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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 35 - Témoignages du 7 février 2018


OTTAWA, le mercredi 7 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui sera consacrée à l’étude du projet de loi C-46.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue. Notre comité étudie actuellement le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

[Traduction]

Nous avons le plaisir d’accueillir cet après-midi François A. Daigle, sous-ministre délégué.

[Français]

Monsieur Daigle, bienvenue.

Mme Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice, une habituée du comité. Bienvenue, madame Morency. M. Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice. On a eu le plaisir de vous entendre également la semaine dernière.

[Traduction]

Comme les honorables sénateurs s’en souviendront, j’ai dû lever la séance la semaine dernière parce qu’un vote devait avoir lieu au Sénat. Nous devions alors discuter de ce projet de loi avec des représentants du ministère de la Justice. Je suis donc heureux d’ouvrir la réunion de cet après-midi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités. Je comprends que nous avons deux heures avec les témoins, monsieur le président?

Le président : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Ma première question s’adresse aux trois témoins. Le Parlement a fixé la limite légale de consommation, soit 80 mg d’alcool par 100 ml de sang. Pourquoi la nouvelle limite de deux nanogrammes à cinq nanogrammes n’est-elle pas inscrite dans la loi alors que cela a été fait pour l’alcool?

Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : Le projet de loi C-46 propose que ces limites soient établies par règlement. C’est ce qui se fait dans d’autres pays étant donné qu’il y a des dizaines de drogues partout dans le monde. On a donc déjà établi des taux et on s’attend à ce qu’il y en ait d’autres à l’avenir. Revenir au Parlement chaque fois qu’on veut apporter une modification s’avérerait difficile. De plus, c’est normal ici au Canada, notamment avec la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. L’annexe qui détermine les taux est élaborée par règlement. On peut apporter des modifications au règlement à la lumière de la science qui évolue.

Le sénateur Boisvenu : Dans la plupart des États américains et dans d’autres pays, ces limites sont prévues dans leur code criminel. Cela n’a pas été déterminé par règlement.

M. Yost : L’Angleterre le fait par voie de règlement.

Le sénateur Boisvenu : Aux États-Unis, c’est dans la loi.

Plusieurs États américains ont établi des niveaux. J’avoue que je n’ai jamais vérifié s’ils le font par voie de règlement ou s’ils l’insèrent dans leur loi. Je ne sais pas de quelle manière ils ont décidé de procéder.

François A. Daigle, sous-ministre délégué, ministère de la Justice Canada : Que ce soit dans le Code criminel ou par voie de règlement, les limites qui seront établies auront autant force de droit. Elles seront appliquées quand on procédera à des arrestations. La science pour ce qui est des taux d’alcool est assez fixe. Cela fait longtemps que l’on utilise ces taux. On a des outils très spécialisés. En ce qui concerne les drogues, particulièrement le THC, on a un rapport scientifique sur lequel on s’est basé. Pour ce qui est de ces taux, les outils ne sont pas aussi spécialisés que la science, qui est en constante évolution. On s’en remet sur ce qui est en place. Avec le temps, on en apprendra davantage sur ces taux en matière de conduite avec facultés affaiblies. Le règlement nous permet d’apporter des modifications au fur et à mesure qu’on devient mieux informé.

Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas unanime en ce qui concerne la marijuana. Puisque c’est dans un règlement plutôt que dans la loi, cela va-t-il faciliter les poursuites judiciaires?

M. Daigle : Ça ne fait pas de différence. Si le règlement fixe un taux de deux ou cinq, ce sera un taux pour l’infraction. Pour ce qui est des poursuites, que le taux soit fixé dans le Code criminel ou dans le règlement, ce sera la même chose.

Le sénateur Boisvenu : Si la science nous amène vers d’autres conclusions, allez-vous modifier le règlement?

M. Daigle : On pourrait modifier le règlement. Le gouverneur en conseil pourra, à la lumière de la science, demander au gouvernement de modifier le taux par l’entremise du règlement.

Le sénateur Boisvenu : Les tribunaux font souvent appel à des experts, entre autres en matière de santé mentale. Lorsqu’un conducteur intercepté avec un taux réglementaire arrive en cour accompagné de deux experts, cela donne lieu à des contestations.

M. Daigle : C’est une conséquence de la science et non une conséquence du fait qu’on l’inscrit dans le règlement plutôt que dans le Code criminel. Si la science n’est pas exacte, il peut y avoir des contestations. Ultimement, dans le cadre du projet de loi C-46, on propose d’utiliser des niveaux stricts de deux et de cinq nanogrammes par millilitre de sang. On tiendra compte de ces taux lors d’infractions.

Le sénateur Boisvenu : Le dépistage sera obligatoire pour l’alcool et non pour les drogues. Sur quoi repose cette logique? Est-ce parce que nos policiers seront moins prêts, moins équipés, et que le dépistage sera plus « aléatoire » alors qu’ils sont mieux formés pour dépister l’alcool au volant? J’essaie de comprendre.

M. Daigle : En partie, oui.

Le sénateur Boisvenu : D’un côté, on a le dépistage obligatoire et de l’autre, on ne l’a pas.

M. Daigle : Je vais demander à M. Yost d’expliquer les processus des arrestations routières pour l’alcool et les drogues, qui sont assez différents.

Le sénateur Boisvenu : Je comprends les processus. Selon la logique que vous venez d’exprimer, c’est parce qu’on n’est pas équipé de la même façon pour dépister une substance par rapport à l’autre.

M. Daigle : On a deux tests différents et des outils différents. Un éthylomètre, où le conducteur souffle, peut produire des résultats précis rapidement. Le test proposé pour la drogue, qui prélève un échantillon de salive, détectera s’il y a présence ou non de drogue en quelques minutes. Ce test se fait au bord de la route. Ensuite, si le résultat est positif, on a différentes options. On peut conduire la personne au poste de police pour prendre une prise de sang, qui permettra de déterminer le taux de THC ou d’autres drogues dans le sang. Donc, ce n’est pas un processus qui se prête facilement à une arrestation.

Le sénateur Boisvenu : Croyez-vous que cela peut avoir un impact sur le comportement des conducteurs, le fait de discriminer les deux?

M. Daigle : Je ne crois pas.

Le sénateur Boisvenu : Je pense aux jeunes de 18 et 19 ans, surtout l’été, qui sont un peu olé olé.

M. Daigle : Je pense que ce que les jeunes comprendront en regardant les campagnes publicitaires aujourd’hui...

Le sénateur Boisvenu : Il n’y en a pas beaucoup.

M. Daigle : Il y aura davantage de publicités. Ils prendront conscience du danger de conduire en état d’ébriété. Ils comprendront également qu’ils pourraient passer un test de dépistage et faire l’objet d’une arrestation obligatoire à n’importe quel moment. Donc, cela aura un grand impact sur les conducteurs qui ont l’habitude de prendre le volant après quelques bières.

La sénatrice Dupuis : M. Daigle, pouvez-vous poursuivre l’explication que vous aviez commencée pour nous apporter des éclaircissements? Vous aviez bien expliqué la première étape pour l’alcool et la drogue. Il faut aller plus loin. Donc, il y a une deuxième étape en ce qui concerne le test pour dépister la drogue.

M. Daigle : Il me semble que cela vaut la peine pour bien saisir le processus pour les deux tests.

M. Yost : Avec l’alcool, on a un appareil de dépistage approuvé qui existe depuis près de 40 ans. On obtient un résultat qui indique certains taux. La mention ATTENTION (« WARN ») indique un taux d’alcoolémie entre 50 mg et 100 mg, ce qui a des conséquences au niveau provincial. La mention DANGER (« FAIL ») indique un taux d’alcoolémie supérieur à 100 mg. On indique 100 plutôt que 80 parce qu’il est fort probable que le conducteur fautif, une fois conduit au poste de police, communiquera avec un avocat, ce qui lui donnera le temps de faire baisser son taux d’alcool. Cela nous donne une certaine marge de manoeuvre. Si le conducteur en question a failli le test, on fait une demande pour test au moyen d’un éthylomètre. Cet appareil donne des résultats entièrement fiables. On effectue deux tests, ce qui nous donne des résultats concluants.

En ce qui concerne les drogues, on prend un échantillon de salive. C’est seulement la présence à un certain niveau, ce qu’on appelle en anglais « cut-off levels », qui figure dans les critères établis par le Comité des drogues au volant. On ne sait pas si le taux d’alcoolémie de la personne est bien au-delà de la limite, soit 25 mg pour le THC. De plus, on n’a pas la possibilité scientifique, même en sachant la concentration dans la salive, de connaître la concentration dans le sang.

En ce qui concerne le policier au bord de la route, cela dépendra de ses observations, s’il a des doutes quant à la conduite de la personne, s’il soupçonne que la personne a consommé du cannabis parce que son haleine dégage une odeur. S’il a suffisamment de preuves pour soupçonner qu’une personne a conduit avec les facultés affaiblies par le THC après avoir fait un test au moyen d’un appareil de dépistage de drogue, il peut alors faire une demande pour une prise de sang. Il peut aussi aller directement et inculper le conducteur de conduite avec facultés affaiblies.

En 2008, on a ajouté le programme d’experts en reconnaissance de drogues. Si un tel expert est disponible — c’est une question de ressources —, il peut lui demander d’évaluer le conducteur fautif. C’est l’expert qui décidera si la personne a conduit ou non avec les facultés affaiblies par les drogues. C’est l’expert en reconnaissance de drogues qui prendra une décision à la fin des 12 étapes. La dernière étape consiste à prélever une substance corporelle. Le projet de loi C-46 facilitera le dépistage par prise de sang, ce qui est préférable aux échantillons d’urine. Il peut faire la demande et, sur la base des résultats, le procureur de la Couronne décidera s’il y a suffisamment de preuves pour confirmer l’inculpation et engager un procès. Voici en résumé comment on compte procéder.

La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous clarifier la question des motifs raisonnables soupçonnés par rapport aux motifs raisonnables de croire?

M. Yost : Les motifs raisonnables de soupçonner sont basés sur plusieurs facteurs. Les représentants des corps policiers en savent davantage sur la façon de reconnaître aux abords de la route les personnes qui ont consommé. J’ai assisté à une présentation d’environ 100 diapositives sur la façon de reconnaître les signes de consommation de cocaïne, ses effets, et cetera. Parfois, on le voit dans les yeux, parfois, c’est autre chose. À l’heure actuelle, il y a deux façons de procéder : déposer immédiatement une plainte ou déposer une demande pour une expertise en reconnaissance de drogue. Le projet de loi offre la possibilité de demander un test sanguin immédiatement si l’agent est convaincu qu’il y a présence de drogue. Évidemment, ce sont les tribunaux qui décident si les demandes des agents sont justifiées ou non. Le policier doit avoir des preuves assez substantielles avant de demander un test sanguin.

La sénatrice Dupuis : Je vous remercie. Je reviendrai au deuxième tour.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : J’ai quelques questions à poser. Si la présidence le souhaite, je peux attendre le second tour pour poser mes dernières questions.

La première concerne la disposition relative à l’agent évaluateur. Il semble s’agir d’un nouveau poste créé par le projet de loi, compte tenu des attributions et des pouvoirs de cet agent. Pouvez-vous nous parler du nombre d’agents évaluateurs dont on aura probablement besoin ainsi que du nombre qui sera probablement affecté aux collectivités autochtones?

M. Yost : Je crains de ne pas être bien placé pour répondre à cette question. Le ministre Goodale a comparu devant le comité. J’ai cru comprendre qu’il y a actuellement 550 de ces agents. C’est la GRC qui administre le Programme d’expert en reconnaissance de drogues. Elle disposerait sans doute de renseignements à jour sur le nombre d’agents évaluateurs. Il faut ajouter que le ministre — si je m’en souviens bien — a mentionné qu’il était prévu de doubler le nombre actuel.

On peut supposer que les services de Sécurité publique chargés d’aider le public et les forces policières décideront de la répartition des agents et du nombre qui sera affecté aux collectivités autochtones, mais je ne peux faire aucune affirmation à ce sujet. Désolé.

Le sénateur Sinclair : Je voudrais aborder la question du plan de communication destiné à expliquer aux gens les risques qu’on court en prenant le volant après avoir consommé de l’alcool ou de la drogue. J’ai cru comprendre, en écoutant le dernier exposé que les ministres nous ont présenté qu’il est prévu de lancer une campagne média pour sensibiliser les gens, et surtout les jeunes, aux risques de l’alcool et de la drogue au volant.

J’aimerais savoir si vous disposez de renseignements quelconques sur la mesure dans laquelle ces efforts de communication seront concentrés sur les collectivités du Nord, et particulièrement celles qui comptent beaucoup de jeunes Autochtones et d’autres jeunes gens susceptibles, comme nous le savons, d’être sérieusement touchés s’ils ont un accès plus facile au cannabis.

M. Yost : Encore une fois, sénateur, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question. Tout ce que je sais concernant les campagnes d’information — d’autres disposent peut-être de renseignements différents —, c’est que les messages publicitaires nous seront soumis pour une vérification de leur exactitude. Les messages seront conçus par des experts en communication. Les moyens de diffusion relèvent probablement de la Sécurité publique, mais certainement pas de moi.

M. Daigle : Nous pouvons confirmer, je crois, ce que le ministre a dit la semaine dernière, à savoir que le budget de 2017 prévoyait 9,6 millions de dollars pour la sensibilisation et 36,4 millions de plus pour les cinq années suivantes.

Nous pouvons obtenir pour vous des renseignements exacts sur ce qu’il est prévu de faire. Je sais que les responsables ont l’intention de lancer la campagne partout dans le pays et d’accorder une attention particulière au Nord canadien et aux collectivités autochtones afin de transmettre leur message. Nous pouvons cependant aller aux renseignements pour vous fournir de plus amples détails.

Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice Canada : Je voudrais simplement confirmer que certaines des observations que les ministres ont présentées hier au Sénat étaient directement liées aux préoccupations que vous avez mentionnées, c’est-à-dire à la nécessité de déployer, dans le cadre de la campagne générale d’information, d’importants efforts de sensibilisation auprès des jeunes et des personnes qu’ils auraient naturellement tendance à consulter à cet égard : parents, enseignants, entraîneurs, et cetera.

Je crois que lorsqu’il a comparu devant le comité la semaine dernière, le ministre Goodale a mentionné en particulier certaines des activités entreprises pour informer et sensibiliser les gens en général au sujet des effets de la drogue sur la conduite d’un véhicule et de la campagne publicitaire « Ne conduis pas gelé » qui passe actuellement à la télévision.

Nous pouvons certainement vous communiquer quelques-uns des communiqués publiés à ce sujet. Je crois que le ministre Goodale a aussi parlé du financement supplémentaire qu’il a récemment annoncé pour les services de police des Premières Nations. Il avait ajouté, je crois, que des discussions avec les provinces et les territoires se poursuivaient, au niveau des fonctionnaires, pour décider des moyens de répartir les fonds de façon à répondre aussi aux besoins locaux.

Le sénateur Sinclair : Je comprends. Je sais bien qu’une campagne d’information est en cours, mais elle semble cibler les populations du Sud. Il ne faut pas perdre de vue que les collectivités du Nord comptent beaucoup encore sur la réception directe par satellite des émissions de télévision provenant des États-Unis. De plus, elles ont besoin de communications en langues autochtones pour que les adultes — dont beaucoup ne parlent que leur langue traditionnelle — puissent conseiller et orienter les jeunes. Compte tenu de ces circonstances, pouvez-vous obtenir des renseignements sur les efforts déployés pour que la campagne d’information puisse toucher ces collectivités aux besoins vraiment particuliers?

Le président : J’aimerais signaler quelques faits. Hier, le ministre a parlé d’une campagne de 46 millions de dollars, mais n’a jamais dit que les fonds seraient répartis sur cinq ans. On peut donc s’attendre à une diffusion massive d’information dans un premier temps, mais il semble bien que le financement de 46 millions de dollars s’étalera sur cinq ans. Je voulais simplement mentionner cela pour que vous y pensiez.

[Français]

Le sénateur Pratte : Parmi les préoccupations, il y a la question de la difficulté d’informer les consommateurs de cannabis de la manière dont ils pourront satisfaire les normes de concentration de THC avant de conduire une automobile. Donc les taux de nanogrammes 2, 2,5, 5 seront clairs, mais la façon d’évaluer si on se trouvera sous ces seuils est beaucoup moins claire. Pour l’alcool, une personne qui prend un verre de vin tous les soirs sait que si elle ne prend pas de verre de vin le vendredi soir, elle pourra conduire sa voiture le lundi matin sans problème. Une personne qui prend un joint régulièrement, mais qui décide d’arrêter d’en prendre le vendredi soir, n’est pas certaine d’être sous la barre des deux nanogrammes le lundi matin. Il est fort possible qu’elle dépasse les deux nanogrammes. Ce n’est pas clair. Les autorités de santé publique sont pour l’instant incapables de dire aux consommateurs comment se comporter pour respecter les seuils. Cela rend donc la tâche difficile pour le consommateur et les acteurs de la santé publique. On peut dire aux gens qu’ils peuvent prendre un verre de vin maximum selon certaines données, mais pour le cannabis, ce n’est pas le cas.

Je m’interrogeais sur l’impact légal possible de ce problème. Est-ce qu’au moment d’une contestation devant un tribunal cette incertitude pourrait avoir un impact? Est-ce qu’un consommateur pourrait dire s’être comporté de façon parfaitement raisonnable en prenant son dernier joint le vendredi soir, et s’être fait arrêter par un policier le mardi après-midi et avoir un taux de trois nanogrammes? Il se retrouvera alors avec un casier judiciaire et sa carrière professionnelle pourrait être ruinée à cause de cette norme parfaitement arbitraire.

M. Daigle : Je vais demander à mes collègues de répondre, mais, comme les ministres l’ont dit la semaine dernière et encore hier, la meilleure façon est de s’assurer de ne pas conduire si l’on a consommé du cannabis. On sait aussi que l’appareil qui servira à prendre un échantillon de salive pourra détecter la présence de THC de six à huit heures après la consommation. Il est clair, qu’on ne pourra jamais dire que, après deux joints et trois heures, on sera correct, qu’on peut courir le risque et qu’il n’y aura pas de problème.

Ultimement, le projet de loi C-46 et le règlement prévoient décider du taux. Les gens comprendront que deux nanogrammes veulent dire que c’est une approche de précaution, que le cannabis va causer des facultés affaiblies, qu’il faut prendre des précautions et que si le taux est plus que de deux nanogrammes, on pourrait être reconnu coupable et être passible d’une infraction sommaire.

[Traduction]

Mme Morency : J’ajouterai que M. Douglas Beirness, du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, avait abordé la même question le 19 septembre lors de sa comparution devant le Comité de la justice. Il avait alors dit :

Je redoute le jour où quelqu’un me demandera : « Quelle quantité de cannabis puis-je fumer avant de conduire? » La seule réponse à cette question est aucune. Je considère qu’il n’existe aucune quantité de cannabis qui puisse être consommée sans tôt ou tard dépasser une concentration de deux nanogrammes. Étant donné que la concentration de THC grimpe en flèche, le consommateur se retrouve éventuellement avec un taux supérieur à deux, qui finira aussi par redescendre à un moment donné. Il n’y a vraiment aucune quantité de cannabis que nous pouvons recommander à une personne de consommer tout en demeurant sous la limite permise et sans avoir les facultés affaiblies.

Le comité entendra peut-être M. Beirness ou d’autres experts bien placés pour parler de cette question. C’est un défi, et aussi un choix à faire. Les gens peuvent consommer, mais ils peuvent aussi prendre des dispositions pour ne pas avoir à conduire.

[Français]

Le sénateur Pratte : Je veux m’assurer de bien comprendre ce que vous dites : lorsque la publicité dit de ne pas conduire si vous êtes « high », c’est que les gens qui souhaitent conduire une automobile ne devraient jamais consommer de cannabis. Ce n’est pas juste de ne pas prendre un joint deux jours ou deux heures avant. Le message que la loi et que le gouvernement envoient, c’est que les gens qui veulent conduire une automobile ne devraient tout simplement jamais consommer de cannabis.

M. Daigle : Ce n’est pas parce qu’on a pris un joint que, la semaine prochaine, on aura toujours les facultés affaiblies. Comme je l’ai dit, le test va détecter la présence de THC de six à huit heures après la consommation. Le policier doit d’abord arrêter le conducteur et avoir des raisons de croire qu’il a conduit avec les facultés affaiblies. Si la personne pense qu’elle n’a vraiment pas les facultés affaiblies et que cela fait deux jours qu’elle n’a pas fumé de joint, la police ne se rendra pas là.

Ce n’est pas de dire que vous ne pourrez jamais conduire une auto si vous avez fumé un joint, mais plutôt que si vous voulez fumer du cannabis, pensez-y deux fois avant de conduire. On sait que l’outil qui détecte le THC dans la salive le fera jusqu’à huit heures après la consommation.

Le sénateur Carignan : Ma question est dans la même veine. Il y a l’infraction de conduire avec les facultés affaiblies et celle de conduire avec du THC. C’est le ministre qui détermine par règlement le niveau de THC. Si le ministre change, l’infraction peut changer, ce qui est particulier.

M. Daigle : Ce n’est pas le ministre...

Le sénateur Carignan : C’est le gouverneur en conseil, c’est ce que je disais, le ministre.

J’ai lu plusieurs études, dont une de l’Association automobile américaine menée en partenariat avec l’Association internationale des chefs de police. Selon cette étude, il n’y a aucune corrélation entre le fait d’avoir les facultés affaiblies et le taux de THC. J’ai vu d’autres études selon lesquelles il y a autant de personnes avec moins de cinq nanogrammes qui avaient les facultés affaiblies que de personnes avec plus de cinq nanogrammes. Donc, il n’y a aucune corrélation entre les deux. Cela dépend du bagage génétique, du poids et des habitudes de consommation.

Croyez-vous que cela peut résister au test de la Charte, soit de fixer un taux arbitraire sans proportionnalité avec le fait que les facultés sont affaiblies ou non?

M. Yost : Premièrement, on a déjà publié une déclaration du gouvernement sur les considérations de la Charte. Cela fait partie de la documentation publique sur notre site web.

Il est clair que la science n’est pas aussi satisfaisante pour les drogues — le THC en particulier — que pour l’alcool. Néanmoins, les juridictions à l’échelle mondiale essaient de prendre des mesures pour diminuer le taux de mortalité causé par la conduite avec facultés affaiblies en raison du THC.

Le gouvernement a tenu compte des conseils du Comité des drogues au volant. Ils ont analysé cinq nanogrammes et deux nanogrammes. Chacun a ses avantages et désavantages. Les représentants de ce comité comparaîtront devant vous la semaine prochaine. Partout dans le monde entier, je n’ai jamais vu un règlement qui acceptait un taux supérieur à cinq nanogrammes. Quelques juridictions ont deux nanogrammes comme seuil affaiblissant alors que d’autres n’en ont qu’un. C’est le même message que nous essayons de transmettre. Un ou deux, c’est le même message. Ne le compliquez pas.

Le sénateur Carignan : J’ai trouvé une nuance, et cela avait échappé aux témoignages qui ont été rendus jusqu’à maintenant.

On nous a dit, par exemple, que le Colorado fixait la limite à cinq nanogrammes. Au Colorado, ce n’est pas l’infraction qui est à cinq nanogrammes, mais plutôt une présomption de facultés affaiblies à cinq. C’est complètement différent de la création d’une infraction à cinq.

Où dans le monde y a-t-il création d’une infraction à cinq nanogrammes et non pas seulement une présomption, comme au Colorado?

M. Yost : C’est une infraction à deux nanogrammes au Royaume-Uni. Selon l’Union européenne, dans sept pays européens, c’est une infraction à un ou deux nanogrammes. En Nouvelle-Zélande, l’infraction consiste de présence avec mauvaise performance sur les tests au bord de la route. À Victoria, en Australie —, et dans d’autres juridictions australiennes, je crois — c’est seulement la présence dans votre fluide oral qui constitue l’infraction. Il n’y a pas de mesure du taux dans le sang. Ils ont emprunté une autre voie.

Le sénateur Carignan : Exactement, c’est une tout autre orientation. Dans la plupart des cas, on utilise des tests pour démontrer les facultés affaiblies. Donc, est-ce un cumul des deux, soit la présence et les facultés affaiblies?

M. Yost : Je suis certain que ce n’est pas la situation à Victoria parce qu’ils ont le dépistage obligatoire pour les drogues. Donc ce n’est aucunement basé sur l’affaiblissement.

Je ne sais pas exactement, en Europe, comment on peut faire la demande pour obtenir des échantillons de sang afin d’établir que le niveau de THC dans le sang d’une personne est au-delà d’un ou de deux nanogrammes. Je ne sais pas si c’est basé sur des tests effectués sur le bord de la route ou s’ils ont des tests de dépistage obligatoire.

Le but du gouvernement, par le biais du projet de loi C-46, est d’établir deux niveaux d’infraction. Le premier niveau mènerait à une infraction de moindre gravité, pour une personne ayant de deux et cinq nanogrammes dans le sang. Cette infraction serait punissable par une amende maximale de 1 000 $. C’est une infraction de base visant à protéger le public d’un danger bien réel. Le deuxième niveau mènerait à une peine comparable à celle attribuée pour la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool.

Comme nous ne connaissons pas le ratio entre la quantité de substance détectée dans le fluide oral et dans le sang d’une personne qui a fumé du cannabis il y a quatre jours, par exemple — cela se retrouvera peut-être dans son sang, mais pas dans son fluide oral —, ce ne serait pas détectable par des tests effectués en bordure de la route.

Le sénateur Carignan : Si vous me le permettez, j’ai une étude devant moi qui démontre que le taux de THC dans le sang diminuait de 73,5 p. 100, 25 minutes après consommation. Pensez-vous qu’il sera possible de prélever des échantillons de sang à l’intérieur de 25 minutes de l’interception de l’automobiliste afin d’être en mesure de démontrer l’infraction?

M. Yost : Premièrement, on parle de 73,5 p. 100 de quel niveau? Si vous parlez de la consommation d’une personne qui a fumé, ce sera tout à fait différent que si la personne a ingéré un aliment contenant du THC.

Le sénateur Carignan : Exactement. Il y aura une perte si vous l’avez mangé et ce sera détecté beaucoup plus tard.

M. Yost : Selon des renseignements que nous avons obtenus, le délai, en Angleterre, avant d’avoir en leur possession les échantillons de sang, est d’environ 83 minutes, si je me souviens bien. Néanmoins, presque 75 p. 100 du temps, les tests révèlent un niveau supérieur à deux nanogrammes, ce qui leur permet d’établir l’infraction. Cela apporte évidemment des défis du côté opérationnel.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe 320.29(1) du projet de loi qui traite des mandats pour le prélèvement d’échantillons de sang. Je note qu’en vertu de ces dispositions, il sera plus facile d’obtenir ces échantillons parce que, dans le cas des personnes incapables de consentir au prélèvement, le critère des « motifs raisonnables de croire » est remplacé par le critère des « motifs raisonnables de soupçonner » que l’intéressé a dans son organisme une certaine concentration d’alcool ou de drogue.

Il serait également possible d’obtenir un mandat si la police a des motifs raisonnables de croire que la personne a été impliquée dans un accident ayant entraîné des lésions corporelles ou la mort dans les huit heures précédentes, par opposition aux quatre heures précédentes prévues dans la loi actuelle. J’aimerais donc poser la question suivante : pourquoi ces changements sont-ils jugés nécessaires?

M. Yost : Je vais commencer par la question la plus facile. Le passage de quatre à huit heures se fonde sur les recommandations que nous avons reçues des provinces et de la police. Dans le cas des accidents graves, il est souvent difficile de prendre les mesures nécessaires et d’obtenir un mandat dans les quatre heures. Nos interlocuteurs nous ont dit qu’une période de huit heures devrait être plus que suffisante.

En ce qui concerne l’autre partie de la question, le critère des « motifs raisonnables de croire » figure dans la loi actuelle. Bien entendu, ce critère est plus rigoureux que celui qui serait appliqué sur la route si l’intéressé n’est pas blessé et se trouve encore sur les lieux de l’accident. Le critère des « motifs raisonnables de soupçonner » serait alors suffisant pour justifier l’utilisation de l’appareil de détection approuvé. Malheureusement, on ne peut pas recourir à un tel appareil dans le cas d’une personne hospitalisée qui ne peut pas donner son consentement.

Par conséquent, pour assurer à une telle personne le même traitement que si elle n’avait pas été blessée et se trouvait encore sur les lieux de l’accident, le critère est ramené aux « motifs raisonnables de soupçonner ». L’analyse de sang permettrait de savoir si, oui ou non, la personne avait une concentration supérieure à la limite. Il y aurait alors à déterminer si la personne était responsable de la collision, a été blessée, et cetera. Cela ferait partie de l’étape suivante de l’enquête. Toutefois, le changement a certainement pour but de veiller à ce que, dans les cas les plus graves, nous soyons en mesure de prélever un échantillon de sang pour déterminer si la personne impliquée dans un accident avait les facultés affaiblies.

Le sénateur McIntyre : Arrive-t-il souvent que des mandats pour le prélèvement d’échantillons de sang soient demandés? Dans quelle proportion les mandats sont-ils accordés?

M. Yost : Je ne peux pas répondre directement à cette question. D’après les renseignements que je tiens des provinces, les autorités provinciales sont souvent incapables d’obtenir un mandat dans le délai prescrit et doivent donc essayer de saisir un échantillon de sang prélevé à l’hôpital. Si la personne a été blessée, il est probable qu’elle a eu une prise de sang. Les autorités essaient alors de recourir à un mandat ordinaire pour saisir le sang prélevé et l’analyser. À ma connaissance, les analyses sont plus souvent faites de cette façon que grâce à l’obtention d’un mandat pour le prélèvement d’un échantillon.

Le sénateur McIntyre : Je note que le projet de loi abroge un certain nombre d’infractions inscrites dans le Code criminel, et notamment celles concernant les courses de rue, l’omission de surveiller une personne remorquée ainsi que les bateaux et les aéronefs. Je parle, bien sûr, des articles 249, 250 et 251 du Code criminel.

Pourquoi est-il nécessaire d’abroger ces infractions?

M. Yost : Je vais commencer par les courses de rue.

L’infraction actuelle prévoit des sanctions plus rigoureuses que celles de la conduite dangereuse. Comme nous prévoyons maintenant des sanctions plus strictes en cas de conduite dangereuse, il n’y a plus de raison de maintenir l’infraction relative aux courses de rue. Ces courses constituent une circonstance aggravante quand une personne est déclarée coupable de conduite dangereuse.

Quant aux autres infractions que vous avez mentionnées, et particulièrement l’omission de surveiller une personne remorquée, la conduite dangereuse d’un bateau, et cetera, le gouvernement estime, après étude, qu’elles revêtent un caractère administratif et devraient donc faire l’objet de dispositions des lois sur la navigation et autres plutôt que de figurer dans le Code criminel, où elles ne sont en pratique jamais invoquées.

Le sénateur McIntyre : Diriez-vous que la principale raison pour laquelle ces dispositions sont abrogées est qu’elles seront maintenant assimilées à la conduite dangereuse?

M. Yost : Si une personne conduit un bateau dangereux, elle pourrait blesser d’autres personnes ou leur nuire autrement. Il est donc possible que les dispositions correspondantes soient invoquées pour porter des accusations.

En toute franchise, les provinces que nous consultons régulièrement à ce sujet croient que cela n’arrive presque jamais, de sorte qu’il n’y a pas vraiment d’intérêt à maintenir l’infraction. Dans certains cas graves, il serait possible de porter des accusations en vertu des dispositions relatives à la négligence criminelle. Par conséquent, les dispositions proposées dans le projet de loi C-46 visent à simplifier et peut-être même à moderniser la structure.

La sénatrice Eaton : Je me trompe peut-être du tout au tout, mais j’ai l’impression, dans le cas de ce projet de loi, que les connaissances scientifiques sont en retard sur les dispositions prévues alors qu’en général, les mesures législatives s’appuient largement sur ces connaissances.

Ce qui me dérange le plus — le ministre Goodale en a parlé la semaine dernière —, c’est que la police ne peut pas soumettre des conducteurs au hasard à des tests de drogue comme elle le fait, par exemple, dans le cadre du programme RIDE du temps des Fêtes. Malheureusement, quand on considère le nombre des personnes tuées dans des collisions, 33 p. 100 avaient consommé de l’alcool et 40 p. 100 de la drogue. Avez-vous une idée quelconque du moment où les connaissances scientifiques rejoindront les dispositions législatives et où il sera vraiment possible de définir la conduite sous l’influence de la drogue dans la loi?

M. Yost : Permettez-moi, sénatrice, de faire une petite mise au point. À l’heure actuelle, il n’est pas possible de procéder à des tests au hasard dans le cadre d’un programme RIDE.

La sénatrice Eaton : C’est ce que j’ai dit. Vous ne pouvez pas le faire. À Toronto, dans la période des fêtes, il y a des programmes RIDE sur le chemin Avenue. La police arrête des véhicules au hasard.

M. Yost : La possibilité d’arrêter un véhicule au hasard existe, mais il faut quand même avoir des soupçons pour exiger un échantillon d’haleine au cours d’une enquête sur route. Le projet de loi C-46 modifie la situation. La police devrait pouvoir faire subir des tests à beaucoup plus de gens parce que cela sera plus rapide que de leur poser suffisamment de questions pour avoir des soupçons.

La sénatrice Eaton : C’est très bien, mais vous ne pouvez pas le faire dans le cas de la drogue.

M. Yost : En effet, on ne peut pas le faire en vertu du projet de loi C-46 dans le cas de la drogue.

La sénatrice Eaton : Des gens de votre ministère nous disent que lorsqu’ils arrêtent un véhicule et sentent une odeur de cannabis ou voient des gens aux yeux rougis, ils ont des motifs de soupçonner un cas de conduite avec facultés affaiblies. Il y a cependant des gens qui consomment régulièrement de la drogue, qui en mettent dans leurs carrés au chocolat et qui peuvent marcher droit sans sentir le cannabis ou avoir les yeux rougis. Bien sûr, je ne veux pas les voir piloter un avion d’Air France ou d’Air Canada ni faire de longues distances en camion sur la 401 à l’heure de pointe. Voilà ce qui m’inquiète vraiment.

À votre avis, dans combien de temps les connaissances scientifiques auront suffisamment évolué pour qu’il vous soit possible d’arrêter un véhicule et de soumettre son conducteur à un test sanguin ou à un test d’haleine? Si, par exemple, ma voiture était heurtée par un camion, vous pourriez alors demander aux deux conducteurs de se soumettre à un test d’haleine. Vous sauriez ainsi sur-le-champ si l’un des deux avait les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue. Toutefois, vous ne pouvez pas le faire aujourd’hui, n’est-ce pas?

M. Yost : Non, nous ne pouvons pas le faire aujourd’hui et nous ne pourrions pas le faire en vertu du projet de loi C-46. Le projet de loi n’est cependant pas rédigé en fonction des dispositifs de dépistage par voie orale. C’est simplement que, pour le moment, d’après les avis scientifiques que nous recevons du Comité Drogues au volant, seuls ces dispositifs sont assez sûrs pour servir à des fins d’enquête.

Je ne sais plus combien de fois on nous a annoncé la mise au point de nouveaux dispositifs révolutionnaires capables de mesurer la concentration de THC dans l’haleine, mais jusqu’ici, aucun n’en était à un stade permettant de le soumettre au Comité Drogues au volant pour une évaluation scientifique. Un jour peut-être, cela sera possible, mais nous n’en sommes pas encore là.

Pour ce qui est des facultés affaiblies — ce qui nous ramène toujours aux concentrations sanguines —, nous serons peut-être en mesure de faire des progrès en matière de mesure de la concentration en THC une fois que la consommation de cannabis sera légale. L’un des plus grands problèmes que nous avons maintenant, c’est que c’est encore une substance illégale. Il est donc difficile d’obtenir d’un comité d’éthique l’approbation d’essais dans lesquels on demanderait à des gens de consommer du cannabis, puis de se soumettre à des tests sur un simulateur de conduite automobile. Certaines de ces recherches commencent tout juste en ce moment parce qu’il est un peu plus facile de se procurer de la marijuana. Il nous sera peut-être possible à l’avenir d’aboutir à de meilleures corrélations entre les concentrations sanguines et l’affaiblissement des facultés. Nous ne pouvons pas encore le faire en ce moment.

La sénatrice Eaton : Pensez-vous en arriver, à un moment donné, à un point où il sera possible de tester rapidement des échantillons de fluides organiques prélevés au hasard sur des pilotes, des chauffeurs de camions et d’autres personnes devant utiliser du matériel compliqué et dangereux? Je crois que cela se fait déjà pour l’alcool dans certaines professions. Pensez-vous que nous aurons à un moment donné des règlements permettant de soumettre certaines personnes à des tests de salive ou autre afin de déterminer si le pilote de mon avion a pris comme dessert, après sa salade aux œufs, un brownie au cannabis avant de prendre les commandes dans le cockpit?

M. Yost : Si cela se faisait par voie de règlement, ce ne serait pas un règlement pris en vertu du Code criminel. Le Code criminel ne permet pas d’adopter de tels règlements. Il faudrait plutôt le faire aux termes de la législation du travail ou des lois réglementant le transport aérien.

Il y a actuellement certains tests effectués au hasard. Ils sont en général contestés par les syndicats. Je crois savoir que la Commission de transport de Toronto a procédé à de tels tests et que cela a donné lieu à une contestation judiciaire. Je ne sais pas où en est le procès, mais c’est une question qui relève des relations de travail. Ce n’est pas un sujet que nous avons abordé dans le projet de loi C-46. À mon avis, il est peu probable qu’il le soit jamais en vertu du Code criminel. Si les tests ne sont pas effectués sur une personne en train de conduire un véhicule ou qui en a la garde, ils ne relèvent pas du Code criminel.

La sénatrice Eaton : Je pensais en fait aux ETCOF dont les représentants ont comparu devant le Comité sénatorial des finances lors de ses audiences sur le budget. Ils s’inquiétaient beaucoup au sujet des employés du secteur des transports. Merci beaucoup.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre présence au comité aujourd’hui. Au huitième paragraphe du préambule, le projet de loi met l’accent sur l’importance qu’il y a d’harmoniser les lois fédérales et provinciales afin de promouvoir la sécurité routière. Le fédéralisme est toujours évoqué à un moment donné.

Je crois cependant savoir que les provinces attendent — impatiemment peut-être — l’adoption de ce projet de loi pour être en mesure de modifier leurs propres lois en conséquence.

Pouvez-vous nous donner une idée du genre de changements que les provinces et les territoires envisagent? Vous avez dit que vous les consultez régulièrement. S’inquiètent-ils d’un retard possible compte tenu de la nécessité pour eux d’harmoniser leur cadre juridique? Merci.

M. Yost : Encore une fois, tous les fonctionnaires à qui j’ai affaire ont hâte de voir le projet de loi adopté, notamment les dispositions concernant l’alcool, à cause de l’arrêt Jordan, et les dispositions relatives à la drogue, parce que la question les inquiète.

Je crois que nous pouvons produire un résumé de ce que les provinces ont proposé. Je sais que le Québec a annoncé — si je m’en souviens bien — qu’il a l’intention de suspendre le permis de conduire pour 90 jours. Toutefois, je ne sais pas vraiment si cela dépend de la détection d’une drogue ou s’il y a d’autres critères, comme le test normalisé de sobriété administré sur place. Je crois que la Saskatchewan adopte aussi une politique de tolérance zéro. Les responsables sont très désireux de voir adopter le projet de loi et aimeraient que les dispositifs de dépistage soient approuvés le plus tôt possible pour qu’ils puissent les utiliser lorsqu’un véhicule est arrêté sur la route.

Le sénateur Gold : D’après vos contacts avec les responsables provinciaux et territoriaux, avez-vous une idée du temps qu’il leur faudra, une fois ce projet de loi adopté, pour déposer les modifications législatives nécessaires et donner la formation voulue aux agents de police et à d’autres?

M. Yost : Je laisserai la question de la formation au représentant de la Sécurité publique…

Le sénateur Gold : Nous avons entendu des témoignages au sujet des agents de police. Je pensais qu’il conviendrait de s’occuper de la formation en fonction des dispositions du projet de loi C-46 et du cadre juridique provincial.

M. Yost : Une importante réunion a eu lieu la semaine dernière en présence de représentants de toutes les provinces, de la police, et cetera. Les participants ont passé en revue les dispositions législatives et ont examiné les changements qu’elles pourraient entraîner. Je peux vous donner l’assurance que beaucoup d’efforts sont actuellement déployés.

En ce qui concerne les dispositions législatives, beaucoup de provinces ont déjà déposé des projets de loi. Je crois savoir que le Québec mentionne les chiffres qui figurent dans le projet de loi C-46. Le gouvernement québécois est convaincu qu’il sera adopté. D’autres reprennent des dispositions des lois fédérales sur la conduite avec facultés affaiblies. C’est donc assez général. Les gens s’en inspirent.

À ma connaissance, les autorités provinciales sont en train de modifier beaucoup de leurs formules pour remplacer les vieux chiffres par les nouveaux. Une fois qu’un projet de loi a reçu l’appui d’un gouvernement majoritaire, ces autorités sont pratiquement sûres que les chiffres changeront, ce qui les a amenées à amorcer les processus nécessaires. Toutefois, il est évident qu’elles ne peuvent pas agir officiellement avant que le projet de loi C-46 ne reçoive la sanction royale.

M. Daigle : Il leur sera possible de mettre en vigueur le projet de loi C-46 dès qu’il aura reçu la sanction royale, si elles souhaitent lui ajouter leurs propres infractions au code de la route.

Le sénateur Gold : C’est la raison pour laquelle j’ai posé la question.

Mme Morency : Au Québec, le gouvernement a déposé le projet de loi 157. Cette semaine, la Colombie-Britannique a annoncé qu’elle avait l’intention de présenter son propre projet de loi prévoyant des sanctions administratives applicables sur la route, sur le modèle de ce que la province a fait avec succès dans le cas de l’alcool.

En ce qui concerne l’harmonisation des lois fédérales et provinciales, le Code criminel et les codes provinciaux et territoriaux de la route sont complémentaires. Certaines provinces ont déjà fait savoir ce qu’elles souhaitent réaliser et d’autres travaillent fort pour le faire.

Toutefois, comme on l’a déjà dit, le projet de loi C-46 relève du droit pénal. Il serait bon qu’il soit prêt pour la sanction royale en vue de la mise en vigueur des modifications de la partie 1 relative aux infractions liées à la drogue.

Le sénateur Gold : Ainsi, les provinces et les territoires sont prêts et ont même hâte de voir adopter le projet de loi C-46?

M. Yost : Oui, ils ont certainement hâte. Je suis à peu près sûr que certaines provinces sont prêtes et, comme on vient de le mentionner, celles qui ne le sont pas encore travaillent fort pour y parvenir.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Tout d’abord, il y avait hier dans le Blacklocks Reporter un article intitulé « Les arrestations pour infractions routières risquent de monter en flèche ». L’article mentionnait une note de service du ministère de la Justice obtenue grâce à une demande d’accès à l’information. Cette note de 2017 avait pour titre : « Estimation des effets d’une baisse de la limite légale d’alcoolémie de 0,08 à 0,05 p. 100 ». Je voudrais vous demander de bien vouloir fournir au comité une copie de cette note de service.

Mme Morency : Nous en avons pris note. Je ne sais rien de ce document, sauf que j’en ai entendu parler hier au Sénat. Nous ferons de notre mieux pour essayer de vous le procurer.

La sénatrice Batters : Très bien, je vous remercie. Un de mes collègues a abordé la question, et je crois que le sénateur Carignan l’a également fait dans le préambule de ses questions. Quoi qu’il en soit, je voulais simplement attirer un peu plus l’attention sur la différence qu’il y a entre la voie réglementaire et la voie législative. Dans le projet de loi C-46, les seuils légaux d’un affaiblissement des facultés dû à la drogue seront établis par règlement et ne seront donc pas prescrits dans la loi. Pour la gouverne de ceux qui nous écoutent et qui ne le savent pas, les règlements sont pris par le gouverneur en conseil, c’est-à-dire le Cabinet fédéral ou le gouvernement du Canada. Par contre, les dispositions législatives, comme celles qui établissent à 0,08 p. 100 la limite légale d’alcoolémie, doivent être adoptées par les deux chambres du Parlement, c’est-à-dire les Communes et le Sénat.

De toute évidence, il est beaucoup plus facile pour un gouvernement de changer des dispositions par voie réglementaire que par voie législative, n’est-ce pas?

M. Daigle : Oui.

La sénatrice Batters : Je voulais simplement m’assurer que les gens en sont conscients, parce que c’est un peu inhabituel.

M. Daigle : Il y a quand même une procédure à suivre.

La sénatrice Batters : Oui, bien sûr.

M. Daigle : Habituellement, il y a aussi une période réservée aux commentaires du public. Une étude d’impact de la réglementation est menée. Les Canadiens peuvent examiner le texte proposé pour formuler des observations, dont les fonctionnaires se servent pour présenter des recommandations au gouvernement. À l’heure actuelle, le comité du Cabinet qui examine ces questions est le Conseil du Trésor. C’est lui qui décide s’il convient d’adopter le règlement en cause.

La sénatrice Batters : D’accord. Toutefois, compte tenu du libellé actuel du projet de loi C-46, les concentrations de drogue seront fixées par règlement et non par les deux chambres du Parlement.

M. Daigle : C’est exact. Le Parlement donne une approbation préalable. Dans le projet de loi C-46, nous proposons que le Parlement autorise le gouverneur en conseil à prendre les décisions nécessaires dans ce cas.

La sénatrice Batters : D’accord. Il s’agit d’une disposition très générale qui ne fixe aucun seuil ni limite. C’est juste un énoncé général disant que le gouvernement peut prendre des règlements pour faire telle ou telle chose, n’est-ce pas?

M. Daigle : Le projet de loi autorise le gouvernement à fixer les limites légales.

La sénatrice Batters : Oui. D’accord, je vous remercie. Je suis sûre que certains d’entre vous travaillent pour le ministère de la Justice depuis assez longtemps. J’invite donc quiconque est qualifié à répondre à cette question particulière. Quelles dispositions du projet de loi C-46 destinées à parer aux retards du système de justice pénale liés à la conduite avec facultés affaiblies ainsi qu’aux défenses invoquées dans ces cas faisaient partie du projet de loi déposé par le gouvernement conservateur en juin 2015, je crois, quelques mois avant les élections de cette année-là?

M. Daigle : Quelqu’un d’autre pourrait peut-être répondre à cette question. Il y avait beaucoup de dispositions dans le projet de loi C-73. Certaines se retrouvent ici, et d’autres pas.

M. Yost : Pour ce qui est des moyens de prouver le taux d’alcoolémie d’une manière concluante, il y avait des dispositions semblables dans le projet de loi C-73. Le libellé a été un peu modifié dans le projet de loi C-46 conformément aux recommandations du Comité des analyses d’alcool.

De même, dans le cas de la communication de renseignements, il y avait des dispositions du même ordre dans le projet de loi C-226.

Laissez-moi voir ce qu’il y a d’autre. Le projet de loi C-73 ne prévoyait pas de dépistage obligatoire d’alcool. Il ne contenait donc pas de dispositions à ce sujet.

Pour ce qui est de l’accélération du processus, ce sont les deux principales questions que nous avons l’intention de régler. Quelques mesures destinées à renforcer la disposition relative au Programme d’expert en reconnaissance de drogues figuraient dans le projet de loi C-73. Nous nous attendons à ce qu’un certain nombre d’infractions suivent la voie de la procédure sommaire, ce qui devrait accélérer les choses. Cela aussi était dans le projet de loi C-73.

La sénatrice Batters : Votre ministère a fait beaucoup d’efforts depuis des années pour essayer de combattre la conduite avec facultés affaiblies et de réduire les retards qui causent des embouteillages dans notre système judiciaire.

M. Yost : Je suis sûr qu’il y a un certain nombre d’autres points que j’ai omis parce que je ne m’attendais pas à cette question, sénatrice.

La sénatrice Batters : Ce n’est pas grave, mais, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous vous serions reconnaissants de transmettre au comité tout autre aspect que vous auriez omis. Je vous remercie.

M. Yost : Oui.

La sénatrice Batters : Une dernière chose. Puisque vous êtes ici, je vais vous poser la question suivante. Hier, la ministre de la Santé — je ne sais plus si c’était au comité plénier ou au cours d’un point de presse plus tard — a dit que les magasins de détail du Canada ne seraient pas autorisés à vendre de la marijuana pendant 8 à 12 semaines après l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Autrement dit, la marijuana sera légale, mais les gens ne pourront pas en acheter. Je crois savoir par ailleurs qu’il sera légal à ce moment, en vertu du projet de loi C-45, que chaque ménage canadien possède quatre plants de marijuana. Cet aspect serait relativement peu réglementé. Est-ce bien le cas?

M. Daigle : La ministre a parlé de la différence entre la sanction royale et l’entrée en vigueur de la loi. En fait, tant que la loi ne sera pas entrée en vigueur, la possession de cannabis restera illégale.

La sénatrice Batters : D’accord. Ainsi, elle ne parlait pas de…

M. Daigle : Elle parlait d’obtenir la sanction royale et, par la suite, de prévoir un certain temps pour que les distributeurs puissent constituer des stocks et se préparer d’une manière ordonnée à faire la vente et la distribution. C’est après cette période que la loi entrerait en vigueur. Pour le moment, le projet de loi…

La sénatrice Batters : A-t-elle donc dit qu’elle espérait que la sanction royale serait donnée d’ici — je ne sais pas à quoi elle pensait — peut-être la fin mai pour qu’il soit possible de commencer dans le courant de juillet?

M. Daigle : Je crois que les ministres ont dit hier qu’ils espéraient voir la loi entrer en vigueur en juillet 2018.

La sénatrice Batters : Entrer en vigueur, mais…

M. Daigle : Bien entendu, cela dépendra de votre comité ainsi que du Sénat et de la Chambre. À partir de là, les provinces nous ont dit qu’elles auraient sans doute besoin de 8 à 12 semaines pour être prêtes. C’est alors qu’en vertu du projet de loi, le gouverneur en conseil pourra fixer la date d’entrée en vigueur.

La sénatrice Batters : Cela signifie que la sanction royale doit avoir lieu sous peu pour qu’il soit possible de prévoir un délai de 8 à 12 semaines, n’est-ce pas?

M. Daigle : Elle pourrait avoir lieu plus tôt ou plus tard.

La sénatrice Pate : Lors de la comparution de la ministre la semaine dernière, je lui ai demandé des renseignements sur les peines minimales obligatoires et sur les raisons pour lesquelles elles avaient été imposées. Dans sa réponse, elle a parlé de recherches. Depuis, nous avons eu l’occasion d’examiner certaines des recherches réalisées, dont les résultats semblent pour le moins ambigus. En fait, la plupart des études montrent que les effets dissuasifs sont négligeables ou semblent éclipsés par les campagnes de sensibilisation. Au mieux, il est difficile de déterminer si les peines minimales obligatoires imposées par voie législative ont eu des effets quelconques, mais il n’en reste pas moins que la sensibilisation est importante.

Certaines des recherches présentaient des aspects très intéressants, établissant en fait que la meilleure façon de prévenir la conduite avec facultés affaiblies était d’utiliser des antidémarreurs. La plupart de ceux qui œuvrent pour décourager la conduite avec facultés affaiblies, qu’il s’agisse, comme la ministre l’a mentionné, de MADD Canada ou d’autres groupes, sont en faveur des antidémarreurs éthylométriques.

Je suis curieuse de savoir si vous avez discuté avec les provinces et les territoires d’un régime réglementaire applicable aux constructeurs de véhicules et aux organismes de réglementation qui permettrait d’envisager le recours aux antidémarreurs. Compte tenu de toutes les données recueillies, il semble bien que l’objet global du projet de loi soit de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies et de prévenir les préjudices. Pour moi, toutes les recherches montrent que ce sont les dispositifs les plus efficaces qui aient été mis au point jusqu’ici.

Avez-vous examiné les conséquences? Y a-t-il quelque chose de semblable qui permette de détecter les drogues? Je n’ai rien trouvé à ce sujet dans la recherche.

J’ai une autre question. Monsieur Yost, vous avez parlé la semaine dernière, en réponse à une de mes questions, de l’exemption qui permet de ne pas imposer une peine minimale obligatoire en cas de traitement. Vous avez mentionné des recherches menées dans les provinces. Nous avons aussi examiné les études disponibles. Les données que nous avons trouvées jusqu’ici — j’espère que vous me le signalerez si je fais fausse route — montrent que les tribunaux de traitement de la toxicomanie, et pas nécessairement les programmes de désintoxication, constituent l’essentiel de ce qui a été réalisé. En fait, sauf pour les très riches, il est le plus souvent difficile d’accéder à des programmes de désintoxication, quand ils existent, à cause des longues listes d’attente. Cela revient à dire que l’exemption ne s’applique qu’aux bien nantis. De plus, il faut obtenir l’accord des autorités. Il y a donc des problèmes liés à la disponibilité et au caractère arbitraire de l’accès.

Cela étant, j’aimerais savoir ce que vous avez découvert au sujet des antidémarreurs et pourquoi vous ne les avez pas envisagés. D’une façon plus générale, je voudrais aussi savoir de quelle façon le ministère se prépare à affronter d’éventuelles contestations judiciaires pouvant découler de ces problèmes.

M. Yost : J’ai rédigé quelques textes. Je vous suis reconnaissant d’avoir parlé des antidémarreurs et du traitement parce que ce sont deux autres aspects qui peuvent, à notre avis, accélérer le processus judiciaire. À cet égard, un accès plus rapide peut encourager une personne à plaider coupable parce que la peine serait alors moindre que ce qu’elle serait si elle allait jusqu’au bout. Cela pourrait donc être utile.

En ce qui concerne les antidémarreurs, le projet de loi C-46 propose de réduire la période pendant laquelle une personne peut s’inscrire à un programme provincial. À l’heure actuelle, c’est trois mois pour une première infraction. En vertu du projet de loi, il n’y aurait pas de délai. Il suffirait que la personne soit admissible. Il appartiendra aux provinces de décider puisque c’est leur programme. Pour les infractions suivantes, les périodes de six mois et d’un an seraient ramenées à trois et six mois. Par conséquent, nous réduisons sensiblement la période pendant laquelle on ne peut pas obtenir un antidémarreur aux termes de la loi fédérale.

Pour ce qui est de l’utilisation des antidémarreurs dans les véhicules, permettez-moi de dire d’abord que je n’ai jamais entendu parler d’un antidémarreur pouvant déceler la consommation de drogue. Les scientifiques qui comparaîtront devant le comité auront peut-être d’autres renseignements à vous donner, mais je n’en ai pas personnellement.

Au sujet des tribunaux de traitement de la toxicomanie, le projet de loi C-46 reprend, pour l’essentiel, les dispositions prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Là où ces tribunaux existent et où des gens peuvent s’inscrire à leurs programmes, c’est très bien. Toutefois, beaucoup d’endroits n’ont pas ces tribunaux.

Je suis sûr que le sénateur Sinclair connaît beaucoup de régions du pays où il n’y a pas de tels tribunaux. Ces régions peuvent cependant avoir des programmes de désintoxication et être soumis à la supervision des tribunaux. En fait, lorsque nous avions discuté de la disposition d’absolution assortie d’un traitement curatif, nos propres procureurs du Nord nous ont dit très clairement que le délai de détermination de la peine et les conditions imposant de s’abstenir de boire et de conduire, et cetera constituaient un moyen de contrôle régulièrement utilisé dans le Nord pour essayer de régler le problème. Toutefois, l’installation d’antidémarreurs dans les véhicules relèverait peut-être de Transports Canada. Elle n’est certainement pas envisagée dans le cadre du projet de loi C-46.

Le programme est en fait assez coûteux : environ 150 $ par mois. Les intéressés doivent se présenter à un endroit prescrit pour que leurs données soient téléchargées. C’est donc coûteux et malcommode. Cela fait peut-être partie de la valeur éducative et dissuasive.

Je ne suis pas sûr d’avoir répondu à tous les volets de votre question.

Mme Morency : Je crois que votre dernière question portait sur nos préparatifs en prévision de contestations en vertu de la Charte.

La sénatrice Pate : Quelles sortes et…

Mme Morency : Les dispositions du Code criminel relatives à la conduite avec facultés affaiblies comptent parmi celles qui suscitent le plus de contestations judiciaires. Les données le montrent d’une façon très claire. Oui, nous nous attendons à des contestations et, oui, nous prévoyons que certains cas en arrivent à un point où ils mettront en cause quelques-unes des nouvelles dispositions législatives.

Comment pouvons-nous favoriser une application efficace du projet de loi C-46 une fois que le Parlement l’aura adopté? Nous avons parlé de la déclaration du gouvernement relative à la Charte. Il y a aussi un document technique que la ministre a déposé en présentant le projet de loi. Nous travaillons aussi de concert avec nos collègues provinciaux et territoriaux pour essayer d’élaborer une sorte de guide technique à l’intention de la police et des procureurs de la Couronne, afin de contribuer à une mise en œuvre efficace.

Comme mes collègues l’ont mentionné, beaucoup des changements proposés dans le projet de loi C-46 constituaient depuis des années des sujets de discussion avec nos homologues provinciaux et territoriaux à cause du volume des contestations judiciaires dans ce domaine.

En posant votre question, vous avez commencé par présenter quelques observations concernant, par exemple, les peines minimales obligatoires. Dans le domaine de la conduite avec facultés affaiblies, il y a une peine de prison minimale obligatoire dès la première infraction depuis 1921. Des sanctions pécuniaires minimales obligatoires ont été ajoutées plus récemment. Depuis, nous avons une combinaison obligatoire progressive de peines minimales de prison et d’amendes minimales.

Il n’y a eu que très peu de contestations en vertu de la Charte dans ce domaine, en dépit du volume particulièrement élevé de litiges. L’amende minimale obligatoire a été prescrite pour la première fois en 1951.

Par conséquent, l’approche qu’on trouve actuellement dans le Code criminel et que le projet de loi C-46 propose essentiellement de maintenir repose sur cette combinaison de peines de plus en plus sévères en cas de récidive. Comme je l’ai dit, il n’y a eu que très peu de contestations en vertu de la Charte, mais c’est un domaine que nous continuons évidemment à surveiller. Nous voudrions, grâce à notre guide technique, réduire le nombre de contestations judiciaires.

Nous collaborons étroitement avec les provinces et les territoires. En 2008, par exemple, lorsque le Parlement a adopté la dernière série de réformes du Code criminel dans ce domaine, nous avons eu des contacts suivis avec nos homologues pour essayer d’affronter les contestations en vertu de la Charte. Nous pouvons être plus efficaces lorsque les provinces et le gouvernement fédéral élaborent en commun des arguments sur la constitutionnalité des dispositions en prévision de telles contestations.

La sénatrice Batters : J’ai une petite question complémentaire à poser à ce sujet. Vous conviendrez, j’en suis sûre, que le dépistage obligatoire de l’alcool est très susceptible d’entraîner des contestations en vertu de la Charte. Quels arguments comptez-vous opposer à de telles contestations?

M. Yost : Je vous renvoie encore une fois à la déclaration du gouvernement concernant la Charte ainsi qu’aux facteurs à prendre en considération. Le critère établi par la Cour suprême pour déterminer si une loi enfreint la Charte — et particulièrement si elle est justifiable aux termes de l’article 1er — est bien connu. Ce sera un problème.

En fait, en 2009 déjà, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui avait recommandé le contrôle aléatoire de l’alcoolémie par alcootest, comme on l’appelait alors, avait passé en revue les effets probables de cette mesure sur la réduction du nombre de morts et de blessés par opposition à une intrusion minimale consistant à demander à une personne de souffler dans un tube pendant quelque 30 secondes. Le comité avait alors recommandé le dépistage obligatoire. Il était donc d’avis que cette mesure était justifiable aux termes de la Charte. Le Parlement est maintenant saisi de la question et doit décider s’il convient de prescrire ce dépistage. On peut supposer qu’après l’adoption du projet de loi, les dispositions en cause feront l’objet de contestation judiciaire et que des preuves seront présentées à cet égard.

M. Daigle : La ministre a parlé hier de ces preuves et de la justification. Lorsque nous pensons à d’autres pays qui ont adopté les mêmes mesures… Je crois qu’elle a parlé de l’Irlande où les décès occasionnés par les accidents de la route ont diminué de près de 40 p. 100 en quatre ans et d’environ 25 p. 100 dans la première année. Voilà le genre d’argument que nous présenterions pour justifier le dépistage obligatoire en cas de contestation en vertu de la Charte.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie encore de votre présence au comité et du travail que vous faites dans ce domaine. Je voudrais poser une question qui fait suite à ce que le sénateur Pratte a demandé la semaine dernière afin de me faire une idée claire, en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, des choix qui s’offrent à l’agent de police entre le recours à un expert en reconnaissance de drogues, une prise de sang ou les deux.

Pourriez-vous nous expliquer de quelle façon vous en êtes arrivés à définir ces options pour l’agent de police?

M. Yost : Sur le plan de l’approche générale, nous n’obligeons habituellement pas l’agent de police à faire un choix entre une méthode ou l’autre. Compte tenu des dispositions législatives actuelles concernant l’alcool, l’agent peut recourir à un dispositif de détection approuvé, au test normalisé de sobriété ou aux deux. Cela s’applique aux cas où le dispositif de détection approuvé ne décèle pas d’alcool. L’agent fait donc subir le test de sobriété pour déterminer si un autre facteur est en jeu.

Il y aura des situations, dans l’avenir prévisible, où il ne sera pas possible de recourir à un expert en reconnaissance de drogues. Un agent de police peut décider qu’il a des motifs raisonnables et demander à la fois une prise de sang et un expert. S’il y a pénurie d’experts ou que quatre personnes en aient besoin à la fois — le processus de reconnaissance prenant environ une heure —, l’agent pourrait ne pas avoir accès à un expert. Je peux donc imaginer des cas où il voudra demander une prise de sang en plus de l’expert. Quoi qu’il en soit, on laisse à l’agent une certaine latitude. La ligne de conduite à adopter dans différentes circonstances relève de la formation des agents de police, mais nous ne voulons pas limiter les outils auxquels ils peuvent recourir.

La sénatrice Boniface : Puis-je poser une question complémentaire? Supposons que dans un cas donné, l’expert aboutit à une certaine conclusion que l’analyse sanguine ne confirme pas. Je suppose qu’il appartiendrait alors à l’agent de décider s’il convient ou non de porter des accusations. Ensuite, le procureur aurait à décider s’il faut aller de l’avant. Faudra-t-il donc peser plus ou moins le pour et le contre à l’avenir?

M. Yost : Oui, il pourrait y avoir des situations dans lesquelles l’agent de police relève sur la route des indices assez sérieux de conduite avec facultés affaiblies pour justifier le recours à un expert en reconnaissance de drogues. Supposons que l’agent demande aussi une prise de sang. Il se peut que pendant qu’on attend l’expert, le conducteur ait suffisamment récupéré pour que celui-ci dise : « En ce moment, la personne que j’ai devant moi n’est pas incapable de conduire. » La question qui se pose alors est la suivante : La personne avait-elle des facultés affaiblies lorsque son véhicule a été arrêté? L’expert qui aboutit à la conclusion que la personne pouvait conduire n’a pas le pouvoir d’exiger un échantillon d’une substance corporelle. Ce serait la position de repli dont j’ai parlé.

Une fois l’analyse sanguine effectuée, il pourrait être nécessaire de recourir à un toxicologue pouvant conseiller la Couronne sur l’opportunité de porter des accusations compte tenu de la découverte de drogue dans l’organisme de l’intéressé et de la réaction probable de son organisme. C’est une question qui devra se régler entre l’agent de police qui a arrêté le véhicule sur la route, le toxicologue et le procureur de la Couronne.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie de ces éclaircissements.

Le président : Avant de passer au second tour, j’aimerais si possible poser une question. Hier, la Cour suprême a entendu deux affaires, Gubbins et Vallentgoed. Dans les deux cas, il s’agissait de se prononcer sur la fiabilité de l’appareil de détection dans le cas de l’alcool.

Si ces affaires aboutissent à un résultat positif, c’est-à-dire si la preuve de fiabilité de l’appareil de détection peut servir d’argument pour défendre un accusé, quelles seraient les conséquences sur l’article 320.34, à la page 32 du projet de loi? Cet article limite les résultats pouvant être communiqués à l’accusé dans le contexte d’une défense équitable et complète. Autrement dit, si la Cour suprême rendait sa décision finale avant que nous ayons voté au stade de la troisième lecture du projet de loi, aurions-nous à modifier l’article 320.34?

M. Yost : Je voulais assister à l’audience de la Cour suprême hier, mais je n’ai pas pu le faire. Ce n’est peut-être pas une bonne idée d’être là et d’essayer de deviner à quelle décision la Cour aboutira et quand.

En ce qui concerne l’article 320.34 sur la communication de renseignements, si la décision de la Cour suprême ne favorise pas la Couronne, l’article permet de demander la communication de renseignements supplémentaires. Il ne dit pas du tout que les éléments mentionnés sont les seuls qui puissent être communiqués. Les provinces pourraient commencer à communiquer plus de renseignements à la lumière de la décision prise, mais, même si elles ne le faisaient pas, la défense peut demander au tribunal d’autres renseignements. Elle aurait peut-être de solides arguments à présenter pour justifier sa demande et pourrait alors se prévaloir de la décision de la Cour suprême dans les affaires que vous avez mentionnées. Mais ce n’est pas pour tout de suite, sénateur.

Le président : Comme vous l’aurez constaté d’après les questions que les sénateurs vous ont posées… Je crois que c’est la sénatrice Eaton qui a dit à juste titre que les connaissances scientifiques sont en retard sur les dispositions du projet de loi. Le dispositif est encore à l’essai. Ce sont les ministres qui ont comparu la semaine dernière qui l’ont dit. Nous ne pouvons donc pas supposer que le dispositif de détection a été mis à l’épreuve pendant des années et que sa fiabilité a été généralement reconnue.

Ces appareils de détection semblent en être encore à l’étape du développement. Comme vous l’avez dit, ils sont actuellement mis à l’épreuve. Je crois qu’il y a un élément d’incertitude qui suscite de sérieux doutes et que les avocats de la défense pourront invoquer pour contester les accusations portées.

M. Yost : Sénateur, l’article 320.34 ne traite que de la communication de renseignements sur l’analyse des échantillons d’haleine. De toute évidence, il s’agit uniquement d’alcool. L’alcootest est l’appareil approuvé de mesure du taux d’alcoolémie. Je crois savoir que des représentants du Comité des analyses d’alcool doivent comparaître devant vous la semaine prochaine. La fiabilité de ces appareils est scientifiquement établie depuis des années.

Nous avons des tests très rigoureux. Nous verrons donc ce que la Cour suprême aura à dire. Toutefois, il est évident que la communication de renseignements en vertu de l’article 320.34 ne porte que sur la détermination du taux d’alcoolémie à partir de l’analyse d’un échantillon d’haleine. L’article ne traite absolument pas du dépistage de drogue.

Le président : Je ne veux pas engager une longue discussion parce que nous avons un second tour de questions. Toutefois, ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre. Par conséquent, si les renseignements concernant le taux d’alcoolémie doivent être fiables, nous devons nous attendre, il me semble, à ce que tous les autres tests répondent exactement aux mêmes critères de fiabilité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On sait que les peines minimales obligatoires n’ont pas seulement comme objectif d’avoir un effet dissuasif. Les peines minimales obligatoires doivent représenter la sentence minimale par rapport à un geste grave commis.

Conduire avec les facultés affaiblies et commettre un homicide est un des gestes les plus graves, et ce qu’on a au projet de loi est une pénalité minimale de 1 000 $. Il y a vraiment une disproportion entre, je dirais, un geste très grave posé et une sentence minimale de cette nature.

Votre ministère a rédigé le projet de loi C-73, qui est l’ancêtre du projet de loi C-46. À l’article 320.21, vous proposez une peine de six ans minimum pour la conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort, six ans. Cet article devait sans doute respecter la constitutionnalité canadienne. Sur quoi vous êtes-vous basé pour établir une sentence de six ans dans le projet de loi C-73 et qu’aujourd’hui, vous arrivez avec une pénalité minimale de 1 000 $?

M. Yost : Le projet de loi C-73 a été présenté par un gouvernement conservateur qui avait peut-être une attitude différente à propos des peines minimales obligatoires que le présent gouvernement. Ce qui était dans le projet de loi C-73 était dans le projet de loi C-226 et, au cours du débat, le secrétaire parlementaire a annoncé clairement que le gouvernement l’appuierait, sujet à des modifications afin d’éliminer les peines minimales obligatoires d’emprisonnement. Le montant minimum de la peine d’amende de 1 000 $ en vigueur aujourd’hui existe depuis 2008. Cela a été établi à l’époque — je m’en souviens — pour éviter qu’il y ait ordonnance de sursis en raison des peines minimales obligatoires. C’était là la seule raison. Les tribunaux n’ont pas rendu des peines d’amendes de 1 000 $ à des personnes ayant causé la mort et je ne crois pas qu’ils aient rendu des peines d’amendes à des personnes ayant causé des lésions corporelles.

Lors du remaniement du projet de loi C-226, j’ai commis une erreur. Je n’ai pas remarqué qu’on devait rétablir cet article dans le Code criminel actuel afin de nous assurer des peines minimales obligatoires pour les mêmes raisons qu’auparavant. On n’a pas pensé à cela. Il s’agissait purement d’une erreur de rédaction.

Le sénateur Boisvenu : Le ministère de la Justice peut-il nous fournir, pour les cinq dernières années, la moyenne des sentences minimales rendues dans les cas des conduites avec facultés affaiblies ayant causé la mort?

M. Yost : Vous voulez dire la moyenne des sentences, et non pas la moyenne des sentences minimales?

Le sénateur Boisvenu : Oui, la moyenne pour les sentences minimales rendues dans les cas de conduites avec facultés affaiblies ayant causé la mort.

M. Yost : Cela varie selon les provinces. L’arrêt Lacasse de la Cour suprême faisait état des lignes directrices de la Cour d’appel du Québec qui s’appliquaient à une personne qui n’avait pas eu d’autre condamnation antérieure, et établissait que, pour la première fois, la peine pouvait comporter de 18 mois à 36 ans d’emprisonnement. Le juge a rendu une sentence de six ans d’emprisonnement. La Cour suprême a alors dit qu’il ne s’agissait pas d’un carcan qui avait été établi par la Cour d’appel. Si le juge a de bonnes raisons de s’écarter de cela, il peut aller plus loin.

En Ontario, bon nombre de jugements de la Cour d’appel de l’Ontario ont fait état de la nécessité de sentences plus sévères. Je pense que les sentences minimales sont de l’ordre de quatre ou cinq ans d’emprisonnement, mais ce n’est pas une règle qui figure dans la législation. Il s’agit de la jurisprudence. Il existe une certaine variation à l’échelle nationale, parce qu’on a aussi vu des sentences de 10 ans d’emprisonnement.

Le sénateur Boisvenu : Vous ne connaissez pas la moyenne des sentences minimales rendues?

M. Yost : Établir une moyenne serait extrêmement difficile parce qu’on ne dispose pas de tous les jugements. Ils ne sont pas tous rapportés. Je ne peux pas vous dire ce qui se passe pour toutes les causes. Je reçois les communiqués de presse de l’organisation MADD Canada et je peux y lire différentes sentences qui sont rapportées, mais je ne peux pas établir une moyenne.

La sénatrice Dupuis : Maître Morency, vous nous avez dit que le ministère se fonde sur l’expérience qu’il a acquise des poursuites en vertu de l’alcool au volant, donc de gens qui ont été accusés de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool.

On sait que l’autorisation pour la consommation de cannabis à des fins médicinales a été acceptée depuis plusieurs années et, si je comprends bien, le ministère a tout de même une idée. Oui, il s’agit d’un nouveau produit, d’une nouvelle interdiction, de nouvelles offenses, mais on n’est pas dans un régime totalement nouveau ni dans un domaine totalement inconnu, à savoir ce qu’on peut prévoir comme réaction de la part des gens qui seront arrêtés.

J’aimerais savoir si vous avez des indications plus précises quant à la nouvelle possibilité de test aléatoire pour l’alcool et quant à la question du profilage racial. La question du profilage racial est une question dont on n’a pas beaucoup débattu. J’aimerais savoir si vous disposez de données à ce sujet, si vous avez reçu des commentaires ou mené des consultations à cet égard. Je pense, entre autres, au rapport de la police d’Ottawa sur les données qui ont été recueillies dans leur projet de 2013-2015. Ces données sont très explicites concernant le phénomène de profilage racial et la perception des policiers. Il y a même une donnée très claire dans le rapport sur le fait qu’il peut y avoir un biais personnel introduit, parce qu’il ressort du rapport que les personnes d’une autre race ou les personnes noires sont beaucoup plus souvent arrêtées.

Mme Morency : Je vais demander à M. Yost de répondre.

M. Yost : Il est clair que rien dans cette législation, d’une façon ou d’une autre, ne favorise le profilage racial.

Il est aussi clair, comme vous l’avez dit, qu’il existe des situations difficiles dans plusieurs villes. Nous avons obtenu des rapports à ce sujet et j’ai assisté à quelques réunions avec Statistique Canada. Personne ne semble disposer de données portant sur les facultés affaiblies et le profilage racial.

Au comité de la Chambre des communes, le témoignage de représentants de la police de l’Australie et d’un expert en ce qui concerne l’Australie fait ressortir que le fait que ce soit obligatoire pour tout le monde élimine ainsi la possibilité de profilage racial. C’est une politique de la police. Lorsqu’elle arrête quelqu’un, elle a une raison de le faire ou il s’agit simplement d’un barrage routier et toutes les personnes doivent passer le test. Ce n’est pas dans la législation, mais ce sont les pratiques des policiers. Ils ont eu les mêmes problèmes en Australie avec leurs populations autochtones.

Le préambule a été modifié à l’autre endroit et la législation est claire. On se rapporte d’ailleurs à un jugement de la Cour suprême dont vous vous rappelez sans doute : l’arrêt Little Sisters. Cette cause traitait de problèmes avec les douanes, mais la Cour suprême a statué que rien dans cette législation, dans ce cas précis, n’inciterait ou n’approuverait une discrimination envers la communauté LGBTQ. C’est la même chose ici. On a fait ce que l’on pouvait dans la législation.

Vous recevrez, je crois, des représentants des forces policières pour vous parler de cette question sur la manière d’appliquer la législation et non pas quelque chose dans la législation.

La sénatrice Dupuis : Le fait que vous ayez abordé explicitement les barrages routiers est intéressant. Pourquoi a-t-on choisi de ne pas inclure dans cette législation le test aléatoire en matière de contrôles routiers? Cela pourrait réduire cette possibilité de biais personnel, parce que comme vous l’avez dit, tout le monde doit alors fournir un échantillon d’haleine.

M. Yost : Le problème, c’est que les barrages routiers sont extrêmement difficiles à organiser, en particulier dans les petites localités à l’extérieur des grandes villes. Même dans les grandes villes, cela coûte cher puisque huit à dix policiers doivent être présents.

Il y a aussi une autre chose qui est très importante. J’ai lu une analyse — qui provient d’un rapport qui date de quelques années et que je n’ai pas retrouvé aujourd’hui — provenant de l’Australie. Cette analyse rapporte qu’en cette ère où les gens communiquent via les médias sociaux, on peut avertir nos amis très rapidement du fait que la police se trouve à cet endroit. On prend alors une autre route. Ce qu’il ressort de cette analyse est essentiel, c’est-à-dire que les interventions doivent toujours être imprévisibles. Il faut que les gens ne sachent pas où seront situés les barrages routiers et qu’ils soient conscients que peu importe la raison, ils peuvent être arrêtés et être appelés à fournir un échantillon d’haleine. Un conducteur peut se faire arrêter simplement parce que l’un de ses feux arrière ne fonctionne pas.

La sénatrice Dupuis : Par ailleurs, on sait que certains pays utilisent les barrages routiers et diffusent de la publicité à ce sujet. Tout le monde est au courant. C’est extraordinaire de constater à quel point ils ont réussi à réduire le nombre de conducteurs avec les facultés affaiblies. Alors, que l’on pourrait penser que tout le monde a été averti via les réseaux sociaux. Même avec Opération Nez rouge, au Québec, les résultats sont bons malgré toute la publicité qui est diffusée.

J’aimerais comprendre la disposition déclaratoire ou interprétative 320.12, plus particulièrement où on dit, à l’alinéa a) : que le fait de conduire est un privilège et non un droit.

J’aimerais attirer l’attention à l’alinéa d) sur l’évaluation effectuée par un agent évaluateur, qui constitue un moyen fiable d’établir si la capacité est affaiblie.

Par rapport aux deux présomptions créées plus loin dans le même article, quelle est l’intention derrière le fait d’introduire l’article 320.12?

M. Yost : Le Parlement a adopté le système en 2008 sur la base des témoignages à l’époque. On avait des études qui portaient sur la fiabilité de ce système. On a eu quelques problèmes avec les tribunaux au Canada, qui ont fait part de quelques hésitations. Ce n’est pas comme dans d’autres pays où on l’utilise depuis une vingtaine d’années et où c’est bien établi. C’était en partie pour aider les provinces à se défendre contre les attaques sur la science. Il y a une différence entre ce qui était dans le projet de loi C-73 et le projet de loi C-46. Dans le projet de loi C-73, on parlait de la compétence des évaluateurs. C’est la science qui appuie ceci. L’évaluateur lui-même on peut le contre-interroger, il peut faire des erreurs, on peut l’attaquer. On a confiance que si le projet de loi C-46 est bien appliqué, on obtiendra des résultats fiables. Je crois que Doug Beirness, qui travaille pour le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, a mené au moins trois études, qui ont été citées par le centre au moment de l’élaboration de leurs politiques. J’ai le document en anglais, qui s’intitule Policy Statement on DRE. Ils ont conclu que c’est une méthode efficace. On compte sur les données scientifiques qui nous ont été fournies en 2008. Cela a été renforcé grâce à l’étude qu’a menée le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances à ce sujet. Les conclusions sont claires : la science est fiable.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Je m’interroge sur la possibilité, pour un agent de police, d’exiger le prélèvement d’un échantillon de sang. D’après les dispositions législatives actuelles, l’agent doit obtenir un mandat pour faire prélever un échantillon de sang. Lorsque j’étais juge de première instance, nous recevions des demandes des agents de police, parfois par téléphone et parfois en personne, pour autoriser un médecin à prélever un échantillon de sang sur un conducteur. Le mandat lui-même comportait une disposition limitant l’utilisation de l’échantillon à l’objet de l’analyse lié à la conduite avec facultés affaiblies.

J’ai trouvé le paragraphe 258.1(1) que vous proposez dans votre projet de loi. Est-ce bien cette disposition qui limite l’utilisation de l’échantillon prélevé sur ordre d’un agent de police aux seules fins de l’analyse?

M. Yost : C’est exactement cela. La disposition est présentée sous un numéro différent avec des références légèrement différentes dans le nouvel article, dans la partie 1 du projet de loi. Oui, c’est bien la bonne disposition. Une fois le mandat obtenu, le sang prélevé doit être analysé aux seules fins prévues dans le mandat. On ne peut s’en servir pour rien d’autre.

Le sénateur Sinclair : L’analyse ne peut pas servir, par exemple, à enquêter sur d’autres infractions?

M. Yost : Non, absolument pas. Ce serait certainement une utilisation non autorisée. Les résultats d’une analyse ne peuvent être transmis à la Banque nationale de données génétiques — c’est l’autre dossier dont je m’occupe — par l’un des laboratoires judiciaires que si le sang a été prélevé sur la scène d’un crime. Ce n’est évidemment pas le cas si le prélèvement a été effectué sur une personne sans qu’un crime ait été commis. L’analyse ne peut en aucun cas servir à cette fin.

Le sénateur Sinclair : J’ai une autre question sur un domaine déjà évoqué par la sénatrice Dupuis, celui du profilage racial. C’est un sujet de préoccupation pour les groupes minoritaires, mais particulièrement pour les collectivités autochtones de certaines régions du pays.

Quand j’étais juge, j’étais arrêté par la police en moyenne deux fois par an, simplement parce qu’on voulait contrôler mon permis de conduire. Les agents me disaient toujours que cela faisait partie d’une campagne de contrôle. Ils ne m’ont jamais accusé de rien, mais j’avais trouvé intéressant qu’aucun de mes collègues n’avait été arrêté par la police au cours des 28 ans de ma carrière de juge.

Depuis mon arrivée ici comme sénateur, la police m’a arrêté trois fois, également dans le cadre de campagnes de contrôle. La dernière fois, cependant, c’était parce que l’agent souhaitait prendre une photo avec moi.

Mme Morency : Ah, c’est très bien dans ce cas.

Le sénateur Sinclair : C’est sans doute un aspect relativement banal ou moins inquiétant. Il n’en reste pas moins que le profilage racial est un sujet de préoccupation. Le projet de loi accorde aux agents de police plus de latitude pour se mêler des affaires des gens en leur conférant le pouvoir de faire prélever des échantillons de sang et de procéder sur la route à des tests de dépistage d’alcool et de drogue. Je me demande si vous avez envisagé d’affronter le problème du profilage racial grâce à un contrôle du comportement des agents de police, peut-être en les munissant de caméras mobiles et en exigeant que les agents chargés de faire subir des tests d’alcool ou de drogue portent sur eux une caméra ou notent par écrit les coordonnées des gens qu’ils arrêtent? Ainsi, le ministère serait en mesure de savoir ce qui se passe au chapitre du profilage racial.

Mme Morency : Je vous remercie de votre question. Je dirais que nos collègues de la Sécurité publique seraient probablement mieux placés pour y répondre, mais nous pouvons sûrement les avertir. Je sais que quelques-uns d’entre eux doivent comparaître devant le comité la semaine prochaine.

Il y aurait quelques autres façons d’aborder le problème. Je crois que la formation qui est mise au point de concert avec les provinces et les territoires en matière de mise en vigueur de la loi peut jouer un rôle important. De plus, le projet de loi C-46, dans sa forme modifiée par les Communes, impose au ministre de la Justice de déposer un rapport sur le projet de loi trois ans après son entrée en vigueur. Ce serait un autre moyen nous permettant de surveiller la situation à cet égard.

La question que vous avez soulevée est importante. Plusieurs témoins l’ont mentionnée. C’est un défi que nous devons tous affronter dans le système de justice pénale en essayant de nous faire une meilleure idée de ce qui se passe. Les médias ont beaucoup parlé de la question ces derniers temps, surtout en ce qui concerne la politique ontarienne.

Je sais que c’est un important sujet de préoccupation, sénateur. Nous essaierons d’aborder le problème dans la documentation que nous élaborons. À l’avenir, cela fera partie de nos efforts tendant à définir des points de référence et à déterminer comment les mesures prévues sont mises en œuvre. De toute façon, nous porterons aussi la question à l’attention de nos collègues de la Sécurité publique.

Le sénateur Sinclair : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Carignan : Mes questions portent sur deux sujets. Monsieur Yost, je voudrais clarifier vos propos. En réponse à une question de la sénatrice Eaton, vous avez dit que la détection de drogue par l’entremise de tests aléatoires relevait davantage du domaine des relations de travail que du Code criminel. Ai-je bien compris?

M. Yost : Si je me souviens bien, la question concernait ce qu’on devrait prévoir pour les pilotes.

Le sénateur Carignan : C’est exact.

M. Yost : Le Code criminel s’applique à tout Canadien qui circule sur la route ou qui pilote un avion. La personne doit être en train de conduire.

En fait, pour le pilote qui arrive à l’aéroport d’Ottawa et qui s’apprête à piloter un avion dans les deux heures qui suivent, rien n’est prévu dans le Code criminel pour ce qui est de fournir un échantillon d’haleine ou de subir un test de dépistage de drogue. Cela relève du domaine du travail, de la sécurité publique ou peut-être des règlements en application en vertu de la Loi sur l’aéronautique.

Le sénateur Carignan : Le projet de loi C-46 modifie la Loi sur l’aéronautique et la modification vise les personnes qui conduisent ou qui ont la garde de bateaux, d’aéronefs ou de matériel ferroviaire. Le terme « véhicule à moteur » couvre beaucoup d’éléments. Il couvre même Claude Carignan assis sur son tracteur à gazon.

M. Yost : Oui.

Le sénateur Carignan : Cela couvre également les gens qui conduisent des trains et ceux qui les conduisent à distance. Le test aléatoire pour l’alcool s’applique donc à tous ces gens, y compris le pilote d’avion et le chef de train. Le Code criminel couvre même celui qui pilote un train à distance. Donc, le test aléatoire s’applique à eux.

M. Yost : Oui, mais en vertu de la législation actuelle cela ne change rien.

Le sénateur Carignan : C’est exact. Par contre, le dépistage aléatoire inclus dans le projet de loi C-46 s’appliquera aux conducteurs de trains et de bateaux.

M. Yost : Vous parlez de quels tests aléatoires?

Le sénateur Carignan : Les tests aléatoires pour l’alcool, ce que vous appelez les tests obligatoires.

M. Yost : Non. Au paragraphe 320.27(2), on parle d’une personne qui conduit un véhicule à moteur. Cela ne s’applique qu’à un véhicule à moteur.

Le sénateur Carignan : Oui, mais un bateau c’est un véhicule à moteur et c’est défini.

M. Yost : Non.

Le sénateur Carignan : Oui.

M. Yost : Nous avons la définition du terme « conduire ». Dans le cas d’un véhicule à moteur : le manœuvrer, en avoir la garde ou le contrôle. Dans le cas d’un bateau ou d’un aéronef : le piloter ou aider à son pilotage ou en avoir la garde ou le contrôle. Dans le cas de matériel ferroviaire : participer au contrôle immédiat. Ce sont les mots qui existent actuellement dans le texte. Nous avons voulu simplifier la rédaction du texte plutôt que de répéter à maintes reprises « la personne qui conduit un véhicule à moteur, qui pilote un avion ou qui en a la garde et le contrôle ».

Le sénateur Carignan : C’est pire que je pensais. Vous avez le dépistage obligatoire de l’alcool pour le véhicule à moteur — Claude Carignan sur son tracteur à gazon —, mais pas pour le pilote d’avion.

M. Yost : C’est vrai.

Le sénateur Carignan : Wow!

M. Yost : Je n’ai jamais entendu parler de tests aléatoires autres que pour les conducteurs de véhicules à moteur. On parle ici de sécurité routière.

Le sénateur Carignan : Le projet de loi C-46 modifie la Loi sur l’aéronautique, la Loi sur la sécurité ferroviaire et la Loi sur les douanes. Aux termes du projet de loi C-46, les douaniers sont des agents de la paix. Si je comprends bien ce que vous nous dites, les douaniers peuvent effectuer les tests de dépistage d’alcool lorsqu’ils ont un soupçon, mais ils ne peuvent pas effectuer les tests obligatoires.

M. Yost : Vous comprenez bien. Les véhicules à moteur sont l’exception. Pour les autres moyens de transport, un agent de la paix doit avoir un soupçon.

Le sénateur Carignan : Un douanier est un agent de la paix. En présence de soupçons, le douanier peut contrôler le pilote seulement lorsqu’il descend de l’avion, mais pas quand il embarque à bord de l’avion.

M. Yost : Comment un douanier peut-il intercepter un pilote avant qu’il monte à bord de l’avion? Il peut le faire à l’arrivée, lorsque le pilote passe par le contrôle douanier.

Le sénateur Carignan : Habituellement, le douanier rencontre assez souvent le pilote.

La sénatrice Eaton : Quand on arrive en avion privé, les douaniers entrent dans l’avion dès qu’on atterrit.

M. Yost : Je suis entièrement d’accord avec vous, même si je ne voyage pas souvent à bord des avions privés. Si vous prenez un avion en provenance d’Ottawa vers Toronto, les douaniers n’ont rien à faire avec vous. Par contre, si vous partez de Toronto à destination de New York, il y aura présence de douaniers américains.

Le sénateur Carignan : Dans le cas des vols internationaux, le douanier peut-il être en contact avec le pilote d’avion?

M. Yost : Peut-être. Je ne sais pas.

Le sénateur Carignan : On en fera la preuve plus tard. Si je comprends bien, Claude Carignan qui conduit son tracteur à gazon peut faire l’objet d’un contrôle obligatoire pour l’alcool, mais pas le pilote d’avion.

M. Yost : Vous avez raison. En ce qui concerne le pilote, le douanier doit avoir un soupçon de consommation d’alcool.

Le sénateur Carignan : Il y aura des corrections à apporter à ce projet de loi.

Mon autre question concerne le paragraphe 253(3) où il est écrit :

Sous réserve du paragraphe 4, commet une infraction quiconque a, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire un véhicule à moteur [...]

L’infraction, c’est d’avoir conduit dans les deux heures qui suivent.

Le paragraphe 254(2) concerne la vérification de la présence d’alcool. Je cite :

L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule [...]

L’infraction, c’est d’avoir conduit dans les deux heures qui suivent et le pouvoir de vérification s’exerce dans les trois heures. Il y a donc une heure pendant laquelle il n’y a pas d’infraction. Si vous exercez le pouvoir de détection 2 heures 59 minutes après avoir conduit, la personne n’est plus passible d’une infraction depuis au moins une heure. Comment est-il possible de justifier un pouvoir de détection si la personne n’est plus en infraction depuis 59 minutes?

M. Yost : D’abord, le test de dépistage de l’alcool n’a aucun lien avec les deux heures et je m’explique. Depuis des années, on avait la possibilité de faire passer le test de l’ADA à une personne qui conduisait un véhicule. Il y a eu des problèmes devant les tribunaux parce que dans un cas d’accident de la route, la personne serait sortie de sa voiture et elle n’aurait plus été en train de conduire, elle n’aurait pas non plus la garde et le contrôle du véhicule.

Je me souviens très bien d’un cas où les policiers avaient procédé à l’arrestation d’une personne pour une raison quelconque et cette personne faisait l’objet d’un mandat d’arrestation. Ils l’ont arrêtée et l’ont fait entrer dans la voiture. En se rendant vers le poste de police, ils ont commencé à sentir de l’alcool et le juge a décidé qu’ils n’avaient pas le droit de faire une demande d’ADA parce que cela faisait cinq minutes qu’elle n’était plus dans le véhicule. Elle ne conduisait pas le véhicule et n’avait pas la responsabilité des contrôles. On a donné les trois heures pour ce problème précis qui se présentait normalement dans une situation d’accident.

Il n’y a jamais eu aujourd’hui une limite sur le temps à l’intérieur duquel on peut faire une demande pour l’éthylomètre.

Le sénateur Carignan : Vous avez modifié l’infraction.

M. Yost : Oui, je sais.

Le sénateur Carignan : L’infraction est dans les deux heures.

M. Yost : Je le sais.

Le sénateur Carignan : Pourquoi ne pas ajuster le temps de vérification? L’infraction consiste à conduire dans les deux heures.

M. Yost : Permettez-moi d’essayer de créer un scénario qui aiderait peut-être à comprendre.

Le sénateur Carignan : Faites-moi un dessin parce que je ne comprends pas.

M. Yost : Un accident est survenu et la personne a fui les lieux. Il faut essayer de la trouver et cela va prendre du temps. Après deux heures et demie de recherche, elle est retrouvée à l’hôpital. Elle sent l’alcool. On sait qu’elle a conduit dans les trois heures. On peut donc faire la demande de l’ADA. La personne a failli le test, donc on l’amène au poste de police et après avoir consulté son avocat, et cetera, elle fournit un échantillon de sang trois heures et demie après avoir conduit. Ce n’est pas du tout un problème avec ce qui est proposé dans le projet parce qu’il y a une formule pour faire le rétro calcul. Pas besoin d’avoir un toxicologue pour faire le rétro calcul. Elle était, disons à 130 à trois heures et demie. Après, on peut calculer qu’elle était à 145 on ajoute 5 par demi-heure après deux heures. Même aujourd’hui, on a un mandat quatre heures après. C’est suffisant pour faire le rapport. Après deux heures, il est encore en train de commettre l’infraction parce qu’on peut calculer qu’il avait un taux d’alcoolémie au-delà de 80. On peut faire le rapport, trois, quatre, ou même cinq heures après, et faire le calcul.

Le sénateur Carignan : Donc, si cela fait trois heures cinq minutes, vous ne pourriez plus faire la demande?

M. Yost : Non, on ne pourrait pas faire la demande du test de l’ADA, mais si on a suffisamment de preuves que la personne est affaiblie par l’alcool, cela pourrait se faire d’autres façons. Il y avait peut-être des témoins qui ne pouvaient pas se tenir debout lorsque la personne a pris la fuite alors qu’elle avait un taux élevé d’alcool. On peut faire la demande pour un alcootest qui établira son taux d’alcoolémie.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : À l’heure actuelle, en cas de conduite avec facultés affaiblies, le tribunal peut absoudre une personne en vertu de l’article 730 au lieu de la condamner, mais seulement si une ordonnance d’interdiction lui impose de suivre une cure de désintoxication pour abus de drogue ou d’alcool.

Je note que l’article 320.23 élimine cette possibilité. L’accusé aurait alors un casier judiciaire.

Pouvez-vous nous expliquer les motifs de ce changement?

M. Yost : C’est simplement parce qu’il y a des sanctions minimales obligatoires progressives pour les gens qui récidivent, qu’ils aient ou non suivi une cure de désintoxication. En cas d’absolution, la personne ne fait pas l’objet d’une condamnation et n’est donc pas nécessairement passible des peines minimales obligatoires plus sévères.

Si une personne suit une cure et échappe ainsi à une peine minimale obligatoire, tant mieux, mais elle doit rester dans le droit chemin. Elle ne doit pas récidiver car, si elle le fait, elle est passible de sanctions minimales plus sévères et d’une peine de prison obligatoire, ayant déjà fait l’objet d’une condamnation antérieure. L’objet de la disposition est donc de parer au fait que l’absolution n’est pas une condamnation.

Le sénateur McIntyre : Toutefois, la grande différence avec le régime actuel, c’est que le projet de loi C-46 élimine toute chance de ne pas avoir un casier judiciaire. Avec le projet de loi, l’accusé aura certainement un casier.

M. Yost : D’après la loi actuelle, une peine minimale obligatoire enlève toute possibilité de sursis. C’est la raison pour laquelle il y a des peines minimales obligatoires. Une personne condamnée pour conduite avec facultés affaiblies ne peut pas bénéficier du sursis. Cela est impossible en présence d’une peine minimale obligatoire. Dans sept provinces, représentant quelque 30 p. 100 de la population — puisque les grandes provinces ne participent pas —, nous avons l’absolution pour les personnes qui suivent une cure de désintoxication, mais la province n’a pas son mot à dire sur la cure suivie. La personne absoute n’a donc aucune condamnation si elle recommence à prendre le volant après avoir bu.

Le président : Je voudrais poser une question si possible.

[Français]

On comprend que les mobylettes, toutes les bicyclettes qui sont mues par une certaine force externe seraient également couvertes dans la définition de l’article de la loi qui définit les moyens de transport. On pourrait faire un test aléatoire à proximité d’une école secondaire où il y a ce genre de mobylette. Par exemple, au Québec, on peut conduire une mobylette à l’âge de 14 ans. Donc, on serait susceptible d’être à l’intérieur des champs couverts par la loi.

M. Yost : Ce sont des véhicules à moteur. Actuellement, on peut faire une demande de test si on soupçonne une personne qui conduit ce genre de véhicule d’avoir de l’alcool dans le sang. Il se peut, je suppose, qu’on puisse faire un test aléatoire d’alcool sur une personne qui conduit une bicyclette électrique. C’est la situation aujourd’hui. Il s’agit d’un véhicule à moteur. On n’a pas changé la définition de véhicule à moteur.

Le président : Par contre, si le projet de loi est adopté, il y aura le test aléatoire alors que ce n’est pas le cas aujourd’hui.

M. Yost : J’espère que les policiers ne concentreront pas leurs efforts autour des écoles secondaires pour les jeunes âgés de 14 ans. C’est une question à poser aux policiers.

[Traduction]

La sénatrice Batters : J’ai une question complémentaire à ce sujet. Les policiers ne concentreront peut-être pas leurs efforts sur les écoles, mais cela me fait penser aux voiturettes de golf. Seraient-elles assujetties à cette disposition de la loi? Leurs conducteurs pourraient-ils être soumis au dépistage obligatoire d’alcool?

M. Yost : Ces voiturettes pourraient ne pas être assimilées à des véhicules à moteur. Elles le sont aux termes de la loi actuelle. Des personnes ont déjà été condamnées, habituellement parce qu’elles roulaient en plein milieu de la route dans une voiturette de golf en zigzaguant suffisamment pour attirer l’attention des gens.

La sénatrice Batters : Toutefois, tant que le projet de loi C-46 n’est pas adopté, le dépistage obligatoire d’alcool n’est pas en vigueur. Mais il pourrait bien l’être à l’avenir.

M. Yost : Si quelqu’un roule le long d’une route, les policiers pourraient procéder à un dépistage obligatoire d’alcool sans avoir des soupçons particuliers.

La sénatrice Batters : Mais ce serait une route dans un parcours de golf. Il y a souvent des rues qui longent de très près un terrain de golf.

M. Yost : Je regrette, sénatrice, mais il me faudra peut-être consulter les provinces à ce sujet. Je ne suis pas tout à fait sûr que la police ait accès aux chemins privés d’un terrain de golf ou d’un endroit de même nature. Ce n’est pas une voie publique. L’accès est donc restreint… Je regrette, mais je ne suis vraiment pas certain.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, mais la notion de voie publique ne s’applique plus. Cela a été changé. Auparavant, c’était sur la voie publique, mais ce n’est plus le cas maintenant. Donc, lorsque je suis sur mon tracteur à gazon, sur mon terrain, je n’ai pas à être contrôlé. La notion de voie publique n’est plus dans le Code criminel.

M. Yost : Permettez-moi de vérifier.

[Traduction]

Le président : Pouvez-vous vérifier cela, monsieur Yost? Je crois que c’est important.

[Français]

M. Yost : Oui, je suis en train de le prendre en note, je vous rassure.

[Traduction]

Le président : Je note les engagements que vous avez pris de nous communiquer des renseignements complémentaires.

[Français]

Très rapidement parce que nous avons dépassé le temps prévu.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui concerne l’article 320.21, dois-je comprendre que pour la première infraction, la peine minimale est de 1 000 $ et que si la personne récidive une deuxième fois et qu’elle tue quelqu’un, la sentence minimale sera de 30 jours d’emprisonnement?

M. Yost : C’est ce qui est prévu en ce moment dans le Code criminel.

Le sénateur Boisvenu : S’il y a une troisième fois qu’il tue quelqu’un, l’emprisonnement n’en sera que de 120 jours.

M. Yost : C’est la peine minimale, si elle était imposée par un juge en ce moment.

Le sénateur Boisvenu : Du moins, c’est ce que l’avocat de la défense va demander.

M. Yost : Il se peut et, si le juge décide de l’accorder, je me demande si les procureurs de la Couronne se rendraient en appel pour dire que c’est une peine inappropriée.

Le sénateur Boisvenu : En principe, c’est le droit.

M. Yost : Vous avez raison, sénateur.

Le président : Merci.

[Traduction]

Comme on dit au tribunal, je ne vous libère pas. Nous entendrons de nombreux autres témoins. À un moment donné, nous voudrons peut-être vous inviter à revenir nous voir pour répondre à d’autres questions ou donner des renseignements aux honorables sénateurs.

(La séance est levée.)

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