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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 2 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été déféré le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, se réunit aujourd’hui, à 8 heures, pour en examiner la teneur.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

[Les interventions en inuktut/Inuktitut en anglais.]

[Traduction]

La présidente : Avant de commencer, je veux présenter deux motions.

Premièrement, acceptez-vous qu’on autorise les responsables des communications du Sénat à prendre des photos et à filmer durant la réunion?

Des voix : D’accord.

La présidente : Deuxièmement, acceptez-vous qu’on permette au comité de distribuer des documents qui sont en anglais seulement durant la réunion d’aujourd’hui?

Le sénateur Patterson : Seront-ils traduits plus tard?

La présidente : Oui.

Des voix : D’accord.

La présidente : Je tiens à souhaiter la bienvenue à l’ensemble des sénateurs et aux membres du public qui regardent la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même dans la salle, à la télévision ou sur le Web.

Je tiens à souligner, par souci de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles non cédées des Algonquins. Je m’appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et j’ai le privilège de présider le comité.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude préalable du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones. J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

Le sénateur Christmas : Bonjour. Dan Christmas de la Première Nation Membertou, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Francis : Bonjour. Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Sinclair : Bonjour. Murray Sinclair, Manitoba.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du territoire visé par le Traité no 10, région du Manitoba.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente : Je tiens à accueillir devant le comité ce matin Mme Rebecca Mearns, doyenne du Département d’éducation, études inuites et universitaires, du Collège de l’Arctique du Nunavut.

Rebecca Mearns, Dean of Education, Inuit and University Studies, Nunavut Arctic College : Thank you for the welcome. I am thankful to be here on the unceded lands of the Algonquin Nation.

[Mme Mearns parle en inuktut/inuktitut sans interprétation.]

[Traduction]

I am here to speak about Piqqusilirivvik, our cultural school located in Clyde River, Nunavut.

Piqqusilirivvik was the outcome of a lot of work to identify the needs for culture and language training accessibility within the territory of Nunavut. It was originally completed back in December of 2010 and has been running cultural programs since that time.

The foundation of Piqqusilirivvik was developed through consultation with elders from across the Nunavut territory, looking at what the foundation or the framework would be for a cultural school. They came up with different ideas of what that would look like. One, the land is a teaching and learning environment, and being on the land and learning our culture and our language is important. Two, the act of learning through observing and doing, so learning from our elders and from experts about different skills, building different things and living on the land. Three, living together in a learning environment that is outside of the Western 9:00 to 5:00 framework of teaching and learning that we see in schools. And, four, activities based on the hunting and gathering practices that were followed through the different seasons.

Currently, Piqqusilirivvik welcomes Inuit students that speak Inuktitut that are over the age of 18. Inuktitut is the language of instruction, and our experts — our elders — are the teachers at Piqqusilirivvik. They guide all of the programming, teach the students and run our programs. There are four-month programs in the winter and spring, and summer and fall.

The main campus of Piqqusilirivvik is located in Clyde River, but we also have two satellite campuses in Igloolik and Baker Lake that run programming within their communities and are based on community needs and the identified skills to be taught.

The programming is continually in development. Piqqusilirivvik is doing a wonderful job of resource development, and through their work with elders and the stories they receive through the work they do, they’re documenting everything they are doing. Whether they’re out on the land or out on the water hunting walrus, for instance, they’re creating videos. They’re creating reports on the building of a qarmaq, or sod house. They work together to build and are creating the resources from the work they do. As they build tools, drums and so on, they’re documenting all of this.

They’re also documenting the stories and teachings from elders, who are the experts that teach there. They’ve been working on information on child-rearing practice, for instance, and collecting that information from the elders. The learners work with all of that to create their own personal projects while they’re at Piqqusilirivvik, and they present those to their classmates as well.

There’s a great deal of work going on there. It is the one place where Inuktitut is really all around the learners who are participating. From traditional games to survival on the land, kamik-making, throat-singing, drum-making, building different tools, everything is in Inuktitut. It’s through the work of the elders that that has been produced.

Like I said, there is ongoing resource development, and that is something that we, at the Nunavut Arctic College, are trying to encourage, as well as looking at how we expand that beyond Piqqusilirivvik programs. How do we develop resources that will support building programs created in Nunavut for Nunavut Inuit to access, whether it be through our Nunavut Teacher Education Program, our Environmental Technology Program and things of that sort.

As we look to the future of Piqqusilirivvik, we have two satellite programs at the moment. We are looking to expand to the Kitikmeot region to also provide programming there. That is in the works at the moment.

Also, as we move forward in the future, we want to look at how Piqqusilirivvik can be used as a framework for Inuit education; for building programs that are really based within Inuit knowledge and the understanding of our land, culture and language; and how we continue to build on that within our other programs.

That’s a quick introduction to Piqqusilirivvik and what we’re doing at the Nunavut Arctic College at the moment.

Thank you very much, and I welcome any questions that you have.

La présidente : Merci de votre exposé.

Nous allons passer aux questions en commençant par le sénateur Sinclair.

Le sénateur Sinclair : Je veux être sûr de comprendre : je crois vous avoir entendu dire que le programme accepte ceux qui parlent déjà la langue. C’est exact?

Mme Mearns : Oui, c’est exact.

Le sénateur Sinclair : Donc, l’intention du programme, c’est de permettre à la langue d’être utilisée dans des contextes modernes et aussi en utilisant des moyens traditionnels?

Mme Mearns : Dans tous les contextes, oui. Les étudiants qui se joignent à nous affichent différents niveaux d’alphabétisation, mais l’inuktitut est la langue de formation, alors il est nécessaire de la comprendre.

Les apprenants qui arrivent sont souvent un peu plus jeunes que la normale, et le fait d’apprendre des aînés leur permet d’étoffer leur vocabulaire, leur compréhension, d’être sur le territoire et d’apprendre une terminologie qui solidifie la langue qu’ils possèdent déjà en arrivant.

Le sénateur Sinclair : Selon vous, quel est le niveau de maîtrise de l’inuktitut actuellement parmi les jeunes? Combien croyez-vous le parlent couramment, en pourcentage, approximativement?

Mme Mearns : Pour ce qui est des jeunes, je ne suis pas sûre. Je sais que c’est en déclin, mais tout dépend vraiment de la collectivité dont on parle et ainsi de suite. Il y a beaucoup de facteurs qui contribuent.

Au-delà de Piqqusilirivvik, le Collège de l’Arctique du Nunavut envisage d’autres programmes linguistiques et réfléchit à la façon de renforcer l’enseignement linguistique offert au niveau collégial.

Le sénateur Sinclair : Pouvez-vous nous parler de votre financement? D’où vient-il et combien de fonds recevez-vous approximativement?

Mme Mearns : Le financement vient du gouvernement du Nunavut. Le Collège de l’Arctique du Nunavut est une société d’État. Je n’ai pas les chiffres exacts pour Piqqusilirivvik ici, en ce moment, mais les étudiants sont hébergés dans les bâtiments de Piqqusilirivvik. Il y a environ 24 apprenants par semestre dans le cadre du programme.

Le sénateur Sinclair : Un semestre est-il équivalent à celui d’un programme universitaire?

Mme Mearns : La session d’été commence en août et se poursuit jusqu’à environ novembre, puis les apprenants reviennent en février pour le semestre d’hiver et du printemps. Ils terminent vers avril ou mai.

Le sénateur Sinclair : Encouragez-vous le perfectionnement de l’écriture de l’inuktitut?

Mme Mearns : Absolument. Nous avons aussi le NAC Media, le Nunavut Arctic College Media, qui joue le rôle de maison d’édition du Collège de l’Arctique du Nunavut. En tant que doyenne, je m’efforce de réunir Piqqusilirivvik et NAC Media afin de déterminer de quelle façon nous pouvons continuer à mettre au point des ressources écrites tout en examinant les idées liées à différentes approches multimédias pour communiquer l’information. Évidemment, en nous appuyant sur la tradition orale de l’inuktitut, de quelle façon pouvons-nous donner accès, par exemple, aux enregistrements ou aux vidéos que nous avons des aînés? Nous examinons d’autres moyens d’y arriver afin que, si les gens veulent du matériel écrit, il soit accessible, mais ils peuvent aussi écouter et avoir accès à ces documents.

Le sénateur Sinclair : Avez-vous des observations liées précisément au projet de loi linguistique?

Mme Mearns : J’ai pris le temps de le lire et j’ai réfléchi à l’incidence qu’il aurait sur le Collège de l’Arctique du Nunavut à l’avenir.

L’un des principaux défis, pour nous, c’est le financement des programmes, le fait de pouvoir leur donner de l’expansion et les besoins en matière de financement pour y arriver. Les fonds opérationnels que nous avons pour Piqqusilirivvik sont actuellement destinés aux installations de Clyde River ainsi qu’à nos installations satellites. Et il y a aussi l’expansion dans une autre collectivité de la région de Kitikmeot.

J’adorerais qu’on élargisse le programme pour l’offrir dans d’autres collectivités et dans nos centres communautaires d’apprentissage partout sur le territoire, mais pour que nous puissions y arriver, évidemment, le financement est très important. S’il est possible grâce au projet de loi d’avoir accès à du financement au moyen de différents accords avec des organisations inuites et le gouvernement fédéral — tant que nous avons la capacité de le faire en tant qu’établissement d’enseignement postsecondaire —, je crois que c’est de cette façon que nous pouvons travailler pour nous assurer que l’inuktitut est accessible dans le plus d’endroits possible dans nos collectivités.

Le sénateur Sinclair : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup de votre exposé et du travail très créatif que vous faites.

Je veux tout simplement comprendre les chiffres. Vous avez dit qu’il y a environ 20 personnes par cohorte?

Mme Mearns : Oui. Vingt-quatre.

La sénatrice Coyle : Et c’est à Clyde River et dans les deux installations satellites?

Mme Mearns : C’est à Clyde River. Pour ce qui est des programmes satellites, leur taille et leur nombre varient. Je crois que nous avons, en tout, environ de 40 à 50 apprenants lorsqu’on réunit Clyde River et les installations satellites. Le nombre fluctue. Dans le cadre des programmes satellites, puisqu’il n’y a pas là-bas d’installation de base, comme à Clyde River, les programmes sont accessibles aux gens dans la collectivité. Les responsables offrent aussi là-bas des programmes plus courts axés sur des compétences précises. Par exemple, ils vont chasser le caribou et incluent d’autres compétences qui seraient liées à cette activité. Par conséquent, leurs chiffres varient un peu plus que ce qu’on peut voir à Clyde River.

La sénatrice Coyle : Pour ce qui est de l’âge des participants, s’agit-il principalement de jeunes qui approchent de la vingtaine ou qui sont dans la vingtaine? Que constatez-vous?

Mme Mearns : En fait, l’âge varie. Nous disons souvent que c’est pour les 18 à 100 ans. Des jeunes adultes et des adultes âgés participent à nos programmes.

La sénatrice Coyle : Le modèle que vous mettez au point semble très efficace; c’est un modèle dans le cadre duquel vous essayez d’associer l’apprentissage de la langue à la culture et au fait de vivre sur le territoire... Et les aînés sont là pour guider l’apprentissage dans tout ce programme. Le programme est offert sur deux semestres. Les personnes qui participent sont-elles sans emploi ou doivent-elles obtenir une permission de leur employeur pour suivre le programme?

Mme Mearns : Le plus souvent, ce sont des personnes qui n’ont pas d’emploi, mais oui, si elles étaient employées, cela signifierait un congé de leur travail.

Comme l’approche est différente dans les programmes communautaires, ceux-ci sont un peu plus accessibles. Cependant, l’inscription à certains de nos programmes communautaires pose problème. Pour Clyde River et l’installation principale, le nombre de candidatures reçues est assez stable, mais, bien sûr, nous sommes confrontés à des difficultés liées à l’inscription, comme nous le sommes avec certains de nos autres programmes.

La sénatrice Coyle : J’aimerais connaître votre scénario de rêve en matière d’expansion. Il semble que la demande est de loin supérieure à votre capacité, à la fois localement et à l’installation de Clyde River, mais également dans l’ensemble du territoire. Pourriez-vous nous dire à quoi cela ressemblerait?

Mme Mearns : L’un des problèmes que nous avons avec l’installation de Clyde River est que les étudiants ne peuvent pas emmener leur famille avec eux, car il s’agit d’une résidence pour étudiants. Nous n’avons pas de logements familiaux à Clyde River à la disposition des étudiants qui fréquentent cet établissement.

Les programmes satellites sont offerts à l’échelle de la collectivité, de sorte que quiconque s’y trouve peut y assister, en supposant que les apprenants sont là parce qu’ils y ont déjà leur domicile.

Ma vision de Piqqusilirivvik et de mes différents portefeuilles en éducation — études inuites et universitaires — élargit le cadre que nous avons à Piqqusilirivvik et tient compte de la façon dont nous l’utilisons pour élaborer nos programmes afin qu’ils se fondent sur les connaissances, la langue et la culture inuites. Notre Programme de formation des enseignants en fait partie. Nous travaillons au renouvellement de notre Programme de formation des enseignants pour le moment, mais comment tirer des leçons de ce qui se passe dans des endroits comme Piqqusilirivvik afin de véritablement élaborer un programme conçu par les Inuits à l’intention des Inuits afin de leur enseigner sur le territoire et dans notre langue, l’inuktitut?

Si je disposais des ressources et du temps voulus pour le faire, je regarderais comment nous reconstruisons notre système d’éducation et veillons à ce qu’il réponde mieux à nos besoins actuels et futurs sur le territoire.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup d’être venue aujourd’hui. Je suis enthousiasmée par votre Programme de formation des enseignants. Nous avons entendu dire qu’il y a un manque d’enseignants et que c’est un besoin.

J’aimerais en savoir davantage sur le programme. Vous travaillez à le redynamiser?

Mme Mearns : Oui.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Quelle est la vision à cet égard? Le financement prévu dans le projet de loi C-91 pourrait-il y être affecté? Les ramifications à long terme de la présence d’enseignants sont importantes.

Mme Mearns : Absolument.

Actuellement, au Collège de l’Arctique du Nunavut, nous sommes en train de négocier un nouveau protocole d’entente avec un nouveau partenaire universitaire, l’Université Memorial. Une partie de ce nouveau protocole d’entente consiste à transférer notre programme de formation des enseignants de notre partenaire universitaire actuel à l’Université Memorial.

C’est arrivé à un moment où nous avons l’occasion de renouveler le programme et de réellement nous pencher sur ce que nous faisons au collège. Comment pouvons-nous nouer un dialogue avec d’autres intervenants de l’éducation et collaborer avec d’autres ministères et organisations inuites afin de mettre au point une approche de l’éducation et de la formation des enseignants qui répondra aux besoins, mais en comprenant également que c’est un élément très important d’un très grand casse-tête pour les changements qui s’imposent au sein du système d’éducation?

Il s’agit d’une étape qui alimente le cycle de renouvellement et de formation de nouveaux enseignants, la création d’un programme qui offrira des options aux futurs enseignants, qu’il s’agisse de travailler à l’obtention d’un diplôme ou de poursuivre vers un programme menant à un diplôme, et l’examen de différents points d’entrée et de sortie au sein de notre programme pour que l’on puisse s’assurer qu’il est accessible au plus grand nombre possible de personnes.

L’un de nos principaux objectifs dans le renouvellement de ce programme est la langue et la façon dont nous formons nos enseignants à l’enseignement en inuktitut. Cela va prendre du temps. Ce sont des ressources que nous devons mettre en valeur. Nous examinons ce dont nous avons besoin en tant que collège pour soutenir la démarche et les différentes étapes à franchir pour y parvenir. Nous devons donc travailler sur différentes phases de notre approche à cet égard.

De toute évidence, nous devons nous assurer que les apprenants qui participent actuellement à notre programme peuvent terminer le nouveau programme dans les mêmes délais, tout en continuant à renforcer de façon permanente ce programme renouvelé. Nous voulons nous assurer de le mettre en place de manière à bénéficier d’une évaluation continue de notre programme, en examinant les différentes phases et la façon dont nous pouvons continuer à nous améliorer à mesure que nous progressons. Cette dimension est également importante.

Notre objectif actuel avec le Programme de formation des enseignants du Nunavut est d’avoir un point de sortie avec diplôme axé sur un spécialiste des langues, suivi du programme d’études menant à un baccalauréat en éducation en quatre ans.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci d’être parmi nous.

La plupart des observateurs croient que l’inuktut, comme on l’appelle maintenant, est la langue autochtone la plus forte au Canada, mais nous avons entendu certains témoignages selon lesquels l’utilisation de l’inuktut est en déclin au Nunavut. Selon le commissaire aux langues, l’utilisation de la langue inuite à la maison a diminué de 12 p. 100 entre 1996 et 2006, soit d’environ 1 p. 100 par année. À ce rythme, d’ici 2051, seulement 4 p. 100 des Inuits du Nunavut parleront la langue inuite à la maison.

Pourriez-vous nous dire quel rôle, selon vous, le Collège de l’Arctique du Nunavut joue afin d’inverser cette tendance et de renforcer la langue inuktut?

Mme Mearns : En tant qu’établissement d’enseignement postsecondaire, notre rôle consiste notamment à fournir un lieu où la langue est enseignée et est accessible aux apprenants, mais également à aider les apprenants à devenir des champions de la langue et des champions au sein de leur collectivité qui soutiennent le renouvellement à l’échelle de la collectivité. Nous devons travailler à servir d’intermédiaire dans le but d’aider la collectivité, les écoles et les autres enseignants à utiliser réellement l’inuktitut au quotidien.

Nous avons entendu à maintes reprises qu’il fallait des champions de notre langue au sein de notre système scolaire. Nous avons besoin d’enseignants forts dans leur langue afin de la transmettre à la jeune génération et pour continuer à l’utiliser également dans la collectivité.

Comme je l’ai déjà dit, nous avons ce seul élément assorti de rôles multiples. Toutefois, pour reconstituer le tout, nous devons tous travailler ensemble afin d’atteindre cet objectif commun. Je sais que beaucoup d’entre nous ont pour objectif commun de voir nos apprenants exceller et de voir notre langue, l’inuktitut, et notre culture, renforcées. Voilà, entre autres, ce que nous, au Collège, espérons soutenir dans nos collectivités également.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé de Piqqusilirivvik et de ses succès, mais on ne le retrouve que dans trois des 25 collectivités du Nunavut. Pouvez-vous nous dire où le Programme de formation des enseignants est offert, dans quels emplacements des 25 collectivités du Nunavut?

Mme Mearns : Oui. Nous avons actuellement Iqaluit, Sanikiluaq, Clyde River, Pond Inlet, Rankin Inlet, Arviat, Baker Lake, Kugluktuk et Gjoa Haven.

Le sénateur Patterson : C’est environ 8 collectivités sur 25?

Mme Mearns : Neuf.

Le sénateur Patterson : D’accord, merci. Il y a donc un long chemin à parcourir pour former les enseignants.

Mme Mearns : Absolument.

La présidente : Merci, madame Mearns, de votre exposé et merci à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, des questions.

Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe. Nous avons d’autres témoins qui sont en route, et ils se joindront à nous plus tard.

Le comité est heureux de souhaiter la bienvenue à l’honorable David Joanasie, ministre des Langues, ministre de la Culture et du Patrimoine et ministre de l’Éducation du Nunavut. Il est accompagné de Mme Susan Enuaraq, conseillère principale, inuktut, du gouvernement du Nunavut. Nous accueillons également Mme Aluki Kotierk, présidente de Nunavut Tunngavik Incorporated et Ian Martin, professeur au Collège Glendon de l’Université York.

Merci de prendre le temps de comparaître devant nous aujourd’hui. Nous allons commencer par écouter vos exposés dans l’ordre dans lequel vous avez été présentés, en commençant par le ministre Joanasie.

[Traduction de l’interprétation]

L’hon. David Joanasie, ministre des Langues, ministre de la Culture et du Patrimoine, ministre de l’Éducation : Merci de nous accueillir. Ce matin, nous allons parler de choses qui nous tiennent à cœur : notre langue, notre culture et notre identité. Ce sont là des éléments essentiels pour les Inuits qui vivent au Nunavut depuis des milliers d’années.

Cette semaine marque un moment très spécial pour tous les Nunavummiut et les Canadiens puisque nous célébrons le 20e anniversaire de la création du Nunavut. J’aimerais réitérer que, contrairement à toute autre administration canadienne, notre territoire et notre gouvernement public ont vu le jour à la suite de l’un des accords les plus complets sur les revendications territoriales conclus par Sa Majesté la Reine et les Inuits de la région du Nunavut, un traité moderne reconnu et protégé en vertu de la Constitution canadienne.

Il y a 10 ans, le Nunavut a utilisé son pouvoir législatif pour adopter des lois linguistiques visant à protéger et à promouvoir le droit inhérent des Inuits du Nunavut à l’utilisation de l’inuktut, en toute égalité avec l’anglais et le français. Ce niveau de protection législative demeure sans précédent parmi les administrations canadiennes aujourd’hui. Nous sommes fiers de cette réalisation, mais elle n’est pas sans défis.

Le gouvernement du Canada propose maintenant le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones. Bien qu’il s’agisse d’une étape importante dans la reconnaissance de l’importance des langues autochtones dans notre pays, j’aimerais vous faire part de quelques points.

La langue inuite est propre aux Inuits. C’est la langue parlée et maternelle de la plupart des membres de notre population territoriale, et, pour beaucoup, c’est la seule langue qu’ils connaissent.

Cependant, les Nunavummiut continuent d’être traités comme des citoyens de deuxième ou de troisième classe lorsqu’ils communiquent ou reçoivent des services de ministères fédéraux ou d’organismes sous réglementation fédérale exerçant leurs activités sur notre territoire, puisque ces services ou programmes sont insuffisants ou ne sont pas fournis en inuktut.

Compte tenu de ces circonstances désavantageuses auxquelles sont confrontés les Inuits au Nunavut, en particulier les aînés qui parlent l’inuktut, ils ne peuvent pas bénéficier d’un accès égal aux services fédéraux que les autres Canadiens tiennent pour acquis, en anglais ou en français. Ils ne devraient pas avoir à se sentir comme des étrangers dans leur propre pays.

Nous espérons que le Canada reconnaîtra en droit l’inuktut comme langue fondatrice et officielle du Canada au Nunavut et s’engagera résolument à améliorer l’accès aux programmes et aux services fédéraux offerts aux Nunavummiut en inuktut.

Honorables sénateurs, l’inuktut est à la croisée des chemins. Selon de récents rapports fédéraux, l’inuktut est l’une des langues autochtones du Canada ayant le plus fort potentiel de survie à long terme, mais nous sommes préoccupés par la tendance persistante de la perte de la langue chez nos jeunes et dans certaines collectivités.

Un rapport d’analyse détaillé sur l’évolution de la situation linguistique au Nunavut de 2001 à 2016 a révélé que, sur une période de 15 ans, la langue maternelle qu’est l’inuktut a connu une baisse, passant de 71,7 p. 100 en 2001 à 65,3 p. 100 en 2016. Chez les Inuits, cela représente 7 075 personnes aujourd’hui qui n’ont pas l’inuktut comme première langue apprise.

Dans des rapports statistiques récents, l’inuktut serait de plus en plus utilisé à la maison. Il est, par contre, en voie de passer de la langue principale à la langue secondaire utilisée à la maison, souvent parallèlement à l’anglais, qui prend de plus en plus d’importance.

En conclusion, la législation sur les langues du Nunavut est le résultat de plusieurs années d’intenses efforts de mise en valeur conjointe avec des intervenants linguistiques au Nunavut, notamment Nunavut Tunngavik Incorporated et d’autres groupes inuits. Jose Amaujaq Kusugak, ancien dirigeant inuit territorial, national et international, a déclaré : « Nous sommes déterminés à continuer de collaborer avec le Canada et d’autres intervenants afin de réaliser le rêve du Nunavut comme élément de la mosaïque canadienne à la fois dynamique, profitable et tout aussi respecté. Nous voulons égaliser les chances afin de participer comme tout autre Canadien. Nous sommes tous concernés pour améliorer le Canada. »

Nos jeunes, nos aînés et les Nunavummiut doivent avoir l’assurance que la langue de nos ancêtres et de nos descendants sera reconnue par notre pays et traitée avec dignité dans notre pays. Qujannamiik. Je vous remercie.

Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Incorporated : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci de nous accueillir ici aujourd’hui et de nous offrir la possibilité de vous parler ce matin. Je suis très heureuse de voir que vous avez à votre disposition des interprètes qui parlent l’inuktut.

C’est un plaisir d’être ici ce matin pour parler de l’inuktut et de l’importance qu’a la langue pour nous au Canada.

Mesdames et messieurs, je tiens à préciser cette notion. L’inuktut est très important. C’est ce qui représente le plus notre identité culturelle. La langue nous touche à tous égards.

À l’heure actuelle, les dirigeants inuits prennent fréquemment des décisions sur la manière de mettre en place et de légiférer l’inuktut. Mesdames et messieurs, vous pouvez également contribuer à son avancement.

Les Inuits et les habitants du Nunavut ont examiné ce projet de loi visant l’amélioration de la situation des langues autochtones. Il contribuera à la progression de la langue inuite pour qu’elle soit bien vivante dans nos foyers et qu’elle soit utilisée dans nos foyers et nos écoles, ainsi que dans les bureaux de la région d’Inuit Nunangat.

Au Nunavut, nous parlons toutes les langues, même l’anglais et le français. L’inuktut devrait être couramment parlé puisqu’il n’existe que deux langues officielles au Canada.

Comme je l’ai dit auparavant, l’inuktut nous touche, il définit notre identité culturelle. Je peux dire qu’il nous touche également en tant que Canadiens. Notre langue est très importante. Nous l’utilisons autant pour parler de sujets importants que pour nous divertir. Nous l’utiliserons pour des générations à venir.

Pour ce qui est des comités, je suis venue ici pour parler de ce sujet particulier. Les membres m’ont posé des questions et j’ai répondu en conséquence. Je vous encourage à consulter les commentaires que j’ai faits cette journée-là. Je ne passerai pas en revue tout ce que j’ai dit avant.

Tout d’abord, il m’est difficile de parler de l’inuktut et du fait que nous sommes en train de perdre notre langue. Les personnes qui parlent encore couramment l’inuktut sont peu nombreuses. Si le projet de loi n’est pas modifié, cela ne nous aidera aucunement à faire progresser notre langue.

L’autre point que je souhaite aborder devant le comité a déjà été mis en lumière par ce projet de loi. Des changements ont été apportés, mais ils ne nous aideront probablement pas; cela ne fera pas avancer notre cause.

Comme je l’ai dit plus tôt, notre langue se détériore. Nous ne souhaitons pas que cela se produise, mais c’est vraiment le cas. Nous allons entendre Ian Martin, professeur à l’Université York, qui peut préciser que nous sommes en train de perdre notre langue. Le sénateur a également déclaré qu’en 2050, seulement 40 p. 100 d’entre nous parlerons l’inuktut.

Nous devons modifier les lois pour renforcer notre langue. Nous allons la perdre davantage si nous n’apportons aucune modification à ces lois.

Je ne souhaite pas parler en mal des lois au Canada, mais il est certain que l’adoption de l’article 35 est l’une des meilleures choses qui nous soient arrivées. L’article peut être un outil essentiel et utile pour améliorer la situation des langues autochtones. Je crois qu’il faut en améliorer le contenu et le réitérer. Par exemple, il faut mentionner l’importance des choses que nous promouvons en Inuit Nunangat et au Nunavut — les habitants doivent pouvoir assurer leur prospérité en utilisant leur propre langue. Il faut également soutenir le Programme de formation des enseignants, car nous avons besoin de bons enseignants pour assurer la pérennité de la langue.

Je veux souligner que je suis très fière de notre langue et que nous devons apporter des changements aux lois. Nous devons soutenir l’inuktut. Nous y avons travaillé d’arrache-pied au cours des deux dernières années, en espérant aboutir à des résultats positifs, c’est-à-dire un soutien à la langue inuite. Nous avons besoin davantage de soutien.

Les résolutions que nous avons suggérées n’ont pas été examinées, ce qui est malheureux. Si seulement les membres du comité avaient pu adéquatement examiner nos recommandations, nous serions en train de vous les communiquer aujourd’hui. Je sais que Tapiriit Kanatami en a parlé. Nous ne savons pas si nos recommandations et ajouts sont applicables ou peuvent être utiles. Cela peut-il être légiféré?

Je ne crois pas que les membres ont tenu compte de ces recommandations ou pris des décisions à cet égard. Nous ne savons rien à ce sujet. Nous ne savons pas si elles seront ajoutées. Les Inuits sont aussi des personnes autochtones, qui sont représentées par la Reine. Nous espérons que les membres seront entièrement honnêtes et qu’ils collaboreront avec les Inuits sur ces questions. Les Inuits font partie du Canada.

En conclusion, je pense que les recommandations que nous aimerions vous communiquer sont très utiles. Nous y avons réfléchi en long et en large. Elles sont faciles à comprendre et peuvent être aussi mises en place. C’est ce que je crois.

Mesdames et messieurs, je vous encourage à ajouter ces recommandations. Veuillez les examiner adéquatement pour savoir comment vous pouvez les utiliser. J’aimerais connaître les résultats. Une recommandation qui concerne le français sera automatiquement prise en compte; je m’attends donc à la même chose quant à la langue inuite.

Nous ne tentons pas d’accorder à notre langue une place plus importante qu’à une autre langue. Nous souhaitons seulement qu’elle soit égale à l’anglais et au français, puisque c’est la langue la plus utilisée en Inuit Nunangat. En gros, toutes les communications se font en inuktut, et nous le savons. En tant que groupe autochtone du Canada, notre but est d’obtenir la même chose, et ils sont sans doute en mesure d’en faire autant.

Nous aimerions que vous ajoutiez les recommandations. Elles sont faciles à comprendre. Nos décisions sont fondées sur cela, et les Inuits pourront recevoir des services dans leur langue.

Nous sommes fiers d’être Inuits et de parler notre langue. Nous sommes également fiers d’être Canadiens et, que nous soyons Inuits ou Canadiens, nous devrions tous être traités de la même manière. Je vous invite, mesdames et messieurs, qui êtes des dirigeants, à adopter cette loi concernant les langues. C’est ce que nous, les Inuits, espérons. Merci.

[Traduction]

Ian Martin, professeur, Collège Glendon , Université York, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aux membres du comité de m’avoir invité, un non-Inuit. Quoique, en fait, j’ai déjà essayé de traduire le terme non-Inuit en inuktitut, et on m’a dit : « Donc, qu’allez-vous faire? Commencer à interviewer un caribou ou des pierres? Vous n’êtes pas non-Inuit. Vous êtes humain. »

Laissez-moi reconnaître que nous sommes sur le territoire ancestral non cédé de la nation algonquine Anishnabeg. J’aimerais souligner les compétences linguistiques remarquables des interprètes.

Aujourd’hui, nous sommes au lendemain du 20e anniversaire de la création du Nunavut. C’est environ à la même époque que j’ai participé à la mise en place de la politique linguistique au Nunavut. Peu de temps après la création du Nunavut, l’administration du nouveau territoire n’avait pris aucune décision, entre autres, sur sa politique linguistique, tout particulièrement en ce qui concerne la langue inuite et la politique sur l’éducation.

J’enseigne les politiques linguistiques et les politiques sur les langues et l’éducation à l’Université York. Je donne un cours très particulier, qui porte sur l’étude comparative des politiques relatives aux langues autochtones, au Canada et dans les Amériques. Je suis ravi de constater qu’il est maintenant possible d’établir une comparaison entre le Canada et les Amériques sur cette question, étant donné que le Canada accusait un retard considérable, par rapport à presque tous les autres pays de l’hémisphère, en ce qui concerne la rédaction d’un document fédéral qui reconnaît les langues autochtones et qui traite du sujet. Nous tirons de l’arrière par rapport au Mexique, aux États-Unis, à la Colombie et à la Bolivie, bien entendu. Pour ce qui est du Canada, j’ai utilisé comme facteur de comparaison les lois linguistiques, telles qu’elles existent, dans les provinces, mais, plus particulièrement, les lois linguistiques du Nunavut qui ont été créées en 2008.

De 2002 à 2008, j’ai participé activement, pour le gouvernement du Nunavut, à l’élaboration d’idées visant à mettre en place un système d’éducation bilingue rigoureux dans lequel les droits linguistiques des Inuits seraient reconnus. Je vais parler de cela plus particulièrement.

Comme vous le savez sans doute, le projet du Nunavut existe en grande partie parce que les dirigeants inuits qui négociaient avec le Canada étaient animés par la crainte de perdre leur langue. À l’époque, les dirigeants étaient principalement des survivants des pensionnats qui ne souhaitaient pas que l’histoire se répète, à savoir que le système d’éducation serait dominé par les anglophones du Sud du pays. Ils souhaitaient que les choses soient différentes.

Je crois qu’ils seraient très déçus de la situation des écoles du Nunavut aujourd’hui. Le taux d’obtention de diplômes est très faible. La dernière fois que j’ai vérifié, c’était le taux le plus faible au Canada. Moins de la moitié des collectivités au Nunavut, seulement 11 sur 25 en 2017, recevaient un enseignement en inuktitut, et ce, jusqu’à la troisième année. À l’exception de l’illustre exemple de Clyde River que nous venons tout juste d’entendre, le Nunavut est essentiellement un système où l’anglais prédomine.

C’est un grand paradoxe, car, en théorie, le Nunavut est régi par les meilleures lois qui visent le soutien de l’enseignement des langues autochtones, plus que toute autre administration du Canada et des Amériques. En 2008, trois lois territoriales ont été adoptées — la Loi sur la protection de la langue inuite, la Loi sur les langues officielles du Nunavut et la Loi sur l’éducation — lesquelles obligeaient le gouvernement à prolonger progressivement l’enseignement en inuktitut, ou en inuktut comme on l’appelle aujourd’hui, d’une année scolaire à l’autre, de sorte qu’un finissant de 12e année puisse maîtriser l’inuktitut à l’écrit et à l’oral; ce droit inné doit lui être assuré par le système scolaire.

Aujourd’hui, nous sommes à deux mois de la date prévue de l’entrée en vigueur de ce droit, c’est-à-dire en juillet 2019. Mais, au lieu de célébrer la mise en place d’un système totalement bilingue, qui aurait été un exemple pour le Canada et le reste du monde, le gouvernement du Nunavut a senti la nécessité de présenter un projet de loi pour reporter la prestation bilingue de services d’éducation au-delà de la troisième année.

Si vous avez l’impression qu’au cours des 10 dernières années, depuis 2008, le gouvernement du Nunavut, et plus particulièrement le ministère de l’Éducation, n’ont pratiquement rien fait pour promouvoir l’inuktut dans les écoles, vous avez raison. Au lieu de mettre en œuvre un programme de formation des enseignants inuits pour offrir un enseignement qui répond aux exigences de leur loi sur l’éducation, ils ont continué à embaucher de plus en plus de locuteurs anglophones unilingues jusqu’à ce que 75 p. 100 des enseignants du système scolaire soient des employés du Sud qui ne peuvent ni enseigner l’inuktut ni enseigner dans cette langue.

Si la tendance se maintient et que les enseignants inuits des premiers niveaux scolaires prennent leur retraite sans être remplacés, le système scolaire du Nunavut sera occupé uniquement par des employés du Sud et il n’y aura plus aucun enseignant inuit d’ici 2026. Nous sommes à des lieues des objectifs visés par les fondateurs du Nunavut et des dispositions de l’article 23 de l’accord sur les revendications territoriales du Nunavut, lequel exige que la prestation des services publics, notamment l’éducation, soit assurée par des personnes inuites, dont le nombre doit être proportionnel à celui de la population du territoire, qui est de 85 p. 100. Toutefois, en ne respectant pas les droits linguistiques des Inuits définis dans la Loi sur l’éducation du Nunavut, le système scolaire n’a formé qu’un nombre limité d’étudiants de niveau secondaire pour combler les postes devant assurer la prestation des services publics dans la langue majoritaire du territoire. C’est donc un double coup dur.

Vous savez tous que le terme « vitalité des langue » est couramment utilisé pour évaluer si une langue répond aux besoins de ses locuteurs, en tant qu’individus et membres d’une collectivité. L’UNESCO utilise un ensemble de facteurs de vitalité pour évaluer le statut sociolinguistique d’une langue comme moyen d’aider les communautés et les responsables de l’élaboration de politiques à adopter des mesures pour prévenir les pertes et promouvoir les gains.

De façon générale, l’UNESCO considère le statut de l’inuktut comme vulnérable plutôt que sûr. Le niveau de vitalité « sûr » est le plus élevé et est suivi du niveau « vulnérable » et de différents degrés de langues en danger.

Je crois que le sénateur Patterson a fait mention dans sa question d’un sondage réalisé récemment par Statistique Canada sur l’utilisation de la langue au Nunavut. C’est un excellent rapport qui est très détaillé et qui indique que la langue se rapproche du niveau « en danger ».

Bien entendu, les besoins particuliers de certaines régions comme Kitikmeot font partie de l’équation. Iqaluit est une région qui exige également une attention particulière. La situation de la langue est plutôt stable à Clyde River et à Pangnirtung, par exemple. Ce n’est pas le cas pour Kitikmeot, ni pour Iqaluit, ni totalement pour Rankin.

Statistique Canada exclut donc le système éducatif. Mais, comme nous l’avons appris de l’époque des pensionnats, les écoles ont le pouvoir de « dévitaliser » une langue parlée par les enfants et de la remplacer par celle du colonisateur. Je dois citer ici Fiona Walton, de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, qui a une grande expérience dans le système éducatif du Nunavut : « l’ombre du colonialisme plane sur nous tous, Inuits et Qallunaat. » Je n’ai aucun doute sur le fait que l’ombre de ce colonialisme s’est matérialisée dans le système scolaire qui, en tant qu’objectif politique de facto, contribue au déclin de la vitalité de l’inuktut, ce qui a pour effet de faire passer la langue la plus forte, parlée par les enfants, de leur langue maternelle à l’anglais. Même dans la récente étude réalisée, il y a des motifs de penser que certains enfants croient maintenant que leur langue maternelle est vraiment l’anglais et non l’inuktut. Cela se rapproche dangereusement d’une politique de linguicide, soit le remplacement forcé d’une langue maternelle par, dans ce cas, une langue coloniale.

Compte tenu de l’étude de cas problématique que constitue le Nunavut, la question qui se pose est de savoir si le projet de loi C-91 actuel peut être un outil permettant d’espérer que l’inuktut mettra fin à sa spirale descendante, se stabilisera puis se renforcera. Si l’on écoute la voix de Nunavut Tunngavik Inc. et celle d’un grand nombre de parents inuits, non seulement à Iqaluit, mais également ceux de tout le Nunavut, qui sont représentés par les Administrations scolaires de district, ou l’ASD, nous avons la preuve évidente que les Inuits veulent renverser la tendance. Ils veulent que le Nunavut fonctionne et qu’il fonctionne en inuktut.

Le projet de loi C-91 clarifie-t-il l’article 14 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui garantit le droit à un système scolaire dispensé dans la langue parlée par les enfants, sous le contrôle de leur propre groupe linguistique, qui est la norme que nous utilisons pour le français, l’anglais et pour les milieux minoritaires au Canada? Nous ne devons donc pas établir une hiérarchie d’appartenance au Canada, selon laquelle les langues autochtones sont en quelque sorte inférieures à celles du colon; loin de là. En fait, je pense que nous devons être très fiers de ce qui a été fait en matière de conciliation entre l’anglais et le français, et ce, en grande partie dans le domaine linguistique. Comme a dit Graham Fraser, un des grands commissaires aux langues officielles, la langue est au Canada ce que la race est aux États-Unis et la classe sociale au Royaume-Uni. Il s’agit du prisme à travers lequel nous organisons le pays et nous nous occupons de ses citoyens, y compris les citoyens ayant des caractéristiques, des territoires et des besoins linguistiques spécifiques. C’est ce que nous avons fait avec la Loi sur les langues officielles.

Un des modèles sur lequel je me questionne toujours quand je vois la politique sur les langues autochtones, c’est comment cela fonctionnerait-il au Québec? Le Québec serait-il satisfait, par exemple, d’avoir 75 p. 100 de ses enseignants anglophones voir leur langue perdre de sa vitalité, puis, grâce à un projet de loi fédéral, retrouver en quelque sorte sa vitalité et devenir des langues dans lesquelles on offre tous les services? Je ne pense pas. Nous devons réellement utiliser la norme de nos langues officielles en situation minoritaire comme guide — même si parfois il ne s’agit pas d’un guide parfait — au chapitre des politiques et du financement.

Nous ne pouvons pas oublier non plus que ce projet de loi ne semble pas vraiment respecter l’engagement de remédier aux atteintes aux droits garantis par l’article 35. C’est merveilleux de voir que le projet de loi mentionne la langue comme étant un des droits. Il n’est pas mentionné quels sont les droits linguistiques précis qui figurent dans ce projet de loi; il semble donc que, oui, le panier prévoit une catégorie linguistique, mais il est, en quelque sorte, encore vide.

Bon nombre des personnes qui ont comparu devant le comité de la Chambre des communes, et je crois devant votre comité, ont déclaré préférer que le projet de loi englobe les articles spécifiques de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier les articles 13, 14 et 15, ainsi que les articles relatifs à la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Nous constatons que, même si les articles 13, 14 et 15 sont visés par ce projet de loi — et, soit dit en passant, il s’agissait d’une recommandation issue d’un rapport du Congrès national sur la vérité et la réconciliation et la politique linguistique que nous avions au Collège universitaire Glendon en 2016, un document que nous avons présenté au cabinet du premier ministre. Nous l’avons présenté aux ministères à Ottawa seulement quelques semaines avant l’annonce de ce projet de loi. Nous pensons que cela a joué un rôle de catalyseur pour convaincre le gouvernement fédéral qu’un projet de loi portant sur les langues autochtones devrait se concentrer sur les articles 13, 14 et 15 — nous ne voyons pas d’engagement similaire à l’article 10, qui est la recommandation de la CVR sur l’éducation. Il se pourrait que cela tienne au ministère du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, qui n’offre généralement pas de soutien à long terme; il offre un soutien aux projets. Même s’il s’agissait du ministère responsable — et il aurait dû être le ministère responsable des trois ministères : du Patrimoine, des Relations Couronne-Autochtones et des Services aux Autochtones — je ne sais pas si cet engagement interministériel existe. Je pense qu’il se peut que le ministère du Patrimoine n’ait pas vraiment joué le rôle de chef de file pour les trois ministères, et par conséquent, il peut y avoir une faille dans le projet de loi découlant d’une lacune dans la définition des mandats de ces trois ministères — actuellement, c’est trois ministères; à l’origine, il y en avait deux — axés sur la langue dans ce projet de loi.

Mais soyons optimistes et imaginons qu’il y ait une intention positive dans ce projet de loi — compte tenu du libellé, nous ne pouvons pas parler d’« attributions » — celle de s’assurer que les fonds versés aux peuples autochtones aux fins de l’application de ce projet de loi seront, d’abord et avant tout, versés aux organismes gouvernementaux autochtones détenteurs de droits.

Si c’est l’intention, et puisque NTI est un organisme qui détient de tels droits et que le gouvernement du Nunavut n’en est pas un, cela pourrait fournir à NTI suffisamment de moyens pour influencer favorablement la politique du gouvernement du Nunavut. Il pourrait peut-être y avoir un projet sérieux de formation d’enseignants parlant l’inuktut et de mise en œuvre d’un système scolaire fortement bilingue.

Une mise en garde s’impose. Il se peut que le refus du gouvernement du Nunavut d’appuyer l’inuktut tienne non pas principalement à une question d’ordre financier, mais à une question d’ordre idéologique : l’ombre du colonialisme qui nuit à la fois aux Inuits et aux non-Inuits. Peut-être que le ministère appuie sans réserve les intérêts acquis qui ont exigé une discrimination systémique à l’égard des Inuits et de l’inuktut — la politique linguistique servant d’instrument direct — pour s’implanter dans les années qui ont suivi la création du Nunavut, mais ces intérêts sont maintenant devenus des obstacles aussi dysfonctionnels que bien ancrés à toute ouverture au changement devant permettre une réconciliation.

La présidente : Monsieur Martin, vos sept minutes sont écoulées. Pourriez-vous s’il vous plaît résumer vos prochaines observations?

M. Martin : Permettez-moi de conclure en disant qu’il ne fait aucun doute que le Nunavut servira de pierre de touche au projet de loi C-91 et à la bonne foi du gouvernement du Canada. Il s’agit également d’un test pour le Nunavut. Comme l’a dit Sandra Inutiq, l’ancienne commissaire aux langues officielles du Nunavut : « pourquoi avons-nous pris la peine de créer le Nunavut si on n’allait pas en renforcer la langue? »

Qujannamiik. Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés.

Ma question s’adresse à Mme Kotierk et à M. le ministre Joanasie. Selon vous, pourquoi l’inuktut n’est-il pas la langue de travail du territoire du Nunavut?

Mme Kotierk : Merci de poser la question. Comme l’a indiqué Ian Martin, hier, c’était le 20e anniversaire de la création du Nunavut, et quand on se penche sur les documents des mandats de chaque gouvernement, en commençant par le mandat Bathurst, ou Pinasuaqtavut, on y réitère le souhait que l’inuktut devienne la langue de travail dans la fonction publique territoriale.

Toutefois, nous n’y sommes pas encore. Nous n’avons pas atteint cet objectif. J’ai l’impression que chaque mandat futur continuera d’affirmer que nous voulons que l’inuktut soit notre langue de travail. Mais, s’il n’y a pas d’efforts concrets et de programmes mis sur pied pour réaliser cela, ces mots continueront simplement d’être l’expression d’aspirations.

Je sais que Ian Martin a soulevé la question de savoir si les ressources en sont vraiment la raison et si un changement idéologique s’impose, mais une des choses dont j’ai pris conscience depuis que j’occupe mon poste, c’est que, depuis la création du Nunavut dans les années 1980, il y a eu des discussions entre le ministère des Finances du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et son homologue fédéral, à propos de l’inuktut comme langue de travail. À cette époque, les représentants ont décidé qu’il y aurait, à une date ultérieure, une discussion visant à évaluer les ressources qui seraient nécessaires pour que l’on puisse veiller à ce que l’inuktut devienne la langue de travail de la nouvelle fonction publique territoriale. À ma connaissance, cette discussion n’a jamais eu lieu, et les ressources n’ont donc jamais été fournies au gouvernement territorial pour qu’il puisse s’assurer que l’inuktut est en train de devenir la langue de travail de notre territoire.

M. Joanasie : J’aimerais ajouter que, compte tenu du nombre d’Inuits qui font maintenant partie de la population active, nous avons ce qu’on appelle l’Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtiit, qui est l’office de la langue mis en place par la Loi sur la protection de la langue inuite. Cet office a été chargé d’évaluer le nombre d’Inuits parlant l’inuktut qui travaillent dans la fonction publique et de voir à quel niveau ils en sont. Nous pouvons encourager les Inuits à utiliser leur langue en milieu de travail. Nous essayons d’y travailler davantage, mais je pense qu’en plus de cela, en tant que gouvernement, nous devons faire un meilleur travail pour que les Nunavummiuts sachent qu’ils ont le droit de travailler en utilisant leur propre langue. Je pense que c’est quelque chose qui, une fois qu’on en prendra davantage conscience, va croître de façon exponentielle.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur Patterson : Madame Kotierk, vous êtes une championne de l’inuktut, et je vous en félicite. Vous travaillez en étroite collaboration avec l’Inuit Tapiriit Kanatami ou l’ITK sur ce qui était au départ un processus d’élaboration concertée qui a échoué. Nous avons entendu dire qu’il n’y a pas eu de réponse aux modifications judicieuses présentées par les Inuits qui ont travaillé ensemble des quatre coins de l’Inuit Nunangat.

Quand le ministre est venu ici, je l’ai interrogé sur ce qui sera fait à propos de l’inuktut, qui brille par son absence dans le projet de loi, et il a dit : « nous menons des discussions bilatérales. » Il a affirmé qu’un représentant ministériel spécial a été nommé.

À quoi ces discussions bilatérales ont-elles abouti? Jusqu’ici, quels sont les échanges que vous avez eus avec le représentant spécial du ministre? Nous sommes à la veille de la finalisation de ce projet de loi. Où en sommes-nous actuellement?

Mme Kotierk : Merci de poser la question, sénateur.

En 2016, quand le premier ministre a annoncé qu’il allait y avoir une loi sur les langues autochtones, en tant qu’Inuits, nous avions bon espoir et nous étions prêts. Nous nous sommes retroussé les manches pour travailler activement avec le gouvernement fédéral.

Au début, nous avions souhaité avoir un projet de loi distinct qui met l’accent sur la langue inuite. Quand nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas une possibilité, nous avons fait un compromis, à mon avis, et nous avons dit que nous travaillerons avec le gouvernement et que nous trouverions un moyen de communiquer ce que nous voulions voir figurer dans le projet de loi.

Comme vous le savez, le projet de loi C-91 a été proposé. Nous avons indiqué que nous n’en étions pas satisfaits. Nous avons de nouveau fait un compromis et avons proposé qu’une annexe, que nous vous avons fournie, soit incluse dans ce projet de loi.

Depuis, le ministre a nommé le représentant ministériel. Nous avons tenu à collaborer avec lui, car nous avons essayé de travailler dans le cadre du processus pour tenter d’atteindre les objectifs que nous voulons voir se concrétiser dans l’Inuit Nunangat, à savoir que les Inuits puissent marcher avec dignité et recevoir des services comparables à ceux des autres Canadiens qui en bénéficient, mais dans leur propre langue, plutôt que de s’en remettre de manière informelle à des membres de la famille, que ce soit une nièce, un neveu, des petits-enfants ou des enfants.

Je suis très déçue de vous annoncer que même si un représentant spécial a été nommé, il y a eu un temps mort en raison des allers-retours. Nous avons pensé que le temps manquait et que nous allions travailler très dur et d’arrache-pied pour faire avancer et réviser la mesure législative proposée. Malheureusement, nous n’avons eu aucune réponse à nos propositions. Nous n’avons jamais reçu de réponse officielle à l’annexe que nous avons proposée. La dernière chose que nous avons entendu dire, c’est que le représentant spécial a présenté un document d’information au ministre, mais il n’y a eu aucun progrès depuis.

Je dois dire qu’il y a eu des délais entre les réponses, alors j’ai l’impression qu’il n’y a aucune urgence à régler les problèmes auxquels font face les Inuits.

Le sénateur Patterson : Merci.

Je suppose que ce que je dois vous demander, madame Kotierk, est donc ceci : quels changements minimaux les Inuits doivent-ils constater pour se sentir entendus au sujet de cette législation et se considérer comme véritables partenaires du développement conjoint? Que doit faire le comité avec ce projet de loi?

Mme Kotierk : Sauf votre respect, j’estime que l’annexe que nous avons fournie est le strict minimum. Nous avons déjà fait des compromis. J’ai expliqué que nous nous attendions à avoir un projet de loi distinct. Je sais que le ministre Rodriguez et son personnel collaborent avec nous au Nunavut dans le cadre d’une initiative pour la formation des enseignants afin de voir comment augmenter le nombre d’enseignants parlant l’inuktut. L’approche est bienvenue, mais à mon avis, elle est fragmentaire.

Nous voulons que l’inuktut bénéficie de normes objectives similaires à celles du français et de l’anglais au sein de l’Inuit Nunangat. Je m’attends, par exemple, à ce que ma tante unilingue parlant l’inuktut puisse recevoir des programmes et des services sans avoir à compter sur des parents qui ne sont pas des interprètes qualifiés et sans problème de bris de confidentialité.

Je pense que tous les Canadiens devraient pouvoir s’attendre à ce droit de la personne fondamental. Dans la configuration actuelle du système, il convient de procéder à une réforme de type idéologique et systémique quant à la manière dont les choses sont perçues. À mon avis, si nous effectuons de simples amendements et modifions quelques adjectifs ici et là, cela ne réglera pas le problème de services essentiels dispensés en inuktut.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous. Vous avez répondu à une partie de la question, à savoir « ce qui est nécessaire ». Si vous aviez d’autres recommandations à nous faire, je l’apprécierais certainement.

Cependant, j’aimerais que vous parliez, compte tenu de votre dernier commentaire en particulier, des répercussions pour ceux qui sont criminalisés. Chaque fois que je suis allée dans le Nord, j’ai été frappée par le fait que toutes les personnes incarcérées sont des Inuits, mais pratiquement aucune personne chargée de l’administration du système de justice et du système pénitentiaire ne parle l’inuktut. Dans des situations de violence envers les femmes, cela peut même entraîner une dépendance envers des membres de la famille de l’auteur du crime pour l’interprétation. Parfois, cela signifie qu’une personne ayant peut-être été victime de violence est censée traduire pour l’auteur du délit. J’ai remarqué que cela constitue un problème. Je ne sais pas si vous aimeriez ajouter quelque chose à ce sujet ou si vous pouvez faire part au comité de toute autre question à cet égard.

Mme Kotierk : Merci. Je pense qu’il y a de nombreux exemples de situation de vie ou de mort, que ce soit dans le système de soins de santé, le système de justice ou le système scolaire, où les Inuits sont placés dans une position vulnérable et défavorisés parce qu’ils sont incapables de comprendre ce qui se passe autour d’eux puisque la langue parlée n’est pas leur langue maternelle ou une langue qu’ils peuvent comprendre.

Je vous encourage à jeter un coup d’œil sur certains des résultats obtenus par la commission Viens au Nunavik, dans le Nord du Québec. Je sais que certains renseignements publics et l’attention des médias ont fait état d’exemples d’Inuits défavorisés dans le système de justice parce qu’ils ne comprenaient pas ce que certaines choses voulaient dire et qu’ils ont pris des décisions fondées sur ce malentendu, lesquelles auraient alors eu un effet préjudiciable sur leur propre vie.

Le sénateur Sinclair : Merci à tous de vos exposés. Je les ai trouvés très utiles et très instructifs, et cela soulève beaucoup de questions sur le projet de loi. L’une des questions que j’aurai, bien sûr, sera de savoir si, finalement, vous pensez que le projet de loi mérite d’être appuyé ou si nous devons le modifier avant de pouvoir l’appuyer.

Je voulais poser une question au ministre. D’après ce que nous avons entendu, notamment de la part de M. Martin, l’un des problèmes tient au fait que le système d’éducation n’a pas été en mesure de certifier et d’embaucher suffisamment de locuteurs de la langue pouvant enseigner dans cette langue, ce qui a contribué au déclin de l’usage de la langue.

Le gouvernement du Nunavut a-t-il l’intention de modifier son processus de certification ou d’établir un tel processus, reconnaissant que les personnes qui sont capables de parler la langue auront une longueur d’avance sur les enseignants du Sud qui arrivent et qui n’ont pas accès à la langue, ne l’ont pas parlée et ne peuvent pas enseigner dans cette langue?

M. Joanasie : Nous examinons différentes façons d’intégrer plus d’enseignants de langue inuite dans notre système.

Pour vous donner un peu plus de contexte sur l’éducation au Nunavut... Sénateur Sinclair, bien sûr, vous avez fait partie de la Commission de vérité et réconciliation, qui s’occupe des pensionnats indiens. Les écoles fédérales de jour au Nunavut sont relativement nouvelles. Cela fait maintenant deux générations qu’elles exercent leurs activités, ce qui nous permet de rattraper notre retard sur le reste du Canada, pour ainsi dire. En 20 ans, nous avons tenté d’être considérés sur le même pied que le Canada.

Il y a eu des réussites dans le recrutement d’enseignants inuits sur le terrain. Mme Mearns, du Collège de l’Arctique du Nunavut, a parlé plus tôt du partenariat avec l’Université Memorial, que nous estimons très prometteur. Cette année, je crois que 92 étudiants sont inscrits au Programme de formation des enseignants, soit le nombre le plus élevé depuis sa création.

Nous voulons que de plus en plus de Nunavummiut s’engagent dans cette voie professionnelle. Nous savons que des Nunavummiut ont un baccalauréat en éducation, mais ils ont poursuivi d’autres carrières en dehors du système scolaire. Nous voulons voir s’il est possible de les ramener au sein de ce système.

Il a été suggéré de former des enseignants suppléants puis de les intégrer à un programme de baccalauréat en éducation. Nous examinons différentes façons de recruter davantage d’enseignants inuits, en particulier des enseignants parlant l’inuktut. Voilà où je veux en venir : des chefs de file comme Mme Kotierk et d’autres personnes autour de la table peuvent nous aider à convaincre les Nunavummiut que l’enseignement est un métier viable et enrichissant.

Cependant, nous avons également besoin d’étudiants inuits détenteurs d’une maîtrise et d’un doctorat, qui seront les pionniers pour la formation d’un plus grand nombre d’enseignants, de directeurs d’école et de responsables de l’éducation possédant les qualifications les plus élevées que nous recherchons. C’est une grande chose.

Je vous remercie.

Le sénateur Christmas : Ma question s’adresse à tout participant qui souhaiterait y répondre. Le titre du projet de loi C-91 est « Loi concernant les langues autochtones ». Nous avons constaté que le projet de loi C-92 fait spécifiquement référence aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits.

Espérons que le gouvernement du Canada et vous-mêmes serez en mesure de négocier une inclusion juste des Inuits dans cette loi. Mais si cela échoue, pensez-vous que le nom de la loi devrait être changé pour simplement mentionner Premières Nations et Métis? C’est peut-être une question difficile à poser, mais quelle est la conséquence si le gouvernement ne parvient pas à un accord avec vous, à votre satisfaction, sur la manière dont l’inuktut devrait être traité dans la loi?

Mme Kotierk : Au début, lorsque nous travaillions et que nous nous sommes rendu compte que nous n’aurions pas de loi distincte sur l’inuktut, nous avons proposé qu’il s’agisse de dispositions législatives sur la langue des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Et cela reposait sur le principe selon lequel nous souhaitions une législation fondée sur les distinctions.

Je suis une optimiste. Vous dites : « si le gouvernement ne le fait pas », mais je pense que vous, en tant que sénateur, si vous me permettez, vous avez un rôle à jouer dans la modification de cette loi. Au nom des Canadiens qui ne vivent pas dans la dignité, j’espère que vous êtes courageux. Je vous implore tous d’apporter les amendements dont nous avons besoin afin que les Inuits, qui sont des Canadiens vivant au Nunavut, puissent bénéficier de programmes et de services essentiels en inuktut.

Je ne répondrai pas à la question, car j’espère toujours que vous prendrez les bonnes décisions et apporterez les amendements appropriés que nous devons retrouver dans ce projet de loi.

Le sénateur Christmas : Nous espérons certainement que votre espoir est justifié.

Mme Kotierk : Je l’espère aussi, même si je sais que l’espoir n’est pas un projet.

La sénatrice Coyle : Je pense que vous avez probablement répondu à ma question dans ce que vous venez de dire, donc je ne la poserai pas. Je vais poser une question pratique.

Je veux que vous sachiez que, en tant que sénatrice siégeant au comité, j’appuie sans réserve les propos émanant du groupe de témoins et d’autres personnes que nous avons entendues.

Ma question porte sur la capacité. Supposons que la loi suit la voie que nous voulons. Tout comme lors de la création du Nunavut, il y avait un grand espoir — et il y en a toujours un — pour la langue dans la fonction publique en ce qui concerne la prestation de services par le gouvernement territorial. La capacité semble être un goulot d’étranglement ici. Donc, la loi entre en vigueur avec ce que vous voulez. Tout se joue toujours dans les détails. Comment pouvons-nous travailler avec acharnement afin de surmonter les obstacles qui ont été mis en place? Parce que maintenant, il y aura plus d’exigences — ce que j’apprécie — pour ce qui est de fournir davantage de services dans une langue qui est vulnérable, comme nous l’avons vu.

Quelles sont les grandes choses à faire pour nous assurer non seulement de répondre aux aspirations exprimées il y a 20 ans lors de la création du Nunavut, mais également à cette nouvelle loi, et qui correspond encore plus à ce qui avait été imaginé il y a 20 ans au chapitre des services du gouvernement fédéral et d’acquisition de la langue pour la population du Nunavut?

M. Joanasie : Merci de la question.

Notre gouvernement du Nunavut a déposé à l’Assemblée législative Uqausivut 2.0, notre plan linguistique au sein du gouvernement et pour l’ensemble des Nunavummiut. Les quatre piliers de ce plan sont l’apprentissage de la langue, la langue sur le marché du travail, les services linguistiques, non pas seulement au sein du gouvernement, mais également dans le secteur privé, et, enfin, la revitalisation de la langue.

Ce plan linguistique permet à notre gouvernement de veiller à ce que tous nos ministères disposent d’un plan linguistique qui sera utilisé au cours des quatre prochaines années, jusqu’en 2023. Nous avons un plan en place, et il s’agit de le mettre en œuvre.

Vous dites que la capacité est un goulot d’étranglement. Je pense avoir déjà mentionné que nous avons un système d’évaluation pour voir où en sont les compétences et les capacités linguistiques des personnes. Nous avons besoin de plus de personnes capables d’effectuer les évaluations.

Il comporte de nombreux éléments, mais nous avons un plan en place. Nous devons en faire la promotion et veiller à ce que les Nunavummiut sachent de quoi il s’agit et soient informés de la façon dont ils peuvent participer.

Et ce n’est pas seulement le secteur privé. En vertu de notre législation, le gouvernement fédéral a des obligations au Nunavut. Nos aînés perdent des avantages, des services essentiels et primordiaux, ainsi que des programmes auxquels ils ont droit, mais comme ils ne sont pas offerts en inuktut, ils sont perdants. C’est une réalité à laquelle les gens sont confrontés.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur le ministre.

Mme Kotierk : Les Inuits sont des gens très pragmatiques, sensibles et très patients. Je pense que si les amendements que nous proposons étaient inclus dans le projet de loi, les Inuits sauraient que cela ne signifie pas que, une fois le projet de loi adopté, on s’attend à des services essentiels en inuktut. Je pense que nous savons clairement que nous nous attendons à voir des services essentiels en inuktut à mesure que la capacité augmentera.

En ce qui concerne les enseignants du Nunavut, nous savons qu’en 2006 le gouvernement du Nunavut a élaboré une stratégie visant à accroître le nombre d’enseignants parlant l’inuktut. C’était un excellent plan. Toutefois, il n’a pas été doté en ressources et n’a pas été mis en œuvre. Nous nous retrouvons donc aujourd’hui là où nous sommes.

Je trouve intéressant que le ministre Joanasie ait indiqué qu’il avait besoin d’aide pour convaincre des Nunavummiut de devenir enseignants, sachant que plus de 1 000 enseignants suppléants inuits figurent actuellement sur la liste du personnel pour le gouvernement du Nunavut. Et nous savons que Paul Berger, dans un rapport, a indiqué que les Inuits veulent devenir enseignants, mais ils ont besoin d’information sur la façon de le devenir. Ils ont besoin d’aide pour savoir comment naviguer dans le système afin de recevoir une formation pour devenir enseignants.

Il est également intéressant de noter que le gouvernement du Nunavut, quand on regarde la page sur le recrutement pour qui veut devenir enseignant, se concentre surtout sur le recrutement d’enseignants de l’extérieur du Nunavut, qui souhaitent vivre une aventure au Nunavut.

Tous ces éléments témoignent des changements idéologiques qui doivent avoir lieu au sein de notre gouvernement public territorial afin de garantir que nous verrons se réaliser l’esprit et l’intention de l’Accord du Nunavut.

Je trouve qu’il est très intéressant et, de fait, extrêmement offensant qu’hier, quand nous avons célébré les 20 ans du territoire du Nunavut, le premier ministre provincial a pensé que c’était une bonne journée pour annoncer la nomination de trois nouveaux sous-ministres dont aucun n’est Inuit. À quoi servent la vision et l’esprit de la création du Nunavut, si ce n’est à garantir que les Inuits sont représentés dans la fonction publique territoriale?

La présidente : Merci.

Notre temps est écoulé, mais j’aimerais remercier nos témoins.

Monsieur le ministre Joanasie, merci de votre présence.

Madame Kotierk et monsieur Martin, je vous remercie.

Nous accueillons maintenant Josepi Padlayat, président, Institut culturel Avataq. Zebedee Nungak, spécialiste linguistique, l’accompagne.

Je crois que M. Nungak fera une déclaration. Vous avez la parole. Si vous pouviez abréger votre déclaration, ce serait très apprécié. Nous ne disposons pas de beaucoup de temps, malheureusement.

Zebedee Nungak, Specialist, Language File, Avataq Cultural Institute : Qujannamiik. Thank you.

[M. Nungak s’exprime en inuktut/inuktitut, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

I will summarize what I just said. I assumed that there was interpretation.

This morning, listening to a minister of the Government of Nunavut, David Joanasie, and Aluki Kotierk, President, Nunavut Tunngavik Incorporated, speaking in Inuktitut, our language, if it made you somewhat uncomfortable in your chair, my commentary about that is there should come a time in the future when one of my sons or daughters comes here in front of a panel of senators — your replacements sometime in the future — and be entirely comfortable listening to my children speak to your replacements in Inuktitut without being uncomfortable at all. This should be one of the goals and objectives of being in Canada, that we can speak our language in front of lawmakers and have them be entirely comfortable and not fidgeting in their chairs.

It is a miracle that I am speaking my language because I’ve gone through 12 years of federal “education” with not a dot of Inuktitut in it; six years in a federal day school in my home community and six years in Ottawa. This is my hometown. I know where all the best duck hunting and fishing spots are in the city.

We come here, 2,000 miles, to speak before a panel of senators, and we’re told by the good people running this show that we have to keep our commentary and speeches short, which is not new to me. I’ve been here before. I was downstairs in the constitutional conferences in the 1980s, so time constraints are nothing new to me.

To make the speech and have the impact that I want to make, I’ll read word-for-word some of the commentaries I’ve delivered on CBC North radio in Inuktut and in English which relate to this particular piece of legislation you’re examining.

The first one is called “Government Assisted Linguicide.” Why are we here? Why are you here? Why are we in this setting?

Canada’s federal government possesses unsurpassed expertise in dead and dying Indigenous languages. In 2011, Canada conducted a National Household Survey and issued statistical information which stated that only three Indigenous languages, Ojibway, Cree and Inuktitut, had any chance of survival. The data collected in that survey was dramatic, but didn’t prompt the government to do anything towards saving any Indigenous languages from certain extinction.

It is worth remembering that the federal government had a primary role in the erosion and degradation of Indigenous languages. I will restrict my comments to what I know of Canada’s role in drastically weakening Inuktitut in Nunavik, which is the Inuktitut name for northern Quebec, where we come from.

The federal day school system, which ran from 1958 to 1978, operated exclusively in English. Inuit in continuing education programs in Churchill, Manitoba, and many southern cities were all “educated” in English only. Let me borrow the analogy of a federal law that allows medically assisted suicide. What the Government of Canada has done to the Inuktitut language can be called government assisted linguicide; that is, government policy helped reduce Inuktitut to its present greatly weakened state.

I am not overstating anything here. I have personally lived this process along with my contemporaries. Anyone in my generation who can still speak the language is extremely fortunate, as I am.

The National Household Survey of 2011 provided a statistical picture of Inuktitut’s condition in the four regional land claims areas of Inuit Nunangat. Under “proportion of residents that speak Inuktitut,” Inuvialuit of the Western Arctic rated 20 per cent. The Inuit of Nunavut rated 89 per cent. The Inuit of Nunavik rated 99 per cent — that’s where I come from — and the Inuit of Nunatsiavut rated 25 per cent.

These are very sobering statistics. If we look at these numbers from the negative perspective, they’re even worse. Among the Inuvialuit, the language is 80 per cent dead. In Nunavut, it is 11 per cent dead. In Nunatsiavut, it is 75 per cent dead. In Nunavik, we may congratulate ourselves with Inuktitut being only 1 per cent dead, but there are some unpleasant realities.

The 99 per cent of the language we in Nunavut still possess is badly degraded and eroding daily. An elder from Nunavut recently said that with the drastic changes in lifestyle, we have left whole segments of our language behind. The present dismal condition of Inuktitut deserves much official attention, especially from the Government of Canada. Canada’s refusal to recognize Inuktitut as an official language in Inuit Nunangat should at least accommodate the next best thing: a generous, permanent funding program to save and revitalize Inuktitut, one of the original languages which existed before Canada came into being.

I forgot to mention in my Inuktitut remarks that the language you heard David Joanasie and Aluki Kotierk speak this morning was a language vibrant in 1534 when Jacques Cartier first discovered the shores of what would eventually be Canada. It was the language of our ancestors in 1608 when Samuel de Champlain set up the first French colony on the shores of Quebec City. It is the language that I spoke myself downstairs during the First Ministers Conferences with my co-chairman John Amagoalik, with simultaneous translation being provided. Canada facilitated that without any fuss. Now we are before you because there is Indigenous languages legislation.

The next piece is called “The Government Dictate.” For over four decades, I’ve had reason to deal with a variety of legislation drafted by federal or provincial governments on matters of importance to Inuit. Bill C-91, An Act respecting Indigenous languages, tabled by the Minister of Canadian Heritage and Multiculturalism in Parliament on February 5, 2019, is the latest of these. This legislation — 15 pages long — is a product of what Canada called “co-development” with Indigenous peoples over 18 months. We took part in that process. We took full advantage of the opportunity accorded us by Canada.

The contents of the bill are very sparse considering the gravity of the issue being addressed, that of Indigenous languages in Canada. Remember, Canada is an expert on dead and dying Indigenous languages. One might expect the bill to address two fundamental points. One, what will be done about Indigenous languages already dead? Two, how are languages which have been determined to have a chance of survival going to be treated?

The two main points I’ve noted from reading Bill C-91 are, first, the Minister of Canadian Heritage may enter into different types of agreements or arrangements in respect of Indigenous languages with Indigenous governments, governing bodies or organizations. Two, an office of the commissioner of Indigenous languages will be established.

A lot of paper space in the bill is taken up for terminology and definitions, as if much has to be said about very little.

So, the Minister of Heritage can enter into different types of agreements or arrangements with Indigenous entities in respect to Indigenous languages. What struck me was that the minister should have authority to engage in such activities as part of his normal duties without having to be enabled by an act of legislation. It should be part of his job description from 9:00 to 5:00. If ministers were sitting around idle, waiting for such legislative instructions, no wonder Indigenous languages are dead and dying.

The second item in Bill C-91’s contents is the establishment of the office of the commissioner of Indigenous languages. This seems to be another overdue action that the government should have acted on upon learning how endangered Indigenous languages were. Establishing a commissioner for Indigenous languages should not have had to wait for enabling legislation. The government here is simply catching up on things that should have been done long ago.

De plus, il était inutile que le gouvernement se donne du mal pour faire semblant que ce processus relève de l’« élaboration concertée ». En fin de compte, étant donné ce que nous avons maintenant sous les yeux, le gouvernement a tout simplement dicté ce qu’il voulait et ne voulait pas faire. Dans l’avenir, les Inuits devraient éviter ce genre de processus d’« élaboration concertée ». Le colonialisme continue d’orienter les mesures gouvernementales.

Je suis certain que j’ai dépassé le temps qui m’était imparti, mais j’ai parcouru 2 000 milles pour venir ici, alors je vais vous implorer, par pitié, de me laisser formuler un commentaire de plus, que j’appelle « Reconnaître la reconnaissance ».

Écoutez cet énoncé tiré du projet de loi C-91 :

Le texte prévoit notamment que :

a) le gouvernement du Canada reconnaît que les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comportent des droits relatifs aux langues autochtones.

Je ne comprends pas parfaitement l’anglais, qui n’est pas ma langue maternelle, mais on dirait que le gouvernement « reconnaît une reconnaissance » des droits relatifs aux langues. Même après avoir lu cette disposition plusieurs fois, je me demande encore si cette série de mots cache un double discours, s’il s’agit d’une phrase piège, ou même si la phrase est grammaticalement appropriée. Je dois creuser pour me souvenir de tout ce qui m’a été enseigné dans la classe de M. Ferguson, à l’école secondaire Laurentian, à Ottawa, il y a environ 150 ans.

Ensuite, je dois me calmer et me demander : comment une reconnaissance peut-elle être reconnue sans qu’aucune reconnaissance ne soit acquise à l’égard de ce qui doit être reconnu? Je parle du libellé du projet de loi que vous examinez.

N’oubliez pas que le projet de loi s’appelle « Loi concernant les langues autochtones ». Si les avocats qui l’ont rédigé étaient sains d’esprit et logiques, la première phrase aurait peut-être pu être ainsi libellée : « Le gouvernement du Canada reconnaît les langues des peuples autochtones comme des langues officielles du Canada. Chaque langue sera reconnue comme telle dans sa région géographique d’utilisation ancestrale. »

C’est une bonne chose que je ne sois pas avocat et que je ne travaille pas pour le gouvernement. J’aurais inclus ce libellé dans votre projet de loi C-91.

Pour les Inuits, l’inuktitut obtiendrait le statut de langue officielle à l’échelle nationale, dans les quatre régions de l’Arctique visées par un règlement en matière de revendications territoriales. Le renvoi à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 m’a ramené tout droit en 1987, quand la dernière des quatre conférences des premiers ministres sur les droits des Autochtones a eu lieu.

L’un des débats qui faisaient rage à l’époque portait principalement sur les droits des Autochtones qui étaient supposément contenus — ou qui n’étaient pas contenus — dans l’article 35. De nombreux gouvernements ont fait valoir que cet article était une boîte vide, dénuée de tout contenu détaillé. Les Autochtones ont fait valoir que l’article 35 était une boîte pleine, remplie de droits.

Les arguments concernant la boîte pleine ou vide n’ont jamais rien réglé. La dernière conférence des premiers ministres sur les droits des Autochtones tenue en 1987 s’est terminée par le rejet de l’offre du gouvernement faite aux parties autochtones concernant la reconnaissance d’un « droit éventuel à l’autonomie gouvernementale », lequel serait octroyé par les gouvernements. Les parties autochtones croyaient détenir un droit inhérent, dont la source était ancestrale et prédatait la formation du Canada.

Nous voilà, en 2019, à tenter de comprendre le sens d’un projet de loi sur les langues autochtones qui reconnaît une reconnaissance, ce qui inclut des droits liés aux langues autochtones, sans vraiment toucher la cible d’offrir les avantages les plus importants aux langues gravement en péril et mourantes.

Au Canada, l’inuktitut mérite d’être simplement et directement reconnu en tant que langue officielle. Actuellement, par le truchement du projet de loi que vous étudiez, le Canada ne fait que tenir un double discours en prenant des détours sinueux.

Nakurmiik. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Nungak.

Sénateur Patterson, vous pouvez poser une brève question.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup, monsieur Nungak, d’avoir mentionné les réunions qui ont été tenues dans cet édifice même après le rapatriement de la Constitution afin qu’on puisse définir et étoffer les droits des Autochtones.

Vous avez souligné la singularité de l’article du projet de loi dans lequel on reconnaît une reconnaissance qui figure déjà à l’article 35 de la Constitution. Je crois que vous avez qualifié cette disposition de pis-aller. Je me demande ce que vous proposez.

Je ne vois aucune disposition dans ce projet de loi qui porte sur l’inuktitut. Il existe déjà un commissaire aux langues officielles au Nunavut, donc nous n’en avons même pas besoin d’un. Toutefois, je me demande si vous êtes d’avis que cette reconnaissance des langues autochtones comme un droit compris dans l’article 35, ce que vous qualifiez de pis-aller, vaut la peine d’être approuvée dans le cadre de ce projet de loi. Même si c’est faute de mieux, est-ce une raison pour que nous trouvions une manière de renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes et que nous l’approuvions dans le cadre des travaux de ce comité?

M. Nungak : Eh bien, je n’ai aucune idée du processus relatif aux projets de loi, de la façon de les renvoyer et de les amender, je ne sais pas qui les amende ni quel type de débat doit être tenu pour qu’un mot comme « existant » soit ajouté ou supprimé.

Cependant, je peux affirmer ceci : quand le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’élaborer cette mesure législative selon un processus d’élaboration concertée, nous dansions presque dans les rues, parce qu’il n’y avait jamais eu d’élaboration concertée. Habituellement, c’est imposé par le fédéral. « Voici la loi. Qu’elle vous plaise ou non, voilà ce qui en est »; c’est la norme coloniale.

J’avais l’impression que le gouvernement du Canada était au moins au courant du fait que l’inuktitut a le statut de langue officielle dans les Territoires du Nord-Ouest. De fait, deux des dialectes de cette langue, l’inuvialuktun et l’inuinnaqtun, sont reconnus parmi les neuf langues officielles. Au Nunavut, deux dialectes, l’inuktitut et l’inuinnaqtun, constituent des langues officielles.

Sur le plan territorial, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, l’inuktitut jouit déjà d’un statut juridique amélioré, et je me disais : « Voilà quelque chose sur laquelle construire, et le gouvernement du Canada doit le savoir. »

Dans le cadre du processus d’« élaboration concertée », nous avons soutenu ce statut auprès du gouvernement du Canada en rédigeant une mesure législative distincte sur l’inuktitut, vu que nous souhaitions voir l’adoption d’une telle mesure dans les lois fédérales. Les responsables du gouvernement n’avaient pas sollicité cette aide, mais nous étions d’avis que nous devions profiter de l’occasion d’améliorer le statut de l’inuktitut non seulement dans les deux territoires, mais aussi dans la province de Québec, là où la loi 101 a été adoptée, et la province de Terre-Neuve-et-Labrador, où vivent des Inuits.

Nous n’avons jamais reçu un cent du fédéral pour la protection de la langue inuktitute au Québec ou à Terre-Neuve-et-Labrador. Je nous appelle les laissés-pour-compte des provinces, parce que des fonds sont consentis dans le cadre du financement autochtone pour la protection de l’inuktitut dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, mais aucune somme n’est réservée au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Nous avions l’impression que le gouvernement du Canada savait déjà tout ça et que l’on pourrait partir de ce point pour arriver à faire progresser le statut de la langue inuktitute comme langue officielle de l’Inuit Nunangat. Nous ne cherchons pas à imposer cela en Nouvelle-Écosse ni dans d’autres endroits au Canada où il n’y a pas d’Inuits, mais nous sommes d’avis qu’il serait pratique et sensé que ce soit la langue officielle dans notre région, où nous formons la grande majorité de la population, comme Inuits locuteurs d’inuktitut.

Mon supérieur et le président de la Société Makivik ont eu une rencontre fructueuse avec la précédente ministre du Patrimoine, Mélanie Joly. Nous avons eu une excellente rencontre avec elle l’an passé. Ensuite, pendant l’été, un nouveau ministre a été nommé, et les choses sont passées des voies ensoleillées aux jours sombres. La situation est devenue, comme je l’ai mentionné dans mes commentaires, imposée par le fédéral, et non un processus d’élaboration concertée.

Je ne sais pas si je dois vous dire de renvoyer le projet de loi quelque part ou de tenter de l’amender, mais nous avions fondé des espoirs dans ce projet de loi qui ont été déçus, parce qu’il n’y a aucun progrès particulier pour l’inuktitut, et c’est décevant.

Si nous n’obtenons pas ce statut dans le cadre de cette mesure législative, je suis déterminé à insister pour que l’inuktitut devienne une langue officielle dans le cadre des négociations sur l’autonomie gouvernementale pour notre région qui sont sur le point de commencer, et je vais me fonder sur le droit inhérent.

Si les choses sont décevantes au bout du compte dans le cadre de ce projet de loi, nous explorerons une autre avenue. Nous n’avons pas dit notre dernier mot. Même si le projet de loi est adopté tel quel, nous sommes déterminés à prendre notre place et faire partie de la structure politique et juridique du Canada dans notre langue, qui était parlée par nos ancêtres. Nakurmiik.

La présidente : Malheureusement, nous avons dépassé de beaucoup le temps alloué. Je sais que vous êtes venu de loin, mais nous avons un autre groupe de témoins à recevoir.

Nous sommes heureux d’accueillir maintenant M. Jordan Lachler, directeur, Canadian Indigenous Languages and Literacy Development Institute; Mme Karen Sandy, directrice, Six Nations of the Grand River; et Mme Ellen Gabriel, représentante, Association pour la préservation de la langue mohawk de Kanehsatà:ke.

Nous vous remercions tous d’avoir pris le temps de venir témoigner devant ce comité ce matin. Nous allons commencer par entendre les déclarations préliminaires dans l’ordre selon lequel vous avez été présentés, en commençant par M. Jordan Lachler.

Jordan Lachler, directeur, Canadian Indigenous Languages and Literacy Development Institute : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci de m’avoir invité à participer à cette réunion tenue sur le territoire non cédé du peuple algonquin. Je suis le directeur du Canadian Indigenous Languages and Literacy Development Institute, situé dans le territoire visé par le Traité no 6, à l’Université de l’Alberta, à Edmonton.

Notre organisation a pour mission de soutenir la viabilité des langues autochtones à long terme et sur plusieurs générations. Elle a comme principale activité la tenue d’une école d’été d’une durée de trois semaines pendant lesquelles nous offrons des cours sur l’enseignement et l’analyse de la langue et sur les stratégies de revitalisation des langues à près de 100 étudiants autochtones provenant de partout au Canada.

Nous en sommes maintenant à notre 20e année d’existence, et nous collaborons avec les collectivités autochtones pour appuyer les efforts de documentation des langues, y compris l’élaboration d’importantes ressources langagières, comme des tableaux grammaticaux et des manuels, ainsi que la création de technologies langagières modernes, comme des correcteurs d’orthographe et des dictionnaires intelligents accessibles en ligne.

Nous nous trouvons aujourd’hui à la croisée des chemins en ce qui concerne la viabilité des langues autochtones au Canada. D’une part, nous perdons de plus en plus de locuteurs qui ont une de ces langues comme langue maternelle. D’autre part, nous avons des récits inspirants de jeunes partout au Canada qui ont réussi à atteindre un niveau élevé de compétence dans leur propre langue traditionnelle grâce à leur mobilisation et à leur persévérance hors pair. Le cœur du problème, c’est qu’il y a très peu de collectivités, peut-être à l’exception de certaines d’où viennent mes collègues qui témoignent ici aujourd’hui, où on a réussi jusqu’à maintenant à généraliser ce degré de revitalisation.

Comme le chef de l’Assemblée des Premières Nations Perry Bellegarde l’a dit lorsqu’il est venu témoigner devant ce comité le mois dernier : « Si nous ne mettons pas l’accent sur le fait de parler couramment, à quoi bon? »

En ce qui nous concerne, se concentrer sur le fait de parler couramment signifie qu’il faut créer des occasions d’enseignement et d’apprentissage tout en tenant compte des différents besoins des locuteurs et des apprenants. Pour ce qui est des locuteurs, cela suppose la création de programmes pour qu’ils deviennent des enseignants de langue certifiés. À l’Université de l’Alberta, il existe plusieurs initiatives qui visent à surmonter les obstacles auxquels les locuteurs ont fait face pour obtenir la certification d’enseignant.

Pour ce qui est des jeunes apprenants, qu’ils habitent dans une réserve, dans un centre urbain ou quelque part entre les deux, ils doivent relever un double défi. Ils doivent apprendre la langue pour eux-mêmes et leur famille, et ils doivent aussi apprendre à enseigner la langue pour pouvoir la transmettre au plus grand nombre possible de membres de la génération suivante.

Des programmes innovants qui sont fondés sur un partenariat entre des collectivités autochtones et des universités peuvent jouer un rôle clé pour permettre de relever ces défis. Pour ne citer qu’un exemple qui nous vient des États-Unis, l’Université du Dakota du Nord offre un programme destiné à ceux qui veulent apprendre et enseigner le lakota dans le cadre duquel les étudiants peuvent apprendre cette langue de façon intensive tout en suivant une formation pour obtenir leur certification d’enseignant de lakota.

Même si la création d’une école d’immersion offrant un programme de la maternelle à la 6e année à temps plein dépasse la capacité de la plupart des collectivités aujourd’hui, il est possible d’établir les fondements nécessaires par la création de ces programmes visant l’apprentissage et l’enseignement de ces langues, et la création d’un bassin suffisant d’adultes qui peuvent parler couramment la langue et qui possèdent les compétences nécessaires pour aider à la transmettre, à l’intérieur et à l’extérieur des salles de classe.

Personnellement, à titre de personne non autochtone vivant au Canada, je souhaite aussi donner mon point de vue sur le poste de commissaire aux langues autochtones, qui serait créé par le projet de loi. Le bureau du commissaire a comme mandat, notamment, de promouvoir la sensibilisation du public et une meilleure compréhension des langues autochtones par différents moyens et d’expliquer le rôle de ces langues dans les sociétés autochtones et l’importance d’en soutenir la revitalisation comme élément important de la réconciliation. Je suis d’avis qu’il est important que le commissaire soit en mesure de dépasser ces objectifs louables et d’aider le grand public canadien à comprendre que le défi que pose la perte des langues autochtones est très semblable au défi que posent les changements climatiques. Dans les deux cas, il s’agit d’une catastrophe causée par l’être humain, et la situation s’aggrave chaque jour où l’on ne s’en occupe pas.

J’ose espérer que le commissaire, au lieu de présenter nos efforts comme une tentative de simplement réparer les erreurs commises par le passé, sera capable d’aider les Canadiens à percevoir cette situation comme une occasion de construire un meilleur avenir ensemble. Comme dans le cas des changements climatiques et de l’environnement, qui sont des préoccupations générales, il est essentiel de communiquer avec les citoyens pour montrer que, au-delà de la sensibilisation et de la compréhension, de simples gestes de leur part peuvent soutenir la revitalisation de ces langues.

Il peut s’agir de choses très simples, comme d’apprendre le nom exact de la langue qui est liée au territoire sur lequel est située sa collectivité; d’être en mesure de dire des salutations et des remerciements dans cette langue; d’appuyer l’affichage dans cette langue au sein de l’espace public; et d’encourager les personnes qui apprennent la langue dans leurs efforts pour réussir à la parler couramment. Il s’agit là de stratégies essentielles pour susciter la mobilisation du public qui peuvent être mises au point et soutenues à l’échelle nationale, par l’entremise du bureau du commissaire.

Pour terminer, je vais vous faire part d’une leçon importante que j’ai apprise. Je donnais un cours sur la planification communautaire relative à la langue dans la collectivité crie de Maskwacis, située au centre de l’Alberta, en 2015, lorsque la Commission de vérité et réconciliation a lancé des appels à l’action. Nous en avons discuté en classe, en particulier ceux liés à la langue. Quand nous sommes arrivés à l’appel à l’action no 14, dans lequel on demande au gouvernement fédéral d’adopter une loi qui reconnaît que « les langues autochtones représentent une composante fondamentale et valorisée de la culture et de la société canadiennes », plusieurs enseignants cris ont exprimé leur désaccord. Ils percevaient leur langue crie non pas comme une composante fondamentale de la culture et de la société canadiennes, mais plutôt comme une composante fondamentale de la culture et de la société cries.

Au fil de notre discussion sur ce sujet, nous en sommes venus à convenir que, même si les langues autochtones ne sont peut-être pas une composante de la culture canadienne, le respect et le soutien à leur égard devraient absolument l’être.

Nous espérons que ce projet de loi, même s’il est imparfait, constituera l’étape suivante pour aider le Canada à réaliser un meilleur avenir.

Je vous remercie de m’avoir permis de vous faire part de ces réflexions aujourd’hui.

Karen Sandy, Director, Six Nations of the Grand River : Thank you.

[Mme Sandy s’est exprimée dans une langue autochtone, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

My name is Karen Sandy. I am a Wolf Clan citizen of the Cayuga Nation at Six Nations of the Grand River Territory, where I was born and raised. I work for the Six Nations Language Commission.

I want to thank you for giving us this opportunity to respond to Bill C-91. I also want to acknowledge and extend gratitude to our fluent speakers back home: our elders, teachers, instructors and learners, because they are the ones who ensure the continuation of our distinct identity.

To establish the context and reality at Six Nations, we consist of the Seneca, Cayuga, Onondaga, Oneida, Mohawk and Tuscarora Nations. While we have over 26,000 citizens, there are fewer than 50 first-language speakers in our community, so our languages are critically endangered right now. The Six Nations have remained unified as one mind, body and heart under the Great Law of Peace since long before contact with settlers. Early relations between Haudenosaunee nations and European nations resulted in two significant Wampum agreements that incorporate the main tenets of the Great Law.

The first is the Guswenta, or the Two-Row Wampum. It was a mutual agreement made between the Haudenosaunee and the Dutch, and it signified agreement between the parties to travel down the same river — the Dutch in their own vessel or ship, and the Haudenosaunee in a canoe — never to interfere in the affairs of the other.

The Guswenta emphasizes the distinct identity of the two nations and a mutual agreement to coexist in peace without interference in the affairs of the other.

The second significant Wampum agreement is the Covenant Chain, which established a silver chain that tied the immigrant/settler’s ship to the Haudenosaunee canoe and to the Tree of Peace. The three links of that chain represent peace and friendship forever. As long as the sun shines upon the earth, as long as the waters flow and as long as the grass grows green, peace will exist.

The Covenant Chain solidified agreement that the Haudenosaunee and the British would meet regularly to polish the chain and maintain and strengthen their relationship.

As the Haudenosaunee community, we are unique in many ways besides our large population. The process of colonization has created a rich diversity among our people. We are one of the few communities that still have our traditional government that functions along with our elected chief and council, and most of the confederacy meetings are still spoken in our language.

We have six languages to protect, revitalize and maintain to ensure the future generations of our coming faces are able to connect to the strength, pride and belonging that is embedded in our languages. One of the biggest challenges we have in our community is the six languages that we are trying to revitalize.

More importantly, knowing our languages ensures the continuation of our ceremonies. Language revitalization is a priority for Six Nations and is an integral component of our community plan. Despite challenges of underfunding, we have established a number of Haudenosaunee language programs. We have become quite resourceful by piecing together different funding streams and making partnerships. That is just one of the things that we have learned to do over the years with the lack of committed funding.

The goal is to create a critical mass of language speakers so that our language will be spoken in the community as an ordinary means of communication.

As I mentioned, funding for these programs is accessed through various like-minded community sources, such as other departments, organizations and private donors. By private donors, I am often referring to the instructors and staff, and that includes personnel who just donate to the programs.

Our language community is motivated and determined. It was a grassroots effort that established an immersion school 30 years ago which, sadly, still operates out of the lacrosse arena. It is a fragmented system with the funding sources, and it is just one of the problems that we had to endure.

Although Six Nations has established an array of language programs and it continues to develop capacity, there is still a profound need for the Government of Canada to live up to its obligations to compensate for the damage to the languages and cultures of our people, which resulted from the colonial and paternalistic efforts of assimilation — the residential schools, day schools and the paternal line status, et cetera.

Six Nations of the Grand River requires stable, long-term, predictable and sustained funding to support the protection, revitalization and maintenance of our languages, provided as core funding and not based solely on proposal submissions. The Government of Canada has confirmed their commitment to reconciliation with Indigenous people and their commitment to the Calls to Action from the final report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada to guide their actions.

We emphatically state that any legislation on Indigenous languages must adhere to the principles outlined in the Truth and Reconciliation Commission Call to Action 14, with particular attention to the responsibility to provide sufficient funds. Aboriginal languages and cultures are best managed by Aboriginal people and the communities, and funding for Aboriginal language initiatives must reflect the diversity of Aboriginal languages.

Six Nations of the Grand River understands that along with our inherent and constitutional rights to preserve our languages comes the responsibility to develop and maintain strong programming opportunities and initiatives based on our Haudenosaunee values. The federal government has a moral, ethical and fiduciary obligation to provide the funding required by Six Nations. We have the knowledge and capacity to do the work in our own community and support regional, national and international efforts. However, we require the funding to do so.

Concerning the development of Bill C-91, we, as the most populous First Nations community working to protect and revitalize the greatest number of languages, were not duly consulted. We were not afforded an opportunity to participate on either the AFN Chiefs Committee on Languages or the technical committee on languages. We were not provided any updates related to the progress being made on these committees, nor was information requested from us to provide input into their activities.

At Six Nations, we had some concern regarding the content, or lack thereof, in the current text of Bill C-91. We reviewed much of the system of previous witnesses, and we support many of the issues and concerns that have been raised. In addition to the many concerns previously expressed, we add the following.

The reference to “entities” throughout the document is overly broad and could detract from First Nations’ control over their own languages, so we suggest “First Nation community mandated entities” to ensure they have received mandates from those in control over their language.

With respect to 5(b)(vi), any research and studies must be Indigenous led and approved initiatives. The text should indicate that research and studies must demonstrate the principles of First Nations principles of ownership, control, access and possession. It is important to ensure there is an agreed upon understanding of what the “rights related to Indigenous languages” are, as this term appears throughout the document.

In general, the act must focus on First Nations jurisdiction, control and powers, instead of those of the Prime Minister and the commissioner. The current focus on the powers of the commissioner and government minister maintain the same colonial and paternalistic patterns that led to the current state of our languages.

In terms of recommendations, all future activities related to the joint development of the legislation must be largely driven by nations all as determined by First Nation communities. There needs to be a clear consideration to link bottom-up and top-down activities, and the process to develop this legislation was mainly top down.

There should be reference to UNDRIP Article 19 in the bill to ensure any decisions are made with the free, prior and informed consent of First Nations before any decision and/or actions are made under the act or its regulations.

First Nation jurisdiction or powers in relation to their own languages must be recognized and promoted in this act.

The minister must share decision-making and regulatory powers with First Nations.

Any languages act must be able to respond to the various language families in Canada.

Overall, the wording is weak, and there should be explicit funding for language revitalization.

While the Indigenous languages act, I believe, is necessary to protect and advance the coming phases, it will ensure continuation of our identity and civilization. It has been on the back burner for far too long.

La présidente : Madame Gabriel?

Ellen Gabriel, Representative, Kontinónhstats - The Mohawk Language Custodian Association from Kanehsatàke : Greetings and thank you.

[Mme Gabriel s’est exprimée dans sa langue autochtone, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

Thank you for inviting me. I am Turtle Clan from the Mohawk community of Kanehsatà:ke. I have written a submission, which I also gave to the parliamentary committee, but I don’t necessarily want to follow it because I am building upon what was previously said. But I do want to quote an elder who said something after the Indian residential school apology. I will say it in my language.

[Mme Gabriel s’est exprimée dans sa langue autochtone, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

It took over 100 years to get us to this point. It is going to take at least another 100 years to bring back our languages to life.

I know that Indigenous languages have languished in obscurity, people thinking that in another place and time, later on, when they get older, they can relearn the language. I grew up hearing the language. Both my parents were Mohawk and Kanien’kéha speakers, my uncles and aunts. I heard it all the time. But I was denied that right when I went to school.

Because of that, I lost part of my language, but I’ve been working in the language since 1991. I am an illustrator. I also worked as an art teacher for the Mohawk immersion school. I can tell you that as we toil about this bill, there are political entities that want to take the funding and decide for themselves how this funding will go.

It cannot be stressed enough that the people who are the experts are those first language speakers with experience in teaching, not any political organization, not any political leadership, but the first language speakers and those teachers with experience who understand how to teach a language. My language is 80 per cent verbs. It would take approximately five to seven years to learn, to become a fluent speaker in Kanien’kéha if they heard it every day. That’s a lot. It is not enough to have an app and to learn how your colours are said or to learn your numbers. It is a complex language. It is a language that talks about governance. It is a language that is based upon the land.

People talk a lot about reconciliation. I want to quote a friend of mine for whom I have the deepest respect. He is legal counsel for the Cree, the Eeyou Istchee, Paul Joffe. He said, with regard to such Indigenous peoples, that such harmony cannot be achieved within a colonial framework. Rather, it must take place in a contemporary context that respects human rights, including the UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples.

What I’ve seen and what I have experienced is that political posturing comes into any kind of bill. They should not allow any political posturing in this bill because language is precious. UNESCO has stated the urgency and the dire threat to Indigenous languages. That threat is found mostly in Canada, one of the richest countries in the world. Can you imagine? Why? Because assimilation still continues; colonization still continues. We cannot enjoy the full rights to our self-determination without having the right to be able to teach our children and youth their ancestral language.

We may call them ancient languages, but they are very much alive today. And I can tell you that, without a doubt, it enriches your life when you learn your own language. Latin can be broken down, and you can understand why they call certain plants or medicines these things. When you are with a first-language speaker who thinks in the language, you get the breakdown of what these terms mean.

[Mme Gabriel s’est exprimée dans sa langue autochtone, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

It means their minds and hearts are on the ground; that’s when you are grieving. I can tell you that because of the Indian residential school system, we are nations of grieving people. We are nations of grieving people that have not yet been able to find the peace and freedom we had centuries ago. While we don’t want to live the way our and setters lived, because it is not possible — we are too individualistic in today’s society to do that — we do want to respect the ancestral teachings of the land-based transmission of knowledge. If we do not have access to our lands, then our language can only take us so far. It will stop. It will be abrupted once again.

I am very pleased that the previous panel mentioned something about Bill 101. I have the deepest respect for my francophone neighbours. My father learned French before he learned English. His first language was Kanien’kéha, but the neighbours were farmers, so I heard three languages. But in the province of Quebec, I don’t know if people understand how difficult it is. If you are an anglophone, that’s one thing. But if you are an Indigenous person, that makes it even more trying, more difficult to have that kind of prosperity that you need, because if you don’t speak French in a certain way and at a certain level, you will not receive a job. That’s why a lot of our people leave the province; it is because of that.

Instead, we should be uplifting. As the UN declaration says, those institutions that were damaged by colonization, those institutions in which the religious doctrines of superiority and racism have brought us to the point where we are looking at Canada to say, “Please help us with our languages because you hold the purse strings” — if we had the money to be able to pay, as we do post-secondary students, the youth or even adults to go to school, then let’s do it, because that’s what is needed. We are not going to be successful in revitalization and maintenance if we don’t have adult speakers to teach the children, if we don’t have those first-language speakers to teach the second-language speakers exactly the meaning of what they are saying.

We are losing those first-language speakers. We have lost the transmission of knowledge. So I want to say that if this is going to happen, we have to have authority and jurisdiction on our territories for our languages, our curriculum, our schools and our governance. We cannot afford to wait any longer for any more political posturing.

Linguistic rights scholar Tove Skutnabb-Kangas coined the term “subtractive education,” in which she explains that it subtracts from a child’s linguistic repertoire instead of adding to it. This is what the Indian residential school system has done: assimulative education. We need to come with fresh eyes to be able to revitalize our languages.

For funding, because we always have project funding, we are forced under exhaustive reporting measures; funding from year to year; funding for activities but not human resources. There is no funding for curriculum development — that’s excluded. We are jumping through hoops to try and revitalize our languages, and we have been nickel-and-diming it. I can tell you that if this had been a predominantly male activity, I’m sure we would have found the funding a long time ago. It has been the women in our communities, and some of the men, who have brought the languages to where they are today, to try and maintain them.

We need core, long-term, sustainable funding for experienced Indigenous languages organizations that have led the way in Indigenous languages preservation and revitalization.

I think we need to examine the context in which we are living. Some of our people are thinking that it is not important. When I was growing up, people thought, “It is not important for my child to continue to learn Mohawk; it is important for them to learn French and English.” We are also challenged by the mentality and attitude of people in our community. We are our own worst enemy in this case.

I have recommendations for you in my submission. Regarding adult immersion stipends, refer to RCAP, which recommended, in 1986, the creation of an endowment fund of $100 million for a language foundation. And please pass Bill C-262 for the implementation of the UN declaration.

I can’t emphasize enough that this is an urgent situation. Language must be given priority and a special place because, without our languages, we have lost who we are as Indigenous people. Thank you very much for your time.

[Mme Gabriel s’est exprimée dans une langue autochtone, sans service d’interprétation.]

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci à tous nos témoins. Nous avons entendu des exposés importants et stimulants.

Madame Gabriel, je sais que vous œuvrez au sein de votre collectivité et pour le bien des femmes, de toute la collectivité et de nous tous, en fait, depuis plusieurs dizaines d’années. D’après ce que j’ai compris, une grande partie de ce travail a porté sur le financement de projets. Qu’est-ce que cela apporte à une communauté?

Vous avez mentionné le fonds de dotation, et certains problèmes de financement ont été soulevés. Pour ceux d’entre nous qui n’ont pas travaillé dans des domaines où nous dépendons du financement de projets, pouvez-vous expliquer la réflexion, les idées et les restrictions relatives au progrès qui en découlent au sein des collectivités, des organisations et des particuliers?

Mme Gabriel : Le financement de projets signifie que, en tant que consultant, vous n’avez aucun avantage. Pendant un certain temps, je n’ai même pas eu accès à l’assurance-emploi. Vous devez faire preuve de créativité dans la façon dont vous établissez votre budget.

Nous avons un directeur à temps plein qui est rémunéré par le conseil de bande, mais le personnel dépend en totalité du financement de projets. Si vous voulez obtenir du financement pour un projet, la continuité d’un programme n’est pas possible. La question plane toujours : « Cela va-t-il continuer? » Si vous ne recevez pas de prestations de maladie ni de prestations d’assurance-emploi, cela rend les choses difficiles. Les gens commencent à chercher ailleurs.

Il se trouve que j’ai une estime très obstinée et passionnée pour la langue que j’ai entendue tout au long de mon enfance, alors je suis restée, parce que je crois sincèrement que c’est une des façons pour mon peuple de surmonter les conséquences de la colonisation. Mais on est très fragile. On ne sait pas d’une année à l’autre si on aura un emploi.

Comme je l’ai dit, nous perdons nos locuteurs. Si nous n’enseignons pas aux enfants, comment sommes-nous censés poursuivre ces programmes? Le financement de projets, ce n’est certainement pas cela. Vous devez être constitués en société; vous devez produire des rapports exhaustifs quant à vos finances et à vos activités. Il faut justifier la revitalisation de notre langue, chose troublante, à mon avis.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre puissant témoignage.

J’ai été déçu d’apprendre par Mme Sandy qu’on n’avait pas consulté les Six Nations de la rivière Grand. De plus, j’ai remarqué que Mme Gabriel s’inquiétait du fait qu’il s’agissait d’un processus descendant, même si le ministre du Patrimoine canadien s’est présenté devant notre comité et s’est vanté du processus d’élaboration concertée. Les Inuits nous ont dit qu’ils ont également été traités de façon très irrespectueuse dans le cadre de ce processus.

Madame Gabriel, vous avez dit que vous vous inquiétiez du fait que ce projet de loi a fait l’objet de manœuvres politiques et que les entités politiques veulent prendre ce financement et décider comment il sera dépensé. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le processus de consultation et le processus d’élaboration concertée ainsi que sur la façon dont nous devrions étudier ce projet de loi, étant donné que de nouveaux fonds pourraient être mis à disposition dans le cadre de celui-ci? Franchement, cependant, j’espère que tout cela ne se retrouvera pas dans la bureaucratie des langues officielles ici, à Ottawa.

Comment régler ce problème en veillant à ce que les initiatives menées par la collectivité soient appuyées et non détournées vers les organisations politiques?

Mme Gabriel : Pour mettre les choses au clair, lorsque j’ai demandé à la ministre Joly s’il s’agissait de consultations, elle m’a répondu : « Non, il s’agit de séances de mobilisation. »

Ce qui est important, c’est qu’on ne veut pas d’intermédiaires. Nous ne voulons pas relever de la Fraternité des Indiens du Canada, dans le cadre de laquelle on ne peut recevoir que deux ans de financement et on ne peut présenter de demande avant 2025. Nous devons nous adresser directement aux gens sur le terrain qui travaillent dans le domaine des langues — pas d’intermédiaires. Certes, nous voulons qu’il y ait une reddition de comptes et de la transparence et que les gens aient leur propre constitution en société, mais il faut que cela se dirige directement vers des endroits comme les centres culturels. Les établissements d’enseignement postsecondaire rivalisent également à cet égard et ils nous ont aidés d’une certaine façon, mais nous avons été forcés d’établir des partenariats avec des universités pour faire leurs recherches. Nous ne voulons plus faire cela. Nous voulons contrôler nos propres recherches. Nous voulons pouvoir augmenter le nombre de personnes qui travaillent sur le terrain dans le domaine des langues. Cela doit se faire dans les centres qui ont de l’expérience.

Nous avons convenu entre nous, dans les centres culturels, que nous voulons que tout le monde ait la même chance de commencer à revitaliser et à préserver leur langue, mais nous en sommes tous à des stades très différents. En ce qui nous concerne, nous avons près de 30 ans d’expérience, sinon plus, dans la revitalisation de la langue. Nous voulons que chacun de nos membres ait la plus grande possibilité d’avoir accès à la langue. La normalisation linguistique et les outils technologiques nécessaires ont tous un coût.

Nous voulons également que la ressource la plus importante soit financée, à savoir les ressources humaines dont on a besoin. Je conviens que les organisations autochtones nationales peuvent faire un certain travail de promotion, mais elles ne devraient pas toucher à l’argent. Il devrait aller directement aux communautés et non aux conseils de bande. Je tiens à insister sur ce point : pas aux conseils de bande. L’argent doit être utilisé strictement pour la langue. Je sais qu’ils aiment mélanger les choses lorsqu’on parle d’éducation. Oui, l’éducation en fait partie, mais nous devons nous concentrer strictement sur la langue et sur les personnes qui la connaissent. Ceux qui ont de l’expérience dans ce domaine doivent aider ceux qui commencent à peine à revitaliser leur langue.

J’espère que cela clarifie les choses.

Le sénateur Sinclair : Je vais vous poser la question que j’ai essayé de poser aux autres témoins. En supposant que le gouvernement n’acceptera aucune modification au projet de loi, vaut-il ou non la peine d’avoir l’appui du Sénat? Qu’est-ce que vous en pensez? Devrions-nous laisser passer ce projet de loi, même si le gouvernement décide qu’il ne veut plus y apporter de modifications?

Soit dit en passant, je constate que le comité a apporté des amendements aujourd’hui.

Mme Sandy : Comme je l’ai déjà dit, je crois que l’intention est bonne. Il a été relégué au second plan bien trop longtemps. Je suis heureuse qu’il ait acquis une certaine notoriété à présent.

C’est difficile à dire, en réalité. Je pense qu’il faut des amendements. Je ne pense pas qu’il puisse être adopté sans les amendements, mais s’il l’est, je ne sais pas.

Le sénateur Sinclair : Le risque que nous courons, bien sûr, c’est que, si nous apportons des amendements, qu’ils sont présentés à la Chambre des communes et que ses membres ne les approuvent pas, ils nous reviendront et nous devrons décider si nous acceptons le refus. La question est vraiment la suivante : devrions-nous le rejeter s’ils ne veulent pas l’amender?

Je pense que M. Lachler a dit au début qu’il s’agissait d’un bon premier pas. Devrions-nous l’accepter comme un premier pas et espérer que nous pourrons faire quelque chose de mieux plus tard?

M. Lachler : Après avoir entendu les autres témoins, je suis d’avis que la liste des problèmes que pose ce projet de loi est très longue et plutôt sérieuse. J’ai travaillé dans ce domaine et je viens des États-Unis, je sais que nous n’aurions jamais une réunion comme celle-ci, encore moins un projet de loi contenant des aspects positifs comme celui-ci; de mon point de vue, il sera profitable au moins pour la prochaine étape.

Il s’agit d’un petit pas sur une longue route, mais si cela permet au moins de faire progresser la conversation, alors j’estime qu’il s’agit d’un avantage.

En tant que personne non autochtone et non citoyenne, je m’en remets aux points de vue de ceux qui ont bien plus à gagner et bien plus à perdre de l’adoption de ce projet de loi.

Mme Gabriel : Vous savez quoi? Comme je l’ai dit, nous ne pouvons pas perdre plus de temps. Si ce projet de loi est adopté avec les amendements — je ne sais pas quels sont ces amendements, mais je serais curieuse de le savoir —, je dirais oui et j’espérerais qu’il soit possible de le modifier et de le renforcer plus tard. Je crois que la volonté politique doit tenir compte de l’approche fondée sur les droits de la personne qui doit être adoptée.

Il y a avait une mention de l’article 35, lequel reconnaît nos droits inhérents. Voilà quelque chose qui peut jeter les bases. Quels sont ces droits inhérents? Ce sont nos langues et notre droit à l’autodétermination, et cela met en évidence le fait que ce projet de loi doit être fondé sur les droits de la personne, ce qui signifie que tout ce qui touche nos droits de la personne et notre droit à l’autodétermination est interrelié. C’est indissociable et universel. C’est l’essence même de qui nous sommes. Nos langues sont inscrites dans notre ADN. Nous pensons. Ça fait partie de qui nous sommes.

Je ne veux pas attendre un autre gouvernement comme le précédent, qui se moquait complètement de nos droits et ne les respectait pas. C’est un peu comme de dire, oui, nous allons accepter les miettes. Cela nous met entre l’arbre et l’écorce, mais je pense que nous devons le faire — ce n’est pas quelque chose que je dis à la légère ou facilement. Je crois que nous avons besoin de l’aide maintenant. S’il y a une volonté politique au sein du prochain gouvernement et en la personne qui nous aidera, nous devrons renforcer le projet de loi, mais j’espère que les amendements apportent ce que nous recherchons, soit que nous ayons l’autorité sur nos langues.

Si vous dites non, alors où allons-nous aller? Le budget qui vient d’être présenté ne contient pas de nouveau financement. Cela ne représente pas beaucoup d’argent pour la revitalisation de la langue. Si vous voulez que les gens travaillent au salaire minimum et n’aient ni avantages ni financement de projet, bien sûr, allez de l’avant et dites qu’il s’agit d’un budget formidable. Cependant, nous sommes contraints à cette position encore une fois, et je n’y suis pas vraiment à l’aise. J’aurais aimé que les amendements soient faits avant que le projet de loi ne parvienne à ce comité. J’estime que nous devons, sous l’effet de la contrainte, dire oui à ce projet de loi.

Le sénateur Sinclair : Je comprends. Merci.

Mme Sandy : Je suis d’accord avec ce que ma collègue a dit. Quelqu’un a mentionné qu’il s’agit de la première étape et d’une bonne intention. Il y a encore beaucoup de travail qui doit être fait, et je suis d’avis que le mieux serait de le faire maintenant, puis nous continuerons alors de travailler sur le projet de loi et de le renforcer.

Le sénateur Tannas : Monsieur Lachler, nous avons entendu le témoignage plus tôt ce matin d’un autre universitaire qui a dit que le Canada se trouvait en queue de peloton et qu’il était loin derrière les États-Unis, le Mexique, la Bolivie et tout le monde.

Vous avez dit le contraire. Où nous situons-nous? Pourriez-vous nous dire, selon vous, quelle est la position du Canada sur le plan du travail que nous effectuons pour rectifier cette situation?

M. Lachler : Au risque de couper les cheveux en quatre, je dirais que nous avons tous les deux raison.

Le sénateur Tannas : Nous devrions changer de place. Vous devriez être politicien.

M. Lachler : Des choses fantastiques se produisent au Canada à l’échelle individuelle, alors que des apprenants se sont engagés dans des milliers d’heures d’apprentissage de la langue dans des circonstances désastreuses et ont atteint un niveau de compétence que la plupart d’entre nous, prétendus experts universitaires, n’auraient jamais cru possible.

Nous voyons des programmes comme ceux des écoles d’immersion mohawk qui survivent depuis des décennies sans disposer du financement dont ils auraient théoriquement besoin pour survivre. C’est la volonté des gens qui permet à ces programmes de survivre.

Je pourrais parcourir le pays et indiquer les choses formidables qui ont lieu, principalement à l’échelle communautaire. Il y a certaines organisations et certaines entités situées à un échelon plus élevé qui effectuent certainement du bon travail, mais la plupart des efforts proviennent vraiment des gens ou des familles. Voilà où se fait le plus gros du travail. C’est pour cela qu’il est si important, comme Mme Gabriel l’a dit, que le financement aille aux personnes qui effectuent le véritable travail linguistique et non pas aux grandes institutions qui sont potentiellement plus politiques.

En même temps, il y a tant à apprendre des autres pays sur ce qu’ils ont été en mesure de faire pour soutenir leurs langues autochtones. À cet égard, le Canada se trouve en tête de liste, avec mon pays d’origine, au chapitre de l’héritage honteux et perpétué du colonialisme et, comme l’a dit le groupe de témoins précédent, du linguicide assisté par le gouvernement. Il y a encore beaucoup d’obstacles pour les gens qui souhaitent apprendre leur langue. Le défi auquel bon nombre d’entre nous faisons face, même pour les gens qui ont trouvé en eux la volonté de se réapproprier la langue, est de créer cette possibilité et de retirer ces barrières qui ont été placées dans les 100, 200 et même 300 ans de colonialisme.

Bon nombre de ces barrières sont toujours présentes, et il y a beaucoup à apprendre de nos pays sur les façons de s’attaquer à ces problèmes.

Je dirais donc que le verre est à moitié plein et à moitié vide. Il y a beaucoup à apprendre des autres endroits et il y a beaucoup à apprendre des personnes ici au Canada sur ce qui fonctionne et ce qui pourrait fonctionner pour promouvoir les langues. Je crois que nous avons grand intérêt à prêter oreille à toutes ces possibilités.

Le sénateur Tannas : Merci.

La présidente : Nous n’avons plus de temps. Au nom de tous les sénateurs, je tiens à remercier nos trois témoins ce matin — Jordan Lachler, Karen Sandy et Ellen Gabriel — d’avoir comparu.

(La séance est levée.)

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