessaires à la magistrature se fassent le plus rapidement possible. Cela s'applique principalement aux deux juges résidents du Nunavut, mais je souligne encore une fois la nécessité de s'assurer qu'il y a un nombre suffisant de juges suppléants d'autres tribunaux qui sont prêts à se rendre au Nunavut pour offrir leurs services.

Permettez-moi maintenant d'aborder la question de l'aide juridique, qui est également un facteur d'une importance cruciale pour assurer la rapidité de l'accès à la justice et de la tenue des procès au Nunavut. C'est indispensable à l'équité et à l'efficacité de la justice pénale au Nunavut.

Au Nunavut, le taux de criminalité, et en particulier de crimes avec violence, reste l'un des plus élevés au Canada. En effet, le taux de crimes violents au Nunavut est presque trois fois plus élevé que la moyenne nationale et, ce qui est encore plus inquiétant, c'est que la violence conjugale au Nunavut est 11 fois plus élevée que la moyenne nationale. En raison du manque de ressources juridiques au Nunavut, conjugué au manque de ressources personnelles, presque tous les délinquants ont besoin de services d'aide juridique, dont le coût est très élevé au Nunavut.

Compte tenu de la demande, le gouvernement du Nunavut a consacré beaucoup d'argent à l'aide juridique ces dernières années. Le budget des services d'aide juridique a plus que doublé depuis 2006, passant de 5 à 11 millions de dollars. Or, la contribution fédérale à l'aide juridique n'a pas augmenté au cours de cette période. Par conséquent, le financement fédéral en proportion des coûts réels de l'aide juridique est l'un des plus faibles au Nunavut.

À l'heure actuelle, des 11 millions de dollars que le gouvernement du Nunavut consacre à l'aide juridique, 19 p. 100 sont versés dans le cadre d'une entente sur l'accès à la justice conclue avec le gouvernement fédéral.

Cela dit, nous trouvons encourageant l'engagement du gouvernement du Canada d'accroître le financement de l'aide juridique. En effet, le gouvernement fédéral s'est engagé publiquement à augmenter de plus de 30 millions de dollars le financement de l'aide juridique à l'échelle nationale au cours des cinq prochaines années. Nous prévoyons que ces nouveaux fonds combleront l'écart entre la contribution territoriale et fédérale à l'aide juridique au Nunavut.

Il n'en demeure pas moins que le gouvernement du Nunavut vise comme objectif une répartition égale du financement territorial et fédéral dans le cadre de ce programme à frais partagés. Je tiens à vous rappeler que d'après la formule et l'objectif convenus initialement par les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral, du moins sur papier, le gouvernement fédéral était censé contribuer environ 50 p. 100 du financement destiné à l'aide juridique dans les provinces et les territoires. Nous poursuivons donc cet objectif pour l'aide juridique. Selon nous, l'aide juridique est un aspect important pour garantir un accès juste et équitable à la justice, du moins au Nunavut.

Enfin, j'aimerais dire quelques mots sur la justice réparatrice. Comme vous le savez, les Inuits représentent 85 p. 100 de la population du Nunavut ou probablement entre 95 et 98 p. 100 de sa population élargie. Par conséquent, la justice réparatrice au Nunavut est un élément important si nous tenons à réduire la criminalité et à nous attaquer à ses causes profondes. J'ajouterais que la justice réparatrice est un reflet de la culture inuite, qui est axée sur la guérison et la réconciliation.

La justice réparatrice et les solutions de rechange aux tribunaux sont des moyens très prometteurs pour le Nunavut de régler le problème de la récidive et de réduire la pression sur l'administration de la justice pénale. La Division de la justice communautaire du ministère de la Justice du Nunavut soutient des programmes de justice réparatrice au Nunavut. La police ou le procureur peut déjudiciariser certaines causes, avant ou après la mise en accusation, et diriger le délinquant vers le comité de justice communautaire de sa collectivité. On trouve un tel comité dans chacune des 26 collectivités du Nunavut. Le comité rencontre le délinquant, les victimes et les membres de la collectivité pour tenter de réparer les relations abîmées par le comportement criminel.

Les comités aident aussi les délinquants à réintégrer la collectivité après leur incarcération en offrant des services communautaires de counseling et d'orientation, services auxquels tous les membres de la collectivité sont invités à participer. L'objectif, encore une fois, est d'assurer la réinsertion efficace des délinquants dans la collectivité.

Ces programmes de justice permettent une participation accrue de la part des Inuits et peuvent s'appuyer sur les valeurs inuites traditionnelles en matière de justice et de réinsertion sociale. Il importe que le système judiciaire reflète la population qu'il dessert, et je suis sûr que les membres du comité ont entendu ce message de la part de divers témoins. Cela est particulièrement vrai pour la population autochtone au Canada qui, comme nous le savons tous, affiche des taux plus élevés de contact avec la police, d'incarcération et de récidive. Nous encourageons donc le comité à se pencher sur ce segment précis de la population, c'est-à-dire les groupes autochtones, et à examiner comment les retards pourraient empêcher ces derniers de s'y retrouver dans le système de justice.

Monsieur le président, nous sommes fermement convaincus que le gouvernement du Canada peut jouer un rôle capital en orientant la recherche, en fournissant un soutien financier et administratif à l'appui des programmes locaux de justice réparatrice et de déjudiciarisation au sein des collectivités autochtones partout au Canada et en encourageant l'élaboration de bonnes pratiques dans tout le pays.

En conclusion, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant votre comité à titre de sous- ministre de la Justice, au nom du gouvernement du Nunavut. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions ou pour préciser n'importe quel point que j'ai soulevé ce matin ou tout autre sujet dont les sénateurs voudraient discuter. Merci.

Le président : Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté de comparaître et nous vous remercions de votre témoignage. Vos observations ont suscité de nombreuses questions. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur MacKay, de votre exposé. J'ai une question à vous poser. Il s'agit, comme vous l'avez mentionné, d'un tribunal unifié. Vous avez fait allusion à l'arrêt Jordan, qui fixe des échéances précises. La jurisprudence avant la décision Jordan établissait des délais précis applicables au tribunal de première instance, c'est-à-dire à la cour provinciale, puis aux cours supérieures des provinces. Toutefois, en l'absence d'une cour provinciale et d'une cour supérieure, quelles lignes directrices s'appliquent dans ce cas? Faut-il tenir compte des délais applicables au tribunal de première instance, à savoir à la cour provinciale? L'arrêt Jordan ne fait qu'une distinction entre la cour provinciale et la cour supérieure, lesquelles se voient attribuer deux délais distincts, soit respectivement 18 et 30 mois. Par conséquent, lequel des deux s'applique dans le cas de votre territoire?

Dans votre réponse à cette question, je suis également curieux de savoir ce qui suit. Nous examinons les règles de procédure partout au pays afin de voir comment elles permettent d'éviter les retards dans la tenue des procès. Si je me souviens bien, vous aviez comparu devant un juge il y a quelques années à titre d'avocat dans une affaire de tiers. C'était au début des années 2000. Corrigez-moi si je me trompe. C'était devant la Cour supérieure des Territoires du Nord-Ouest. Les règles de procédure sont-elles semblables dans les territoires du Nord?

La première partie de ma question est de savoir, bien entendu, quel délai s'applique à vous. Vous avez dit qu'il faut attendre des mois parce qu'il n'y a pas assez de juges. Cela me porte à croire que, conformément aux lignes directrices établies dans l'arrêt Morin, on invoquera des arguments fondés sur l'alinéa 11b), ce qui signifie que ces causes seront tout simplement abandonnées.

M. MacKay : Merci, sénateur Baker. Tout d'abord, en ce qui concerne votre question sur les délais applicables, nous ne connaissons pas la réponse, mais je présume que nous partons de l'hypothèse que ce serait le délai établi dans l'arrêt Jordan, à savoir deux ans et demi.

Étant donné que la Cour de justice du Nunavut est un tribunal unifié, dont les juges sont nommés par le gouvernement fédéral, elle s'occupe de toutes les questions, y compris des affaires criminelles complexes; donc, selon toute vraisemblance, si la Cour de justice du Nunavut devait être saisie d'une affaire criminelle complexe, le délai serait de deux ans et demi. Je ne sais pas où se trouve la ligne de démarcation, parce qu'il y a d'autres affaires moins complexes qui seraient normalement instruites devant une cour provinciale ou une cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest ou du Yukon. Nous ignorons où se trouve la ligne de démarcation, et je suppose que nous devrons attendre que les juges du Nunavut nous donnent des directives à ce sujet. Je ne sais pas si cela répond à votre question. Toutefois, comme il s'agit d'une cour fédérale, d'une cour supérieure, un délai de deux ans et demi s'appliquerait, à moins que ce ne soit pas une affaire criminelle complexe, auquel cas la cause serait instruite devant un tribunal inférieur.

Pour ce qui est des règles de procédure, elles sont semblables à celles des Territoires du Nord-Ouest, et vous avez raison de dire qu'elles permettent de remédier aux retards; d'ailleurs, la Cour suprême a réduit considérablement les délais dans l'arrêt R. c. Jordan. Cependant, les règles de procédure accordent une certaine discrétion aux juges quand vient le temps de décider si le délai écoulé a brimé les droits du délinquant aux termes de l'article 11. Quoi qu'il en soit, les règles de procédure sont similaires, et j'irais même plus loin. Les règles de procédure adoptées par le Nunavut s'appuient sur celles des Territoires du Nord-Ouest, lesquelles s'inspirent des règles de l'Alberta. Voilà d'où elles proviennent.

Vous avez raison. J'ai comparu à titre d'avocat dans un certain nombre de causes pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest au début des années 2000; je vous remercie donc de l'avoir signalé. Vous avez une très bonne mémoire.

La sénatrice Batters : Je vous remercie, monsieur MacKay, de comparaître aujourd'hui et de nous fournir ces renseignements importants. Bien entendu, l'une des principales préoccupations tient au fait que les retards judiciaires sont exacerbés dans des endroits comme le Nunavut, où les distances sont extrêmement longues et où il faut composer avec toutes sortes d'autres difficultés. Il est donc très utile de tenir compte de cette perspective.

J'ai bien aimé vos observations préliminaires, surtout en ce qui concerne les postes vacants au sein de la magistrature, qui dénotent une certaine crise. J'ai d'ailleurs interrogé le leader du gouvernement au Sénat à ce sujet hier, pendant la période des questions au Sénat, parce que la ministre fédérale de la Justice persiste à dire que des nominations seront annoncées très bientôt, dans un proche avenir et, pourtant, on compte maintenant 61 postes vacants partout au pays. D'après ce que vous me dites, toutes vos nominations sont faites par le gouvernement fédéral, ce qui signifie qu'elles relèvent de la ministre; elles font partie de son mandat. Vous nous avez également dit que, parmi les six postes de juge au Nunavut, deux sont vacants, ce qui représente un taux de vacance de 33 p. 100. Je trouve cela alarmant.

Hier, lorsque j'ai demandé comment il se fait que nous nous trouvons maintenant dans une situation des plus défavorables, puisque les retards judiciaires ont mené au rejet d'une cause de meurtre au premier degré en Alberta, le leader du gouvernement au Sénat a répondu que seuls 5 p. 100 des postes de juge sont vacants au Canada. Voilà qui est inacceptable.

Seriez-vous en mesure de nous dire si le comité consultatif de la magistrature du Nunavut a son propre groupe chargé de recommander la désignation de juges de nomination fédérale et, le cas échéant, savez-vous si celui-ci est fonctionnel? J'ai entendu dire que certains comités consultatifs de la magistrature un peu partout au pays ne sont pas en activité parce qu'ils n'ont pas assez de membres. Par ailleurs, je viens d'apprendre que les deux dernières réunions prévues en Alberta ont dû être annulées. La crise pourrait donc s'aggraver.

M. MacKay : Merci, sénatrice Batters. Vous avez raison. Je répondrai bientôt à votre question sur le Comité consultatif de la magistrature, mais je vous remercie d'avoir interrogé le leader du gouvernement au Sénat au sujet des postes judiciaires vacants. Je crois que j'ai dit qu'il s'agissait de 25 p. 100 des postes, mais vos calculs sont plus exacts que les miens. Deux postes sur six sont vacants, ce qui signifie 33 p. 100 des postes. C'est encore pire.

Comme je l'ai mentionné, le temps écoulé entre le moment où les accusations sont portées et le début du procès n'est pas trop long au Nunavut, mais ces statistiques datent de deux ans, lorsque nous avions un effectif complet de juges. Nous nous attendons à ce que le manque de juges prolonge cette période. Nous aimerions donc qu'on nomme des juges aux deux postes vacants.

Je tiens à le répéter, les juges du Nunavut font un travail très utile. Comme vous pouvez l'imaginer, il est très difficile, pour les juges résidents, de participer à chaque tribunal itinérant. En effet, certaines collectivités reçoivent les services d'un tribunal itinérant cinq fois par année. Les juges qui sont sur la liste de juges suppléants au Nunavut et qui utilisent leur temps libre pour participer à un tribunal itinérant sont très importants. Le problème, ce n'est donc pas le manque de volontaires, mais plutôt le fait que le gouvernement fédéral n'a pas nommé ces juges. Je sais qu'à un certain moment, nous pouvions compter sur 92 juges suppléants, mais il ne reste maintenant que 45 de ces juges, ce qui contribue grandement à la situation actuelle.

En ce qui concerne votre question sur les comités consultatifs de la magistrature, il y a un comité consultatif de la magistrature actif au Nunavut. J'aimerais également ajouter qu'il n'a pas un effectif complet, mais nous avons assez de membres pour nous réunir et atteindre le quorum à chaque réunion.

Les membres de ce comité ont communiqué leurs recommandations à l'égard des futurs juges du Nunavut à la ministre. La ministre peut accepter ou rejeter ces recommandations, mais nous espérons qu'elle nommera une personne de cette liste ou une autre personne qu'elle juge appropriée en temps opportun. J'espère que cela répond à votre question, sénatrice.

La sénatrice Batters : Lorsque vous parlez des juges suppléants, je présume que vous parlez de juges qui viennent d'autres provinces canadiennes et qui acceptent à l'occasion d'aider le Nunavut en exerçant leurs fonctions là-bas. Est- ce exact?

M. MacKay : Oui.

Le sénateur White : Nous vous remercions beaucoup d'être ici aujourd'hui. Ma question concerne l'accès aux traitements de la toxicomanie et des problèmes de santé mentale pour les délinquants du territoire du Nunavut. J'ai déjà séjourné dans ce territoire, et je sais que la grande majorité des délinquants ont certainement des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale, et que certains de ces troubles sont imputables aux enjeux systémiques qui ont émergé au cours des dernières décennies. A-t-on amélioré l'accès aux traitements des problèmes de santé mentale ou de la toxicomanie pour les délinquants? Je sais qu'il n'y a actuellement aucun centre de traitement dans le territoire. Est-ce exact?

M. MacKay : Vous avez raison, sénateur. Il n'existe actuellement aucun centre de traitement de la dépendance aux drogues ou à l'alcool dans le territoire. Mais vous avez raison, les problèmes liés à la toxicomanie, à la consommation excessive d'alcool et aux troubles de santé mentale sont présents partout au Nunavut, mais surtout chez les délinquants. Pour vous donner une idée du délinquant typique au Nunavut, du moins ceux qui se retrouvent dans nos centres correctionnels, de 30 à 40 p. 100 d'entre eux présentent des signes d'incapacité mentale ou de troubles cognitifs. En ce qui concerne la toxicomanie, de 90 à 95 p. 100 des délinquants présentent des symptômes de dépendance à l'alcool ou à d'autres drogues. Il s'agit donc d'un problème fréquent chez les délinquants dans notre territoire.

Toutefois, lorsqu'ils sont dans le système correctionnel, ils ont accès à des traitements. Il faut donc se concentrer sur la prévention. J'ai parlé plus tôt des comités de justice communautaire. Ces comités peuvent éviter aux délinquants d'entrer dans le système judiciaire en leur imposant des conditions qui leur permettent de revenir vivre dans la collectivité et de se réconcilier avec ses membres. Toutefois, cet arrangement n'offre pas l'accès à un service de traitement de la toxicomanie. Sans ce traitement, il est très difficile pour les délinquants de réintégrer leur communauté, que ce soit par l'entremise d'un comité de justice communautaire ou d'un système correctionnel communautaire ou du régime de libération conditionnelle lorsqu'ils sortent des établissements correctionnels.

En ce qui concerne l'accès aux services de santé mentale, la situation est un peu plus encourageante. En effet, l'hôpital d'Iqaluit offre des services en santé mentale, et dans chaque collectivité, une infirmière ou un infirmier spécialisé en santé mentale fournit des services et quelques traitements de la toxicomanie. Toutefois, nous avons besoin d'un centre de traitement au Nunavut. J'espère que cela répond à votre question, sénateur.

Le sénateur White : Oui. Merci. Je vous suis reconnaissant de votre honnêteté, et je sais que le nombre de délinquants est extrêmement élevé dans votre territoire comparativement à sa population.

Ma deuxième question concerne les discussions liées à la signature d'un nouvel accord sur la santé à l'échelon fédéral. Le gouvernement du Nunavut a-t-il parlé de la nécessité d'accroître le financement qui vise précisément la question des traitements ou plutôt le manque de traitement, surtout dans le territoire, afin de tenter de réduire en même temps le taux de criminalité? Dans le cadre de la Stratégie nationale antidrogue, avez-vous participé à des discussions qui pourraient aider le territoire du Nunavut?

M. MacKay : Comme tous les sénateurs le savent, les ministres de la Santé se sont réunis plus tôt cette semaine. Ils ont également rencontré les ministres des Finances provinciaux et territoriaux, ainsi que le ministre fédéral des Finances, pour parler du nouvel accord sur la santé.

Le Nunavut a cerné plusieurs besoins en matière de santé; les traitements de la toxicomanie et des troubles de la santé mentale en font manifestement partie.

Nous recevons des fonds dans le cadre de l'accord sur la santé actuel, et ces fonds sont surtout alloués aux programmes qui visent ces enjeux, mais manifestement, il pourrait y avoir plus de financement, et nous avons demandé du financement supplémentaire dans le nouvel accord sur la santé.

En ce qui concerne notre participation à la Stratégie nationale antidrogue, je ne connais pas la réponse à cette question, sénateur, mais je peux certainement la faire parvenir au comité plus tard.

Le sénateur White : Je vous remercie de votre réponse. Je voulais simplement savoir si vous exerciez des pressions sur le gouvernement pour qu'il mette en œuvre une nouvelle stratégie nationale antidrogue, car nous avons probablement un retard de quatre ans à cet égard. Mais je vous remercie de votre réponse.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur MacKay, de votre exposé. Vous nous avez parlé des tribunaux itinérants dans les affaires de nature criminelle. Qu'en est-il des affaires relevant du droit civil et du droit de la famille? Les Autochtones peuvent-ils intenter des poursuites de cette nature dans un tribunal itinérant?

M. MacKay : Le tribunal itinérant traite ce type d'affaires. La plupart des affaires relevant du droit civil et du droit de la famille sont entendues à Iqaluit, mais le tribunal itinérant s'occupe également de ces affaires.

J'aimerais également préciser que dans une certaine mesure, le financement que nous recevons pour l'aide juridique vise aussi les affaires relevant du droit de la famille et du droit civil. C'est également le cas dans les autres territoires, mais ce n'est pas le cas dans les autres provinces. C'est pour cette raison. En effet, dans les collectivités, les plaideurs inuits n'ont habituellement pas accès à des services juridiques, et nous exigeons donc que cela soit offert pour permettre l'accès à la justice non seulement dans les affaires criminelles, mais également — car c'est important — dans les affaires relevant du droit de la famille et du droit civil, comme vous l'avez souligné, sénateur.

Le sénateur McIntyre : Je présume que les programmes de justice réparatrice offrent des cercles de détermination de la peine et des pavillons de ressourcement dans les prisons.

En général, dans quelle mesure ces programmes contribuent-ils à éviter aux délinquants autochtones de se retrouver à nouveau dans le système de justice pénale?

M. MacKay : Nous n'avons pas de statistiques à cet égard. Nous savons que le taux de récidive est élevé au Nunavut, comme il l'est partout, surtout dans le cas des délinquants autochtones.

J'aimerais vous donner une meilleure réponse, mais selon ce que nous disent les délinquants et les membres de la collectivité qui ont recours à ces techniques de justice réparatrice, par exemple les comités de justice communautaire que j'ai mentionnés plus tôt ou les programmes qui permettent à des aînés de la collectivité de sortir des délinquants d'un établissement correctionnel pour les amener dans la nature et leur enseigner des méthodes inuites traditionnelles de survie, ces méthodes donnent de très bons résultats.

J'aimerais également ajouter que si nous n'avons pas les statistiques et les données probantes nécessaires pour évaluer le taux de réussite de ces programmes, c'est parce que ces programmes sont relativement nouveaux au Nunavut, surtout ceux qui ont une composante correctionnelle. Au cours des deux dernières années, nous avons construit un nouveau centre correctionnel à Rankin Inlet et ce centre est surtout axé sur la guérison. Il a été conçu pour les personnes qui souhaitent réintégrer la société, devenir des membres de la société et réintégrer leur collectivité. Il faut que ces personnes soient prêtes à prendre les mesures nécessaires et acquièrent les compétences requises pour réintégrer la société.

L'établissement est divisé en deux sections. Dans la première section, les délinquants sont incarcérés à temps plein et dans l'autre, les délinquants passent la nuit au centre, mais pendant le jour, ils travaillent dans des entreprises locales, afin de développer leurs compétences. Cet établissement est seulement ouvert depuis deux ans, mais selon ce qu'on nous raconte, les résidants de Rankin Inlet, les délinquants et la population appuient grandement cette initiative et ils peuvent citer des cas de délinquants qui auraient réussi à réintégrer la société.

Le sénateur Dagenais : Je constate que nous n'avons pas d'interprètes, alors je vais en profiter pour travailler à mes compétences linguistiques.

Merci, monsieur MacKay, de votre exposé. À titre d'information, je suis ancien policier et technicien du test d'ivressomètre. Je me souviens d'un cas où j'ai agi comme témoin dans un tribunal et dans lequel l'avocat de la défense avait fait appel à un spécialiste pour invalider les résultats du test d'ivressomètre.

Vivez-vous des problèmes similaires au Nunavut? Le spécialiste en question a créé un retard dans le processus judiciaire.

M. MacKay : Je ne connais pas la réponse à cette question précise. Je n'ai pas entendu parler de gens qui ont eu recours à des spécialistes pour se défendre contre des accusations de conduite avec facultés affaiblies. Je suis désolé, sénateur, mais je ne crois pas qu'on fait appel à ces spécialistes chez nous. Il ne s'agit manifestement pas d'un facteur de retard dans notre système de justice pénale.

Le sénateur Dagenais : Avez-vous une suggestion à formuler relativement au rapport que notre comité présentera sur la réduction des retards dans le système de justice, surtout en ce qui concerne le Nunavut?

M. MacKay : Oui. J'encourage les membres du comité à examiner les programmes de justice réparatrice d'un bout à l'autre du pays, surtout ceux qui visent les Autochtones. Je vous invite également à étudier les pratiques exemplaires qui contribuent à diminuer le taux de récidive et qui aident les délinquants à réintégrer les collectivités. Il faudrait également examiner les niveaux de financement. Dans de nombreux cas — notamment au Nunavut —, le financement est habituellement utilisé par les organismes d'application de la loi et les établissements correctionnels, et il ne reste pas grand-chose pour la justice réparatrice.

J'encourage donc les membres du comité à examiner les ressources investies dans la justice réparatrice à l'échelle du pays, et s'ils pouvaient nous fournir des données probantes sur le taux de réussite de ces programmes de justice réparatrice, surtout au Nunavut, cela nous aiderait beaucoup.

Le président : Monsieur MacKay, des représentants de la GRC comparaîtront devant le comité. On nous a communiqué certaines préoccupations liées à l'utilisation des laboratoires médico-légaux et des tests d'ADN, par exemple. L'attente des résultats de ce type de tests représente-t-elle un facteur déterminant en ce qui concerne les retards au Nunavut?

M. MacKay : C'est un facteur. Si la GRC utilise ces éléments médico-légaux dans les tribunaux, alors oui, il faut les envoyer dans le sud du pays pour qu'ils soient examinés. Cela peut entraîner des retards dans le système judiciaire. Toutefois, je dirais que dans la majorité des cas, au Nunavut, la GRC ne compte pas autant sur les preuves médico- légales que sur les témoins dans les affaires criminelles. La GRC s'en tire bien à cet égard, car au Nunavut, elle a un taux d'affaires classées de 92 p. 100. Elle a donc été en mesure de réussir sans compter sur les preuves médico-légales et les retards qu'elles entraînent. Ce n'est donc pas un problème important pour nous.

Le président : Qu'en est-il de l'utilisation de la technologie? Dans de vastes régions comme celle dont vous êtes responsable, on pourrait présumer que la technologie serait d'une grande utilité et fonctionnerait mieux qu'elle le fait aujourd'hui. Que faites-vous dans cette région?

M. MacKay : Sénateur, l'une de nos priorités est de veiller à maintenir l'accès à la justice au Nunavut de façon efficace sur le plan des coûts. Nous cherchons des façons d'offrir nos services sans nécessairement avoir recours à des procès, mais en utilisant des audiences de justification et des demandes interlocutoires, car ces types d'audience peuvent être effectués par téléphone ou par vidéoconférence. Nous les utilisons donc aussi souvent que possible.

Manifestement, il y a de nombreux problèmes liés à la technologie dans les collectivités. Comme les sénateurs le savent probablement déjà, l'accès à la connexion à large bande est assez limité dans le Nord, et il est souvent difficile d'utiliser la vidéoconférence dans cette région. Toutefois, nous l'utilisons, et nous espérons l'utiliser davantage dans un avenir rapproché, lorsque nous profiterons d'un meilleur accès à la large bande et de meilleures technologies pour les collectivités éloignées. C'est une priorité pour le gouvernement.

Le sénateur McIntyre : On nous dit souvent que les Autochtones éprouvent des difficultés avec le système de justice pénale. J'aimerais donc savoir si la suggestion de créer un système de justice distinct pour les Autochtones est justifiée. Si oui, comment ce système différerait-il du système actuel?

M. MacKay : Merci, sénateur. Je vous donnerai manifestement mon opinion personnelle, mais selon mon expérience, plus le système judiciaire reflète les collectivités autochtones, mieux il les sert. Je dirais donc qu'il faut adopter un système qui n'est pas nécessairement distinct, mais qui s'intègre au système de justice pénale actuel, tout en représentant mieux la culture et les valeurs autochtones, ainsi que les Autochtones eux-mêmes. Cela signifie qu'il faut embaucher plus d'avocats, de policiers et de juges autochtones. À mon avis, ces initiatives aideraient les membres des collectivités autochtones à faire davantage confiance au système judiciaire, du moins au Nunavut. Encore une fois, il s'agit de mes observations personnelles. Au Nunavut, la vaste majorité des habitants sont autochtones et le gouvernement est dirigé par des Autochtones, c'est-à-dire des Inuits. Ils ont en grande partie choisi de continuer à utiliser le même système de justice que le reste du Canada. Dans une certaine mesure, ils n'ont pas eu le choix, mais ils semblent accepter les mêmes principes de justice que le reste de la société canadienne. Je crois donc que la solution, c'est de mieux adapter ce système aux gens qu'il sert. Cela aiderait beaucoup à rétablir le niveau de confiance.

Le sénateur White : Je vous remercie encore une fois d'être ici aujourd'hui. Au Nunavut, a-t-on envisagé d'avoir recours à des juges non professionnels? Dans certains autres pays nordiques, notamment le Groenland, on a lancé des programmes pilotes dans le cadre desquels on a eu recours à des juges non professionnels, des juges inuits locaux, un peu comme dans le programme des juges de paix, sauf qu'on leur a donné plus de responsabilités et de formation. Avez-vous envisagé cette solution?

M. MacKay : Oui, sénateur, nous l'avons fait d'une certaine façon. Vous avez mentionné le programme des juges de paix, et c'est le moyen que nous utilisons pour permettre aux résidants de la collectivité de jouer un plus grand rôle dans le système de justice pénale. En effet, on a nommé un juge de paix dans chaque collectivité du Nunavut et on leur offre un vaste programme de formation. Ils peuvent gravir les échelons, par exemple en devenant un juge de paix de niveaux 1, 2, 3 et 4. Un juge de paix de niveau 4 a habituellement reçu une formation juridique, et il est en mesure d'entendre des demandes concernant une infraction punissable pour procédure sommaire. Aux échelons moins élevés, les juges de paix exercent des fonctions de base; ils s'occupent, par exemple, des actes notariés et ils aident les gens avec des questions juridiques, et cetera.

Nous espérons qu'on déléguera plus de responsabilités au programme des juges de paix, afin que les résidants de la collectivité puissent jouer un plus grand rôle dans l'administration de la justice dans la collectivité. Nous nous concentrons donc sur cet élément.

Le président : D'autres membres du comité ont-ils des commentaires? Puisque ce n'est pas le cas, j'aimerais remercier M. MacKay d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui. Votre témoignage est très utile et nous vous en sommes très reconnaissants.

M. MacKay : Merci, monsieur le président.

Le président : Mesdames et messieurs les membres du comité, veuillez rester assis, car nous nous réunirons à huis clos dans quelques minutes pour discuter d'autres questions.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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