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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 25 - Témoignages du 19 septembre 2017


OTTAWA, le mardi 19 septembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour; tansi. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui sont ici même, dans la pièce, ou qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le Web.

Bon retour, chers collègues, et bienvenue à notre invité de ce matin.

Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que notre séance a lieu sur les terres ancestrales et non cédées du peuple algonquin. Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai l’honneur et le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant par le vice-président, à ma droite.

Le sénateur Patterson : Merci, madame la présidente. Je m’appelle Dennis Patterson, et je suis un sénateur du Nunavut.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, Manitoba.

Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, Québec.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, Ontario.

La présidente : Nous avons également parmi nous la sénatrice Mégie, qui va devoir changer de siège, et voilà la sénatrice Pate qui vient d’arriver. Merci, chers collègues.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les nouvelles relations éventuelles entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Nous continuons de passer en revue l’historique de ce qui a été étudié et discuté sur le sujet.

Durant notre séance d’une heure, nous parlerons des formes que pourraient prendre les nouvelles relations, notamment les relations de nation à nation, les relations de gouvernement à gouvernement et les relations dans le contexte de la souveraineté et des traités.

Nous sommes très heureux et très honorés d’accueillir notre témoin d’aujourd’hui, M. Sol Sanderson, sénateur de la Fédération des nations autochtones souveraines. Il est accompagné de son épouse, Elsie, qui l’aidera sans doute à ne pas perdre pied.

Merci, monsieur Sanderson; vous avez la parole. Je rappelle que nous devrons lever la séance au bout d’une heure.

Sol Sanderson, sénateur, Fédération des nations autochtones souveraines : Bonjour à tous les honorables sénateurs et à toutes les autres personnes ici présentes. Je suis ravi de venir témoigner devant vous aujourd’hui.

Je travaille dans le domaine de la politique des Premières Nations depuis 60 ans, ce qui signifie que j’ai commencé dès l’âge de 15 ans; d’ailleurs, Barb et moi, nous nous souvenons de l’époque de la Commission Penner. Nous n’en démordrons pas tant que le tout sera mis en œuvre.

Je ne dispose que de quelques minutes pour vous parler de 500 ans d’histoire entre les peuples autochtones et les colons; ce n’est pas une tâche facile, mais je l’ai déjà fait.

Pour commencer, sénateurs, j’aimerais porter à votre attention quelques questions qui méritent d’être examinées par le Sénat. On parle beaucoup des fonds en fiducie créés par votre gouvernement et réservés aux Indiens et aux Inuits. Il s’agit de l’aboutissement des négociations menées par le gouvernement pour déterminer comment effectuer les paiements qui nous sont dus aux termes des traités. Ainsi, le gouvernement a accepté de mettre de côté, chaque année, un pourcentage de toutes les recettes qu’il génère à partir de différentes sources en vue de verser les sommes dues aux Premières Nations et aux Inuits en raison des traités qui ont été conclus.

Je vous demande donc d’examiner l’état actuel de ce fonds en fiducie et la façon dont nous pouvons y accéder.

L’autre question porte sur le statut de la Couronne. Dans le cadre du processus des traités, l’empire d’Angleterre, au moment de procéder à son démantèlement et à la création des gouvernements du pays, a élaboré une théorie appelée la novation de la Couronne, qui consiste à transférer toutes les responsabilités de la Couronne du chef d’Irlande et d’Angleterre à la Couronne du chef du Canada. Or, nous n’avons toujours pas rapatrié le Traité de Jay, et il reste encore beaucoup à faire en ce qui concerne le statut international des traités no 1 à 11.

L’étude des Nations Unies sur les traités a révélé que le Traité no 6 était un traité international. Par ailleurs, sachez que les traités no 1 à 11 forment un seul et même traité majeur entre la Couronne et les Premières Nations.

Je vous ai distribué une carte qui présente l’état actuel de ces traités. Les zones colorées sur la carte illustrent tous les traités modernes qui donnent un effet juridique en vertu des lois et des champs de compétence du gouvernement fédéral et, dans certains cas, des gouvernements provinciaux.

Les zones blanches représentent les traités no 1 à 11, à l’exception du Nord; les territoires où se chevauchent les traités modernes, les traités conclus avant la Confédération, dans l’Est, et les traités de Douglas sur l’île sont tous représentés en blanc parce qu’aucune mesure législative ne leur donne force de loi.

Nous exercions nos pouvoirs nationaux de conclusion de traités longtemps avant notre rencontre avec les non-Indiens sur l’île de la Tortue. Nous signions des traités entre nous en tant que nations.

Par conséquent, la conclusion de traités n’a rien de nouveau pour nous. Pour maintenir en vigueur le statut international de ces traités, les deux parties doivent leur donner légalement effet en fonction des champs de compétence et des lois de leurs gouvernements respectifs.

Il reste donc beaucoup à faire relativement aux traités no 1 à 11. Je viens du territoire cri visé par le Traité no 6. Pour les mettre en œuvre, nous devrons tenir compte des formes uniques et spéciales de mesures législatives qui seront requises aux termes des champs de compétence et des lois des gouvernements des Premières Nations et du gouvernement fédéral.

Au verso de la carte, on trouve deux situations : la réalité actuelle et l’avenir possible. Il y a le cas de l’autodétermination, et j’y reviendrai, mais d’abord, j’aimerais me pencher sur le tableau concernant l’autodestruction. Cela repose sur l’application de la bulle pontificale du XIVsiècle et la doctrine de la découverte.

De nos jours, on parle beaucoup de la fin de l’application de la doctrine de la découverte, mais rien n’est dit sur la façon de mettre un terme à l’application de la bulle pontificale du XIVsiècle. Il y a un écart énorme entre la définition de peuples autochtones dans la bulle pontificale et la définition actuelle prévue dans la Déclaration des Nations Unies.

La bulle pontificale est très claire : selon les instructions chrétiennes, les Autochtones ne sont ni des êtres humains ni des chrétiens et, à ce titre, ils ne sont pas souverains et ils n’ont pas de gouvernement. Par le fait même, les peuples autochtones ne détiennent aucun titre de propriété sur les terres et les ressources et ils ne jouissent d’aucun droit.

Je parle du XIVe siècle, sénateurs. Nous sommes maintenant en 2017 et, pourtant, nous faisons face aux mêmes enjeux aujourd’hui. C’est vraiment triste. En fait, c’est une situation déplorable.

La définition de peuples autochtones en vertu de la bulle pontificale est très claire. Nous n’avons aucun statut. Nous ne sommes pas des êtres humains. Nous n’avons pas de souveraineté; nous n’avons pas de gouvernement. La Déclaration des Nations Unies est aux antipodes de cette instruction pontificale. Comment a-t-on mis en œuvre la bulle pontificale? Par l’entremise de lois chrétiennes. Cependant, on a adopté une autre loi que vous devriez connaître. Il s’agit de la loi de la dominance, en vertu de laquelle il est légal de tuer des Autochtones. C’est pourquoi les explorateurs du monde entier ont massacré bon nombre de nos gens, sans que leurs actes soient remis en question.

Quand on examine la période allant du XIVe au XVIIe siècle et les objectifs de la doctrine de la découverte, force est de constater que la bulle pontificale rend toujours valide l’appropriation illégale de terres autochtones partout dans le monde. Les empires britannique, espagnol, français et portugais se sont partagé le monde. L’Angleterre régnait sur l’Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et certaines régions de l’Inde. Le Portugal et la France occupaient l’Afrique. L’Espagne, pour sa part, dominait l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud.

De nombreux historiens affirment que la doctrine de la découverte et la bulle pontificale ont cessé d’exister après le XVIIe siècle. Je vous informe qu’en 1830, les empires ont établi ce qu’on appelle des politiques de détribalisation, dont les objectifs correspondent à ceux d’aujourd’hui, à savoir l’assimilation, l’intégration, la civilisation, la christianisation et la liquidation.

Comment le Canada a-t-il mis en œuvre ces politiques? La politique de détribalisation de 1830 reposait sur la doctrine de la découverte et la bulle pontificale du XIVe siècle. Le Canada a élaboré ce qu’on appelle le plan de 1947 visant à liquider la population indienne du Canada dans un délai de 25 ans pour révoquer le statut de nos traités, ainsi que le statut et les droits particuliers des Indiens, et pour commencer à transférer les responsabilités financières légales du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux dans divers secteurs, dont la santé, l’éducation, les services sociaux, les services d’aide à l’enfance, et j’en passe.

Je pourrais parler longuement de ce qui se faisait en 1947 dans le cadre du plan de liquidation, notamment l’établissement de gouvernements locaux dans les réserves en vertu des champs de compétence et des lois des gouvernements provinciaux. Le Livre blanc, publié en 1969, contenait des directives encore plus détaillées sur la façon de concevoir de nouvelles lois ou de modifier les lois existantes dans le but de mettre un terme au statut et aux droits particuliers des Indiens. C’est ce qui a permis d’établir la première série de politiques de transfert des responsabilités du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux afin de poursuivre les efforts en ce sens dans des domaines comme les services de santé, l’éducation et les services sociaux destinés aux Indiens. Les Inuits ont connu le même sort sur leur territoire.

Vinrent ensuite les politiques de 1974-1976 concernant les Autochtones et visant à recruter des Indiens, des Inuits et des Métis comme intervenants de premier plan chargés de proposer et de mettre en œuvre ces politiques et stratégies coloniales, comme c’est le cas encore aujourd’hui. Il y a maintenant les politiques de transfert des responsabilités de deuxième génération, dans la foulée de la politique du « précipice à bisons » des années 1980; on peaufine les lois existantes ou on en crée de nouvelles pour révoquer le statut et les droits particuliers des Indiens.

Voilà, sénateurs, 500 ans d’histoire résumés en cinq minutes; c’est la situation à laquelle nous faisons face et c’est ce que vous devriez changer maintenant. Nous avons l’occasion ici d’apporter ces changements.

Au bas du tableau concernant l’autodestruction, il y a toute une série d’entités incorporées en vertu des lois et des compétences provinciales — non seulement en Saskatchewan, mais partout au pays — dans le but de mettre en œuvre les compétences provinciales pour les autorités scolaires, les autorités sanitaires, les organismes d’aide à l’enfance, les conseils tribaux et diverses autres organisations. De l’autre côté, on trouve des entités qui ne relèvent pas des gouvernements provinciaux, mais qui sont assujetties à la politique d’autonomie gouvernementale d’Affaires autochtones. Cela n’apporte rien à la question de savoir comment mettre en œuvre notre souveraineté et nos formes de gouvernement.

Examinons maintenant de l’autre côté dans le tableau sur l’autodétermination. J’ai créé ce tableau pour plusieurs raisons. Les gens n’ont pas une vue d’ensemble des facteurs qui ont une incidence sur nous, comparativement aux non-Indiens. Je l’ai également créé, car après le Nouvel An, j’ai reçu des appels de la part d’Autochtones me demandant: « Que devons-nous faire maintenant? » Je leur ai dit: « Vous avez deux choix: vous pouvez continuer dans la voie de l’autodestruction ou vous pouvez prendre le chemin de l’autodétermination. »

L’autre question délicate que nous devons également régler et à laquelle vous devez prêter attention, c’est la question de la souveraineté.

Il y a quelques mois, j’ai reçu un appel d’un haut fonctionnaire fédéral qui m’a dit: « Sénateur Sol, vous savez que les pouvoirs nationaux de gouvernance ne sont pas négociables. » Je lui ai répondu: « Je crois que vous parlez des pouvoirs nationaux liés à la souveraineté proclamée de la Couronne. » Il a acquiescé.

J’ai enchaîné en disant : « Pour votre information, nos pouvoirs nationaux de souveraineté inhérente ne sont pas négociables, eux non plus. » Alors, il a demandé: « Vous n’êtes pas prêt à négocier les relations? » Il a reçu le tableau que vous avez sous les yeux. Il a les documents d’information sur la façon de mettre en œuvre ces nouvelles institutions et structures de gouvernement.

Les relations dans le contexte de la souveraineté et des traités prévoient un cadre global qui n’est ni respecté ni reconnu. Vous fonctionnez toujours selon l’approche indiquée dans l’autre colonne du tableau, c’est-à-dire le statu quo en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et les politiques coloniales. La stratégie globale dont vous devez prendre connaissance repose sur une relation juridique et politique globale. Le cadre est régi par les droits et titres inhérents, les relations souveraines, les traités, la Proclamation royale de 1763, la Loi constitutionnelle de 1982, le droit international et la Déclaration des Nations Unies.

En ce qui a trait à l’interface entre la compétence gouvernementale et les lois concernant la souveraineté inhérente de nos nations et la souveraineté proclamée de la Couronne, nous parlons de la façon dont nous instaurons nos formes de gouvernement, nos champs de compétence, nos lois et nos tribunaux. C’est la même chose pour vous. C’est ainsi que vous mettez en œuvre votre gouvernement, vos champs de compétence, vos lois et vos tribunaux.

Il n’y a aucune raison d’être intimidés par votre souveraineté ici au Canada. Ces relations souveraines existent aux termes du cadre juridique et politique global, mais ce n’est pas ce dont vous êtes saisis aujourd’hui. Si vous regardez au milieu du tableau, en bas, vous verrez les relations dont je parle, à savoir la forme de relations politiques que nous négocions et mettons en œuvre, la qualité du processus gouvernemental, les champs de compétence, les lois et les tribunaux en ce qui concerne les gouvernements des Inuits, des Métis et des Premières Nations, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

Au sujet de la mise en œuvre des relations économiques, je vous ai remis, il y a quelque temps, un graphique important qui précise comment nous entendons instaurer une économie des Premières Nations à l’échelle communautaire, régionale, nationale et internationale, qui relève de notre ressort et de nos gouvernements. Nous ne pouvons plus prétendre que nous allons bénéficier de votre économie. Nous avons essayé de le faire pendant 150 ans selon vos infrastructures, vos débouchés et vos principes économiques. C’est peine perdue.

Dans le cadre de votre processus, vous exigerez des redevances provinciales et fédérales pour tous les projets d’exploitation des ressources. Pour notre part, nous imposerons des frais sur tous les projets d’exploitation des ressources des Premières Nations, non seulement dans les réserves de bandes, mais sur toutes nos terres traditionnelles et sur nos territoires où se trouvent des ressources. Je suppose que les Inuits en feront de même. Il faudra aussi répondre aux besoins des Métis.

Sur le plan des relations juridiques, il s’agit d’un domaine essentiel. Il est temps que nous mettions en œuvre notre propre système de justice et notre propre régime juridique inhérent.

Revenons au tableau précédent. Voilà tous les traités modernes conclus par le gouvernement fédéral. On compte aujourd’hui 47 tables de discussion exploratoire qui sont en cours et 315 bandes régies aux termes de la politique d’autodétermination d’Affaires autochtones.

Sénateurs, nous devons établir notre propre système de justice, nos propres tribunaux et notre propre régime juridique inhérent, mais personne ne s’en occupe. Si vous voulez que les relations de nation à nation et de gouvernement à gouvernement soient efficaces, nous ne pouvons pas nous abstenir d’établir nos propres tribunaux et notre propre système de justice et de mettre en œuvre nos propres lois et champs de compétence dans le cadre de notre régime juridique inhérent.

Je vous parle maintenant de la mise en œuvre de nouvelles institutions et structures du Parlement et du gouvernement fédéral. S’agissant des relations financières, nous occuperons ce champ de compétence, en vertu de nos propres lois sur la gestion des finances publiques, en rendant pleinement compte de nos activités. Nous établirons et créerons nos propres budgets et nous accomplirons tout le travail effectué dans le passé. J’ai passé en revue les rapports pertinents, y compris le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Dans les rapports, personne n’explique à quoi ressemblera un budget au niveau des collectivités des Premières Nations. Pas une personne n’en parle, sénateurs. Nous sommes en 2017, et vous utilisez toujours des budgets sous forme de fonds qui nous sont alloués. Ce ne sont pas là des budgets.

Nous occuperons donc ce champ de compétence aux termes de nos propres lois sur gestion des finances publiques. Nous assumerons, dans le cadre de notre mandat, la responsabilité juridique et gouvernementale de conclure des accords financiers relevant de votre ressort, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques du Canada et de notre loi sur la gestion des finances publiques des Premières Nations.

En Saskatchewan, une quarantaine de bandes ont décidé d’adhérer à la Loi fédérale sur la responsabilité. À quoi bon si nous avons la capacité de créer notre propre loi sur la gestion des finances publiques qui prévoit une reddition de comptes complète? Durant mon séjour ici cette semaine, je vais rencontrer des représentants du bureau du vérificateur général. La dernière fois que j’étais ici, j’ai rencontré le vérificateur général et ses collaborateurs en vue d’établir notre propre bureau en la matière en Saskatchewan. Il s’agit d’un mandat confié par l’assemblée des chefs.

Des cabinets comptables roulent sur l’or grâce à vous. Le cabinet Meyers, Norris et Penny a conclu des centaines d’ententes au pays pour s’occuper de la gestion des bandes à titre de séquestre-administrateur conformément à vos politiques et à vos règles.

Votre propre vérificateur général vous a dit — Affaires autochtones et du Nord Canada, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, Santé Canada — que vos politiques n’ont aucun fondement législatif. Pour réaliser un audit adéquat conformément à vos lois et à vos politiques, il faut connaître les lois qui régissent les normes des programmes. Vous ne savez pas d’un jour à l’autre les lois qui régissent les normes des programmes sur la scène fédérale. Il est aussi temps de régler cette question en élaborant de nouvelles lois et politiques. J’en parlerai plus tard.

En ce qui a trait à la mise en œuvre et aux relations financières, vous avez fait preuve de créativité pour trouver comment mettre en place des relations financières entre les administrations provinciales, territoriales, municipales et le gouvernement du Nunavut. Quel est le problème à utiliser la même créativité en ce qui concerne nos relations financières?

En vertu de l’Accord nisga’a, vous avez modifié le paragraphe 19(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour inclure le financement par subventions et le financement total remis à la population de la nation Nisga’a. Nous recevons du financement destiné aux Indiens vivant dans les réserves, et certains d’entre eux n’ont pas été informés qu’il y a deux catégories d’Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. Ils sont tous inscrits comme Indiens, mais certains n’ont pas de statut et n’ont aucun droit, tandis que d’autres profitent de tous les avantages et de tous les droits.

Nous avons actuellement environ 11 000 bébés non inscrits dans l’Ouest canadien. Environ 36 000 jeunes sont actuellement pris en charge par les services de protection de l’enfance dans l’Ouest canadien.

En ce qui a trait à l’ensemble du processus relatif aux relations financières et à votre modification du paragraphe 19(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, le financement par subventions que vous versez à la nation Nisga’a provient du Trésor. Les divers organismes fédéraux ne vous talonnent pas. Il y a 234 organismes fédéraux qui reçoivent actuellement des crédits parlementaires, du financement et des revenus, et plus de la moitié d’entre eux reçoivent du financement destiné aux Autochtones, soit les Indiens, les Métis et les Inuits.

La modification concerne également les articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens en raison de l’exonération fiscale pour les membres de la nation Nisga’a.

Je reviendrai aussi sur cet aspect plus tard.

Nous pensons aux relations internationales. Comme je l’ai mentionné à la ministre Wilson-Raybould en Saskatchewan, « Nous validerons la déclaration de l’ONU et la mettrons en œuvre. Vous parlez de nos droits et non des vôtres. »

Comment la validerons-nous? Nous le ferons en déterminant tous ces droits inhérents; à titre informatif, monsieur le président, les droits inhérents, les droits ancestraux, les droits issus de traités et les droits de la personne ont chacun une définition qui leur est propre, mais vous ne faites pas la distinction. Même les tribunaux n’en tiennent pas compte, et le juge Lamer et d’autres ont également constaté à la Cour suprême que nos droits ne sont pas définis.

Comme je l’ai mentionné vendredi à la table ronde du ministère de la Justice au sujet de l’article 35 — Ian Binnie, l’ancien juge de la Cour suprême, y était le conférencier principal —, lorsque nous nous penchons sur l’ensemble du processus de mise en œuvre des droits inhérents, c’est le créateur qui nous accorde ces droits. La souveraineté, les droits inhérents et les titres ancestraux nous sont tous accordés par le créateur et ne proviennent d’aucune autre source. Ces éléments ne sont pas issus d’un traité, d’une constitution ou de lois créées par des humains. Ils sont régis par les relations entre l’humanité et la nature et notre vision du monde, notre philosophie, nos traditions, nos coutumes, nos pratiques, nos croyances et nos valeurs.

Nous définirons chacun de ces droits inhérents, ce qui inclut tous nos droits inhérents en matière de santé, d’éducation, de développement social, de justice, d’économie et de citoyenneté, nos droits inhérents sur les terres et les ressources et nos droits inhérents à notre propre autodétermination et à nos propres formes de gouvernement. Par ailleurs, lorsque nous nous pencherons sur ce processus, nous déterminerons les droits que nous avons au regard de l’air et de l’eau.

Nous avons une vaste gamme de droits inhérents, et nous les définirons dans nos propres langues et en fonction de notre vision du monde, de notre philosophie, de nos traditions, de nos coutumes, de nos pratiques, de nos valeurs et de nos croyances.

Lorsque nous les définissons, je vous rappelle, sénateurs, qu’il y a également des responsabilités et des devoirs collectifs associés à chacun de nos droits inhérents, et cela renforce les droits individuels. Lorsque nous les déterminerons, nous élaborerons des plans et des stratégies concernant leur mise en œuvre par secteur. Lorsque nous le ferons, cela nous donnera des orientations légitimes sur la forme des lois à adopter pour que ces droits aient force de loi dans les domaines relevant de notre compétence en vertu de nos lois par secteur.

C’est notre responsabilité, sénateurs, d’adapter et de mettre en œuvre la déclaration de l’ONU. De ce point de départ, vous pouvez ensuite au moins tirer une certaine orientation quant à la forme que doit prendre une loi fédérale nécessaire pour se conformer à cette déclaration de l’ONU et la respecter.

En ce qui concerne ces relations, le premier ministre a annoncé l’autre jour la création du nouveau ministère des Relations Couronne-Autochtones. À mon avis, les relations que je viens de vous présenter doivent relever de ce ministère. Des secrétariats devraient être créés dans chacun des domaines suivants: un secrétariat des relations politiques, un secrétariat des relations issues de traités, un secrétariat des relations juridiques, un secrétariat des relations économiques, un secrétariat des relations financières et un secrétariat des relations internationales.

Ce cadre permet aussi autre chose. Cela établit clairement que nous avons des droits et des titres inhérents. Nous avons la souveraineté. Nous avons des traités et nous avons des droits issus de ces traités. Bref, comment mettre en œuvre l’esprit et l’intention des traités dont notre peuple parle sans cesse? Vous le faites, sénateurs, par l’entremise d’une nouvelle loi fédérale, et les Premières Nations, les Inuits et les Métis adoptent leur propre loi pour mettre en œuvre leurs droits inhérents et issus de traités en matière d’éducation. Comment le faire? Il faut élaborer une loi sur les droits inhérents et issus de traités des Premières Nations en matière d’éducation sous la forme d’une loi sur l’éducation traditionnelle et contemporaine qui délègue l’entière responsabilité de l’éducation aux autorités locales. Nous déléguons la responsabilité à nos propres districts scolaires dans le cadre de la deuxième partie de cette loi; pour ce qui est de la troisième partie, nous déléguons la responsabilité à l’échelle régionale aux autorités régionales que nous créons dans ce domaine relevant de notre compétence en vertu de nos lois; nous n’intégrons pas le tout aux systèmes provinciaux. Nous n’en avons pas besoin, et nous ne le voulons pas. Lorsque nous examinons l’ensemble du processus, une telle forme de loi est nécessaire dans chaque secteur, et nous en discutons, sénateurs.

J’aimerais vous donner un exemple des sujets délicats dont vous devez traiter, mais rien n’est vraiment fait à cet égard. Prenons la fiscalité. Je prépare un document exhaustif pour calculer le coût de fonctionnement du gouvernement fédéral et du Parlement, de vos 10 gouvernements provinciaux et de leurs assemblées, des deux gouvernements territoriaux et de leurs assemblées et du gouvernement du Nunavut et de ses municipalités urbaines; il y en a près de 4 000. Ce document laisse entendre que nous sommes un fardeau pour les contribuables. En voyant le portrait complet, sénateurs, vous serez à même de comprendre qui est réellement un fardeau pour les contribuables, mais nous voulons notre part de ces revenus.

Nous parlons des relations financières et du financement, mais je me demande quand nous examinerons la source de revenus qui est accessible à nous tous. Notre pourcentage des revenus est beaucoup plus élevé que ce qui nous est remis actuellement.

En ce qui concerne la mise en place de mesures fiscales, votre propre ministère du Revenu a réalisé une étude secrète il y a quelques années. Qu’est-ce que cette étude vous a appris? Il y a deux catégories de mesures fiscales dont vous devez tenir compte. Vous avez l’immunité fiscale et l’exonération fiscale.

Qu’est-ce que l’immunité fiscale? Nous avons une immunité fiscale, parce que nous avons la souveraineté. Nous avons une immunité fiscale, parce que nous avons un traité. Nous avons une exonération fiscale, parce qu’il y a des dispositions dans les traités qui s’appliquent au sujet des biens et des services dans les domaines de l’éducation, de la santé, des services sociaux, et cetera. Nous avons une exonération fiscale, parce que des dispositions des traités portent sur le développement socioéconomique. Nous avons une exonération fiscale en vertu des articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens. Pourquoi continuons-nous de payer vos impôts sans rien recevoir en retour?

Nous nous occuperons de la fiscalité avec notre propre régime fiscal. Nous déterminerons les formes que prendront notre exonération et notre immunité fiscales; nous le ferons non seulement dans chaque collectivité, mais aussi aux échelles régionale, nationale et internationale. Autrement, nous ne pourrons pas gérer une économie des Premières Nations sur les marchés internationaux.

L’autre élément est l’enjeu de l’appartenance définie par la Loi sur les Indiens. Voulez-vous vous débarrasser de la Loi sur les Indiens? Eh bien, penchons-nous sur la question de la citoyenneté.

Lorsque nous avons conclu les traités nos 1 à 11 — les traités internationaux —, la Couronne a reconnu notre champ de compétence en matière d’appartenance et de citoyenneté. Vous n’aviez pas de listes des membres en vertu de la Loi sur les Indiens; vous aviez des listes de l’unité des traités qui reconnaissaient le statut et les droits de notre peuple de décider des membres qui faisaient partie de chaque collectivité.

En ce qui concerne ce champ de compétence, nous avons conclu ce traité avec la Couronne du chef de l’Irlande et du Royaume-Uni. Cela nous accordait la double citoyenneté en vertu des traités en faisant de nous des sujets britanniques. Voilà la double citoyenneté que nous avons en vertu des traités conclus avec la Couronne du chef du Royaume-Uni et de l’Irlande.

Vous avez créé la Loi sur les Indiens pour faire de nous des pupilles de l’État. En ce qui a trait aux traités internationaux, nous devons les mettre en œuvre sous la forme d’une nouvelle loi sur la citoyenneté. Pour ce qui est de la double citoyenneté, nous avons la double citoyenneté à titre d’Autochtones américains en vertu du Traité de Jay.

Qu’avez-vous fait d’autre, sénateurs? Vous connaissez l’article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada. Quelle forme de reconnaissance le paragraphe 35(2) prévoit-il quant aux Inuits, aux Métis et aux Indiens? Ce ne sont pas des membres du Canada; c’est une forme de citoyenneté au Canada. Je suis citoyen de la nation crie. J’ai une double citoyenneté à titre de Canadien, et cela vient avec les mêmes droits et les mêmes avantages. Lorsque vous modifiez votre Loi sur la citoyenneté, vous devez inclure une disposition qui traite clairement de cet accord, qui prévoit les mêmes droits et les mêmes avantages pour les Indiens en vertu de la Loi sur la citoyenneté et qui reconnaît notre champ de compétence au sujet des gens qui seront citoyens de nos nations et de nos collectivités.

Voilà des exemples de nouvelles mesures législatives nécessaires et de lois précises et spéciales en ce sens. Ne me dites pas que vous ne pouvez pas le faire non plus. Vous avez déjà des lois françaises au Québec qui visent à mettre en œuvre le Code civil et des lois anglaises dans le reste du Canada.

Vous avez maintenant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec et la Loi sur l’Accord définitif nisga’a. Donc, lorsque je parle de la nécessité d’adopter de nouvelles formes de loi, voilà des exemples de ce dont je parle.

Vos propres gens ne reconnaissent pas le statut de la Couronne. Si nous admettons que cela n’existe plus selon votre concept de la souveraineté proclamée de la Couronne, vous ne vous êtes jamais donné la peine de traiter des questions en suspens concernant la novation de la théorie de la Couronne et vous ne considérez pas nos traités nos 1 à 11 comme des traités internationaux. J’aimerais comprendre pourquoi.

Lorsque nous pensons à l’ensemble du processus de la prérogative royale de la Couronne, quand reconnaissez-vous l’existence de la Couronne? La seule fois où vous la reconnaissez, c’est lorsque vous faites valoir la prérogative royale de la Couronne de prendre unilatéralement des décisions sur des enjeux nous concernant lorsqu’aucune loi ne régit cette question.

Les ministres et même certains hauts fonctionnaires ont invoqué la prérogative royale de la Couronne pour s’occuper d’enjeux nous concernant lorsqu’aucune loi ne régit ces questions à régler. Vous avez pris unilatéralement des décisions à ce sujet et vous vous en êtes servis pour mettre fin aux réserves et au statut de bande et traiter d’autres enjeux nous concernant. Je ne vous vois pas avoir recours à la prérogative royale de la Couronne dans le cas des non-Indiens. Vous l’utilisez seulement dans le cas des Inuits, des Métis et des Indiens et de nos gouvernements.

Quand collaborons-nous dans ces processus? Vous avez de nombreux processus en cours. Pour soutenir le processus, sénateurs, nous avons besoin de nouvelles institutions et structures juridiques et politiques du Parlement, du gouvernement fédéral, des Premières Nations, des nations indiennes, des nations inuites et de la nation métisse. Nous avons besoin de nouvelles institutions et structures juridiques et politiques.

Votre comité sénatorial devrait avoir un comité officiel sur les relations souveraines établies par traités qui se pencherait sur les éléments à mettre en place que je mentionne. Il faut donner du mordant à vos comités qui ont le pouvoir de faire avancer les choses dans ces dossiers.

Il y aura une résistance à l’interne; c’est tout le temps le cas. Nous nous souvenons de l’époque Penner; il y avait énormément de résistance à l’interne. Cependant, comme nous en avons discuté avec la ministre de la Justice à Saskatoon, cette résistance à l’interne n’est pas seulement présente de votre côté. Il y a également de la résistance à l’interne de notre côté. Comment faire en sorte de respecter le champ de compétence des lois et des politiques des gouvernements des Premières Nations?

Il est réellement nécessaire, sénateurs, d’offrir une formation approfondie à tout le monde et de sensibiliser les gens à la question. La relation historique que je vous décris depuis 20 minutes est méconnue et encore moins comprise. Je ne sais pas combien de sénateurs sont ici. J’en vois un petit nombre qui sait peut-être que les traités que vous avez conclus avec nous sont des traités internationaux. Les traités en couleur sur le document que je vous ai remis sont ce que nous appelons des « traités intérieurs ». Pourquoi? C’est parce qu’une seule partie prenante au traité leur a donné force de loi. Voilà pourquoi ce sont des traités intérieurs. Nos traités sont des traités internationaux auxquels les gouvernements des Premières Nations et la Couronne du chef du Canada doivent donner force de loi.

L’articulation du droit relatif aux compétences du gouvernement nécessitera aussi l’articulation du champ de compétence des lois. Vous le faites avec le Code civil français au Québec et la Common Law anglaise au Canada. Nous l’avons déjà vu de l’autre côté de la frontière entre des gouvernements tribaux et étatiques et le gouvernement fédéral. Quand déciderons-nous d’adapter le droit des Premières Nations et de trouver comment l’arrimer à la Common Law anglaise et au Code civil français?

Lorsque votre comité se penchera sur les nouvelles institutions et l’avenir, je crois qu’il devra examiner la façon dont ce sera fait et mis en œuvre. Vendredi, j’ai dit aux représentants: « L’une des nouvelles institutions dans votre système de justice devra créer quatre sièges à la Cour suprême du Canada pour représenter le droit des Premières Nations. » Vous avez déjà quatre juges français qui font respecter le Code civil français du Québec, et le reste des juges font respecter la Common Law anglaise du Canada.

Je vous ai remis un document, sénateurs, sur la nécessité de mettre en place de nouvelles institutions et structures juridiques et politiques au gouvernement fédéral et au Parlement. Dans ce document, je mentionne clairement le type de nouveaux postes et de nouvelles structures nécessaires au gouvernement fédéral. Au ministère de la Justice, il y a la création d’une section sur les relations juridiques entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations; le ministère des Finances et les autres ministères feront de même.

Le premier ministre a maintenant annoncé la création d’un nouveau ministère qui peut aller de l’avant avec la mise en œuvre de ces relations. Toutefois, quant à la restructuration du Parlement, nous avons besoin du conseil de réconciliation qu’avait recommandé l’ancien juge Sinclair, qui a présidé la commission. Je lui ai dit qu’il ne lui avait pas trouvé de place. Il m’a répondu que sa place était au Parlement, mais nous avons également besoin au Parlement d’une commission des traités.

Je vous rappelle, sénateurs, que vous pouvez dès maintenant mettre en place ces éléments. Si nous voulons profiter de l’élan dont nous profitons actuellement, nous devons établir maintenant de nouvelles institutions juridiques et politiques du Parlement au sein du gouvernement fédéral, des Premières Nations, des nations inuites et de la nation métisse. Nous ne devons pas attendre 11 mois pour le faire, parce que nous aurons les élections fédérales. Tous les partis et tous les sénateurs doivent adhérer à ce plan. En ce qui concerne les diverses politiques colonialistes dont j’ai parlé, le livre blanc de 1969 était une politique libérale, et le précipice à bisons des années 1980 était une politique conservatrice. Le NPD essaie de dire qu’il n’a pas pris part à ces politiques. J’ai habité toute ma vie en Saskatchewan, et nous avons eu des gouvernements NPD durant plus de la moitié de cette période. Bon nombre des politiques sont les mêmes. Il n’y a aucun parti au Canada qui n’a pas participé à la mise en œuvre de ces politiques colonialistes de transfert des responsabilités et d’auto-termination.

En regardant l’ensemble de ce scénario, je me dis que j’aurais aimé disposer d’au moins un jour et demi avec vous afin d’aller en profondeur dans tous ces processus où vous avez changé votre politique de consultation pour une politique d’engagement, par réforme et par secteur: réforme en éducation, en santé, en matière de développement social et dans le domaine de la justice. Et l’on ne peut participer que si l’on a reçu une invitation. On ne peut pas le faire de son propre chef. Le processus d’engagement ne fonctionne plus que par invitation, et dans certains des premiers processus que j’ai vus, vous invitez les Indiens qui ont travaillé pour vous à ce processus. Quelle sorte de procédé est-ce là?

Que fait l’article 35? Pour l’article 35, j’étais là du début à la fin, et où que je sois allé à Londres, en Angleterre, je n’ai pas vu un seul d’entre vous. J’ai passé bien des jours là-bas, seul, pour tenter de maintenir l’article 35 dans la Constitution.

Je vous ai expliqué les raisons historiques qui justifient la présence de cet article dans la Constitution, mais chaque fois que je me suis rendu à ces séances du comité de la Chambre des lords et du comité du cabinet des Affaires étrangères, on m’a dit que l’article 35 était une boîte vide. Je leur ai dit: « Comment peut-il être une boîte vide? N’avez-vous pas adopté la Proclamation royale de 1763? Si, vous l’avez fait. »

Mais que fait l’article 35? L’article 35 reconnaît la souveraineté de nos nations. Ce sont les mots de feu le juge Dickson. Lorsque je l’ai rencontré, il était en train de réécrire les conditions de la Commission royale et je lui ai montré mes tableaux. J’étais chef à l’époque et voici ce qu’il m’a dit: « Chef, ne leur laissez jamais faire abstraction de la Proclamation royale de 1963 dans la Constitution et dans le cadre, et je vais vous dire pourquoi. La Proclamation royale reconnaît la souveraineté de vos nations et votre autorité nationale à négocier des traités. Elle fournit le cadre à la négociation des traités entre les Premières Nations et la Couronne, et elle reconnaît tous vos droits et titres inhérents. »

Il a dit que l’article établissait la reconnaissance de nos droits inhérents et de notre souveraineté sous la forme d’une charte des droits. Ce sont les instructions royales qui encadrent l’établissement des lois dans le Canada d’aujourd’hui. Il a ajouté: « Vous allez néanmoins avoir besoin de votre propre charte des droits sous les auspices de votre propre gouvernement, et aux termes de vos propres compétences et de vos propres lois. »

Mais qu’en est-il de l’application de l’article 35 à l’heure actuelle? Voici ce que j’ai dit à la ministre de la Justice: « Voyez, l’article 35 étend considérablement votre autorité et vos compétences aux termes du paragraphe 91(24). Vous pouvez légiférer — et vous avez la capacité de le faire — dans tout secteur qui pourrait avoir une incidence sur nos relations et sur les arrangements que nous avons pris dans le cadre des négociations des traités de souveraineté établissant nos droits inhérents et les droits découlant des traités par secteur. »

Mais l’article 35 fait d’autres choses encore. Dans le passé, le paragraphe 91(24) relevait d’Affaires indiennes en tant que ministère. Sauf que l’article 35 a des répercussions dans tous les ministères, au Bureau du premier ministre, au Conseil privé et dans tous les organismes gouvernementaux du pouvoir fédéral. Il ne concerne pas qu’un seul ministère. Comme je le dis tout le temps, les traités fournissent la transférabilité de notre souveraineté, de nos droits inhérents et des droits conférés par nos titres et nos traités. L’article 35 fait maintenant la même chose: il permet la transférabilité de notre statut en ce qui concerne notre souveraineté, les droits conférés par traités, et les droits et titres inhérents.

La présidente : Sénateur Anderson, il ne nous reste que 20 minutes, et je sais que certains sénateurs aimeraient vous poser des questions.

M. Sanderson : D’accord. Je crois que je vous en ai donné beaucoup à vous mettre sous la dent.

La présidente : C’est effectivement le cas, et je sais que vous avez des tonnes d’autres renseignements à nous donner, dont ceux que vous m’avez communiqués antérieurement et que j’ai remis à la greffière.

Je sais que vous retenez le document qui porte sur les nouvelles institutions et les nouvelles structures. Nous aimerions pouvoir y jeter un coup d’œil. Je vous prierais par conséquent d’en déposer une copie au comité pour que nous puissions l’annexer à nos témoignages, car il y a de l’information que vous n’avez pas été en mesure de nous communiquer. Comme vous l’avez dit, je sais que vous avez certaines idées formidables. Or, comme vous n’êtes pas arrivé à nous les présenter toutes dans le temps qui vous était imparti, nous aimerions avoir une copie de ce document pour que notre analyste et les membres du comité puissent en prendre connaissance.

M. Sanderson : Je vais vous laisser cet autre document concernant les accords de mise en œuvre par secteur. Il décrit l’étendue du droit des Premières Nations et les nouvelles lois fédérales qui seront requises selon les secteurs. Le document a été adopté par les chefs de notre assemblée, et celui qui définit l’étendue des lois requises a aussi été déposé lors de la rencontre d’Edmonton sur les traités no 1 à 11. Les 300 chefs et représentants de chefs présents à cette rencontre ont travaillé à l’adoption et à la modification de cette liste de lois. Je vais vous laisser ces deux documents.

L’autre document que je tiens à vous remettre fait le point sur la mise en œuvre de ce dont j’ai parlé, et je peux vous en laisser une copie. Il contient le document sur la portée des relations juridiques et politiques et sur la mise en œuvre de l’article 35.

Il y a aussi le document que j’ai préparé il y a 25 ans à l’intention des Premières Nations sur la façon de créer un budget et de le mettre en œuvre. Comme je l’ai dit, personne n’est allé dans cette direction ou n’a réussi à cet égard, et pourtant, vous vous attendez à ce qu’ils embrassent les nouvelles relations financières. Je vais aussi vous en laisser une copie. Nous pensions que nous avions fait de l’excellent travail, mais nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas prévu de budget pour le secteur de la justice, ce à quoi il faudra remédier.

La présidente : Merci. Plusieurs sénateurs souhaitent vous poser des questions, en commençant par le vice-président du comité, le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : C’est un privilège, sénateur, de vous avoir parmi nous et de pouvoir profiter de tout le travail passionné que vous avez fait au cours de votre vie au nom des peuples autochtones. Pour cela, je vous dis merci. Vos propos tombent pile avec l’étude que nous menons présentement sur les nouvelles relations.

Je vais tenter d’être très bref.

Au début de votre exposé, vous avez parlé d’une entente conclue aux termes d’un traité pour faire en sorte qu’un certain pourcentage des revenus soit mis de côté afin de payer pour les traités. Pourriez-vous nous donner des détails sur ces engagements qui ont été pris? Cette information figure peut-être dans les documents que vous allez déposer, mais j’aimerais néanmoins en savoir un peu plus sur ce processus et sur la façon dont cet accord a été conclu.

Je vais tenter de resserrer cela autant que faire se peut. Vous parlez des gouvernements des Premières Nations comme d’entités qui seraient présentes dans la communauté et qui fonctionneraient à partir de vrais budgets « communautaires », plutôt qu’avec les ententes de contribution que nous connaissons tous.

Les membres des Premières Nations vivent de plus en plus en dehors des réserves. Cela est peut-être attribuable au fait que l’État néglige d’y fournir des services adéquats. Je ne blâme personne qui ne vivrait pas dans une réserve ou qui aurait déserté les réserves, mais, comme vous le savez, ils sont de plus en plus nombreux à vivre à l’extérieur de ces réserves. Ils sont éparpillés dans les villes d’un peu partout au pays et, bien entendu, les Métis se sont passablement mélangés à la population non autochtone.

Vous avez clairement parlé de l’établissement d’un gouvernement souverain pour les Premières Nations. Je me demande simplement comment cela pourrait s’organiser, attendu que nous ne savons pas où les résidents de ce gouvernement seraient et où ils vivraient, et que nous ignorons comment ils pourraient s’organiser. Je ne sais pas si je me suis bien exprimé, mais pourriez-vous, s’il vous plaît, nous dire de quoi il retourne?

M. Sanderson : Oui. En ce qui concerne votre première question, si vous consultez vos propres archives, vous allez trouver des discussions de fonctionnaires et de ministres sur la façon de respecter les engagements pris dans le cadre des traités conclus. On y discute aussi de la nécessité de réserver chaque année une partie des revenus pour être en mesure d’honorer ces engagements. Vous devriez pouvoir retrouver ces discussions dans vos archives ainsi que des détails sur les choses qu’ils comptaient faire sur une base annuelle pour constituer ce fonds en fiducie.

En ce qui concerne votre question à propos du gouvernement axé sur la communauté, sachez que je veux parler de notre système traditionnel de gouvernance. Vous êtes au fait de votre propre façon de gouverner. C’est un système où la gouvernance se fait de haut en bas.

Notre gouvernance est axée sur la communauté.

Les droits inhérents relatifs à l’autodétermination et les pouvoirs permettant de gouverner appartiennent au peuple et aux membres de nos communautés, et non au chef et au conseil. De qui avez-vous appris les systèmes de gouvernance axés sur la démocratie? La plupart des personnes qui sont venues au Canada viennent de pays qui ne connaissaient que la dictature. Vous avez appris ces systèmes démocratiques de gouvernance de nos systèmes claniques fondés sur la parenté, et les fonctions des clans reprenaient une bonne partie des fonctions de vos pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, et des systèmes de gestion administrative.

Notre système de gouvernance avait des portefeuilles, mais on ne les appelait pas comme cela. Il s’agissait de sociétés disciplinées et savamment structurées qui œuvraient dans tous les secteurs où nous gouvernions. Ces sociétés n’étaient pas limitées à une seule nation. Certaines faisaient le pont avec d’autres nations de l’Île de la Tortue. Elles ne se limitaient pas au Canada. Dans le système de gouvernance dont je parle, il faut se rappeler qu’il y a déjà eu un chevauchement de statut pour vos propres citoyens. Lorsque vous êtes député et que vous vivez à Ottawa, et que vous retournez dans votre patelin en tant que député, rien ne change pour vous. Vous avez le même statut et les mêmes avantages aux deux endroits. Nous aurons aussi un chevauchement des statuts. Vous permettez d’ailleurs déjà à la nation Nisga’a d’avoir un gouvernement local à Vancouver pour les citoyens Nisga’a de Vancouver. Voilà de quoi je parle. Vous vous servez de votre créativité pour tenir compte de ce que vous voulez faire et pour vous permettre d’y arriver. Nous pouvons procéder de la même façon.

Pour avoir la double citoyenneté, il faut que nous ayons la nôtre. Pourquoi un Inuit perd-il son statut lorsqu’il se marrie en territoire cri? Pourquoi un Cri perd-il son statut lorsqu’il se marie en territoire Inuit? Qu’y a-t-il de mal à ce que nos gens aient leur propre double citoyenneté? Rien.

Ces choses au sujet desquelles vous me posez des questions, ce sont des choses que vous faites déjà. Il y a un chevauchement entre les pouvoirs fédéral, provinciaux et municipaux. Avec les nouvelles institutions et les nouvelles structures, il faudra trouver une façon de nous permettre de concrétiser nos pouvoirs et nos lois comme nous l’entendons, dans le respect des vôtres.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup à vous deux d’être ici aujourd’hui. Soit dit en passant — et vous en avez parlé dans votre exposé —, peu importe ce que sera le résultat de ce processus, je crois que si nous réussissons à trouver une marche à suivre et à nous entendre là-dessus, il faudra l’expliquer clairement aux 90 ou 94 p. 100 de Canadiens qui ne sont pas de descendance autochtone. Il faudra également l’expliquer aux Autochtones eux-mêmes.

Je siège à ce comité depuis quatre ans et demi, et je ne sais toujours pas à quoi ressemble la situation idéale. Ce que nous espérons faire grâce à la présente étude — nous terminons le volet historique, et vous nous avez donné une masse de bons renseignements à cet égard, comme d’autres l’ont fait avant vous —, bref, ce que nous cherchons à faire c’est ceci: nous estimons désormais que la réponse sera de regarder l’avenir et d’essayer d’élaborer des principes émanant d’une vision de ce à quoi l’idéal doit ressembler pour vos petits-enfants et les petits-enfants de ces derniers. À quoi cet idéal ressemble-t-il? Que font-ils au quotidien dans ce monde parfait? Comment interagissent-ils avec les autres Canadiens, avec leur culture? Selon vous, à quoi leur vie devrait-elle ressembler dans ce monde idéal?

J’aurais deux questions à vous poser dans cette veine. Est-ce que l’un de vous pourrait me décrire la vie qu’il souhaiterait voir pour ses arrière-petits-enfants vivant au Canada à l’âge adulte ou comme enfant dans un système où toutes les structures seraient établies et où tout ce dont nous discutons maintenant serait loin derrière?

Pouvez-vous nous donner une orientation qui nous permettra d’établir des principes à partir desquels nous pourrons trouver la marche à suivre pour la suite des choses? Je dois vous l’avouer: avec tout ce que j’ai entendu, j’ai la tête qui tourne. Je ne sais pas comment je pourrais formuler une solution ou des principes à partir de ce que vous avez dit. Alors, je me demandais s’il vous serait possible de nous faire part de vos réflexions concernant la vie à venir de vos propres descendants.

M. Sanderson : C’est une bonne question, car vous pouvez faire un parallèle avec le Code civil français au Québec et la common law anglaise. Un Français du Québec peut très bien fonctionner partout au Canada, y compris dans sa province, sans changer de statut ou d’identité. Je suis un Cri. Aux termes de la loi actuelle, mes arrière-petits-enfants, mes câpâns, sont inscrits comme Indiens, sans statut ni avantages.

Le sénateur Tannas : Où vivent-ils?

M. Sanderson : À Prince Albert, en Saskatchewan.

Lorsqu’il est question des Indiens qui vivent hors réserve ou dans les réserves, comme je viens de vous le dire, notre souveraineté, nos droits et nos statuts sont transférables. Il n’y a pas de raison d’attendre. Débarrassez-vous tout de suite de cette politique qui sépare les Indiens qui vivent hors réserve de ceux qui vivent dans les réserves. Quand je dis que je suis un Cri, je veux que mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants soient des Cris eux aussi. Je veux qu’ils soient pleinement reconnus comme des Cris, et que leur culture et leur langue soient celles des Cris. Lorsque ce statut leur sera acquis, ils pourront vivre leur vie n’importe où, comme vous le faites, et faire n’importe quoi. Ils seront dûment représentés et ils pourront s’investir pleinement dans ce qu’ils choisiront de faire. Voilà ce que nos lois et nos pouvoirs doivent viser.

C’est ce que vous devez permettre, comme vous l’avez fait pour vous-mêmes avec le Code civil français et la common law anglaise. Cela n’enlèvera rien à votre statut, à votre identité et aux avantages dont vous jouissez. Oui, vous allez devoir prévoir des droits et avantages spéciaux dans les traités, et tenir compte de nos droits inhérents. Eh oui, il faudra des efforts colossaux pour éduquer les gens. Or, vous savez ce que vous faites à l’heure actuelle? Vous êtes en train de mettre en œuvre la réconciliation par l’intermédiaire des universités. Et que font les universités? Elles offrent de nouveaux programmes de formation et d’enseignement grâce à votre financement, celui-là même que nous tentons d’obtenir pour financer notre Université des Premières nations du Canada et la formation dont je vous parle. Vous êtes en train d’enseigner aux Amérindiens comment coloniser les Amérindiens, aux Inuits, comment coloniser les Inuits, et aux Métis, comment coloniser les Métis. La réconciliation, ce n’est pas cela. Vous voulez éduquer? Dans ce cas, pourquoi ne pas enseigner les vraies notions de base?

Parmi celles dont j’ai parlé, l’une des plus délicates est la question de la souveraineté. Actuellement, votre gouvernement et votre Parlement refusent de reconnaître la souveraineté inhérente de nos nations, et ce, malgré les instructions valides émanant de la Cour suprême. La réconciliation doit être envisagée en fonction de ce cadre juridico-politique exhaustif. Il n’y a pas de cadre sérieux pour les relations fiscales ou pour la réconciliation. Il y a un cadre modeste pour donner suite aux 94 appels à l’action et pour réformer la justice. Toutes ces initiatives devraient s’inscrire dans ce cadre juridico-politique exhaustif.

Pourquoi devez-vous créer tous ces petits cadres lorsque vous avez ce cadre juridique exhaustif? Je comprends ce que vous me dites lorsque vous affirmez que la tête vous tourne. Vous auriez dû voir les gens de Justice, vendredi, lorsque je leur ai fait mon exposé. Je leur ai dit: « Je ne suis pas ici pour vous donner de l’information. Je suis ici pour aider au lavage de votre cerveau. »

Le sénateur Sinclair : J’ai assisté à une réunion, monsieur Sanderson. Je vous souhaite la bienvenue et je m’excuse d’être arrivé en retard à votre présentation.

J’assistais à une réunion où il était question d’assimilation. Un des intervenants, un dirigeant autochtone, a dit: « Il n’y a rien de mal à assimiler un groupe. En fait, notre plan est d’essayer de vous assimiler tous ».

Je reconnais que nous approchons la fin de votre intervention et que nous voulons essayer d’apprendre bien des choses de vous pendant le temps dont nous disposons. Je vous sais gré des documents que vous nous avez donnés parce que je les ai vus en différents formats à ce jour.

Un des sujets dont le comité se soucie et qu’il essaiera de traiter est celui de savoir à quoi ressemblera l’autonomie gouvernementale de demain, sujet qui nous porte à penser à la nature des instruments d’autonomie gouvernementale à l’échelle locale. Est-il ici question d’élargir les pouvoirs, la compétence et l’autorité des organes qui sont maintenant des organes créés par la Loi sur les Indiens? Est-il ici question de créer d’autres types d’organes? Est-il ici question d’organiser ou de faciliter les structures organisationnelles de la nation crie pour devenir un organe d’autonomie gouvernementale? Est-il ici question de le faire sur la base d’un traité ou sur une base régionale?

Je me demandais si vous pouviez nous dire ce que vous en pensez avant de partir.

M. Sanderson : Oui. Sénateur Sinclair, je vous sais gré d’avoir posé cette question, car les Autochtones se demandent la même chose à l’interne, et nous devons déterminer la portée de la base élargie des pouvoirs à l’échelon communautaire. Comme je l’ai dit, ce sont les gens, les familles et la collectivité qui détiennent les droits et pouvoirs inhérents, et la base élargie des pouvoirs comprend la façon dont nous réglementons nos affaires internes, externes et internationales par l’intermédiaire de nos systèmes de gouvernance.

Il faut mettre en place une organisation politique et structure de gouvernance qui reconnaisse officiellement, selon les règles d’aujourd’hui, le pouvoir législatif de notre gouvernement, composé de membres de la collectivité, de représentants des familles à un conseil de famille, investis du pouvoir de gouverner, mais en gardant le chef et le conseil ainsi que les offices et les commissions qui forment le pouvoir exécutif. Le conseil de famille et les membres de l’assemblée formeront le pouvoir législatif, tandis que le chef et le conseil ainsi que les divers offices et commissions et la haute direction formeront le pouvoir exécutif, comme je l’ai mentionné. Nous mettrons en place notre pouvoir judiciaire en vue d’instaurer notre système de justice réparatrice.

Votre système actuel est un système de justice pénale punitif. Notre système est réparateur: il doit rétablir l’équilibre et l’harmonie quand une personne commet une infraction à l’encontre de sa collectivité ou de sa famille, et nous examinons ensuite le processus. Des années 1900 aux années 1950, nous avons eu des chefs et des conseils élus conformément à la Loi sur les Indiens, et l’agent des Indiens était pleinement responsable de tout. Comme vous le savez, une des raisons qui expliquent cela est que, jusqu’à 1950, la Loi sur les Indiens nous interdisait de nous assembler.

Alors, en 1960, le gouvernement fédéral a établi ce que vous appelez des structures d’auto-administration pour mettre en œuvre les lois et compétences fédérales et provinciales. C’était en 1960, mesdames et messieurs les sénateurs.

En 2017, nous faisons toujours la même chose. Nous n’avons pas de structures de gouvernance organisationnelles, politiques et officielles. En conséquence, dans la fédération des nations, par exemple, nous sommes passés des groupes dissidents à l’Union of Saskatchewan Indians et à la FSIN en 1980. Au début des années 1980, nous sommes allés à la fédération des nations au titre d’une convention, qui est un accord politique ratifié par toutes les bandes de la Saskatchewan. Nous avons parcouru la province pendant deux ans et demi pour la faire ratifier par les membres des collectivités, pas seulement par le chef et le conseil.

Cet accord politique forme la fédération des nations qui franchit les limites de quatre nations, soit les Sioux, les Saulteaux, les Cris et les Dénés. Il franchit les limites des traités qui sont là. Il permet la reconnaissance politique de l’autonomie de chaque collectivité. Les traités ne reconnaissent que les collectivités et les unités politiques de leurs nations respectives. C’est la Loi sur les Indiens qui a créé les bandes.

Au titre de la convention de la fédération des nations, nous avons déjà la capacité de mettre en œuvre la FSIN qui reconnaît l’autonomie politique de chacune des collectivités, dans le cadre de leur organisation politique et structures de gouvernance, et des conseils tribaux.

Nous avons mis en œuvre la FSIN en application de la Convention Act, qui établit officiellement ses organes de gouvernance. Nous nous assemblons en toute légalité — l’Assemblée des chefs. Ces sièges ne sont pas assignés aux chefs, mais bien à leurs collectivités. Nous siégeons dans ces assemblées et adoptons des lois et politiques, comme vous le faites au Parlement et dans vos assemblées législatives. Il s’agit d’une assemblée politique légale qui est déjà en place. Les organes de gouvernance de l’exécutif et du conseil exécutif sont régis par la loi exécutive portant création de ces organes de gouvernance, qui définit leurs fonctions, leurs devoirs et leurs responsabilités.

Nous devons faire la même chose à l’échelon communautaire en ce qui concerne notre façon de cerner clairement les rôles et fonctions des chefs et des conseils ainsi que de leurs organes de gouvernance. Encore une fois, les conseils tribaux ont été constitués conformément à vos politiques fédérales. Ils n’ont plus à l’être maintenant. La Prince Albert Grand Council Convention Act peut mettre en œuvre la convention au titre de laquelle sont formées leur organisation politique et structures de gouvernance en application des lois et compétences de notre gouvernement des Premières Nations.

Lorsque nous examinons l’état de nos systèmes de gouvernance, nous constatons que nous mettons en œuvre notre souveraineté inhérente et nos types de gouvernement en fonction de nos traditions, de nos coutumes et de nos pratiques, que vous connaissez. Cependant, comme je l’ai mentionné, mesdames et messieurs les sénateurs, il est temps que nous rétablissions certaines de ces sociétés hautement structurées et disciplinées que nous avions en appliquant les fonctions et devoirs du gouvernement, mais dans le contexte de nos propres lois et compétences gouvernementales.

Le sénateur Watt : Merci, monsieur Sanderson et merci aussi à votre conjointe. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui. Vous et moi avons accordé beaucoup d’attention aux questions que vous avez soulevées sur un certain nombre d’années. Je dirais que nous avons commencé à l’approche de 1982. C’était il y a de nombreuses années.

Il faut réexaminer et traiter bien des sujets pour tirer des conclusions, des questions que vous avez soulevées. Il s’agit là d’étapes très importantes que doit suivre le « système », comme on pourrait l’appeler, le gouvernement, le Parlement, y compris le Sénat.

Nous aurons probablement une autre élection prochainement, et la question est de savoir si nous allons remettre cela après l’élection et traiter du même sujet, par exemple celui de ne pas vraiment savoir où nous allons, du moins du côté du Parlement. Il ne nous a donné aucune directive que ce soit. Le peuple autochtone n’a pas non plus dégagé de solution concrète qui, selon nous, pourrait marcher. Il est grand temps que cela change.

Si nous continuons à attendre que le gouvernement du Canada ou le Parlement trouve une solution ou fasse une proposition, je crois que nous perdons notre temps. Je pense que c’est à nous qu’il revient de faire ce que nous pouvons pour trouver des solutions concrètes.

Vous avez soulevé nombre de sujets dont personne, à ce jour, n’a parlé. Si je comprends bien, ils couvrent assez bien les secteurs que nous devons visiter et pour lesquels nous devons aussi trouver une solution.

Cela dit, vous n’aviez qu’une heure pour faire votre présentation. Ce n’est pas suffisant; vous auriez eu besoin de plus de temps.

Le comité devrait se pencher sérieusement sur ce que vous avez soulevé dans votre présentation, car vous nous avez donné beaucoup de renseignements, et nous devons décider comment nous allons les abréger et les traiter. Cela étant dit, je m’inquiète de ce qui viendra ensuite. Le comité n’a pas vraiment de système qui vous permettrait d’être reconnu et de faire valoir que vous êtes un intervenant très différent qui soulève un nouveau sujet devant être traité.

J’aimerais que les membres du comité finissent par prendre conscience du fait que vous avez présenté beaucoup de renseignements que nous devons traiter. Au bout du compte, les sénateurs qui siègent au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones doivent formuler des recommandations.

Avant que cette recommandation soit formulée, j’aimerais exercer un peu d’influence sur mes collègues pour m’assurer que nous puissions vous inviter de nouveau, non pas une fois, mais plusieurs pour être certain des recommandations que nous formulerons.

J’aimerais formuler cette recommandation parce que je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder les autres sujets que j’aurais aimé aborder. Cependant, ni vous ni moi n’avons le temps de le faire en ce moment, car la réunion tire à sa fin.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, monsieur Sanderson. Je vous remercie aussi pour l’œuvre de votre vie; votre initiative me donne l’impression d’être au niveau de la maternelle. Je vais vous poser une question pour laquelle j’ai plus l’impression d’être en première année, et elle concerne une partie du travail dont vous avez parlé en particulier et d’autres documents que j’ai eu le privilège de lire concernant le travail qu’il est nécessaire d’accomplir sur les plans de la justice et de la justice sociale et de domaines du genre.

Ma question est en deux volets : est-il possible de faire cela graduellement? Est-il possible, par exemple, de s’attaquer à certaines des questions de justice sociale indépendamment de la question de la souveraineté en général? Je le demande bien humblement. J’ai entendu ce que vous avez dit concernant le besoin de jeter un regard global sur la souveraineté des Premières Nations, des Inuits et des Métis, mais est-il possible de le faire graduellement? Une de mes craintes — et je vous demande de vous prononcer là-dessus — est qu’il est possible qu’on puisse étudier certains secteurs de la justice séparément, mais je crains aussi que cela pourrait mener à un délestage des problèmes sur les collectivités autochtones, y compris l’incidence de la colonisation sur de multiples générations dont vous avez parlé dans d’autres domaines: le suicide, les questions de santé mentale, le bien-être des enfants et l’incarcération disproportionnelle des Autochtones.

Est-il possible de le faire graduellement? Comment pouvons-nous le faire de façon à décoloniser? Certains des comités de la justice que j’ai eu le privilège de rencontrer et avec lesquels j’ai pu m’entretenir ont, dans les faits, quasiment accepté la structure coloniale et essaient même de pratiquer la justice réparatrice en suivant vraiment les principes de la colonisation. Je vous invite à vous prononcer sur ce point. Je m’excuse si c’est un sujet si élémentaire que je devrais le savoir, mais je ne le sais pas.

M. Sanderson : C’est une très bonne question. Elle m’est posée constamment. Vous voyez, la situation à laquelle nous devons faire face de ce côté du tableau est entièrement fondée sur des programmes administratifs et elle accorde la priorité à un point à la fois au lieu d’aborder les questions secteur par secteur.

En tant que dirigeant, je n’ai jamais accordé la priorité à quoi que ce soit. J’ai toujours travaillé à toutes les questions. Si vous voulez établir des priorités, vous pouvez le faire dans le secteur de l’éducation ou de la santé et dans divers secteurs, mais n’accordez jamais la priorité à l’éducation au détriment de la justice, à la justice au détriment de l’économie, et cetera.

Vous devez rehausser le niveau du programme pour en faire un programme politique. C’est sur ce point que l’on oppose une forte résistance en ce moment. Tout le monde est coincé dans le programme administratif sans le faire avancer et le rehausser pour en faire un programme politique qui traite le genre de sujet que je viens de vous présenter.

Côté financement, il est important de ne pas seulement créer de nouvelles institutions juridiques et structures gouvernementales maintenant. Nous avons besoin de verser un financement appréciable aux Premières Nations. Je n’ai eu aucun financement pour produire tous les documents que je vous ai apportés et accomplir tout le travail que j’ai fait. J’ai tout fait sans aide.

J’ai payé mon voyage à Ottawa avec mes points Aéroplan. C’est ce que j’appelle la stratégie tactique coloniale: des tactiques et des mots spéciaux, et de l’intimidation sur les plans économique, financier et judiciaire.

Si j’avais eu la moitié du financement dont les sénateurs disposent, vous auriez mille fois plus de renseignements que je vous en ai fournis. Je plaisante.

Mais ce sont de bonnes questions. C’est le principal problème en ce moment. Nous sommes coincés à ce niveau administratif colonial. Nous devons l’élever au niveau des relations souveraines découlant de traités et au niveau politique. Le Sénat doit le faire. Vous êtes une des institutions nationales du Canada. Voulez-vous assurer la sécurité et la viabilité? Créez un comité sénatorial sur les relations découlant d’un traité et la souveraineté. Pouvez-vous le faire? Oui, vous le pouvez. Alors faites-le. Vous voyez, dans ma position, je réponds à des questions et je fais des suggestions, et je dis « faites-le ».

Je suggère, sénatrice Pate, à titre de président du Sénat, que je veux que vous examiniez les mesures que vous pouvez prendre pour créer un comité sur les relations souveraines découlant de traités au Sénat. Soyons sérieux. Si nous le sommes, faisons-le. N’ayons pas peur de parler de souveraineté. N’ayons pas peur de parler de l’interface du droit juridictionnel et du gouvernement.

J’espère que cela répond, en quelque sorte, à votre question. Comme je l’ai dit concernant la logistique d’établir des priorités, je peux prioriser des questions dans un secteur, mais je ne donne jamais la priorité à un secteur au détriment d’un autre.

La sénatrice Pate : Pour vous, apporter un changement graduel équivaudrait-il alors à établir des priorités? Je vais vous donner l’exemple d’un des secteurs dans lequel un certain nombre d’entre nous essayons d’encourager les collectivités à vraiment se servir de la loi en vigueur pour ramener chez eux des gens qui se trouvent actuellement en prison. Certaines parties de la loi le permettent, mais les politiques en ont limité la possibilité. En conséquence, le financement qui sert actuellement à incarcérer des gens pourrait être investi dans les collectivités. Ce serait une façon graduelle de procéder. Je ne verrais pas nécessairement cela comme une façon d’accorder la priorité à la justice, mais plutôt de récupérer des ressources pour faire une partie de ces choses. Lorsqu’il est question des femmes, notre directeur parlementaire du budget dit que le montant se chiffre à 348 000 $ par année. C’est une somme considérable qui pourrait être investie dans les collectivités. C’est en partie ce que je pense.

Vous souriez, alors cela semble peut-être bête comme question, et je ne demande pas mieux que vous me corrigiez.

M. Sanderson : Je souris, madame la sénatrice, car on l’a aussi mentionné. Permettez-moi de vous donner un exemple flagrant de la logistique et des problèmes. Dans la réserve, nous recevons 7 000 $ par étudiant pour couvrir les droits de scolarité. Si un étudiant quitte la réserve pour aller dans une école conjointe, il obtient 18 000 $ pour ses droits de scolarité. Si ce même étudiant se retrouve dans le pétrin et entre dans votre établissement correctionnel, il coûtera 120 000 $ par année. Donnez-moi 120 000 $ par année en droits de scolarité pour chaque étudiant et je vais vous montrer ce que l’on peut faire. Vous me suivez?

Vous voulez vider ces prisons? Graciez immédiatement 80 p. 100 des prisonniers. Ils n’ont pas commis d’infractions criminelles importantes. Laissez-les tous sortir. Pourquoi les gardez-vous enfermés? Donnez-nous les 120 000 $ par détenu dans la collectivité et nous allons vous montrer ce que nous pouvons en faire pour développer leurs possibilités au plan économique en leur offrant de l’éducation et de la formation.

J’espère que cela clarifie la question.

La sénatrice Pate : C’était excellent. Merci.

La présidente : Merci de vos questions, mesdames et messieurs les sénateurs. Je tiens à remercier tout spécialement M. Sol Sanderson. Vous nous avez fourni des renseignements très importants. Merci d’avoir déposé les documents. Merci de nous encourager à être des révolutionnaires qui sortent des sentiers battus. Nous prendrons assurément vos suggestions à cœur sur la façon d’interagir avec un comité spécial, car nous avons des pouvoirs, et peut-être que nous avons aussi besoin de sortir des sentiers battus au lieu de toujours suivre la route déjà tracée. Peut-être qu’il est temps pour nous de penser à différentes façons de procéder à l’avenir.

Merci beaucoup encore une fois. Il est clair que nous envisagerons sérieusement de vous inviter de nouveau, car vous avez tant de sagesse à nous transmettre.

(La séance est levée.)

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