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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 51 - Témoignages du 24 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 24 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je vous souhaite la bienvenue au comité cet après-midi.

[Traduction]

Bienvenue. Nous avons devant nous une séance très intéressante. Nous accueillons d’abord la représentante de l’Association du Barreau canadien, Mme Alexis Kerr. Elle est accompagnée de la responsable des questions d’éthique au Barreau canadien, Mme Darcia Senft.

Je crois comprendre que le représentant de l’Association canadienne des libertés civiles pourrait se joindre à nous plus tard. Nous l’accueillerons à ce moment-là.

[Français]

Nous accueillons également, par vidéoconférence, Me Marc-André Boucher et son collègue, Antoine Aylwin, tous deux de Fasken Martineau DuMoulin, qui sont les auteurs d’un traité sur le droit d’accès à l’information. Nous serons heureux de vous entendre, messieurs.

[Traduction]

Une fois que Mme Kerr aura présenté son mémoire, vous connaissez la procédure — cinq, huit minutes tout au plus, suivies d’une discussion ouverte avec les sénateurs présents.

[Français]

Je n’ai pas à vous rappeler que, bien sûr, nous étudions le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence.

[Traduction]

J. Alexis Kerr, vice-présidente, Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information, Association du Barreau canadien : Bonjour, distingués membres du comité. Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Ma collègue, Mme Senft, et moi sommes ici au nom de l’Association du Barreau canadien, l’ABC. Je suis vice-présidente de la Section du droit de la vie privée et de l’accès à l’information, et Mme Senft est présidente du Sous-comité de déontologie et de responsabilité professionnelle.

L’ABC est une organisation nationale qui représente 36 000 juristes et son but premier est l’amélioration du droit et de l’administration de la justice. Nos membres représentent des clients de tous les côtés du régime d’accès à l’information, aussi nous essayons d’avoir un point de vue équilibré sur les modifications que propose le projet de loi C-58. Notre mémoire écrit, que la plupart d’entre vous ont reçu — nous avons d’autres exemplaires au besoin —, est le fruit d’un effort collectif de ma section, du Sous-comité de responsabilité professionnelle, ainsi que du Sous-comité de la magistrature et de nos comités de liaison avec la magistrature de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt.

Pour commencer, disons que l’ABC est heureuse de constater qu’on fait des efforts pour moderniser la Loi sur l’accès à l’information. Nous considérons que cette modernisation se fait attendre depuis longtemps et nous appuyons les modifications qui protégeront et faciliteront l’accès à l’information, un droit quasi constitutionnel des Canadiens.

Nous sommes d’avis aussi que le projet de loi C-58 marque des progrès importants dans cette direction. Toutefois, d’autres améliorations peuvent et doivent être apportées au projet de loi dans sa forme actuelle.

Notre mémoire traite en particulier de trois aspects : le droit d’accès, la protection du secret professionnel de l’avocat et l’indépendance judiciaire.

En ce qui concerne le droit d’accès, nous sommes heureux d’apprendre que le ministre est d’accord pour supprimer l’exigence de l’article 6 du projet de loi C-58, selon laquelle le demandeur doit préciser le sujet, le type de document et la période visée par la demande. Nous encourageons le comité à proposer une telle modification.

En ce qui concerne la perception de droits de demande, l’ABC continue de s’opposer à ce que des frais soient imposés pour présenter une demande d’accès à l’information. Nous considérons ces frais comme faisant inutilement obstacle au droit d’accès. Autrement, l’ABC recommande dans tous les cas l’adoption de critères précis de dispense des frais, outre la possibilité pour une institution fédérale d’accorder cette dispense.

Nous appuyons l’idée que la Loi sur l’accès à l’information fasse l’objet d’un examen au bout d’un an puis tous les cinq ans, mais nous recommandons de confier cet examen à un comité parlementaire, avec, bien sûr, une consultation publique complète.

Enfin, et sous réserve de nos commentaires sur l’indépendance judiciaire, que Mme Senft va vous exposer à l’instant, nous notons que la divulgation proactive ne remplace pas le droit d’accès, et nous verrions d’un bon œil que la portée de la partie 1 de la loi s’étende à des organisations comme le cabinet du premier ministre, les cabinets ministériels et les services de soutien du Parlement, sous réserve d’exception pour le privilège parlementaire.

Ma collègue, Mme Senft, exposera maintenant brièvement nos préoccupations relatives au secret professionnel de l’avocat et à l’indépendance judiciaire.

Darcia Senft, présidente, Comité de déontologie, Association du Barreau canadien : Bonjour, monsieur le président et messieurs, mesdames les sénateurs et sénatrices.

J’imagine que vous avez pu prendre connaissance de notre mémoire, et je vais donc m’en tenir aux principaux points qui concernent le secret professionnel de l’avocat et l’indépendance judiciaire.

D’abord, en ce qui concerne le secret professionnel, les renseignements protégés par ce secret sont exemptés de la divulgation en vertu des lois fédérales sur la protection des renseignements personnels et l’accès à l’information, à la discrétion du responsable de l’institution. Les modifications proposées dans le projet de loi C-58 donneraient aux commissaires le pouvoir d’examiner ces renseignements et d’en ordonner la communication.

Je vais me concentrer sur deux points : premièrement, ce qu’on exige d’une loi qui prétend forcer la divulgation de renseignements protégés par le secret professionnel et, deuxièmement, qui devrait trancher les litiges en la matière.

Dans plusieurs décisions importantes, la Cour suprême du Canada a établi que, pour forcer la divulgation de documents protégés, une loi doit : être libellée de façon claire, explicite et non équivoque; demander la preuve que la divulgation est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs du législateur, autrement dit qu’il s’agit d’un dernier recours; privilégier une optique d’atteinte minimale au privilège du secret; enfin, laisser aux clients, non aux avocats, la réelle possibilité de faire valoir leur droit au secret professionnel.

Les modifications proposées ne répondent tout simplement pas à ces critères. Il ne suffit pas d’ajouter quelques mots au sujet du secret professionnel dans une loi et d’espérer qu’elle résistera à l’examen, lorsque le plus haut tribunal du pays a expliqué très clairement comment ces renseignements pourraient être exigés et à quel point il serait difficile d’en forcer la communication.

Les juges sont habituellement les arbitres des litiges portant sur le secret professionnel et, malgré tout, il est extrêmement rare qu’ils consultent les documents en cause pour se prononcer. Plus important encore, les juges sont des arbitres impartiaux. Les commissaires à la protection de la vie privée et à l’information ne le sont pas. Ils peuvent même nuire à l’intérêt d’un organisme public. La divulgation forcée de renseignements protégés à un adversaire éventuel constitue une entorse extrêmement grave à un fondement essentiel de notre système de justice. En termes simples, cette modification est malvenue et, d’après ce que nous comprenons, inutile. Nous recommandons donc de retirer du projet de loi les paragraphes 2 et 2.1 de l’article 15. Je me ferai un plaisir de commenter le paragraphe 2.2 lorsque nous passerons aux questions.

Au sujet de la publication proactive des dépenses des juges, l’ABC ne s’oppose pas à ce que les tribunaux rendent compte des dépenses de fonds publics, mais ne perdons pas de vue qu’au Canada, le pouvoir judiciaire est une branche distincte et indépendante du gouvernement. De plus, les principes constitutionnels de l’indépendance judiciaire ne se limitent pas aux prises de décisions. Ils englobent les juges dans leurs fonctions décisionnelles, les institutions judiciaires et les processus administratifs.

Il existe déjà des mécanismes calibrés avec finesse pour concilier l’indépendance judiciaire et la reddition de comptes sur l’utilisation des fonds publics. L’ABC croit qu’il est prudent d’exempter les juges et les tribunaux de l’application de la loi, mais nous avons des solutions de rechange qui, à notre avis, sont conformes aux objectifs généraux du législateur et aux principes de l’indépendance judiciaire.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous sommes prêtes à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Antoine Aylwin, associé, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, merci. J’ai quelques commentaires à vous adresser avant de passer à la période des questions.

Je comprends que le commissaire doit pouvoir voir les documents afin de juger si le privilège du secret professionnel s’applique. Je veux toutefois vous ramener à un principe qu’on connaît bien, et je pense que c’est le sénateur Dalphond qui le disait dans le cadre du dossier de l’Aluminerie Alouette : la confidentialité ne vit qu’une seule fois. Dans la plupart des cas où un tiers prend connaissance d’un document pour juger du secret professionnel, c’est un avocat ou un juge, ce qui n’est pas garanti par le projet de loi présentement. Je pense que c’est une considération que vous devriez avoir.

Deuxièmement, quant au pouvoir d’ordonnance, je pense que c’est une bonne avancée, c’est un avantage comparatif qu’offre le système d’accès à l’information du Québec qu’il n’y avait pas à l’échelon fédéral. On voit cela d’un bon œil.

Pour ce qui est des dispositions sur la divulgation proactive, je m’en remets aux commentaires reçus de l’Association du Barreau canadien quant à l’indépendance de la magistrature. Ces commentaires sont appropriés.

Ensuite, si j’aborde des modifications plus précises, il y a une difficulté d’application qu’on constate quant à la possibilité de traiter les demandes abusives. C’est un mécanisme qu’on connaît au Québec, parce que cela s’applique depuis des années. Par contre, le mécanisme de jugement d’une demande abusive est souvent lié au temps et aux efforts requis pour répondre à une demande. Dans le cadre de la Loi sur l’accès à l’information du Québec, on a un délai fixe de 30 jours maximum, tandis qu’en vertu de la loi fédérale, on peut prolonger le délai nécessaire pour pouvoir répondre à une demande. Donc, si on a la possibilité de prolonger le délai nécessaire, à quel moment la demande deviendra-t-elle abusive? Il faudra simplement plus de temps pour traiter une demande. C’est l’article 6 du projet de loi qui propose le nouvel alinéa 6.1(1)b). On souscrit au principe d’avoir un mécanisme pour gérer les abus, mais je pense que le mécanisme dans son application technique sera difficile.

Nous sommes en pratique privée et nous représentons des organismes publics et des tiers. Ce qu’on considère être un enjeu important de la Loi sur l’accès à l’information, c’est la gestion des droits des tiers. Premièrement, cette loi en général gère les tiers de façon subsidiaire. Ils sont toujours à la traîne du demandeur et de l’organisme public comme si leurs droits étaient moins importants. L’article 27, de la façon dont il est rédigé, permet à un organisme public de ne pas notifier un tiers lorsque des documents qui le concernent sont demandés sur la base d’une opinion formulée par le responsable d’accès, une opinion qui n’est pas nécessairement toujours éclairée. En vertu du principe du droit d’être entendu, on croit que vous devriez réfléchir à l’idée de prévoir un avis systématique.

De plus, je vous soumets que, bien souvent, il ne s’agit pas d’information gouvernementale. La Loi sur l’accès à l’information existe pour contrôler les gestes de l’appareil public. Lorsque des tiers fournissent des documents sur leurs affaires personnelles, on s’éloigne de l’objectif de la loi. Si, en plus, on les empêche de faire des représentations en raison du défaut d’avis, on s’éloigne des principes de justice naturelle et de la façon dont la loi devrait être appliquée.

Il ne faut pas se leurrer, la Loi sur l’accès à l’information est souvent utilisée par des compétiteurs pour obtenir de l’information privilégiée sur le marché. Nous avons beaucoup de dossiers avec Santé Canada et Transports Canada. Il y a des personnes qui ont l’obligation de déposer des documents confidentiels, des dessins techniques et des documents liés à de la recherche et du développement sur des médicaments qui sont menés à l’interne et qui valent des millions de dollars. Ce sont des documents volumineux et, souvent, ce seront des compétiteurs qui feront des demandes d’accès pour éviter des frais et pouvoir compétitionner. Par conséquent, si on constate que l’avis n’est pas systématique lorsqu’il s’agit de faire les représentations pour les tiers, on se retrouve dans un système qui crée des déficiences et des préjudices et qui est très éloigné de l’objet de la loi, comme je le mentionnais.

Je vais passer la parole à Me Boucher, qui pourra vous en dire davantage à ce sujet.

Marc-André Boucher, avocat, Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., à titre personnel : En ce qui concerne l’avis aux tiers — parce que c’est ce qui nous préoccupe, et c’est souvent ce qui préoccupe les gens que nous représentons, qui sont la plupart du temps des compagnies pharmaceutiques —, le problème est, d’une part, la violation de la règle audi alteram partem, le fait de ne pas pouvoir être entendu parce qu’on n’est pas notifié. D’autre part, c’est que la personne non notifiée ne peut pas contester la décision. Cela veut dire que c’est le principe même du contrôle judiciaire des décisions gouvernementales qui est ici mis en péril.

M. le juge Beaudry, de la Cour fédérale, l’avait noté dans une de ses décisions. Il avait bien dit que le fait que l’avis ne soit pas obligatoire — avis qui figure actuellement à l’article 27 de la loi actuelle — met gravement en péril le contrôle judiciaire, car, si cet avis n’est pas envoyé, la personne ne pourra pas contester et, de facto, la décision du responsable de l’institution fédérale se trouve immunisée, puisque personne ne la contestera.

M. Aylwin : J’ajouterais deux derniers points très techniques. Lorsqu’il s’agit d’imposer des frais pour les demandes d’accès, on ne voit pas la raison d’être des frais, comme on l’a dit précédemment au comité sénatorial. Je comprends l’idée du ticket modérateur, mais en ce moment, il est probable qu’il coûte plus cher à l’État de gérer et de percevoir les paiements de 5 $. Je crois qu’il s’agit davantage de mettre des limites au droit d’accès en cas d’abus, lorsqu’on doit gérer le volume des demandes d’accès. La Californie l’a fait à l’aide d’un projet de loi adopté en juin et qui entrera en vigueur en 2020. Ce projet de loi prévoit que la demande d’une personne qui demande accès à son dossier plus d’une fois dans une période de 12 mois peut être refusée. Il y a d’autres façons de limiter le droit d’accès que celle d’imposer un ticket modérateur financier par demande. Le projet de loi ne prévoit pas l’annulation du tarif, mais de nombreuses juridictions dans le monde, comme le Québec, n’imposent pas de coûts, et il n’y a pas péril en la demeure. Je pense que ce n’est pas nécessaire.

Mon dernier point — j’en profiterai pour me faire plaisir pendant que j’ai auditoire de sénateurs —, c’est que la Loi sur l’accès à l’information n’est pas rédigée de la façon la plus heureuse qu’on puisse voir parmi les lois. Elle est très lourde dans sa rédaction, et le projet de loi n’améliore pas cet aspect. Par exemple, et peut-être que vous allez voir mon jupon civiliste qui dépasse, toute la portion sur la divulgation proactive, qui fait 10 ou 15 pages, aurait pu tenir en 2 ou 3 pages. Le projet de loi reprend divers groupes auxquels la divulgation proactive s’applique, mais il ne fait que répéter les mêmes dispositions pour chacun de ces groupes.

C’était mon dernier commentaire, et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Boisvenu : Je vais être assez rapide, car nous sommes nombreux. Merci beaucoup à nos invités et à nos témoins de ces informations très enrichissantes.

Ma première question s’adresse à Me Aylwin et à Me Boucher. La commissaire, lorsqu’elle est venue présenter, ou critiquer, plutôt, le projet de loi devant le comité, nous a dit qu’elle n’avait pas beaucoup de pouvoir lorsqu’il s’agit de faire respecter ses décisions. Elle aimerait que le projet de loi soit modifié de sorte que ses décisions soient certifiées. J’aimerais vous entendre là-dessus.

M. Boucher : D’une part, on n’est pas contre le principe. On pense que cela pourrait être une bonne chose. Toutefois, je me souviens que, dans un rapport produit par un ancien juge de la Cour suprême du Canada — je pense que c’est M. le juge Gonthier, mais peut-être que je me trompe —, celui-ci avait longuement... D’ailleurs, on en parle dans l’arrêt Dagg, qui est un arrêt de principe en matière de vie privée : le commissaire est vu comme un ombudsman qui a un rôle non interventionniste de conseil.

On n’est pas contre l’idée de lui donner un pouvoir, mais il faudrait tenir compte du fait que cela puisse influer sur ce rôle d’ombudsman, puisqu’il serait dorénavant plus impliqué et devrait rendrait une décision. Il est vrai, comme le souligne la commissaire, que, très souvent, le rôle du commissaire n’a pas de mordant. Ses recommandations, les seuls pouvoirs qu’il a en ce moment, sont des pouvoirs de recommandation, sauf en matière d’enquête, mais, sinon, les commissaires recommandent et, parfois, les institutions fédérales refusent. L’idée n’est pas mauvaise...

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’il pourrait y avoir un compromis entre les deux?

M. Aylwin : Le pouvoir d’ordonnance qui est prévu dans le projet de loi fait déjà une bonne avancée quant au contrôle de la Cour fédérale, et on va éviter de tomber dans la zone grise où le commissaire rendait une décision qui n’obligeait personne à bouger. La seule chose qu’on pouvait faire, c’était d’aller en Cour fédérale pour obtenir gain de cause. Le pouvoir d’ordonnance aura un impact important à l’avenir.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

Madame Kerr, madame Senft, lorsque les ministres sont venus parler du projet de loi, ils en étaient très satisfaits. J’ai vu de nombreuses critiques sur ce projet de loi, ce qui signifie qu’il y a beaucoup de gens qui croient que ce n’est pas une très grande avancée sur le plan de la transparence, particulièrement en ce qui a trait aux bureaux des ministres et du premier ministre.

On dit que la divulgation sera presque totale, alors qu’il y a déjà beaucoup d’information qui est disponible sur demande depuis 2006; je pense aux lettres de mandat et aux frais de dépense, par exemple.

Est-ce que ce projet de loi devrait viser une situation comme celle qu’on observe à l’autre endroit, où un militaire demande d’avoir accès à de l’information que possède le Conseil privé? Est-ce qu’on devrait aller encore plus loin en termes de transparence que de simplement dévoiler des éléments qui m’apparaissent relativement secondaires, comme une allocation de dépenses ou une lettre de mandat? Est-ce qu’on doit aller aussi loin que donner de l’information, dans le cadre d’un procès par exemple, à quelqu’un qui est accusé d’avoir en sa possession une information appartenant au Conseil privé?

[Traduction]

Mme Kerr : Merci, sénateur. C’est une bonne question.

La position de l’ABC à ce sujet est que même si ces premiers pas en matière de divulgation proactive sont souhaitables et représentent un modeste progrès pour transformer la politique actuelle sur la divulgation proactive en une obligation législative pour certaines catégories de documents, très clairement, la partie 1 de la loi devrait s’appliquer à ces bureaux-là afin de permettre aux demandeurs de présenter des demandes de documents qui sont ensuite traitées comme des demandes d’accès à l’information en vertu de la loi.

Nous reconnaissons, bien sûr, que le privilège parlementaire a son importance et que des renseignements et des documents, selon la nature de la demande, doivent être refusés en vertu de ce privilège, et il faudrait que la loi prévoie une exception à cet égard. Nous sommes très réticents par contre à l’idée d’assimiler la divulgation proactive à un droit d’accès, parce qu’un droit d’accès, le contenu de ce droit, sera déterminé par le demandeur en fonction de ce qu’il souhaite demander plutôt que par le gouvernement en fonction de ce qu’il souhaite divulguer, car c’est ainsi que la divulgation proactive fonctionne.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Senft?

[Traduction]

Mme Senft : Je n’ai rien à ajouter à ce sujet.

Le sénateur Gold : Bienvenue. J’aurais deux questions à poser à nos deux invitées sur l’article 6.1, à propos des demandes vexatoires. Je vais les poser toutes deux, si vous permettez, puis vous pourrez intervenir.

Madame Kerr, dans votre mémoire, vous semblez avoir un problème avec le pouvoir de refuser une demande si elle est vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La commissaire à l’information nous a dit qu’elle comprenait, tout comme les ministères, le pouvoir de refuser de telles demandes ou plaintes, parce qu’elles absorbent parfois une quantité énorme et disproportionnée de ressources.

Nous comprenons également qu’il y a toute une jurisprudence sur ce qu’on entend par « mauvaise foi » et « vexatoire ».

Pourriez-vous nous dire s’il y a des motifs pour lesquels vous reconnaissez et admettez que des demandes soient refusées parce que vexatoires ou abusives?

[Français]

Quant aux témoins de Fasken, vous avez parlé de problèmes d’application, je crois, étant donné qu’il y a au Québec un délai fixe de 30 jours, contrairement au système fédéral. Ce délai rendrait la mise en œuvre plus difficile, si je vous ai bien compris.

Auriez-vous des suggestions d’amendements à apporter au projet de loi qui aideraient à résoudre ce problème que vous avez cerné?

[Traduction]

Mme Kerr : Merci, sénateur Gold. Je pense que vous nous offrez une excellente occasion de clarifier quelque chose qui figure dans notre mémoire.

D’après notre mémoire écrit, on peut penser que ce que préconise l’ABC dans la version actuelle du projet de loi que vous avez sous les yeux, c’est d’éliminer les éléments du paragraphe 6.1(1) où la demande implique un grand nombre de documents ou qu’elle est vexatoire ou entachée de mauvaise foi; ce n’est pas cela, en fait, que nous proposons.

L’énumération dans le mémoire écrit renvoie en réalité à la version du projet de loi déposée en première lecture à la Chambre des communes, et donc, lorsque nous recommandons de supprimer les alinéas 6.1(1)b) et c), il s’agit des dispositions qui disent que le document a été communiqué à la personne ou qu’il est accessible par d’autres moyens, et que la demande implique un si grand nombre de documents ou une recherche si vaste qu’elle entraverait le fonctionnement de l’institution.

Nous ne recommandons pas de supprimer le pouvoir de refuser une demande au motif qu’elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Nous sommes tout à fait d’accord pour que le commissaire ait un droit de regard et puisse approuver les circonstances. C’est certainement conforme aux lois provinciales sur le même sujet.

Nous sommes satisfaits de l’incidence que cela aura sur la capacité de présenter des demandes d’accès à l’information. Le seuil que les commissaires provinciaux appliquent aux demandes frivoles ou vexatoires est en fait très élevé, comme il se doit. Il faut montrer clairement que l’objet de la demande n’est pas conforme à l’objectif de transparence et de reddition de comptes visé par la loi et que, en fait, la demande pourrait avoir une telle incidence sur le fonctionnement de l’institution fédérale que celle-ci serait incapable de répondre dans les délais prescrits aux autres demandes d’accès. Donc, pour être bien clairs, nous ne recommandons pas en fait de supprimer ce qui est maintenant l’alinéa 6.1(1)c).

Le président : Il y a une jurisprudence sur cette question, comme vous le savez. La Cour fédérale a interprété ces termes dans des décisions qui ne sont pas si anciennes. Si ma mémoire est bonne, c’est au cours des dernières années que la Cour fédérale a rendu une décision dans laquelle elle fixait les paramètres de ce qu’il faut entendre par demande vexatoire ou futile.

Mme Kerr : Oui. Le seuil est très élevé. Heureusement, il n’y a qu’un très faible pourcentage de demandes qui s’aventurent sur ce terrain, mais c’est un droit important à inscrire dans la loi pour qu’une institution fédérale puisse équilibrer ses obligations envers tous les demandeurs.

Le président : Merci.

[Français]

Maître Alwyn ou maître Boucher, avez-vous des réponses à la question du sénateur Gold quant à l’application de la loi? Auriez-vous des suggestions pour en améliorer le fonctionnement?

[Traduction]

J’écoute, sénateur Gold, lorsque vous posez des questions.

Le sénateur Gold : Tout à fait.

[Français]

Le président : Alors, qui d’entre vous a une réponse à donner au sénateur Gold?

M. Aylwin : Nous aussi, nous avons écouté. J’aurais juste un petit commentaire à apporter au sujet de l’alinéa 6.1(1)c), dont Me Kerr vient de parler. L’expérience, au Québec, est la même : le seuil est très élevé pour qu’une demande soit qualifiée de vexatoire. On utilise les qualificatifs « répétitive » ou « systématique » aussi, dans le sens de la Loi sur l’accès à l’information. Cela vous donne donc des indices des façons dont on pourrait déclarer une demande vexatoire.

Pour ce qui est de l’alinéa b), je vous remercie de votre question, parce qu’elle me permet de parler d’une autre de mes marottes, soit l’absence de délai maximum. On a des dossiers d’accès à l’information qui traînent pendant 10 ans. Ce n’est ni une blague ni quelque chose que je viens d’inventer. Il y a huit boîtes dans le bureau d’un collègue qui traite de ce dossier. Et, de façon très honnête, on se fait dire qu’il n’y a pas de délai maximum.

M. Boucher : C’est l’argument de l’avocat du commissaire qui nous dit textuellement qu’il n’y a pas de délai. C’est son argument. Cela prend 10 ans, et vous connaissez bien la maxime : « justice delayed is justice denied ». On lui dit que cela n’a pas de sens, et on nous répond que la loi ne prévoit pas de délai.

M. Aylwin : Donc, si vous voulez une recommandation très pratique, il faut prévoir un délai maximum. Cela vient aussi régler la question que j’ai soulevée quant à l’alinéa b). Quand on a un délai maximum, on peut juger à la lumière de ce délai si la demande est abusive ou non en ce qui a trait aux ressources qui sont requises. Le délai au Québec est de 20 jours, plus 10 jours possibles. Cela donne aux citoyens une balise pour déterminer quand ils recevront des nouvelles. Je comprends que lorsqu’il y a une consultation avec les tiers, les délais sont plus longs, forcément.

En Californie, en matière de vie privée, on a prévu un délai de 45 à 120 jours, je crois, selon la complexité du dossier. Donc, je pense que c’est la solution tout indiquée, pas seulement pour régler la question des demandes qui sont abusives, mais aussi pour donner un sens à Loi sur l’accès à l’information. Il faut donc mettre une limite au délai de réponse.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : J’ai deux questions. La première s’adresse à Mme Kerr ou à Mme Senft et elle concerne l’indépendance judiciaire. J’aimerais plus de détails sur les articles 90.22 et 90.23, qui permettent au registraire, à l’administrateur en chef ou au commissaire de ne pas publier proactivement des renseignements sur les dépenses des juges s’ils estiment que cela pourrait porter atteinte à l’indépendance judiciaire ou menacer la sécurité des personnes, des infrastructures ou des biens.

Quand je le lis, cela me semble régler le problème, mais vous n’avez pas l’air de le penser.

[Français]

J’aimerais aussi poser une question à Me Boucher sur la question de l’ordonnance. On a entendu plusieurs personnes, y compris la commissaire à l’information, nous dire que cette ordonnance, au fond, pouvait ne pas apporter les effets souhaités, parce que l’institution peut essentiellement s’asseoir sur ses lauriers en recevant l’ordonnance et ne rien faire, tant que la commissaire à l’information n’ira pas en Cour fédérale pour obtenir un mandamus, qui n’est pas nécessairement chose facile, selon ce qu’on m’explique. Vous semblez croire beaucoup à cette ordonnance qui est prévue dans le projet de loi, et j’aimerais savoir pourquoi.

[Traduction]

Mme Senft : Je vous remercie de me donner l’occasion de préciser notre position.

En ce qui concerne l’article 90.22, qui est censé donner le pouvoir de décider si la divulgation de certains renseignements peut porter atteinte à l’indépendance judiciaire, nous sommes d’accord avec l’Association canadienne des juges des cours supérieures, pour qui il s’agit en fait d’« une lacune constitutionnelle flagrante » — cet article-là en particulier. Je vous remercie de votre question.

Je me permettrai de faire une analogie, si vous voulez. J’aime bien en faire parfois, cela peut aider. Prenons des juges qui dînent dans une maison et qui disent : « L’indépendance judiciaire signifie que personne n’est autorisé à connaître ce que mangent les juges, et personne n’a besoin d’aller voir dans le frigo ce qu’ils achètent à l’épicerie. » Voilà le voile qui protège l’indépendance judiciaire.

Ce que nous allons faire, c’est nous tourner vers la personne qui fait les emplettes au Costco — pour parler en langage de tous les jours — et lui demander : « Qu’est-ce que vous achetez pour emplir le frigo? Qu’est-ce que vous achetez pour chacun des juges? Quel juge veut tel article en particulier? Quel juge dépense davantage pour cet article en particulier? »

Vous donnez à quelqu’un qui n’a rien à voir avec la magistrature le pouvoir de décider laquelle de ces questions pourrait porter atteinte à l’indépendance judiciaire, quelqu’un qui travaille pour la magistrature, mais qui n’en fait pas partie. Nous avons au Canada, comme nous le savons tous, des pouvoirs distincts de gouvernement. Il est essentiel de ne pas commencer à miner l’indépendance du pouvoir judiciaire. Sur papier, on pourrait croire que cela règle le problème. Non, on se trouve à laisser à des gens qui appartiennent à d’autres pouvoirs le soin de décider ce qui peut avoir une incidence sur l’indépendance judiciaire. C’est tout à fait malvenu. Nous sommes d’accord avec l’Association canadienne des juges des cours supérieures sur ce point.

Je ne sais pas si cela vous aide. J’essayais de trouver de meilleures analogies. Il est un peu difficile d’en trouver qui cadrent exactement avec la situation. Dans mon exemple, il semble surprenant de vouloir donner le pouvoir de décision à la personne qui remplit le frigo. Nous ne pouvons pas demander aux juges ce qu’ils mangent ou ce qu’ils achètent, alors allons voir la personne qui fait l’épicerie et demandons-lui. On donne à cette personne le pouvoir de dire : « Bon, je ne vais pas vous dévoiler ce que vous demandez, parce que cela pourrait miner l’indépendance judiciaire », mais cette personne n’est pas un juge ni un membre de la magistrature.

Le président : Madame Kerr?

Mme Kerr : J’aimerais ajouter, sénateur, en réponse à la question de savoir si le régime de divulgation proactive permet déjà de retenir des renseignements si l’indépendance judiciaire est menacée. Étant donné que la raison d’être de la divulgation proactive est d’accroître la transparence, si, en pratique, il y a une catégorie de documents qui resteront presque toujours cachés, alors vous donnez l’impression que les juges et les organisations qui travaillent pour eux manquent de transparence lorsqu’ils exercent pourtant comme il se doit le pouvoir discrétionnaire qui leur a été accordé.

Je vous mets en garde contre l’inscription de catégories dans une annexe sur la divulgation proactive, car plus souvent qu’autrement, ceux qui ont la responsabilité de déterminer si l’indépendance judiciaire est menacée vont décider que c’est le cas et toujours refuser de divulguer cette information. Nous mettons les gens dans une situation où ils ont l’air de manquer de transparence.

Le président : Pourriez-vous élaborer au sujet de votre recommandation — je pense que c’est la recommandation 5.2 de votre mémoire, où vous proposez une solution qui semble répondre aux critères que vous venez d’expliquer. Si je vérifie dans la version que j’ai ici, cela se trouve à la page 8 de votre mémoire. Il s’agit de la recommandation 5.8, où vous proposez de publier périodiquement des rapports faisant état des montants globauxdes dépenses par tribunal. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Cela répondrait à certaines des préoccupations soulevées par le sénateur Pratte. Vous ne vous opposez pas à une certaine forme de divulgation. Si je comprends bien votre mémoire — je l’ai lu avant la réunion —, à mon avis, c’est une solution mitoyenne entre le besoin de transparence, d’une part, et le besoin de protéger l’administration de la cour par les tribunaux eux-mêmes, d’autre part.

Pourriez-vous nous en dire davantage, madame Senft?

Mme Senft : Notre position première, fondamentalement, est que la magistrature et les tribunaux devraient être exemptés. Autrement, si on veut trouver une façon de concilier des intérêts divergents, pour ainsi dire, oui, publier périodiquement des rapports faisant état des dépenses de chaque tribunal répondrait en partie à ce que le projet de loi veut faire, mais uniquement si ce sont des montants globaux. Nous sommes vivement préoccupés, et tant mieux si vous abordez le sujet. J’ai lu quelques-uns des mémoires qui ont été présentés et il ressort du débat... Plusieurs membres du comité semblent comprendre le problème qu’il y aurait si on se mettait à divulguer les dépenses des juges pour un certain nombre de raisons. Ce serait là une sorte de compromis.

Cependant, toute décision concernant ce qui est divulgué, la façon dont c’est divulgué, ne devrait pas revenir à quelqu’un qui ne fait pas partie de la magistrature, point final.

Le président : Merci. Ce volet de votre réponse nous sera utile pour trouver le juste équilibre.

[Français]

M. Aylwin : Merci, monsieur le sénateur Pratte, de votre question. Il faut comprendre qu’on parle d’un pouvoir de recommandation auquel on ajoute maintenant un pouvoir d’ordonnance.

Selon le commentaire de la commissaire à l’information, ce n’est pas suffisant et ça n’a pas de mordant. Je comprends qu’on présume qu’en présence d’une ordonnance, et non lorsqu’ils sont mis en cause devant la Cour fédérale, les organismes publics ne respecteraient pas les ordonnances de la commissaire à l’information. J’espère qu’elle a tort. J’ose croire que les organismes publics respecteront les ordonnances de la Commission d’accès à l’information.

La seule chose qu’il reste au niveau technique — je pense que c’est le sénateur Boisvenu qui l’a évoqué —, c’est de déterminer s’il y a un processus de certification ou d’homologation qui fait que l’ordonnance a une force exécutoire. Je n’ai aucune objection face à ce processus. Notre commentaire portait sur le fait de passer de la recommandation à l’ordonnance — on l’envisage d’un très bon œil —, mais si vous croyez qu’au niveau technique, les organismes publics ne respecteront pas les ordonnances, faites ce que vous devez faire pour qu’elles soient applicables.

M. Boucher : J’aimerais ajouter rapidement que l’exemple de l’ordonnance, telle qu’elle est conçue en ce moment, pourrait... C’est une analogie que je fais, un peu comme lorsqu’on va chercher un jugement déclaratoire devant une cour supérieure : on ne fait que déclarer des droits. Un jugement déclaratoire, ce n’est pas une injonction. En général, les parties se diront que tel est l’état du droit. Maintenant, bien entendu, le commissaire n’a pas le même statut ni la même autorité juridique ou morale qu’une cour supérieure. Là s’arrête l’analogie. Nous espérons que les responsables des institutions fédérales auront, à tout le moins, une forme de respect à l’égard de cette ordonnance.

Le président : Merci de votre réponse.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : J’ai deux questions qui proviennent du mémoire de l’American Bar Association. La première est liée à la recommandation d’élargir la portée de la loi pour englober le cabinet du premier ministre et les cabinets des ministres; la seconde a trait à l’imposition de frais ainsi qu’à l’exonération de ces frais.

En ce qui concerne l’élargissement de la portée de la loi, bien que cela soit mentionné dans l’article sur le secret professionnel de l’avocat, vous citez dans votre mémoire la Cour suprême selon laquelle certains documents peuvent être exemptés de l’obligation de communication par le gouvernement parce que cela aurait une incidence sur le bon fonctionnement des institutions touchées. Vous avez dit que l’accès à ces renseignements au cabinet du premier ministre et dans les cabinets des ministres relevait du privilège parlementaire.

Pouvez-vous nous donner des exemples de ce qui, selon vous, pourrait être demandé, de ce qui serait protégé par le privilège parlementaire et de ce qui ne le serait pas? Pouvez-vous aussi aborder la question du secret du Cabinet, je vous prie?

En ce qui concerne les frais, le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’accès à l’information en établit la limite — ils doivent être inférieurs à 25 $ — tandis que le paragraphe 11(6) en définit l’exonération. Selon le paragraphe 11(1), les frais sont soumis au pouvoir de réglementation. Vos inquiétudes seraient-elles apaisées si le paragraphe 11(6), qui porte sur l’exonération des frais, établissait également le pouvoir de réglementation? À l’article 71, il y a également une disposition correspondante qui permettrait la prise en compte de règlements fixant des critères pour l’exonération des frais.

Mme Kerr : Merci, madame la sénatrice. Mme Senft pourra peut-être vous donner des exemples précis de demandes qui pourraient être faites; quant à moi, aucun exemple ne me vient à l’esprit spontanément. Je crois que lors des délibérations du comité avec la ministre des Institutions démocratiques, on a cité en exemple la correspondance entre les ministres sur une question particulière. À l’heure actuelle, cette correspondance ne serait pas comprise dans les catégories de documents énumérées dans la partie 2 de la loi lorsqu’il est question des cabinets des ministres. Cependant, en élargissant la portée de la partie 1, l’on permettrait à tout le moins qu’une telle demande soit faite. Si la demande était inappropriée en vertu du privilège parlementaire ou en vertu de toute autre exception prévue par la loi, les renseignements pourraient être retenus comme il se doit.

Je devrai prendre le temps de réfléchir pour trouver des exemples précis de ce qui pourrait être divulgué.

En tout cas, en Colombie-Britannique — qui est la province que je connais le mieux —, le Bureau du premier ministre, par exemple, est assujetti aux dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Le plus souvent, l’on demande à voir les calendriers du premier ministre et des ministres lorsque l’on adresse une demande d’information à leurs bureaux. Ces calendriers peuvent évidemment contenir des renseignements. Il s’agit peut-être là d’un exemple précis.

Le président : Lorsque vous parlez des « calendriers », faites-vous référence aux agendas?

Mme Kerr : Oui. En Colombie-Britannique, l’on emploie le plus souvent le mot « calendrier ». Oui, c’est bien l’agenda du premier ministre et des ministres; il peut aussi s’agir de leur horaire ou de la liste de leurs réunions. Souvent, certains renseignements figurant dans ces horaires ne sont pas communiqués. Cela dit, comme ces documents font l’objet de demandes répétées, le gouvernement de la Colombie-Britannique les a ajoutés à sa liste de publication proactive. Le plus souvent, l’on détermine ce qui fera l’objet d’une publication proactive selon la fréquence des demandes, surtout au début du processus. Si l’on reçoit chaque semaine une demande portant sur les mêmes renseignements, la voie de la publication proactive est peut-être indiquée. Voilà ma réponse à la première question.

La sénatrice Lankin : Si je pose la question, c’est que j’essaie toujours de connaître le problème que nous tentons de résoudre. Je comprends les arguments généraux pour la transparence, mais étant donné le grand nombre de catégories, comme le secret du Cabinet, entre autres, je tenais à me faire une idée du problème. Votre réponse est utile. Nous pourrions éventuellement examiner ce qui se passe dans d’autres domaines de compétence depuis que ces dispositions ont été intégrées à la loi.

Mme Senft : J’aimerais, si possible, y aller de mes propres observations avant que nous passions à la seconde question.

Vous avez souligné le fait que, dans notre mémoire, cela se trouve à l’article portant sur le secret professionnel de l’avocat. Plus précisément, aux pages 11 et 12 de notre mémoire du mois de mai, il y a une observation qui porte précisément sur une décision rendue en 2005 par la Cour d’appel fédérale.

Dans cette affaire, le procureur général a fait valoir que le paragraphe 36(2) devrait être interprété de façon restrictive et que l’on ne devrait porter atteinte au privilège que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi. La Cour d’appel fédérale a donné raison au procureur et a indiqué que, en ce qui a trait aux notes de conseils juridiques, la présomption de confidentialité est très forte.

Le Parlement n’avait pas l’intention d’empêcher les institutions fédérales d’obtenir des conseils juridiques. Lorsqu’un avocat travaille en interne, pour une compagnie d’assurance par exemple, il sait que c’est son client. Quand il travaille au gouvernement — j’ai discuté assez longuement avec des avocats du gouvernement des problèmes auxquels ils sont confrontés —, il a aussi un client, à savoir le ministère qui demande un conseil juridique. C’est un client comme un autre. L’avocat est assujetti au même code de déontologie qu’un avocat en pratique privée. Il existe des règles et certaines exceptions très précises dans le cadre desquelles la règle de confidentialité peut être enfreinte. La règle de confidentialité est une règle éthique plus générale encore que la règle du secret professionnel de l’avocat. Voilà ce à quoi les avocats sont assujettis.

C’est pourquoi cette partie de notre mémoire en fait mention. C’est le genre de situation que nous envisageons. Vous posez la question de savoir quel problème nous tentons de régler. D’une part, rien ne justifie l’absence d’un régime d’accès à l’information robuste et, d’autre part, il n’est pas nécessaire que cela soit fait au détriment de la protection des principes fondamentaux de notre système de justice, à savoir le secret professionnel de l’avocat et l’indépendance judiciaire. Ces deux aspects ne sont pas exclusifs. Ils peuvent coexister de façon harmonieuse.

La sénatrice Lankin : Ma question ne portait pas là-dessus, mais plutôt sur...

Mme Senft : Les types de renseignements. Les notes de conseils juridiques constituent un type de renseignement.

La sénatrice Lankin : Il y a aussi votre définition du privilège parlementaire en regard d’autres notions comme le secret du Cabinet, entre autres. Je suis désolée, je ne veux pas prendre plus de temps. Ma seconde question portait sur les frais et leur exonération.

Mme Kerr : Oui. Si je comprends bien votre question, madame la sénatrice, vous nous demandez si nous serions satisfaits dans l’éventualité où, d’une part, la capacité d’exiger des frais serait maintenue à l’article 7 de la loi, mais, d’autre part, on envisagerait l’établissement de critères précis d’exonération des frais.

La sénatrice Lankin : Vous avez dit, je crois, souhaiter la disparition des frais.

Mme Kerr : En effet.

La sénatrice Lankin : Toutefois, s’il existe des frais, il devrait y avoir des critères pour leur exonération. J’explorais les façons d’aborder cette question. Je prenais note du fait que le projet de loi établit la limite maximale des frais, alors que les frais réels sont établis par voie de règlement. Le pouvoir de réglementation est mentionné dans cet article ainsi que dans l’article général 71. Ce type d’approche vous permettrait-il également d’établir par écrit les critères d’exonération des frais?

Mme Kerr : Je crois que ce serait une possibilité. Pour ce qui est de l’exonération des frais de demande de renseignements, l’Association du Barreau canadien — soit l’ABC — estime que cela ne sert à rien. Je comprends que, pour l’heure, le gouvernement veuille conserver les frais de traitement et de reproduction des documents liés à une demande de renseignements. Il se passe beaucoup de choses en ce moment. La nature des documents et des demandes est en train de changer. Les renseignements se trouvent plus souvent dans des bases de données que sur des supports documentaires physiques. Avec la technologie dont on dispose, la reproduction d’un document en format lisible par machine coûte parfois extrêmement cher.

Je comprends le raisonnement, mais cela ne devrait pas constituer un obstacle à l’accès à l’information. Si les frais devaient être maintenus, nous proposons une solution semblable à ce qui se trouve dans la loi de la Colombie-Britannique, où des critères précis doivent être pris en considération dans l’évaluation d’une demande d’exonération des frais. Si l’organisme public, comme on l’appelle en Colombie-Britannique, refuse la demande d’exonération des frais, une plainte peut être déposée auprès du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la province en fonction des critères énoncés dans la loi.

La sénatrice Batters : Merci à tous pour votre présence ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à M. Aylwin.

Monsieur, dans votre déclaration préliminaire, vous avez fait remarquer brièvement que vous trouviez que l’article sur les demandes vexatoires faisait problème. L’alinéa 6.1(1)c) du projet de loi prévoit que le responsable d’une institution fédérale peut refuser d’accorder l’accès à des renseignements si, à son avis, « la demande est vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou constitue autrement un abus du droit de faire une demande de communication ».

Lorsque, tout récemment, le ministre Scott Brison a comparu devant le Comité des affaires juridiques, je lui ai demandé de fournir des précisions au sujet de cet article et, pour tout dire, il a refusé de le faire. Monsieur Aylwin, voyez-vous un problème dans le fait que le ministre responsable de cette mesure législative, qui se présente devant le comité pour nous expliquer le projet de loi et pour l’expliquer aux Canadiens, ne donne pas de précisions sur cette question? Je reconnais qu’il existe une jurisprudence dans ce domaine, mais le ministre Brison n’en a même pas fait mention lorsqu’il a comparu devant le comité.

De plus, une interprétation trop restrictive de cet article pourrait limiter indûment la capacité des Canadiens à avoir accès à des renseignements de façon appropriée.

[Français]

M. Aylwin : Madame la sénatrice, merci de votre question. Je vais me garder de commenter le travail du ministre Brison, mais je veux rectifier une chose. Mon commentaire portait sur l’alinéa b). En ce qui concerne la difficulté de la rédaction, c’est l’alinéa b) qui est difficilement applicable à cause de l’enjeu des délais et du fait qu’on ne peut pas traiter les demandes dans les délais, lesquels peuvent être prolongés, de toute façon.

Pour ce qui est de l’alinéa c), je suis persuadé qu’il ne limite pas indûment le droit d’accès à l’information des Canadiens. Les expressions comme « vexatoire », « mauvaise foi » et « abus du droit » existent dans le droit depuis des années. Elles sont appliquées de façon systématique par les tribunaux de façon limitative. Je n’ai jamais vu d’abus de l’utilisation de la notion d’abus par les tribunaux. Ils sont très conservateurs à cet égard. Ils savent qu’on parle de faire perdre des droits à un individu. Dans l’application de toutes les dispositions que je connais qui utilisent ce langage-là, il est extrêmement exceptionnel que des demandes soient acceptées, y compris les demandes d’accès à l’information. Selon moi, il s’agit simplement de rétablir un équilibre pour éviter de faire travailler quelqu’un 2 000 heures pour traiter une demande d’accès à des documents similaires dans bon nombre d’organismes différents. À mon avis, c’est une limite qu’on peut se permettre d’imposer dans la loi.

M. Boucher : D’autant plus que les tribunaux, traditionnellement, interprètent très largement et avec raison la Loi sur l’accès à l’information, car c’est une loi quasi constitutionnelle. La Cour suprême et la Cour d’appel fédérale l’ont répété : il faut l’interpréter généreusement. Donc, cette interprétation généreuse vient aussi atténuer les risques d’une interprétation trop rigide.

M. Aylwin : Soyez rassurés, nous tenons ce discours très fréquemment avec nos clients, qui voient des occasions dans la loi. On leur explique que ce n’est pas véritablement applicable dans leur cas, parce que c’est très rare.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ce n’est pas l’examen de ce genre d’articles par les tribunaux qui me préoccupe. C’est que, en l’occurrence, ce sont les fonctionnaires des institutions fédérales qui examinent ces questions. Il se peut que cela prenne beaucoup de temps et que bon nombre de demandes ne se rendent jamais jusqu’aux tribunaux. C’est pourquoi, selon moi, des précisions sont nécessaires. Pour ce faire, une comparution devant un comité sénatorial constitue pour un ministre l’occasion idéale, car bien souvent, les gens qui devront interpréter ce genre de choses par la suite se reporteront à ces discours et à ces observations. Selon vous, une certaine clarification serait-elle indiquée de la part de la personne qui occupe ce poste afin de fournir des informations adéquates aux représentants du gouvernement?

[Français]

M. Aylwin : Au Québec, il est important de comprendre que c’est le même mécanisme. Ce sont des fonctionnaires qui appliquent ces dispositions à l’heure actuelle. Nous avons plusieurs organismes publics à titre de clients. Nous sommes en contact avec des gens qui travaillent dans des villes et au sein d’organismes publics, et ceux-ci viennent nous demander si ça s’applique. On a cette discussion-là avec eux et, 98 p. 100 du temps, on leur répond que ça ne s’applique pas. En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, il y a un recours. Si un fonctionnaire décide d’appliquer cette disposition-là, on peut avoir recours au commissaire à l’information. Au Québec aussi, on peut faire appel à la Commission d’accès à l’information. Je ne connais pas de décision où la Commission d’accès à l’information a reproché à un organisme d’avoir invoqué cette disposition. Je ne pense pas qu’il y ait un problème de débordement en ce moment. En tant qu’avocat, je ne me sens pas démuni, parce que la jurisprudence est assez vaste quant à l’utilisation de ces termes pour mettre en application des balises.

Le sénateur Carignan : Je me demande si la proposition de supprimer le paragraphe 15 augmentera réellement la protection du secret professionnel. Je comprends qu’on dit au commissaire qu’il aura accès afin de déterminer si le fonctionnaire peut refuser. Toutefois, dans la loi actuelle, c’est un peu flou. Ce sont les tribunaux qui ont établi le principe d’une protection. Si on enlève le paragraphe 15, ça m’embête que l’article 23 prévoie simplement que « le responsable d’une institution peut refuser la communication » et qu’il n’ait pas l’obligation de le faire, mais simplement la discrétion de le faire. Évidemment, aux renseignements personnels, il est tenu de refuser. L’article 23 couvre le secret professionnel et les privilèges relatifs. Dans les privilèges relatifs, selon moi, il y a les sources journalistiques.

Ne devrait-on pas aussi modifier l’article 23 pour indiquer qu’il est tenu de refuser? Par la suite, on pourrait prévoir une façon d’équilibrer les droits et trouver un mécanisme où, dans certaines situations, il puisse y avoir une communication. Ne devrait-on pas repenser complètement ce mécanisme?

[Traduction]

Mme Senft : Je veux m’assurer que je comprends bien votre question, madame la sénatrice. Au sujet de l’article 15 et de notre recommandation de le supprimer, j’aimerais que vous me confirmiez que votre question est la suivante : est-ce qu’une telle suppression porterait atteinte, d’une façon ou d’une autre, aux protections qui, autrement, existeraient en vertu de la loi pour garantir le secret professionnel de l’avocat?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne suis pas convaincu que le fait de retirer l’article 15 soit suffisant pour atteindre l’objectif d’assurer l’entière protection du secret professionnel ou des autres privilèges. J’interprète les autres privilèges comme étant aussi les sources journalistiques, puisque c’est un autre privilège qui est protégé en vertu de la Loi sur la preuve.

Est-il suffisant d’enlever simplement l’article 15? Ne devrait-on pas également modifier l’article 23 pour y inclure l’obligation de refuser, comme dans le cas des renseignements personnels, quitte à prévoir un autre mécanisme pour équilibrer les droits?

[Traduction]

Mme Senft : En ce qui concerne la question du privilège, je tiens à souligner que nous parlons ici de l’amendement, lequel, si je comprends bien, ajoute les mots suivants : « [...] le secret professionnel des avocats et des notaires et le privilège relatif au litige [...] ». Nous disons qu’il faut supprimer cela. Le projet de loi ajoute cela.

Le sénateur Carignan : Je sais.

Mme Senft : Si on veut établir une contrainte dans la communication de renseignements protégés, les tribunaux ont déjà établi des exigences très claires à cet effet. En se contentant d’ajouter cette phrase à la loi, on ne remplit pas le cahier des charges établi par la Cour suprême.

Si vous me permettez une métaphore, je parlerai d’un sentier menant à une forêt touffue. La Cour suprême a posé plusieurs obstacles sur le sentier. Il faut suivre le tracé indiqué sur la carte — cette carte n’est autre que le cahier des charges de la Cour suprême —, un tracé qui comporte plusieurs étapes. On ne peut se contenter de franchir la première étape, puis mettre la carte de côté et espérer trouver par soi-même le sentier menant à la forêt.

Nous croyons qu’il est nécessaire de supprimer ces nouveaux termes parce que...

Le sénateur Carignan : C’est nécessaire, j’en conviens, mais est-ce suffisant?

Mme Senft : L’ABC défend la position selon laquelle, une fois ces mots supprimés, il restera les tribunaux et la common law, à l’heure actuelle, pour donner une orientation quant à la manière de gérer ce genre de situations. Si l’on supprime la notion de contrainte, cela ne signifie pas qu’une institution ou un organisme fédéral pourra décider... Bien sûr, il est possible de renoncer au privilège. Le client a le droit de renoncer à son privilège.

Pardon, je crois que c’est vous qui avez demandé quel problème nous essayons de résoudre. Quel est le problème, au juste? Selon le rapport de 2014 du commissaire à l’information et notre mémoire initial à la Chambre des communes, seulement 3,07 p. 100 des demandes d’accès à l’information ont été refusées en raison du secret professionnel de l’avocat. C’est un très faible pourcentage.

L’un des obstacles que la Cour suprême a posés sur le sentier, si je puis faire cette métaphore, c’est le critère d’une absolue nécessité. Même ce chiffre, 3,07 p. 100, qui provient du commissaire lui-même, on peut se demander sur quoi il est fondé exactement.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de le faire, je vous suggère de consulter le mémoire présenté en juin par le Barreau, mémoire où l’on trouvera la même statistique ainsi que les questions : « Quel est le problème? Pourquoi est-ce nécessaire? »

Non seulement le pourcentage de demandes refusées pour de tels motifs est très faible, mais en plus, il existe un recours. On peut s’adresser au tribunal et demander à un juge, qui est parfaitement indépendant, de rendre une décision à ce sujet.

Au risque de me répéter, comment peut-on surmonter l’obstacle de l’absolue nécessité sans justification du bureau du commissaire? Il existe actuellement un recours qui convient bien à la situation et permet de protéger les principes fondamentaux qui sont au cœur de la primauté du droit.

[Français]

Le sénateur Carignan : Pensez-vous que l’article 73, tel qu’il a été adopté par le Parlement dans le projet de loi C-51, dans lequel on oblige le ministre de la Justice à produire un énoncé concernant la Charte et un énoncé qui indique les effets possibles du projet de loi ou de la proposition de loi sur les droits et libertés garantis par la Charte, est une forme de renonciation au secret professionnel sur les opinions juridiques qui concerneraient la constitutionnalité d’une loi?

[Traduction]

Le président : Je vais laisser le témoin répondre, mais comme vous le savez, les témoins n’ont pas été informés qu’ils seraient interrogés sur le projet de loi C-51 aujourd’hui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme on parle de secret professionnel et de renonciation, j’en profite pour poser la question.

C’est un exemple que je donne pour poser la question à savoir si le fait d’enlever simplement l’article 36.2 est suffisant pour protéger le secret professionnel. Ne devrait-il pas y avoir d’autres mécanismes?

[Traduction]

Mme Senft : Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question au sujet du projet de loi à l’heure actuelle. Je me ferai un plaisir de l’examiner plus tard et de vous fournir, au nom de l’ABC, une réponse à cette question en particulier.

Pour clarifier les choses, je répète que nous parlons ici de supprimer les mots qui ont été ajoutés et qui ont trait au privilège et au concept québécois équivalent, à savoir le secret professionnel des avocats et des notaires et le privilège relatif au litige. Voilà ce dont il est question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je crois que le mémoire contient peut-être une coquille. On parle, à la fin, à la recommandation no 6, de retirer les articles 15 et 30 du projet de loi C-58. Pour l’article 15, tout va bien. Toutefois, j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi il faudrait retirer l’article 30. Est-ce une coquille?

[Traduction]

Mme Senft : À quelle page êtes-vous?

Le président : C’est à la page 14 de votre mémoire.

[Français]

Le sénateur Carignan : C’est votre recommandation no 6.

[Traduction]

Mme Senft : Dans mon mémoire, on parle de l’article 50.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ce sont les articles 15 et 30? En anglais, qu’est-ce que c’est?

[Traduction]

Le président : À la page 14 de la version anglaise, dans le texte de la recommandation 6, au bas de la page, on peut lire : « Remove clauses 15 and 30 of Bill C-58 ».

Puis, à la page 15, où toutes les recommandations sont reprises dans l’ordre, on lit exactement la même chose à la recommandation 6 : « Remove clauses 15 and 30 of the Bill C-58. ».

Le sénateur Carignan : L’article 15, je comprends, mais l’article 30, cela m’échappe.

Mme Senft : Si je comprends bien, monsieur le président, vous dites que dans la version du mémoire de l’ABC que vous avez entre les mains — ainsi que dans la mienne —, soit la version de mai 2018... Si vous regardez sur la page couverture.

Le président : C’est écrit mai 2018, en effet.

Mme Senft : Dans la version que j’ai, on parle de l’article 50, et non de l’article 30.

Le sénateur Carignan : D’accord.

Le président : C’est une faute de frappe.

Mme Senft : Il s’agit de l’article 50.

Le sénateur Carignan : Merci.

Mme Senft : Si vous lisez le chiffre 30, c’est une coquille. Nous souhaitons nous assurer que la recommandation que nous faisons au sujet de la Loi sur l’accès à l’information s’applique également au commissaire à la protection de la vie privée. C’est là notre intention.

Le président : À votre avis, en ce qui concerne le secret professionnel de l’avocat, le paragraphe 15(2) reflète-t-il fidèlement l’interprétation de la loi par la Cour suprême?

Mme Senft : Est-ce que cela reflète les exigences actuelles établies par la Cour suprême? Non, nous ne croyons pas que ce soit le cas.

Le président : Vous ne croyez pas que ce soit le cas?

Mme Senft : Non.

Le président : À votre avis, cela va donc à l’encontre du cahier des charges établi par la Cour suprême relativement à la définition ou à la portée du secret professionnel de l’avocat.

Mme Senft : Exactement. Rien ne prouve qu’il soit absolument nécessaire d’aller aussi loin. Dans le libellé actuel, aucun mot ne vient limiter le vaste pouvoir discrétionnaire que l’on accorde. Pas le moindre mot.

Je vous renverrais au moment de la présentation de notre mémoire et au résumé que j’ai tenté d’en faire de vive voix. Le point le plus important est le suivant : il existe un certain nombre d’exigences à respecter et d’obstacles à surmonter. Une fois que l’on a rempli le critère de l’absolue nécessité, il y a encore le critère d’une atteinte minime au privilège, dans la mesure du possible. Il n’est fait mention nulle part de limiter les pouvoirs du commissionnaire de quelque façon que ce soit. Voilà qui, selon l’ABC, ne répond pas aux critères d’examen requis, et ce, à plusieurs égards.

Le président : Merci.

La sénatrice McCoy : Merci à tous d’être là. J’ai deux questions. La première s’adresse à nos amis de Montréal et la seconde à l’Association du Barreau canadien, l’ABC. La première question porte sur les délais que vous avez soulevés plus tôt dans un contexte légèrement différent. Vous avez parlé d’un avis obligatoire à donner aux tiers. J’aimerais attirer votre attention sur une question un peu plus vaste.

Je suppose que vous avez une certaine expérience personnelle de l’application de cette loi dans la pratique. Vous dites que votre voisin de bureau a huit caisses de demandes d’information qui sont toujours en attente de réponse après 10 ans.

De fait, la loi actuelle permet aux ministères et aux organismes de prolonger le délai. Il n’y a pas de limite de temps, si bien qu’ils disent : « Je suis désolé, je ne peux pas respecter le délai de 30 jours, mais je peux vous dire que nous allons répondre dans 324 jours. » Et il n’y a pas à y revenir, il faut attendre un an ou deux. Certains sénateurs ont une expérience personnelle et ils attendent toujours une réponse après 10 ans.

Je me demande s’il serait utile de nous pencher sur les exemples que vous nous avez donnés de la Californie et du Québec — et peut-être en avez-vous un ou deux autres. Je vous invite à répondre. Et ce soir, je me demande aussi si vous pourriez nous remettre des copies d’exemples de cas où il y a des limites à ce genre de pouvoir discrétionnaire. Cela pourrait nous aider à resserrer le délai de réponse dans ces cas-là. Je vais vous laisser répondre avant de poser mon autre question. Ou peut-êtrepréféreriez-vous que je pose mon autre...

Le président : Je pense que nous devrions nous en tenir à celle-ci, parce que c’est une question précise.

[Français]

M. Aylwin : En ce qui concerne la question des délais, le mécanisme qui existe au Québec — celui que je connais le mieux — représenterait un changement fondamental d’approche si on l’appliquait à l’échelon fédéral. On a un délai de 20 jours, qui est prolongé de 10 jours au maximum pour faire une demande d’accès.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : Vingt ans? Vingt jours?

[Français]

M. Aylwin : Le délai est de 20 jours. Ce ne sont pas des années ou des mois, ce sont des jours. À ce moment-là, on détermine si une demande est abusive à l’égard de la capacité de répondre à l’intérieur de 30 jours. Une demande d’accès ne doit pas dormir dans un organisme public, elle doit entrer et sortir. Puis, on doit déterminer si on a un litige, si des restrictions sont applicables. Donc, le mécanisme fonctionne bien. Le nombre de demandes d’accès à l’information dont on veut être relevé de l’obligation de répondre au Québec est minimal à l’égard de l’ensemble des dossiers en matière d’accès à l’information.

Cela peut sembler impressionnant comme modification pour ce qui est des délais, parce que dans la loi fédérale, on peut prolonger le délai comme on le souhaite. Par contre, si on prolonge le délai de plus de 30 jours, il faut aviser le Commissariat à l’information. Qu’est-ce que ça donne? Je n’en ai aucune idée. Cela n’accélère pas le processus, et je ne pense pas que ce soit la priorité du commissaire de gérer toutes les demandes de prolongation.

Le système québécois, qui est en place depuis 1982, a tout de même fait ses preuves. Il y a une obligation de collaboration entre les demandeurs d’accès et les organismes qui fait en sorte qu’on cible l’objet des demandes. Ainsi, on sait qu’on ne prendra pas de trop grandes bouchées et qu’on traite les demandes dans un délai de 30 jours pour que le demandeur puisse obtenir des réponses à ses questions.

M. Boucher : Dans le dossier d’Air Transat, qui est maintenant public, nous avons gagné en première instance. Cela a pris 10 ans. Pendant 10 ans, le commissaire disait qu’il menait l’enquête. On représentait dans ce cas-là, non pas le demandeur d’accès, mais le tiers, Air Transat. Toutefois, le préjudice qu’a subi la compagnie est très grave. On ne pouvait même plus se défendre en Cour fédérale parce qu’on n’arrivait plus à retrouver les témoins. On a eu de la difficulté à établir nos preuves parce que, 10 ans plus tard, on n’était plus en mesure de retrouver les éléments de preuve. Donc, cet exemple illustre l’abus que ça peut causer. Le plus étonnant encore, et je le répète, c’est que le commissaire à l’information, ou l’avocat du commissaire, a dit ceci : « Nous avions le droit d’attendre 10 ans ».

Alors, c’est un très bon exemple.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : Pourriez-vous nous envoyer le texte de la loi québécoise ou tout au moins de l’article de votre loi, pour que nous le versions au compte rendu à titre de précédent?

Le président : C’est facile à trouver. Le comité peut vous le fournir.

La sénatrice McCoy : Ce serait encore mieux. Ma deuxième question...

Le président : Un instant, madame la sénatrice. La sénatrice Miville-Dechêne aurait une question complémentaire sur le même sujet, si vous le permettez, avant que nous passions à autre chose.

La sénatrice McCoy : Bien sûr.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je remplace quelqu’un à ce comité. Donc, je n’ai pas la prétention de connaître les tenants et les aboutissants de ce dossier. Toutefois, je suis un peu méfiante par rapport à vos propos lorsque vous dites que la loi québécoise fonctionne très bien. Étant donné qu’on siège à un comité sénatorial... J’ai déjà été du côté de celle à qui on demandait de l’information à la fonction publique. J’avais énormément d’outils pour retarder la transmission de l’information. Du côté des journalistes, la loi est très critiquée, parce qu’elle est pleine d’exceptions.

J’aimerais faire une nuance sur une question que je connais mieux. Vous parlez du point de vue des clients, mais cette loi est criblée de trous en ce qui concerne les délais pour fournir de l’information.

Le président : Peut-être que vous pouvez faire un commentaire très rapidement.

M. Aylwin : Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’enjeux au Québec. On doit essayer de prendre le meilleur de chacune des lois qu’on applique au Québec et au Canada. L’enjeu principal au Québec, c’est qu’à partir du moment où vous avez la réponse après 30 jours — ou un peu plus longtemps s’il y a des tiers à contacter, disons 45 jours, 60 jours; bref, c’est tout de même relativement court —, il y a un recours en révision qui peut être exercé devant la Commission d’accès à l’information. Cela peut prendre trois ans avant d’obtenir une date d’audition. Ce n’est pas le mécanisme d’accès qui est en faute, c’est le mécanisme de révision. Les délais que vous avez mentionnés sont essentiellement là. À partir du moment où on oppose un refus partiel ou total, la commission n’a pas nécessairement les ressources pour traiter les dossiers rapidement. Je conviens qu’il y a des ressources qui ont été ajoutées au printemps. Des commissaires ont été nommés. Il n’y a pas eu d’impact le jour même de leur nomination, mais on espère que cela permettra de raccourcir les délais.

En ce qui concerne la nature des exceptions dans la Loi sur l’accès à l’information, ce n’est pas un sujet auquel on s’est attardé aujourd’hui.

Comme vous le savez sans doute, un projet de loi a été déposé avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Certains acteurs demandent une nouvelle commission, un peu comme la commission Paré, qui avait fondé la Loi sur l’accès à l’information au début des années 1980, pour revoir la nature des exceptions. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire au Québec. Je me fonde vraiment sur l’aspect mécanique technique. On réussit quelque chose au Québec qui n’existe pas à l’échelon fédéral en ce qui a trait aux délais de traitement.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : Je m’adresse maintenant à l’Association du Barreau canadien. Je suis heureuse de voir que vous avez choisi de commenter le processus d’examen. Nous ne vous avons pas encore donné l’occasion ce soir de développer la question, si vous voulez ajouter un mot sur l’examen parlementaire, et des raisons pour lesquelles vous le voyez comme un avantage ou une approche préférentielle, à la place de l’examen ministériel, qui est maintenant prévu dans le projet de loi.

Mme Kerr : Merci, madame la sénatrice. Nous comprenons la perspective du président du Conseil du Trésor, par exemple, à savoir que même s’il y a un examen ministériel, il faudrait tout de même en faire rapport à la Chambre, qui pourrait alors opter pour un examen.

Étant donné notre préoccupation quant au type d’examen qui serait choisi, nous pourrions peut-être revenir à la manière dont le projet de loi C-58 a été présenté au départ. Je sais que le comité a demandé au commissaire à la protection de la vie privée et au commissaire à l’information s’ils avaient été consultés avant la présentation du projet de loi C-58 et que la réponse a été « non ». Essentiellement, l’ABC souhaite une consultation complète des différents types de parties prenantes qui s’intéressent au régime d’accès. Comme nous le savons, le projet de loi C-58 se veut la phase 1 de la modernisation, à terme, de la Loi sur l’accès à l’information.

L’ABC et de nombreux autres intervenants, j’en suis certaine, aimeraient avoir leur mot à dire sur ce qui devrait faire partie de la seconde phase, et souhaiteraient aussi qu’il y ait alors convergence avec la législation provinciale équivalente, qui impose un examen périodique, généralement tous les cinq ans, de la législation sur l’accès à l’information. Cet examen est généralement au niveau d’un comité législatif multipartite, et non au niveau ministériel.

Le président : Merci.

La sénatrice McCoy : J’ai d’autres questions, que je vais poser au deuxième tour.

Le président : Oui, certainement, madame la sénatrice. Vous êtes la bienvenue.

[Français]

Le sénateur Dalphond : J’ai quelques petites questions rapides. Celle-ci s’adresse d’abord à nos amis de Montréal. Dans la loi québécoise, je comprends que le système prévoit une ordonnance automatique. Dans les faits, existe-t-il des cas où l’ordonnance du commissaire n’a pas été respectée? Dans l’affirmative, quelle est la procédure prévue? Je présume que la loi est silencieuse sur cette possibilité, qui est contraire à l’esprit de la loi.

M. Aylwin : La réponse est non. Je ne connais pas de situation où les décisions n’ont pas été respectées. Il existe deux cadres qui donnent la compétence à la Commission d’accès à l’information en matière juridictionnelle. Il y a examen de mésentente dans le cas d’une personne qui demande son dossier personnel, et il y a demande de révision, soit une demande d’accès, lorsqu’on n’est pas satisfait du refus. Ce peut aussi être un tiers qui conteste la divulgation des renseignements, car on considère toujours le droit des tiers.

La Commission d’accès à l’information rend une décision motivée, qui ressemble à un jugement, avec ses conclusions, et elle ordonne à l’organisme de communiquer tel ou tel renseignement. Un droit d’appel est prévu à la Cour du Québec. Je ne connais aucun précédent où un organisme public n’a pas respecté un jugement administratif, comme vous nous l’avez rappelé dans votre décision de la Cour d’appel. Ce sont des juges administratifs qui prennent cette décision, et je ne connais aucun cas où elle n’a pas été respectée.

Le sénateur Dalphond : Ma deuxième question concerne le secret professionnel, toujours dans la loi québécoise. Quand on parle de secret professionnel, je présume que c’est celui qui appartient à l’agence gouvernementale ou au ministère concerné. On ne parle pas du secret professionnel de quelqu’un qui aurait contacté le ministère. Je comprends qu’on s’en préoccupe, mais si le ministre rend publique l’information, il renonce au secret professionnel, puisque celui-ci appartient au client. Dans le cas où le ministère ou l’agence refuse de communiquer le document en invoquant le secret professionnel, je présume que c’est la Commission d’accès à l’information qui prend la décision et non un juge.

M. Aylwin : C’est exact. On a eu un débat au Québec à savoir si le commissaire pouvait accéder à l’information, comme ça a été le cas au fédéral. Je ne me souviens pas du nom de la décision, mais la question a été tranchée en appel et en révision judiciaire, pour indiquer que la Commission d’accès à l’information pouvait prendre connaissance des documents pour juger s’il y avait secret professionnel.

Nous sommes bien sûr dans le cadre d’un organisme juridictionnel et la situation n’est pas la même. Cela revient au commentaire que je faisais initialement. Nos commissaires sont des juristes, en plus de faire l’objet d’une nomination par l’Assemblée nationale qui les constitue comme juges administratifs. On a donc un système qui offre des garanties en matière de protection du secret professionnel.

Le président : Avez-vous d’autres questions?

Le sénateur Dalphond : J’ai une question pour le Barreau canadien.

[Traduction]

Ma question pour la représentante de l’ABC porte sur la partie 2 de la loi qui traite de la communication proactive. Je ne vois pas, dans votre mémoire, de commentaires sur le fait qu’elle repose essentiellement sur l’honneur. C’est un système d’honneur. C’est le ministère ou l’organisme qui doit s’y conformer parce que la loi l’impose, mais il n’y a pas de mécanisme d’examen annuel pour vérifier si le ministère s’est conformé la moitié du temps, tout le temps ou jamais. Vous êtes-vous penchée là-dessus?

Premièrement, est-ce la première fois, à votre connaissance, que nous avons un système proactif sans aucune vérification de conformité? Ou y a-t-il moyen de confier la vérification de conformité ou l’examen à une personne de l’extérieur qui viendrait une fois par année pour dire : « J’ai examiné ce ministère. Le ministère X a fourni 20 000 documents de façon proactive, alors que le ministère suivant, qui est deux fois plus grand, en a fourni 500. Il y a peut-être un problème. »

Il y a des façons de voir si les ministères se conforment ou pas. Je ne sais pas si vous y avez réfléchi, ou si vous avez des idées ou des suggestions pour faire respecter le système d’honneur plutôt que d’en permettre la violation?

Mme Kerr : Merci, monsieur le sénateur Dalphond. Nous avons certainement pris note du fait que la partie 2 de la loi ne prévoit aucune surveillance pour le commissaire à l’information, et je pense donc que vous avez raison. C’est un système d’honneur qui est actuellement envisagé. Je ne crois pas que l’ABC se soit penchée précisément sur ce que serait la surveillance idéale, et sur la question de savoir si cela devrait ou pas être l’affaire du commissaire à l’information ou d’un autre organisme.

Je pense qu’il est juste de dire que, dans la mesure où les obligations seront enchâssées dans la loi, il devrait y avoir un mécanisme quelconque pour vérifier si elles sont respectées ou pas.

Encore une fois, je peux vous donner un exemple de la Colombie-Britannique pour illustrer qu’il y a des obligations. Elles ne sont pas aussi spécifiques que les listes de documents dont il est question dans le projet de loi C-58, mais il est obligatoire, tant pour les ministères que pour les organismes publics dans tout le secteur public, de désigner des catégories de documents qui seront rendus accessibles de façon proactive sans nécessiter de demande. À l’heure actuelle, le commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique examine de son propre chef la manière dont ces obligations sont respectées. Je parle des articles 70 à 71.1 de la loi de la Colombie-Britannique, la loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Cet examen est en cours. Je le sais parce que je représente un organisme public auquel on a demandé de fournir de l’information.

Je pense que, à part les listes qui ont été données dans le projet de loi C-58, il y a toujours, bien sûr, la capacité de toute institution fédérale de communiquer proactivement plus que cela, et il est difficile d’aller plus loin que les listes qui sont comprises dans la loi, du moins au premier tour, parce que les institutions fédérales sont toutes différentes. Elles auront leurs propres dossiers. Il est donc difficile de dire que tout le monde aura ce genre de document et que tout le monde le communiquera. Toutefois, il y a certainement un exemple d’une autre administration où le commissaire a le pouvoir de faire enquête et de faire rapport au public.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais m’en tenir à une question qui s’adresse à Me Boucher et à Me Aylwin. Au départ, vous semblez dire que les délais sont l’un des problèmes majeurs à résoudre dans le cadre de ce projet de loi. Des délais d’un an, deux ans, trois ans sont inadmissibles pour un service public. La semaine dernière, un sénateur indépendant a demandé à la ministre Gould quelle serait la prochaine étape de modernisation une fois que ce projet de loi aura été adopté. La ministre a mentionné le fait d’améliorer les délais et de prévoir des mesures plus efficaces, alors que cela m’apparaît être le problème fondamental aujourd’hui. Si l’on passe à côté de cet objectif en ce qui a trait aux délais et à l’accès à l’information, on se retrouvera dans cinq ans avec le même problème.

M. Aylwin : Nous sommes d’accord avec vous, sénateur. Vous l’avez évoqué plus tôt. Honnêtement, savoir ce que vous mangez, ça m’importe peu. On a parlé de données agrégées pour le fonctionnement de certains organismes. Cela peut satisfaire certaines curiosités. Selon moi, l’enjeu des délais est beaucoup plus fondamental dans le cadre de l’application de la loi.

M. Boucher : Il faut comprendre qu’une loi est appliquée — peut-être pas immédiatement —, mais qu’elle est mise en œuvre dans un délai raisonnable. Si je vous donne un droit, mais que je vous dis qu’il se concrétisera dans cinq ou dix ans, ça devient un déni de justice.

M. Aylwin : On accepte cette situation pour la Loi sur l’accès à l’information, mais on ne l’accepterait jamais pour le Code criminel. Je ne comprends pas comment les délais ne peuvent être une préoccupation prioritaire.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

Le président : Même en droit civil.

[Traduction]

Le président : Nous en sommes au deuxième tour. Encore une fois, je surveille l’horloge.

La sénatrice McCoy : Je vais lire des phrases très courtes tirées d’un document qui est dans le site web du gouvernement, dans open.canada.ca. Comme vous le savez, le gouvernement est fier de cette initiative. Elle regroupe divers éléments différents. Le premier engagement est une période de rapport de 12 mois, se terminant le 30 juin 2017, pour les principaux ministères responsables de la mise en œuvre, soit le Secrétariat du Conseil du Trésor, le ministère de la Justice et le Bureau du Conseil privé. Ils disent qu’ils s’engagent à aller de l’avant avec la première série de propositions concrètes, que nous avons entendues. Comment l’engagement contribuera-t-il à résoudre le problème public? La réponse se trouve au premier gros point :

Rendre les données et les informations du gouvernement ouvertes par défaut, dans des formats modernes faciles à utiliser.

J’ai une question complémentaire. Permettez-moi d’abord de demander à tous nos témoins si, à leur avis, le projet de loi C-58 rend les données et les informations du gouvernement ouvertes par défaut?

Mme Kerr : Merci, madame la sénatrice McCoy. Je pense, comme je l’ai dit dans ma déclaration d’ouverture, que le projet de loi C-58 représente une petite première étape, en ce sens que l’information qui figure à la partie 2 pour chacune des entités, de façon générale, est déjà disponible, mais qu’elle l’est conformément à une politique. Je comprends, en ce qui concerne la communication proactive, qu’il y a des considérations de ressources à prendre en compte; et, en particulier, la nécessité d’avoir une traduction appropriée de tout document communiqué proactivement. Si, par exemple, le document original est en anglais, le gouvernement du Canada ne peut pas le communiquer proactivement, à moins de le faire traduire en français également, conformément à la Loi sur les langues officielles.

Il faut donc tenir compte de certaines incidences sur les ressources. L’ABC doit certainement espérer que la communication proactive sera élargie et continuer de prendre d’autres mesures dans la voie qui a été tracée, de sorte qu’en ce qui concerne l’information communiquée proactivement, il ne sera pas nécessaire de passer par l’accès à l’information.

L’autre objectif de la communication proactive irait dans le sens de l’école de pensée selon laquelle cela devrait réduire le nombre de demandes d’accès. C’est peut-être vrai en partie. L’envers de la médaille, c’est que les renseignements communiqués proactivement, comme cela s’est vu dans certaines administrations, peuvent en fait susciter d’autres demandes d’accès parce qu’ils lèvent le rideau sur des renseignements qui n’étaient pas disponibles jusque-là et informent les citoyens de la mesure dans laquelle ils peuvent faire d’autres demandes plus pointues d’accès à l’information. Nous considérons que c’est une bonne chose.

[Français]

Le président : Voulez-vous commenter rapidement? Parce que je regarde l’horloge et le temps file.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : J’ai une brève question complémentaire.

Le président : Très rapidement, une question complémentaire.

La sénatrice McCoy : Le deuxième point de l’engagement ici — je suis sûre que vous en êtes consciente — est que le gouvernement a dit qu’à compter du 30 juin 2017, il éliminerait tous les frais, sauf les droits de présentation de 5 $. Nous avons donc entendu votre position selon laquelle tous les frais devraient faire l’objet d’une dispense, mais je ne vous ai pas entendue dire que nous devrions demander au gouvernement de respecter son engagement. Je vous donne l’occasion de répéter votre position, peut-être.

Mme Kerr : Merci, madame la sénatrice. C’est effectivement notre position et nous comprenons la politique du Conseil du Trésor, qui ordonne aux institutions fédérales actuelles de ne rien exiger d’autre que le droit de demande. Nous aimerions aussi que le gouvernement renonce aux droits de demande. Je ne sais pas trop s’il y a autre chose à dire à ce sujet. Notre position est que les frais doivent être éliminés.

La sénatrice McCoy : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : On joue dans la mécanique de la protection du secret professionnel dans l’objectif d’apporter certains amendements. Je fais référence aux propos du sénateur Dalphond. De toute façon, quand l’organisme fédéral décidera ou non de communiquer le document, c’est ce dernier qui renoncera au secret professionnel. Cela lui appartient. Selon votre expérience, est-ce toujours le cas? Y a-t-il des institutions fédérales qui pourraient avoir un document qui relève du secret professionnel ou de privilèges, mais qui ne leur appartient pas et appartient plutôt à autrui? Avez-vous été témoins de causes qui impliquaient des tiers?

Le président : Maître Aylwin ou maître Boucher?

M. Aylwin : Habituellement, les clients sont réticents à l’idée de communiquer les opinions de leur avocat.

Le sénateur Carignan : Oui, je le sais, mais je pense à la propriété intellectuelle, à certaines opinions juridiques, par exemple, qui pourraient être requises par le privé, mais envoyées à un organisme pour soutenir un point en particulier, entre autres en ce qui concerne la protection des marques.

M. Aylwin : En fait, souvent, ce sera indiqué dans la renonciation de la communication.

Le sénateur Carignan : Cela dépend de la nature.

M. Aylwin : Oui, c’est exact. Je n’en ai pas vu. Les cas où j’ai vu un partage d’opinions juridiques étaient liés aux régulateurs. Par exemple, dans le milieu comptable et pour les ordres professionnels, il peut y avoir des opinions juridiques. Cependant, le processus est encadré et des dispositions spécifiques prévoient qu’il n’y a pas de renonciation, parce que ces opinions sont communiquées.

Lorsque je lis l’article 23 en ce qui a trait au secret professionnel, un peu comme le disait le sénateur Dalphond, cela évoque pour moi les opinions internes des organismes publics. Je n’ai pas d’exemple à vous donner, mais ce n’est pas exclu; vous avez raison.

[Traduction]

Mme Senft : Je comprends que la question est un peu théorique, mais je crois que, tout récemment, même si ce n’est pas dans notre mémoire, nous avons bien réfléchi à ce que je pense que vous voulez dire. Autrement dit, est-il possible que la production forcée d’information confidentielle selon les modalités du projet de loi puisse englober des documents qui sont aussi protégés par le secret professionnel et qui n’appartiennent pas à l’institution fédérale?

Ainsi, se pourrait-il qu’un organisme de réglementation comme le Bureau du surintendant des institutions financières ait en sa possession de l’information d’une autre société qui pourrait être protégée par le secret professionnel de l’avocat? Craindrait-on que cette mesure aille plus loin et englobe ce genre de documents? Selon moi, c’est possible et nous n’avons pas examiné la question en détail. Nous pourrions certainement vous revenir avec d’autres commentaires, si vous voulez, sur ce point particulier.

Le président : Tous les sénateurs réunis ici, madame Senft, seraient heureux de les recevoir. Avant que j’aie le privilège de vous remercier, la sénatrice Lankin voudrait présenter une demande spéciale après notre audience de cet après-midi.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. Monsieur le président, comme vous le savez, je suis nouvelle à ce comité. Si j’ai manqué quelque chose, je vous prie de m’en excuser. Vous pourrez toujours me le dire.

La semaine dernière, et cette semaine encore, il a été question plusieurs fois d’autres administrations, comme le Québec, la Colombie-Britannique, et cetera, au sujet de divers enjeux que nous avons entendus aujourd’hui, comme les délais, les critères de dispense, l’application de la loi au Bureau du premier ministre et aux ministres, les dispositions relatives à l’examen obligatoire, le ministériel par opposition au parlementaire, la communication proactive, la surveillance et l’examen de tout cela. Pourrions-nous demander aux analystes, au sujet des questions couvertes par ce projet de loi qui ont été soulevées, de jeter un coup d’œil sur ce genre de comparaison et de nous donner une analyse du fonctionnement de ces dispositions.

Le sénateur Boisvenu : Je pense que le comité directeur avait prévu entendre certains témoins de ces provinces.

Le président : Avec l’information complémentaire du sénateur Boisvenu, nous avons eu une séance d’information, avant d’amorcer l’étude du projet de loi, une présentation à huis clos, où chacun d’entre nous a été invité à se familiariser avec les diverses lois. Nous pouvons certainement vous la fournir et la distribuer aux membres du comité. Mais nous avons noté votre demande et allons y donner suite.

La sénatrice Lankin : Merci.

[Français]

Le président : Maître Boucher et maître Aylwin, il m’est vraiment très agréable de vous remercier de vous être rendus disponibles, d’autant plus que c’était du bénévolat, n’est-ce pas? J’espère que nous ne recevrons pas vos honoraires de consultation. Nous apprécions donc doublement le fait que vous vous soyez rendus disponibles cet après-midi. Nous connaissons bien votre travail, et c’est ce qui nous a amenés à vous inviter cet après-midi.

Je vous remercie au nom de tous mes collègues autour de la table.

[Traduction]

Madame Kerr et madame Senft, je vous remercie beaucoup du soin que l’Association du Barreau canadien a consacré à son mémoire. Nous apprécions toujours la contribution de l’Association du Barreau canadien. Vous êtes une institution d’utilité publique et nous vous sommes très reconnaissants de votre contribution et du professionnalisme avec lequel vous abordez l’étude de la législation, de même que de la contribution que vous faites à nos travaux. Merci beaucoup à vous et à tous les autres membres du Barreau canadien qui ont participé à la préparation de ce mémoire.

(La séance est levée.)

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