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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 5 - Témoignages du 25 mars 2014


OTTAWA, le mardi 25 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 33, pour l'étude du projet de loi C-9, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseilleurs de certaines Premières Nations et la composition de leurs conseils respectifs.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui assistent à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, tant ici dans la salle que via CPAC ou Internet. Je suis Dennis Patterson, sénateur du Nunavut et président du comité. Notre mandat est de nous pencher sur les projets de loi et les questions ayant trait aux peuples autochtones du Canada, plus généralement.

Ce matin, nous entamons l'étude du projet de loi C-9, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines Premières Nations et la composition de leurs conseils respectifs.

Ce matin, nous allons entendre les témoignages de deux ministères — Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, et Justice —, ainsi que de l'Association du Barreau canadien.

Avant cela, j'aimerais toutefois faire un tour de table et demander aux membres du comité de bien vouloir se présenter.

Le sénateur Moore : Bonjour. Je m'appelle Wilfred Moore et je viens de Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, de la Saskatchewan.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, du nord-ouest de l'Ontario.

Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, de l'Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Wallace : Bonjour. John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je sais que les membres du comité se joignent à moi pour souhaiter la bienvenue à notre premier panel qui réunit, d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales — que le comité connaît déjà — et, du ministère de la Justice, Tom Vincent, conseiller juridique, Opérations et programmes (Services juridiques).

Sauf erreur, c'est vous qui commencez, madame Kustra. Nous serons heureux d'entendre votre exposé, avant les questions des sénateurs. À vous la parole.

[Français]

Brenda Kustra, directrice générale, Direction de la gouvernance, Secteur des opérations régionales, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada : Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui devant le comité.

Le projet de loi C-9, Loi concernant l'élection et le mandat des chefs et des conseillers de certaines premières nations et la composition de leurs conseils respectifs, a fait l'objet d'études devant ce comité il y a deux ans, numéroté à ce moment projet de loi S-6. Bien qu'il y ait eu plusieurs débats sur le projet de loi, il demeure inchangé. Je désire aujourd'hui vous offrir une vue d'ensemble du projet de loi et vous décrire comment il contribuera de façon importante à la stabilisation des gouvernements des Premières Nations qui choisissent d'y adhérer.

[Traduction]

Il est important de garder à l'esprit que le projet de loi a été élaboré d'après les recommandations faites au ministre d'Affaires autochtones et Développement du Nord Canada par l'Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs et l'Assemblée des chefs du Manitoba, sous la houlette de l'ancien grand chef, Ron Evans.

Ces organisations ont approché le ministère en 2008, nous demandant de travailler avec elles à l'élaboration d'une autre formule électorale, qui remplacerait celle figurant dans la Loi sur les Indiens. L'Assemblée des chefs du Manitoba estimait qu'il serait véritablement avantageux pour les Premières Nations de la province d'aligner leur mandat, de tenir leurs élections le même jour et d'avoir des conseils élus pour le même mandat de quatre ans. L'Atlantic Policy Congress s'intéressait à des mandats plus longs.

Peu après le début de notre collaboration avec ces deux organisations, il est devenu manifeste pour tous que ce serait l'occasion de régler non seulement les problèmes précis soulevés par les organisations, mais aussi d'établir un système d'élection solide, ouvert et transparent pour les Premières Nations.

La brièveté du mandat de deux ans est l'une des dispositions de la Loi sur les Indiens la plus souvent critiquée. Deux ans, c'est tout bonnement insuffisant pour qu'un conseil de bande élabore des plans globaux, tisse des partenariats importants avec le secteur privé, d'autres instances gouvernementales et d'autres nations, ou lance et mette en œuvre des projets susceptibles d'améliorer le bien-être de sa collectivité. Dès qu'un conseil de bande a établi ses priorités, dès qu'il commence à explorer des possibilités et à lancer des projets, il doit affronter une autre élection.

Outre la contrainte que représente un mandat de deux ans, le système électoral établi aux termes de la Loi sur les Indiens manque de rigueur en ce qui concerne la nomination des candidats : un nom peut figurer sur le bulletin de vote sans que la personne ait accepté d'être nommée; de plus, une même personne peut se présenter et d'ailleurs être élue à la fois aux fonctions de chef et de conseiller, lors de la même élection.

Vous avez sans doute entendu parler, récemment, d'une Première Nation de Colombie-Britannique où l'un des candidats au poste de chef n'est même pas membre de la Première Nation. En vertu du projet de loi C-9, tous les candidats devront être membres de la Première Nation. Autre problème : un système de scrutin par la poste ouvert aux abus, sans contravention ni amende visant à décourager les pratiques électorales corrompues, telles que l'achat de voix ou les pots-de-vin.

Enfin, ce sont le ministre d'Affaires autochtones et Développement du Nord et le gouverneur en conseil, c'est-à-dire le Cabinet, qui sont responsables de l'enquête et de la décision en cas d'appel. Le Cabinet a en outre le pouvoir d'annuler le résultat d'une élection, contrairement à ce qui se passe pour toutes les autres élections au pays, où seuls les tribunaux ont le droit de trancher.

Les faiblesses ayant été identifiées, il s'est établi un consensus pour y remédier. Nous avons travaillé de concert avec l'Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs et l'Assemblée des chefs du Manitoba pour aller au fond des problèmes et élaborer des solutions.

Les deux organisations régionales des Premières Nations ont élaboré leurs recommandations après avoir tenu des consultations approfondies, dans leur coin du pays, avec des leaders des Premières Nations, des experts en matière de gouvernance et des membres des collectivités des Premières Nations. Avant de présenter le projet de loi, nous leur avons demandé de se concerter au niveau national, ce qu'elles ont accepté avec plaisir. Elles ont présenté leurs recommandations aux organisations et aux chefs des Premières Nations ailleurs au Canada. Par exemple, Ron Evans, l'ancien grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba, a présenté la question à la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan, aux chefs de traité de l'Alberta et dans quatre forums distincts en Colombie-Britannique.

[Français]

À ce moment, il est important que je vous dise que des 617 Premières Nations au Canada, 238 tiennent leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens, 343 tiennent leurs élections en vertu de leurs propres règles électorales communautaires, et 36 Premières Nations ont des ententes d'autonomie gouvernementale. Les règles électorales de ces dernières font partie de leur constitution.

Cette loi intéressera tout d'abord les 238 Premières Nations qui tiennent leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens. Les Premières Nations qui tiennent leurs élections en vertu de leurs propres règles électorales communautaires pourraient choisir d'adhérer au système électoral du projet de loi C-9 si elles croient qu'il offre des solutions aux défis posés par leur propre système électoral.

[Traduction]

Quelle a été la première recommandation des organisations? L'élaboration d'une loi distincte, plutôt qu'une modification de la Loi sur les Indiens. Ainsi, les Premières Nations qui préfèrent le système électoral de la Loi sur les Indiens, parce qu'il fonctionne pour eux, peuvent continuer de l'utiliser. Le projet de loi C-9 est une mesure législative distincte qui offre une solution de rechange aux Premières Nations souhaitant se débarrasser d'un autre élément de la Loi sur les Indiens, qui est archaïque.

Les autres recommandations des organisations décrivaient en détail les mesures à adopter et on les retrouve dans le projet de loi, comme l'Atlantic Policy Congress l'a confirmé à divers comités parlementaires à plus d'une occasion.

Tout d'abord, le projet de loi C-9 introduit des mandats de quatre ans, comparables à ceux des élections fédérales, provinciales et municipales, généralement parlant. L'Assemblée des chefs du Manitoba voyait un gros avantage à la tenue d'élections à un même jour pour plusieurs conseils de bande et à des mandats concomitants. Le projet de loi contient des dispositions qui permettront à au moins six Premières Nations d'aligner la durée de leur mandat et de tenir leurs élections un même jour.

Le projet de loi établit également un processus plus rigoureux pour la nomination de candidats : les personnes nommées doivent accepter leur nomination avant de devenir officiellement candidates et personne ne peut se porter candidat à la fois pour un poste de membre du conseil et pour un poste de chef pendant la même élection.

Le projet de loi définit des contraventions et des peines similaires à la Loi électorale du Canada, en cas de pratiques électorales corrompues, si bien que les pots-de-vin ou l'achat de votes par la poste peuvent être punis d'amendes ou de prison.

Le projet de loi ne donne aucun pouvoir au ministre ou au gouverneur en conseil en ce qui concerne les appels électoraux. Comme toute autre loi électorale, le projet de loi donne ce pouvoir aux tribunaux.

Le projet de loi comporte une autre disposition qui me semble importante : elle permet à une Première Nation de se soustraire à l'application de la loi en question à une date ultérieure, si elle décide d'élaborer et de ratifier un code électoral communautaire.

En conclusion, j'espère que mon exposé vous a donné une idée du travail de collaboration dont le projet de loi est l'aboutissement et vous permet de comprendre l'objectif du projet de loi, sa portée et, surtout, son importance pour appuyer des gouvernements des Premières Nations solides.

[Français]

Merci encore une fois de m'avoir offert cette possibilité de comparaître devant vous. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci, madame. Parmi les membres du comité présents ici ce matin, il y a au moins une personne qui se souvient de la version précédente du projet de loi, le projet de loi S-6, et de l'examen qui avait été effectué il y a presque deux ans. Nous vous remercions donc de votre témoignage.

Je vais passer la parole à la vice-présidente, la sénatrice Dyck.

La sénatrice Dyck : Merci de vos exposés. Comme l'a dit notre président, nous reprenons un processus effectué il y a deux ans, époque où plusieurs d'entre nous étaient déjà membres du comité.

J'ai plusieurs questions pour vous et je vais commencer par quelque chose de général.

Pourriez-vous indiquer de façon générale l'ampleur du problème que présentent les élections des Premières Nations? D'après vous, combien de Premières Nations sont en but à de graves problèmes électoraux? Quel pourcentage cela représente-t-il sur le total? Pouvez-vous les identifier selon le type d'élections tenues — élection en vertu de la Loi sur les Indiens, par opposition aux deux types de codes coutumiers, par opposition au mode héréditaire? Avez-vous ces renseignements?

Mme Kustra : Oui, je peux fournir ces renseignements aux membres du comité et je vous remercie d'avoir posé la question, sénatrice.

Vu la nature bien précise des démarches à suivre, nous savons précisément combien d'appels sont interjetés aux élections tenues en vertu de la Loi sur les Indiens. Entre 2013 et maintenant, 126 élections ont été tenues en vertu de la Loi sur les Indiens et 17 p. 100 de ces élections ont fait l'objet d'un appel : 21 appels pour 126 élections. Huit appels sont d'ailleurs en cours.

Pour ce qui est des élections en vertu d'un code communautaire coutumier, le ministère n'a pas de données. Ces codes sont, en effet, propres à la collectivité et susceptibles d'avoir leur propre mécanisme d'appel. C'est aux membres de la collectivité de savoir quel est le mécanisme d'appels et de s'en prévaloir : parfois un tribunal issu de la communauté, d'autres fois, un renvoi à une cour.

Il en va de même pour les dispositions électorales d'entente d'autogouvernement : le ministère n'y joue pas de rôle et ne tient pas de statistiques. Nous avons donc seulement les données sur les élections menées en vertu de la Loi sur les Indiens.

La sénatrice Dyck : Dans la même veine, combien de Premières Nations ont choisi de revenir à un code coutumier?

Mme Kustra : Je pense que la possibilité de revenir à un code coutumier existe depuis 1996. Je n'ai pas sous la main les chiffres sur le nombre de Premières Nations ayant demandé au ministère de passer de la Loi sur les Indiens à un code coutumier. En fait, une majorité des Premières Nations tenant des élections en vertu de codes coutumiers n'en ont jamais tenues en vertu de la Loi sur les Indiens; elles ont toujours eu un code communautaire coutumier et n'ont pas eu à suivre le processus de conversion pour passer de la Loi sur les Indiens à leur propre code communautaire coutumier.

La sénatrice Dyck : Je me souviens qu'on suggérait à une époque que le ministère pousse les Premières Nations à revenir à un code coutumier, en tout cas cela figurait dans un rapport produit par notre comité il y a quelques années. Pourquoi préfère-t-on maintenant le projet de loi C-9 à la possibilité d'encourager les gens à élaborer leur propre code coutumier?

Mme Kustra : Je vous remercie de votre question.

Le ministère continue à accueillir les demandes de Premières Nations souhaitant elles-mêmes passer de la Loi sur les Indiens à un code communautaire coutumier. Mais ce n'est pas le ministère qui pousse dans cette direction. Nous répondons aux demandes des Premières Nations qui s'adressent au ministère, parfois avec une ébauche de code. Nous travaillons avec elles à la préparation du code, pour veiller à ce qu'il soit conforme à la Charte des droits et des libertés et qu'il comporte un processus de modification.

Je pense qu'à l'heure actuelle nous avons près de 20 dossiers actifs. Sauf erreur de ma part, environ 20 Premières Nations ont demandé au ministère de fournir de l'information et de travailler à un code communautaire qui leur permettrait au bout du compte de passer de la Loi sur les Indiens à leur propre code communautaire coutumier. Le processus se poursuit.

Parfois, quand il y a une élection dans une collectivité, un chef qui avait lancé un processus de retour au code coutumier est remplacé par un nouveau chef et un nouveau conseil que cela n'intéresse pas nécessairement, si bien que le dossier est mis de côté pendant un certain temps, quitte à faire l'objet d'une nouvelle discussion à l'avenir.

La sénatrice Dyck : Selon vous, combien de Premières Nations vont adopter la loi que nous étudions, alors que le retour à un code coutumier serait une meilleure solution, voire la solution idéale? Cela se discute peut-être, mais l'option de concevoir son propre code semble meilleure. D'après vous, combien de Premières Nations vont adopter le projet de loi que nous étudions?

Mme Kustra : L'Atlantic Policy Congress est convaincu qu'une majorité des Premières Nations de la région qui élisent leurs chefs en vertu de la Loi sur les Indiens seraient intéressées par la loi que nous étudions. Je crois que vous avez prévu d'entendre le témoignage de représentants de cette organisation, ils pourront sans doute vous donner un chiffre plus précis.

Il y a aussi les chefs du Manitoba qui s'intéressent à l'établissement d'un jour d'élection commun. On ne connaît pas leur nombre exact maintenant. Sauf erreur de ma part, c'est seulement une fois que le projet de loi C-9 aura bel et bien été adopté que les Premières Nations vont entamer une discussion et décider si, oui ou non, l'option les intéresse. La loi existera pour les Premières Nations qui décideront de s'en prévaloir; j'ignore quel nombre exact cela représentera.

La sénatrice Dyck : Comme vous le savez, la dernière fois que nous nous sommes penchés sur le projet de loi, l'alinéa 3(1)b), qui permettait au ministre d'imposer le projet de loi C-9 aux Premières Nations, avait suscité beaucoup de discussion et de préoccupation. D'après le résumé législatif, quand l'Atlantic Policy Congress et l'ACM ont effectué des consultations et rédigé un rapport, leur recommandation était que le ministre ne joue aucun rôle dans les appels électoraux et que l'on envisage la création d'un tribunal d'appel indépendant. Le rapport soulignait l'importance que le ministre ne joue aucun rôle dans les appels électoraux. Or, l'alinéa 3(1)b) permet au ministre de faire tomber une Première Nation sous la coupe du projet de loi C-9. Je crois que cela suscite une résistance farouche de la part de nombreuses Premières Nations et les témoignages que nous entendrons l'indiqueront sans doute. Pouvez-vous expliquer pourquoi le ministre a besoin de ce type de pouvoir?

Mme Kustra : Le pouvoir pour le ministre de mettre une Première Nation sous l'effet d'une loi existe déjà dans la Loi sur les Indiens. À l'heure actuelle, le ministre a le pouvoir de ramener une Première Nation ayant son propre code électoral communautaire coutumier sous l'application de la Loi sur les Indiens, s'il estime que c'est souhaitable pour la bonne gouvernance de la collectivité. C'est ce que stipule la Loi sur les Indiens.

Si le ministre a le pouvoir d'assujettir une Première Nation au projet de loi C-9, c'est pour lui donner la possibilité de résoudre des conflits prolongés liés à la direction d'une Première Nation et qui compromettent sérieusement la gouvernance de celle-ci. En fait, le pouvoir qui est octroyé au ministre dans ce projet de loi est plus restreint que celui prévu par la Loi sur les Indiens. Cette dernière prévoit le recours à ce pouvoir lorsque le ministre « le juge utile ». Le libellé du projet de loi C-9 est quant à lui bien précis, c'est-à-dire lorsqu'il « est convaincu qu'un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci ».

En outre, toujours en ce qui concerne ce pouvoir, j'espère qu'on conviendra que si une Première Nation est affligée par un conflit lié à sa direction, il n'est pas très sensé de l'assujettir au système prévu par la Loi sur les Indiens, lequel est loin d'être idéal et compte de nombreuses lacunes. Grâce à ce pouvoir octroyé au ministre en vertu de la nouvelle mesure législative, la communauté troublée bénéficierait d'un solide système électoral, et c'est pourquoi ce pouvoir existe.

La sénatrice Dyck : Pourrais-je poser une question supplémentaire? Actuellement, le ministre ne pourrait pas assujettir une Première Nation dotée d'un code électoral coutumier au projet de loi C-9, mais pourrait lui imposer le régime électoral prévu par la Loi sur les Indiens, n'est-ce pas?

Mme Kustra : Oui, parce que le projet de loi C-9 n'a pas encore force de loi. Actuellement, dans le cas d'un conflit prolongé lié à la direction d'une Première Nation et compromettant sérieusement la gouvernance de celle-ci, le ministre pourrait le juger utile et assujettir la Première Nation dotée d'un régime coutumier au régime prévu par la Loi sur les Indiens. Ce pouvoir d'appliquer la Loi sur les Indiens à une Première Nation dotée d'un régime coutumier n'a été exercé qu'à trois reprises au cours des 12 dernières années, ce qui indique qu'on prend la chose bien au sérieux. Il s'agit d'une mesure lourde de conséquences, et donc le ministère doit passer par de nombreuses étapes et collaborer avec la Première Nation pour essayer de résoudre les problèmes avant de franchir la dernière étape, qui consiste à assujettir la Première Nation à la législation fédérale.

Le président : Avant de laisser la parole au sénateur Moore, j'aimerais poser quelques questions pour donner suite à celles de la sénatrice Dyck.

Tout d'abord, je pense qu'elle a parlé du fait de revenir au régime coutumier, et laissé entendre que cette option devrait peut-être être favorisée. Je sais que le ministère n'intervient pas dans les codes électoraux coutumiers, et n'en sait peut-être que peu sur leur fonctionnement. J'exagère peut-être.

Est-il vrai que les régimes électoraux coutumiers pourraient ne pas comprendre de mesures de protection en vertu de la Charte des droits et libertés ni ce que vous avez décrit comme les solides dispositions du projet de loi dont nous sommes saisis contre les pratiques de corruption électorale ou prévoyant des pénalités pour la violation d'un processus démocratique accepté? Autrement dit, si nous favorisons l'option des régimes électoraux coutumiers, savons-nous si ceux-ci comprendraient des mesures de protection et des garanties d'équité?

Mme Kustra : Je vous remercie de votre question, sénateur.

Lorsqu'une Première Nation demande à se retirer du système électoral prévu par la Loi sur les Indiens pour adopter son propre code coutumier communautaire, ce dernier doit comprendre des dispositions respectant la Charte des droits et libertés et prévoir des dispositions d'amendement et des mécanismes d'appel.

Au tout début, le ministère peut s'assurer que le code qui gérera les élections communautaires comprend ces mesures de protection, comme vous l'avez indiqué. Cependant, après coup, la communauté peut se servir du processus d'amendement prévu par le code communautaire pour changer ce dernier, et pourrait adopter des dispositions limitant certains des droits des particuliers ou faire en sorte que le code ne respecte pas la Charte des droits et libertés. Cependant, le ministère n'a absolument aucun rôle à jouer après avoir fait l'examen initial du code et décidé de retirer cette Première Nation de l'application du système prévu par la Loi sur les Indiens.

Il y a donc conformité au tout début, mais par la suite, les changements apportés pourraient faire en sorte que le code ne soit plus conforme ou qu'il porte atteinte à certains droits.

Le président : J'aimerais revenir à l'un des commentaires de la sénatrice Dyck sur la recommandation qu'avait faite le comité antérieur sur l'opportunité d'avoir un tribunal électoral indépendant pour gérer les différends. Dans sa réponse au rapport du comité, je sais que le gouvernement a rejeté cette recommandation. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la recommandation n'avait pas été acceptée par le gouvernement ou le ministre de l'époque?

Mme Kustra : Oui, je peux certainement vous fournir des renseignements sur la question.

Comme vous l'avez dit, la création d'un mécanisme d'appel électoral indépendant des Premières Nations avait été étudiée mais pas retenue dans le projet de loi, et ce, pour des raisons précises. Tout d'abord les dispositions du projet de loi sur les infractions et les peines stipulent que les pratiques de corruption seraient traitées par les forces de l'ordre, les procureurs de la Couronne et les tribunaux. Toute décision prise pourrait être contestée devant les tribunaux quels que soient les pouvoirs accordés aux Premières Nations ou à une commission électorale indépendante.

Troisièmement, nous estimions, comme bien d'autres, que les tribunaux offrent déjà un mécanisme d'appel transparent qui se prête à un contrôle public et qui est utilisé par différents ordres de gouvernement. La Loi sur les élections au sein des Premières Nations crée un système électoral comparable pour les Premières Nations de sorte que le processus d'appel dans cette loi en particulier reprendrait ce que l'on retrouve dans d'autres lois électorales.

Enfin, je crois que le ministre a répondu à la question dans un autre comité en disant qu'il faudrait des ressources considérables pour une telle commission et qu'il serait difficile de justifier l'utilisation de ces ressources dans l'environnement financier actuel.

En outre, étant donné que nous ne savons pas encore combien de Premières Nations vont se prévaloir de la loi — on en revient à la question de la sénatrice Dyck —, il se pourrait que la commission n'ait rien à faire pendant un certain nombre d'années.

Pour toutes ces raisons, nous estimions que l'établissement d'une commission indépendante ne convenait pas et que le mécanisme d'appel le plus opportun serait les tribunaux.

Le sénateur Moore : Merci aux témoins d'être venus. J'aimerais également revenir à quelques questions posées par la sénatrice Dyck.

Madame Kustra, vous avez dit que de 2013 jusqu'à ce jour, il y a eu 126 élections en vertu de la loi et 21 appels découlant de ces élections. Quelle était la nature de ces appels?

Mme Kustra : Il y a différentes sortes d'appels. Certains sont fondés sur des infractions d'ordre technique au Règlement sur les élections aux fins des bandes d'Indiens. Ce serait notamment des bureaux de scrutin qui ne sont pas ouverts ou qui ne ferment pas au moment voulu. Ce pourrait être, par exemple, des installations inadéquates pour que les gens puissent voter. Ce pourrait être la façon dont on gère les bulletins de vote.

Il y a donc ce qu'on perçoit comme une infraction de nature technique qui fait souvent l'objet d'appel. Il y a également les pratiques de corruption, sur lesquelles sont fondées bon nombre des allégations, et l'achat de votes.

Le sénateur Moore : De ces 21 appels, combien étaient de nature technique et combien portaient sur des pratiques de corruption?

Mme Kustra : Je n'ai pas ces chiffres avec moi, sénateur.

Le sénateur Moore : Pourriez-vous les trouver et les transmettre à la greffière du comité?

Mme Kustra : Oui, je peux.

J'ai une réponse à la question de la sénatrice Dyck sur le nombre de communautés qui sont passées au code coutumier depuis l'entrée en vigueur de la politique en 1996. Il y en a 75.

Le sénateur Moore : D'accord. Je croyais vous avoir entendu dire qu'il y en avait une vingtaine. Est-ce en plus des 75?

Mme Kustra : Oui. Soixante-quinze d'entre elles s'étaient déjà soustraites à la Loi sur les Indiens depuis 1996 pour adopter leur propre code électoral communautaire. Une vingtaine de Premières Nations ont manifesté l'intérêt de se soustraire à la Loi sur les Indiens et nous travaillons avec elles à l'élaboration de leur code.

Le sénateur Moore : Combien de Premières Nations composent le Secrétariat de l'Atlantic Policy Congress of First Nations Chiefs?

Mme Kustra : Environ 325.

Le sénateur Moore : Et pour l'Assemblée des chefs du Manitoba?

Mme Kustra : Soixante-quatre.

Le sénateur Moore : Nous en avons donc une centaine. Tiennent-elles tous des élections en vertu de la loi ou en vertu d'un code électoral coutumier?

Mme Kustra : De ces 64 ou 65 Premières Nations au Manitoba, 37 tiennent leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens; il y a quelques chefs héréditaires et les autres suivent le code coutumier.

Dans la région de l'Atlantique, je crois que 27 des 35 tiennent des élections en vertu de la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Moore : Pour ce qui est de l'Assemblée des chefs du Manitoba, 37 des 64 Premières Nations tiennent actuellement leurs élections en vertu de la loi. Pour les 27 autres, est-ce que la décision prise à l'assemblée reflète l'opinion de la majorité? Les 27 étaient-elles d'accord avec cette opinion? Êtes-vous au courant?

Mme Kustra : Je ne peux vraiment pas répondre à cette question. La décision de se prévaloir de la loi sera prise par chacune des Premières Nations. Bien que nous ayons 37 communautés au Manitoba qui élisent leurs dirigeants en vertu de la Loi sur les Indiens, je crois que ce serait présomptueux de ma part de dire que nous nous attendons à ce que les 37 adhèrent puisque ce sera une décision prise par chaque dirigeant dans cette communauté.

Le grand chef actuel Derek Nepinak a certainement exprimé des préoccupations quant à la loi, mais il a également dit que la décision revient à chaque dirigeant dans ces communautés. Pour ce qui est de la position du grand chef actuel, Derek Nepinak, il a manifestement exprimé certaines préoccupations relativement à la loi, mais il a également dit qu'il revient à chaque dirigeant de prendre la décision la plus logique pour sa communauté. Il se pourrait encore que des dirigeants du Manitoba cherchent à se prévaloir de la loi, surtout ceux qui souhaitent une journée d'élections commune et un mandat de quatre ans pour les dirigeants, ce qui leur laisserait assez de temps pour négocier avec les gouvernements provinciaux, les autres partenaires et les représentants des industries du développement des ressources. Nous croyons que les Premières Nations étudieront tous ces facteurs si ce projet de loi est adopté.

Le sénateur Moore : Je comprends bien cela, mais vous laissez entendre que votre ministère compte sur la position prise par l'Atlantic Policy Congress et par l'Assemblée des chefs du Manitoba. Je me demande simplement sur quoi se fondent les positions présentées par ces deux groupes. Était-ce simplement la majorité? Était-ce la plus grande partie des 30? J'ignore comment on est arrivé à cette position et je crois que c'est important de le savoir. Des 64 Premières Nations au Manitoba, combien parmi les 37 qui sont régies par la loi sont d'accord avec cela? Combien parmi celles qui ne sont pas régies par la loi sont d'accord avec cela? Il faudrait aussi savoir ce qu'il en est relativement à l'Atlantic Policy Congress. Si vous pouviez nous fournir ces renseignements, ce serait très éclairant. Pourriez-vous obtenir ces renseignements et les communiquer à la greffière s'il vous plaît?

Mme Kustra : Nous ne savons pas combien parmi les 37 chefs appuient la loi. Les dirigeants changent dans ces 37 communautés. Ils changent parfois tous les deux ans. Nous avons commencé à rédiger cette loi en 2008 et nous sommes en 2014, il y a donc six ans d'écoulés. Dans certaines communautés nous avons eu trois dirigeants différents. Nous ne pouvons pas fournir au comité le nombre de dirigeants qui soutiennent la loi au Manitoba.

Le sénateur Moore : Vous avez mentionné 2008. Selon vous, c'est l'année au cours de laquelle ces deux organisations ont communiqué avec le ministère. Sur quoi s'appuyait la position mise de l'avant par ces deux organisations pour qu'elles estiment avoir l'autorité ou le mandat? Je veux savoir quel appui elles avaient à l'époque pour faire avancer ce dossier. J'imagine que vous avez quelque chose là-dessus, parce que c'est très important. Peut-être pourriez-vous vérifier vos dossiers et nous transmettre l'information.

Mme Kustra : Oui, nous pouvons faire la recherche. Je sais que des résolutions ont été préparées par certaines des organisations à l'époque. Nous respectons la position des leaders provinciaux lorsqu'ils mettent de l'avant des propositions au nom de leur province ou territoire et qu'ils présentent des possibilités pour travailler avec le gouvernement fédéral. Même si je revenais à 2008, au moment où cela a commencé, je ne pense pas que j'aurais la liste des nations qui, sur un total de 37, trouvaient que l'idée était bonne.

Le sénateur Moore : Sur le total de 64, vous me dites que vous ne savez pas si la position qui a été mise de l'avant résultait d'un consensus de 50 p. 100 plus une voix, une majorité simple, ou si dans l'ensemble les représentants estimaient que c'était une bonne idée? N'est-ce pas quelque chose que vous voudriez savoir?

Mme Kustra : C'est le grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba qui a fait la représentation au nom des autres. Il est élu par 64 leaders dans la région du Manitoba et il s'est présenté comme le porte-parole de ces leaders. Nous n'avons pas cherché à savoir comment il avait obtenu ce mandat. Nous avons respecté les propositions qu'il a soumises.

Le sénateur Moore : Avez-vous supposé qu'il avait la majorité des Premières Nations membres de son organisation?

Mme Kustra : Nous l'avons cru sur parole, sénateur. Il s'est présenté à titre de leader provincial avec une proposition visant à collaborer avec nous. Comme je pense l'avoir dit à maintes reprises dans divers comités, une des choses qui sont vraiment importantes, c'est que nous travaillions avec des partenaires disposés à collaborer. Lorsque nous rencontrons des Premières Nations et leurs leaders qui disent vouloir travailler avec nous sur les façons d'améliorer les conditions dans leurs collectivités, cela nous intéresse beaucoup et nous collaborons avec eux.

Le sénateur Moore : Oui je comprends cela et je l'apprécie.

Le président : Sénateur Moore, peut-être puis-je vous aider. Le grand chef de l'époque, Ron Evans, comparaîtra devant le comité demain. Vous pourrez donc poursuivre cette série de questions avec lui.

Le sénateur Moore : Merci.

Le sénateur Lang : Je voudrais revenir sur la question des élections en vertu du code coutumier. D'emblée, ce qui me préoccupe, peu importe le processus auquel on a recours, c'est qu'il soit établi clairement et de façon concise pour ceux qui doivent le gérer afin d'éviter tout type de corruption ou d'iniquité. Je pense que c'est l'une des raisons primordiales pour tout changement, et je sais que c'est la raison qui a été soulevée.

Ce qui me préoccupe c'est la question des élections en vertu du code coutumier. J'ai été très intéressé par vos observations selon lesquelles le code coutumier initial approuvé par la Première Nation et le ministère garantissait l'application de la Charte des droits, mais vous avez dit ensuite que des amendements pouvaient être apportés par cette Première Nation pour en restreindre la portée, si je puis m'exprimer ainsi. D'abord, pourriez-vous nous dire le nombre de Premières Nations ayant des élections en vertu du code coutumier qui ont en fait modifié leur loi en vue de restreindre les responsabilités liées à la Charte des droits?

Mme Kustra : Le ministère n'a pas de réponse à cette question parce qu'on n'oblige pas les Premières Nations qui fonctionnent en vertu d'une coutume communautaire de faire rapport au ministre des Affaires autochtones ni au ministère. Une fois qu'elles ne sont plus visées par la Loi sur les Indiens, le ministère n'a plus aucun rôle à jouer. Les amendements pouvant être apportés à ces codes le sont conformément aux règles des codes eux-mêmes, et il n'y a aucune obligation de faire rapport.

Lorsque nous apprenons qu'il y a des dérapages, c'est par un article de journal qui signale par exemple que les personnes vivant hors réserve ne peuvent plus voter. Manifestement, pour les Premières Nations assujetties à la Loi sur les Indiens, c'est une décision ayant été prise par les tribunaux, à savoir que tous les électeurs admissibles, peu importe où ils vivent, devraient être en mesure de voter. Par conséquent, un système de vote par courrier existe.

Si une Première Nation a instauré des règles en matière de résidence et qu'elle n'offre pas de système de vote par la poste, elle interdit essentiellement aux personnes vivant à l'extérieur de la collectivité — ce peut être en Floride, à Hawaï ou à Vancouver — de voter à moins qu'elles puissent se rendre dans le Nord du Manitoba pour participer à l'élection.

Ce sont les personnes vivant dans la collectivité, les électeurs admissibles, qui doivent contester ce code particulier soit dans le cadre d'un processus d'appel intégré dans le code ou en faisant appel aux tribunaux en faisant valoir que leurs droits ont été enfreints.

Le sénateur Lang : Je trouve inquiétant qu'une organisation puisse faire ces amendements qui réduisent de façon arbitraire les responsabilités et les droits des Canadiens.

Ces amendements au processus électoral, qui ont été adoptés après avoir été approuvés et établis conjointement par le ministère et la Première Nation figurent-ils dans un document public?

Mme Kustra : Rien n'oblige une Première Nation à rendre public son code d'élection communautaire. Le code devrait pouvoir être consulté par les personnes qui y sont assujetties, mais cela relève strictement de la compétence de la Première Nation.

Bon nombre de Premières Nations qui suivent les coutumes communautaires publient le code sur leur propre site web. Elles le font ou non selon qu'elles veulent que leur code soit plus ou moins public.

De nombreux membres des collectivités éprouvent des problèmes à obtenir des exemplaires de leur code. Quelquefois ce code n'est pas rédigé, c'est un code oral. Il est très difficile de savoir s'il a été respecté lorsque le code n'est pas réellement écrit ou rendu public.

Encore une fois, il incombe aux divers gouvernements de prendre ces décisions et le ministère n'a aucun rôle à jouer une fois que la Première Nation n'est plus visée par le cadre législatif fédéral.

Le sénateur Lang : J'aimerais approfondir un petit peu plus le sujet. Ce que je ne comprends pas tout à fait, c'est la façon dont on peut avoir des pratiques électorales orales et que cela soit acceptable si une Première Nation décide de fonctionner ainsi. N'est-ce pas préoccupant pour le ministère, surtout à la lumière des responsabilités attribuées aux Premières Nations et en raison des ressources financières fournies par le gouvernement fédéral? N'est-ce pas énormément préoccupant pour une organisation comme la vôtre, que les pratiques électorales ne soient pas écrites et qu'on ne puisse pas savoir si un mandat clair a été accordé ou non?

Mme Kustra : C'est une excellente question. Quand nous songeons au fonctionnement du gouvernement d'une Première Nation, nous espérons que la collectivité exigera des comptes de la part de son leader.

Mais je reviens aux codes oraux. Les collectivités qui suivent les traditions orales pour choisir un leader n'ont jamais été visées par la Loi sur les Indiens. Ces traditions existaient déjà et ces collectivités ne se sont pas affranchies de la Loi sur les Indiens pour adopter une tradition orale. Comme je l'ai mentionné, elles doivent toujours avoir un code écrit pour passer de la Loi sur les Indiens à une tradition coutumière. Les collectivités qui suivent encore une tradition orale sont certainement encouragées à la mettre par écrit. Les membres de la collectivité qui veulent savoir comment fonctionne la sélection d'un leader demandent à leur dirigeant de mettre ces codes par écrit. Il n'y a aucune obligation à cet égard, mais nous supposons qu'il existe des processus pour l'élection de gouvernements légitimes dans ces Premières Nations, et ce sont les représentants de ces gouvernements qui font affaire avec les représentants des gouvernements fédéral et provinciaux.

Il n'y a généralement pas, de la part du ministère, de problème de confiance à l'égard des leaders d'un bout à l'autre du pays. Il y a plus de 600 collectivités et nous faisons donc affaire avec plus de 600 chefs et conseils au Canada. Nous négocions chaque année des accords de financement avec eux. Les gouvernements provinciaux et l'industrie des ressources négocient avec eux en les considérant comme les leaders légitimes.

Bien qu'on s'inquiète de temps à autre lorsque les choses ne se déroulent pas bien, il y a beaucoup d'auto- surveillance dans les collectivités. Les membres de ces collectivités demandent des comptes à leur leader de manière à renforcer la responsabilisation de part et d'autre plutôt qu'entre ces gouvernements et le ministère.

La sénatrice Dyck : En réponse au commentaire du sénateur Lang sur les Premières Nations qui organisent des élections en vertu du code coutumier et qui ont modifié ce code de sorte qu'il n'est plus conforme à la Charte, vous avez clairement indiqué que les membres des collectivités peuvent ensuite se tourner vers les tribunaux; par conséquent, ce n'est pas coulé dans le béton.

Il me semble que si un membre d'une collectivité est en mesure de porter plainte en cour pour contester ce qui se passe dans le cadre des élections dans sa collectivité, cela correspond essentiellement à ce que nous pouvons faire lors d'élections provinciales ou fédérales, ou même dans le cadre de la Loi sur l'intégrité des élections, c'est-à-dire qu'au bout du compte ce sont les tribunaux plutôt qu'un ministre qui décide.

Il me semble plus logique que ce soit les tribunaux qui décident plutôt que le ministre qui se rende sur les lieux et fasse une enquête. En fait, le ministre précédent avait dit à un moment donné qu'il ne voulait plus avoir de rôle à jouer dans les élections des Premières Nations. Il veut se décharger de cette fonction. Je serais curieuse de savoir pourquoi le contrôle ministériel est nécessaire quand les gens peuvent se tourner vers les tribunaux, qui sont une instance indépendante, ce qui évite de faire intervenir quelqu'un qui n'est pas impartial.

Mme Kustra : Lorsqu'il y a un différend prolongé en matière de leadership, il s'agit quelquefois de deux factions dont le leader se déclare avoir été élu selon le code de la collectivité. Le ministère reçoit deux résultats d'élection différents et chaque faction allègue que c'est son chef qui a été dûment élu.

Dans de telles situations, nous ne savons pas véritablement qui détient le pouvoir légitime parce que nous n'analysons pas le code coutumier pour déterminer s'il a été suivi ou si le processus s'est déroulé conformément au code. C'est le genre de situation auquel nous faisons face.

Dans ce cas-là, il arrive qu'une faction ou l'autre se tourne vers les tribunaux pour contester la légitimité de l'autre. Il s'agit de conflits ponctuels qui finissent par se régler. Chaque partie fait valoir ses arguments et c'est le tribunal qui décide du leader légitime. Malheureusement ces différends durent souvent des années pendant lesquelles il n'y a pas de gouvernance adéquate et uniforme dans la collectivité. Une tierce partie peut alors gérer les affaires financières de la collectivité, mais il n'y a plus ni gouvernance, ni leader.

C'est seulement dans ces situations non réglées à long terme, que la loi définit comme un « conflit prolongé lié à la direction », que le ministre exerce son pouvoir d'assujettir cette collectivité à la Loi sur les Indiens. Il peut aujourd'hui exercer ce pouvoir comme il pouvait le faire aux termes du projet de loi C-9.

Comme je l'ai dit, ce pouvoir n'a été exercé que trois fois au cours des 12 dernières années et seulement après une très longue période de diligence raisonnable où nous avons travaillé avec la collectivité pour essayer de résoudre le différend avant que le ministre n'ait à intervenir en prenant une décision finale.

Nous faisons toujours tout en notre pouvoir, grâce à nos efforts et aux outils à notre disposition, pour essayer de faire en sorte que la collectivité trouve elle-même une solution. Dans certains cas, il s'agit peut-être de réécrire le code coutumier afin d'en clarifier les incohérences ou les dispositions contradictoires de sorte que le régime électoral de cette collectivité soit très clair. Quand tout le reste échoue et que nous avons épuisé toutes les possibilités, le ministre prend alors la décision d'assujettir la Première Nation à la Loi sur les Indiens.

Le président : Chers collègues, nous accueillons un autre groupe de témoins de l'Association du Barreau canadien. Il y a trois autres sénateurs qui veulent intervenir : les sénateurs Wallace, Meredith et Tannas. Puis-je vous demander de poser des questions brèves afin que nous puissions entendre les prochains témoins? Je demanderais à Mme Kustra et M. Vincent de rester dans la salle après l'exposé de l'Association du Barreau canadien au cas où nous voudrions leur poser aussi des questions.

Le sénateur Wallace : Le sénateur Tannas, bien entendu, est le parrain du projet de loi. Étant donné le temps qui file, je suis prêt à lui céder mon temps de parole. Je veux m'assurer qu'il a suffisamment de temps pour poser toutes ses questions. Voilà ce que je vous propose.

Le président : C'est parfait. Le sénateur Meredith peut maintenant prendre la parole et il sera suivi du sénateur Tannas.

Le sénateur Meredith : Madame Kustra, je suis heureux de vous revoir.

Sur les 20 collectivités avec lesquelles vous dites travailler, quels sont les défis pour celles qui veulent adhérer à cette mesure législative? Quels sont les obstacles qu'elles devront surmonter, s'il y en a?

Je vais poser deux questions rapidement, et vous pourrez y répondre en même temps. Quels sont les avantages économiques pour les Premières Nations qui sont assujetties à cette mesure législative distincte?

Mme Kustra : Pour ce qui est de votre première question, sénateur Meredith, portant sur les défis à surmonter, je pense qu'il faut trouver un juste milieu entre ce que la collectivité désire comme système électoral et les exigences liées aux transferts, c'est-à-dire tout ce qui touche la conformité à la Charte, l'établissement d'un mode de révision et le processus d'interaction communautaire garantissant que les membres de la collectivité sont bien informés des changements. Ce ne sont pas des défis insurmontables, loin de là.

Nous disposons aussi de codes coutumiers modèles. Nous avons ce que j'appellerais une ébauche de codes contenant toutes les principales dispositions qui devraient se retrouver dans le code coutumier de la collectivité; il incombe ensuite aux dirigeants et aux membres de la collectivité de décider de la façon dont ils souhaitent appliquer ces diverses dispositions. Voilà ce que je dirais au sujet des défis.

Maintenant, pour ce qui est des avantages économiques, je dirais qu'il y a certainement une stabilité à plus long terme; les dirigeants sont en place pour une période de quatre ans et ils peuvent négocier et mettre en place des changements dans la collectivité, ce qui est un véritable avantage. Lorsque des représentants d'industries primaires essaient de négocier des ententes sur les répercussions et les avantages avec une Première Nation, il arrive que la collectivité soit au beau milieu de négociations qui mènent ensuite à un changement de dirigeant. Tout d'un coup, ils se retrouvent avec de nouvelles personnes autour de la table, et il faut recommencer à zéro. Le facteur temps est crucial pour bon nombre de ces projets de développement des ressources, bien entendu, en raison des marchés. Je pense que la stabilité que pourra apporter la Première Nation dans le cadre de telles négociations sera très importante.

Je pense qu'une fois que nous aurons l'occasion de mettre à l'essai ces mandats de quatre ans, nous serons mieux en mesure d'avoir des statistiques sur les avantages économiques pouvant découler des dispositions rigoureuses du projet de loi.

Le sénateur Meredith : Merci.

Le sénateur Tannas : Je voulais parler des trois interventions ministérielles au cours des 12 dernières années afin de savoir ce qui peut se passer à l'avenir une fois qu'une Première Nation ne peut plus appliquer son code coutumier; comment peut-elle, de nouveau, être assujettie à ce code? Pouvez-vous nous parler de l'exemple des trois Premières Nations qui se sont retrouvées dans cette situation lors des 12 dernières années et nous expliquer comment elles peuvent de nouveau avoir recours à leur façon de faire traditionnelle?

Mme Kustra : Merci de cette question, sénateur Tannas.

Au cours des 12 dernières années, trois Premières Nations sont passées du régime coutumier à la Loi sur les Indiens. Il s'agit de la Première Nation de Dakota Tipi au Manitoba, en 2002, de celle de Sandy Bay au Manitoba, en 2003 et de celle des Algonquins du lac Barrière, en 2010. Depuis, ces Premières Nations tiennent leurs élections aux termes de la Loi sur les Indiens. À tout moment, si elles souhaitent passer à un régime de coutume communautaire, elles peuvent en faire la demande au ministre après avoir préparé et présenté un code de coutume communautaire qui respecte notre politique à cet égard.

Rien n'empêche ces trois Premières Nations de retourner à un régime de coutume communautaire. Fait intéressant, ces Premières Nations n'ont pas fait de demande auprès du ministère et du ministre pour retourner à la coutume communautaire, et elles sont régies par la Loi sur les Indiens. Qui sait? Ces Premières Nations pourraient décider d'adhérer aux dispositions du projet de loi C-9.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le président : Merci beaucoup.

J'invite maintenant les représentantes de l'Association du Barreau canadien. Approchez-vous de la table, car je pense qu'il y a de la place pour tous. Quant aux autres témoins, ils peuvent rester à la table. Nous souhaitons la bienvenue à Aimée Craft, présidente sortante, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, de la même association.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci de nous avoir invitées à présenter notre opinion sur le projet de loi C-9 aujourd'hui. Je m'appelle Gaylene Schellenberg et je suis avocate à la Direction de la législation et de la réforme du droit à l'Association du Barreau canadien. L'ABC est une association nationale qui regroupe 37 500 avocats, universitaires, étudiants en droit et notaires. L'amélioration du droit et l'administration de la justice font partie de notre mandat. C'est cet aspect de notre mandat qui nous amène ici aujourd'hui.

Je suis accompagnée d'Aimée Craft, présidente sortante, Section nationale du droit des Autochtones. Cette section est constituée d'avocats qui se spécialisent en droit des Autochtones, et toutes les régions du Canada y sont représentées. Mme Craft est une avocate au Centre du droit d'intérêt public, à Winnipeg. C'est elle qui présentera l'exposé et répondra à vos questions.

Le président : Vous avez la parole, madame Craft.

Aimée Craft, présidente sortante, Section nationale du droit des Autochtones, Association du Barreau canadien : Aniin, boozhoo. Bonjour.

[Français]

Il me fait plaisir d'être ici à titre de représentante de l'Association du Barreau canadien, Section du droit des Autochtones, dont je suis la présidente sortante.

[Traduction]

J'ai témoigné devant le comité il y a plus de deux ans à l'occasion de son étude du projet de loi S-6. Aujourd'hui, je vais aborder les inquiétudes et les recommandations de notre section et je vais reprendre certains des arguments que j'ai exposés alors.

Nous comprenons que le projet de loi vise à améliorer la stabilité, l'efficacité et la transparence du processus électoral des Premières Nations. Il codifie, en outre, un grand nombre de décisions prises par les tribunaux canadiens en ce qui concerne les pratiques électorales équitables pour l'élection des chefs et des conseils des Premières Nations. Toutefois, une mise en garde s'impose. Ces efforts ne doivent pas porter atteinte au droit, protégé par la Constitution, des Premières Nations de déterminer leurs propres systèmes de gouvernance.

Aujourd'hui, je vais aborder trois inquiétudes et recommander des améliorations à cet égard : premièrement, les systèmes coutumiers de gouvernance; deuxièmement, la discrétion ministérielle s'agissant d'inscrire une Première Nation à la liste des Premières Nations participantes, qui se trouve en annexe; et, troisièmement, les appels en matière d'élections. Dans notre mémoire écrit, nous faisons également d'autres recommandations et, si vous le souhaitez, nous pourrons apporter des précisions en réponse à vos questions.

Premièrement, sur la question des systèmes coutumiers de gouvernance, je sais que le sujet a été débattu vigoureusement ce matin. Le paragraphe 3(1) du projet de loi dispose que les bandes qui organisent leurs élections en vertu de la Loi sur les Indiens, tout comme les bandes dont les élections sont régies par des codes coutumiers ou des pratiques à cet égard, peuvent faire l'objet du pouvoir discrétionnaire du ministre d'ajouter le nom d'une Première Nation à l'annexe du projet de loi, c'est-à-dire devenir, suivant l'expression qui figure dans la loi, des « Premières Nations participantes ». Cela peut se faire à la demande d'une Première Nation ou par décision du ministre.

Dans le cas des Premières Nations qui ont un régime coutumier de gouvernance, l'application des dispositions du projet de loi pourrait porter atteinte à leurs droits à l'autonomie gouvernementale, lesquels sont protégés par la Constitution, en particulier si des Premières Nations sont inscrites à l'annexe sans qu'elles en aient fait la demande.

L'article 35 de la Loi constitutionnelle reconnaît et confirme les droits à l'autonomie gouvernementale, comme nous le savons. En outre, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît ce droit à l'autonomie gouvernementale.

Par ailleurs, je voudrais signaler que le sous-alinéa 3(1)a) dispose qu'une résolution par des conseils de bande est suffisante — c'est-à-dire une résolution de la part des chefs et des conseils lors d'une réunion dûment convoquée du conseil de la Première Nation — pour qu'une nation soit inscrite à l'annexe et soit assujettie aux dispositions de la loi et aux règlements connexes. Cela pourrait porter atteinte aux pratiques coutumières d'une Première Nation en ce qui a trait aux décisions collectives, car son nom pourrait être ajouté à la liste sans qu'on ait obtenu, au préalable, le consentement et l'accord ses membres.

Par conséquent, notre section présente trois recommandations à l'égard du paragraphe 3(1) dans son ensemble : que le projet de loi soit modifié pour en limiter la portée aux Premières Nations actuellement assujetties au système électoral prévu dans la Loi sur les Indiens; que les Premières Nations qui sont actuellement dotées de systèmes coutumiers de gouvernance soient exclues de l'application des dispositions du projet de loi, à moins qu'un consentement ait été obtenu suivant les pratiques coutumières en vigueur ou, en l'absence d'une pratique coutumière claire, par l'obtention d'une double majorité des voix. Cela est prévu dans la Loi sur les Indiens pour d'autres décisions majeures. Autrement dit, on ne pourrait inscrire une Première Nation à l'annexe que s'il y a un consentement manifeste. Nous recommandons également que les Premières Nations ayant signé des ententes d'autonomie gouvernementale soient explicitement exclues.

Pour ce qui est des alinéas 3(1)b) et c) du projet de loi, je tiens à dire ceci : le pouvoir discrétionnaire du ministre d'inclure des Premières Nations à la liste des Premières Nations participantes modifie le caractère facultatif du projet de loi. Ces alinéas permettent au ministre d'avoir le pouvoir discrétionnaire d'exercer un contrôle sur la gouvernance des Premières Nations, lesquelles deviennent ainsi assujetties à la loi, plutôt que d'être parties prenantes.

Comme je l'ai dit, cette discrétion s'appliquerait tant aux bandes assujetties à la Loi sur les Indiens qu'aux bandes dont les élections sont régies par le régime coutumier, puisque les unes et les autres sont définies comme « Premières Nations » dans l'article des définitions du projet de loi.

De plus, l'alinéa 3(1)b) ne définit pas clairement la norme que le ministre appliquera pour déterminer ce qui constitue « ... un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation... » Les expressions « conflit prolongé lié à la direction » et « a sérieusement compromis la gouvernance » représentent des notions non définies dans le projet de loi, et cela est laissé à la discrétion du ministre.

Il y a également un manque de clarté à l'alinéa 3(1)c), car on ne sait pas si ce sont seulement des manœuvres frauduleuses futures qui déclencheront l'intervention du ministre ou si cette disposition permet au ministre d'intervenir dans des cas plus récents ou même plus anciens auxquels s'applique l'article 79 de la Loi sur les Indiens.

Cela dit, notre section fait les recommandations suivantes : s'agissant de l'alinéa 3(1)b), que le libellé en soit précisé et que l'on définisse des normes déclenchant l'intervention du ministre dans les cas où « un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci »; s'agissant de l'alinéa 3(1)c), qu'il soit confirmé que seules des manœuvres frauduleuses actuelles ou futures justifieront l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre d'ajouter le nom d'une Première Nation à l'annexe. Enfin, que seules les Premières Nations ayant exprimé un consentement grâce à un vote à double majorité puissent être inscrites à l'annexe ou considérées comme « Premières Nations participantes », selon la définition énoncée dans la loi.

Il faut savoir qu'aux termes de l'alinéa 42(1)b), une Première Nation peut demander à être exclue de l'application de la loi grâce à un vote à double majorité. Notre recommandation permettrait d'assurer une cohérence dans le processus que doivent suivre les Premières Nations pour adhérer à la loi ou s'y soustraire.

En ce qui concerne le processus d'appel des résultats électoraux, à l'heure actuelle, les élections régies par des codes coutumiers peuvent être contestées au moyen d'une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, alors que pour les appels concernant des élections régies par la Loi sur les Indiens, les demandes doivent être adressées au ministre. Les litiges en matière d'élections sous le régime des codes coutumiers exigent du temps et sont coûteux. Je suis bien placée pour le savoir.

Mon expérience au comité de liaison de la Cour fédérale pour les affaires autochtones me permet de signaler que la Cour fédérale a établi un projet pilote sur le contrôle judiciaire des différends concernant la gouvernance des Premières Nations. Ce projet vise à améliorer l'efficience, à réduire les coûts et à régler les différends de sorte que les Premières Nations participantes y trouvent une résolution satisfaisante et appropriée, tenant compte des principes juridiques autochtones et des processus de règlement des différends, tout en veillant à ce que la situation soit corrigée en temps opportun pour ne pas nuire à la gouvernance des Premières Nations.

Même si le mémoire d'ABC n'aborde pas cet aspect, je tiens à signaler que le comité de liaison de la Cour fédérale et moi avons envisagé les problèmes que pourrait soulever une compétence commune en cas de conflits liés à des élections, celle de la Cour fédérale et celle des cours supérieures provinciales, comme le prévoit l'article 33 du projet de loi.

À mon avis, cela pourrait aboutir à une application inégale de la loi et à une interprétation contradictoire de ses dispositions, en raison de l'intervention d'instances différentes — parfois dans une même province —, les décisions de la Cour fédérale et celles de la Cour supérieure pouvant diverger.

Le projet de loi vise à écarter les retards associés aux appels adressés au ministre aux termes de la Loi sur les Indiens, car il permet d'orienter ces cas vers les tribunaux. Il est vrai que les tribunaux peuvent se révéler efficients par rapport aux appels administratifs auprès du ministre, mais un tribunal spécialisé et indépendant permettrait d'atteindre les mêmes objectifs de transparence, d'efficience et d'économie. D'ailleurs, les mêmes objectifs ont été cernés par le comité. On peut faire valoir qu'un tribunal indépendant pourrait constituer une méthode de règlement des différends plus économique, plus accessible et plus adaptée à la culture.

Dans le droit fil des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones et de celles de votre comité, la Section du droit des Autochtones de l'ABC recommande qu'au lieu de recourir à la Cour fédérale ou aux cours supérieures provinciales, l'on confie à un ou à plusieurs tribunaux indépendants le rôle d'arbitre en cas de différends liés à des élections, tribunaux qui reconnaissent l'expérience et l'expertise acquises dans les domaines du droit canadien, des élections des Premières Nations et des mécanismes de règlement des différends autochtones.

Nous recommandons également de raffiner les mécanismes de règlement des différends internes et autochtones et d'en élaborer de nouveaux; certains de ces mécanismes sont déjà prévus dans les codes coutumiers qui ont été adoptés par les Premières Nations, mais ils seraient assujettis au contrôle judiciaire de la Cour fédérale.

En conclusion, l'ABC a, par le passé, fait des mises en garde contre des dispositions législatives qui prétendent régler à la pièce les problèmes que comporte la Loi sur les Indiens. L'ABC appuie des processus électoraux justes et équitables, et de nombreux articles de cette mesure législative visent précisément ce résultat.

Toutefois, l'équité procédurale ne peut pas se faire aux dépens des droits fondamentaux, notamment la protection et la préservation de l'autonomie gouvernementale des Premières Nations. L'ABC appuie la préservation et la promotion des structures politiques internes de gouvernance et de règlement des différends pour les peuples autochtones, en conformité avec la Constitution et les obligations internationales du Canada.

Monsieur le président, les recommandations que je viens de décrire et d'autres figurent dans la lettre que nous vous avons adressée. Je répondrai volontiers à toute question, en anglais ou en français, et je suis prête à ajouter des détails à notre mémoire et à nos recommandations.

Meegwetch.

Le président : Merci de votre exposé.

Je voudrais entamer la discussion en vous posant une question. Vous recommandez que le projet de loi soit modifié pour en exclure explicitement les Premières Nations qui sont régies par des ententes. Pour ma part, je ne pensais pas que le projet de loi s'appliquait aux Premières Nations ayant signé des ententes d'autonomie gouvernementale. Aux termes de l'article 3, le projet de loi s'applique à une Première Nation qui pourrait être inscrite à l'annexe. Selon la définition donnée dans le projet de loi, une Première Nation est une « bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens ». Je croyais comprendre que les règles en matière électorale pour les Premières Nations autonomes figurent dans une entente précise d'autonomie gouvernementale. C'est donc dire que ces Premières Nations ne pourront pas adhérer, n'est-ce pas?

Mme Craft : J'en fais la même interprétation, si je me reporte à d'autres lois, monsieur le président. Nous proposons que le projet de loi énonce explicitement que les Premières Nations autonomes ne sont pas concernées afin d'éviter d'avoir à se reporter à d'autres dispositions législatives, qui pourraient ne pas avoir été modifiées.

Le président : C'est sans doute un fait que les Premières Nations autonomes, c'est-à-dire celles qui ont leur propre code électoral, ne pourraient pas être parties prenantes, n'est-ce pas?

Mme Craft : Si je ne m'abuse, le ministère adhère à cette interprétation.

Je prévois que cela pourrait entraîner des litiges. Pour éviter ce genre de situations, nous recommandons que le projet de loi comporte un libellé explicite.

Le président : Je pensais que les avocats raffolaient des litiges.

Mme Craft : Notre premier devoir envers nos clients est d'éviter les litiges.

Le président : Assurément. Je ne voulais pas être irrévérencieux.

Avant de donner la parole à la sénatrice Dyck, j'ai été intrigué par votre recommandation voulant que le projet de loi s'applique uniquement aux Premières Nations qui sont actuellement régies par le système électoral prévu dans la Loi sur les Indiens et qu'il ne s'applique pas aux Premières Nations dotées de codes coutumiers. Vous êtes contre l'idée que le ministre ait le pouvoir d'ordonner la tenue d'élections en cas de conflit prolongé, car vous estimez qu'il faudrait que la situation soit définie plus clairement et vous recommandez que la barre soit haute pour permettre à une bande de se prévaloir des dispositions de la loi.

Je pense que la plupart des gens reconnaissent que le projet de loi représente une avancée, car il a fait l'objet de consultations intenses et a été reconnu comme ayant certains avantages dans l'ensemble. Est-ce à nous, les parlementaires, de décider que les 343 bandes régies par des codes coutumiers ne devraient pas avoir la possibilité — ou la facilité — de moderniser leurs dispositions pour éviter des manœuvres frauduleuses et tout le reste? N'est-ce pas un peu paternaliste de limiter la portée du projet de loi de la sorte? Nous exclurions ainsi la moitié de toutes les bandes.

Mme Craft : Je dirais que c'est tout le contraire, monsieur le président. Toute Première Nation qui est régie actuellement par un code électoral coutumier pourrait choisir d'y inclure des dispositions semblables à celles du projet de loi pour éviter toute manœuvre frauduleuse lors d'élections; elle pourrait également régir les élections au sein de sa collectivité en suivant de très près les dispositions prévues dans le projet de loi. Si une Première Nation choisissait d'appliquer l'une ou l'autre de ces mesures comme des mécanismes de protection pour assurer des élections efficientes, efficaces et transparentes, elle pourrait, en modifiant son code électoral coutumier ou ses habitudes électorales traditionnelles, adopter certaines des mesures prévues dans le projet de loi; elle exercerait ainsi son pouvoir de gouvernance sans avoir à être soumise à la discrétion du ministre. En réalité, ce serait un exercice de gouvernance.

Le président : Puisque le projet de loi a fait l'objet de consultations intenses et a été soigneusement rédigé, pensez- vous qu'il soit quand même nécessaire de priver une telle Première Nation de la possibilité d'adopter aisément des dispositions plus modernes?

Mme Craft : Il faut bien dire que notre recommandation vise essentiellement le pouvoir discrétionnaire du ministre d'inscrire une Première Nation à l'annexe.

Le président : D'accord. Il est probablement temps que je cède la parole à la sénatrice Dyck. Je sais que ce point la préoccupe également.

La sénatrice Dyck : Oui. Merci.

Quand le projet de loi S-6 a été discuté en comité — et voilà qu'il reparaît en tant que projet de loi C-9 — j'étais la porte-parole et je me suis intéressée essentiellement à l'alinéa 3(1)b), qui donne au ministre le pouvoir discrétionnaire d'inscrire une Première Nation à l'annexe. Vous proposez que l'on modifie cette disposition pour garantir qu'il y a un consentement manifeste ou l'obtention d'une double majorité des voix pour qu'une Première Nation régie par un code coutumier soit inscrite à l'annexe et pour qu'il n'y ait aucun doute qu'une telle Première Nation a demandé à être partie prenante ou a donné son consentement. C'est bien là votre position, n'est-ce pas?

Mme Craft : Oui. Certaines décisions au sein des Premières Nations exigent la double majorité, c'est-à-dire une majorité d'électeurs et un vote majoritaire en faveur d'une décision. C'est un aspect important dont il faut tenir compte, peu importe si le nom d'une Première Nation a été ajouté à l'annexe parce qu'elle en a fait la demande ou parce que le ministre a déterminé qu'un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation compromet la gouvernance de la Première Nation.

Dans ces différends en matière de gouvernance — et nous en connaissons de nombreux exemples —, la voix des Premières Nations et des membres de la collectivité est celle qui importe et qui doit être entendue. Avoir au moins l'option de soumettre la solution à un vote de la collectivité pour qu'elle règle son différend à l'interne est un principe important qui, d'après nous, s'applique dans ces circonstances.

La sénatrice Dyck : Dans une certaine mesure, on nous a peut-être donné l'impression que certaines des Premières Nations qui suivent le droit coutumier peuvent modifier leurs lois afin qu'elles ne respectent plus la Charte, ou qu'elles ont un code qui n'est pas écrit; conséquemment, il y a des situations où les membres de la collectivité ne savent plus quoi faire. Je comprends qu'il ne s'agit pas d'une situation acceptable, mais en même temps, ils ne sont pas sans défense parce qu'ils peuvent toujours faire appel aux tribunaux.

Je n'ai pas bien compris la réponse à la question de savoir si, dans ces cas, le recours aux tribunaux avait résolu le problème — à tout le moins, cela devrait le résoudre dans une certaine mesure. Pourriez-vous nous dire pourquoi, dans les cas où ce n'est clairement pas une démocratie moderne, nous demanderions au ministre d'intervenir plutôt que de laisser ces gens se présenter devant un tribunal? Voilà où se trouve le dilemme.

Mme Craft : Une bande qui ne sera plus régie par la Loi sur les Indiens et qui a confirmé, par écrit, son code coutumier en matière d'élections doit obtenir l'approbation du ministre, selon la politique de 1996. L'une des exigences, c'est qu'il y ait non seulement un mécanisme d'appel, mais aussi un mécanisme de modification appuyé par le ministre avant que le code coutumier en matière d'élections soit approuvé par le ministre et renvoyé à la Première Nation. Il faut suivre ce mécanisme pour modifier le code coutumier.

Si le code est modifié d'une façon qui ne respecte pas la Charte, on peut présumer que le code a fait l'objet d'un processus de modification qui a été ratifié par la Première Nation et qui a été jugé acceptable par le ministre à un moment donné.

Cela dit, les tribunaux ont toujours un pouvoir d'examen judiciaire pour garantir la conformité à la Charte. Il y a donc des mécanismes en place qui assurent une protection contre la non-conformité aux principes constitutionnels, dans le cas d'élections tenues selon le code coutumier d'une Première Nation.

La sénatrice Dyck : J'ai encore un peu de mal à comprendre. Vous dites que le processus de modification de ces codes coutumiers a été approuvé à un moment donné par le ministre.

Mme Craft : Il s'agit des codes coutumiers qui ont été écrits et qui ont reçu l'approbation du ministre; c'est en vertu de la politique de 1996, et cela s'applique aux Premières Nations qui passent de la Loi sur les Indiens à des codes coutumiers, oui.

La sénatrice Dyck : Alors, ce sont celles qui sont retournées aux codes coutumiers, mais qu'en est-il des Premières Nations qui utilisent un code coutumier et qui fonctionnent à l'extérieur de ce cadre? La situation est-elle différente? Est-ce le genre de groupes qu'on essaie de viser? Je ne comprends pas.

Mme Craft : Si vous faites allusion aux Premières Nations qui sont régies par un code coutumier, madame la sénatrice, et qui ont peut-être des traditions orales qui précèdent la politique et qui n'ont jamais été régies par le système électoral prévu de la Loi sur les Indiens, les élections dans ces bandes sont aussi assujetties au pouvoir d'examen judiciaire de la Cour fédérale. S'il y a des manquements à l'équité procédurale ou à la justice naturelle, on peut demander un examen judiciaire, et on a vu de tels exemples devant les tribunaux.

J'ai parlé de l'initiative de la Cour fédérale dans le cadre d'un projet pilote destiné à essayer de régler les différends à l'intérieur de la collectivité, et cela sous-tend l'idée d'un tribunal indépendant, d'un autre processus de règlement des différends qui serait significatif pour les collectivités. Le processus d'appel ou d'examen judiciaire devant la cour peut parfois nécessiter plus de temps que la période des élections elles-mêmes. Consciente de ce problème, la Cour fédérale a donc dit qu'elle voudrait que le règlement se fasse au sein des collectivités et que l'on trouve des solutions pratiques à long terme. C'est également quelque chose que les Premières Nations ont indiqué à un bon nombre de nos avocats en exercice, à savoir qu'il est dans leur intérêt d'essayer de régler ces problèmes au sein de la collectivité, tout en continuant d'exercer leur gouvernance en la matière à l'intérieur de la collectivité et de décider quelles formes de gouvernance elles adopteront à l'avenir sur le plan de l'autonomie gouvernementale et d'autodétermination.

La sénatrice Dyck : À votre connaissance, dans les Premières Nations dotées d'une forme de code coutumier qui pourrait comprendre des procédures électorales non écrites, y a-t-il un pourcentage plus élevé de conflits liés à la direction qui pourraient correspondre à la vague définition de conflits prolongés qui compromettent sérieusement la gouvernance de la Première Nation? Savez-vous si les problèmes sont plus fréquents dans ce genre de situation?

Mme Craft : Madame la sénatrice, je n'ai pas de statistique à cet égard. Cependant, ayant participé à maints différends électoraux dans la province d'où je viens, le Manitoba, je sais que de tels cas peuvent survenir au sein des Premières Nations dotées d'un code électoral coutumier. Cependant, nombre des Premières Nations avec lesquelles j'ai travaillé et qui tenaient leurs élections en vertu d'un code coutumier disposaient, au sein de la collectivité, d'un mécanisme de règlement des différends, notamment par le recours à un conseil des aînés.

Je comprends que cela varie d'une collectivité à l'autre, et qu'il est question des Premières Nations dans l'ensemble du Canada, mais d'une façon générale — et c'est ce qu'on retient du projet pilote de la Cour fédérale —, dans de nombreux cas, les Premières Nations disposent, au sein de leurs collectivités, des outils nécessaires pour régler ces différends électoraux. Dans certains cas, elles pourraient se tourner vers les tribunaux pour un examen ou une assistance judiciaires, ou de l'aide pour régler le différend lui-même, mais les collectivités sont dotées de mécanismes. D'ailleurs, on devrait favoriser de telles mesures afin d'en arriver à une solution constructive, culturellement adaptée et durable.

Le président : Sénateur Meredith, vouliez-vous poser une autre question sur ce sujet?

Le sénateur Meredith : Oui.

Madame Craft, j'aimerais obtenir des précisions sur l'alinéa 3(1)b) :

b) il est convaincu qu'un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation a sérieusement compromis la gouvernance de celle-ci;

Ce que vous dites, c'est qu'en cas de conflit prolongé, le ministre devrait tout de même prévoir des consultations auprès de la Première Nation avant d'ajouter son nom à l'annexe.

Mme Craft : C'est exact. Il est possible d'apporter des mesures correctives au sein de la collectivité, et c'est ce qu'on fait dans le cadre du projet de la Cour fédérale. Plutôt que de simplement assujettir la Première Nation à un processus électoral préétabli, on tente d'aller au fond du problème, lequel pourrait découler en fait davantage de considérations politiques au sein de la communauté ou de questions familiales que des élections elles-mêmes. On a alors la possibilité de suivre un processus de règlement des différends qui convient à la Première Nation et de résoudre des problèmes plus grands que le simple différend électoral.

Le sénateur Meredith : Qu'arrive-t-il si la collectivité ne peut régler ces problèmes? Que se passe-t-il alors?

Mme Craft : S'il ne peut y avoir de vote à double majorité et d'adhésion volontaire, il reste la possibilité pour le ministre d'assujettir ces Premières Nations au processus électoral prévu par la Loi sur les Indiens, afin que les élections se déroulent conformément à celles-ci.

Ce qui nous préoccupe, c'est que la Loi sur les Indiens prévoit toujours l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sur la gouvernance des Premières Nations. Nous ne voudrions certainement pas qu'une nouvelle mesure législative maintienne les pouvoirs du ministre qui posent problème sur le plan de la gouvernance des Premières Nations et qui sont parfois qualifiés par les Premières Nations de paternalistes.

Le sénateur Tannas : Je voudrais poursuivre sur cette lancée, parce que cela m'intéresse, surtout vos derniers propos.

Supposons qu'on ait déjà eu recours aux tribunaux, à tous les conseils et aînés, et qu'on n'ait, à toutes fins utiles, toujours pas de gouvernement; à votre avis, il est préférable que le ministre impose le processus électoral actuellement prévu par la Loi sur les Indiens au lieu de ce qui est proposé ici. Est-ce exact?

Mme Craft : Je ne pense pas que notre section ait une position ferme à cet égard. Je ne fais que signaler certaines des préoccupations qui ont été soulevées. Personnellement, je considère que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le ministre devrait être limité et modéré. Et si ce pouvoir doit être exercé en fonction de la relation historique établie par la Loi sur les Indiens, alors le maintien de ce pouvoir discrétionnaire et de cette autorité dans de nouvelles mesures législatives me préoccupe.

Le sénateur Tannas : C'est intéressant. Je crois que cela revient à ce que j'entends souvent dire, soit que le ministre ne devrait pas avoir de rôle à jouer; on préférerait que ce soit ainsi.

En étudiant les formes modernes de gouvernance au Canada — à savoir les municipalités, les conseils d'administration d'hôpitaux et les commissions scolaires, les gouvernements provinciaux et fédéral —, je constate que, mis à part les tribunaux, il y a une entité responsable, quelqu'un investi des pouvoirs nécessaires pour intervenir et trancher, lorsque tout le reste a échoué, dans l'intérêt des citoyens, du pays ou peu importe.

J'aimerais savoir si, selon vous, quelqu'un d'autre devrait être investi de ce pouvoir. Est-ce la seule situation, le seul genre de gouvernance où il n'y a personne pour assumer ce rôle, où il n'y a que les tribunaux et l'impasse?

Mme Craft : Je répondrais, à titre personnel, et peut-être pas à titre de représentante de l'ensemble de la section de l'ABC. Selon moi, cette entité constitue les Premières Nations elles-mêmes.

Le sénateur Tannas : Mais ce n'est pas quelqu'un; ce n'est pas une personne.

Mme Craft : Les Premières Nations sont considérées comme des personnes morales. Le droit permet la possibilité de poursuivre ou d'être poursuivi en justice.

Le sénateur Tannas : Une personne doit pouvoir assumer cette responsabilité, dans des circonstances extraordinaires, et intervenir. C'est le cas pour toutes les autres formes de gouvernance que je viens d'énumérer. Qui serait cette personne? J'aimerais pouvoir en discuter, puisqu'il s'agit d'une disposition pratique qui ne devrait être utilisée que dans ces situations. Cela a déjà été fait lorsqu'il convenait de tout réinitialiser.

Je sais que je vais probablement beaucoup trop loin, mais c'est ce qui me préoccupe lorsque j'entends ces craintes.

Mme Craft : Sénateur, deux choses entrent en ligne de compte. Tout d'abord, certaines des réponses résident au sein même des Premières Nations.

Ensuite, la section de l'ABC a recommandé la mise sur pied d'un tribunal indépendant pour aider à rendre des décisions dans ces cas. Les tribunaux ont également été sollicités.

Quant à savoir quelle devrait être la personne désignée, je pense que cette question devrait être posée aux Premières Nations elles-mêmes pour déterminer qui a le pouvoir final de décision lorsque la solution ne réside dans aucun des autres mécanismes.

La sénatrice Dyck : Je vous remercie de vos propos et de vos questions. La discussion de ce matin est très enrichissante puisqu'elle nous permet de comprendre la disposition selon diverses perspectives.

Dans la situation que vous décrivez, j'imagine que c'est le gouverneur général, d'une certaine façon, qui représente l'entité visée lorsqu'il est question des élections fédérales. Le gouverneur général peut, en effet, intervenir. Cependant, le hic, c'est que la plupart des gens considèrent le gouverneur général comme étant indépendant — et c'est peut-être un point de vue naïf, je ne sais pas —, alors que les Premières Nations ne voient pas nécessairement le ministre ainsi. Je pense que le problème, c'est qu'il faut trouver un mécanisme au sein duquel la personne investie de l'autorité ultime est considérée comme étant indépendante et neutre.

Je ne sais pas si vous pouvez proposer qu'une nouvelle personne soit nommée pour remplacer le ministre, parce que je ne suis pas convaincue que la majorité des Premières Nations considéreraient le ministre comme neutre.

Étant donné toute l'attention qu'on accorde au développement économique, évidemment, personne n'est neutre, mais il faudrait choisir la personne la moins biaisée possible. Y a-t-il lieu d'envisager une telle personne, comme le gouverneur général?

Mme Craft : Madame la sénatrice, je pense que vous faites allusion à la relation historique et à l'interaction traditionnelle entre le ministre et les Premières Nations, qu'il convient de reconnaître dans ces circonstances. La section de l'ABC souhaite ne pas intervenir dans la gouvernance des Premières Nations, et, de la même manière, je ne crois pas qu'il soit approprié pour nous de dire à qui devrait revenir cette fonction indépendante.

Je n'essaie pas d'esquiver la question, mais plutôt de prêcher par l'exemple; selon moi, il s'agirait d'une bonne question à poser à certaines des Premières Nations qui comparaîtront devant vous.

Je vous remercie tous les deux de ces questions.

Le président : Étant donné la responsabilité ultime exigée par notre système démocratique, vous attendez-vous à ce qu'un tribunal indépendant soit créé par un ministre de la Couronne, le genre de tribunal dont vous parlez?

Mme Craft : Je pense qu'un tribunal indépendant, et la plupart des processus de règlement des différends, nécessiteront des nominations conjointes. C'est le modèle que nous recommanderions dans ces circonstances.

Le sénateur Moore : Je vous remercie d'être ici. Vous ne serez peut-être pas en mesure de répondre à cette question, parce que je pense que la sénatrice Dyck y a déjà fait allusion.

Le témoin précédent a dit que de 2013 à aujourd'hui, 126 élections s'étaient tenues en vertu de la Loi sur les Indiens, ce qui avait mené à 21 appels en raison de manquements d'ordre technique et de pratiques corrompues. Savez-vous combien d'élections ont été tenues en vertu de codes communautaires au cours de la même période, et si elles ont mené à des différends ou à des appels et, le cas échéant, combien y en a-t-il eus?

Mme Craft : Je n'ai pas ces renseignements. Je suis désolée, sénateur. Je sais qu'il y a certains appels. Il s'agirait d'examens judiciaires des codes électoraux coutumiers devant la Cour fédérale, et j'ai pris part à certaines de ces affaires.

J'aimerais faire remarquer que le ministre n'enquêterait pas nécessairement sur les 126 élections tenues en vertu de la Loi sur les Indiens et les 21 appels. C'est peut-être là une question complémentaire à poser à mes amis qui ont comparu plus tôt ce matin, à savoir si tous ces cas ont fait l'objet d'enquêtes et si la décision ou le résultat électoral ont été renversés.

Le sénateur Moore : Oui. Puisque ces témoins se trouvent derrière vous, peut-être qu'ils pourront en prendre bonne note et fournir plus tard les réponses, madame Kustra, puisque c'est important. Je veux connaître les chiffres concernant les élections tenues en vertu de codes coutumiers. Je pense que c'est important.

Monsieur le président, c'est tout ce que je voulais savoir.

Le sénateur Lang : Je voudrais revenir sur les pratiques électorales des codes coutumiers. Vous pourriez peut-être nous faire part de votre expérience. On nous a dit qu'après l'adoption des codes électoraux, il arrive que des modifications subséquentes finissent par les faire déroger à la Charte.

Avant d'aller plus loin, je tiens à préciser que je ne souscris pas à la notion selon laquelle tous nos problèmes devraient être résolus devant les tribunaux, parce que la plupart des gens n'en ont pas les moyens. Lorsque quelqu'un a été privé de son droit de vote, dans la plupart des cas, s'il faut aller devant les tribunaux, cette personne laisserait probablement tomber parce qu'elle n'aurait ni les moyens financiers ni le temps d'y arriver. À mon avis, c'est d'avoir une vue un peu simpliste du système électoral que de dire qu'on peut résoudre le problème ainsi.

Étant donné votre expérience avec les codes coutumiers adoptés dans votre région, avez-vous constaté des différends lorsqu'il n'y a pas de procédures d'appel en place? Est-ce que cela s'est déjà vu?

J'aimerais également aborder un autre point, si vous le voulez bien : le fait que certains membres de la Première Nation puissent refuser l'accès aux procédures électorales vous inquiète-t-il? Ensuite, pensez-vous que ces documents devraient être rendus publics, comme c'est le cas pour les commissions scolaires ou les entreprises, et ce genre d'entité, dans le cours normal des élections? J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Craft : Sénateur, je vous parlerai un peu de mon travail, sans vous donner de détails puisqu'il s'agit évidemment de renseignements confidentiels.

Lorsque je travaille avec des Premières Nations, je les encourage toujours à communiquer le plus de renseignements possible sur le code aux membres, mais également à la population. Évidemment, pour passer du système électoral prévu par la Loi sur les Indiens à un système en vertu d'un code coutumier, il faut que des procédures d'amendement soient prévues et inscrites au code coutumier, et qu'un mécanisme d'appel soit mis sur pied.

Quant à savoir ce que les Premières Nations peuvent faire concrètement, dans certains cas, elles exigent une double majorité pour modifier leur propre code coutumier. C'est une mesure de précaution, mais évidemment, on peut aussi demander un examen judiciaire.

Si une Première Nation propose un code coutumier et y voit là une occasion d'assurer une bonne gouvernance, elle obtiendrait évidemment des conseils juridiques sur la façon d'appliquer les principes de la bonne gouvernance, de la transparence, et cetera.

Je ne sais pas si cela répond à votre question ou éclaire votre lanterne.

Le sénateur Lang : Pour que ce soit clair, l'Association du Barreau canadien était d'avis que ces documents devraient être rendus publics, plutôt que certains le soient et d'autres pas?

Mme Craft : Notre section n'a pas de position à cet égard.

Le président : J'ai pris la liberté de proposer que M. Vincent soit là. Vous avez soulevé des points juridiques importants, madame Craft, et j'aimerais obtenir l'avis du ministère de la Justice.

Tout d'abord, on a laissé entendre qu'il pourrait y avoir des problèmes ou un manque d'uniformité, puisque l'article 33 du projet de loi donne compétence en ce qui concerne les différends électoraux à deux tribunaux.

Monsieur Vincent, voulez-vous répondre aux préoccupations exprimées par le témoin?

Tom Vincent, conseiller juridique, Opérations et programmes (Services juridiques), ministère de la Justice Canada : L'objectif de l'article 33 est de faire en sorte que les tribunaux soient amplement accessibles aux Premières Nations. Dans de nombreux cas, il sera plus pratique pour les Premières Nations de retenir les services d'un conseiller juridique pouvant les représenter à la Cour supérieure de leur province, plutôt qu'à l'un des bureaux de la Cour fédérale. L'intention ici, c'est de faire en sorte que les Premières Nations puissent avoir accès aux tribunaux.

L'article utilise le mot « ou », ce qui veut dire qu'ils sont tous les deux compétents pour entendre l'affaire. En réalité, je m'attends évidemment à ce que si l'une des parties se tourne vers l'un des tribunaux et que l'autre choisit l'autre tribunal, on s'en rendra compte rapidement et on choisira l'un d'entre eux. Il est illogique de demander à deux différents tribunaux de rendre un jugement.

Le président : Je pense que Mme Craft entendait par là que si deux tribunaux ont compétence, il est possible d'avoir différentes interprétations de la loi, si je l'explique bien. Qu'en pensez-vous?

Mme Craft : C'est exact. Même au sein de la même province, la Cour fédérale et la Cour provinciale pourraient rendre des décisions différentes sur l'interprétation et l'application des dispositions, mais ce serait aussi le cas dans toutes les provinces, en fonction des Cours supérieures.

Je soulignerais simplement que la Cour fédérale siège partout au Canada, et le projet pilote dont je parlais prévoit que la Cour fédérale assure la résolution de conflits dans les collectivités. La Cour fédérale s'est autoproclamée tribunal mobile, de sorte que je pense que la compétence et les pratiques actuelles de la Cour fédérale englobent l'idée entourant l'accessibilité aux tribunaux.

Le président : Vous préféreriez donc qu'un tribunal soit nommé à l'article 33?

Mme Craft : C'est exact.

M. Vincent : En vertu de la position du gouvernement fédéral, les tribunaux provinciaux seraient plus accessibles que la Cour fédérale, et jusqu'à maintenant, nous n'avons pas été invités à participer au projet pilote, à ma connaissance.

Le président : D'accord. Eh bien, je pense que c'est utile.

Monsieur Vincent, la déclaration de l'ABC indique que les termes « conflit prolongé lié à la direction » et « sérieusement compromis la gouvernance » ne sont pas bien définis, qu'ils manquent de précision et qu'ils devraient être mieux formulés. Qu'en pensez-vous?

M. Vincent : Ces termes sont un peu comme l'art; les gens peuvent être en désaccord jusqu'à ce qu'ils le voient. Ce sera aux tribunaux de décider si un ministre a outrepassé son mandat en concluant qu'un conflit prolongé lié à la direction a sérieusement compromis la gouvernance de la Première Nation.

Ce sont des termes que les tribunaux appliqueront à des situations particulières et, étant donné que le ministre est très réticent à exercer ces pouvoirs et, en pratique, qu'il préfère que les Premières Nations trouvent des solutions entre elles, le problème surviendra peu fréquemment.

Le président : J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'autre préoccupation exprimée au sujet de l'alinéa 3(1)c). Je vais citer un passage de l'exposé que vient de faire l'ABC :

[traduction] [...] nous ne savons pas si seule la découverte de pratiques corrompues à l'avenir n'appellera la discrétion du ministre pour ajouter une Première Nation à l'annexe ou si cette disposition permet au ministre d'inclure des élections récentes ou historiques ayant été mises de côté conformément à l'article 79 de la Loi sur les Indiens.

Pensez-vous que la disposition est vague?

M. Vincent : Je suis d'accord pour dire que l'interprétation de la clause peut être ambiguë, qu'elle ne contraint pas le ministre quant au moment où des mesures sont prises en vertu de l'article 79. J'imagine que les tribunaux interpréteront cette disposition de façon proactive à l'avenir afin de ne pas avoir à dépendre des autres fois où l'article 79 a été appliqué.

La sénatrice Dyck : Votre réponse a piqué ma curiosité, monsieur Vincent. Vous dites que lorsque l'on parle de l'expression « un conflit prolongé lié à la direction de la Première Nation a sérieusement compromis la gouvernance », ce serait aux tribunaux de décider si le ministre a outrepassé son pouvoir. Selon moi, si je faisais partie d'une Première Nation régie par un code coutumier et que le ministre disait que les dispositions de ce projet de loi devaient s'appliquer à notre nation, je voudrais probablement traîner le ministre devant les tribunaux.

J'ai l'impression qu'au bout du compte, ce seront aux tribunaux de trancher, peu importe ce qui arrive.

M. Vincent : Pas nécessairement. En fait, il arrive que le ministre intervienne lorsque les parties ne se sont pas présentées devant les tribunaux pour régler un différend. Typiquement, deux groupes différents s'affrontent pour obtenir la direction et un groupe amène l'autre devant le tribunal. Parfois ce n'est pas le cas, et c'est à ce moment que le ministre intervient pour rétablir la direction dans les collectivités; mais au bout du compte, la décision du ministre peut également être revue par un tribunal.

La sénatrice Dyck : Le concept d'une lutte entre deux groupes pour obtenir la direction a été mentionné à quelques reprises, et pourtant, je ne vois rien ici au sujet des groupes opposés. Pouvez-vous nous donner un exemple? Mme Craft pourrait également répondre à la question. À quel type de situation faites-vous allusion lorsqu'il existe des groupes opposés qui luttent pour la direction?

M. Vincent : Je peux vous donner l'exemple le plus récent où le ministre a utilisé son pouvoir aux termes de l'article 74 de la Loi sur les Indiens en ce qui concerne la Première Nation de lac Barrière, au Québec, et a émis un décret pour que la Loi sur les Indiens s'applique à cette Première Nation. En fait, elle s'était adressée aux tribunaux à de nombreuses reprises. Je pense que trois décisions avaient été rendues mais qu'aucune ne représentait un format satisfaisant pour établir un processus de leadership. Le ministre a donc lancé un ultimatum, a donné à la Première Nation plusieurs mois et lui a offert des services de médiation. Lorsque ces services ont échoué au bout du compte, le ministre a émis un décret en vertu duquel la Première Nation était assujettie à la Loi sur les Indiens, et la décision du ministre n'a pas été contestée.

La sénatrice Dyck : Ainsi, lorsque le ministre a déclaré que la Première Nation devait se conformer à la Loi sur les Indiens pour tenir des élections, cette mesure a porté ses fruits?

M. Vincent : Oui, elle a porté fruit.

La sénatrice Dyck : Ainsi, si nous éliminions l'alinéa 3(1)b), le ministre pourrait ordonner à une Première Nation de se soumettre à la Loi sur les Indiens. Pourquoi ne le faisons-nous pas, au lieu d'imposer aux Premières Nations le projet de loi C-9, ce qui pourrait les pousser à contester la décision et à vous traîner devant les tribunaux?

M. Vincent : Je pense que le ministre décide s'il a la discrétion nécessaire pour ramener une Première Nation sous l'ombrelle de la Loi sur les Indiens et, en même temps, s'il peut assujettir une Première Nation à la nouvelle Loi sur les élections au sein de Premières Nations. Il s'agit d'une décision en vertu de laquelle la Loi sur les élections au sein de Premières Nations s'appliquera toujours à une Première Nation, parce que c'est un meilleur système.

La sénatrice Dyck : Ce n'est pas certain.

Le président : Je pense que nous allons devoir nous interrompre ici, chers collègues. On m'a demandé de mettre fin à la réunion à 11 h 30, parce que la salle doit être utilisée à d'autres fins, mais nous reprendrons le débat au sujet du projet de loi à notre réunion de demain.

Merci beaucoup, chers collègues. Je suis déçu que nous n'ayons pas plus de temps. Merci aux témoins.

(La séance est levée.)


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