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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 26 - Témoignages du 7 juin 2017


OTTAWA, le mercredi 7 juin 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d'aliments et de boissons s'adressant aux enfants), se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse. Je suis aussi président du comité. J'invite mes collègues à se présenter.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité. Je lirai la lettre d'appui de Jamie Oliver au sujet du projet de loi.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l'Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Mesdames et messieurs, j'aimerais vous rappeler que nous sommes ici pour examiner le projet de loi S- 228, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (interdiction de faire de la publicité d'aliments et de boissons s'adressant aux enfants).

Nos témoins sont arrivés et ils sont prêts à participer. Vous comparaîtrez en suivant la liste de l'ordre du jour. Puisque je n'observe aucune réaction négative, c'est ce que nous ferons.

Tout d'abord, j'aimerais donner la parole à Bill Jeffery, directeur général du Centre pour les sciences de la santé et le droit. Allez-y.

Bill Jeffery, directeur général, Centre pour les sciences de la santé et le droit : Je travaille au Centre pour les sciences de la santé et le droit, mais j'ai travaillé pendant presque deux décennies au Centre pour la science dans l'intérêt public, et j'aimerais indiquer que comme l'organisme précédent, nous n'acceptons aucun financement de l'industrie ou du gouvernement.

J'aimerais d'abord souligner que j'appuie les efforts visant à protéger les enfants de la publicité commerciale, plus précisément la publicité de malbouffe, puisque les maladies liées à la nutrition sont la cause d'environ 50 000 décès par année au Canada par l'entremise de maladies cardiaques, du diabète, d'accidents vasculaires cérébraux et de certains types de cancer. Cependant, les mesures de protection législatives devraient être aussi efficaces que possible pour protéger la santé des enfants, et être conçues de manière à s'attendre à ce que l'industrie tire pleinement parti des failles qui existent dans la réglementation et des vulnérabilités sur le plan constitutionnel et juridique inhérentes aux restrictions touchant la publicité sur les aliments.

La première interdiction à l'échelle mondiale relative à la publicité destinée aux enfants a été adoptée au Québec, en 1980. En effet, la Loi sur la protection du consommateur interdit toute publicité — et pas seulement la publicité concernant les aliments — destinée aux enfants de moins de 13 ans. Les gouvernements du Parti québécois et du Parti libéral au Québec ont réussi à assurer la défense de cette loi populaire pendant presque 10 ans devant les tribunaux, une défense qui a atteint son point culminant dans le cadre du jugement historique en matière de liberté d'expression rendu par la Cour suprême du Canada, qui a déclaré que la publicité destinée aux jeunes enfants est « en soi manipulatrice. Elle vise à promouvoir des produits en convainquant ceux qui sont toujours prêts à tout croire. »

La décision rendue dans l'arrêt Irwin Toy est devenue un pilier du droit constitutionnel canadien, ayant été appliquée environ 200 fois, notamment dans plus de deux douzaines de jugements ultérieurs de la Cour suprême et dans neuf arrêts de cours d'appel au cours d'une période de 30 ans. En avril dernier, au moment de souligner le 35e anniversaire de la Charte des droits et libertés, Justice Canada a placé Irwin Toy au huitième rang des 35 décisions les plus importantes.

De plus, bon nombre des recommandations du comité contenues dans son rapport intitulé L'obésité au Canada ont trait aux bienfaits de l'activité physique pour la santé et aux désavantages pour la santé de passer trop de temps devant un écran, des points qui ne sont pas abordés dans ce projet de loi. Selon le rapport sur la charge mondiale de morbidité, le manque d'activité physique était à l'origine de plus de 10 000 décès au Canada en 2015.

La publicité destinée aux enfants encourage sans doute encore plus l'inactivité physique que la mauvaise alimentation, en raison du volume considérable de publicités qui sont susceptibles de voir le jour à la suite d'une interdiction qui vise uniquement toute publicité sur la malbouffe.

La lettre de mandat de la ministre de la Santé lui enjoint d'adopter des dispositions législatives qui limiteraient la publicité s'adressant aux enfants — un engagement qui s'inscrit dans le programme électoral — bien qu'elle n'exerce aucun pouvoir direct sur la majeure partie de la publicité non alimentaire. Il va sans dire que le comité n'est pas limité de la sorte.

Les promoteurs de l'approche qui consiste à interdire uniquement toute publicité sur la malbouffe ont peut-être fondé trop d'espoir sur la capacité de cette approche à contrer les nombreuses contestations judiciaires d'entreprises alimentaires, des contestations du même type que celles auxquelles des entreprises de jouets, de tabac et une multitude d'entreprises alimentaires ont eu recours à maintes reprises au cours des dernières années au Canada et aux États-Unis pour porter atteinte à la réglementation en matière de santé publique.

Cela dit, les risques combinés que représente la promotion de la malbouffe pour la santé dépassent probablement ceux pour tout autre produit, et il est logique que les enfants puissent bénéficier du pouvoir et de la vigilance des inspecteurs de l'ACIA, et le Règlement sur les aliments et drogues est le moyen tout indiqué pour empêcher les entreprises alimentaires d'utiliser des étiquettes de produits alimentaires pour attirer les enfants.

J'aimerais donc souligner deux réformes visant à renforcer l'impact du projet de loi S-228 sur la santé publique et à aider à le défendre contre les contestations juridiques.

Tout d'abord, il faut protéger les mineurs, afin d'éviter qu'ils soient induits en erreur, quel que soit le produit. Plutôt que de laisser entendre qu'il est acceptable de duper des mineurs au moyen de publicités non alimentaires ou de logos d'entreprises alimentaires — pourvu que les aliments inférieurs sur le plan nutritif ne soient pas montrés —, le projet de loi S-228 devrait expressément reconnaître la vulnérabilité de tous les enfants et adolescents à l'égard de la publicité commerciale concernant les produits de tous types.

En ciblant uniquement certains aliments et en ne tenant pas compte des publicités touchant tous les autres produits, le projet de loi S-228 peut également dessaisir le gouvernement de la justification visant à restreindre la publicité destinée aux enfants, justification qui a déjà été acceptée par la Cour suprême du Canada, à savoir que les enfants sont vulnérables à ce type de manipulation.

J'ai quelques exemples précis de la façon dont cela pourrait s'appliquer dans certaines circonstances, mais nous pourrions peut-être en parler pendant la période de questions ou si nous avons le temps de parler des critères nutritionnels. Dans mon mémoire technique, j'ai proposé certaines modifications précises à deux articles de la Loi sur la concurrence, soit les articles 52 et 74.01.

Le deuxième point que j'aimerais aborder, c'est qu'il faudrait porter l'âge de protection à 18 ou 19 ans, conformément à la législation provinciale applicable.

Selon un examen de la publicité d'aliments s'adressant aux enfants et aux adolescents qui a été publié par la Federal Trade Commission aux États-Unis — c'est l'équivalent américain du Bureau de la concurrence au Canada —, un examen réalisé à l'aide d'éléments de preuve obtenus auprès d'entreprises alimentaires par voie d'assignation, l'adolescent américain typique est ciblé par près du double des dépenses consacrées à la publicité comparativement aux préadolescents.

Au Canada, la législation provinciale fixe à 18 ans l'âge de la majorité dans six provinces et à 19 ans dans les sept autres provinces et territoires. Le Canada a également ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, qui définit un enfant comme étant une personne âgée de moins de 18 ans. Ironiquement, le paragraphe 9(1) de la loi fédérale, plus précisément de la Loi sur la concurrence, stipule que, pour être en mesure de présenter formellement une demande d'enquête au sujet d'une publicité trompeuse, le demandeur doit être âgé d'au moins 18 ans.

Enfin, dans l'arrêt Irwin Toy, la Cour suprême a résumé ainsi la position juridique des enfants sur le marché :

[...] protéger un groupe qui est très vulnérable à la manipulation commerciale [...] [ressort] de la théorie générale des contrats [...] Les capacités des enfants ne sont pas aussi développées que celles des adultes pour évaluer la force persuasive de la publicité et les messages publicitaires destinés aux enfants tirent avantage de ce fait.

J'ai quelques observations particulières sur les critères nutritionnels, car d'après ce que je comprends, l'intention de la sénatrice Raine est d'ajouter les critères nutritionnels au règlement, ou la ministre espère pouvoir le faire, et nous pouvons peut-être en parler plus tard. Ces critères sont énumérés dans mon mémoire technique.

Le président : Merci. Je vais maintenant donner la parole à deux témoins, à savoir Mme Mary L'Abbe, titulaire de la chaire Earle W. McHenry et chef du Département des sciences de la nutrition de la faculté de médecine de l'Université de Toronto, ainsi que Mme Monique Potvin Kent, professeure adjointe à l'École d'épidémiologie et de santé publique de la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa. Je continuerai de suivre l'ordre du jour, si vous êtes d'accord. La parole est donc d'abord à Mme L'Abbe.

Mary L'Abbe, titulaire de la chaire Earle W. McHenry et chef du Département des sciences de la nutrition, faculté de médecine, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais également remercier la sénatrice Raine d'avoir présenté ce projet de loi et je tiens aussi à remercier les membres de votre comité sénatorial. Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Je crois qu'il s'agit d'un projet de loi très important pour limiter la publicité d'aliments s'adressant aux enfants.

Comme vous l'avez entendu au moment des présentations, je suis professeure au Département des sciences de la nutrition à l'Université de Toronto. Je suis également membre de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants. De plus, je suis directrice du Collaborating Centre on Nutrition Policy for Chronic Disease Prevention de l'Organisation mondiale de la Santé. Dans le cadre de ces fonctions, je fais partie de plusieurs comités de l'Organisation mondiale de la Santé. C'est un sujet qui intéresse beaucoup l'organisation.

J'appuie sans réserve le projet de loi S-228. Il me tient à cœur, car je crois qu'il est très important pour contribuer à créer un environnement alimentaire sain pour nos enfants, qui forment le segment le plus vulnérable de notre population. Presque tous les secteurs de la santé publique accordent la priorité à la protection des enfants. Les protéger de la publicité persuasive d'aliments malsains n'est pas moins important.

Des fondements solides appuient maintenant le rôle clé joué par la publicité des boissons et des aliments malsains dans l'épidémie d'obésité infantile qui sévit à l'échelle mondiale. Ce fait est mentionné dans votre rapport.

La promotion des aliments a été liée à une augmentation de la consommation d'aliments chez les enfants, et on sait que les pratiques en matière de publicité poussent les enfants à préférer les aliments calorifiques, pauvres en nutriments et riches en gras saturés, en sucres et en sodium. Ces produits alimentaires hautement transformés sont ceux qui font l'objet du plus grand nombre de publicités s'adressant aux enfants. Mme Monique Kent, le témoin suivant, vous en parlera.

En 2016, la Commission pour mettre fin à l'obésité de l'enfant de l'Organisation mondiale de la Santé a formulé une série de recommandations pour les États membres, afin de lutter efficacement contre l'obésité infantile. L'une de ces recommandations consistait à mettre en œuvre les recommandations formulées en 2010 par l'Organisation mondiale de la Santé en vue de réduire l'exposition des enfants et des adolescents au pouvoir des publicités d'aliments et de boissons riches en acides gras saturés, en acides gras trans, en sucres libres et en sodium.

Avec l'objectif de protéger nos enfants et nos jeunes, ce projet de loi demande la restriction complète de la publicité de tous les aliments et boissons s'adressant aux enfants. C'est une mesure semblable à la Loi sur la protection du consommateur qui est en vigueur au Québec depuis 1980. Ce type d'interdiction permettra d'offrir la meilleure protection aux enfants.

D'après ce que je comprends, les membres du comité envisagent d'apporter certaines modifications. Toutefois, j'aimerais préciser que si une telle interdiction complète n'est pas reflétée dans votre recommandation finale, à mon avis, il est impératif que le comité utilise un système de profilage nutritionnel solide et fondé sur les pratiques exemplaires en matière de santé publique pour déterminer quels aliments pourront faire l'objet de publicité s'adressant aux enfants. J'aimerais vous donner la définition de quelques-uns de ces termes.

Selon la définition de l'Organisation mondiale de la Santé, le profilage nutritionnel est la science liée au classement des aliments en fonction de leur composition nutritionnelle en vue de prévenir les maladies et faire la promotion de la santé. Les modèles de profilage nutritionnel sont fondés sur des critères nutritionnels objectifs, transparents et reproductibles, car ils servent à mesurer la valeur nutritive des produits alimentaires, afin de déterminer si un aliment devrait faire ou non l'objet de messages publicitaires s'adressant aux enfants.

J'aimerais souligner que le Canada n'est pas le seul pays à s'être fixé cet objectif. En effet, plusieurs pays, notamment le Chili, le Danemark, l'Irlande, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, Singapour et le Royaume-Uni ont pris des mesures en ce sens, et ils utilisent un système de profilage nutritionnel pour réglementer différentes formes de commercialisation aux enfants. Si vous le souhaitez, je peux vous fournir les références de toutes ces lois.

J'aimerais également souligner que d'autres pays, par exemple la Finlande et la Suède, interdisent complètement les publicités de produits alimentaires s'adressant aux enfants. Ces pays n'ont même pas besoin d'un système de profilage nutritionnel pour déterminer si un produit devrait faire l'objet de messages publicitaires ou non.

J'aimerais également préciser qu'à l'Université de Toronto, grâce au financement en recherche fourni par les Instituts de recherche en santé du Canada, nous avons créé une vaste base de données sur les informations nutritionnelles des aliments canadiens emballés qu'on retrouve dans les plus grandes épiceries du Canada. Nous appelons notre base de données alimentaire le Programme de renseignements sur l'étiquetage alimentaire. Cette base de données contient plus de 15 000 aliments. Nous les avons recensés par année.

Lorsque nous avons examiné ces 15 000 aliments emballés, nous avons évalué les bienfaits des aliments canadiens pour la santé en utilisant plusieurs systèmes de profilage nutritionnel. Il s'agit de systèmes qui ont été mis au point pour limiter la publicité d'aliments malsains s'adressant aux enfants. Je n'ai pas examiné les systèmes que les entreprises alimentaires, par exemple, ont examinés. Ces systèmes sont très sévères. Si vous choisissez cette option, vous devriez adopter des systèmes tout aussi sévères, afin que seuls les aliments les plus sains satisfassent aux critères et puissent faire l'objet de publicité s'adressant aux enfants.

J'aimerais vous parler de deux systèmes qui ont été mis au point par deux différentes régions de l'Organisation mondiale de la Santé, à savoir le Bureau régional pour l'Europe et le Bureau régional des Amériques, appelé l'OPS. Si nous utilisions le modèle de base de données sur les aliments emballés du Bureau régional pour l'Europe, seulement environ 30 p. 100 des aliments du Canada répondraient aux critères. Ce sont des aliments qui sont offerts sur notre marché. Si nous utilisions le système de l'OPS, seulement environ 16 p. 100 de nos aliments emballés satisferaient à ces critères.

Il nous faut des limites qui ont été établies à l'échelle mondiale, mais ces limites doivent être suffisamment sévères pour nous permettre d'atteindre le niveau de sécurité voulu.

J'aimerais également souligner que nous voyons des publicités sur l'emballage d'un grand nombre d'aliments; c'est une lacune importante qui n'est visée par aucun des systèmes facultatifs adoptés par l'industrie. Toutefois, les publicités que nous voyons sur les emballages d'aliments diffèrent énormément selon la catégorie d'aliments. Les plus inquiétantes, mais également les plus répandues, concernent les produits alimentaires qui ne sont pas recommandés par le Guide alimentaire canadien, c'est-à-dire les aliments les plus mauvais pour la santé. Ce sont les aliments riches en gras saturés, en sucre et en sodium.

Nous avons d'excellents exemples qui démontrent qu'il est possible d'effectuer un tel profilage nutritionnel. En fait, Santé Canada a adopté de nouveaux règlements sur l'étiquetage des aliments en décembre dernier. Dans ces règlements, on a déjà établi qu'une limite quotidienne de 5 p. 100 pour les nutriments mauvais pour la santé représente une petite quantité et qu'une limite de 15 p. 100 représente une grande quantité. On a déjà déterminé pour nous que nous devrions choisir des aliments qui contiennent moins de 5 p. 100 de ces mauvais nutriments. À tout le moins, nous voulons indiquer clairement quels aliments ne devraient pas faire l'objet de messages publicitaires s'adressant aux enfants. Il ne faudrait certainement pas dépasser cette limite de 5 p. 100, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas dépasser la limite quotidienne de 5 p. 100 de nutriments mauvais pour la santé.

En conclusion, nous avons déjà à notre disposition des outils appelés des systèmes de profilage nutritionnel qui ont été mis au point par l'Organisation mondiale de la Santé et nous avons de nouveaux règlements sur l'étiquetage des aliments pour nous aider à atteindre notre objectif, c'est-à-dire protéger les enfants et les adolescents de la publicité sur les aliments malsains.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui.

Le président : Merci beaucoup. J'aimerais maintenant donner la parole à Mme Potvin Kent.

Monique Potvin Kent, professeure adjointe, École d'épidémiologie et de santé publique, faculté de médecine, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci. Je suis également membre de la Coalition Arrêtons la pub destinée aux enfants, et depuis 2008, je mène des recherches sur la publicité des aliments et des boissons s'adressant aux enfants.

Je tiens d'abord à préciser que j'appuie le projet de loi S-228, surtout parce que l'autoréglementation par l'industrie de la commercialisation des aliments et des boissons au Canada est un échec retentissant et qu'elle ne protège pas les enfants et les adolescents canadiens.

En ce moment, que savons-nous au sujet de la publicité des aliments et des boissons s'adressant aux enfants? Sur les chaînes de télévision spécialisées pour les enfants, les enfants voient 4,7 messages publicitaires d'aliments et de boissons par heure, par chaîne. Ce taux est encore plus élevé pour les adolescents, à savoir 5,2 messages publicitaires d'aliments et de boissons par heure, par chaîne. Lorsque nous effectuons une analyse nutritionnelle de ces publicités, nous constatons qu'environ 90 p. 100 des aliments annoncés sont riches en gras, en sucres ou en sel, c'est-à-dire que 90 p. 100 de ces aliments sont mauvais pour la santé.

J'ai fait plusieurs études, des études préalables et de suivi, pour voir à quoi ressemblait la publicité du point de vue des enfants avant la mise en œuvre de l'Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Qu'est-ce qui a changé après la mise en œuvre de l'initiative?

L'une des différences choquantes que nous avons observées, c'est que l'exposition des enfants à la publicité d'aliments et de boissons a augmenté après les promesses d'autoréglementation. Elle a augmenté dans une proportion de 17 p. 100 à Toronto et de 6 p. 100 à Vancouver.

L'autre chose que nous avons constatée, c'est la force accrue des publicités d'aliments et de boissons depuis la mise en œuvre de l'initiative. Les enfants et les adolescents sont plus fréquemment ciblés — dans une proportion d'environ 92 p. 100. Le recours à des personnages porte-parole comme Tony le titre a augmenté de 27 p. 100; et l'utilisation de personnages reproduits sous licence comme Dora l'exploratrice et Spiderman a augmenté de 151 p. 100 depuis la mise en œuvre de l'initiative.

La dernière chose que nous avons examinée était la valeur nutritive des aliments et des boissons annoncés. Elle est demeurée inchangée.

Depuis décembre 2015, toutes les entreprises d'aliments et de boissons utilisent les mêmes critères nutritionnels, c'est-à- dire les nouveaux critères nutritionnels uniformes de l'initiative. L'automne dernier, certains de mes collègues — Mary en faisait partie — et moi avons fait une évaluation. Nous avons encore une fois étudié la situation avant et après pour voir si la valeur nutritive des aliments et des boissons annoncés aux enfants avait changé depuis la mise en œuvre des nouveaux critères nutritionnels uniformes. Nous n'avons vu aucun changement. En effet, avant la mise en œuvre des nouveaux critères, 74 p. 100 des aliments étaient considérés comme malsains, selon le modèle de profil nutritionnel du Royaume- Uni, et après, ce chiffre se situait à 76 p. 100.

Nous avons ensuite examiné une sous-catégorie de messages publicitaires visés par les entreprises participant à l'Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Nous étions certains de voir une différence. Une fois de plus, il n'y en avait pas : 79 p. 100 de leurs produits étaient considérés comme malsains avant, et ce chiffre était exactement le même par la suite.

La participation volontaire est un autre inconvénient de l'Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Il existe de nombreuses exceptions à ce qui est considéré comme de la publicité destinée aux enfants. À titre d'exemple, l'emballage n'est pas pris en considération. Les activités de financement et les programmes de récompense dans les écoles ainsi que les commandites ne sont pas visés. C'est la même chose pour les lieux de rassemblement des enfants. Il n'y a également aucune restriction concernant le recours aux personnages porte-parole et le volume de publicité. Enfin, l'évaluation de la conformité n'est pas effectuée par une tierce partie impartiale.

Voici mes recommandations en ce qui concerne le projet de loi S-228. Pour renforcer le projet de loi, je recommanderais de porter à 16 ans et moins l'âge visé pour protéger nos populations les plus vulnérables. Je recommande également d'adopter un système de profil nutritionnel rigoureux — si le comité décide de restreindre la publicité de boissons et d'aliments malsains. Il est également important d'avoir des mécanismes de contrôle d'application indépendants pour assurer la conformité.

Enfin, il est important d'élargir la définition du terme « publicité ». J'ai terminé cet automne un grand nombre de travaux de recherche sur la publicité numérique des aliments et des boissons. Il est absolument essentiel que ce soit compris dans votre définition de « publicité ». Les enfants et les adolescents sont vulnérables face à cette forme de publicité parce qu'elle est interactive. Elle se sert du ciblage comportemental, qui consiste à cibler des personnes selon leur comportement en ligne. Elle a également recours au géociblage, ce qui signifie qu'elle peut cibler des enfants en fonction de l'endroit où ils se trouvent; et il n'y a aucune limite à l'exposition.

Sur les 10 sites web les plus populaires auprès des enfants, nous avons relevé plus de 54 millions de publicités d'aliments et de boissons — des bandeaux et des fenêtres publicitaires seulement — sur une période d'un an. Les cinq produits les plus fréquemment annoncés sur ces 10 sites étaient les Pop-Tarts de Kellogg, les Frosted Flakes de Kellogg, le repas Joyeux festin de McDonald's, la boisson énergisante Red Bull et les produits Lunchables de Kraft. Nous ne voulons pas exactement encourager nos enfants à manger ces produits.

Au total, environ 74 p. 100 des produits annoncés, pas juste les cinq en tête de liste, étaient considérés comme malsains selon le modèle de profil nutritionnel du Royaume-Uni. En utilisant le modèle de l'Organisation panaméricaine de la santé, 93 p. 100 des aliments et des boissons annoncés sur ces 10 sites populaires étaient considérés comme ayant une teneur trop élevée en gras, en sucre ou en sodium.

Sur les 10 sites web les plus populaires auprès des adolescents, nous avons constaté que des produits similaires figuraient aux cinq premiers rangs : les Pop-Tarts de Kellogg étaient en tête de liste chez les adolescents, suivis par les Froot Loops de Kellogg, la boisson énergisante Redbull, les Frosted Flakes de Kellogg et le café Tim Horton. Lorsque nous avons analysé la valeur nutritive de l'ensemble des aliments et des boissons annoncés sur les sites favoris des adolescents, nous avons constaté qu'au total, 84 p. 100 des produits étaient considérés comme malsains selon le modèle de profil nutritionnel du Royaume-Uni. Ce chiffre était de 93 p. 100 en fonction du modèle de l'Organisation panaméricaine de la santé, ce qui signifie qu'ils avaient une teneur trop élevée en gras, en sucre ou en sodium.

En conclusion, j'aimerais dire que l'imposition de restrictions obligatoires en matière de publicité d'aliments et de boissons constitue une stratégie efficace pour améliorer l'apport alimentaire, le taux d'obésité et la santé. Je remercie le Sénat et le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie d'étudier le projet de loi S- 228.

Merci beaucoup.

Le président : Merci à tous. Vous nous avez donné de quoi alimenter la réflexion. Excusez le jeu de mots. C'est très intéressant. Nous allons passer aux questions, en commençant par la marraine et la porte-parole du projet de loi.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup de votre comparution. Je sais que vous avez tous fait énormément de travail dans le domaine. En passant en revue la documentation sur la prévention et la prolifération de la publicité d'aliments destinée aux enfants, j'ai vu cette recommandation dans des études dont certaines remontent à 2004. J'aimerais savoir depuis combien de temps chacun de vous suivez le dossier, et pensez-vous que le projet de loi S-228 permettra de passer à la prochaine étape d'une réglementation efficace?

Mme Potvin Kent : J'ai l'impression que le projet de loi va certainement faire faire bouger les choses. Je me penche sur la question depuis 2008. J'ai commencé ma recherche là-dessus pendant mon doctorat. Je m'y suis intéressée parce qu'il n'y avait pas beaucoup de données au Canada sur la quantité de publicité d'aliments et de boissons que les enfants voyaient. Il y en avait un peu au Québec et pas beaucoup dans le reste du pays. J'ai donc commencé à faire de la recherche dans le domaine. Il y a également d'autres chercheurs canadiens. Les données indiquent maintenant clairement que la publicité d'aliments et de boissons destinée aux enfants est un très gros problème au Canada. Ce projet de loi contribue beaucoup à nous faire progresser à cet égard. J'en suis ravie.

Mme L'Abbe : Je ne faisais pas de recherche, mais j'ai jugé sévèrement le premier système à participation volontaire de l'initiative. J'ai dit à certains de mes collègues qu'il comportait tellement de failles qu'un camion pourrait passer au travers. C'est le système que nous avons eu pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'on établisse les critères nutritionnels au cours des dernières années.

J'ai probablement vraiment commencé à me pencher là-dessus après environ 2010, après la mise en place de notre base de données des aliments. J'ai demandé à l'un de nos étudiants à la maîtrise de se pencher sur la publicité destinée aux enfants. Nous avons commencé par examiner le volume de publicités sur les emballages et avons constaté qu'il y en avait beaucoup, notamment sur l'emballage des aliments les plus malsains.

Pour vous donner un exemple, l'une de nos études portait sur le modèle de la Région européenne de l'Organisation mondiale de la Santé et sur le modèle panaméricain. Dans le modèle de la région européenne, environ 30 p. 100 des aliments répondaient aux critères. Autrement dit, 70 p. 100 des aliments dans notre base de données étaient malsains et 30 p. 100 étaient considérés comme assez sains pour répondre aux critères. Dans le cas des aliments annoncés aux enfants, une proportion de 93 p. 100 des aliments ne répondait pas aux critères. Les aliments annoncés sont beaucoup moins sains.

Nous avions la base de données, et la prochaine étape évidente était de commencer l'examen des critères. Ils n'étaient pas du tout rigoureux. De nombreux aliments annoncés aux enfants ne répondaient pas vraiment aux critères, malgré ce qu'on disait.

M. Jeffery : Je m'intéresse à la publicité qui s'adresse aux enfants depuis 2000, car notre première campagne, quand je travaillais au Centre pour la science dans l'intérêt public, portait sur l'étiquetage nutritionnel. Il semblait évident à ce moment-là que nous allions connaître une certaine réussite en apportant une première série de changements à l'étiquetage nutritionnel, et nous voulions explorer d'autres questions de politique gouvernementale.

Le rapport de 2004 dont vous parlez est celui du groupe de travail de l'American Psychological Association. Cette publication a eu beaucoup d'influence à l'époque. Elle donnait suite à un rapport de la Commission fédérale du commerce des États-Unis qui datait des années 1970 et qui a inspiré la loi québécoise. Les Américains n'ont pas pu y donner suite à l'époque, et j'oserais dire que c'est en partie parce que de nombreux sénateurs et membres du Congrès sont financés par l'industrie alimentaire. Nous avons des lois qui préviennent ce genre de choses au Canada, mais ils n'ont pas pu y donner suite. Les pressions exercées contre la restriction de la publicité de certains aliments aux États-Unis étaient si fortes que le Congrès a menacé de mettre fin au financement de la Commission fédérale du commerce. Les gens de la commission sont donc partis la queue entre les jambes et n'ont pas pu faire quoi que ce soit à cet égard depuis.

Madame la sénatrice, nous avons eu de nombreuses conversations sur votre projet de loi. Il est formidable que vous ayez suscité autant d'intérêt, et il contient de très bons arguments, mais je crains qu'on ne puisse le défendre juridiquement parce qu'il me semble vulnérable sur le plan constitutionnel. Les deux petits changements que j'ai proposé d'apporter à la Loi sur la concurrence dans mon exposé technique contribueraient grandement à le renforcer à cet égard.

Le sénateur Eggleton : Je veux déterminer à quel point ce projet de loi doit protéger les mineurs.

Nous avons entendu ici une panoplie de suggestions. M. Jeffery laisse entendre que les mineurs, tant les enfants que les adolescents, sont vulnérables face à l'influence de la publicité portant sur tous les produits, pas seulement les aliments.

Vous avez tous les deux parlé des aliments, et Mme L'Abbe a surtout parlé du profil nutritionnel. C'est une avenue possible, à savoir s'attaquer seulement aux aliments malsains plutôt qu'à l'ensemble des aliments et des boissons. Vous faites remarquer qu'un certain nombre de pays se sont engagés dans cette voie. La Finlande et la Suède ont totalement interdit la publicité de produits alimentaires qui s'adresse aux enfants, et je crois que c'est la même chose au Québec.

La question, c'est de savoir jusqu'où nous devons aller. Madame Potvin Kent, vous avez également parlé d'élargir la définition du terme « publicité ». Il y a peut-être certains aspects du projet de loi qui ne tiennent pas compte de tous les moyens publicitaires, de toutes les méthodes astucieuses pour faire de la publicité.

Dans ce qui a été fait à l'échelle internationale, y a-t-il une approche particulièrement judicieuse ou vulnérable selon vous?

Entre autres choses, on a laissé entendre qu'en mettant l'accent sur le profil nutritionnel et les aliments malsains, nous n'offrons peut-être pas une aussi bonne protection. Par contre, à défaut de nous engager dans cette voie, si la loi s'applique à l'ensemble des aliments et des boissons proposés aux enfants, nous risquons alors davantage de nous heurter à une opposition sur le plan juridique.

Monsieur Jeffery, vous avez soulevé la question de l'aspect constitutionnel. Nous voulons protéger nos enfants, mais à quel endroit exactement devons-nous tracer la ligne dans ce projet de loi?

Je vous saurais gré de parler de toutes ces possibilités.

Mme L'Abbe : La question de cibler tous les produits plutôt que les seuls aliments est probablement d'ordre juridique. Nous parlons d'aliments, ce qui est mon champ d'expertise. Je ne connais pas bien les autres aspects de la question, mais je connais très bien la Loi sur les aliments et drogues, et les règles visant les aliments peuvent sans aucun doute figurer dans cette loi et son règlement connexe.

Vous avez posé une deuxième question qui oppose le profil nutritionnel à une interdiction totale pour ce qui est des aliments. On a recours à différents systèmes dans le monde. Ces systèmes sont le reflet des outils réglementaires disponibles dans le système juridique des différents gouvernements pour promulguer une interdiction totale ou mettre en place un système de profils nutritionnels.

Je faisais partie du groupe technique qui a aidé la Région européenne de l'Organisation mondiale de la Santé et l'Organisation panaméricaine de la santé à mettre en place un système de profils nutritionnels, et des efforts ont été déployés en ce sens parce que même si les gouvernements auraient voulu procéder à une interdiction totale, ils ne pensaient pas que leur système réglementaire ou leur cadre législatif leur aurait permis de le faire.

Le profil nutritionnel est une manière transparente de définir ce qu'on considère comme sain ou malsain. Si vous vous engagez dans cette voie, surtout dans ce cas-ci alors qu'il est question de protéger les enfants, un groupe vulnérable, vous voulez vraiment un système rigoureux.

Mme Potvin Kent a parlé du système du Royaume-Uni, un des premiers pays à avoir imposé à l'échelle nationale des restrictions visant la publicité destinée aux enfants. C'était seulement pour la publicité à la télévision. Le système britannique de l'époque était plutôt modeste, car c'était le premier. Presque la moitié de nos aliments seraient autorisés en vertu de ce système. Les Britanniques doivent maintenant modifier leur loi après avoir fait des études scientifiques axées sur des recommandations concernant la teneur en sucre et en sodium, par exemple. Ils se rendent compte que les limites qu'ils ont fixées il y a 10 ou 15 ans étaient beaucoup trop élevées, trop laxistes. Ils ont maintenant entamé le processus de modification de leur loi parce que leur comité scientifique sur les aliments leur a dit que les sucres ne devraient vraiment pas constituer plus de 5 à 10 p. 100 de l'apport calorique et que la teneur en sodium de leurs aliments devrait grandement diminuer.

Lorsqu'on met en place un système de profils nutritionnels, surtout s'il n'est pas très rigoureux, on se retrouve également face à la possibilité d'avoir de nouvelles preuves scientifiques selon lesquelles on doit être plus restrictif. C'est un des problèmes.

Je pense qu'il y a maintenant deux ou trois systèmes. C'est la raison pour laquelle je recommande ceux de l'Organisation mondiale de la Santé. Ce sont les plus récents. Ils ont été créés dans le but d'être très rigoureux à l'égard des profils nutritionnels. Même les gens de Santé Canada, quand ils ont proposé l'étiquetage nutritionnel l'année dernière, ont indiqué que la limite devrait être de moins de 5 p. 100 pour les aliments. C'est un seuil plutôt strict à choisir.

Je pense que si vous utilisez ce genre de système, vous devez en utiliser un qui vous donne les outils nécessaires pour assurer une protection au moyen des limites que vous fixez.

M. Jeffery : Lorsque j'évalue les trois différentes approches, à savoir des restrictions visant tous les aliments, des restrictions visant les annonces de malbouffe et l'approche du Québec, qui consiste à cibler tous les produits, je crois que l'approche du Québec est celle qui offre la plus grande protection et qui est la moins sujette aux contestations juridiques, même si on fait passer l'âge à 18 ou 19 ans. C'est la raison pour laquelle je l'appuie énergiquement.

L'interdiction totale de la publicité d'aliments protège davantage les enfants que la seule interdiction des annonces de malbouffe, et je pense pouvoir le montrer en revenant à cette image dans un instant. Comme l'a reconnu la ministre de la Santé, je crois que cela peut très facilement faire l'objet d'une contestation judiciaire.

Je dirais que l'approche qui consiste à restreindre seulement les annonces de malbouffe n'est pas très protectrice, même si c'est un peu plus facile à défendre en cas de contestation constitutionnelle. Pour le montrer, j'ai préparé une diapositive PowerPoint, sur laquelle vous pouvez voir l'image de certains aliments dont les annonces seraient évidemment interdites, pourvu que les critères nutritionnels soient raisonnables. Qu'il s'agisse d'une cannette de Redbull ou de Coke, d'une boîte de céréales Lucky Charms, d'un Big Mac ou autre, les critères nutritionnels, pourvu qu'ils soient raisonnables, ne seraient manifestement pas respectés.

Cependant, Ronald McDonald n'a aucune valeur nutritionnelle et ne contient aucune quantité de matières grasses, ni quoi que ce soit du genre. Il n'est donc absolument pas certain que des critères nutritionnels puissent empêcher l'utilisation de logos ou de mascottes d'entreprises alimentaires.

En outre, la version relativement nutritive de nombreux produits est presque identique à celle qui n'est pas nutritive. Le parfait exemple est le Coke diète par rapport au Coke ordinaire. Les deux produits sont presque identiques et présentent la même marque. C'est donc très difficile. Il faut les observer attentivement pour les différencier.

Je vais vous demander ceci : serait-il judicieux de diffuser des publicités de Coke diète et de pain blanc, même si ces produits sont pauvres en sodium, en sucre ajouté et en lipides saturés, pendant les dessins animés du samedi matin? Je soutiens que ce n'est pas une bonne idée.

Il est également très problématique de faire de la publicité d'endroits donnés. Une bonne partie des produits alimentaires qui sont actuellement présentés aux enfants sont des établissements de restauration rapide. Qu'est-ce qui empêche une entreprise de faire la promotion de son restaurant, tant qu'elle ne montre aucune image de hamburger? Il s'agit là de la gigantesque échappatoire que même les critères nutritionnels les plus stricts ne permettent pas vraiment d'éviter.

Mme Potvin Kent : Bill l'a très bien formulé : nous restreignons la publicité soit de tous les produits, comme le fait le Québec, soit de tous les aliments, soit des aliments malsains. Or, j'ai toujours hésité à interdire tous les produits en raison de la faille énorme, au Québec, de la Loi sur la protection du consommateur.

J'ai fait pas mal de recherches sur la quantité de publicités d'aliments et de boissons auxquelles les enfants sont exposés au Québec. Nous constatons que les enfants québécois voient encore beaucoup de publicités semblables sur les chaînes spécialisées pour enfants. Ils voient simplement une publicité d'aliments et de boissons différente de celle qui est présentée aux enfants ontariens. Les Québécois voient la publicité de McDonald's qui présente un gars dans son bureau en train de manger un sandwich roulé de déjeuner. Ces enfants ne sont toutefois pas exposés aux publicités de Joyeux festins, de céréales sucrées ou de bonbons. Les enfants du Québec ne voient donc pas tous ces produits ciblés, mais ils visionnent tout de même beaucoup de publicités d'aliments et de boissons malsains. Lorsque nous comparons la valeur nutritive des produits annoncés aux enfants du Québec et de l'Ontario, nous constatons qu'il n'y a aucune différence. C'est équivalent. La seule différence, c'est que les publicités elles-mêmes ont moins de pouvoir. Nous n'avons aucune donnée qui indique si une publicité de Joyeux festin aura plus d'incidence sur l'enfant que celle du type dans son bureau. On y présente tout de même la marque du « Grand M ».

Voilà qui constitue à mes yeux la grande lacune du Québec, étant donné que la loi n'a pas été conçue pour restreindre la mise en marché des aliments et des boissons. Elle visait plutôt à limiter toute commercialisation d'aliments et de boissons.

De l'autre côté de la médaille, Bill a formulé une remarque intéressante à propos des conséquences imprévues, à savoir que si vous interdisez toutes les publicités alimentaires, d'autres types de publicités seront en hausse. Il a notamment parlé des publicités de jouets. Je viens de terminer une analyse de ces publicités, qui montre que la majorité des jouets présentés favorisent le jeu sédentaire. Nous avons fait l'analyse : la publicité encourage-t-elle le jeu actif ou sédentaire? Cible-t-elle les petits garçons ou les petites filles? Il y a beaucoup plus de publicités à l'intention des garçons, et elles encouragent presque toutes le jeu sédentaire. C'est intéressant. Si vous examinez les taux d'obésité, vous constaterez que l'obésité est plus prévalente chez les garçons de ce groupe d'âge que chez les fillettes. Quoi qu'il en soit, nous devons bel et bien réfléchir aux conséquences imprévues.

Je voudrais faire une observation sur la définition du marketing. Je trouve que la province de Québec a très bien défini le concept. Elle dit qu'aucune publicité à but commercial ne doit être destinée aux enfants. Je pense que c'est une force. La province applique ces dispositions à toutes les formes de mise en marché. La loi comporte évidemment quelques exceptions, mais elle demeure vague. Dès que nous soumettons une liste fixe de ce que le marketing englobe, les spécialistes du marketing trouveront autre chose étant donné que ce sont des gens fort créatifs.

Par ailleurs, il n'y a pas beaucoup de publicités de marque, du moins à la télévision, mais cela pourrait être une autre conséquence imprévue. Bill en a parlé lui aussi. Il s'agit par exemple de montrer seulement les arches dorées, ou de faire une publicité sur le Manoir Ronald McDonald pour montrer la responsabilité sociale de l'entreprise. Tim Horton a diffusé beaucoup de publicités semblables sur la responsabilité sociale de l'entreprise, qui présentent des camps d'été, mais qui font également la promotion de la marque. Puisque la publicité ne montre pas d'aliment, elle doit assurément faire partie du marketing.

Pour ce qui est de la limite d'âge pour lequel nous limitons le marketing, je trouve primordial de la hausser à au moins 16 ans. Dans le domaine du marketing numérique des aliments et des boissons, la recherche montre actuellement que les enfants de 10 à 12 ans ne sont pas en mesure d'identifier les différents types de marketing numérique auxquels ils sont exposés. Il y en a environ 12 formes différentes qui peuvent être vues sur un écran d'ordinateur, qu'il s'agisse d'une tablette, d'un téléphone intelligent, d'un ordinateur de bureau ou d'un ordinateur portable. Les enfants de 10 à 12 ans ne le reconnaissent même pas. Quand vient le temps de comprendre la publicité et le marketing, le fait de pouvoir identifier une publicité constitue seulement la première étape cognitive. Il faut aussi pouvoir s'en protéger. Compte tenu des techniques employées actuellement, le marketing en ligne est particulièrement divertissant, et le divertissement et le marketing sont tellement intégrés qu'il est très difficile pour les enfants de les distinguer. Je pense donc qu'il faut fixer cette limite d'âge.

Nous avons notamment choisi 16 ans puisque c'est ce que fait le Royaume-Uni. Nous avons cru que c'était faisable puisqu'un autre pays a choisi cet âge. Sur le plan du développement cognitif, nous savons que le cerveau humain n'est pas entièrement développé avant l'âge de 30 ans. Je ne propose toutefois pas de réglementer la publicité jusqu'à cet âge. Mais je serais très heureuse que la réglementation s'applique jusqu'à 16 ans.

Le président : Je pense que nous ferions mieux d'essayer de comprendre ce que nous venons d'entendre, car j'ai l'impression qu'un certain nombre de choses se chevauchent ici.

Madame Potvin Kent, si j'ai bien compris, vous avez indiqué que la loi québécoise qui interdit toutes les publicités présente une échappatoire, en raison de l'approche réglementaire globale qui permet effectivement de diffuser les logos et les concepts aux enfants. Ai-je bien entendu?

Mme Potvin Kent : C'est exact.

Le président : Je ne veux pas entamer une longue discussion; je veux juste m'assurer que les arguments sont bien saisis. J'ai donc bien compris.

Mme Potvin Kent : Oui.

Le président : Existe-t-il la même chose à l'échelle nationale, à savoir une loi fédérale qui aurait le même effet que la loi québécoise?

Mme Potvin Kent : Non.

Le président : Monsieur Jeffery?

M. Jeffery : J'aimerais répondre. Il s'agit d'un aspect précis de l'application de la loi québécoise. Il existe au Québec un principe relatif à l'application selon lequel les publicités ne doivent pas susciter l'intérêt des enfants. Les responsables de l'application de la loi à l'Office de la protection du consommateur ont décidé qu'une publicité de McDonald's diffusée pendant les dessins animés du samedi matin et qui montre un adulte en train de boire une tasse de café ne suscite pas l'intérêt des enfants. Je pense que c'est ridicule. De toute évidence, les spécialistes la diffusent à ce moment parce qu'ils veulent que les enfants la voient. Ce n'est pas une faille de l'approche globale; ce n'est qu'un aspect précis de la mise en œuvre qui pourrait selon moi être corrigé au moyen de directives sur l'application.

Le président : Je vois. Pour ce qui est de vos remarques sur les problèmes relatifs à la définition nutritionnelle, j'aimerais savoir si j'ai bien compris, dans l'ensemble. Si des normes nutritionnelles sont appliquées, vous pourriez alors prendre le logo d'un produit de l'entreprise qui répond aux normes nutritionnelles, puis diffuser le même message général que si vous utilisiez directement le logo et le produit moins nutritif. J'ai cru comprendre que l'interdiction relative à la publicité d'aliment comporte des lacunes considérables quant à la façon dont celle-ci peut être réalisée. J'espère que j'ai mal interprété vos propos. Pouvez-vous me confirmer que je vous ai mal compris?

M. Jeffery : Je ne suis pas certain d'avoir compris votre explication de mes propos, mais permettez-moi simplement d'illustrer...

Le président : Je me suis repris, puis j'ai dit ce que je pensais avoir retenu de l'ensemble de vos témoignages en ce qui a trait à la question nutritionnelle.

M. Jeffery : Si Coca-Cola décide de diffuser une publicité à la télévision pendant les dessins animés du samedi matin qui montre le logo de l'entreprise, des ours polaires ou une image du père Noël en train de boire un liquide brun dans un verre, rien n'indique qu'il ne s'agit pas de Coke diète. Ce ne serait donc pas interdit selon les critères nutritionnels.

Le président : C'est exactement ce que je voulais dire.

M. Jeffery : Il s'agit à mes yeux d'une omission flagrante. Comme je l'ai dit, c'est comme si l'effet de la réglementation n'avait pas changé, et comme si la différence entre les images avant et après n'était pas perceptible.

Le président : C'est un problème capital. En fait, si aucune disposition précise de la loi n'a un effet bénéfique global pour les enfants et sur ce qu'ils pensent vouloir, alors c'est inutile.

Au lieu d'une interdiction générale comme celle qui figure dans le projet de loi dont nous sommes saisis et dans la loi québécoise, si cette mesure comporte les lacunes que vous avez décrites, je suppose que parler simplement de « publicités d'aliments nocifs » posera le même problème que vous venez de décrire, monsieur Jeffery. Ce ne sont pas tous les produits qui sont commercialisés par certains établissements de restauration rapide qui sont vraiment nocifs. Si elles le souhaitent, ces entreprises peuvent bel et bien présenter des produits qui répondent à une ligne directrice nutritionnelle donnée.

M. Jeffery : C'est vrai. Permettez-moi d'illustrer le problème à l'aide d'un exemple personnel. Quand un de mes fils était assez jeune, soit six ou sept ans, il a vu une publicité de McDonald's à la télévision. On y présentait une salade, qui répondrait probablement à des critères nutritionnels. Mon garçon a dit : « Regarde, papa. Allons chez McDonald's. Ils vendent des salades, et maman aime les salades. Allons-y. » À mon esprit, McDonald's a très habilement manipulé l'esprit de mon fils, qui est désormais un peu plus difficile à manipuler, mais qui est encore un adolescent. Je pense donc que c'est ce qui pose problème.

Le président : Dans ce cas, quelle formulation faut-il employer?

M. Jeffery : Comme je l'ai dit, je suis tout à fait favorable à l'approche québécoise qui consiste à interdire toute forme de publicité. L'une des caractéristiques du projet de loi de la sénatrice Raine, c'est qu'il met l'accent sur la Loi sur les aliments et drogues et qu'il peut influencer l'étiquetage alimentaire, ce que la loi québécoise ne peut pas faire. Si vous achetez une boîte de Froot Loops et beaucoup d'autres céréales dans l'allée des céréales à l'épicerie, vous constaterez qu'elles sont ornées de personnages, de mascottes, de formulaires de concours et de ce genre de choses conçues pour susciter l'intérêt des enfants. Je pense que c'est profondément problématique, et que des modifications au Règlement sur les aliments et drogues pourraient être utiles.

Le président : Je pense que j'ai pris tout le temps que je pouvais. Nous avons d'autres témoins à entendre, avec lesquels nous allons explorer davantage la question. Mais je trouve que vous avez bien énoncé les problèmes que présente chaque approche proposée.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de vos présentations. Ma question officielle portait sur un sujet qui a beaucoup été abordé, à savoir s'il est préférable d'interdire toutes formes de publicité sur tous les aliments, ou simplement sur les aliments « non nutritifs ». Vous avez plutôt bien répondu.

À vrai dire, j'ai deux questions. L'une d'entre elles fait suite à ce qui vient d'être dit. Vous avez parlé du modèle québécois. Madame Potvin Kent, je m'intéresse à votre comparaison relative à la publicité qui n'est pas destinée aux enfants, mais qui est elle aussi diffusée en matinée. Je crois toutefois me souvenir que le Québec obtient des résultats intéressants puisque les taux d'obésité diminuent. Je voulais l'aborder rapidement, mais ma vraie question est la suivante : pour ce qui est du modèle québécois, je crois savoir qu'il comporte des exceptions pour les équipes sportives et les commandites d'équipes, comme une équipe de baseball pour les enfants. Ai-je raison?

Mme Potvin Kent : Je ne me souviens pas de cette exception. Je sais qu'il y en a une pour les magazines qui sont publiés un certain nombre de fois par année, mais je ne me souviens d'aucune exception à propos des commandites. Il va sans dire que l'emballage fait exception puisqu'il relève des provinces. Veuillez m'excuser, j'ai inversé les choses. Je l'ai bien dit dans ma tête.

La sénatrice Petitclerc : D'accord. Je me trompe peut-être. Je vais essayer de vérifier.

Mme Potvin Kent : Je ne me souviens de rien à propos des commandites.

La sénatrice Petitclerc : Dans ce cas, ma prochaine question est la suivante : un grand nombre d'équipes sont commanditées par des entreprises d'aliments ou des marques, et elles en dépendent. C'est un peu paradoxal, parce que les jeunes dépendent de ces commandites pour faire de l'exercice, ce que nous voulons qu'ils fassent, mais nous ne voulons pas les exposer aux produits.

Mme Potvin Kent : Chaque fois que j'entends parler de commandite — et je sais que les parents sont choqués puisque les équipes sportives sont commanditées par des entreprises d'aliments et de boissons qui leur fournissent l'équipement —, je me demande toujours un peu pourquoi seules les entreprises d'aliments et de boissons commanditent les équipes. Pourquoi est-ce ainsi, au juste? Pourquoi ne pourrions-nous pas nous tourner vers d'autres commanditaires, ce qui est tout à fait possible? Il y a 30 ans, tout le monde était habitué que les fabricants de tabac financent toutes sortes d'événements artistiques et sportifs, et nous nous sommes adaptés à cette nouvelle réalité. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et je pense que nous pourrions nous adapter aussi en ce qui a trait à la commercialisation d'aliments et de boissons.

J'aimerais simplement aborder vos autres arguments à propos du Québec. Dans cette province, nous savons que les taux d'obésité ont diminué et que la consommation de fruits et légumes a augmenté, mais il est très difficile d'établir un lien direct entre une politique et la consommation d'aliments. Il y a sept ou huit ans, Cathy Baylis et ses collègues ont mené des recherches sur des familles et leur consommation d'aliments de restauration rapide. Elle a démontré que la consommation de restauration rapide était inférieure au Québec, puis a pu établir un lien avec la Loi sur la protection du consommateur.

Je suis d'accord avec Bill pour dire que le modèle québécois est très solide à cet égard, puisqu'il a survécu à une contestation constitutionnelle. Les faiblesses du modèle pourraient même être rectifiées s'il était repris au fédéral. Ce serait tout à fait possible. L'énorme échappatoire qui existe au Québec est attribuable à la définition du fait de cibler un enfant, mais ce concept peut être défini autrement. On pourrait considérer que tout aliment et toute boisson cible les enfants parce que ceux-ci mangent de la nourriture, de sorte qu'ils sont visés. La définition québécoise comporte toutefois une liste complète. Le ciblage d'enfant est déterminé par l'utilisation de princesses, de héros, de couleurs primaires et d'animations. Le concept pourrait toutefois être défini différemment, de sorte que la loi aurait une incidence fort différente.

Mme L'Abbe : Comme Mme Kent l'a dit, d'autres proposent de définir le ciblage d'enfant à l'instar d'autres instances, qui définissent le concept en fonction de l'heure du jour. Ces gens disent que si une publicité est diffusée avant 9 heures, ou après 15 heures et jusqu'à 21 ou 22 heures, une restriction s'applique en fonction de l'heure. Plutôt que de définir tous les types de publicité, ils choisissent d'interdire les publicités pendant ces périodes, qui correspondent au moment où la plupart des enfants regardent la télévision. Toutefois, cette mesure ne s'applique pas aux efforts marketing autres que la télédiffusion. Dans le cas des publicités télédiffusées, au lieu de définir un groupe d'enfants, ces gens s'intéressent au moment de la journée où la plupart des enfants y sont exposés. Il existe plusieurs façons d'atteindre l'objectif et de définir le concept. Le plus important, c'est d'établir l'objectif que vous souhaitez atteindre. Je vous recommande donc de trouver une méthode musclée et globale.

M. Jeffery : En ce qui concerne votre question sur les commandites d'équipes sportives, je suis d'accord avec Monique. J'attire votre attention sur la diapositive que j'ai distribuée, car je trouvais cela intéressant. Il y a eu un sondage d'opinion en 1981 qui a démontré que 59 p. 100 des répondants estimaient qu'il fallait contrôler davantage la publicité s'adressant directement aux enfants, et que 49 p. 100 des répondants trouvaient qu'il fallait exercer plus de contrôle sur la publicité relative au tabac. C'était avant les contrôles sur la commercialisation du tabac, et le contrôle de la publicité s'adressant aux enfants suscitait plus d'intérêt. C'était une enquête nationale, et je trouve cela stupéfiant. C'est un signe des temps. Dans 10 ans, sénatrice, si ce projet de loi est adopté et qu'il est très robuste, peut-être que les gens ne songeront plus avec nostalgie à l'époque où Pizza Pizza commanditait des équipes de hockey, qu'ils verront cela de la même façon qu'ils voyaient DuMaurier commanditer les courses automobiles à Montréal et toutes sortes de manifestations sportives, et qu'ils saisiront l'ironie de cela.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de vos exposés. J'ai écouté attentivement, mais je pourrais avoir manqué ceci. Je n'ai pas vu de corrélation entre les pays qui ont banni la publicité et la réduction de l'obésité chez les enfants. Si vous avez des chiffres là-dessus, je vous en saurais gré.

M. Jeffery : Les deux seuls pays qui imposent depuis assez longtemps des restrictions sur la publicité s'adressant directement aux enfants pour pouvoir observer des changements sont la Suède et la Norvège. Il est difficile d'obtenir de l'information de deux pays où ni l'anglais ni le français ne sont des langues officielles. Comme Monique l'a dit précédemment, il est aussi extrêmement difficile de faire des déductions au sujet d'un petit aspect de la santé publique à partir de ce qui constitue essentiellement une expérience naturelle découlant d'une intervention stratégique. D'après ce que j'ai compris, en Suède et en Norvège, les taux d'obésité sont nettement inférieurs à ceux de nombreux autres pays du monde, et certainement inférieurs à ceux du Canada.

La sénatrice Stewart Olsen : Il en a toujours été ainsi, cependant.

Le président : Mais l'enjeu est de savoir s'il y a eu un changement dans ces taux dans le sillage de l'adoption de ces mesures législatives.

M. Jeffery : Pour illustrer à quel point c'est difficile, nous avons vraiment très peu de preuves concluantes d'un changement au Canada parce que nous avons mené essentiellement trois enquêtes nationales sur l'alimentation au cours des 40 dernières années. Il serait impossible de tirer des déductions de cela, même au Canada, sachant où se trouvent toutes les données.

Mme Potvin Kent : Il est important d'envisager les restrictions à la publicité dans le contexte d'une stratégie à volets multiples, pour l'effet sur l'obésité et les maladies chroniques au Canada. Vous pourriez regarder, par exemple, une des politiques sur le tabac et dire : « Maintenant que nous avons interdit aux gens de fumer dans les restaurants, est-ce que cela a produit un effet sur les taux de cancer du poumon? » Ce n'est pas qu'une politique; c'est tout un éventail de politiques qui a produit des effets sur les taux de tabagisme, sur le cancer du poumon et sur ce genre de choses.

La sénatrice Stewart Olsen : Je suis désolée, mais je sais ce que vous dites. Cependant, avez-vous des données?

Mme Potvin Kent : Non. Du point de vue de la recherche, il serait impossible d'établir des liens entre ces deux choses. Il y a trop de variables médiatrices pour qu'il soit possible de concevoir une telle étude. Du point de vue du chercheur, ce type d'étude est impossible. On ne peut établir un résultat en matière de santé pour une politique qui est si éloignée de la personne, car il y a trop d'autres variables qui entrent aussi en jeu; c'est tout simplement impossible à mesurer.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends.

M. Jeffery : Une enquête sur la nutrition a été réalisée six ans avant cette intervention stratégique, puis il y a eu un suivi.

La sénatrice Stewart Olsen : Où?

M. Jeffery : Une enquête nationale sur la nutrition a été réalisée au Canada et a englobé des données du Québec 6 ans avant l'entrée en vigueur de la politique, puis 14 ans après son entrée en vigueur. Vous pouvez imaginer tout ce qui a pu se produire pendant la période qui a séparé les deux enquêtes. Il serait imprudent d'essayer de tirer des hypothèses raisonnablement fiables sur les liens de cause à effet.

Mme Potvin Kent : Pour ce qui est de mesurer les effets, si vous interdisiez toute publicité de nourriture, il serait plus facile de demander aux enfants leurs préférences alimentaires, ce qu'ils mangent en réalité et les produits qu'ils demandent à leurs parents d'acheter, compte tenu d'autres variables. L'obésité, c'est quelque chose qui est plus éloigné. Il y a une manière d'étudier les effets, mais c'est difficile.

La sénatrice Stewart Olsen : Oui. Il n'y a pas de données maintenant. Je comprends ce que vous dites. Merci beaucoup.

La sénatrice Raine : Quand j'ai commencé à réfléchir à ce projet de loi, je me suis dit que la solution facile serait d'interdire toute la publicité d'aliments; personne ne consacre de l'argent à faire de la publicité pour le brocoli et les carottes, alors ce n'est pas vraiment grave, mais je comprends très bien maintenant que cela pourrait donner lieu à une contestation devant la Cour suprême, alors ça va.

J'ai décidé de miser sur la Loi sur les aliments et drogues parce que la plupart des Canadiens à l'échelon fédéral savent que c'est une loi puissante qui protège les Canadiens par l'intermédiaire de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, entre autres. C'est donc un cadre législatif fédéral naturel à utiliser. J'étais au courant de tous les divers types de publicité, alors j'ai choisi d'essayer de relever tous les divers types et de les inclure dans la loi.

Ensuite, et après avoir bien compris le travail qui se fait par l'intermédiaire de l'Organisation mondiale de la Santé et de l'OPS — l'Organisation panaméricaine de la santé —, j'ai constaté qu'il vaudrait beaucoup mieux de définir ce qui est « nocif pour la santé » par règlement plutôt que dans la loi. C'est la raison pour laquelle je propose un amendement à l'étape de l'étude article par article. Il est plus souple et rapide de modifier un règlement que de modifier une loi, ce qui n'est pas facile, d'après mon expérience.

Si nous voulons définir ce qui est « nocif pour la santé » dans un règlement, pouvons-nous compter sur l'Agence de la santé publique du Canada pour établir une définition qui répond aux pratiques exemplaires partout dans le monde? Je me sentirais à l'aise si une organisation formée de nombreuses personnes surveillait cela.

J'aimerais que vous parliez de cela et de la flexibilité qu'il faudrait, surtout en ce qui concerne le marketing numérique, qui est relativement nouveau. Nous devons contrôler cela, mais il serait impossible en ce moment d'inclure cela, car ce n'est pas vraiment défini. J'aimerais que vous me disiez si vous croyez que le processus de réglementation pourrait être assez solide pour englober 95 p. 100 de ce que le projet de loi appellerait de la « malbouffe » faisant l'objet de publicité s'adressant aux enfants. Dans le règlement, aurions-nous besoin d'inclure aussi les boissons avec édulcorants artificiels? Est-ce que cette définition devrait inclure d'autres catégories?

Mme L'Abbe : Je vais commencer par certaines de vos questions. Je ne pourrai pas répondre à toutes.

Je suis convaincue que nous pouvons définir les aliments nocifs pour la santé. Je veillerais à ne pas utiliser le terme « malbouffe », car bien des gens estimeraient que seuls les pires aliments entre tous répondraient à ce critère. Si on regarde cela de l'autre point de vue, vous voulez en fait seulement restreindre le marketing aux aliments les plus sains, qui se situent à l'autre extrémité du spectre. Autrement dit, c'est ce petit groupe d'aliments — les plus sains —, par opposition à ce que vous appelleriez de la « malbouffe », qui sont les pires entre tous. Les gens pourraient vous dire cela, ce qui minerait votre désir d'avoir, dans le règlement, une définition de « nocif pour la santé ». Je veillerais à bien définir cela ainsi, dans le règlement — une définition de « nocif pour la santé » — plutôt que de laisser entendre que ce n'est que la pire malbouffe qui est incluse dans la définition.

Je crois que oui. J'ai mentionné le règlement sur l'étiquetage rendu public par Santé Canada en décembre. Au bas du tableau de la valeur nutritive, on dit maintenant que la cible doit se situer sous les 5 p. 100 concernant les nutriments à restreindre. Ils nous ont déjà donné une orientation. Cela ne sert pas dans la réglementation, mais ils commencent au moins à nous donner de l'orientation.

Je crois que c'est possible. Ce qui me préoccupe, c'est que pour un processus de réglementation ouvert à la consultation, il y aura beaucoup d'activité visant à affaiblir les normes au fil du temps, et je crois que c'est un risque réel. Il faudrait que la définition soit rigoureuse. Il y a des exemples à utiliser; il ne faut pas permettre que cela devienne de plus en plus clément, car il y aura manifestement beaucoup de pressions pour cela.

Mme Potvin Kent : Je crois que l'Agence de la santé publique du Canada, de concert avec des experts de la santé publique, pourra mettre au point une définition solide de ce qui est « nocif pour la santé ». Il y a tant de profils nutritionnels; Mary en a examiné un grand nombre. Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue. Nous pouvons adapter un modèle qui sert ailleurs en fonction de nos aliments canadiens. C'est tout à fait faisable.

Je m'inquiète des conséquences non voulues de l'interdiction des aliments nocifs pour la santé. Je pense que ce qui pourrait se produire, c'est que les entreprises d'aliments et de boissons reformulent de nombreux produits et en fassent un marketing tout juste conforme. Les aliments auraient donc un peu moins de sucre, alors qu'avec un peu plus de sucre, ils seraient bannis — ce genre de choses. Je pense que le suivi de ce genre de système serait beaucoup plus lourd que si nous avions une approche axée sur tous les aliments.

Si l'approche axée sur tous les aliments n'est pas possible — s'il y a un risque de contestations d'ordre constitutionnel —, il faut envisager l'approche axée sur tous les produits, car je pense qu'il y a un trop fort risque de conséquences non voulues dans le cas de l'approche axée sur les aliments nocifs pour la santé seulement.

La surveillance est absolument essentielle. C'est l'un des gros problèmes au Québec, avec la Loi sur la protection du consommateur. Personne n'exerce de surveillance. Ils ont envoyé un guide aux parents, il y a quelques années, pour leur expliquer la loi, mais je ne sais pas combien de parents ont le temps d'appeler à l'Office de la protection du consommateur pour porter plainte au sujet d'annonces publicitaires. Quelques ONG portent plainte auprès du gouvernement, mais le personnel de l'office québécois est nettement insuffisant. Il n'y a qu'une avocate et une personne qui l'assiste. C'est là l'équipe qui s'occupe de la protection du consommateur et de toute infraction relative à la publicité s'adressant aux enfants au Québec. De toute évidence, il faut beaucoup plus de personnel pour un programme de surveillance convenable.

M. Jeffery : J'aimerais revenir sur quelque chose que la sénatrice Stewart Olsen a dit à propos des données. Deux examens systématiques de la documentation ont été menés il y a environ 10 ans au Canada et aux États-Unis : le rapport publié par le Hastings Centre et le rapport de l'Institute of Medicine des États-Unis, sur la publicité de la malbouffe s'adressant aux enfants. Selon ces rapports, la publicité amenait effectivement des changements de comportement chez les enfants. Il y avait une faible preuve du lien avec l'obésité, en partie grâce à une analyse rigoureuse, ce qui fait que nous ne tâtonnons pas dans l'obscurité complète. Il s'est fait beaucoup de recherche.

J'aimerais réagir à une chose que la sénatrice Raine a dite. Je ne dis pas qu'un tribunal invaliderait complètement l'interdiction de la publicité de toute nourriture ou de la malbouffe. Je dis simplement qu'il y a une vulnérabilité si les entreprises alimentaires s'y attaquent. C'est ce qui m'inquiète — cela, et que nous soyons obligés de revenir ici dans deux ans, par exemple.

Je crois que le profilage nutritionnel est important et que la ministre de la Santé s'est engagée à cela, pour l'étiquetage. Un article dont Mary est coauteure va bientôt être publié dans la Revue canadienne de santé publique, pressant la ministre de la Santé de ne pas regarder que les quantités de sel, de sucre et de gras saturé, mais de se pencher aussi sur les ingrédients que les produits contiennent. Je ne crois pas que nous devrions penser à définir la « malbouffe ». Nous devrions penser à définir les aliments vraiment sains compte tenu des réserves que j'ai émises plus tôt au sujet de l'approche fondée sur les aliments.

De nombreux pays envisagent cela en ce moment. La Commission du Codex Alimentarius, qui établit les normes internationales pour le commerce et les aliments, envisage en novembre d'entreprendre la négociation d'une norme mondiale pour ce qu'on appelle l'« étiquetage nutritionnel à l'avant des emballages », ce qui exigerait qu'on tienne compte d'un bon nombre de ces facteurs.

Le problème, en passant du recours au profilage nutritionnel dans l'étiquetage, quand l'information se trouve directement sur le produit qui contient l'aliment, à la publicité, c'est que le lien est moins ferme. Vous placez un logo sur un aliment, et les gens pensent : « C'est du Coke Diète ou du Coke », peu importe, mais ces choses pourraient tomber dans deux catégories différentes. Le logo de McDonald's peut apparaître sur le Joyeux festin qui contient des carottes, du lait 1 p. 100 et une protéine qui est nutritive. C'est bon et vous pouvez en faire la publicité, mais cela attire les gens chez McDonald's, et c'est à cause de cela que c'est problématique.

Mme L'Abbe : Il existe des systèmes dans de nombreux pays, en Norvège, en République tchèque et dans quelques autres pays de la région de l'Organisation mondiale de la Santé, qui interdisent tous les aliments contenant des édulcorants ajoutés. Cela n'a rien d'exceptionnel. C'est incorporé dans bon nombre de systèmes de profilage. En République tchèque, il ne doit pas non plus y avoir de caféine ajoutée. Les gens se sont fondés sur des limites liées aux nutriments, mais ils ont inclus dans la loi qu'il est interdit d'ajouter certains des autres ingrédients. Par exemple, on voit souvent l'interdiction d'ajouter un édulcorant, quel qu'il soit, dans des produits dont on fait la publicité aux enfants.

Le sénateur Eggleton : Nous parlons beaucoup d'émissions de télévision. Bien entendu, il y a d'autres moyens de faire de la publicité s'adressant aux enfants. Internet et les réseaux sociaux font tous partie de cela. Vous pourriez nous parler de cela.

J'aimerais que nous parlions de télévision, parce que le projet de loi ne comporte pas d'interdictions pour les diffuseurs de l'autre côté de la frontière. La grande majorité de la population canadienne vit assez près de la frontière pour capter le signal télé venant de l'autre côté. Au Québec, la situation pourrait être la même, sauf qu'il y a la protection linguistique concernant la diffusion en français. Cependant, si vous vivez à Montréal, vous pouvez recevoir les émissions de stations américaines, tout comme à Toronto et à Vancouver. Vous avez là les trois plus grandes villes.

Que pouvons-nous faire à ce sujet? N'y a-t-il rien à faire?

Mme Potvin Kent : Les médias transfrontaliers font problème. En fait, dans le cadre d'une étude que j'ai menée il y a quelques années, j'ai constaté que les Québécois anglophones n'étaient pas aussi bien protégés par la Loi sur la protection du consommateur que les Québécois francophones, parce qu'ils regardent les émissions provenant de l'autre côté de la frontière, et c'est la même télé anglophone partout.

Nous ne pouvons pas réglementer ce qui se fait à l'extérieur de nos frontières, mais nous pouvons certainement réglementer ce que les entreprises d'aliments et de boissons font sur notre territoire. Je crois que cela aurait quand même un effet important sur les environnements des enfants. Pensez à tous les divers environnements, des affiches qui sont à l'extérieur aux commanditaires, en passant par toutes les formes variées de médias. Bien sûr qu'il y aura une faible exposition aux médias d'autres pays. Nous avons de la chance de n'avoir à nous occuper que d'un seul pays — en Europe, chaque pays est entouré de multiples pays —, mais je pense quand même que de concentrer notre attention produirait beaucoup d'effet.

Particulièrement en ce qui concerne les jeunes enfants, je veux aussi mentionner que leurs émissions préférées ont tendance à être diffusées par des stations canadiennes, alors ils n'ont pas accès à tout. Leurs parents choisissent habituellement pour eux une station en particulier, et beaucoup de ces enfants regardent des émissions provenant de stations canadiennes.

La télé n'est pas un média en déclin. Le Canadien moyen continue de regarder la télé deux heures par jour, et c'est là que les entreprises d'aliments et de boissons consacrent la plus grande partie des fonds qu'ils affectent à la publicité s'adressant aux enfants — toujours à la télé.

On met beaucoup l'accent de nos jours sur le marketing numérique des aliments et boissons, et il peut prendre toutes sortes de formes. Je ne sais pas si vous voulez que je vous explique les différents types de marketing numérique qui existent.

Le sénateur Eggleton : On nous les a déjà présentés.

Mme Potvin Kent : On vous les a déjà présentés? Très bien. Il y a tellement de façon de cibler les enfants dans les publicités numériques. Encore une fois, c'est sûr que la publicité transfrontalière a des effets, mais il faut bien commencer quelque part. Nous pourrions essayer de collaborer avec les Américains, évidemment, pour changer la donne, mais les enfants resteront toujours un peu exposés aux publicités venant de l'extérieur de nos frontières, cela ne fait aucun doute.

M. Jeffery : Il faut reconnaître que bon nombre des émissions de télévision américaines que les Canadiens regardent au Canada leur sont accessibles grâce aux réseaux de câblodistribution canadiens et aux réseaux des sociétés de télécommunications. Ils captent relativement peu d'émissions directement des chaînes américaines comme NBC, CBS et Fox.

De même, on oublie parfois que les aliments offerts sur le marché canadien ne sont pas identiques à ceux offerts sur le marché américain. En fait, si l'offre de beaucoup de grandes chaînes de restaurants est semblable dans les deux pays, il en va autrement à l'épicerie. Pour avoir moi-même travaillé pendant des années au sein d'une organisation présente au Canada et aux États-Unis et avoir vu des tonnes de comparaisons de produits, je sais que moins de 5 p. 100 des produits offerts sont identiques dans les deux pays. Quand on voit une publicité à la télévision américaine, il y a de fortes chances qu'on ne puisse pas acheter le produit au Canada. La publicité peut donner envie de manger un bonbon ou quelque chose du genre, mais bien souvent, on ne pourra pas trouver exactement le même ici.

Le président : Essayez-vous de dire, monsieur Jeffery, que les émissions américaines diffusées grâce aux réseaux de distribution canadiens sont assujetties aux règles canadiennes en matière de publicité?

M. Jeffery : Exactement. Elles sont assujetties aux lois canadiennes. En fait...

Le président : Prenons l'exemple du Super Bowl.

M. Jeffery : ... d'autres canaux pourraient être assujettis aux lois canadiennes.

Le président : Je comprends ce que vous voulez dire. Vous avez mentionné que probablement 5 p. 100 des publicités dans la catégorie...

M. Jeffery : Je ne suis pas certain du pourcentage exact.

Le sénateur Eggleton : Puis-je vous lire un extrait du projet de loi qui porte là-dessus? Je l'interprète peut-être mal.

Exception : Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la distribution en vue de la vente de publications importées au Canada ou à la retransmission d'émissions provenant de l'étranger.

M. Jeffery : D'où vient cet extrait?

Le sénateur Eggleton : Il est tiré du projet de loi S-228.

M. Jeffery : Voulez-vous savoir si je trouve que c'est une bonne idée ou non?

Le sénateur Eggleton : Oui. Vous avez des compétences juridiques.

M. Jeffery : La sénatrice Raine et moi en avons discuté, et je suppose que c'est une décision pratique.

Je pense qu'il serait intéressant d'adopter un règlement plus strict qui s'appliquerait aux signaux provenant d'autres pays pour voir ce qui se passerait, pour voir si les sociétés privées visées insisteraient pour ne pas être obligées de suivre les lois canadiennes. D'une certaine façon, c'est une forme d'autocensure, mais je comprends la volonté de la sénatrice Raine que ce projet de loi soit adopté sans faire trop de vagues.

Mme L'Abbe : J'aimerais mentionner trois choses. Pour réagir à ce que Bill vient de dire, et vous avez vous-même mentionné le Super Bowl, cela illustre bien que beaucoup d'émissions de télévision sont rediffusées ailleurs, si bien que les espaces publicitaires sont souvent revendus à des annonceurs canadiens. C'est une pratique assez courante chez les radiodiffuseurs. Il ne faut pas l'oublier. Je pense que le Super Bowl est un exemple de cas où les annonceurs ne paient pas de droits pour diffuser leurs publicités au Canada et vice versa.

Ensuite, je sais très bien, pour avoir déjà travaillé à Santé Canada, que quand on applique le Règlement sur les aliments et drogues, notamment pour ce qui est de l'étiquetage des aliments, les aliments vendus au Canada doivent respecter la réglementation canadienne. Ainsi, les aliments produits aux États-Unis doivent porter une étiquette conforme aux normes canadiennes et non américaines.

Évidemment, c'est par règlement qu'on peut prescrire que tout ce qui est vendu au Canada doit respecter la réglementation canadienne. Est-ce que cela pourrait s'appliquer de façon générale à d'autres biens? Je parle ici du marketing. Je n'en suis pas certaine, mais il est très courant dans le monde que les produits alimentaires doivent respecter les normes réglementaires et d'étiquetage du pays où ils sont vendus.

Le sénateur Dean : C'est la nature même d'un règlement. Nous en connaissons un bail sur la réglementation. Nous savons notamment que les groupes réglementés préfèrent toujours les normes volontaires, mais que ce modèle ne produit généralement pas les résultats escomptés et que les gouvernements finissent par constater qu'ils doivent réglementer.

On constate le plus souvent des comportements parfois imprévus ou imprévisibles d'évitement volontaire. On a déjà abordé l'évitement volontaire. Le pouvoir réglementaire offre plus de marge de manœuvre. Il peut y avoir des choses auxquelles nous n'avions pas pensé, et il peut y avoir des choses auxquelles d'autres avaient pensé, si bien qu'ils sont prêts à changer de stratégie.

Si l'on analyse les différents modèles qui existent dans le monde, y a-t-il des pistes qui pointeraient vers les efforts d'évitement? Le but est d'intervenir en amont. Comment pouvons-nous les devancer? Qu'en pensez-vous?

M. Jeffery : Premièrement, j'essaierai d'être optimiste en disant que les effets imprévus ne sont pas tous négatifs. L'exemple du Québec est intéressant. L'étude réalisée il y a plusieurs années sur la consommation de malbouffe a révélé que les restrictions applicables à la publicité de malbouffe s'adressant aux enfants semblent avoir fait diminuer la consommation de malbouffe non seulement chez les enfants, mais aussi chez leurs parents, un résultat qui n'avait pas vraiment été prévu, mais évidemment, ce sont les parents qui emmènent les enfants au restaurant. C'est là un effet positif qui n'avait pas été prévu.

Pour ce qui est des leçons qu'on peut tirer de l'expérience internationale, l'UNICEF a publié un rapport, que je n'ai pas encore fouillé mais que je pourrais transmettre au comité, qui présente un portrait des différentes règles en matière de publicité qu'on trouve dans le monde. Je pense que ce rapport a été publié en décembre 2016.

L'un des éléments importants qui en ressortent, c'est que dans la plupart des pays qui restreignent la publicité s'adressant aux enfants, les règles imposées sont très nouvelles. Je pense que la Suède a adopté les siennes en 1990 et la Norvège en 2000, donc le modèle du Québec est de loin le plus ancien. Tous les autres sont très récents. Certains... Je ne me rappelle plus lequel, mais c'est peut-être celui de la Thaïlande qui s'applique aux heures de grande écoute. Ainsi, les publicités s'adressant aux enfants sont restreintes deux heures par jour. Je vous avouerai que ce n'est pas mon modèle de prédilection, parce que les 22 autres heures sont ouvertes. Je pense que cela donne une bonne idée de la puissance de l'industrie qui s'y oppose, donc je vous dirais de ne pas l'oublier.

Le président : Monsieur Jeffery, je ne comprends pas bien ce que vous venez de nous dire. L'an 2000 date déjà de 17 ans. On parle d'enfants. L'obésité infantile pourrait facilement être mesurée selon les changements dans la répartition de la population générale. Une période de 17 à 25 ans est une longue période pour cette tranche d'âge, n'est-ce pas?

M. Jeffery : Ne vous méprenez pas, je parlais de l'expérience des organismes de réglementation pour lutter contre ce problème. Mais oui, c'est amplement suffisant pour évaluer l'effet de ces politiques. Ont-elles été évaluées? C'est une tout autre question.

Le président : C'est juste. Je tenais à ce que ce soit bien clair.

M. Jeffery : Je ne peux rien extrapoler à partir des données de la Suède ni de la Norvège.

Le président : Vous pourriez peut-être essayer et nous envoyer les résultats.

M. Jeffery : Non, je ne le ferai pas.

Le président : Autre chose à ce sujet?

Mme Potvin Kent : J'allais dire une chose. Cherchez-vous à savoir quelles seraient les échappatoires possibles si nous ciblons les aliments malsains?

Le sénateur Dean : Je cherche à savoir s'il y a des tendances tangibles dans les différents pays qui en ont fait l'expérience, à notre connaissance? On parle de méga-entreprises, très riches, pour le moins, qui ne semblent pas rechigner à dépenser 90 p. 100 de leur budget de publicité pour promouvoir des aliments indéniablement mauvais pour la santé. On parle de risque de préjudice.

Nous savons que dès qu'on essaie de limiter les risques de préjudice, il y a des personnes et des entreprises futées qui feront tout pour éviter ces stratégies. Que savons-nous de leurs tactiques? Vous en avez donné un exemple, que j'ai repris, qui consiste à diffuser des publicités qui dépassent tout juste la limite pour réussir à atteindre le public cible.

Mme Potvin Kent : J'ai un bon exemple à vous donner. Au Québec, on a constaté qu'il y avait énormément de publicités destinées aux adolescents pendant certaines émissions. Comme les restrictions portent sur les moins de 13 ans, donc sur les enfants jusqu'à 12 ans, les annonceurs ciblent les jeunes de 13, 14 et 15 ans. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est si important de rehausser la limite d'âge. Qu'est-ce qui intéresse un enfant de 11 ou 12 ans? N'importe quoi qui puisse intéresser un jeune de 14 ou 15 ans, et c'est l'une des conséquences du plafond de 13 ans qu'on trouve dans la loi du Québec.

Mme L'Abbe : J'aimerais brièvement mentionner l'exemple du Royaume-Uni, qui a opté pour une stratégie que je qualifierais de modeste pour encadrer les publicités ciblant les enfants. Au départ, la loi visait les publicités à la télévision. Je suppose que le gouvernement essayait d'être juste et de ne pas trop heurter les gens au départ. Presque 10 ans plus tard, les Britanniques estiment s'être dotés de normes trop faibles et trop faciles à respecter. Ainsi, certaines des pires publicités n'ont été que très légèrement modifiées et soudainement, elles peuvent de nouveau cibler les enfants. Le problème est tel que si les restrictions sont trop modestes, il est très facile de n'apporter que des modifications minimes, puis de reprendre la même stratégie de marketing.

M. Jeffery : J'ajouterais que l'un des exemples les plus utiles, à mon avis, est celui du Québec, beaucoup plus près de nous. Pendant des années, l'Office de la protection du consommateur était sous-financé, si bien qu'il avait bien du mal à faire appliquer les lois, mais une coalition non gouvernementale est alors apparue, la Coalition Poids, et a commencé à déposer des plaintes officielles à l'Office de la protection du consommateur. Les membres de cette coalition se sentaient le devoir d'examiner minutieusement la question, ce qui a mené à bon nombre d'amendes et à de bonnes mesures réglementaires. Cela a un peu ouvert les yeux au gouvernement.

Je pense que s'il y a une leçon à tirer de cette expérience, c'est qu'il pourrait être pertinent de créer un fonds un peu comme celui du CRTC pour venir en aide aux entités indépendantes désireuses de contester les pratiques de Bell, de Rogers et des autres grandes sociétés, afin que ces dernières restent vigilantes et respectent la nouvelle réglementation.

La sénatrice Stewart Olsen : Je serais aussi curieuse de savoir si vous avez réfléchi à la publicité destinée aux adultes. Ce ne sont pas les enfants qui achètent les aliments, ce sont les adultes. Avez-vous réfléchi au fait que nous en sommes presque à la troisième génération d'amateurs de malbouffe? Est-ce vraiment la publicité s'adressant aux enfants qui attire les enfants ou celle ciblant les deuxième et troisième générations d'adultes, qui les amènent à manger des aliments mauvais pour la santé? Avez-vous étudié la chose?

Mme L'Abbe : J'aimerais faire une observation. Il s'agit d'une pièce du casse-tête. La lutte contre l'obésité doit se mener sur plusieurs fronts. Je pense notamment à la présentation des menus. Il n'y a qu'en Ontario qu'il y a des règles à cet égard en ce moment. Ce n'est qu'un modeste outil, mais il cible tout le monde. Il ne cible pas que les enfants et les adolescents, bien que ce soit eux qui mangent le plus souvent dans ce genre d'établissements. Les adolescents sont les plus grands consommateurs de malbouffe. Ce n'est qu'un morceau du casse-tête.

L'un des phénomènes sur lesquels il y a pas mal de données probantes, c'est le pouvoir du harcèlement, quand les enfants harcèlent leurs parents pour acheter ce qu'ils veulent, ou l'inverse. C'est l'une des choses qu'on constate. Les parents voient des gammes entières de produits destinés aux « enfants » ou aux « jeunes », que les entreprises présentent aux parents comme des aliments santé pour les enfants. C'est une autre échappatoire : rien ne dit qu'on ne peut pas cibler les parents, pour des produits du type boîte à lunch. Ce genre de publicité ne cible pas expressément les enfants, mais les parents, et les produits sont présentés comme des options pratiques pour l'école. C'est une autre façon de cibler les parents en général, parce que c'est le marketing s'adressant aux parents qui permet de vendre aux enfants.

Mme Potvin Kent : Je veux ajouter une chose. Deux des rapports que Bill a mentionnés, celui publié par l'Institute of Medecine en 2006 et celui publié par l'Université de Strathclyde, en Écosse, présentent une analyse systématique de la littérature scientifique et font ressortir des liens entre le marketing des aliments et des boissons et l'obésité, les préférences alimentaires, les demandes alimentaires et l'apport alimentaire. Les chercheurs ont trouvé des associations avec tous ces phénomènes. Ils le savaient. En gros, les deux groupes, qui ont travaillé de façon totalement séparée et ont utilisé des méthodologies différentes, ont tiré les mêmes conclusions.

La grande conclusion, c'est que la demande d'aliments et de boissons est très liée au marketing des aliments et des boissons. Si je me suis intéressée à ce type de recherche, c'est que j'avais un enfant de trois ans qui me demandait tous les jours d'aller au McDonald's. Puis, quand il a abandonné l'idée du McDonald's, il a jeté son dévolu sur Fruit by the Foot. Quand les enfants voient des annonces, ils demandent le produit.

Les parents sont très occupés. Quand ils s'occupent de leurs enfants ici et là, il y a aussi l'accès aux aliments qui entre en ligne de compte. Il y a de la malbouffe partout où ils vont, des aliments mauvais pour la santé. Les enfants voient et connaissent tous les produits malsains qui sont vendus. Où qu'ils aillent, ils harcèleront leurs parents encore et encore, et je ne crois pas que cela rende service aux parents. Je pense que toutes les restrictions au marketing ciblant les enfants aident les parents.

M. Jeffery : On dit souvent que les parents constituent la ligne de défense ultime, mais ce ne devrait pas être la seule. Soyons francs, les entreprises qui souhaitent mousser leurs ventes de malbouffe font de la publicité dans un seul et unique but : elles veulent vendre plus de malbouffe. Quand elles ciblent les enfants, c'est encore pire.

Je vois beaucoup de chiffres dans le cadre de mon travail, et je me rappelle qu'il y a quelques années, McDonald's se vantait de servir trois millions de clients par jour au Canada. Je n'en revenais pas de penser que presque 10 p. 100 de la population se rendait au McDonald's. Il se pourrait que des travailleurs aillent chercher un café deux ou trois fois par jour. Je ne sais pas. Ces chiffres ont un peu diminué depuis. C'est peut-être parce que la chaîne Tim Hortons a gagné en popularité considérablement au cours des 20 dernières années.

Je pense qu'il y a véritablement lieu de limiter le marketing ciblant les enfants, parce qu'il ne sert qu'à leurrer les enfants, et c'est ce qui le rend inacceptable. Il n'y a pas que moi qui le dise, c'est ce que les magistrats de la Cour suprême disent aussi.

Le président : Sénatrice Raine, avez-vous une dernière question à poser? Nous vous avions réservé la première. Voulez-vous poser la dernière? Reste-t-il des sujets que vous voudriez explorer ou avons-nous déjà pas mal touché tous les sujets pertinents avec ce panel?

La sénatrice Raine : Je pense que nous avons très bien fait le tour de la question. Je vous remercie infiniment du travail que vous faites dans votre domaine. Honnêtement, il peut être un peu décourageant d'essayer de prouver un lien de cause à effet. Quoi qu'il en soit, je crois que les membres du public avec qui j'en ai discuté, et particulièrement les parents comme nous tous, nous disent : « Aidez-nous, s'il vous plaît. » Après le rapport que nous venons de publier sur la hausse du taux d'obésité au Canada, le fruit est mûr. Nous savons que nous pouvons agir en ce sens. Je vous remercie de tout le travail que vous avez réalisé pour rendre cet effort possible.

Le président : Au nom du comité, je vous remercie de votre présence parmi nous. Vous avez assurément permis de lever le voile sur la situation. Vous êtes tous d'accord pour privilégier un modèle simple qui portera tout le poids de la loi et aura le pouvoir de changer la donne.

Sérieusement, vous nous avez permis de saisir toute l'ampleur de la chose et vous avez présenté une excellente perspective de tous les enjeux qui entourent une approche même constructive afin d'aider les enfants à se nourrir sainement pendant leurs années critiques de croissance. Comme nous l'avons appris dans notre étude, l'obésité est presque impossible à renverser passé un certain stade. Nous avons vu que dès qu'une tendance à l'obésité s'installe chez un enfant, il sera porté à prendre du poids toute sa vie. Il est donc primordial de trouver des moyens d'aider les familles et les enfants à manger sainement et à éviter de mettre le pied dans l'engrenage de la prise de poids. Nous savons que ce n'est pas qu'une question d'attitude; toute la biochimie du corps lui dicte de maintenir le poids qu'il a atteint.

C'est un problème très grave, et nous vous remercions infiniment de nous avoir fait profiter de votre expérience et de votre savoir.

(La séance est levée.)

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