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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 23 - Témoignages du 23 avril 2018


OTTAWA, le lundi 23 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4, en séance publique, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir, je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick. J’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans le cadre d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui des représentants de municipalités francophones. De l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick, nous accueillons Luc Desjardins, président, et Frédérick Dion, directeur général. M. Desjardins est également président du Réseau des municipalités francophones de la Fédération canadienne des municipalités, un réseau informel de plusieurs associations de municipalités francophones ou bilingues du Canada.

Avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Jaffer : Je suis Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur Smith : Larry W. Smith, du Québec.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Messieurs, la parole est à vous.

Luc Desjardins, président, Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick : Merci beaucoup, sénateur Cormier. Chers sénateurs, je suis aussi le maire du village de Petit-Rocher de la Baie-des-Chaleurs, en face de la Gaspésie. C’est le chapeau que je porte en premier lieu.

Tout d’abord, je désire vous remercier, au nom de l’Association francophone des municipalités — et je dis bien de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick, et non de l’Association des municipalités francophones du Nouveau-Brunswick, parce que c’est une association qui fonctionne entièrement en français — et de ses 50 municipalités membres pour cette occasion de vous transmettre le point de vue de notre organisation et de vous faire part de quelques suggestions dans le cadre de l’exercice de révision de la Loi sur les langues officielles que vous avez le mandat de réaliser.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter brièvement notre organisation. L’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB) a été créée en 1989 et regroupe aujourd’hui des municipalités francophones et bilingues, réparties dans six grandes régions qui s’étendent du nord-ouest au sud-est du Nouveau-Brunswick. Nos municipalités membres représentent environ 300 000 personnes, soit près du tiers de la population de la province. Une quarantaine d’entre elles, sur un total de 104 dans la province, sont majoritairement francophones et fonctionnent presque exclusivement en français, tant au niveau des rencontres du conseil municipal, de la langue de travail et de la prestation des services aux citoyens. Il est à noter qu’une douzaine de nos municipalités membres sont assujetties depuis le milieu des années 2000 à des obligations en matière linguistique en vertu de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick visant le respect des droits des citoyens francophones et anglophones de recevoir des services dans leur langue.

L’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick a tissé des liens étroits avec les autres organisations de la société civile acadienne et francophone ainsi que du monde municipal, et ce, tant au niveau provincial, national, qu’international. Notre organisation est membre de la Concertation des organismes de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (COANB) et du Conseil provincial municipal du Nouveau-Brunswick qui regroupe les trois associations municipales de la province et les hautes autorités du ministère des Gouvernements locaux.

Nous sommes aussi membres du réseau francophone de la Fédération canadienne des municipalités ainsi que du conseil d’administration de cette même fédération, du Forum des leaders de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) et de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), tout en étant des collaborateurs qui travaillent au développement du Réseau des villes francophones et francophiles d’Amérique. Il est toutefois nécessaire de préciser que c’est au nom de notre association uniquement que nous nous présentons devant vous aujourd’hui.

Bien que la Constitution de notre pays ne reconnaisse officiellement que deux ordres de gouvernement, soit le fédéral et le provincial, l’évolution de notre société et la nature des services livrés aux citoyens ont nécessité l’établissement d’un troisième ordre de gouvernement à qui on a confié, au fil des décennies, de plus en plus de responsabilités.

Dans la Loi sur la gouvernance locale qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2018, le gouvernement du Nouveau-Brunswick reconnaît désormais légalement les municipalités comme étant un ordre de gouvernement en bonne et due forme, à l’instar de plusieurs autres provinces où le palier de gouvernement local a été reconnu officiellement. Ce nouveau statut est plus que symbolique et doit se traduire par une nouvelle culture de collaboration entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités dans le développement et la mise en œuvre des lois et des programmes qui ciblent en fin de compte le même citoyen.

Nous ne serons pas des précurseurs, et vous ne serez pas étonnés d’entendre que l’une des plus grandes faiblesses de la Loi sur les langues officielles est à notre avis l’absence de certaines dispositions permettant de lui accorder son plein potentiel. Plus exactement, les paragraphes 1 et 2 de l’article 41 de la partie VII de la loi édictent des principes fondamentaux qui définissent la portée que devrait avoir celle-ci et les intentions du législateur au moment de son adoption.

Le problème est qu’aucun règlement n’a été rédigé et promulgué, entre autres, pour définir précisément les mesures positives qui incombent à chacune des institutions fédérales alors que la loi le prévoit pourtant au paragraphe 3 de cette même partie VII. Ce même règlement pourrait facilement codifier les différentes mesures positives des institutions fédérales en plus de mandater une entité ou un ministère responsable de sa mise en œuvre horizontale. Il pourrait aussi formaliser les mécanismes de consultation des communautés de langue officielle en situation minoritaire et les exercices de reddition de comptes. Une telle responsabilité dépasse celle de coordination qui est prévue au paragraphe 42 et qui est confiée à l’heure actuelle au ministère de Patrimoine canadien. Je parle de l’article 42.

Nous ne nous opposons pas à la proposition de la FCFA reprise par la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) de confier spécifiquement la responsabilité de la mise en œuvre de la loi au Conseil du Trésor. Cependant, il est important de rappeler que le Conseil du Trésor est déjà responsable des parties IV, V et VI et qu’il serait possible de le faire par voie réglementaire pour la partie VII. Les problèmes actuels découlent donc peut-être davantage d’un manque d’engagement politique des gouvernements successifs de reconnaître l’importance de cette loi-cadre pour le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Les dispositions de la loi, aussi prévoyantes et détaillées qu’elles puissent être, ne pourront jamais se substituer au leadership fort que doivent démontrer le Bureau du Conseil privé, le Conseil du Trésor et l’ensemble des ministères dans l’atteinte des objectifs de la loi.

Maintenant, je vais parler un peu de la spécificité du Nouveau-Brunswick. Dans le mémoire qu’elle a présenté à votre comité la semaine dernière, la SANB a fait la démonstration de l’incongruité d’avoir une Loi sur les langues officielles fédérale dont les protections linguistiques pour la minorité francophone sont moindres que celles prévues dans la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Sans nous prononcer sur l’outil à utiliser entre une modification de la loi ou une codification de cette spécificité dans un règlement, il nous apparaît primordial effectivement de reconnaître le caractère unique de la communauté acadienne et francophone du Nouveau-Brunswick.

Plusieurs facteurs justifient une telle reconnaissance, et il serait redondant de répéter la liste exhaustive et les arguments formulés par la SANB dans son mémoire. L’un d’entre eux a toutefois été occulté et permet pourtant d’ajouter un poids significatif à l’argument de la spécificité néo-brunswickoise, soit la maîtrise du pouvoir au niveau local. Plus précisément, la répartition géographique de la communauté acadienne et francophone sur le territoire du Nouveau-Brunswick fait en sorte que la majorité de la population est concentrée au sein de 46 municipalités sur un total de 104 dans la province. Vous trouverez la liste dans l’annexe A de notre mémoire. Cette homogénéité francophone qui assure la mainmise d’un si grand nombre de gouvernements locaux est unique au Canada.

Cette réalité permet à la communauté de maîtriser des leviers stratégiques et essentiels à son développement afin d’assurer l’élaboration et la livraison de services qui répondent à ses besoins, tout en contribuant à son épanouissement. Étant donné que le rôle des municipalités a considérablement évolué ces 50 dernières années, que leurs champs de compétences se sont multipliés et que la nouvelle Loi sur la gouvernance locale les reconnaît désormais comme un ordre de gouvernement, il devient indispensable de faire des municipalités un acteur central de tout programme ou mesure mis en œuvre par les institutions fédérales sur le territoire néo-brunswickois. Que ce soit en matière de développement économique, d’infrastructure, d’environnement, d’art et de culture, de sécurité publique ou d’immigration, pour ne nommer que quelques responsabilités entières ou partagées, les municipalités sont instrumentales à la mise en œuvre des politiques publiques et à la réalisation de projets.

Je vous parlerai maintenant de l’immigration. Un exemple patent qui justifie la nécessité de reconnaître le caractère spécifique du Nouveau-Brunswick ainsi que le rôle d’acteur privilégié des municipalités est assurément celui de l’enjeu de l’immigration francophone. Minées par une décroissance démographique importante qui est causée principalement par l’exode et le vieillissement de la population, 80 p. 100 de nos municipalités membres ont subi des pertes qui atteignent plus de 20 p. 100 de leur population dans certains cas depuis le recensement de 2001. Nous avons à l’annexe B de notre mémoire des statistiques à ce sujet.

Malheureusement, les politiques fédérales et les programmes, y compris ceux d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ne tiennent pas compte des besoins et de la réalité unique de l’Acadie du Nouveau-Brunswick. Nos cibles d’immigration francophone ne doivent pas se situer entre 4 et 5 p. 100 comme c’est le cas ailleurs au Canada, mais plutôt entre 30 et 40 p. 100 au minimum pour que la communauté acadienne et francophone puisse maintenir son poids démographique. En fait, c’est la survie même de certaines communautés qui en dépend.

Différents moyens ont été envisagés pour s’attaquer au problème. Entre autres, l’élaboration de responsabilités spécifiques ciblant le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est possible si l’on vient combler le vide causé par l’absence d’une définition claire des mesures positives sous-entendues à la partie VII de la Loi sur les langues officielles. La création d’une forme de dualité au sein de ce même ministère pourrait également être envisagée, et ce, toujours en vertu de la partie VII. En raison du rôle stratégique que jouent les municipalités à certaines étapes déterminantes du processus d’immigration, il faut mettre en place des mesures d’aide et d’accompagnement adéquates destinées aux administrations municipales.

En conclusion, je tiens à rappeler que les municipalités francophones et bilingues du Nouveau-Brunswick sont des partenaires incontournables dans l’atteinte de plusieurs objectifs de la Loi sur les langues officielles. Les fondements de cette loi demeurent pertinents. Il faut cependant prévoir certains changements qui lui permettront d’atteindre sa pleine portée et veiller à ce que toutes les institutions fédérales puissent adéquatement appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pour la communauté acadienne et les francophones du Nouveau-Brunswick, ces changements requièrent une reconnaissance de la spécificité de la province ainsi que du rôle stratégique que jouent les municipalités. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Desjardins. Nous allons procéder à la période des questions en commençant par la vice-présidente du comité, madame la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie de votre présentation et d’être parmi nous. Il est plaisant de voir des gens de chez nous venir nous voir.

J’ai quelques questions. Vous avez touché un peu le sujet de mes deux questions. La semaine dernière, le comité a entendu des témoignages intéressants de la SANB sur la nécessité de reconnaître le cas unique du Nouveau-Brunswick en matière de langues officielles. L’une de leurs propositions touchait à la partie VII, de sorte que le gouvernement fédéral tienne compte de l’équilibre linguistique spécifique de la province dans la création et l’application de ses politiques d’immigration. Êtes-vous d’accord avec cette proposition? Le cas échéant, croyez-vous que l’impact serait profitable aux communautés acadiennes et que la proposition serait appuyée par nos Acadiens?

M. Desjardins : Oui, comme il est mentionné dans notre mémoire, nous appuyons cette position. La problématique, c’est qu’au Nouveau-Brunswick, les objectifs sont beaucoup plus larges que ceux qui ont été tracés pour le reste du Canada en matière d’immigration francophone. Chez nous, on vise 33 p. 100, ou du moins entre 30 et 40 p. 100. Même avec les efforts qui ont été faits au cours des dernières années, on n’atteint pas encore 20 p. 100. Chaque année, lorsqu’on n’atteint pas l’objectif, on recule davantage, parce que cela a un effet multiplicateur d’année en année. L’une des difficultés à ce niveau — et c’est là qu’on voit que la partie VII pourrait servir surtout dans le contexte du Nouveau-Brunswick — est liée aux réalités de l’immigration actuelle; les immigrants s’intéressent de plus en plus au milieu rural. Cela représente un avantage pour nous, parce que notre population est concentrée dans ces régions, mais c’est en même temps dans les régions rurales qu’il y a le moins de services d’accueil, d’accompagnement et de transport en commun. Finalement, il s’agit des besoins des immigrants.

Il faut trouver une formule. Chez nous, c’est névralgique. Il ne faudra qu’une décennie avant de voir des communautés disparaître. Nous voyons le phénomène de l’urbanisation dans l’ensemble du pays, et ce sont les régions acadiennes qui sont les plus rurales. Une solution possible, lorsqu’on parle d’une dualité à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, est celle de donner aux unités francophones la responsabilité de gérer cet accueil et ce recrutement. Combien de fois a-t-on participé à des foires d’immigration où la question francophone n’était même pas soulevée? Nous avons tous le même problème, nous voulons tous accueillir des immigrants, mais il est très difficile de faire valoir la double spécificité du besoin d’accueil et de la francophonie dans des structures qui n’ont pas été créées pour s’adresser spécifiquement à la communauté francophone.

La sénatrice Poirier : Dans les grandes villes, on voit de petits groupes culturels qui se forment. Est-ce un enjeu de ne pas avoir, dans les régions rurales, de tels regroupements de communautés culturelles? Comment peut-on améliorer cet aspect?

Frédérick Dion, directeur général, Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick : Comme l’a mentionné le président Desjardins, il y a un désir de la part de certains immigrants de trouver un nouveau milieu de vie en région rurale. On voit des efforts qui se font dans le nord de la province, à Edmundston et à Bathurst. Il y a beaucoup d’immigration en provenance de la France et, sur les fermes avicoles du nord-ouest de la province, de la Belgique.

Il y a des stratégies pour trouver les immigrants potentiels les plus aptes à bien s’intégrer et à rester. Par le passé, malgré nos efforts, certains immigrants ne trouvaient pas un bassin suffisant au sein de leur communauté et ont décidé de partir. Il y a aussi la question de ce qu’on essaie de leur vendre. Il y a un désir de travailler dans le secteur des ressources naturelles, telles la pêche ou la foresterie, mais il faut aussi cibler les bons créneaux de personnes qui viendront s’établir dans les régions acadiennes et rurales du Nord et de l’Est du Nouveau-Brunswick.

À défaut d’avoir les capacités d’accueil et les ressources nécessaires pour jouer leur rôle, les communautés — et surtout les municipalités, qui ont un rôle déterminant dans ce processus — ratent plusieurs occasions. On n’est pas du tout dans le marché de cette immigration, qui choisit d’aller ailleurs au pays. Pour tirer notre épingle du jeu, on a besoin de cibles précises et de ressources spécifiques.

La sénatrice Poirier : Vous avez touché un peu à ma prochaine question, mais j’aimerais avoir davantage d’information. La semaine dernière, la SANB a proposé la modification de la partie VI de la Loi sur les langues officielles afin que toutes les communications et tous les services fédéraux offerts au public soient entièrement bilingues. Êtes-vous d’accord avec cette proposition? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Dion : À défaut d’écrire plusieurs pages à ce sujet et d’en parler longuement, c’était l’un des points que nous voulions aborder. Nous sommes entièrement d’accord. De plus, cela devrait aussi s’appliquer aux services auxquels les gens du Nouveau-Brunswick doivent avoir accès sur une base régionale. Par exemple, certains services du ministère de la Santé relèvent d’un bureau situé à Halifax. Certains des fonctionnaires qui travaillent pour ces ministères au Nouveau-Brunswick ne sont pas bilingues et n’ont donc pas les capacités linguistiques pour desservir la population.

L’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick l’a vécu dans un cas spécifique avec le ministère de la Santé : nous cherchions une expertise pour parler de la problématique du radon. Ce dossier relevait d’un fonctionnaire d’Halifax qui n’était pas en mesure de nous répondre en français. De façon pragmatique, nous avons suggéré d’être desservis par le Québec, qui a un fonctionnaire équivalent. Malheureusement, pour une question de juridiction, nous devions relever d’Halifax, ce qui est une aberration.

Tous les services au Nouveau-Brunswick qui relèvent de la région de l’Atlantique devraient être offerts dans les deux langues officielles.

La sénatrice Jaffer : Bonsoir, et merci de votre témoignage. J’ai une question concernant l’immersion française. Dans ma province de la Colombie-Britannique, les écoles souffrent d’une pénurie d’enseignants en immersion, et les listes d’attente sont très longues pour les parents non francophones qui aimeraient que leurs enfants reçoivent une éducation en immersion française de qualité.

Avez-vous un modèle en place au Nouveau-Brunswick et au sein de vos communautés que vous pourriez nous suggérer et qui pourrait refléter une meilleure inclusion de l’immersion française dans la Loi sur les langues officielles?

M. Desjardins : Je vous remercie de cette question. C’est quand même une préoccupation très importante, surtout au Nouveau-Brunswick, où l’on vient de modifier l’âge d’entrée aux programmes d’immersion. Dans les dernières années, l’entrée se faisait de façon plus précoce, ce qui a créé une pénurie d’enseignants. C’est un problème qui ne se vit pas seulement en Colombie-Britannique, mais également au Nouveau-Brunswick.

Je ne pourrai pas m’aventurer plus loin sur le sujet, je le regrette. Nous nous occupons des affaires municipales et non pas de l’éducation. De façon générale, nous sommes en partenariat avec le système d’éducation et nous partageons ses préoccupations. Le plus gros défi n’est pas l’attitude des gens. Il y a une ouverture d’esprit de plus en plus grande, mais les ressources sont difficiles à obtenir. Il pourrait y avoir, à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, un engagement plus ferme de la part du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’encadrement et les ressources.

Il y a deux facteurs qui vont faire en sorte que la francophonie soit présente partout au Canada : la francisation des anglophones francophiles et le recrutement des immigrants francophones qui veulent enrichir nos communautés. Si nous n’agissons pas sur ces deux facteurs, nous aurons de tristes lendemains.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de cette réponse. Je sais que la tâche des municipalités ne comprend pas les écoles.

[Traduction]

Je sais qu’à Vancouver, d’où je viens, les municipalités font tout, et sont au courant de tout, et j’ai eu l’occasion de vous le demander.

[Français]

J’apprécie beaucoup votre réponse en ce qui concerne l’immigration. Je suis vraiment contente de votre réponse.

[Traduction]

Je suis très heureuse de la manière dont vous vous occupez de la question des immigrants et aussi des immigrants ruraux qui s’installent dans des régions rurales. En ce qui concerne nos rapports, pouvez-vous nous donner une ou deux choses que nous pourrions recommander en vue d’aider les immigrants à s’intégrer plus facilement dans votre municipalité?

[Français]

M. Dion : Il n’y a pas de formule magique. Cela exige une série de mesures. Par exemple, à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, il y a des programmes destinés aux municipalités pour mettre en place des mécanismes d’accueil en matière d’immigration. Évidemment, ce sont des programmes destinés davantage aux grandes villes qui ont besoin de capacités importantes pour jouer un rôle en immigration. Ces programmes ne sont pas destinés aux municipalités en région rurale, qui doivent souvent travailler ensemble, sur une base régionale, si elles veulent être capables de jouer un rôle pertinent. Il serait nécessaire de modifier et de bonifier les programmes, surtout pour le territoire du Nouveau-Brunswick, si on considère l’importance de l’immigration pour l’avenir de la communauté acadienne et francophone.

Je voudrais dire un mot au sujet du programme des infrastructures qui a été annoncé. D’ailleurs, nous allons l’aborder demain dans une autre réunion. En ce qui concerne la question du transport collectif en région rurale, malheureusement, les critères des programmes ont été définis pour les régions urbaines. On exclut donc, en ce moment, la possibilité d’établir des transports collectifs en région rurale avec les sommes disponibles. Ainsi, il n’y a pas d’occasions de développer quoi que ce soit qui répondrait à un besoin souvent ressenti par les nouveaux arrivants qui s’établissent dans une région. Il y a plusieurs régions au Nouveau-Brunswick, que ce soit le comté de Kent de la sénatrice Poirier, dans la péninsule acadienne ou dans la région Chaleur, où on tente de mettre sur pied — et c’est très difficile, faute de moyens —, des transports collectifs qui profiteraient à diverses couches de la société, mais aussi pour une grande part aux nouveaux arrivants. Le transport en commun n’est pas rentable, ni à Montréal, ni à Toronto, ni à Vancouver. Ce ne l’est pas plus dans les régions rurales, et c’est correct; c’est un service qu’on décide d’offrir. Cela répond aussi à une logique de protection de l’environnement. Mais je pense que, si on considère l’importance de ce service pour l’immigration, on pourrait adapter les programmes en conséquence.

M. Desjardins : Madame la sénatrice Jaffer, je voudrais vous parler d’une mesure spécifique. Je vais vous donner l’exemple de la région Chaleur. Le taux de rétention des immigrants francophones dans notre région et, en fait, d’immigrants de toutes les communautés culturelles dépasse les 85 p. 100. Pour un milieu rural, c’est extraordinaire, parce que d’habitude les gens ont plutôt un attrait pour Toronto, Vancouver ou d’autres grandes villes. Nous avons donc une formule qui réussit, d’où l’importance d’inclure ces gens qui ont réussi dans la recette, et de leur donner de l’autonomie dans la gestion du programme pour multiplier les succès.

Nous avons des entrepreneurs qui font des démarches en Europe pour aller recruter des employés. Cela fait un an qu’ils attendent qu’ils arrivent, et il y a des blocages. Nous n’avons pas les structures pour les aider, au sein de la communauté francophone. Au niveau de l’immigration francophone, nous n’avons pas cette forme de dualité. Je parle d’une forme de dualité, car on ne veut pas « dualiser » tout le ministère. Il nous faut une unité francophone qui travaillera spécifiquement à régler les problèmes, à faciliter et aussi à régler les problèmes de nos promoteurs, de nos entreprises, dans le nord-ouest dans la filière du poulet, dans la péninsule au niveau des usines à poisson, ou dans le Restigouche dans le domaine forestier. On a besoin d’une main-d’œuvre. Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups : aller chercher une main-d’œuvre et favoriser l’immigration francophone dans le même temps? Nous avons du travail pour eux. Il faut qu’on se donne une structure, et c’est là qu’une partie VII bonifiée avec un volet pour l’immigration francophone — de façon spécifique au Nouveau-Brunswick, en fonction de notre réalité — et nos recommandations seraient, je le crois, très profitables.

La sénatrice Gagné : Merci de votre présentation. J’aimerais revenir à la Loi sur les langues officielles. J’aimerais savoir si cette loi devrait reconnaître spécifiquement le rôle des municipalités bilingues dans l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

M. Desjardins : On l’a abordé un peu avant les audiences, mais je vais vous faire part de ma réflexion à ce sujet. Elle vient de loin, de la refonte de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 2002, qui a créé un nouveau régime de bilinguisme au niveau des municipalités.

Lors de la refonte de la loi en 2002, l’Association francophone des juristes d’expression française, à l’époque, avait préparé un code des droits linguistiques et avait proposé un modèle qui s’était inspiré des rapports Poirier-Bastarache auparavant, pour voir comment on trouvait un juste équilibre, au niveau municipal, entre le bilinguisme qui est nécessaire dans certains cas et le fait de ne pas imposer le bilinguisme à des communautés largement unilingues, francophones ou anglophones. J’étais à l’époque président de l’Association des juristes d’expression française. Nous avions tenu un colloque sur le code des droits linguistiques, et nous avions obtenu une très bonne participation des municipalités francophones. Nous avons 46 membres qui sont en majorité francophones et, à Petit-Rocher, mon village, nous sommes à 98 p. 100 francophones. Nous ne voudrions pas nous voir imposer des obligations de bilinguisme, parce que le nombre ne le justifie pas, si je puis dire.

Le seuil a été établi au Nouveau-Brunswick à 20 p. 100. C’est-à-dire que, si vous dépassez 20 p. 100, vous avez l’obligation d’adopter des arrêtés et d’offrir un certain nombre de services. Il y a un certain nombre de mesures qui ont été précisées par la suite par règlement, qui sont des obligations. Également, les huit cités de la province, indépendamment du nombre de la minorité, se sont vu imposer un régime de bilinguisme.

Cependant, c’est un champ de compétence provinciale. Je ne suis pas convaincu qu’on veuille avoir une vision fédérale qui viendrait imposer le bilinguisme au niveau municipal, tant à Petit-Rocher qu’à Woodstock. Je crois que la formule qui a été proposée au Nouveau-Brunswick semble bien fonctionner. Il y a un équilibre entre les obligations, il y a un chiffre déclencheur, et il semble, de façon générale, depuis les dernières décennies, que cela fonctionne relativement bien.

M. Dion : Là où le gouvernement fédéral a peut-être un rôle à jouer, c’est sur certaines mesures que peuvent mettre en œuvre les municipalités. Je donnerais l’exemple de l’affichage linguistique au Nouveau-Brunswick. Dans certaines régions majoritairement anglophones, où il y avait des communautés avec une concentration plus importante de francophones, mais où la grande région était plutôt anglophone, historiquement, on trouvait un affichage en anglais, un peu comme dans l’Est ontarien. À l’aide des programmes de prestation de services dans les deux langues officielles qui transitent par le gouvernement provincial, soit les ententes fédérales-provinciales, on a eu accès, depuis quelques années, à des sommes pour encourager l’affichage dans les deux langues officielles. En fait, il s’agit d’un affichage linguistique qui respecte aussi la réalité linguistique sur le terrain. C’est déterminant, comme plusieurs études l’ont démontré, pour le sentiment d’appartenance, la fierté et l’affirmation de la communauté. À ce moment-là, le gouvernement fédéral a été partenaire et, dans le cadre de mesures semblables, il est très important qu’il continue de jouer son rôle.

La sénatrice Gagné : Monsieur Desjardins, je suis du Manitoba, où nous n’avons pas le plaisir d’avoir des municipalités francophones. Ma question est à savoir si la Loi sur les langues officielles devrait reconnaître le rôle des municipalités bilingues et francophones, pour reconnaître la spécificité du Nouveau-Brunswick, dans l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

M. Desjardins : Je vais revenir sur mon exemple du Nouveau-Brunswick, qui est spécifique. La Loi sur l’égalité des communautés accorde à la communauté des droits constitutionnels qui font en sorte que le caractère homogène d’un certain nombre d’institutions est protégé. Je ne dirais pas que les municipalités en font partie, mais il n’est pas dit qu’on ne puisse pas soutenir l’argument qu’elles le pourraient.

Par exemple, une bibliothèque municipale est une institution culturelle qui appartient à la communauté, laquelle pourrait revendiquer le droit d’avoir une bibliothèque unilingue, par exemple. Je comprends que le contexte au Manitoba, ou ailleurs au pays est très différent, mais les solutions imposées qui tiennent compte du contexte, soit du Québec soit du reste du Canada, ont souvent joué en défaveur de la communauté acadienne.

On se rappellera l’arrêt Société des Acadiens, de la Cour suprême du Canada, alors qu’on avait interprété de façon restrictive les droits linguistiques à partir d’une décision rendue le même jour pour le contexte québécois, d’où l’importance pour nous que figure dans la Constitution cet article 93.1 qui nous reconnaît un statut constitutionnel distinct. Et si nous devions intervenir dans le cadre municipal en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles, il faudrait que ces interventions soient calquées sur ces obligations constitutionnelles du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : J’aimerais poursuivre dans la même veine. Vous avez parlé de l’importance de l’immigration pour le développement des communautés du Nouveau-Brunswick. La loi devrait-elle reconnaître l’immigration comme un secteur d’activité important pour le développement des communautés?

M. Desjardins : Oui, définitivement. Compte tenu de la réalité d’aujourd’hui, c’est devenu une obligation. Si les communautés minoritaires au pays ne peuvent pas trouver des façons d’accueillir et de maintenir une forte immigration francophone, cela posera un défi.

Je vais vous donner un exemple que vous allez probablement comprendre, puisqu’il provient du Manitoba. Lors de la dernière réunion du Réseau francophone de la Fédération canadienne des municipalités, nous avons reçu des représentants de la FCFA qui s’occupent du domaine de l’immigration. Ces derniers sont venus faire une présentation au réseau parce qu’ils voulaient savoir en quoi les municipalités pouvaient jouer un rôle. Moi, qui viens du Nouveau-Brunswick, j’ai été estomaqué d’apprendre que, au Manitoba, lorsqu’un immigrant arrive, son problème n’est pas la langue française, mais bien la langue anglaise. Il faut lui donner des cours d’anglais pour qu’il puisse fonctionner, et c’est tout à fait réaliste dans le contexte de cette province; si on ne peut pas fonctionner dans la langue anglaise, on ne pourra peut-être pas travailler. Par contre, au Nouveau-Brunswick, lorsqu’un immigrant francophone vient chez nous, on ne va pas l’angliciser et on ne va pas lui donner des cours d’anglais; au contraire, on veut l’intégrer à la communauté francophone. Il y a des réalités distinctes selon les régions, et la loi doit tenir compte des spécificités de chacun des milieux.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de votre présentation.

Monsieur Desjardins, vous êtes non seulement maire, mais vous êtes également avocat. Selon vous, doit-on faciliter le recours aux tribunaux en cas de non-respect des obligations linguistiques?

M. Desjardins : Je vais vous répondre comme un avocat : nous n’avons pas étudié cette question. Bien que je sois avocat, je n’ai pas la prétention de venir ici à titre de juriste ou d’expert en droit linguistique.

Je vais vous donner ma réponse à titre de maire et de juriste. Il y a eu un débat sur l’affichage à Dieppe, lorsque la Ville de Dieppe a adopté l’arrêté Z-22 qui prévoyait le bilinguisme dans l’affichage et que certaines compagnies ont contesté devant les tribunaux. J’étais chroniqueur à l’époque pour le journal L’Acadie nouvelle et j’avais écrit quelques chroniques sur le sujet. Je comprenais bien pourquoi certaines municipalités étaient un peu gênées de s’aventurer trop loin dans ce secteur. J’ai eu une discussion à un certain moment avec Me Michel Doucet, qui est un grand défenseur des droits linguistiques, et il n’était pas d’accord avec moi; il me disait que si on adoptait des arrêtés, on devait les mettre en vigueur. Je lui avais alors dit que Petit-Rocher ne disposait que d’un budget de 2 000 $ par année pour les affaires juridiques. C’est la réalité sur le terrain, et on ne se présente pas devant la Cour suprême avec cela.

D’accord pour les recours, mais les recours du commissaire aux langues officielles qui, pour les communautés, sont beaucoup plus utiles, étant donné que nous ne disposons pas sur le terrain des ressources nécessaires.

Vous savez, par exemple, que le Programme de contestation judiciaire est une marée qui va au gré des gouvernements qui passent. Ça va, ça vient.

Le sénateur McIntyre : Il existe de la jurisprudence en la matière; la Loi sur les langues officielles, dans sa forme actuelle, tient-elle compte de la jurisprudence récente à cet égard?

M. Desjardins : Je ne voudrais pas m’aventurer sur ce sujet. Comme nous l’avons dit au début de notre présentation, nous ne sommes pas venus ici faire une présentation technique. Je vous déçois peut-être en vous disant cela, mais ce n’est pas à titre de juriste que je veux témoigner. D’autres témoins qui comparaîtront devant le comité sont largement plus qualifiés que moi pour vous donner des réponses informées à ce sujet.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais faire suite aux questions de la sénatrice Gagné en ce qui concerne la francisation de l’affichage commercial dans les municipalités. Comme vous l’avez si bien dit, au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles prévoit que toute municipalité desservant une population de langue minoritaire d’au moins 20 p. 100 de la population totale est assujettie à la Loi sur les langues officielles.

Au Nouveau-Brunswick, la publication des arrêtés doit se faire dans les deux langues officielles. Le Nouveau-Brunswick compte 50 municipalités francophones et bilingues réparties dans six régions; la publication des arrêtés se passe-t-elle bien?

M. Desjardins : Vous avez touché plusieurs points sur lesquels je voudrais rebondir. Au niveau des arrêtés municipaux, nous n’avons pas noté de problème particulier. Les seuils établis à 20 p. 100 ou encore ceux pour les huit villes semblent répondre aux besoins des citoyens. Nous n’avons pas reçu de plainte particulière à ce sujet.

En ce qui concerne l’affichage, un élément nouveau pourrait prendre forme, et ce sera peut-être à Petit-Rocher que l’initiative sera prise à ce chapitre. Je vais vous donner l’exemple de la bibliothèque municipale. Nous avons une obligation, en vertu de la loi provinciale, d’utiliser un affichage dans les deux langues. Par ailleurs, la municipalité a adopté un énoncé de politique de francisation, c’est-à-dire que nous voulons favoriser l’affichage francophone dans la municipalité; tout cela a un rapport avec l’importance du paysage linguistique quant au respect de la langue de la communauté. Il est possible que, à Petit-Rocher, pour la nouvelle bibliothèque que nous sommes à envisager, nous utilisions la méthode québécoise, c’est-à-dire qu’il pourrait y avoir une prépondérance du français, tout en proposant une version anglaise, de sorte que le caractère majoritairement francophone soit reflété dans le paysage linguistique.

D’ailleurs, à Dieppe, ceux qui ont adopté l’arrêté Z-22 pour une communauté à 80 p. 100 francophone auraient pu permettre la prépondérance du français; cela m’apparaît normal.

M. Dion : Un exercice a été effectué par la commissaire aux langues officielles au Nouveau-Brunswick afin d’évaluer le respect des obligations des municipalités en cette matière, et les résultats étaient quand même très positifs. Les seules problématiques retenues avaient davantage trait au niveau de l’offre active de certains services dans certaines municipalités.

Quant à la publication des arrêtés, c’est systématique, et ce n’est pas très contraignant comme travail. Il n’y a pas de partie IV dans la Loi sur les municipalités en ce qui a trait à la langue de travail ou dans la Loi sur les langues officielles, c’est-à-dire qui vise les municipalités en matière de langue de travail, et il n’y a pas de partie VII, encore moins en ce qui concerne les mesures positives.

En ce qui concerne les obligations actuelles, je pense qu’elles sont mieux comprises et, surtout, de mieux en mieux respectées par les municipalités qui y sont assujetties.

M. Desjardins : En ce qui a trait aux mesures législatives adoptées, il est difficile de déterminer leur impact réel sur le terrain. Lorsqu’on parlait du programme de l’affichage qui a été géré par notre association, mais à l’aide de fonds provenant de Fredericton par le truchement d’ententes fédérales-provinciales, il y a 10 ans, vous alliez à Shediac et vous aviez l’impression que c’était une ville anglophone. Tout l’affichage était en anglais. Aujourd’hui, vous allez à Shediac, et vous voyez de l’affichage bilingue. Le visage de cette communauté s’est transformé complètement, de bout en bout. C’est frappant!

C’est un exemple, Shediac, mais c’est l’effet des mesures prises en amont qui découlent de la Loi sur les langues officielles. C’est ce genre de mesures qui ont un impact sur le terrain et qui font en sorte que les francophones, les Acadiens de Shediac, se reconnaissent dans leur environnement, sans nier la présence de l’autre communauté. C’est un site touristique prisé. J’étais gêné que tout le monde, surtout un grand nombre de Québécois qui venaient en vacances en Acadie, arrive à Shediac dans une ville anglophone et dans ce paysage linguistique. C’était anormal et ça a été corrigé. Cela n’était pas juste de la « parlotte », vos affaires.

Le président : Comme le temps file, je vais vous demander d’être concis dans vos questions et vos réponses.

La sénatrice Mégie : Compte tenu du taux de rétention des immigrants, que je trouve intéressant, soit 85 p. 100, je me demandais pourquoi vous avez tant de difficulté à faire valoir vos intérêts autour des tables rondes sur l’immigration. Est-ce que c’est parce qu’il y a beaucoup de sollicitation, une grande compétitivité entre les provinces, la non-reconnaissance de la spécificité du Nouveau-Brunswick ou d’autres facteurs?

M. Dion : Les municipalités qui ont du succès avec leur stratégie sont les municipalités un peu plus grandes qui ont plus de capacité, de moyens. Bon nombre de municipalités membres de notre association, dont une grande majorité compte moins de 5 000 habitants et, dans plusieurs cas, moins de 2 000, n’a aucune capacité de ressources pour jouer un rôle en cette matière. Il devient très difficile, même sur une base régionale, de faire du travail à ce niveau.

C’est pourquoi, grâce à des mesures positives en matière d’immigration pour aider ces petites communautés à jouer un rôle, on pourrait obtenir du succès non seulement à Edmundston et à Bathurst, mais aussi dans la région de Caraquet, dans la région de l’Acadie, dans la région de Campbellton-Dalhousie. Il y a une occasion d’aider ces communautés à jouer un meilleur rôle, un rôle très important quant à l’accueil de nouveaux immigrants, au recrutement et à la rétention.

La sénatrice Mégie : Est-ce que les modifications à la partie VII que vous avez proposées, monsieur Desjardins, pourraient aider en ce sens?

M. Desjardins : Non seulement je pense que cela devrait aider, mais je suis l’un de ceux qui plaident depuis déjà quelques années chez nous l’importance d’avoir des instruments homogènes dans le domaine de l’immigration francophone. On n’aura pas de succès si on ne s’occupe pas soi-même de son terrain et, pour cela, la partie VII doit inclure... On l’a fait dans le domaine de l’éducation chez nous, et il faut le faire dans le milieu de l’immigration, parce qu’il faut juxtaposer deux phénomènes : le manque d’emplois dans des secteurs très spécifiques de notre économie, particulièrement dans le milieu rural, et notre besoin de croître et de maintenir la communauté francophone.

Il y a une occasion à saisir, à condition d’en avoir les moyens. Je pense que M. Dion l’a bien exprimé. On est un chapelet de petites communautés municipalisées. Il y a une large portion de notre territoire qui ne l’est pas, ce qui est incroyable pour les gens de l’extérieur du Nouveau-Brunswick, parce qu’ils ne comprennent pas qu’il puisse y avoir des territoires non municipalisés. Dans ma région, il y a 40 p. 100 du territoire qui n’est pas dans une municipalité, donc 40 p. 100 de la population qui n’est pas représentée par un gouvernement municipal. C’est un déficit démocratique pour une autre heure. Le président Cormier est très au courant du dossier. On essaie, à l’aide des programmes du ministère du Patrimoine canadien, de favoriser la pleine municipalisation ou le renforcement de la gouvernance local.

Cela dit, en matière d’immigration, nous ne sommes pas bien outillés pour sauter sur l’occasion, mieux intervenir et multiplier les formules à succès. C’est là qu’on fait appel à votre comité pour faire des recommandations en ce sens.

La sénatrice Moncion : Merci de votre présentation. Rapidement, parce que vous venez de parler de la partie VII et du règlement. Vous avez mentionné dans votre présentation que cette portion pouvait être modifiée par règlement. Quel règlement faudrait-il ajouter dans cette portion de la partie VII sur la promotion du français et de l’anglais, ou plutôt du français, j’imagine?

M. Dion : Je pense que la clé de voûte est l’article 3, qui prévoit le règlement, mais qui n’a jamais été utilisé. C’est pour cette raison qu’on ne s’est pas prononcé à savoir si on doit modifier la loi ou plutôt le faire par règlement. Le règlement offre une possibilité, mais qui n’a jamais été utilisée. Ce serait une occasion de le faire pour une première fois. Plusieurs des éléments et des propositions qu’on a avancés pourraient certainement se faire par cet outil.

Si l’on veut parler de mesures positives, sans que cela se traduise par quelque chose de concret et de bien défini, on reste dans l’air du temps. C’est un peu flou, un peu vague. Chacun fait un peu ce qu’il veut ou ce qu’il a envie de faire, en fait, et chacun s’en lave les mains. Je ne dis pas non plus qu’il n’y a rien qui est fait, car il y a des ministères qui font des choses intéressantes, mais on a la possibilité de mieux préciser et de bonifier la loi à la lumière des besoins d’aujourd’hui.

La sénatrice Moncion : J’aimerais ajouter quelque chose à ce que vous mentionnez. Dans le règlement, à la troisième partie, on parle de fixer les modalités d’exécution des obligations que la présente partie impose. Quelles sont ces fameuses modalités que vous voulez voir? Quel est le règlement spécifique qu’on aurait besoin d’avoir?

M. Dion : Il s’agirait, par ce règlement, de préciser, pour chacune des institutions fédérales, quelles devraient être les mesures positives. Donc, si l’on prend chacun des ministères, des institutions — on vient de parler d’immigration —, on pourrait certainement définir les besoins spécifiques, les besoins particuliers que requiert cet enjeu pour la communauté acadienne et francophone, et pour les communautés linguistiques en situation minoritaire, mais aussi reconnaître la spécificité, comme on en a parlé plus tôt, de chaque communauté à l’intérieur des provinces.

Par ce règlement, on pourrait le faire pour chaque institution fédérale. Par exemple, pour le Perfectionnement des compétences en affaires de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, on pourrait aussi préciser quelles sont les mesures qui doivent être mises de l’avant pour appuyer la communauté dans son développement, et ainsi de suite, peut-être même pour la Gendarmerie royale du Canada. Chaque ministère aurait un rôle bien défini, une lorgnette « langues officielles » lorsque viendrait le temps d’aborder les communautés.

Le sénateur Smith : Depuis quelques semaines, j’ai commencé à faire partie de ce comité, et j’ai entendu beaucoup de témoignages. J’ai une question d’ordre macro. Si on regarde Thunder Bay Ouest, il n’y a pas de problème démographique; en revanche, à Thunder Bay Est, il y a un gros problème démographique avec le vieillissement de la population. Vous avez beaucoup parlé des choses qu’on pourrait faire, de vos analyses et de vos suggestions, mais si demain vous aviez le pouvoir de créer ce plan en matière d’immigration pour appuyer le développement de vos régions, si vous aviez la possibilité d’élaborer un plan d’action et de créer un projet pilote avec le Nouveau-Brunswick, comment procéderiez-vous?

M. Desjardins : Je ne suis pas certain, sénateur Smith, que vous vouliez vraiment m’accorder de tels pouvoirs. J’ai rencontré, il y a deux semaines, à l’assemblée annuelle de Forêt Nouveau-Brunswick, le regroupement de tous les entrepreneurs de cette industrie importante au Nouveau-Brunswick. Des gens du Groupe Savoie sont allés, à leurs propres frais, faire une tournée en Europe — en Belgique, en particulier. Ils ont trouvé des personnes qui veulent venir travailler pour eux. Ils sont en état de pénurie d’employés. Cela fait un an que neuf personnes sont en attente du feu vert pour entrer au pays. Ce ne sont pas des terroristes, il ne s’agit pas d’un pays qui n’a pas d’archives, c’est un pays tout à fait occidental. Il n’y a aucune raison qui puisse justifier cela. Ils sont en train de se décourager. Ils ont pris des initiatives, mais ça bloque, et ils ne comprennent pas pourquoi. C’est pourquoi je dis qu’il nous faut des mécanismes d’intervention qui nous appartiennent, parce que cela a un effet sur le marché du travail et sur une entreprise de chez nous.

Je ne vous dirais pas ce qu’il faudrait faire demain matin, mais il nous manque, chez nous, au niveau de la communauté, des moyens d’intervention, car nous n’avons pas d’autonomie communautaire dans ce secteur. Et c’est ce que la Loi sur les langues officielles, dans la partie VII, devrait nous donner.

Le sénateur Smith : Est-ce que c’est seulement la partie VII de la loi qui pourrait vous donner cette autonomie? Ne serait-ce pas plutôt la capacité de mobiliser les gens d’affaires pour qu’ils aillent rencontrer le ministère de l’Immigration — et vous l’avez probablement déjà fait —, pour changer le processus d’accréditation? Le défi qui se pose est que vous avez d’un côté les gens qui font une demande en bonne et due forme, et de l’autre, les gens qui entrent de façon illégale. Vous avez un problème, vous avez besoin de l’aide du gouvernement fédéral pour vous aider sur le plan du processus d’accréditation. Au lieu d’en appeler à la loi pour pallier ces problèmes, ne serait-il pas possible que les gens se mobilisent, les gens d’affaires, les politiciens, les maires des villes? Peut-être l’avez-vous déjà fait, peut-être avez-vous déjà un tel comité, mais pourquoi pas?

M. Desjardins : Un certain nombre de comités existent, qui interviennent. Des progrès ont été faits au fil des ans, tout n’est pas noir. Mais on se rend compte qu’il manque ce grand encadrement. Nous avons maintenant un secrétaire parlementaire. Notre député local, Serge Cormier, est secrétaire parlementaire du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

Le sénateur Smith : Est-ce que vous avez avec vous les grandes familles du Nouveau-Brunswick...

M. Desjardins : Les grandes familles économiques, vous voulez dire?

Le sénateur Smith : Oui, et qui pourraient vous prêter main-forte pour influencer le gouvernement?

M. Desjardins : Vous savez, je suis maire de Petit-Rocher, je ne suis pas premier ministre du Nouveau-Brunswick. Le premier ministre du Nouveau-Brunswick lui-même a parfois de la difficulté à avoir les grandes familles de son côté, alors ce n’est pas évident. Ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’une initiative concertée a lieu à l’échelle des Maritimes et du Canada atlantique. Ce qu’on essaie de vous communiquer, c’est que, à travers cela, lorsque nous participons à des forums — et nous allons encore assister à un forum très important au mois de mai à Moncton —, la notion de communauté francophone dans ce melting pot de l’immigration ne pèse pas lourd. Pour nous, c’est essentiel. La seule façon de faire pour qu’elle pèse lourd, c’est d’avoir notre propre structure pour pouvoir la coordonner, pour qu’elle puisse créer des synergies avec tous les intervenants sur le terrain. C’est notre défi. La Loi sur les langues officielles n’est pas la seule réponse.

Le sénateur Smith : Comment allez-vous relever ce défi? De quoi avez-vous besoin en termes d’appui? D’argent seulement? Sinon, de quoi d’autre?

M. Dion : Comme je l’ai mentionné plus tôt, une série de mesures peuvent être mises en place; encore là, il s’agit, dans chacune des institutions fédérales, de déterminer ce que peut être le rôle de chacune pour appuyer l’immigration. Non, ce n’est pas toujours une question de sous, mais dans certains cas, oui, il peut s’agir de ressources financières. Il y a surtout un manque de coordination sur toute la question de l’immigration francophone au Nouveau-Brunswick. Plusieurs acteurs jouent un rôle, les entrepreneurs sont de leur côté, le gouvernement est du sien. Le ministère responsable de l’Immigration au Nouveau-Brunswick a des objectifs, oui, mais il est dans sa réalité propre, qui tourne autour des trois grandes villes qui sont majoritairement anglophones. Il n’y a pas de lorgnette unique pour l’immigration francophone dans la province, et c’est peut-être au gouvernement fédéral d’appuyer les communautés en ce sens, parce que c’est sa responsabilité et que ça relève de ses compétences.

Évidemment, on pourrait faire une liste de chacun des déterminants qui permettraient d’avoir du succès. Comme mon président l’a mentionné, il y a des succès actuellement et il faut miser sur ceux-ci, mais il nous en faut plus. Donc, il nous faut davantage de ressources et, comme on le dit souvent, l’égalité des chances ne passe pas toujours par l’égalité des moyens. Il faut parfois des moyens supplémentaires pour pouvoir obtenir les mêmes résultats. Dans notre cas, en matière d’immigration, c’est la conclusion à laquelle nous arrivons.

Le président : Nous allons devoir conclure avec le sénateur Maltais.

Le sénateur Maltais : Monsieur Dion, vous avez dit plus tôt que les services en matière de santé étaient offerts par un bureau à Halifax qui est unilingue. Ai-je bien compris?

M. Dion : Effectivement, il s’agit de la personne responsable du dossier, j’ai l’ai mentionné, même si je ne voulais pas particulièrement la cibler. Le dossier de la santé est tout de même un dossier très caractéristique et très concentré au Nouveau-Brunswick. Le problème du radon touche surtout l’Est du Canada, surtout les régions acadiennes francophones du nord et de l’est, mais la personne responsable de ce dossier à Santé Canada est un fonctionnaire qui ne communique pas en français. Donc, quand nous parlons du besoin de recevoir un soutien du ministère pour mettre en œuvre des programmes d’intervention, ou même seulement pour communiquer certaines informations à la population, cette personne ne peut pas communiquer avec nous en français. Après avoir envoyé quelques courriels en français, il a fallu écrire en anglais pour obtenir la réponse, car nous étions face à une fin de non-recevoir. Nous avons tout de même communiqué avec la personne responsable au Québec qui fait le même travail. Elle nous a dit qu’elle aimerait pouvoir nous aider, mais qu’elle ne le pouvait pas, parce que nous relevions d’Halifax. C’est la réalité de certains services qui sont offerts sur une base régionale en Atlantique.

Le sénateur Maltais : Vous relevez d’Halifax. Pourquoi pas de Saint-Pierre et Miquelon, tant qu’à y être? Je m’excuse, mais c’est un point important pour les personnes qui ont besoin de ces renseignements. Que font vos députés provinciaux, votre premier ministre provincial et votre député fédéral à ce sujet? Ont-ils été mis au courant de ces faits?

M. Dion : De telles situations, nous en vivons à l’occasion. Ce n’est pas toujours facile de vivre en situation minoritaire, et ce n’est pas seulement avec les services fédéraux; cela nous arrive également avec les services provinciaux. Si nous devions faire une plainte chaque fois que nous nous butons à des problèmes semblables, nous passerions notre temps à le faire. Nous ne voulons pas non plus subir de ressacs. Il y a plusieurs aspects à considérer quand il s’agit d’aborder ces situations. Souvent, on fait avec. Mais nous voulons tout de même chercher à améliorer la qualité du service, et je pense que nous serions en droit, dans un pays qui se définit comme bilingue et qui dit offrir un accès égal à des services dans les deux langues, d’avoir justement accès à ces services dans notre langue officielle.

Le sénateur Maltais : Je vous trouve d’une patience extraordinaire. Notre commissaire aux langues officielles devrait se grouiller les pieds et regarder de près cette situation que je trouve tout à fait ridicule.

Monsieur Desjardins, vous avez dit une vérité de La Palice concernant Shediac. Je suis un habitué du coin. La première fois que j’y étais, il n’y avait aucune indication en français. J’étais certain d’être dans une ville anglophone. Pourtant, après trois jours, je n’avais toujours pas trouvé d’anglophones. En discutant avec un pêcheur de Lamèque, il m’a dit qu’il n’y avait pas beaucoup d’anglophones; pourtant, l’affichage était en anglais. J’y vais toujours avec mon fils et mes petits-fils, et je vois que cela a drôlement changé.

Lors de votre présentation, vous avez dit que le Conseil privé devrait s’impliquer davantage pour s’assurer que la Loi sur le ministère du Patrimoine canadien soit appliquée pour les revendications. Ai-je bien compris? Corrigez-moi si ce n’est pas le cas.

M. Desjardins : Ce n’est pas tout à fait cela. La volonté politique doit partir du Conseil privé, c’est certain, et le fait qu’aucun règlement n’ait suivi l’adoption de la partie VII de Loi sur les langues officielles est une faiblesse de son application. Par le passé, j’étais plus proche des subtilités des droits linguistiques. La difficulté, c’est d’imposer à des ministères des responsabilités en matière de langues officielles. C’est facile pour Patrimoine canadien, parce que c’est son dossier. Le Conseil du Trésor a des responsabilités au chapitre de l’application, surtout à l’interne.

J’ai fait affaire avec Justice Canada. C’était l’un des ministères parmi les plus ouverts à cette responsabilité, parce qu’il y était plus sensibilisé. Lorsqu’on se tournait vers d’autres ministères, comme celui de l’Agriculture ou des Ressources naturelles... En sortant des créneaux les plus faciles et en allant vers l’immigration, nous mettons l’accent sur l’immigration, parce que c’est essentiel pour l’avenir de notre avenir. Nous n’avons pas le choix.

C’est une tâche énorme d’adopter des règlements qui vont imposer des obligations linguistiques à chaque programme dans l’ensemble du gouvernement. Si la mesure ne vient pas du Conseil privé, ça ne se fera pas.

Le sénateur Maltais : Vous avez raison. Merci beaucoup.

Le président : Je vous remercie, messieurs, de vos présentations qui nous éclairent sur les enjeux que vous vivez.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant amorcer le troisième volet de notre étude sur la perspective des personnes ayant vécu l’évolution de la Loi sur les langues officielles dans le cadre de notre étude sur sa modernisation. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Gino LeBlanc, directeur du Bureau des affaires francophones et francophiles de l’Université Simon Fraser. Monsieur LeBlanc s’intéresse depuis plus de 20 ans aux enjeux du bilinguisme de la Loi sur les langues officielles, ainsi qu’au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Bienvenue, monsieur LeBlanc. La parole est à vous.

Gino LeBlanc, directeur, Bureau des affaires francophones et francophiles, Université Simon Fraser, à titre personnel : Merci de m’avoir invité. J’ai un temps très bref pour intervenir. J’ai donc fait des choix. Sachez que, en ce qui a trait à vos questions, je travaille en ce moment dans le monde de l’éducation postsecondaire en français sur la côte Ouest. La sénatrice Jaffer représente notre région. J’ai aussi été militant dans les organismes francophones au cours des années 1990. J’ai examiné les questions que votre comité a mises de l’avant pour les témoins. Il y a beaucoup d’éléments que je pourrais présenter quant aux pratiques exemplaires qui ont déjà existées ou quant aux enjeux liés au Conseil privé, où les langues officielles ont déjà été présentes. N’hésitez pas à me poser des questions sur l’éducation postsecondaire en français ou sur les éléments que je vais soulever. J’ai aussi été un acteur de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, donc, sentez-vous libres de me poser des questions à ce sujet également.

La présentation doit porter sur l’expérience d’une personne qui a connu l’évolution des langues officielles au Canada. J’ai fait des choix, et j’ai choisi cinq éléments. Je n’aurai pas le temps, lors de mon intervention, de parler du commissaire aux langues officielles, de la partie III, de la partie IV et de la partie V, mais, si vous avez des questions concernant ces parties, je serai heureux d’y répondre.

J’ai une formation de politicologue. J’aimerais d’abord soulever la notion suivante : la Loi sur les langues officielles n’a aucun sens s’il n’y a pas de communautés de langue officielle. Cela peut paraître banal comme début d’intervention, mais c’est pour moi extrêmement important. Les racines de la loi qui date de 1968-1969 et les travaux de la Commission Laurendeau-Dunton viennent de cet esprit d’intervention au sein de la société canadienne afin de valoriser les langues en milieu minoritaire, en particulier le français. Mais c’est aussi pour appuyer des communautés. Lorsque je réfléchis à la moderniser ou au renouvellement de la Loi sur les langues officielles, le paradigme est de penser aussi en fonction d’une loi axée sur le développement des communautés de langue officielle.

Je sais que vous êtes là pour légiférer; vous faites partie de la branche législative, mais il est important de prendre du recul et de réfléchir au fait que, sans des communautés dynamiques, prospères et dans lesquelles la langue française est vivante, la Loi sur les langues officielles n’a pas vraiment de sens au Canada. C’est une loi qui serait désarticulée de la vraie vie de la société. Derrière la loi, au départ, il y a vraiment le projet de bâtir une société. Il est difficile de légiférer à ce sujet, mais, pour renouveler la loi, il faut commencer avec l’idée que c’est un projet de société. C’est très important pour moi. On commence là. Il ne s’agit pas seulement de levier pour les services en français ou d’affichage; tout cela est important, mais, si on commence au début, c’est un projet de société, et l’objectif est de développer des communautés qui peuvent vivre en français.

C’est le premier point que je voulais faire valoir. Dans ce sens, j’ai trouvé que le budget de 2018, en y jetant un regard neutre et non partisan, allait dans cette direction. On a investi dans les communautés, et c’est très positif. C’est un peu ironique, puisque j’évolue dans le domaine postsecondaire et que les fonds destinés au PLO ont été gelés, mais je comprends qu’il est important d’investir dans les communautés.

Il faut aussi revoir la gouvernance. La loi ne parle pas de la gouvernance des communautés, mais je pense qu’il serait sage de réfléchir à la façon dont sont organisées les communautés et à la façon dont elles exercent leur pouvoir. C’est un peu ancien, et il serait temps de renouveler cet aspect également. Est-ce le rôle du Sénat? Probablement pas. Toutefois, il faut savoir que si l’on parle du développement des communautés, du développement de groupes, il faut également examiner cette gouvernance qui date un peu.

La capacité de mesurer est très importante pour moi. Comment mesurer les objectifs atteints? Vous parliez de l’immigration tantôt; il y a des choses qui sont quantitatives. Je crois que Statistique Canada est un chantier sous-développé, c’est-à-dire qu’il faut mesurer le développement de ces communautés, la vitalité linguistique de villes telles Shediac, Saint-Boniface ou Sudbury. En ce sens, lorsque le questionnaire long de Statistique Canada a été éliminé, c’est la raison pour laquelle les communautés et les chercheurs ont crié. Il est important pour nous de poser un diagnostic et un regard.

Vous avez amorcé une réflexion sur le renouvellement de la loi; il faudrait un plan de développement avec des indicateurs et des mesures. Par exemple, je verrais dans une nouvelle Loi sur les langues officielles des objectifs très spécifiques, peut-être dans le cadre d’un plan quinquennal. Oui, il y a un plan d’action sur les langues officielles, mais c’est un plan que le gouvernement a décidé d’élaborer et qui n’est pas inscrit dans la loi. Il pourrait être intéressant d’avoir, dans le cadre de la loi, la suggestion d’un plan quinquennal relié à ce projet de société.

Je fais le point parce que, souvent, on dit que les questions qui relèvent de la Loi sur les langues officielles sont des questions techniques. Vous avez demandé entre autres si la jurisprudence aujourd’hui est bien reflétée dans la loi. Cette question est très importante, et je vais l’aborder un peu plus tard. Il ne s’agit pas seulement d’un projet technique ou juridique, il s’agit d’un projet pour remédier à des erreurs du passé. La Loi sur les langues officielles, dans son statut quasi constitutionnel, comprend une notion de réparation. Encore là, je ne m’arrête pas à des articles ou à des détails techniques; dans le cadre d’une chambre législative, il y a des enjeux pour remédier aux injustices du passé afin d’offrir un accès égal. Un plan de développement global serait intéressant. Une politique d’aménagement linguistique serait un autre outil qu’on pourrait créer pour savoir comment se porte le français à Baie Sainte-Marie, à Caraquet, à Sudbury, à Saint-Boniface ou à Vancouver. Ensuite, on pourrait revenir périodiquement sur ces enjeux.

Le deuxième élément que je voulais soulever, et vous en avez parlé avec mes collègues du Nouveau-Brunswick, concerne la mise en œuvre de la loi. Vous allez retravailler la loi et la moderniser. Il y a un réel problème en ce qui a trait à la mise en œuvre de la loi. Je ne suis pas le premier à en parler. Le commissaire aux langues officielles a tenu un important colloque en décembre dernier lors duquel je suis intervenu. Je dirai ce soir la même chose que ce que j’ai dit à ce moment-là : le Conseil privé serait probablement un lieu privilégié pour ancrer les objectifs politiques d’un développement des communautés de langue officielle. Cela pourra faire l’objet d’un débat.

Je sais que certains recommandaient le Conseil du Trésor plutôt que le Conseil privé. Si vous voulez poser des questions à ce sujet, on pourra explorer cela ensemble.

J’ai été président de la FCFA de 1997 jusqu’au début des années 2000, sous le gouvernement de M. Chrétien. Le sous-greffier du Conseil privé de l’époque était Ronald Bilodeau, et il avait décidé qu’il y aurait un Secrétariat des langues officielles. Je ne suis certainement pas la première personne qui vous parle de l’ancien Secrétariat des langues officielles; c’était Jérôme Moisan qui en était le directeur. M. Bilodeau, sous-greffier au Conseil privé, avait aussi mis sur pied un comité des sous-ministres qui a existé pendant longtemps et qui portait seulement sur les langues officielles. Encore là, on est au centre; vous savez que les sous-ministres se rencontrent régulièrement. C’était le sous-ministre de la Justice Morris Rosenberg qui présidait ce comité. Au centre, on avait toujours un regard sur ce qui se passait en matière de langues officielles.

Je ne ferai pas l’analyse des forces et des faiblesses du ministère du Patrimoine canadien; on lui a donné le mandat d’assurer la coordination de la Loi sur les langues officielles, mais ce n’est pas possible. Vous le savez; vous êtes des acteurs dans le système et certains d’entre vous ont aussi été chercheurs. Être dans le silo de Patrimoine canadien et imposer quelque chose au ministère de la Justice ou au ministère de l’Immigration, c’est presque impossible. Il y a vraiment là un problème mécanique de mise en œuvre.

Le Conseil privé n’est peut-être pas la solution non plus. Lorsque le gouvernement Trudeau est arrivé, au début de son mandat, tous les mécanismes de « résultologie » — M. Mendelsohn a été embauché pour que le gouvernement se dote de stratégies pour atteindre des objectifs de politique publique — ont été incorporés au Conseil privé.

Vous allez rencontrer certains juristes beaucoup plus intelligents que moi, comme Me Power et Me Foucher, qui pourront vous indiquer si le Conseil privé pourrait être responsable d’une loi. Probablement pas. Je comprends cela, mais il y a une espèce d’énergie ou d’impulsion du moment; le dossier des Premières Nations a tout simplement été incorporé au Conseil privé, et cela donne des résultats.

Le troisième élément que j’aimerais aborder a trait à la partie VII. Les autres parties sont aussi importantes, mais, comme j’ai commencé mon intervention en parlant de développement des communautés, c’est la partie VII qui est concernée. J’ai noté que vous envisagiez d’inclure dans la loi des dispositions sur l’immigration ou sur la santé; je n’y avais pas pensé et j’ai trouvé cela brillant. Bravo! Cela pourrait constituer une avenue.

De mon côté, je reliais tous ces enjeux à la partie VII, simplement parce que c’est celle qui précise qu’il existe des responsabilités interministérielles; à l’époque, il y avait une cinquantaine de ministères qui devaient rendre des comptes sur ce qu’ils faisaient dans le cadre du développement et de l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il est clair que, là aussi, cela ne progresse pas suffisamment.

Je vous rappellerai que, à la fin des années 1990, le Conseil privé avait embauché le politicologue Donald Savoie pour développer une réflexion sur la façon d’amener les autres ministères à agir dans le dossier des langues officielles. On avait élaboré un programme interministériel qui s’appelait le PICLO, doté d’une petite enveloppe de 50 millions de dollars. C’était comme une carotte. On se disait qu’avec la partie VII on aurait cet argent, et qu’avec cet argent octroyé par Patrimoine canadien, on pourrait conclure un marché avec un autre ministère, afin de développer des habitudes interministérielles. Ce programme n’existe plus et, honnêtement, il y a encore beaucoup de choses à faire. Ce n’est pas suffisamment pris au sérieux et, en fait, je crois qu’il y a une érosion, un glissement par rapport à la partie VII. Comment le faire? Comment le codifier? Cette question m’a été posée plus tôt par la sénatrice Moncion, et je n’ai pas la réponse, mais des juristes pourront y répondre.

Le quatrième élément est de compétence provinciale. Vous allez me dire que je suis dans la mauvaise enceinte. C’est le continuum éducatif. Je veux parler d’éducation. Le gouvernement fédéral dépense environ 780 millions de dollars pour le programme des langues officielles en éducation. Il intervient déjà par son pouvoir fédéral de dépenser, et c’est un élément clé. Je crois qu’une nouvelle Loi sur les langues officielles doit être beaucoup plus explicite quant au projet éducatif des francophones en milieu minoritaire et des anglophones au Québec. Le continuum, je ne suis pas le premier à le dire, mais je le répète, c’est très important. Il faut réfléchir à la petite enfance. Il y a des ententes fédérales-provinciales qui ont été signées. Cela m’ouvre la porte pour vous parler des dispositions linguistiques dans les négociations. Ça va de soi. Je crois que, lorsqu’il y a dévolution de pouvoir, quand on donne à une entité subsidiaire le pouvoir d’agir dans un domaine, il faut prévoir une disposition linguistique. Dans ce cas-ci, c’est le pouvoir fédéral de dépenser qui indique que la petite-enfance est importante.

Il faut qu’il y ait une stratégie pour la francophonie. Je parle aussi pour mon clocher, le domaine postsecondaire. Je comprends que tout cela est rédigé dans la Charte à l’article 23 et que ce n’est pas l’objet de votre réflexion. L’une de vos questions était à savoir si la jurisprudence est bien reflétée dans la loi actuelle. Je ne suis pas juriste, mais on sait que la Cour suprême, dans le jugement Beaulac et dans d’autres jugements également, ainsi que dans le Renvoi sur la sécession du Québec, a affirmé qu’il s’agissait d’une loi quasi constitutionnelle non écrite. On reflète des principes fondamentaux du Canada non écrits, comme la dualité linguistique et le bilinguisme. Ce n’est pas une loi comme les autres. Je suis ravi que vous vous penchiez sur le renouvellement de cette loi. J’ai fait un petit écart en disant qu’il s’agissait d’une loi importante, mais je veux revenir à l’aspect de l’éducation postsecondaire et de la petite enfance. Il me semble qu’il y aurait une occasion pour vous de raffermir la capacité de bâtir un continuum de la petite enfance jusqu’au postsecondaire. C’est très important, et je serais heureux de répondre à des questions à ce sujet.

Je veux remercier le Sénat pour son rapport intitulé Horizon 2018 : Vers un appui renforcé à l’apprentissage du français en Colombie-Britannique. C’est un outil incroyable. Le nouveau ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique, M. Fleming, est ravi de ce rapport, et c’est une façon de faire avancer autant l’enseignement en français que les enjeux liés à l’immersion. Des questions ont été posées tantôt sur l’immersion, et je serai heureux d’y répondre.

Le cinquième et dernier grand enjeu est lié à l’exemple de la Colombie-Britannique. C’est très différent de l’Acadie, il n’y a pas la même dynamique collective. Il y a plutôt des individus francophones, mais qui représentent un groupe important. Les francophones ont connu une croissance de 10 p. 100 au cours des 10 dernières années. Nous sommes tout près de 70 000 francophones. Le nombre de gens qui parlent le français le plus souvent à la maison est en croissance de 21 p. 100. Les chiffres sont phénoménaux en ce qui a trait à l’immersion française, qui a explosé de 30 p. 100 au cours des 10 dernières années en Colombie-Britannique. Cela veut dire qu’en Colombie-Britannique il y a presque 60 000 élèves qui sont inscrits dans un programme d’immersion. Cela peut paraître surprenant. Le problème, c’est que, en Colombie-Britannique, la capacité à former des enseignants, à faire de la francisation et à appuyer le cheminement éducatif en français ne suit pas. Il y a un élan, et votre rapport l’exprime très bien; cependant, les ressources sont insuffisantes pour le suivre.

Il y a de jeunes immigrants en provenance de la Chine, du Japon et de la Corée qui arrivent à Vancouver, et ils croient que la citoyenneté canadienne est représentée par cette dualité. Je ne dis pas que c’est le seul raisonnement, mais c’en est une partie. Ils inscrivent leurs enfants à l’école d’immersion, où il y a des listes d’attente. À l’heure actuelle, 400 parents se retrouvent sur des listes d’attente en Colombie-Britannique. Ils ne peuvent pas inscrire leurs enfants à l’école française. Dans le cas de la Colombie-Britannique, il y a un élan, et il faut arriver à convaincre le gouvernement provincial de cheminer avec nous. Le lien que je veux faire avec la Loi sur les langues officielles est le suivant : la clé est la précision des objectifs éducatifs à l’intérieur de la loi. Plus tôt, je vous ai parlé d’un plan de développement sur cinq ans, d’une politique d’aménagement linguistique pour le Canada, et cela devra passer par l’éducation. C’est vraiment la clé de voûte.

J’ai d’autres petites choses à aborder. Est-ce que j’ai encore du temps, monsieur le président?

Le président : Je vais vous inviter à conclure pour qu’on puisse avoir le temps de vous poser des questions.

M. LeBlanc : J’aimerais lever un petit drapeau jaune, pour le Nouveau-Brunswick, sur un fait que j’ai constaté lors de mes recherches. Le niveau de bilinguisme chez les anglophones au Nouveau-Brunswick est en train de descendre à des niveaux inférieurs, et cela m’inquiète un peu. Qu’est-ce que ça veut dire? Quel est le momentum sur le plan de l’immersion au Nouveau-Brunswick, mais aussi dans l’ensemble du Canada? Il y a des défis éducatifs importants, mais nous n’avons pas suffisamment de temps pour les aborder ce soir. Je crois qu’il faut agir, et c’est pour cela que le moment est bien choisi pour le renouvellement de la loi.

C’étaient les cinq éléments à mettre en œuvre. La dernière chose que je glisserais serait la symétrie entre les anglophones du Québec et les francophones hors Québec. Cette symétrie doit être réexaminée. Chaque fois qu’un programme est élaboré pour les francophones hors Québec, le même programme doit être fait pour les anglophones du Québec. Je peux donner l’exemple des regroupements de développement économique qui ont été créés dans les années 2000. C’est une fausse symétrie, et cela joue contre la solidarité des francophones québécois et des francophones hors Québec. J’aimerais qu’une nouvelle loi se penche sur cet aspect. À Halifax, la ministre Joly a parlé de la langue française comme étant la langue menacée. Il faudrait travailler de plus près avec la francophonie du Québec. Tous les programmes fédéraux ont cette même symétrie. Après 50 ans, cela tient de moins en moins la route et, si le Sénat veut oser, il pourrait imaginer quelque chose de plus réaliste. Ce sera difficile. Je comprends les enjeux politiques. On veut appuyer les communautés anglophones du Québec en érosion. Les communautés rurales anglophones ont des problèmes sérieux. Il faut être solidaires, car le fait d’avoir mis l’accent sur cette égalité n’a pas joué à l’avantage des francophones hors Québec.

Le président : Merci, monsieur LeBlanc. Nous allons commencer la période des questions avec la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie, monsieur LeBlanc, de votre présentation. Ma première question touche un des sujets dont vous avez dit que vous ne parleriez pas. Plusieurs témoins nous ont parlé de la possibilité d’accroître les pouvoirs du commissaire afin que la loi soit respectée et mise en application par les institutions fédérales les plus souvent ciblées par les plaintes, notamment Air Canada et Radio-Canada.

Êtes-vous d’avis que le fait d’accorder davantage de pouvoirs au commissaire mènerait à une meilleure exécution de la loi? Est-ce que le processus de nomination au poste de commissaire devrait être amélioré et, si oui, comment?

M. LeBlanc : Il y a un débat au sujet des pouvoirs. Vous allez l’entendre. Est-ce qu’on peut porter les deux chapeaux en même temps? Être celui qui fait la promotion de la dualité, celui qui reçoit les plaintes et, finalement, celui qui impose les sanctions? Je ne suis pas avocat, mais pour en avoir discuté longuement avec des avocats, je constate qu’il y a toute sorte de scénarios possibles. Je suis d’accord avec le fait de permettre au commissaire d’être plus punitif ou de faire appel à un tribunal administratif qui pourrait s’occuper du processus d’évaluation des droits qui ont été brimés, des conséquences et des éléments punitifs. N’étant pas avocat, je ne pourrais pas peser l’ensemble des enjeux. Le rôle du commissaire se divise en visibilité publique et en visibilité politique. Il faudrait qu’il ait un pouvoir de sanction plus important ou une volonté ou une capacité d’amener des injustices devant les tribunaux, comme on le voit actuellement, ou devant des tribunaux administratifs, éventuellement.

À l’heure actuelle, on retrouve le rapport du commissaire dans les médias pendant 24 heures et, ensuite, il est oublié. C’est un outil qui n’est pas assez puissant. Il y a des rapports très importants qui sont publiés. Il y a une équipe de recherche qui fait un travail incroyable, mais cela demeure un lieu qui n’a pas suffisamment de visibilité. Et je crois qu’il y a certains ministères qui n’ont pas peur du commissaire aux langues officielles, pour dire les choses de façon candide.

La sénatrice Poirier : Est-ce que le processus de nomination au poste de commissaire devrait être amélioré?

M. LeBlanc : Même s’il a connu des manquements ou des dérapages, le processus de nomination mis sur pied par le nouveau gouvernement a ouvert la porte à tous les citoyens. Cela s’applique également au Sénat, qui a aussi un nouveau processus de nomination des sénateurs ouvert à tous les citoyens.

En tant que citoyen, je trouve intéressant que tout le monde puisse postuler à ces postes. C’est plus transparent, on parle moins de copinage politique, et la nomination est basée sur les compétences. Je pense que le processus est meilleur pour les Canadiens, en tant que contribuables, mais on verra comment cela évoluera dans le temps.

La sénatrice Poirier : Selon vous, la Loi sur les langues officielles devrait-elle reconnaître le statut distinct du Nouveau-Brunswick en matière de langues officielles? Et quels en seraient les avantages pour la communauté acadienne?Enfin, est-ce que la loi devrait rendre obligatoire l’offre des services fédéraux dans les deux langues officielles, dans toute la province?

M. LeBlanc : Oui, évidemment. On a parlé plus tôt des statuts particuliers, de l’égalité des communautés de langue officielle qui est enchâssée dans la Constitution. J’ai parlé de l’asymétrie entre les anglophones au Québec et les francophones hors Québec. Il sera important pour le Sénat, lors de l’élaboration de la nouvelle loi, de réfléchir au statut particulier des Acadiens du Nouveau-Brunswick. Il faut que ces reconnaissances soient incluses.

La Loi sur les langues officielles protège souvent les droits individuels, malgré que dans la partie VII, on mentionne plutôt des droits collectifs. On veut que les ministères agissent. C’est pour cette raison que j’ai commencé mon intervention en parlant de droits plus collectifs et de développement des communautés. Or, le Nouveau-Brunswick a cette reconnaissance, dans la Charte canadienne des droits et libertés, aux paragraphes 16.1(1) et (2), où il est fait mention de l’égalité des droits et privilèges pour les communautés linguistiques française et anglaise. Donc, oui, il faudrait le reconnaître.

Je sais que le Conseil du Trésor a des règlements différents pour d’autres provinces, mais le Nouveau-Brunswick est désigné bilingue et, oui, les services fédéraux devraient être bilingues, selon les règlements du Conseil du Trésor. On n’a d’ailleurs pas discuté de la façon dont le Conseil du Trésor est en train de réfléchir à la définition à donner au mot « francophone », qui est très importante.

La sénatrice Poirier : Cela ne veut pas dire que chaque employé fédéral doit être bilingue, mais plutôt que les services doivent être offerts dans les deux langues officielles.

M. LeBlanc : Il peut y avoir différentes formules, des équipes de travail, des points de services, des directives pour les gens qui ont le plus de contact avec la population. On est vraiment dans les mécanismes d’administration publique.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui. J’apprécie beaucoup le leadership dont fait preuve l’Université Simon Fraser.

[Traduction]

Premièrement, je tiens à souligner que, lorsque le comité était en Colombie-Britannique, nous avons été très impressionnés par le travail de l’Université Simon Fraser et l’accueil chaleureux de votre président. Je sais que je parle au nom de tout le comité lorsque je vous invite à dire au président que nous lui savons gré de son leadership dans ce dossier et du leadership de l’Université Simon Fraser.

Je regrette que certaines autres universités bien établies en Colombie-Britannique ne fassent pas preuve du même leadership que votre université. Dans le cadre de l’examen au sujet de la modernisation de la loi, je crois vraiment que, en vue de renforcer le bilinguisme au Canada, nous aurons aussi besoin d’immigrants bilingues. Vous venez d’un endroit où personne n’hésite à parler français. Vous avez parlé à toutes les personnes sur la liste d’attente. Ce ne sont pas des francophones. Ces 400 enfants ne sont pas issus de familles francophones; ce sont des familles comme la mienne.

Je crois vraiment que le gouvernement fédéral ne fait pas preuve de suffisamment de leadership dans ce dossier. Que ce soit le gouvernement actuel ou le gouvernement précédent, cela n’a pas d’importance; cela ne concerne pas un gouvernement précis. Je crois qu’il y a un manque de leadership. Par exemple, si mes collègues me le permettent, je veux suivre la trace de l’argent. Les fonds que le gouvernement fédéral investit dans le bilinguisme devraient être utilisés à cette fin, mais je ne suis pas toujours convaincue que c’est le cas.

J’aimerais vous entendre à ce sujet, parce que vous et moi sommes de la même province et que nous nous penchons sur ces questions. Comment pouvons-nous nous assurer que chaque parent qui souhaite que ses enfants deviennent bilingues en ait l’occasion dans un pays riche comme le nôtre?

M. LeBlanc : Oui. La responsabilisation est extrêmement importante. Je suis d’accord avec vous. Comme je l’ai mentionné plus tôt, d’importantes ressources sont investies. Au moins 780 millions de dollars sont investis dans l’enseignement dans la langue de la minorité au Canada. Cela peut sembler beaucoup, mais ce n’est pas suffisant. Du moins, ce ne l’est pas en Colombie-Britannique. Il faut vraiment augmenter les ressources.

Je peux vous donner des exemples personnels. J’ai trouvé très utiles les exemples qu’a donnés mon collègue Luc. À l’Université Simon Fraser, mon budget est de 2,1 millions de dollars. Je peux former 51 professeurs par année. J’ai environ 300 étudiants — des étudiants de premier, deuxième et troisième cycles — en français, en science politique et en histoire, mais je pourrais en faire plus.

[Français]

Comme je l’ai dit au comité de la Chambre des communes, lorsqu’il nous a rendu visite, l’infrastructure existe. Je sais qu’il y a des infrastructures vieillissantes dans le système de l’éducation, comme à l’école Rose-des-Vents.

Dans le cas de l’éducation postsecondaire, à l’Université Simon Fraser, la machine est en place. Il y a 15 ans, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Bureau des affaires francophones et francophiles, et on peut maintenant offrir de l’enseignement postsecondaire en français. J’ai une équipe de 10 personnes qui appuie la vie étudiante et le côté culturel et communautaire. Mais si je voulais former 100 enseignants, le problème, ce sont les ressources. Chaque poste d’enseignant, à l’USF, coûte environ 10 000 $. Est-ce que la province veut investir? Est-ce que le gouvernement fédéral veut investir? Ce n’est pas si compliqué.

[Traduction]

Vous avez raison; c’est une question de leadership. Cela vise à soutenir les communautés, mais l’infrastructure est souvent présente, étant donné que la Loi sur les langues officielles est en vigueur depuis 30 ou 40 ans. Il faut investir.

J’ai peur de perdre notre erre d’aller. C’est ce que j’ai essayé de faire comprendre dans mon message plus tôt. J’ai l’impression qu’il y a une certaine erre d’aller, mais je ne sais pas combien d’années cela durera. Cela durera-t-il 5 ans ou 10 ans? Actuellement, le français en Colombie-Britannique a la cote, et les nouveaux immigrants veulent s’inscrire à des programmes d’immersion. Je suis très loin de réussir à répondre à la demande. La qualité engendre la demande.

[Français]

Je suis d’accord avec vous que l’on pourrait en faire davantage, et il faut agir assez rapidement.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Cette année, nous sommes aux prises avec d’énormes défis au Conseil scolaire de Vancouver en raison d’une pénurie d’enseignants. À l’école de mon petit-fils, soit l’école primaire Trafalgar, deux groupes de maternelle en français ont été regroupés. La salle de classe est vide; l’infrastructure n’est pas utilisée. La direction a enlevé un groupe. Il y avait 22 places, dont 18 étaient occupés par de proches parents. Cette occasion n’est plus offerte aux jeunes.

C’est ce que je voulais dire lorsque je parlais de leadership. Le Conseil scolaire de Vancouver cesse immédiatement d’offrir des programmes en français à un endroit où il y a une forte demande. Comme vous occupez un poste de direction, pouvez-vous nous expliquer comment nous pouvons faire comprendre que ce n’est pas correct et qu’il ne faut pas cesser d’offrir des programmes en français?

M. LeBlanc : Une partie de la réponse consiste à suivre la trace de l’argent. Vous avez tout à fait raison, sénatrice. Ces fonds sont transférés au ministère de l’Éducation qui les transfère ensuite aux conseils scolaires. Lorsque les écoles cessent d’offrir ces programmes, où l’argent est-il investi? Ce sont de très bonnes questions. En Acadie, nous avons une expression.

[Français]

« Il faut que les bottines suivent les babines ».

[Traduction]

Nous l’utilisons souvent. C’est un peu cliché. Eh bien, ces parents font la file toute la nuit pour inscrire leurs enfants à des programmes d’immersion. C’est un engagement assez important que de dire que je me soucie des programmes d’immersion en français, mais nous n’avons pas les ressources.

[Français]

Il faudrait un peu plus de ressources et de responsabilisation. Or, à l’heure actuelle, il y a un gouvernement provincial qui est disposé à en faire davantage.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Dans mon ancienne vie de sportif, j’ai parcouru l’Amérique du Nord. Lorsque nous allions dans l’Ouest, nous croisions des gens de divers pays. Lorsque nous allions dans les États au sud de l’État de Washington, nous constations qu’environ la moitié ou un fort pourcentage des gens étaient hispaniques. Dans l’Ouest, nous voyions beaucoup d’Asiatiques. Je me suis toujours dit — et je suis peut-être totalement cinglé — que nous devrions continuer d’investir plus d’argent et nous engager à faire croître le bilinguisme avec le français et l’anglais et à voir cela comme une occasion, comme nous le voyons dans l’Ouest canadien avec le mandarin et certains dialectes chinois ou dans l’Est et au Québec avec l’espagnol. Lorsque vous allez au sud de l’État de Washington, vous avez une forte population.

Si nous voulons être un pays commerçant autant que nous le disons, avec tous les accords commerciaux que nous essayons de conclure, il pourrait être justifié sur le plan économique d’investir plus d’argent dans le français et l’anglais et de créer un nouveau paradigme. Si nous voulons devenir un grand pays commerçant, nous ferions mieux d’apprendre à parler ces langues.

Je me demande ce que vous en pensez. Il y a probablement beaucoup d’autres personnes avant moi qui l’ont déjà dit. Cela apparaît logique d’utiliser la langue pour servir de catalyseur et créer des débouchés économiques intéressants.

M. LeBlanc : C’est certainement l’une des caractéristiques qui distinguent le Canada des États-Unis à l’heure actuelle : ce bilinguisme officiel au sein d’un cadre multiculturel. C’est notre modus operandi depuis de nombreuses décennies.

Je crois que mes collègues d’Acadie et du Nouveau-Brunswick seraient d’accord. Lorsqu’un enfant apprend le français ou l’anglais et que son cerveau se met à... Les neurosciences ont réalisé des travaux extraordinaires pour nous aider à comprendre l’apprentissage des langues. C’est le chemin vers le multilinguisme et le plurilinguisme.

Ma fille a 20 ans, mais le monde est plus petit. Ce sera le français et l’anglais, mais il y a aussi l’idée d’ouverture sur le monde, et c’est vrai que des gens parlent espagnol au sud du Canada.

Dans notre cas, comme la sénatrice Jaffer l’a mentionné, certaines écoles enseignent le mandarin.

[Français]

Le mandarin, le cantonais, même le japonais dans certaines écoles.

[Traduction]

C’est déjà pratiquement la réalité. Ce ne sont pas des langues officielles. Nous parlons ici de deux choses différentes. Toutefois, l’idée du pluralisme ou du multilinguisme fait certainement partie de la dualité canadienne.

J’aimerais ajouter quelque chose au sujet des langues autochtones. En Colombie-Britannique, c’est aussi une question importante. J’ai grandi en Acadie à proximité de l’endroit que représente la sénatrice Poirier. De notre côté, nous avons construit l’infrastructure scolaire et l’infrastructure pour renforcer notre fierté culturelle et notre fort sentiment d’appartenance.

Si vous êtes un francophone en situation minoritaire au Canada et que vous lisez les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, vous vous reconnaissez dans bon nombre de ces éléments : la langue, la culture, la fierté et l’identité. Je crois que les francophones ont des connaissances transférables.

Je ne veux pas imposer un modèle aux Premières Nations ou aux peuples autochtones au Canada, mais il y a là une piste de solution, soit la construction d’écoles et d’infrastructure. Je crois qu’il y a des éléments dans ce que vous avez dit que nous pouvons étendre à d’autres langues. Je crois que tout le monde en conviendrait. Même en ce qui concerne les langues autochtones, nous avons tiré des leçons depuis 50 ans.

[Français]

La sénatrice Gagné : Je vous remercie, monsieur LeBlanc, de votre présentation. J’ai beaucoup aimé vos commentaires sur les objectifs de la loi quant au projet de société qui doit veiller au développement de nos communautés. Si la loi n’est pas en mesure d’assurer cela, il n’y aura pas de communautés. C’est un bon point que vous soulevez.

J’ai deux questions. La première concerne l’asymétrie et l’application asymétrique de la loi. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il s’y prendre pour assurer cette application asymétrique?

M. LeBlanc : Je commencerais par désigner le français comme une langue menacée. Ce n’est pas pour créer une hiérarchie avec l’anglais ou entre les communautés. Il pourrait y avoir des programmes qui s’adressent uniquement à la langue française, sans qu’ils soient tout de suite confiés à Patrimoine canadien. D’autres ministères font aussi cette asymétrie. J’ai parlé des Réseaux de développement économique et d’employabilité. On crée une structure pour les francophones hors Québec, et une autre pour les anglophones du Québec. Je pense qu’il faut être plus créatif que cela. J’essaie d’imaginer les défis si j’étais un anglophone du Québec, comme la ruralité dans les Cantons de l’Est et en Gaspésie, ou les défis liés au maintien de l’anglais, des écoles et des conseils scolaires.

Je ne suis pas juriste, mais dans le préambule de la loi, par exemple, vous pourriez indiquer que le français est la langue menacée et que les minorités de langue officielle sont égales. Je ne veux pas remettre en question l’égalité de ces statuts. Je pense que les moyens et les programmes... Cela m’a toujours fatigué de voir que Patrimoine canadien n’osait pas faire plus de choses pour les minorités francophones et, peut-être, d’autres choses pour les anglophones du Québec.

Je comprends la nécessité politique qu’il y avait en 1968 et en 1969, et peut-être dans les années 1970 à 1980. On a une espèce de maturité aujourd’hui qui fait qu’on n’a plus besoin d’avoir cette symétrie. C’est une discussion politique que vous devrez avoir avec vos homologues.

La sénatrice Gagné : Voici ma deuxième question. Essayez de faire le parallèle entre l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick en 2002 et le travail qu’on tente d’accomplir pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada. Seriez-vous en mesure de nous parler de la façon dont cela s’est passé au Nouveau-Brunswick? Est-ce que c’était un engagement du gouvernement conservateur de Bernard Lord en 2002? Y avait-il un consensus politique parmi les partis? J’essaie de voir s’il y a un parallèle à faire avec ce que nous souhaitons accomplir.

M. LeBlanc : Cela me permet de soulever un point dont je voulais parler à la fin de ma présentation. Il faudrait une disposition de révision dans la nouvelle Loi sur les langues officielles. M. Lord et son cabinet étaient de fervents défenseurs de la dualité du bilinguisme, mais la révision a été déclenchée par le texte de la loi. Il a fallu beaucoup de courage politique. Même au Nouveau-Brunswick — je ne sais pas pour le fédéral —, ce n’est pas toujours un exercice facile. Il y a un appui important au Nouveau-Brunswick anglophone et francophone en faveur du bilinguisme. Les chiffres sont toujours très élevés, mais il y a aussi des moments dans notre évolution politique où des partis anti-francophones ont formé l’opposition officielle. C’est toujours un sujet un peu tendancieux, mais la loi exigeait une révision qui a été menée sous l’impulsion du premier ministre. C’est intéressant.

Au Nouveau-Brunswick, le texte de loi indique que le premier ministre est responsable de la Loi sur les langues officielles. Celui-ci avait délégué la responsabilité au ministre Graham. Ensuite, les autres premiers ministres ont fait de même. Cependant, la loi confère réellement la responsabilité de la Loi sur les langues officielles au premier ministre. Donc, c’est vraiment au centre. Je ne dis pas que le premier ministre du Canada devrait être responsable de la loi. Cela a été un processus qui a nécessité beaucoup de consultations. On a révisé plusieurs sections sur le secteur privé et les associations. On a révisé les enjeux liés aux municipalités justement. Cela s’est fait relativement bien, mais je crois que la clé, c’est qu’il y avait une disposition sur la révision de la loi que la loi fédérale n’a pas actuellement et que j’aimerais y voir inscrite.

La Loi sur les langues officielles n’oblige pas le gouvernement fédéral à faire des consultations. Je ne sais s’il y a d’autres témoins qui vous ont dit que ce serait utile. J’ai fait un rapport sur l’éducation au Nouveau-Brunswick où j’aborde la question de la gestion qui, selon l’article 23, revient aux communautés. Je parle de cogestion. Il y a des gens qui aiment, et d’autres qui aiment moins. Il faudrait que les communautés et le gouvernement fédéral fassent une cogestion de la question à l’aide d’un plan en matière d’immigration et de soins de santé, qui touche à tous les secteurs de la vie en français. Cela pourrait être une possibilité.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup. J’ai trouvé votre présentation très intéressante, et je vous aurais écouté encore longtemps.

Deux aspects m’intéressent. J’aimerais entendre vos propos en ce qui a trait à la question de la réconciliation; pas celle avec les Premières Nations, mais celle de la francophonie canadienne. Il y a une réconciliation qui doit se faire entre les francophones du Québec et les francophones hors Québec. Je suis une francophone hors Québec qui a été énormément affectée lorsque le Québec a choisi de fermer la porte à la francophonie canadienne. Nous étions des Canadiens français et nous sommes devenus des francophones hors Québec. Lorsque nous avons été classés dans cette catégorie, nous avons eu davantage de difficulté à revendiquer nos droits et à obtenir quelques miettes des gouvernements en place. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

M. LeBlanc : C’est un grand chantier. Commençons avec le fait qu’il y a une politique de rapprochement à l’égard des communautés de langue officielle une politique qui date d’un peu plus de 20 ans. Ces sommets et rapprochements aident. Certains secteurs font mieux que d’autres. Le milieu des arts et de la culture contribue à ces rapprochements entre les francophones du Québec et les francophones hors Québec. Certains projets fonctionnent bien. Sur le plan économique, il y a des sommets Acadie-Québec. Cela dit, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Je suis trop jeune pour être un nostalgique du Canada français des années 1960.

Je reviens au programme de Patrimoine canadien. Je ne veux pas trop m’y attarder, mais chaque fois que nos organismes et porte-parole lancent des projets, c’est toujours lié à la francophonie hors Québec. Il n’y a pas vraiment de ressources d’Ottawa pour les brancher sur la francophonie québécoise. C’est une lacune. Anciennement, le secrétariat d’État et Patrimoine canadien avaient choisi cette idée de symétrie de réunir les minoritaires à l’exclusion des majoritaires. Si l’on regarde certains mouvements québécois, tels le féminisme, les arts et la culture et la jeunesse, il y a tellement de choses à bâtir. L’argent que le Québec met sur la table est intéressant, mais ce n’est pas beaucoup. Quand j’étais président de la FCFA, M. Parizeau, qui était dans l’opposition, m’a dit ceci : « Monsieur LeBlanc, ce sont des grenailles que vous donnent les francophones hors Québec. »

Il faudrait avoir des leviers. Je suis complètement d’accord avec vous. Pour un Acadien de Moncton, Montréal reste une métropole francophone importante. Le Québec est un pôle important pour tous les francophones, mais nos sociétés civiles n’ont pas suffisamment de projets communs. Les programmes de Patrimoine canadien qui carburent beaucoup à ce qu’on fait dans le domaine de la francophonie créent cette distorsion, car ils sont symétriques.

La sénatrice Moncion : Ma deuxième question touche davantage les résistances à l’intérieur des conseils scolaires, où l’argent est rare et où on se bat pour des grenailles. Au chapitre de la petite-enfance et de l’éducation postsecondaire, on cherche à garder des structures qui n’évoluent pas à l’intérieur du système d’éducation. Par exemple, en Ontario, il y a les conseils catholiques et publics qui se battent pour la même enveloppe, ainsi que pour les élèves. Il est beaucoup plus facile de financer les écoles d’immersion. On les voit pousser partout et elles deviennent une menace énorme pour les écoles francophones, qui ne veulent pas évoluer. Peut-être que ce n’est pas une bonne chose à dire, mais ce sont des chasses gardées. J’ai pris l’Ontario comme exemple, mais il y a des problèmes semblables en Colombie-Britannique et au Manitoba.

M. LeBlanc : Je parle de l’enveloppe qui provient du PLOE. Tout l’argent investi en éducation provient de cette enveloppe, et il y a lieu de réfléchir à un PLOE dans la langue de la minorité. Quand l’argent est versé, il est déjà attitré. Nous voulons suivre cet argent. C’est le principe de base. N’y aurait-il pas lieu de consacrer des sommes pour l’immersion et pour la langue de la minorité? Cela se trouve dans les ententes, mais il faut vraiment les lire pour le trouver. Il y a une réflexion à faire à ce sujet. Je ne serais pas contre cela.

Il est sûr qu’en Colombie-Britannique, il y a une volonté de favoriser le bilinguisme des Canadiens et d’appuyer l’immersion. Politiquement, ce gouvernement appuie cet élan, mais ce n’est pas clair. Le budget de février dernier prévoit 31 millions de dollars pour l’immersion et 31 millions de dollars pour la langue de la minorité. Bravo! C’est un peu de cela dont je parle quand je dis qu’il faut préciser les sommes d’argent.

C’est compliqué. Il s’agit aussi de relations fédérales-provinciales. C’est le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) qui négocie avec Patrimoine canadien. C’est loin des communautés. Vous avez entendu les organismes communautaires dire qu’ils veulent un siège à la table. Je serais favorable à cela.

La Fédération nationale des conseils scolaires francophones est composée d’élus qui devraient avoir voix au chapitre. J’appuie cette revendication. On peut faire mieux. Je ne fais pas de politique ce soir, mais le fait que le PLOE soit gelé me surprend et m’inquiète. Je ne sais pas comment les provinces vont réagir. J’en parlais à certains collègues ici ce soir. J’espère qu’on pourra trouver des façons d’investir dans le système d’éducation, malgré le fait que le budget semble vouloir geler cette somme.

Le sénateur McIntyre : Monsieur LeBlanc, avant votre affectation à l’Université Simon Fraser, je comprends que vous avez travaillé au sein du réseau communautaire, éducatif et universitaire francophone du Nouveau-Brunswick.

Parlez-nous un peu de votre expérience au Nouveau-Brunswick. De quelle façon cette expérience vous a-t-elle aidé dans votre travail en Colombie-Britannique?

M. LeBlanc : Les ministères de l’éducation néo-brunswickois et ontarien ont tous les deux une politique d’aménagement politique et culturel (PALC). C’est un outil très important pour le système éducatif. Non seulement on enseigne les sciences, les mathématiques et les matières traditionnelles, mais nos écoles s’occupent de former des jeunes qui ont ce qu’on appelle une « construction identitaire forte ». On a des passeurs culturels, de la sécurité linguistique, et tous les nouveaux concepts que les jeunes ont développés eux-mêmes. C’est très utile, parce que pour le cas de la Colombie-Britannique, le collectif est plus difficile à toucher. Il y a beaucoup de locuteurs de la langue. Les écoles jouent un rôle deux fois plus important qu’au Nouveau-Brunswick. L’école doit être un milieu d’ancrage, pas seulement pour les mathématiques, les sciences et l’éducation physique, mais aussi pour bâtir un sentiment collectif et communautaire.

Il y a un terme que je n’ai pas encore utilisé qui me semble important : il s’agit de l’autonomie de nos communautés. J’ai lu dans les mémoires le principe du « par et pour » qu’ont utilisé les jeunes et la FCFA. J’aime ça, et je l’appuie. Quand on dit « par et pour », on parle d’autodétermination. Ce sont des mots moins à la mode. Les Premières Nations les ont utilisés à un moment donné. On cherche l’autonomie des francophones. Les écoles en Colombie-Britannique sont des lieux de pouvoir, des espaces francophones qui sont doublement importants. Mon expérience au Nouveau-Brunswick m’a sensibilisé à l’importance de ces espaces.

Le sénateur McIntyre : Vous nous avez parlé de cinq enjeux, y compris la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Selon vous, cette mise en œuvre devrait être confiée au Conseil privé et non au Conseil du Trésor ou à Patrimoine canadien. Il faudrait préciser les responsabilités d’autres institutions fédérales à l’égard de la mise en œuvre de la loi. De quelle façon peut-on préciser ces responsabilités?

M. LeBlanc : Le problème est l’horizontalité. La partie VII est transversale. Elle traite de l’immigration, de l’économie et de la francophonie. Le Conseil privé ne peut pas être responsable d’une loi. Je ne suis pas juriste, mais on m’a expliqué que cela ne serait pas normal. Le Conseil du Trésor s’occupe de l’application des règlements, des ressources humaines et des parties III, IV et V de la loi, mais il n’est pas un outil d’impulsion. Cependant, le Conseil privé l’est.

Quand le greffier du Conseil privé décide de convoquer les sous-ministres à une réunion sur les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, les gens se présentent et ont les fesses serrées. On fait bouger le programme. C’est ça, le pouvoir du Conseil privé. Je comprends qu’à l’heure actuelle, le bureau du premier ministre n’est pas très ouvert à remettre cette responsabilité au Conseil privé, mais vous devez y réfléchir. Peut-être pourrez-vous arriver à une solution hybride Conseil du Trésor-Conseil privé, ou à un secrétariat au sein du Conseil du Trésor, et y ancrer la loi. Des juristes pourront mieux articuler cela que moi.

À l’époque, il y avait des champions des langues officielles dans les ministères. Des rapports étaient produits. Le dynamisme de cette époque s’est clairement érodé. Je l’ai vu, j’y étais. Le sous-greffier du Conseil privé convoquait les sous-ministres aux trois mois à une réunion sur les langues officielles présidée par le sous-ministre de la Justice, l’un des sous-ministres très puissants à Ottawa. Il y avait de l’action, cela bougeait, on faisait avancer les dossiers. Cela n’existe plus.

Honnêtement, je crois que vous êtes mieux placés que moi et beaucoup d’autres pour déterminer s’il y a peut-être une solution mitoyenne.

Le sénateur McIntyre : Merci de cette précision.

Le président : Merci beaucoup, monsieur LeBlanc. Vous nous avez aidés à amorcer le troisième volet de notre étude qui touche les personnes qui ont vécu l’évolution de la loi. Vous nous avez apporté des éléments de vision, et vous nous avez parlé avec franchise et honnêteté, d’une manière inspirée et inspirante. Merci beaucoup de votre contribution.

Honorables collègues, nous allons poursuivre la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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