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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 40 - Témoignages du 19 avril 2018


OTTAWA, le jeudi 19 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 31, afin de poursuivre son étude du projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bienvenue au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Art Eggleton, sénateur de Toronto et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de Toronto.

Le sénateur Campbell : Le sénateur Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

Le président : Le comité poursuit aujourd’hui son étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Nous entendrons aujourd’hui deux groupes de témoins. Nous entendrons le premier à compter de maintenant et jusqu’à midi, et le second de midi à 13 heures.

Nous accueillons aujourd’hui les représentants de quatre organismes. D’abord, Ian Culbert, directeur général de l’Association canadienne de santé publique. Ensuite, par vidéoconférence, la Dre Eileen de Villa, médecin-hygiéniste de la Ville de Toronto, que je connais bien, et Sudha Sabanadesan, agente d’élaboration des politiques. Enfin, ici en studio, pour ainsi dire, Christine Campbell, résidente en médecine familiale, du Collège des médecins de famille du Canada.

[Français]

Nous recevons également Lucie Granger, directrice générale de l’Association pour la santé publique du Québec.

[Traduction]

J’invite chacun des quatre groupes à faire une déclaration liminaire, et je vous saurais gré de vous en tenir à sept minutes. Nous commencerons par Ian Culbert, de l’Association canadienne de santé publique.

Ian Culbert, directeur général, Association canadienne de santé publique : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui alors que nous discutons d’une substance dont l’usage est interdit au Canada depuis près de 95 ans. Selon les historiens, la consommation de cannabis a été criminalisée au Canada bien avant d’être désignée comme un problème social. Il n’existe ni enregistrement de débats parlementaires, ni preuve de discours public, ni trace écrite ayant trait aux motifs de prohibition du cannabis. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis 95 ans.

Fait intéressant, l’alcool a fait l’objet d’une prohibition dans chaque province et dans chaque territoire du pays à un moment ou à un autre au cours du XXe siècle, mais la plupart de ces interdictions ont été levées au bout de quelques années seulement, et ce, même si le profil de risque de l’alcool est bien plus inquiétant que celui du cannabis. La substance présentant le pire profil de risque imaginable pour la santé est naturellement le tabac, qui n’a jamais été interdit.

Au nom de l’Association canadienne de santé publique, je trouve encourageant que le gouvernement du Canada s’engage à adopter une démarche axée sur la santé publique en ce qui a trait à la légalisation et à la réglementation du cannabis, comme en témoigne le projet de loi C-45. Ce projet de loi fournira la structure de gouvernance voulue pour gérer la vente de cette substance, tandis que les règlements en cours d’élaboration par Santé Canada couvriront les considérations opérationnelles. Aujourd’hui, je limiterai mes observations au projet de loi.

L’Association canadienne de santé publique estime que le projet de loi C-45 et que certaines des mesures prises par les provinces et les territoires vont dans la bonne direction. Au fur et à mesure que notre pays progresse dans la légalisation du cannabis, nous devons garder à l’esprit les leçons apprises par d’autres pays qui ont emprunté cette voie avant nous. Les organismes de réglementation doivent faire preuve de souplesse et savoir s’adapter à l’évolution des conditions du marché. Les investissements initiaux dans la promotion de la santé sont essentiels. Les organismes d’application de la loi et de santé publique doivent conjuguer leurs efforts. Et surtout, les intérêts du secteur privé, qui tire parti de la fabrication et de la vente de cannabis, cadrent rarement avec ceux de la santé publique.

J’ai eu l’occasion de lire la transcription de certaines de vos audiences antérieures, et je vais utiliser le temps dont je dispose aujourd’hui pour aborder certaines des préoccupations en matière de santé publique qui ont été soulevées par les membres du comité.

Vous avez entendu dire que le pays n’est pas prêt pour la légalisation. Malheureusement, nous n’avons pas le luxe d’attendre, car les Canadiens consomment déjà du cannabis, et parce que les préjudices individuels et sociaux associés au cannabis se font déjà sentir tous les jours. Nous avons besoin de cette mesure législative maintenant pour aider à réduire ces méfaits et à protéger le bien-être des Canadiens.

Vous avez entendu des préoccupations au sujet de l’âge légal pour consommer du cannabis, que le projet de loi fixe à 18 ans. L’Association canadienne de santé publique appuie cette disposition compte tenu du grand nombre de jeunes qui consomment déjà du cannabis, et nous recommandons que les provinces et les territoires fixent un âge légal pour consommer du cannabis correspondant à l’âge légal pour consommer de l’alcool. Cela réduira la confusion et facilitera la coordination des efforts de sensibilisation.

Les répercussions de la consommation de cannabis sur le développement du cerveau ont aussi soulevé des préoccupations. Si l’étude souvent citée constitue une pièce du casse-tête de la recherche, elle se concentre sur les jeunes qui consomment du cannabis quotidiennement et en grande quantité. Je pense que nous pouvons tous convenir que lorsqu’un jeune consomme une grande quantité de cannabis chaque jour, il y a lieu de s’inquiéter. Il y a tout autant de raisons de s’inquiéter d’un jeune qui boit beaucoup d’alcool tous les jours. Du point de vue de la santé publique, nous devons savoir ce qui amène l’enfant à consommer autant afin de cibler nos interventions en conséquence. Dans ce cas-ci, ce n’est pas le cannabis qui est en cause, mais un problème de santé émotionnelle, physique ou mentale plus important.

Certains membres du comité se sont demandé si ce projet de loi allait entraîner une réduction du nombre d’usagers du cannabis. Maintenant, je crois que nous assisterons sans aucun doute à une flambée de la consommation immédiatement après la légalisation en raison de Canadiens curieux qui essaieront le cannabis pour la première fois ou d’anciens consommateurs qui retourneront sur un marché réglementé plus sûr. Cette préoccupation est toutefois liée à notre compréhension du nombre de Canadiens, les jeunes en particulier, qui consomment du cannabis à l’heure actuelle.

Vous connaissez tous la statistique selon laquelle 21 p. 100 des jeunes de 15 à 19 ans ont déclaré en avoir consommé au cours de la dernière année. Cela semble beaucoup, même si cela signifie que 80 p. 100 des membres de la même cohorte n’ont pas consommé de cannabis au cours de la dernière année. C’est une donnée nationale, et c’est la meilleure mesure dont nous disposons.

Cependant, un sondage réalisé auprès des élèves de l’Ontario par le Centre de toxicomanie et de santé mentale a révélé que seulement 1 p. 100 des élèves de la 7e à la 12e année ont déclaré avoir consommé du cannabis quotidiennement au cours du dernier mois. Il s’agit de 1 p. 100 seulement, mais, naturellement, je suis très préoccupé par ce 1 p. 100, car ces élèves sont plus susceptibles de vivre un traumatisme dont ils essaient d’engourdir la douleur avec le cannabis. C’est là-dessus que nous devrions concentrer notre attention.

L’Association canadienne de santé publique appuie la loi actuelle, car la légalisation du cannabis facilitera les initiatives de réduction des méfaits axées sur les efforts visant à réduire au minimum les répercussions associées à la consommation de cannabis. La réduction des méfaits pourrait comprendre la fourniture d’un produit dont la puissance et la qualité sont connues, la prestation d’activités efficaces de promotion de la santé, la sensibilisation aux méthodes de consommation plus sûres et la mise en valeur des Lignes directrices de réduction des risques liés à l’utilisation du cannabis.

Un élément important de ces Lignes directrices de réduction des risques liés à l’utilisation du cannabis est la recommandation d’éviter de fumer du cannabis et d’utiliser d’autres méthodes d’administration comme le vapotage ou les produits comestibles. De ces deux méthodes, le vapotage est préférable, car les produits comestibles présentent des risques particuliers. Il est malheureux que le projet de loi actuel ne traite pas de ces solutions de rechange, mais le retard d’un an dans la réglementation de ces produits est à la fois raisonnable et compréhensible.

Des préoccupations ont été soulevées au sujet de la disposition sur la culture à domicile dans le projet de loi. Le fait est que les Canadiens ont le droit de cultiver leur propre tabac et de produire leur propre alcool à la maison. Par conséquent, il existe un précédent qui rendrait l’interdiction de la culture du cannabis à domicile susceptible d’être contestée devant les tribunaux. De plus, la culture du tabac et la production d’alcool à domicile comportent des risques comparables à la culture du cannabis à la maison, mais il n’y a ni épidémie d’empoisonnement chez les enfants ni d’autres répercussions.

Les organismes d’application de la loi laissent entendre qu’ils ne sont pas prêts pour la légalisation — je devrais dire certains organismes d’application de la loi —, surtout en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies. Puisqu’un grand nombre de Canadiens consomment déjà du cannabis illégalement, il est raisonnable de présumer que certains d’entre eux, une petite minorité, espérons-le, conduisent avec les facultés affaiblies. Si nous ne voyons pas aujourd’hui toute une série de collisions liées au cannabis, il est fort probable que cela ne se produira pas non plus après la légalisation.

Si la légalisation est retardée, l’important travail de promotion de la santé et d’éducation que presque tous vos témoins ont recommandé le sera également. Tant et aussi longtemps que la consommation de cannabis demeurera illégale, les professionnels de la santé et des services sociaux ne pourront pas conseiller les Canadiens sur les techniques de consommation de cannabis à faible risque.

Oui, nous avons besoin de plus de recherche. Oui, nous avons besoin de plus d’activités de promotion de la santé. Oui, nous aurons des défis à relever et nous devrons revoir nos approches, mais rien de tout cela ne pourra se produire tant que le projet de loi C-45 n’aura pas été adopté par le Sénat et n’aura pas reçu la sanction royale. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais maintenant passer à la vidéoconférence et demander à la médecin-hygiéniste de la Ville de Toronto, la Dre Eileen de Villa, de faire sa déclaration préliminaire.

Dre Eileen de Villa, médecin-hygiéniste, Unité de santé publique de la Ville de Toronto : Bonjour. Merci au président et aux membres du comité de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Comme vous venez de l’entendre, je m’appelle Eileen de Villa et je suis la médecin-hygiéniste de la Ville de Toronto.

Les observations dont je vous ferai part aujourd’hui illustrent la position de mon organisme, l’Unité de santé publique de Toronto, et du Toronto Board of Health, et se limiteront au projet de loi sur la consommation de cannabis à des fins non médicinales.

Nous appuyons l’objectif du projet de loi C-45, qui consiste à donner aux Canadiens un accès légal au cannabis et, ce faisant, à mettre fin à la pratique consistant à criminaliser les personnes qui consomment du cannabis à des fins non médicinales. Les répercussions d’un casier judiciaire comprennent des effets négatifs sur l’accès à l’emploi, le logement, la stigmatisation et le statut économique.

La recherche scientifique sur le cannabis en est à ses débuts. Nous savons toutefois que ce n’est pas une substance inoffensive. C’est une substance psychoactive dont les effets nocifs sont connus. Il est donc impératif de s’appuyer sur les principes de santé publique pour élaborer un cadre de réglementation afin de trouver un juste équilibre entre l’accès légal au cannabis et la réduction des méfaits de la consommation.

Les données sur la santé montrent que fumer du cannabis est lié à des troubles respiratoires, y compris la bronchite et le cancer. La consommation de cannabis nuit à la mémoire, à l’attention et à d’autres fonctions cognitives. La forte consommation de cannabis pendant l’adolescence a été associée à un risque accru de développer une dépendance et des déficiences au chapitre de la mémoire et de l’apprentissage verbal. La consommation de cannabis affaiblit également les capacités psychomotrices telles que la coordination motrice de même que l’attention, deux aspects liés à une préoccupation de santé publique clé, la conduite avec facultés affaiblies.

Une étude récente révèle que de nombreux jeunes Canadiens estiment que le cannabis affaiblit moins les facultés que l’alcool. Comme vous le savez peut-être, les accidents de la route constituent la principale cause de l’ensemble des maladies et des blessures entraînées par le cannabis au Canada. Outre le renforcement des peines pour conduite avec facultés affaiblies prévues dans le Code criminel proposé par le projet de loi C-45, la prévention de la conduite avec facultés affaiblies par le cannabis exigera une sensibilisation publique ciblée.

Je recommande que le gouvernement appuie les municipalités, les provinces et les territoires dans le cadre d’initiatives locales visant à dissuader les gens de conduire après avoir consommé du cannabis. En outre, je recommande que le gouvernement investisse dans la recherche afin qu’il puisse s’appuyer sur des données probantes dans l’élaboration de normes relatives à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue et qu’il entreprenne des recherches pour aider à établir des limites de consommation à faible risque pour le cannabis.

L’objectif clé déclaré du projet de loi C-45, qui consiste à empêcher les jeunes d’avoir accès au cannabis, est crucial dans l’adoption d’une approche de santé publique à l’égard de sa légalisation. Nous devons appliquer les leçons tirées du tabac et de l’alcool à l’élaboration d’un cadre stratégique approprié pour empêcher les jeunes de consommer du cannabis.

Des données probantes au sujet de la publicité sur le tabac montrent que celle-ci a une incidence sur le tabagisme chez les jeunes et que les interdictions de publicité exhaustives constituent le moyen le plus efficace de réduire le tabagisme et l’initiation au tabac. J’accueille favorablement les exigences du projet de loi C-45 relatives au maintien des règles actuelles de promotion et de commercialisation du tabac. Nous aimerions également que ces restrictions soient renforcées pour inclure la publicité dans les films, les jeux vidéo et d’autres médias accessibles aux jeunes.

Nous savons en outre que l’étiquetage et l’emballage sont utilisés pour faire la promotion du tabac et des marques de tabac. Les emballages neutres sont considérés comme un outil très efficace pour réduire le tabagisme. Il faudrait élaborer un règlement sur l’emballage neutre du cannabis semblable à ceux qui sont envisagés pour le tabac, en interdisant l’utilisation d’éléments de marque ou d’autres images promotionnelles et en prévoyant suffisamment d’espace pour présenter des mises en garde relatives à la santé et de l’information sur le produit.

Je félicite le gouvernement de ne pas légaliser l’accès aux produits comestibles à base de cannabis tant que l’on n’aura pas élaboré de règlements exhaustifs relativement à leur production, à leur distribution et à leur vente. L’expérience des États-Unis nous met en garde contre les défis posés par les produits du cannabis comestibles, y compris la consommation accidentelle par les enfants et la surconsommation attribuable au retard des effets psychoactifs de la drogue.

J’aimerais également attirer votre attention sur certaines des limites de la recherche actuelle sur le cannabis. Bien qu’il existe une quantité croissante de données probantes sur les effets du cannabis sur la santé, certaines des conclusions de la recherche sont incohérentes, voire contradictoires, et les rapports causaux n’ont pas toujours été établis.

La plupart des recherches qui ont été menées jusqu’à présent ont porté sur l’utilisation chronique fréquente, et il importe d’interpréter leurs résultats dans ce contexte. Il nous faut davantage de données probantes sur la consommation occasionnelle et modérée, puisque celle-ci représente la majorité de la consommation de cannabis. Je suis heureuse de constater que le gouvernement a annoncé du financement en ce sens, et je l’exhorte à appuyer le renforcement de la base de données probantes sur l’ensemble des répercussions sur la santé de la consommation de cannabis et, plus particulièrement, de la consommation occasionnelle et modérée.

Le projet de loi C-45 nous donne l’occasion de promouvoir une culture de modération et de réduction des méfaits du cannabis qui pourrait s’étendre à d’autres substances, et ce, surtout chez les jeunes.

En terminant, j’aimerais réitérer l’appui l’Unité de santé publique de Toronto envers l’intention déclarée du projet de loi C-45. Je saisis la complexité de l’établissement d’un cadre réglementaire. Puisque nous en apprenons encore sur les répercussions de la consommation de cannabis, le cadre juridique relatif au cannabis doit permettre le renforcement des politiques de promotion de la santé tout en réduisant l’influence des politiques axées sur le profit.

Sur ce, je vous remercie de votre attention. Ma collègue et moi serons heureuses de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, docteure, de votre exposé. Nous vous reviendrons avec des questions, j’en suis sûr.

Nous entendrons maintenant Christine Campbell, résidente en médecine familiale, du Collège des médecins de famille du Canada.

Dre Christine Campbell, résidente en médecine familiale, Collège des médecins de famille du Canada : J’aimerais d’abord vous remercier d’avoir invité le Collège des médecins de famille du Canada à discuter du projet de loi du point de vue des médecins de famille.

Le CMFC représente plus de 37 000 membres. Il s’agit d’un organisme professionnel responsable de la formation, de l’agrément et de l’éducation permanente des médecins de famille. Le CMFC accrédite la formation postdoctorale en médecine familiale dans les 17 facultés de médecine du Canada.

Je suis la Dre Christine Campbell. Je suis résidente de première année en médecine familiale et je travaille à l’Université Dalhousie, à l’Île-du-Prince-Édouard, et j’espère démarrer ma propre pratique de médecine familiale l’an prochain après avoir achevé ma formation.

Je tiens à signaler que la majeure partie du travail du collège porte sur l’utilisation du cannabis séché à des fins médicinales plutôt que récréatives. Toutefois, bon nombre des constatations que j’énumérerai aujourd’hui sont pertinentes à l’égard de la consommation récréative de cannabis.

La recherche montre que le cannabis séché est une substance psychoactive puissante qui peut entraîner des répercussions et des symptômes aigus et chroniques graves sur le plan cognitif, comme la somnolence, les pensées décousues, les étourdissements et la perturbation de l’humeur, ainsi que de graves effets indésirables à long terme, notamment la psychose.

Le trouble de dépendance au cannabis peut toucher jusqu’à un cinquième des personnes qui en consomment régulièrement. Il est le plus souvent observé chez les hommes, chez les personnes qui commencent à consommer du cannabis à un jeune âge et chez celles qui en consomment fréquemment.

La consommation de cannabis comporte des effets physiques aigus, dont l’hypertension artérielle, une fréquence cardiaque rapide et la sécrétion d’hormones du stress telles que l’adrénaline et la catécholamine. Divers rapports font état de jeunes qui ont subi une crise cardiaque peu après avoir consommé du cannabis.

La consommation chronique de cannabis séché a été associée à des déficits neuropsychologiques persistants, même après des périodes d’abstinence. Le fait de fumer beaucoup de cannabis peut constituer un facteur de risque indépendant d’altération de la fonction pulmonaire, de maladie pulmonaire obstructive chronique, de bronchite et de cancer.

S’il est plus faible que pour d’autres substances, le taux de dépendance au cannabis est d’environ 9 p. 100. Le taux de dépendance est d’environ 68 p. 100 pour la nicotine, de 21 p. 100 pour la cocaïne et de 23 p. 100 pour l’alcool.

Les troubles du fonctionnement cognitif et psychomoteur et de la mémoire peuvent nuire aux aptitudes nécessaires pour conduire, ce qui peut à son tour causer une augmentation des accidents de la route. Cette question exige d’être examinée beaucoup plus en profondeur compte tenu de la légalisation imminente du cannabis.

La recherche indique que les risques pour la santé liés au cannabis augmentent considérablement avec l’intensité et la fréquence de la consommation et qu’il s’agit d’un prédicteur solide des méfaits liés au cannabis.

J’aimerais maintenant parler de la consommation de cannabis chez les jeunes. Il pose un problème particulier chez les consommateurs de moins de 25 ans, dont le cerveau continue de se développer. Cette population présente un risque accru de subir les effets psychosociaux du cannabis, y compris les idées suicidaires, le trouble de dépendance au cannabis, la consommation de drogues illicites et les problèmes de santé mentale. Il a été démontré que les effets nocifs du cannabis sur le cerveau des adolescents sont plus graves que ceux touchant le cerveau des adultes, surtout dans le cas d’une utilisation persistante.

J’aimerais terminer sur une anecdote liée à ma résidence et à mon expérience. Pour optimiser ma formation, je dois passer par les différentes spécialités. En ce moment, je travaille à l’urgence. J’ai été étonnée de constater le nombre de patients qui arrivent régulièrement en état de psychose provoquée par le cannabis ou d’adolescents qui déclarent avoir consommé beaucoup de cannabis et qui présentent de grands signes d’anxiété, de dépression et de stigmatisation de la part de leurs parents et amis.

Le Collège des médecins de famille du Canada exhorte le gouvernement à faire participer les médecins de famille à la mise en œuvre de toute politique liée au cannabis à des fins récréatives ou médicinales, étant donné notre rôle de médecins de premier recours et notre expérience directe du soin de patients qui abusent de substances. Les médecins de famille demandent que les patients qui subissent des effets indésirables soient aidés, y compris ceux atteints des troubles de dépendance au cannabis et de préjudices au bien-être mental.

Enfin, il est important de préciser que les conseils formulés dans cet exposé ne concernent pas les répercussions de la légalisation proposée sur la société ou le système de justice. Ces considérations ne sont pas du ressort du CMFC et j’aimerais que mes remarques d’aujourd’hui ne soient pas considérées comme une prise de position dans un sens ou dans l’autre. C’est une question qui relève du Parlement ainsi que des organisations et des personnes ayant une expertise du Code criminel et de la réglementation des drogues contrôlées.

Merci beaucoup du temps que vous m’avez accordé et de l’attention que vous portez au point de vue du CMFC sur cette question. Nous sommes heureux d’avoir eu l’occasion de vous faire part de nos remarques et nous nous réjouissons à la perspective d’une collaboration continue.

Le président : Merci beaucoup, docteure Campbell.

[Français]

Nous entendrons maintenant, de l’Association pour la santé publique du Québec, Mme Lucie Granger, directrice générale.

Lucie Granger, directrice générale, Association pour la santé publique du Québec : Honorables sénateurs et sénatrices, je tiens d’abord à vous remercier de l’invitation et je profite de l’occasion pour saluer l’approche de réduction des méfaits contenue dans le projet de loi C-45.

Aujourd’hui, les yeux du monde entier se tournent vers le Canada. Cette loi aura un impact certain. Selon l’approche privilégiée, elle pourrait même constituer un modèle d’encadrement du cannabis en vente libre à suivre par tous les pays qui souhaitent privilégier une approche de réduction des méfaits. L’ASPQ estime qu’une politique responsable sur les drogues doit respecter les critères suivants : protéger les jeunes, car ils constituent les plus grands consommateurs de cannabis au Québec et au Canada; exercer un contrôle sur la substance et les produits dérivés et limiter leur accès; protéger la santé — le taux de THC du cannabis sur le marché noir varie entre 5 et 15 p. 100 —, car plus le taux de THC augmente, plus les risques pour la santé augmentent; favoriser la sécurité et le développement, car les risques associés à la vente de substances psychoactives sont plus élevés lorsqu’elles sont sous le contrôle du marché noir. Il s’agit de réprimer les actes de violence liés aux règlements de compte et aux autres sévices corporels, moraux et sociaux; et, enfin, diminuer le taux de criminalisation, puisque plusieurs Canadiens se retrouvent avec un casier judiciaire parce qu’ils ont été arrêtés pour possession simple, ce qui leur cause préjudice, entre autres, au chapitre de l’employabilité et de la mobilité.

Pour ces raisons, l’association salue l’approche du gouvernement et le courage de ce dernier d’aller de l’avant avec la légalisation du cannabis afin de permettre au Canada de sortir de l’ère de la prohibition. Toutefois, l’ASPQ s’inquiète de certains aspects précis du projet de loi et souhaite qu’il soit tenu compte de quatre importantes recommandations permettant de protéger la santé à long terme, ce que nous appelons « la santé durable ».

La promotion d’un produit ne touche pas seulement sa publicité, son emballage ou la commandite. Elle englobe toutes les stratégies de commercialisation utilisées par l’industrie pour diversifier, élargir et fidéliser une clientèle. Le projet de loi définit la promotion d’une chose ou d’un service comme suit :

[...] s’entend de la présentation de cette chose ou de ce service par tout moyen direct ou indirect sauf sur un emballage ou une étiquette — qui est susceptible d’influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements à leur sujet.

En ce qui a trait à l’encadrement du cannabis à des fins récréatives, le Canada doit mettre en place un ensemble de mesures visant à limiter la portée et l’impact des stratégies de promotion du cannabis. Lorsqu’il est question de promotion, l’ASPQ recommande au gouvernement de soumettre les producteurs autorisés de cannabis à des fins médicinales aux mêmes restrictions en ce qui a trait à la promotion, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous avons inclus quelques documents sous la rubrique « Publicité » où figurent des illustrations de ce que je vous explique.

L’ASPQ observe que les producteurs autorisés actuels appliquent différentes stratégies de marketing, notamment sur les médias sociaux. On peut penser à Twitter, Facebook et Instagram. La multiplication des sources de promotion s’apparente à ce qu’on retrouvait dans l’industrie du tabac à l’époque où il n’y avait aucune réglementation à ce sujet.

Actuellement, certaines compagnies de cannabis médicinal adoptent des stratégies de marketing qui vont bien au-delà de la promotion informative qui ressemble à celle-ci dans les documents du gouvernement.

Tweed détient, entre autres, la marque Leafs by Snoop, qui est présentée par le célèbre rapeur américain Snoop Dogg. L’utilisation d’une vedette dans une campagne de publicité est une stratégie de marketing connue, qui suscite chez les consommateurs un attrait indéniable. L’utilisation d’une vedette pour faire la promotion d’un produit inspire confiance et ajoute une dimension affective qui donne vie au produit. Elle lui donne du charisme, du caractère et du style. En somme, si on s’identifie à la vedette, on voudra se procurer le produit. L’ASPQ dénonce une telle stratégie qui ne vise pas un public ayant des problèmes de santé, mais plutôt le grand public. L’hypothèse voulant que la compagnie prépare le terrain en vue de la légalisation du cannabis récréatif demeure plus que plausible. L’ASPQ recommande donc au gouvernement d’interdire la « star stratégie » pour les produits du cannabis tant récréatif que médicinal.

La diversification et la multitude des produits, et le fait qu’ils soient vendus sous une forme comestible facilitent la consommation du cannabis « prêt à manger » et attirent une clientèle extrêmement variée. Toutefois, ils offrent une alternative de consommation généralement plus sécuritaire que les produits inhalés. Ils sont déjà présents sur le marché illicite. Donc, la question se pose à savoir si on doit offrir des produits qui feraient concurrence au marché noir, ou seulement des produits moins néfastes pour la santé.

Les produits comestibles, lorsqu’ils seront autorisés, devront se présenter sous une forme qui n’est pas attrayante pour les enfants, dans un emballage à l’épreuve de ces derniers et accompagnés de mises en garde indiquant que le temps d’action est plus lent, afin d’éviter une intoxication.

La question se pose également pour la cire et le shatter, qui peuvent contenir jusqu’à 90 p. 100 de THC. Il s’agit d’un choix difficile. Certains diront qu’on doit les autoriser puisqu’ils sont déjà sur le marché noir. Pour l’ASPQ, il est clair que la cire et le shatter doivent être interdits pour des raisons de santé publique.

Le dernier point concerne la traçabilité. Étant donné les cas de contamination aux pesticides rapportés au cours des deux dernières années par l’industrie du cannabis médicinal, l’ASPQ recommande la mise sur pied d’un système de traçabilité du produit de type de la semence à la vente pour assurer la sécurité des consommateurs.

L’historique du tabac nous démontre à quel point il est important de construire le projet de loi sur le cannabis sur des bases solides. Nous avons la chance ici d’enchâsser ses principes de base à même la loi et ainsi de préserver la santé durable des Canadiens et des Canadiennes. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Granger.

[Traduction]

Voici qui conclut les quatre premiers exposés. Nous allons donc passer aux questions et réponses. Chaque sénateur disposera de cinq minutes. Veuillez préciser à qui s’adressent vos questions, car l’intégralité du temps de parole serait employée si chacun des cinq témoins présents répondait à la question.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour vos exposés. J’aimerais vous adresser ma question, monsieur Culbert, mais je suis sûre que Mme Granger aimerait y répondre aussi, compte tenu de son exposé, ainsi que d’autres témoins.

Monsieur Culbert, nous avons entendu cette semaine beaucoup de témoignages sur la nécessité d’imposer une certaine limite à la teneur en THC du cannabis étant donné le lien connu entre les produits plus puissants et les risques pour la santé mentale. Dans la réponse de votre organisation à la consultation de Santé Canada sur l’approche proposée en matière de réglementation du cannabis, vous avez dit :

L’établissement de teneurs maximales de THC pour les produits sélectionnés est considéré comme un moyen d’aider les personnes à établir des habitudes de consommation sécuritaires. Par conséquent, l’ACSP appuie ces limites. Il est toutefois à noter qu’aucune concentration maximale de THC n’a été établie pour le cannabis séché ou frais. L’Association canadienne de santé publique est d’avis que des limites sont nécessaires afin de maintenir une homogénéité du produit pour la consommation, ce qui aide à réduire la probabilité de surconsommation.

Êtes-vous donc préoccupé par le fait que le gouvernement n’a pas encore indiqué qu’il établira une concentration maximale de THC pour le cannabis séché ou frais? Et pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont l’établissement de teneurs maximales en THC peut aider les gens à établir des habitudes de consommation sécuritaires? Merci.

M. Culbert : Merci de votre question, madame la sénatrice.

C’est notre position. Nous aurions aimé que des concentrations maximales de THC apparaissent dans la réglementation. C’est une situation difficile pour nous. Notre plaidoyer est fondé sur des données probantes. Malheureusement, rien ne permet de savoir ce que devrait être cette limite supérieure et c’est un domaine où, dans le cadre de la légalisation, davantage de recherches seront autorisées et nous devrions pouvoir établir cette limite à l’avenir. C’est l’une de ces situations où la charrue est un peu en avance sur les bœufs, mais à moins de légaliser, on ne peut pas faire de recherches. Nous en avons conscience.

Comme l’indique la publication Lignes directrices de réduction des risques liés à l’utilisation du cannabis, l’objectif est de faire en sorte que les gens commencent au plus bas niveau possible de concentration de THC afin qu’ils puissent adapter leur consommation. Ce n’est pas comme si la première fois qu’un jeune boit un verre, qu’il allait nécessairement prendre un scotch; on accompagne la personne pour que son corps puisse s’adapter.

La sénatrice Seidman : Je suis désolée, je ne veux pas être impolie, mais si vous me permettez de vous interrompre, j’aimerais citer quelque chose que vous venez de nous dire dans votre exposé.

M. Culbert : Bien sûr.

La sénatrice Seidman : Vous avez dit que les intérêts du secteur privé qui tire des profits de la fabrication et de la vente de cannabis étaient rarement alignés sur les intérêts de la santé publique.

M. Culbert : C’est exact.

La sénatrice Seidman : C’est tout à fait exact. Je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus.

M. Culbert : En effet.

La sénatrice Seidman : Je comprends qu’il n’y a pas de données scientifiques sur la limite maximale, mais nous avons entendu à maintes reprises des experts en psychiatrie et des chercheurs médicaux affirmer que 30 p. 100, par exemple, constituaient un niveau de THC extrêmement dangereux. Même si nous ne pouvons pas nous appuyer sur des essais cliniques contrôlés, ne pensez-vous pas, si nous voulons vraiment adopter une démarche de santé publique, que nous devrions avoir des réglementations très claires sur la teneur maximale en THC?

M. Culbert : Absolument. Dans notre première publication sur le sujet, nous demandions une limite maximale de 15 p. 100, avec des exceptions pour raisons médicales, en cas de circonstances particulières. Je disais simplement que je comprends pourquoi le gouvernement ne l’a pas fait. Il a essayé d’adopter une approche fondée sur des données probantes et il n’y a aucune preuve à l’appui de cette limite.

La sénatrice Seidman : Mais il est prouvé que 30 p. 100 est une...

M. Culbert : En effet nous savons que ces concentrations élevées sont dangereuses.

Le président : Y a-t-il d’autres remarques? Il ne vous reste que 30 secondes.

La sénatrice Seidman : Mme Granger a peut-être quelque chose à ajouter.

[Français]

Mme Granger : J’ajouterais simplement l’élément de la taxation qui devrait accompagner la préoccupation que vous soulevez. On le voit, la bière a un taux d’alcool entre 5 et 7 p. 100. Il y a des produits à 0 p. 100. Après cela, il y a le vin. Ce sera toute une gymnastique de trouver le pourcentage. Il est clair que les produits de 90 p. 100, comme je l’ai mentionné, ne devraient pas être autorisés.

L’autre aspect très important dans la cohérence, c’est l’accompagnement en ce qui concerne la taxation. Il faut que les produits qui initient à la consommation soient des produits qui aient un niveau de dangerosité faible.

La sénatrice Petitclerc : Merci à chacun de vous d’être ici, et merci de vos présentations qui nous informent et nous aident beaucoup.

[Traduction]

Ma première question s’adresse à vous, monsieur Culbert. À la fin de votre exposé, vous avez dit que nous avions besoin de plus de recherches, et j’aimerais vous entendre à ce sujet. Il semblerait, d’après ce que nous entendons, qu’il y a un manque de données à bien des égards, mais, d’un autre côté si je puis dire, un effet positif de la légalisation sera de nous permettre de recueillir plus facilement ces données et ces renseignements. Ai-je raison de dire que cela vous permettra d’avoir des données de référence et des données futures pour faire de la recherche? À quoi cela ressemblerait-il? En ce qui concerne le financement et l’organisation, pensez-vous que les 10 millions de dollars, par exemple, qui ont été annoncés seront suffisants? De quel genre de recherche avons-nous besoin?

M. Culbert : Oui, un cadre juridique vous permet de faire beaucoup plus facilement les recherches nécessaires. Une bonne partie des recherches dont nous disposons proviennent des États-Unis. Elles utilisent un cannabis de piètre qualité consommé dans des circonstances strictement contrôlées, alors ce n’est pas la qualité que nous souhaiterions. La légalisation au Canada permettra une explosion de la recherche. Nous avons besoin de toute une gamme de travaux, depuis la recherche en laboratoire sur la composition chimique du cannabis, jusqu’aux effets psychoactifs sur le corps humain, en passant par une dimension relevant davantage des sciences sociales, avec l’étude des interactions humaines, toute la gamme.

Les 10 millions de dollars que les Instituts de recherche en santé du Canada ont alloués constituent un bon point de départ. Il ne sera probablement pas utile de consacrer plus d’argent à cela dès le départ, parce qu’il faut des fonds de recherche régulièrement alimentés pour pouvoir tirer parti de cette recherche préliminaire. Il n’est pas nécessairement utile que trop de gens partent en tous sens. Le financement réservé au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances et à la Commission de la santé mentale du Canada est également très utile, parce qu’il s’agit d’un volet de recherches différent. Tout est nécessaire. C’est un bon début. Il est toujours possible d’en faire davantage, mais l’engagement à financer la recherche de façon continue sera crucial.

Le président : Voulez-vous que quelqu’un d’autre réponde?

La sénatrice Petitclerc : Oui, bien sûr.

Le président : Je crois que le bureau de santé publique de Toronto veut répondre.

Dre de Villa : Si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais ajouter qu’en plus de la recherche, je crois qu’il est important de mener des campagnes d’évaluation des efforts en cours, qu’il s’agisse de campagnes d’éducation publique, de campagnes de communication, de pédagogie autour de la conduite avec capacités affaiblies par la drogue et de certaines des observations que j’ai faites dans mon exposé. Je pense qu’il y a aussi d’importantes occasions de fournir des efforts d’évaluation, en plus des types de recherche décrits par M. Culbert.

Le président : Quelqu’un d’autre?

[Français]

Mme Granger : Je pense qu’il est très important d’avoir des données temps zéro pour avoir une réelle évaluation des impacts sur la santé et sur la sécurité des Canadiens. C’est clé. On écrit des pages de l’histoire en ce moment, et c’est le moment de définir les données qui nous permettront d’évaluer ce que la légalisation engendrera et la responsabilité du législateur dans le choix des politiques publiques qui seront plus ou moins sévères. On pourra aussi saisir les occasions d’effectuer une révision législative pour apporter des ajustements. Les informations temps zéro pour une évaluation des impacts sur la santé sont des facteurs clés.

La sénatrice Petitclerc : Je vais continuer sur ce point. Concernant ces évaluations temps zéro, vous voulez dire maintenant. À votre connaissance, est-ce qu’on est en train de le faire?

Mme Granger : Je pense qu’il y a des travaux. Il y a des gens qui réfléchissent. Est-ce qu’il y a une position concertée partout au Canada à cet égard? Car les provinces sont aussi en train d’élaborer leur législation. Alors, il est nécessaire de tenir un langage commun, d’avoir une compréhension commune et de partager des informations à ce sujet.

[Traduction]

M. Culbert : L’Association canadienne de santé publique est financée par Santé Canada. Nous faisons des consultations. Nous venons de terminer 23 consultations entre Rankin Inlet et Vancouver, en passant par St. John’s, lors desquelles nous avons discuté avec des fournisseurs de services de santé, de services sociaux et de services médicaux de leurs connaissances, de leurs attitudes et de leur sensibilisation aux centres de traitement. Nous recueillons ce genre de données de base.

Pour ce qui est de la surveillance dont nous avons parlé, il existe un certain nombre d’outils différents. La granularité des données est toujours le défi que posent les enquêtes nationales et c’est donc toujours le cri du cœur de la santé publique de dire que nous devons opérer une meilleure surveillance. C’est ce que nous avons à faire maintenant.

La sénatrice Omidvar : Merci à tous d’être ici. Ma question s’adresse à la Dre Campbell.

Docteure Campbell, vous avez recommandé que l’âge d’accès à la consommation légale de cannabis soit ramené de 18 ans, l’âge actuellement proposé, à 25 ans, mais nous savons que ce sont les 18 à 25 ans qui sont les plus grands consommateurs. J’aimerais que vous nous parliez des préjudices sanitaires et sociaux liés à l’accès continu et, j’imagine, constant des personnes de cette classe d’âge au marché illicite. D’un autre côté, si l’âge est fixé à 18 ou 19 ans, par exemple, ils auront accès à des produits réglementés dont le contenu sera indiqué sur l’étiquette avec une description des risques, et cetera, associés au produit, plutôt que d’acheter sur le marché illicite. Vous êtes médecin de famille, alors peut-être pourriez-vous nous dire quelques mots sur les préjudices pour la santé et la société de l’accès continu de cette classe d’âge au marché illicite.

Dre Campbell : Absolument, c’est une excellente remarque. Les recherches montrent qu’au Canada, l’âge moyen de l’initiation est de 17 ans. Chez 15 p. 100 des personnes atteintes de schizophrénie et de psychose, le cannabis en est la cause et la plupart du temps, c’est le cannabis consommé à l’adolescence. Le risque que cela se produise est plus élevé avant l’âge de 25 ans, et plus particulièrement avant l’âge de 21 ans.

Des modifications de la substance blanche dans le cerveau ainsi que des changements vasculaires dans le cerveau ont été documentés et l’imagerie par IRM montre des dommages irréversibles causés par la consommation répétée de cannabis. Les jeunes sont vulnérables, impressionnables et plus susceptibles de développer des habitudes comme les troubles de dépendance au cannabis, qui peuvent les affecter toute leur vie. Une fois que l’on est atteint de certaines maladies, on peut parfois revenir au cerveau prémorbide, mais c’est souvent impossible et pour ces gens, c’est tout à fait tragique.

La sénatrice Omidvar : Merci, docteure. Pourriez-vous nous parler des préjudices sociaux liés à la criminalisation des personnes qui ne pourraient pas légalement avoir accès au cannabis, conformément à votre recommandation d’établir l’âge minimum à 25 ans?

Dre Campbell : Oui. En ce qui concerne la criminalisation, c’est important. D’après ce que je comprends du projet de loi actuel, les peines liées à la criminalisation sont un peu disproportionnées. À mon sens personne ne devrait être criminalisé pour la possession de petites quantités de marijuana, mais je pense qu’il faut mettre en avant cette image publique grâce à laquelle chaque jeune est au courant des méfaits — comme cela a été fait au Canada pour le tabac — et est informé. En ce qui concerne la conduite automobile, les recherches menées au Colorado ont montré que le nombre d’accidents de la circulation mortels liés à la marijuana avait augmenté de 34 p. 100 entre 2013 et 2014. C’est aussi une chose à prendre en compte.

La sénatrice Omidvar : Merci.

J’aimerais demander à mes voisins de Toronto de se prononcer sur les préjudices sociaux causés par le recours continu au marché illicite, surtout en ce qui concerne les jeunes des minorités raciales. Vous et moi vivons dans une ville dans laquelle les jeunes noirs sont trois fois plus incarcérés que les autres consommateurs de cannabis. Pouvez-vous décrire les préjudices sociaux qu’ils subissent actuellement?

Sudha Sabanadesan, agente d’élaboration des politiques, Unité de santé publique de la Ville de Toronto : Absolument. Comme je l’ai dit, il y a un nombre disproportionné de personnes issues des minorités raciales qui ont un casier judiciaire pour simple possession de cannabis. L’un des aspects importants de l’accès légal pour les jeunes est qu’ils seraient alors plus ouverts à l’accès au traitement. Nous pourrions fournir des services, faire de l’éducation, discuter avec les jeunes et les amener à faire appel aux services de réduction des méfaits ou de prévention que nous offrons. De plus, au niveau local, nous sommes déjà engagés auprès des jeunes pour que le dialogue soit beaucoup plus ouvert et pour qu’ils parlent librement de leur consommation. La légalisation à partir de 18 ou 19 ans permet cela.

De plus, pour aller de l’avant en discutant avec les jeunes au sujet du cannabis, nous pouvons également attirer leur attention sur d’autres substances. Il ne s’agit pas seulement du cannabis; il faut simultanément s’attaquer au tabac, à l’alcool et aux autres drogues. Je sais que des recherches ont révélé que le cannabis est présent chez les personnes qui se sont rendues coupables de conduite avec facultés affaiblies, mais une bonne partie de ces recherches montrent également que d’autres substances s’ajoutent au cannabis.

Encore une fois, il faut faire davantage de recherches dans ce domaine pour déterminer les effets conjugués de plusieurs substances, mais aussi pour faire participer cette classe d’âge, celle qui prend le plus de risques, entre 18 et 25 ans. Travailler à leur participation est probablement l’une des choses les plus importantes à faire en ce moment.

Le sénateur Campbell : Merci de votre participation.

Docteure Campbell, pouvez-vous me dire quelle est la source concernant les crises cardiaques causées par la marijuana? En 40 ans, je n’ai jamais entendu parler de cela. Depuis 40 ans que je travaille dans ce domaine, je n’ai jamais entendu cela. D’où cela vient-il?

Dre Campbell : Cela vient d’un document du Collège des médecins de famille du Canada, qui a fait une analyse documentaire de toutes les recherches effectuées à des fins médicinales sur la marijuana et ses conséquences. J’ai donc puisé cette information dans le résultat de cette analyse, à laquelle j’ai participé avec d’autres membres du CMFC. Je pourrai également vous en dire davantage sur la recherche qui sous-tend l’utilisation du cannabis à des fins médicinales et thérapeutiques.

Le sénateur Campbell : L’un des problèmes que j’observe constamment ici, ce sont les statistiques qui sont brandies, y compris celle que vous avez utilisée, selon lesquelles le nombre de décès liés à la circulation est plus élevé. Je dois vous dire qu’une étude vient d’être publiée par l’American Journal of Public Health, une revue très prestigieuse, qui n’a révélé aucune augmentation des accidents de la circulation mortels au Colorado et dans l’État de Washington par rapport à des États semblables, après la légalisation. Je m’inquiète vraiment vis-à-vis de toutes ces données contradictoires qui ne cessent de nous arriver, surtout en ce qui concerne les jeunes.

Je crois me souvenir que nous avons évoqué le chiffre de 1 p. 100 de la population qui se trouve en difficulté. D’après mon expérience, cela n’a pas changé au fil des ans. Il y a 1 p. 100 des élèves dans les écoles dont nous devrions nous occuper, pas 99 p. 100. D’après mon expérience — et j’aimerais savoir ce que vous en pensez —, les personnes qui font partie de ces 1 p. 100 de la population qui sont en danger ont souvent recours à l’automédication pour d’autres raisons, le genre de choses que nous traversons à l’adolescence. Nous sommes tous passés par là; nous connaissons tous ces difficultés. Je pense donc que nous devrions faire attention à cela.

Deuxièmement, il est sans cesse question de la dose et des niveaux de THC. Nous parlons de plantes séchées ou fraîches. Je peux vous dire qu’il n’existe pas de marijuana fraîche. On ne fumerait pas de la marijuana fraîche, alors tout est séché. Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que l’une des difficultés que nous avons est qu’il n’y a pas d’homogénéité au sein d’une culture de marijuana? Peu m’importe que vous la contrôliez aussi étroitement que possible. Nous imaginons que la marijuana est un produit chimique et que, comme l’alcool, nous pouvons la décomposer en dixièmes. Puis-je savoir ce que vous en pensez? Y aura-t-il des recherches qui nous diront qu’en fin de compte, il ne s’agit pas d’alcool? C’est une substance végétale. La recherche nous dira-t-elle comment mesurer cela? Comment évaluer une culture de 4 000 pieds carrés? Nous savons que le taux de THC sera très différent selon toutes sortes de facteurs. Ma question s’adresse à M. Culbert.

M. Culbert : Il s’agit, dans une certaine mesure, d’un produit agricole. Les variations des apports en eau, en minéraux et en lumière du soleil modifieront la composition de cette plante. Je pense que beaucoup de gens très intelligents sont payés pas mal d’argent par l’industrie pour continuer à perfectionner ces plantes.

On ne pourra jamais dire que cette plante aura toujours 12 p. 100 de THC. Je pense qu’il y a peut-être des cultures où vous pouvez dire que le taux se situe entre 9 et 14 p. 100, vous avez alors une idée générale.

De plus, les différentes souches ont des qualités différentes en ce qui concerne l’effet psychoactif ou son absence. Les connaisseurs du cannabis en savent beaucoup à ce sujet. Ce n’est certainement pas le cas du grand public. Je pense que la recherche rattrapera son retard avec le temps.

Vous avez tout à fait raison au sujet des statistiques. Nous avons beaucoup à apprendre du Colorado et de l’État de Washington. J’ai pu faire des visites d’étude là-bas, mais l’une des choses que nous avons apprises, c’est que les statistiques qui seront publiées au cours des cinq premières années n’auront aucune valeur. Nous avons vu des hausses du nombre d’hospitalisations, mais en creusant un peu plus, il s’agissait de personnes extérieures à l’État qui n’avaient pas eu accès aux campagnes d’éducation et de promotion de la santé. Ce sont donc les nuances des statistiques qui sont vraiment importantes. Vous avez tout à fait raison; nous devons être très prudents et c’est ce que j’essaie de faire.

Le sénateur Munson : Je crois que j’ai besoin que l’on me prescrive quelque chose à des fins médicinales aujourd’hui.

Parfois, quand je vous entends parler de la légalisation de la marijuana et de la réglementation du cannabis, j’ai l’impression que c’est la fin du monde tel que nous le connaissons. Pourtant, monsieur Culbert, vous avez mentionné que la démarche de santé publique du gouvernement vous inspirait confiance. Nous semblons perdre de vue le fait que le tabac a toujours été légal, que l’alcool a été légalisé et que nous n’avons jamais véritablement adopté de démarche de santé publique à l’égard de l’un ou l’autre de ces produits. Notre pays aurait mieux fait d’adopter une démarche de santé publique, plutôt que de poursuivre l’industrie du tabac, par exemple. Évidemment, l’alcool, c’est l’alcool.

En tant que comité sénatorial, nous avons la possibilité de proposer des amendements qui amélioreront ce projet de loi, parce que celui-ci suscite certaines préoccupations dans sa forme actuelle. C’est d’ailleurs ce que nous ferons. J’ai une question pour vous : quels amendements amélioreraient ce projet de loi, selon vous? Parce que ce projet de loi ne disparaîtra pas. Il sera adopté. Tout ce qu’il reste à déterminer, c’est le moment de l’adoption et la façon de protéger, comme vous l’avez dit, la santé et le bien-être des Canadiens. Si quelqu’un a une opinion là-dessus, j’aimerais l’entendre.

Le président : Commençons par la Dre Campbell. Puis la parole ira aux témoins par vidéoconférence, puis aux deux témoins qui sont ici avec nous.

Dre Campbell : D’après moi, l’âge de consommation est très important, car il faut protéger les jeunes cerveaux en développement. Les différentes recherches qui ont été menées n’ont pas permis de déterminer l’âge minimal approprié pour la consommation. Selon moi, ce devrait certainement être 25 ans. Par contre, si l’on considère que c’est trop élevé, il faudrait au moins l’élever à 24, 23, ou même 21 ans. Je pense que plus l’âge légal est élevé, mieux c’est.

[Français]

Mme Granger : Merci de me donner de nouveau l’occasion de rappeler que la promotion en matière de cannabis médicinal devrait être soumise au même encadrement strict d’emballage neutre que les produits récréatifs, sans quoi, l’industrie mousse la vente. Les exemples que se trouvent dans le document que je vous ai remis en parlent. Il est très important de prévoir le « star system » dans la loi pour qu’il soit interdit. Il en est de même pour les produits comestibles. On a mentionné qu’il devrait y avoir des critères très stricts pour protéger nos jeunes. Il faut donner une information claire sur le temps d’action qui est passablement différent. La cire et le « shatter » à 90 p. 100 ne devraient pas être permis. Le système de traçabilité des produits de la semence à la vente devrait faire partie des recommandations. Je me permettrais aussi de dire qu’on ne devrait pas changer l’âge de 18 ans, parce que je pense qu’on banaliserait les autres substances que sont l’alcool et le tabac, et ce n’est certainement pas quelque chose de cohérent avec la réalité des risques liés à la santé. Il y a vraiment un angle mort, si on modifie l’âge. Je recommande donc de garder l’âge de 18 ans. Merci.

[Traduction]

Dre de Villa : Question de gagner du temps, nous recommandons que les restrictions sur le marketing et la promotion soient renforcées pour qu’elles incluent la publicité dans les formats les plus accessibles et les plus intéressants pour les jeunes, comme les films, les jeux vidéo, les médias et le marketing en ligne. Selon moi, c’est le genre de geste qui pourrait renforcer considérablement la loi actuelle.

M. Culbert : Je suis d’accord. Le libellé concernant la publicité et la promotion est sujet à interprétation. Nous avons constaté des problèmes à cet égard dans le cas du tabac. Il serait donc bon de le renforcer. Toutes mes autres recommandations portent sur des questions qui seraient abordées dans le règlement.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Poirier : Ma première question s’adresse à Mme Granger. La province de Québec et le Manitoba ont décidé d’interdire la culture de plants de cannabis à domicile. On a entendu d’autres provinces qui ont exprimé des préoccupations à cet égard. Selon vous, la culture à domicile devrait-elle être interdite dans tout le Canada? Quelle est votre position sur ce point?

Mme Granger : L’association, dans sa présentation, n’avait pas la posture de l’interdiction. Il est difficile pour nous d’intervenir à ce sujet. Le Canada s’est positionné, les provinces se positionnent actuellement. Par la suite, chacun va devoir évaluer l’impact de ces réglementations. Pour l’instant, c’est mon point de vue par rapport à cela.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question s’adresse à M. Culbert. Dans votre mémoire, monsieur Culbert, au premier paragraphe complet de la quatrième et dernière page, vous dites qu’il existe un précédent qui pourrait rendre l’interdiction de la culture du cannabis susceptible d’être contestée devant les tribunaux.

Pourtant, dans le projet de loi, nous avons permis aux provinces de réglementer l’âge. Deux provinces canadiennes, le Manitoba et le Québec, ont adopté des lois provinciales interdisant la culture du cannabis à domicile. Malgré cela, vous parlez de contestations judiciaires.

J’aimerais que vous nous en disiez davantage. Selon vous, quelle partie du projet de loi pourrait être contestée?

M. Culbert : D’après moi, les lois adoptées par le Québec et le Manitoba sont susceptibles de faire l’objet de contestations judiciaires. Toutefois, la loi fédérale, elle, ne le sera pas. Il y a un précédent qui permet de cultiver une substance psychoactive. Le tabac est une substance psychoactive. Vous pouvez fabriquer de l’alcool, une substance psychoactive, dans le confort de votre demeure. Dans le cadre du régime médical, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a statué très clairement que la culture du cannabis à domicile à des fins médicinales devait être permise. La logique juridique veut que s’il devient légal de l’utiliser à des fins non médicinales, la capacité d’avoir une culture à domicile.

Encore une fois, je préférerais que les Canadiens ne puissent pas cultiver de cannabis ou fabriquer d’alcool à la maison. Comprenez-moi bien. Mais soyons pragmatiques. Pour leur propre santé, j’aimerais aussi qu’ils ne consomment pas ces produits, mais nous devons être réalistes. Voilà notre opinion là-dessus.

La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à la Dre de Villa à Toronto. Encore une fois, ma question porte sur la culture du cannabis à domicile. J’ai été informée par les membres de ma collectivité et des collectivités néo-brunswickoises — et les représentants des municipalités de partout au Canada ont dit la même chose lorsqu’ils ont témoigné ici —, de quelques-uns des défis auxquels ils semblent faire face ou qu’ils semblent craindre en ce qui concerne la culture du cannabis à domicile. Je me demande simplement ceci : dans une ville de la taille de Toronto, croyez-vous que la culture du cannabis à domicile peut faire partie d’une démarche prudente de santé publique? Qu’en pensent les gens à Toronto? Que pouvez-vous nous dire là-dessus?

Dre de Villa : Merci beaucoup d’avoir posé cette question. Je peux certainement vous dire qu’au sein de notre municipalité, nos partenaires des autres secteurs, surtout ceux qui sont responsables de l’application des normes et règlements locaux, sont effectivement préoccupés par ce sujet. Comme vous pouvez l’imaginer, l’application de la loi et la surveillance font partie des préoccupations pour les autorités d’une grande ville. Je ne sais pas si toutes les réponses ont été trouvées. Je crois qu’il reste encore beaucoup de discussions à avoir et beaucoup de choses à étudier.

Je cède la parole à ma collègue, qui a participé davantage aux discussions avec nos partenaires de la municipalité.

Mme Sabanadesan : Merci. En ce qui a trait aux compétences provinciales, je sais que nous avons demandé à la province de nous consulter au sujet de tout règlement à venir, question que l’on s’assure d’instaurer des normes de sécurité et d’autres moyens de contrôler la culture du cannabis à domicile. Nous ne voulons pas reproduire ce qui est arrivé par le passé dans le cas des entreprises de culture de cannabis. Cependant, nous ne pouvons pas conclure que l’histoire se répétera avec la culture à domicile de quatre plants de cannabis, si c’est la limite qui est fixée en Ontario. Nous ne sommes toujours pas certains. Nous sommes ouverts aux discussions pour voir comment cela peut être fait en toute sécurité.

La sénatrice Martin : Merci beaucoup de vos exposés.

J’ai écouté attentivement les questions posées par mes collègues. Je ne suis ni une scientifique ni une professionnelle de la santé. Toutefois, nous avons entendu dire que les données sur la consommation de cannabis sont recueillies depuis environ 30 ans. Après l’adoption de la loi, nous n’obtiendrons pas le genre de données complètes auxquelles vous faites référence. En tant qu’éducatrice comptant 21 ans d’expérience, je pourrais vous donner plusieurs exemples anecdotiques sur les effets que le cannabis peut avoir sur les jeunes.

Monsieur Culbert, vous avez dit que nous devions redoubler de prudence. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Madame Granger, vous avez dit que le Canada est un exemple pour le reste de la planète et que les données sur la légalisation qui ont été recueillies au cours des cinq dernières années dans d’autres pays ne veulent rien dire, puisqu’il y aura des essais et des erreurs, et que nous essayons toujours de comprendre. D’après ce que nous avons entendu aujourd’hui, connaissant les effets de la consommation de cannabis sur les jeunes de 18 à 25 ans, les effets sur la conduite avec facultés affaiblies — qui sont visés par un autre projet de loi, le C-46 —, je dirais que ce n’est pas demain la veille qu’en tant que pays, nous deviendrons un exemple pour quiconque.

Nous savons que la légalisation est nécessaire pour diverses raisons, mais je me demande simplement si nous sommes prêts. Est-ce le bon moment? Devrions-nous attendre que la loi sur la conduite avec facultés affaiblies et les mécanismes de mise en œuvre soient prêts, tout comme le projet de loi C-45? Sachant ce que nous savons déjà, devons-nous nous préparer davantage, ce qui veut dire qu’il serait trop hâtif d’adopter le projet de loi cet été ou cet automne? Je suis curieuse. Qu’en pensent les gens assis autour de cette table? Malgré tout ce que j’entends, je n’arrive pas à me faire une idée. L’idée de faire de nos adolescents et nos jeunes adultes des cobayes afin d’obtenir les données dont nous avons besoin m’inquiète. Je dirais que nous ne sommes pas prêts, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Le président : Tout le monde aura la chance de répondre. Nous les avons invités. Commençons par M. Culbert.

M. Culbert : Je pourrais passer une heure là-dessus, mais je ne le ferai pas.

Le cannabis est déjà omniprésent dans notre société. Si vous avez grandi dans les années 1980, vous avez probablement fumé du cannabis. Nous avons déjà beaucoup de données dans ce domaine. En fait, retarder la légalisation ne serait qu’une mesure provisoire qui nous donnerait la chance de faire un travail plus positif.

Parlons de la conduite avec facultés affaiblies. Il y a 13 ans, l’Association canadienne de santé publique a lancé une campagne sur la conduite avec facultés affaiblies qui visait à donner aux adultes des outils pour qu’ils en parlent avec les jeunes. Nous avons relancé cette campagne il y a deux semaines et nous avons mis à jour les données.

Il se passe beaucoup de choses. Au fur et à mesure que le jour J approche, les provinces et les territoires doivent mener des campagnes de sensibilisation afin de renseigner la population sur les lois locales. Cela nécessitera une très vaste couverture médiatique; il faudra faire appel à la télévision, à la radio, aux médias sociaux, et j’en passe. C’est tous azimuts. Les campagnes de promotion de la santé, qui encouragent les gens à faire des choix sains, sont en cours. Il y en aura de plus en plus. Nous exploitons toutes ces ressources.

Je crois que nous sommes prêts. Selon moi, reporter l’adoption du projet de loi ne ferait que retarder le travail positif que nous pouvons accomplir et qui est nécessaire dans un cadre législatif.

La sénatrice Martin : Je vais poser une question complémentaire, puis j’aimerais entendre ce qu’en pense la Dre Campbell.

La GRC nous dit qu’elle n’est pas tout à fait prête, surtout en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies. La GRC a besoin de gens mieux formés pour s’en occuper.

Pour ce qui est de l’éducation en matière de santé, nous en sommes encore à discuter d’élaboration tandis que la sensibilisation aurait dû commencer l’an dernier. Nous entendons différents faits de la part de divers intervenants et municipalités qui n’ont pas encore été pleinement consultés.

Je suppose que je suis en train de formuler un commentaire plutôt que de vous poser une question, monsieur Culbert. En fait, j’aimerais savoir ce que la Dre Campbell en pense.

Dre Campbell : Je tiens à souligner que les plus récentes recherches sur les usages médicaux du cannabis et les lignes directrices concernant l’utilisation sont intéressantes. En tant que médecin de famille, je dispose de solides preuves qui montrent l’efficacité du cannabis pour un patient qui a des nausées réfractaires ou des vomissements causés par la chimiothérapie, qui souffre d’hypertonie spastique associée à la sclérose en plaques, ou qui a besoin d’un traitement in extremis pour des douleurs neuropathiques ou nerveuses, un type très particulier de douleur. Or, dans bien d’autres cas, c’est plutôt le contraire, car il a été démontré qu’il y a un lien solide et constant entre la consommation de cannabis et les troubles de l’humeur et d’anxiété. Ma pratique prend appui sur les meilleures données probantes et les meilleurs soins pour mes patients. Sachant ce que je sais en tant que médecin de famille, j’utiliserais de la marijuana à des fins médicinales dans les trois cas susmentionnés. Pour traiter d’autres douleurs, j’utiliserais d’autres médicaments, ou encore des remèdes non médicinaux.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous d’être venus témoigner aujourd’hui.

J’ai une question pour vous, monsieur Culbert. Dans votre exposé, vous avez mentionné que 1 p. 100 des étudiants d’âge secondaire consomment du cannabis quotidiennement. Vous vous êtes dit préoccupé parce que bon nombre de ces étudiants ont vécu un événement traumatisant, ce qui les amène peut-être à consommer trop de cannabis. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont la légalisation de la marijuana pourrait contribuer à aider ce 1 p. 100 et ces étudiants à régler les problèmes qui les affligent?

M. Culbert : En toute franchise, je ne crois pas que la législation puisse régler le problème. Elle crée plutôt un environnement au sein duquel il devient acceptable pour les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux et tous les autres de parler de la consommation de cannabis. On ne se contente plus de dire, « Non, c’est illégal et vous ne pouvez pas faire cela. »

Il y a quelque chose d’encore plus important et je le remarque peu à peu et j’essaie d’insister là-dessus chaque fois que je prends la parole en public. Lorsque nous nous penchons sur la consommation problématique d’une substance — il y a tout un schéma de consommation qui va de la consommation non problématique à la consommation problématique —, dans tous les cas, la consommation n’est qu’un symptôme. Nous nous penchons là-dessus et nous voulons aller plus loin, au lieu de diaboliser la substance. Vous pouvez consommer d’autres drogues, comme l’alcool et le cannabis, sans danger, à moins qu’il s’agisse d’une consommation inappropriée de ces drogues en vue d’atténuer une douleur quelconque.

Tâchons plutôt de parler de santé mentale et d’avoir une conversation de société sur notre façon de consommer. Les parents ont un rôle absolument crucial à jouer à cet égard. Bien sûr, ce projet de loi ne peut rien y faire, mais le modèle parental joue un grand rôle.

[Français]

Mme Granger : En ce qui a trait aux malaises qui existent — parce que votre question nous amène là —, je pense qu’il faut agir en faisant de la prévention. On sait qu’il y a des enjeux de santé mentale dans le cadre de ce projet de loi. Toutefois, de façon anecdotique, dans les consultations qui ont eu lieu au Québec, une travailleuse de rue expliquait que si le cannabis était légalisé, on pourrait enfin en discuter ouvertement avec les jeunes et se pencher sur ceux qui ont un problème. Ça, c’est agir de façon préventive. On doit profiter de chacune des occasions pour le faire et on doit aussi rester à l’affût de ce qui peut être fait dans ce sens-là. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Cela revient à la question que la sénatrice Omidvar a soulevée au sujet de la surreprésentation des personnes d’origine africaine dans le système carcéral. Nous en avons beaucoup entendu parler. Par contre, nous n’avons pas entendu parler des incidences sur la santé des communautés afro-canadiennes. Je me demande si l’un de vos organismes s’est penché sur la question. Si vous avez des données à ce sujet, il serait bon que vous nous en fassiez part.

Dre de Villa : Merci d’avoir posé la question. J’aimerais aborder deux ou trois points. Comme j’ai tenté de l’expliquer clairement dans mon exposé, nous avons parlé des effets négatifs de la criminalisation sur les individus, que ce soit la stigmatisation, ou encore les répercussions négatives sur les possibilités d’emploi et, par conséquent, sur la situation économique, et cetera.

Bien que j’aie parlé de ces répercussions au niveau individuel, vous pouvez facilement imaginer que, lorsque ces répercussions sont appliquées et ressenties par un nombre important de gens, particulièrement ceux qui sont associés à des communautés racialisées ou qui en font partie, elles passent du niveau individuel au niveau communautaire, ce qui a aussi des conséquences négatives. Encore une fois, il y aurait, entre autres, la stigmatisation sociale, ainsi que des effets négatifs sur le revenu et l’emploi, au niveau tant individuel que social. Je pense que vous avez tout à fait raison de dire qu’il y a également des répercussions au niveau communautaire et qu’elles sont semblables à celles qui se feraient sentir au niveau individuel.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse au Dre Campbell. À l’heure actuelle, les gens achètent le produit sur le marché noir. Les jeunes qui aboutissent en psychose à l’urgence, est-ce qu’on a une idée de la quantité de polluant qui se trouve dans ce qu’ils ont consommé «  »ou qui aurait pu induire la psychose, même si le THC, on le sait, l’induit aussi? Est-ce qu’on a tenu compte de la quantité qui a été fumée? Est-ce que tous ces facteurs sont pris en compte lors de la prise en charge à l’urgence?

[Traduction]

Dre Campbell : Merci de votre commentaire. Je pense que c’est un sujet qui mérite d’être abordé.

Aujourd’hui, les jeunes consomment beaucoup de cannabis, même si ce n’est pas légal. Je crois que c’est un fait bien connu.

Avec la légalisation, je crains que l’attitude, les idées et les perceptions à l’égard du cannabis ne changent et que les gens soient plus ouverts à commencer à consommer à un plus jeune âge, sans avoir conscience des conséquences. Cela sort un peu de mon champ d’expertise, mais je pense que le marché noir continuera d’exister de toute façon. Les gens trouveront des façons moins coûteuses d’obtenir du cannabis, selon moi.

Lorsque les gens se présentent à l’urgence, nous consignons toujours la quantité de cannabis qu’ils ont consommée, mais c’est fait strictement à des fins individuelles. Tout le monde réagit différemment à la marijuana; une personne pourrait avoir une tolérance plus élevée qu’une autre. C’est variable. Bien souvent, les gens consomment d’autres substances en plus du cannabis.

Je suis d’accord : à l’heure actuelle, la situation n’est pas parfaite. Alors, je reprends ce qui a déjà été dit. L’éducation est d’une importance capitale, tout comme la limitation de la publicité et ce genre de choses.

[Français]

La sénatrice Mégie : Justement, si ça devient légal, est-ce que le jeune pourrait éventuellement savoir ce qu’il prend? Parce que lui, il prend ce qu’on lui donne. Disons qu’il a pris 10 p. 100 de concentration, qu’il a eu un « bad trip ». Le jeune, la prochaine fois, pourrait se dire qu’il va prendre 5 p. 100, ou quelque chose comme ça. Pensez-vous que ça pourrait avoir un impact positif dans ce sens?

[Traduction]

Dre Campbell : Absolument. C’est un bon point, selon moi. Je crois qu’il y a des aspects positifs à la légalisation, mais d’après ce que je sais et ce que j’ai vu, cette substance présente de graves dangers qu’elle soit consommée à des fins récréatives ou médicinales. Selon moi, une personne âgée de moins de 25 ans ne devrait pas en consommer. Je pense que la consommation de cannabis peut causer des dommages irréversibles et ruiner des vies de façon permanente. Si je me fie aux faits médicaux que je connais, il vaudrait mieux que l’on se concentre davantage sur la décriminalisation, la réduction des risques pour la santé et la promotion de la santé. D’après moi, le fait que les gens seraient en mesure de savoir exactement ce qu’ils prennent s’ils décident quand même de consommer est l’un des aspects positifs de la légalisation.

Le président : Cela m’amène à la fin du premier tour. Avant de passer à ce qui sera un bref deuxième tour, je vais poser une question.

Je veux revenir sur les derniers commentaires de la Dre Campbell, parce que ce facteur d’âge me préoccupe. Le projet de loi parle de 18 ans. L’âge peut être haussé à 19 ans, soit le même que l’alcool. L’alcool, lorsque consommé en excès, est aussi très dangereux. Je suis convaincu que, dans les années 1920 et 1930, quand on a parlé de mettre un terme à la prohibition, on a probablement tenu sensiblement les mêmes propos que ceux que vous entendez dans le débat qui nous concerne. Pourtant, nous avons réussi à régler la question sans que le ciel ne nous tombe sur la tête.

Vous parlez de 25 ans. Tout d’abord, nous considérons qu’une personne est un adulte à 18 ou 19 ans. Sommes-nous en train de dire à une personne de 23, 24, ou 25 ans qu’elle n’a pas le droit? Qu’elle n’a pas la maturité nécessaire pour décider par elle-même, que le gouvernement le fera à sa place? Oui, la consommation de cannabis peut être néfaste, surtout en cas d’excès, mais n’est-il pas normal que la personne que l’on considère comme un adulte ait le droit de prendre elle-même ce genre de décision, pourvu, espérons-le, qu’elle soit pleinement informée et qu’elle prenne la meilleure décision pour sa santé?

Hier, l’Association médicale canadienne et l’Association des psychiatres du Canada ont affirmé que l’âge devrait être fixé à 21 ans. Eh bien, ce n’est pas tout à fait la même atteinte aux droits d’une personne majeure que si l’âge était fixé à 25 ans, mais c’est tout de même au-delà de ce qui est considéré comme étant l’âge minimal pour voter, ou pour à peu près n’importe quoi d’autre, pour prendre des décisions en tant qu’adulte, au Canada.

Je suis inquiet, parce que la cohorte des 18 à 25 ans est celle qui consomme le plus de cannabis. Si on retenait le seuil de 21 ans, la consommation des jeunes de 18, 19 et 20 ans, jusqu’à 21 ans, serait toujours criminalisée. Nous essayons de réduire la criminalisation, d’arrêter d’envoyer des jeunes en prison ou de leur ouvrir un casier judiciaire, de ruiner leur vie parce qu’ils se font prendre en possession de marijuana. Pourtant, nous continuerions d’exposer ces jeunes à ces risques.

Nous exposerions ces jeunes non seulement au risque de criminalisation, mais aussi aux dangers du marché noir, où ils s’approvisionneraient. Si c’est la cohorte qui consomme le plus, elle va continuer à se fournir sur le marché noir. Je viens de lire l’autre jour que trois personnes ont perdu la vie en Illinois parce qu’elles avaient consommé du cannabis contenant un raticide. Même si on décriminalise la consommation de cannabis, il faut se procurer le produit sur le marché noir. Or, on y trouve des produits très dangereux pour la santé et même létaux. Nous l’avons constaté dans la crise des opioïdes, où les produits sont coupés avec des substances qui sont loin d’être sans danger. Donc, si la réglementation du cannabis proposée par le gouvernement n’est pas autorisée, on continuerait d’exposer les consommateurs aux risques de la présence de contaminants et d’un taux de THC déraisonnable dans le produit.

Parlez-nous encore un peu de la question de l’âge. Je m’adresse d’abord à mes amis de Toronto. Qui sait? Ils me contrediront peut-être, mais je vais commencer par eux et je passerai ensuite aux autres témoins. Il ne me reste plus grand-chose de mes cinq minutes, maintenant que j’ai longuement pontifié.

Dre de Villa : Nous allons donc faire vite et dire que non, en fait, à Toronto, nous n’allons pas vous contredire. Nous sommes d’accord avec vous. Nous savons que la consommation est plus importante chez les jeunes. Aucun doute. Les données scientifiques permettent de croire qu’il vaut mieux éviter le cannabis lorsque le cerveau se développe. Nous savons qu’il se développe jusqu’à l’âge de 25 ans. Mais il s’agit plutôt ici de doser les risques et de permettre une approche axée sur la santé publique plutôt que sur l’application de la loi. En fait, pour revenir à ce que vous avez dit, honorable sénateur, nous sommes entièrement d’accord avec vous. Je ne dirais pas que vous avez pontifié.

M. Culbert : Je suis d’accord avec mes collègues. Je cède la parole aux autres.

[Français]

Mme Granger : Je crois que vous avez tout à fait raison, et j’insiste sur l’angle mort que cela enverrait comme message, soit que l’alcool et le tabac sont des produits moins dangereux que le cannabis, ce qui n’est pas le cas.

[Traduction]

Dre Campbell : Je suis d’accord pour dire que l’alcool et la nicotine ont d’importants effets psychosociaux et physiques, mais il ne faut pas oublier que chaque substance est différente et que les comparaisons sont inutiles.

Le président : D’accord, merci beaucoup. Mon temps de parole est écoulé.

Au deuxième tour, trois personnes souhaitent intervenir, mais elles auront deux minutes. Peut-être chacune des trois pourrait-elle poser une brève question et nous pourrions entendre toutes les réponses en même temps. Il n’y aura donc pas de réponse tant que les trois questions n’auront pas été posées.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : J’aurais besoin d’une précision de la part de Mme Granger au sujet de l’emballage neutre. Selon vous, l’apparence de l’emballage neutre est-elle tout aussi importante que les noms que l’on choisirait?

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Je m’adresse plus particulièrement à M. Culbert. Seriez-vous en faveur d’un resserrement des restrictions sur la publicité et la promotion en ligne du tabac? C’est ce que votre organisation a déclaré, mais je voudrais que vous l’affirmiez clairement.

Le sénateur Campbell : Je n’ai qu’une précision à demander, au nom de ce qui se passe dans le monde concret. La marijuana dont vous avez parlé et qui contenait un raticide était de la marijuana synthétique. Elle a été fabriquée en Chine et ne ressemble en rien à la marijuana. Je voudrais simplement qu’on le confirme.

Le président : Merci. Je vais d’abord demander à Mme Granger, puis à M. Culbert de répondre aux questions des deux sénateurs.

[Français]

Mme Granger : Pour vous donner une réponse très courte, sénatrice Petitclerc, définitivement, oui.

[Traduction]

M. Culbert : Oui, nous serions d’accord pour resserrer la réglementation.

La sénatrice Seidman : En accord avec le secteur du tabac.

M. Culbert : Oui.

Le président : Nous sommes exactement à l’heure. Merci beaucoup à vous cinq de votre contribution à cette étude.

Nous passons maintenant au deuxième groupe de témoins convoqués pour l’étude du projet de loi C-45. Nous avons une heure à consacrer à ces témoins et nous accueillons trois groupes. Tout d’abord, des Rideauwood Addiction and Family Services, Marion Wright est directrice générale et Andrew Mendes est directeur des opérations; Katherine Eberl Kelly, directrice générale du Consortium conjoint pancanadien pour les écoles en santé; enfin, de l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires, Josh Watt, représentant et directeur général de l’Association manitobaine des commissions/conseils scolaires.

Bienvenue à tous. Vous avez sept minutes pour faire votre déclaration liminaire. Je présume que c’est Marion Wright qui s’exprimera au nom de l’organisation Rideauwood. Je vous en prie.

Marion Wright, directrice générale, Rideauwood Addiction and Family Services : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial, au nom des Rideauwood Addiction and Family Services Ottawa, merci de nous donner l’occasion de nous adresser à vous.

Je m’appelle Marion Wright et je suis actuellement directrice générale de Rideauwood Addiction and Family Services. Je suis accompagnée d’Andrew Mendes, directeur des opérations de l’organisme.

En m’appuyant sur une cinquantaine d’années d’expérience, j’ai le regret de le dire, à exercer des rôles de leadership dans les services de traitement de la toxicomanie et de santé mentale en Ontario, et en tant qu’enquêteure principale pour Agrément Canada spécialisée dans le traitement de la toxicomanie et la santé mentale, je suis heureuse de pouvoir m’exprimer au sujet des enjeux relatifs au projet de loi C-45 et de ses effets sur les personnes qui ont accès aux services de Rideauwood. Je vais aussi vous présenter mes principales recommandations portant sur le projet de loi.

Aujourd’hui, nous aborderons trois sujets : une brève description de ce que font les Rideauwood Addiction and Family Services en tant que fournisseur de services dans la collectivité, un rapport décrivant les substances utilisées par les jeunes et les adultes qui accèdent aux services de Rideauwood et enfin nos conclusions et nos recommandations.

Les Rideauwood Addiction and Family Services ont ouvert leurs portes en 1976 pour appuyer la collectivité d’Ottawa touchée par les problèmes de toxicomanie. Très tôt, l’organisme s’est aperçu qu’il était essentiel d’assurer un soutien non seulement aux consommateurs de substances, mais aussi à leur famille.

S’appuyant sur ces principes, Rideauwood continue d’aligner ses programmes de traitement sur les pratiques exemplaires, y compris des modèles thérapeutiques fondés sur des données probantes constamment revus, et de mettre en place des partenariats et des collaborations pour améliorer l’accès pour ses clients et accroître le soutien qui leur est offert.

Rideauwood a commencé à offrir des services grâce à une subvention pilote de démarrage de trois ans de Santé Canada et, depuis quatre décennies, établit des ententes de financement pour pouvoir continuer à soutenir la collectivité par des services spécialisés en toxicomanie. Le financement actuel est fourni par le Réseau local d’intégration des services de santé de Champlain, l’Ottawa Catholic School Board, le Ottawa-Carleton District School Board, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, le ministère du Procureur général, la Ville d’Ottawa, le Collège Algonquin et la Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa.

Notre objectif, comme organisme qui dispense directement des services, est d’offrir ses services aux adultes, aux jeunes, aux jeunes adultes, aux parents et aux membres de la famille touchés par les problèmes de toxicomanie et de jeu compulsif. Les clients reçoivent du counseling individuel et de groupe ainsi que des services de dépistage, d’évaluation et d’aiguillage vers d’autres services.

De plus, pour faire de la prévention et sensibiliser l’opinion, Rideauwood offre régulièrement des séances de sensibilisation et d’information aux clients, aux membres de la famille, aux étudiants, aux organismes partenaires et à la collectivité. Tous les services sont fournis en clinique externe à divers endroits dans la région d’Ottawa, et, en moyenne, nous dispensons des services à environ 1 800 clients par année.

Les programmes de l’organisme sont structurés en trois grands départements, soit les programmes pour les adultes, les programmes pour les parents et la famille et les programmes pour les jeunes et les jeunes adultes. Les initiatives d’évaluation et d’amélioration de la qualité ont été reconnues comme essentielles pour soutenir les clients et tirer parti du travail précieux accompli par le personnel dévoué de Rideauwood.

Les données de l’organisme montrent que 75 p. 100 des clients adultes ont accès à ses services pour consommation problématique d’alcool — c’est-à-dire pour adultes — tandis que 33 p. 100 d’entre eux le font pour consommation problématique de cannabis. Quant aux jeunes, 54 p. 100 d’entre eux s’adressent à lui pour abus d’alcool et environ 65 p. 100 pour consommation problématique de cannabis. D’autres substances sont déclarées, à des taux plus faibles, et, bien sûr, certains se tournent vers lui pour des problèmes de consommation à la fois d’alcool et de cannabis.

On relève des différences constantes entre la consommation des clients adultes et celle des jeunes. Les premiers sont plus susceptibles de déclarer uniquement la consommation d’alcool et les jeunes une consommation de cannabis seulement, ou alors une consommation problématique à la fois de cannabis et d’alcool et d’autres substances. À remarquer que, dans les graphiques que vous avez sous les yeux, les substances illicites comprennent les médicaments d’ordonnance qui n’ont pas été prescrits.

Au cours des sept dernières années, le cannabis, l’alcool et la nicotine ont été les substances les plus fréquemment déclarées par les jeunes clients qui se prévalent des services de Rideauwood.

En bref, les troubles liés à la consommation de substances sont fortement influencés par de multiples facteurs sociaux, biologiques, psychologiques et émotionnels, par exemple, et sont rarement isolés. Le trouble est complexe et est diagnostiqué dans le DSM-5, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, dans trois grandes catégories : troubles légers, modérés et graves. La législation sur le cannabis est pertinente pour chaque domaine, en particulier sous les angles de la santé et de la vie en société.

Des modifications législatives ont été apportées dans de nombreux États américains, dont le Colorado, ce qui donne l’occasion de faire des études universitaires et stratégiques. Hopfer, 2014, à l’Université du Colorado, a réalisé une étude approfondie qui confirme les effets inconnus à long terme sur la santé liés au changement de la législation. On peut s’attendre à une augmentation globale de l’utilisation d’une substance nouvellement légalisée et, malgré la réglementation, les souches disponibles, la puissance des produits et les modes de consommation nécessiteront une étude plus poussée si nous voulons vraiment comprendre les répercussions à long terme sur la santé. Hopfer a également conclu qu’il faut augmenter considérablement les ressources en santé publique, médicales et scientifiques, consacrées à la compréhension et à l’atténuation des conséquences négatives de la consommation de cannabis chez les jeunes. Elles doivent être aussi importantes que celles qui sont affectées au tabac et à l’alcool.

Chez Rideauwood, les adultes et les jeunes qui demandent des services se présentent pour une multitude de raisons, mais une des plus courantes est qu’ils sont devenus marginalisés à cause de leur consommation et qu’ils se heurtent donc à des obstacles qui limitent et retardent leur guérison. Surmonter les problèmes juridiques en plus des problèmes d’ordre biologique et psychologique rend la démarche plus difficile et plus exigeante tant pour la personne que pour les services disponibles pour l’aider.

Les jeunes qui s’adressent à Rideauwood le font le plus souvent pour se faire aider à régler des problèmes de consommation de cannabis plutôt que d’alcool. Néanmoins, les taux globaux de consommation d’alcool sont plus élevés, comme en témoigne le Sondage sur la consommation de drogues et la santé des élèves de l’Ontario de 2017, publié récemment. Les jeunes qui participent à nos programmes signalent toute une gamme d’effets causés par la consommation de cannabis, comme une anxiété accrue, une diminution de la motivation et l’insomnie.

À signaler que la majorité des jeunes qui consomment du cannabis ne reçoivent pas de services. Nous parlons de ceux qui sont en contact avec nous, et l’idée générale qu’on se fait du cannabis est que cette substance est naturelle, sûre et ne crée pas de dépendance. En fait, des recherches ont montré que les jeunes qui ne pensent pas que le cannabis présente des risques sont plus susceptibles d’admettre avoir consommé cette substance.

De plus…

Le président : Désolé de vous interrompre, mais auriez-vous l’obligeance de conclure? Nous avons largement dépassé les sept minutes.

Mme Wright : D’accord. Premièrement, il est suggéré d’accroître l’effort de prévention et de sensibilisation, car c’est un moyen efficace de prévenir et de réduire la consommation problématique de diverses substances. Des approches comme la formation aux techniques de résistance pour renseigner les élèves sur les influences sociales et les compétences particulières qui sont utilisées pour y résister, seules ou combinées à des compétences de vie plus générales, semblent réduire efficacement la consommation.

Il faut des services de traitement plus importants. Étant donné les répercussions possibles sur la santé et l’augmentation de la consommation de cannabis attendue au cours des premières années de la légalisation, nous recommandons fortement que les services de sensibilisation, de prévention et de traitement soient renforcés et rendus plus accessibles.

Enfin, nous appuyons certainement le projet de loi C-45. Dans notre mémoire, nous parlons de l’OMS, qui a demandé aux pays d’élaborer des politiques et des lois qui décriminalisent la consommation de drogues.

Pour finir, les données qui vous ont été présentées aujourd’hui sont fondées à la fois sur la documentation existante et sur l’expérience de Rideauwood en tant que fournisseur de services directs au cours des 40 dernières années. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons votre mémoire sur papier pour prendre connaissance des éléments dont vous n’avez pas pu parler. Les questions permettront aussi d’y revenir.

Katherine Eberl Kelly, directrice générale, Consortium conjoint pancanadien pour les écoles en santé : Merci beaucoup de me donner l’occasion de comparaître, honorables sénateurs.

Le Consortium conjoint pancanadien pour les écoles en santé a été créé en 2005. Il s’agit d’un partenariat ou d’un consortium qui réunit des ministères provinciaux et territoriaux de la Santé et de l’Éducation de tout le Canada qui travaillent ensemble à la promotion de la santé, du bien-être et de la réussite des enfants et des jeunes en milieu scolaire. Tous les ministères de la Santé et tous les ministères de l’Éducation de 12 provinces et territoires sont membres du consortium, et nous avons l’appui de l’Agence de la santé publique du Canada. Le Québec n’en est pas membre à l’heure actuelle, mais nous travaillons en collaboration avec lui.

Le consortium adopte une approche globale en matière de santé en milieu scolaire, et les quatre composantes de cette approche aident à encadrer le dialogue et les échanges des ministères de la Santé et de l’Éducation au sujet de la légalisation du cannabis.

Pour toutes les provinces et tous les territoires, le temps presse. Ils doivent se préparer adéquatement aux multiples conséquences de la législation sur le cannabis, et ils attendent patiemment les documents promis par Santé Canada, qui serviront ensuite à élaborer les documents propres à chacune des provinces et à chacun des territoires.

Soit dit en passant, d’après les données actuelles tirées de l’étude sur les comportements des enfants d’âge scolaire en matière de santé — bien sûr, vous en avez déjà parlé —, le Canada se classe parmi les pays où la consommation de cannabis avouée par les jeunes est la plus élevée.

Si on considère les enjeux à travers le prisme des quatre composantes de la santé globale à l’école, la première de ces composantes est l’enseignement et l’apprentissage. Qu’enseigne-t-on aux enfants et aux jeunes en classe? Nous devons veiller à ce que les programmes d’études soient aussi à jour et exacts que possible en ce qui concerne le cannabis. Bien entendu, il sera toujours illégal pour les jeunes d’être en possession de cannabis. Nous ne pensons donc pas que des changements importants soient nécessaires dans le programme d’études, mais nous savons que les éducateurs auront besoin de perfectionnement pour s’assurer que l’information qu’ils communiquent aux élèves est exacte et à jour. L’approche adoptée dans le programme d’études, comme pour toute substance, repose principalement sur de solides compétences en prise de décisions afin que les élèves puissent faire des choix sains et responsables.

La deuxième composante est l’examen des politiques. Nous voulons nous assurer que les écoles et les conseils scolaires disposent des ressources voulues dans un contexte en évolution afin que les politiques scolaires actuelles demeurent efficaces pour ce qui est de la possession et de la consommation de cannabis parmi les élèves.

L’environnement social et physique est le quatrième élément de la santé globale en milieu scolaire, et nous voulons nous assurer de fournir aux écoles et aux élèves des renseignements exacts pour dissiper les mythes courants au sujet de la consommation de cannabis, soit qu’il s’agit d’un produit naturel et inoffensif. Nous voulons diffuser de l’information sur le cannabis pour aider, comme nos collègues de la santé publique l’ont dit, à normaliser la conversation, mais pas la consommation. Nous savons que la légalisation entraîne une certaine normalisation. Nous avons évidemment exprimé des préoccupations au sujet du marketing et de la promotion, comme vous en avez beaucoup parlé lors de la dernière séance, parce que nous pensons que cela pourrait avoir une grande influence sur les jeunes.

Partenariats et services : il faut regarder au-delà de l’enceinte de l’école et mobiliser des partenaires comme les parents et l’ensemble de la collectivité, d’autres intervenants de l’extérieur. Nous voulons nous assurer d’avoir des renseignements à jour pour les parents afin qu’ils puissent discuter avec leurs enfants et leurs jeunes. Nous voulons veiller à ce qu’il existe de la documentation pour les directeurs, le personnel de soutien aux étudiants et aussi de la documentation pour le programme d’études. Il faut qu’il y ait des ressources pour appuyer les différents groupes afin qu’ils puissent parler aux élèves de la façon la plus efficace possible, et nous voulons explorer la possibilité de partenariats avec des intervenants de l’extérieur pour veiller à ce que des séances d’information sur le cannabis soient offertes.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Josh Watt, représentant, directeur général, Association manitobaine des commissions/conseils scolaires, Association canadienne des commissions/conseils scolaires : Honorables sénateurs, c’est avec un sens profond du devoir que l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires a accepté votre invitation afin de faire connaître son point de vue sur le projet de loi C-45, Loi sur le cannabis.

Notre association représente plus de 300 conseils scolaires partout au Canada et est responsable de l’éducation publique de près de 4 millions d’élèves.

[Français]

Parmi de nombreux mandats, les conseils scolaires donnent aux jeunes l’occasion de s’épanouir dans un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire qui favorise la réussite de leurs études. Nous formons les jeunes afin qu’ils deviennent des citoyens informés, consciencieux et autonomes qui prendront une part active à l’essor de la société canadienne. Enfin, nous promouvons l’importance du bien-être et d’un mode de vie fondé sur une saine alimentation, l’activité physique et la prévention de la toxicomanie.

[Traduction]

Ces mandats se rapportent directement au genre de résultats que tous les élèves accepteront, espérons-nous. Par conséquent, de nombreux conseils scolaires ne peuvent appuyer ce qui est proposé dans le projet de loi C-45 à propos de la décriminalisation du cannabis. Nous reconnaissons toutefois que le gouvernement actuel du Canada a bien l’intention de faire adopter le projet de loi C-45.

[Français]

Le 15 novembre dernier, en prévision des événements à venir, notre association a publié sa Déclaration des conseils scolaires canadiens concernant les effets de la légalisation du cannabis dans les écoles. Nous avons fourni des exemplaires traduits de cette déclaration au comité pour aider à mettre en valeur votre travail dans le cadre du projet de loi C-45.

[Traduction]

Dans les mois qui ont suivi la publication de la déclaration de l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires, ces derniers et leurs associations provinciales ont été consultés, à mesure que de nouvelles mesures législatives cruciales ont été présentées. Qu’il s’agisse des mesures de réduction des risques et des méfaits, de la vente au détail sécuritaire et responsable et du renforcement des dispositions visant la conduite avec facultés affaiblies, bon nombre des préoccupations que nous avons exprimées sont actuellement prises en compte à l’échelle nationale.

De plus, l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires reconnaît avec gratitude que, dans le cadre du projet de loi C-45, un nombre beaucoup plus élevé d’infractions criminelles sont proposées, dont beaucoup concernent directement la protection de nos jeunes. Les conseils scolaires apprécient certainement ces efforts.

[Français]

Malgré ces mesures, les conseils scolaires demeurent inquiets. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les jeunes Canadiens se classent au premier rang des pays développés en termes de consommation de cannabis, et la Commission canadienne de la santé mentale a récemment estimé que jusqu’à 25 p. 100 des jeunes souffraient de problèmes ou de maladies mentales. Le Canada est également confronté à une épidémie d’opioïdes qui met encore plus en péril nos efforts visant à promouvoir des modes de vie sans drogue pour l’intérêt supérieur de nos élèves.

[Traduction]

Dans ce contexte général, le cadre juridique proposé par le Canada concernant le cannabis, y compris le projet de loi C-45, échoue à régler de nombreux problèmes clés. Comme association, nous voulons en souligner quelques-uns.

Le premier concerne la protection des enfants dans les logements privés. Rien dans le projet de loi C-45 n’empêcherait la consommation de cannabis dans des résidences où pourraient se trouver des enfants. De même, aucune disposition n’atténuera l’exposition secondaire au cannabis des enfants qui vivent dans des logements comme des appartements, des immeubles en copropriété ou même des logements publics financés par la province.

[Français]

Ce défi demande un équilibre entre la réglementation gouvernementale des espaces publics et privés, et le droit des gouvernements d’imposer des restrictions légales à la vie privée. Cependant, pour nous, il est primordial que le projet de loi C-45 établisse une diligence responsable afin que les droits et les intérêts de l’enfant demeurent toujours un objectif de l’intérêt public.

[Traduction]

En deuxième lieu, nous sommes préoccupés par la possibilité que des mineurs obtiennent un emploi lié à la production, à la distribution et au transport du cannabis. Les normes, les lois et les règlements régissant la vente au détail varient également d’une province à l’autre pour ce qui est de savoir si les mineurs peuvent participer à la vente de cannabis, comme c’est le cas pour le tabac. Ces aspects devraient également être abordés dans le cadre du projet de loi C-45.

[Français]

Le troisième défi est que le projet de loi C-45 prévoit la vente du cannabis en ligne. Plusieurs conseils scolaires ont reçu l’assurance que la vérification de l’âge sera appliquée, mais aucun plan n’a encore été dévoilé pour empêcher les mineurs d’avoir accès au cannabis par l’entremise de l’achat en ligne.

[Traduction]

Enfin, il faut investir dans des campagnes de sensibilisation du public ciblant les jeunes. Partout au pays, les conseils scolaires travaillent de façon proactive avec les ministères de l’Éducation et de la Santé pour promouvoir l’amélioration des programmes. Ces efforts visent à faire en sorte que le message « Dis juste non » d’antan soit adapté et accentué pour les jeunes d’aujourd’hui.

[Français]

Toutefois, les gouvernements ont des revenus limités pour réaliser de tels projets. De plus, on reconnaît déjà que la grande majorité des revenus fiscaux à laquelle on peut s’attendre en ce qui concerne la vente de cannabis nécessitera des investissements en matière de santé et de justice pour atténuer les effets anticipés de la décriminalisation.

[Traduction]

Comme je l’ai mentionné, ce ne sont là que quelques-uns des nombreux défis clés qui ont été soulignés dans notre mémoire au comité. Nous espérons que vous en tiendrez compte.

[Français]

En 2002, le Sénat du Canada a publié le rapport final du Comité spécial sur les drogues illicites. Le témoignage de plusieurs Canadiens a mené à certaines recommandations qui demeurent toujours pertinentes. Bon nombre de ces recommandations n’ont pas été incluses dans le projet de loi C-45 ni dans d’autres plans actuels. Il est très important de se reporter à cette étude, car plusieurs conditions préalables y avaient été établies par les sénateurs eux-mêmes au cas où la décriminalisation aurait lieu un jour au Canada.

[Traduction]

En conclusion, mesdames et messieurs les sénateurs, nous vous invitons à vous joindre aux conseils scolaires du Canada dans l’espoir que les générations futures puissent hériter d’un Canada encore meilleur. Il faut que vous reconnaissiez que la génération actuelle d’élèves contribuera à inaugurer la nouvelle ère du XXIIe siècle. Ce à quoi ressemblera notre pays d’ici là, et les défis auxquels ces jeunes seront peut-être confrontés, dépendent des décisions que nous prenons aujourd’hui, des décisions qui, nous le croyons, amélioreront le sort de nos jeunes et contribueront à promouvoir leur intégrité personnelle, physique et cognitive.

En ce qui concerne le projet de loi C-45, l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires encourage donc le Sénat à procéder consciencieusement à ce second examen objectif, la réflexion sage, qui a toujours été la norme qui l’a guidé. Nous croyons que le Canada est en droit de s’attendre à ce que tous ses citoyens appliquent le même critère d’objectivité. Merci.

Le président : Merci aux trois organisations. Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons essayer de tenir une ronde de questions de cinq minutes. Nous risquons d’être un peu serrés, et je modifierai peut-être cela en cours de route. Nous avons jusqu’à 13 heures.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de vos exposés.

Ma question s’adresse à vous tous. Comme beaucoup d’autres, lorsque nous avons commencé à étudier ce projet de loi, j’ai été très troublée d’apprendre que nos jeunes figurent parmi les plus grands consommateurs de cannabis au monde. Je ne vous poserai pas la question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse, c’est-à-dire « pourquoi ». Il s’agit d’une tout autre discussion.

Une des choses qui reviennent souvent, et vous l’avez tous mentionné, c’est l’importance de la sensibilisation et de l’éducation. Nous avons reçu la ministre, et je me suis un peu inquiétée du fait que je n’étais pas vraiment au courant de ce qui se passait sur le plan de la sensibilisation et de l’éducation. Je n’ai pas vu beaucoup de choses de ce côté. On m’a assurée que c’est parce que je suis trop vieille. Étant donné que vous travaillez avec les jeunes, je voulais vous demander si vous estimez que nous avons fait suffisamment de sensibilisation et d’éducation à l’heure actuelle. Par ailleurs, que pensez-vous de l’engagement supplémentaire de fonds pour la sensibilisation et l’éducation que ce gouvernement a promis? Croyez-vous que ce sera suffisant? En général, dans quelle mesure l’éducation et la sensibilisation joueront-elles un rôle crucial?

Le président : Je vais commencer par la personne qui a présenté le premier exposé, c’est-à-dire Marion Wright. Andrew Mendes, si vous voulez aussi répondre à cette question, vous le pouvez.

Mme Wright : Merci. Pour répondre à la dernière question que vous avez posée, madame la sénatrice, non, il n’y a pas suffisamment de ressources consacrées à l’éducation, à la prévention primaire et à l’intervention précoce. L’une des choses que la recherche a démontrées assez clairement, selon nous, c’est que si l’on peut retarder le début de la consommation de cannabis chez les jeunes, il s’agit certainement d’une stratégie très solide. De la sensibilisation commence à être faite en sixième année, et nous croyons toujours qu’elle devrait se faire encore plus tôt dans toutes les écoles, tant celles des conseils catholiques et que celles des conseils publics. Quant à votre question cruciale au sujet des ressources suffisantes pour la prévention, l’éducation et l’intervention précoce, la réponse est non. Il s’agit là aussi de domaines très importants.

Mme Eberl Kelly : Je suis d’accord pour dire qu’il n’y a pas suffisamment de ressources, et cette question a été soulevée par tous nos ministères de l’Éducation membres, c’est-à-dire que nous avons besoin de ressources à jour. Je crois que Santé Canada y travaille — j’ai assisté à certaines séances de mobilisation des intervenants — et je sais que l’Association canadienne de santé publique a aussi de la documentation. Nous devons faire en sorte que cette dernière ait une résonance chez les jeunes, et la contribution des jeunes à la préparation des documents est vraiment importante. Elle est essentielle.

En ce qui concerne le nombre de jeunes, évidemment, on spécule beaucoup, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’autodéclaration. Il est possible que les jeunes Canadiens soient plus à l’aise d’en parler ou qu’ils consomment véritablement davantage, mais il faut toujours avoir en tête ces deux aspects.

M. Watt : Je suis d’accord avec ce que mes collègues ont dit au sujet du manque de ressources actuellement prévues. Des efforts considérables sont déployés pour accroître la sensibilisation des jeunes en particulier. À l’avenir, dans un contexte de post-décriminalisation, il deviendra très important de fournir des ressources, surtout compte tenu de ce que j’ai déjà mentionné, c’est-à-dire les enfants qui vivent dans des résidences avec des parents ou des personnes qui s’occupent d’eux et qui choisissent d’en consommer devant eux. La modélisation des comportements deviendra très importante dans l’ensemble de la société.

Nous apportons notre contribution, au Manitoba. Nous reconnaissons que les ressources sont insuffisantes à l’échelle provinciale. L’Association manitobaine des conseils scolaires travaille avec son association de conseils de parents pour élaborer des feuillets d’information à l’intention des parents sur la façon de parler aux enfants du cannabis, parce que nous sommes conscients qu’en plus de cibler les jeunes, nous devons aussi parler aux parents.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés.

J’aimerais commencer par vous poser une question, madame Wright, si vous me le permettez. Je voudrais que nous parlions de ce qui se passe sur le terrain, car je pense que c’est à ce niveau que vous intervenez. Vous avez des conseillers sur le terrain dans les écoles tous les jours, je crois, qui aident les jeunes. J’aimerais essayer de mieux comprendre cela, parce qu’il y a deux ou trois choses que vous avez mentionnées dans votre exposé qui sont inquiétantes et dont ce n’est pas la première fois que nous entendons parler.

Tout d’abord, vous dites qu’à Rideauwood les jeunes ont plus souvent accès à des services pour recevoir de l’aide parce qu’ils consomment du cannabis plutôt que de l’alcool. Vous poursuivez en disant que, pour la majorité des jeunes, le cannabis est une substance naturelle et sûre, qui ne crée pas de dépendance, et que les recherches ont révélé que les jeunes qui ne pensent pas que le cannabis présente des risques sont plus susceptibles de déclarer en avoir consommé.

Je dois dire que c’est assez alarmant, étant donné que le cannabis sera légalisé et que les jeunes pourraient se sentir davantage autorisés à en consommer. En fait, Statistique Canada a publié hier des données recueillies au cours des trois premiers mois de son initiative permanente en vue d’établir une base de référence pour la consommation au Canada, et ces données montrent que 25 p. 100 des personnes qui consomment actuellement du cannabis affirment qu’elles en consommeront davantage, c’est-à-dire plus fréquemment, après la légalisation. Cela se trouve dans les données de Statistique Canada qui visent à servir de base de référence avant et après la légalisation. Les données des trois premiers mois sont sorties hier.

Compte tenu de ce que vous nous avez présenté, j’aimerais vous demander quelles sont vos préoccupations à cet égard en ce qui concerne l’utilisation plus fréquente dans les écoles. Que voyez-vous sur le terrain? À votre avis, quels pourraient être les principaux problèmes, et comment pourrions-nous les régler?

Mme Wright : Merci beaucoup de votre question.

Vous avez mentionné le programme dans le cadre duquel nous sommes présents dans toutes les écoles chaque semaine, tout au long de l’année scolaire, dans les conseils catholique, public et francophone. Je pense que l’une des choses que nous constatons sur le terrain, c’est que l’on améliore l’accès en amenant le conseiller et les services là où se trouvent les clients. Ils n’ont pas à adopter un comportement particulier ou à sauver la face pour obtenir une intervention précoce ou un traitement précoce, au besoin. Il est plus facile pour eux de le faire lorsque nous amenons nos services là où ils sont, plutôt que de simplement leur distribuer de la documentation, en s’attendant à ce qu’ils la lisent et fassent l’effort eux-mêmes. Comme vous et nous le disons, il se peut qu’ils ne pensent même pas que le problème soit aussi grave que beaucoup de chercheurs le disent. C’est une chose.

Je pense que l’autre chose, c’est que lorsqu’on examine la consommation de substances chez les jeunes, on constate que, dans l’ensemble, elle est problématique lorsqu’il y a plus d’une substance en cause. L’autre substance a tendance à être l’alcool, et parfois aussi la nicotine. Malgré la crise des opioïdes, il ne semble pas y avoir eu une réelle augmentation dans cette population, même si les conséquences ont certainement été très tragiques.

Je vais demander à mon collègue Andrew de préciser.

Andrew Mendes, directeur des opérations, Rideauwood Addiction and Family Services : Merci de votre question, madame la sénatrice.

En ce qui concerne la perception générale des jeunes concernant les effets nocifs du cannabis, n’oubliez pas que la recherche fournie concerne la population générale, ce qui influe par la suite sur cette perception et sur la démarche qu’ils peuvent faire pour commencer à consommer une substance. Lorsque les jeunes commencent à avoir accès à des services comme le nôtre en matière de prévention et d’éducation, cela modifie déjà la donne. Ils commencent à reconnaître certaines conséquences et certains impacts que la substance peut avoir. Mais la population en général, c’est-à-dire le nombre plus grand de personnes qui consomment, et qui consommeront la substance, sont celles qui ont cette perception générale de l’innocuité de la substance. C’est la même chose dans le cas de l’alcool, que la majorité de la population considère comme inoffensif, alors qu’il est tout aussi nocif ou plus nocif à bien d’autres égards.

C’est là que nous insistons sur la nécessité de revoir intensément notre approche éducative à l’égard de la consommation de substances en général, et pas seulement de cannabis, ainsi que de fournir aux jeunes des renseignements factuels qui correspondent à la réalité d’aujourd’hui.

La sénatrice Omidvar : J’ai d’abord une observation et une clarification à apporter, puis j’ai une question pour vous, madame Wright.

Je crois vous avoir entendu dire que vous vous attendiez à ce que la consommation de cannabis chez les jeunes augmente après la légalisation. L’expérience du Colorado nous en dit long, car la National Survey on Drug Use and Health a révélé que la consommation de cannabis au Colorado avait diminué chez les jeunes de 12 à 17 ans, passant de 11 à 9 p. 100.

Ma question porte sur les données de Rideauwood que vous avez présentées, selon lesquelles 75 p. 100 des clients adultes utilisent les services pour l’alcool et 33 p. 100 pour le cannabis, tandis que 54 p. 100 des jeunes les utilisent pour l’alcool et 65 p. 100 pour le cannabis. Ce sont des pourcentages absolus. Quelle est la taille de votre ensemble de données?

Mme Wright : L’ensemble de données en comporte des milliers qui s’étendent sur un certain nombre d’années.

La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous nous fournir cette information?

Mme Wright : Oui, nous pourrions vous fournir plus de détails, madame la sénatrice.

J’aimerais aussi, pour plus de précision, commenter les données du Colorado. Nous voyons des tendances à la hausse et à la baisse, et je pense que c’est peut-être une erreur de penser que parce que les pourcentages ont augmenté, ils continueront de le faire. Je pense qu’ils vont baisser à nouveau, comme ils l’ont fait au Colorado.

En fait, nous avons montré dans le cadre de notre projet Step, ici à Ottawa, que la consommation de cannabis a diminué lorsque les étudiants ont eu accès aux services, parce qu’ils se rendent compte, après avoir parlé à notre personnel, que la consommation de substances comporte certains problèmes. Mais ils acquièrent aussi ce qu’il faut pour résister à la tentation d’en consommer davantage ou pour arrêter d’en consommer.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Watt, vous avez soulevé un point très intéressant pour moi, soit la possibilité pour les mineurs d’obtenir un emploi sur le marché. Vous recommandez que cet aspect soit abordé dans le cadre du projet de loi C-45. Cependant, le droit du travail et de l’emploi est de compétence provinciale. En ce qui concerne la possession et la vente illégales, le gouvernement propose de criminaliser les jeunes qui ont moins qu’un certain âge et qui se font prendre avec une quantité supérieure à 5 grammes. Pensez-vous que c’est suffisant? Croyez-vous qu’il faudrait ajouter quelque chose pour prévenir une chose qui, à mon avis, est importante, à savoir la possibilité de travailler dans le marché illicite qui continuera d’exister?

M. Watt : Le dépôt de cette recommandation particulière tient pleinement compte du partage des compétences et des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière d’emploi. Pour ce qui est de la vente au détail, elle est de compétence provinciale exclusive. Nous avons simplement dit que les pratiques varient d’une province à l’autre en ce qui concerne les mineurs qui participent à la vente au détail de produits du tabac à l’heure actuelle. Dans certaines provinces, ils sont autorisés à vendre, tant que la personne qui achète le produit a l’âge approprié pour en consommer.

Toutefois, en ce qui concerne l’emploi dans les installations de production, nous croyons qu’il existe une échappatoire importante, qui n’a pas encore été corrigée. Il est vrai que les infractions criminelles proposées dans le projet de loi C-45 empêcheraient un jeune, s’il travaillait dans une telle installation, d’avoir le produit en sa possession. Ceci dit, cela fait partie des points sur lesquels nous nous sommes penchés, surtout en ce qui concerne les installations de production proprement dites.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence ici. Je suppose que ma question s’adresse à M. Watt, ultimement, mais je vais inclure Mme Wright dans mes commentaires.

Au cours de la dernière année environ, j’ai eu l’occasion de rencontrer des élèves du secondaire de ma province, le Nouveau-Brunswick, et le cannabis est évidemment venu sur le tapis, de même que l’entrée en vigueur de la loi. Au cours de cette discussion, je me suis rendu compte que beaucoup d’étudiants étaient conscients du risque de normalisation ou disaient que si le cannabis devenait légal, tout irait bien et qu’il n’y aurait pas de problème. Madame Wright, dans vos remarques, j’ai vu que vous avez expliqué ce que j’ai constaté personnellement à l’école lorsque j’y étais. Les étudiants croient qu’il n’y a rien de grave à conduire lorsqu’ils ont consommé. La chose sera légale et sera complètement sûre.

En tant que membre de l’Association canadienne des commissions/conseils scolaires, monsieur Watt, d’après votre expérience auprès de ces jeunes, considérez-vous que la normalisation de la consommation de cannabis chez nos jeunes est une conséquence non attendue de ce projet de loi?

En ce qui a trait à la deuxième partie de ma question, je me rends compte que Mme Wright a parlé de tout ce qui est offert dans le système scolaire et qui est là pour aider les familles et les toxicomanes, mais dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick, où je vis, et même dans les régions rurales encore plus éloignées du Canada, je me demande où ce service d’aide aux toxicomanes et aux familles pourra être offert aussi facilement que dans les villes et les centres urbains du Canada. Est-ce que cela vous inquiète?

M. Watt : Je vais commencer. Les conseils scolaires sont très préoccupés par le fait que la consommation, et plus particulièrement celle de cannabis, se normalisent au fil du temps. Comme nous l’avons mentionné dans nos observations, en 2002, lorsque le Sénat a fait son étude, par l’entremise du Comité spécial sur les drogues illicites, il a été dit que la décriminalisation du cannabis ne devrait en aucun cas mener à une telle normalisation sociale de la consommation de la substance. Je pense qu’il s’agissait d’une recommandation importante.

L’une des grandes recommandations formulées dans l’étude réalisée par le Sénat à l’époque — c’était il y a 16 ans, il n’y a pas si longtemps — voulait que le gouvernement du Canada adopte une politique intégrée sur les risques et les effets nocifs des substances psychoactives couvrant toute la gamme des substances, notamment le cannabis, les médicaments, l’alcool, le tabac et les autres drogues illégales, et portant principalement sur l’éducation des consommateurs, la détection et la prévention de la consommation à risque et le traitement de la consommation abusive.

J’étais page au Sénat lorsque ce rapport a été publié et j’ai donc pu entendre les témoignages. Il était très clair que ces recommandations ciblaient les jeunes en particulier.

L’acceptation sociale de la consommation de cannabis à la suite d’une décriminalisation était alors une préoccupation des conseils scolaires canadiens.

La sénatrice Poirier : Pour ce qui est de la deuxième partie de la question sur l’accessibilité des services aux toxicomanes et aux familles, est-ce que cela vous préoccupe? Nous savons que ces services sont offerts dans les centres urbains, mais si on va dans les régions rurales du Canada, et à plus forte raison dans celles très éloignées, plus le temps d’attente est long et moins il y a de services disponibles. Avez-vous des préoccupations quant au délai approprié pour offrir les services aux familles qui en ont besoin?

Mme Wright : Sur ce point, je demanderai aussi à mon collègue, Andrew Mendes, de dire un mot.

Je pense que vous m’avez aussi entendu dire que, même si nous disposons de cette magnifique ressource ici dans un centre urbain, elle n’est pas encore suffisante ni efficace pour venir à bout de la consommation de plusieurs types de drogues chez les jeunes et les jeunes adultes. Ainsi, même si nous sommes mieux pourvus que les gens dans une région rurale éloignée du Nouveau-Brunswick, ce n’est toujours pas suffisant. C’est pourquoi nous recommandons d’accroître les ressources non seulement pour le traitement — et c’est très important —, mais aussi pour l’intervention précoce, la prévention primaire. En milieu rural, c’est vraiment important.

Je pense que l’autre point que mon collègue a soulevé, c’est l’importance d’obtenir la participation des jeunes dans les efforts d’intervention précoce, de prévention primaire ou d’éducation. Ce qui peut nous sembler être une excellente façon de le faire pourrait ne trouver aucun écho chez les jeunes. Nous devons voir aussi à l’efficacité. Il se fait de très bonnes recherches au Centre d’excellence de l’Ontario en santé mentale des enfants et des adolescents, où tout tourne autour de l’engagement. Il y a des jeunes partout. Je pense que nous pouvons apprendre les uns des autres en collaborant pour trouver le moyen d’assurer cet élément crucial.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à M. Watt et à Mme Wright. Nous avons reçu un témoin qui nous a dit que dans sa ville, on avait commencé — non en raison du cannabis, mais bien avant — à donner de la formation aux jeunes sur les drogues en général, comme les drogues dures et le cannabis. Cette initiative a permis à cette ville d’avoir un plus bas taux de consommation de drogue, ce qui est tout en son honneur.

Serait-il préférable que les intervenants en milieu scolaire soient des infirmiers plutôt que des travailleurs sociaux pour ce qui est de la prévention et des mesures de soutien? Ou encore, cela devrait-il relever d’autres ressources du Rideauwood Addiction and Family Services?

[Traduction]

Mme Wright : Je pense qu’il nous faut une approche plus collaborative, plus globale et mieux intégrée. Nous avons besoin des travailleurs sociaux, des psychologues et des infirmières de la santé publique dans les écoles, mais aussi de conseillers rompus aux techniques d’engagement et d’acquisition des compétences appropriées par une thérapie cognitivo-comportementale ou d’autres techniques et qui peuvent motiver les jeunes à adopter des comportements sans danger. Une seule approche ne suffira pas. Nous devons avoir plusieurs fers au feu. Il est évident que les éducateurs ont un rôle critique à jouer, comme d’ailleurs les parents, puisqu’ils demeurent parents même si les jeunes font des choses qu’ils désapprouvent.

[Français]

M. Watt : Pour répondre à votre question, sénatrice, dans les régions rurales et dans le Grand Nord canadien, il est très difficile d’avoir accès à ces ressources qui sont nécessaires pour promouvoir une diligence quand on parle de la prévention et de la réduction des dépendances.

Pour nous, il est important que le gabarit soit collaboratif en tout temps, mais aussi en tenant compte du fait que le système scolaire au Canada ne peut pas être le seul appui qui existe. Les ressources sont actuellement trop minimes pour répondre à ce grand besoin. J’ai mentionné que jusqu’à 25 p. 100 des jeunes aujourd’hui ont des problèmes de santé mentale qui n’ont rien à voir avec la consommation des drogues et de l’alcool. Il est très important que nous travaillions en étroite collaboration avec tous les organismes en santé pour la prévention des dépendances.

La sénatrice Mégie : J’aimerais avoir votre opinion sur le fait que beaucoup de gens disent que lorsque ce sera légal, tous les jeunes auront l’impression que c’est normal de consommer du cannabis. Si les campagnes de prévention, de sensibilisation et de soutien portaient sur les drogues en général plutôt que juste sur le cannabis, est-ce que cela permettrait de faire comprendre aux jeunes que le cannabis est légal, mais qu’il est aussi nocif que les autres produits qui sont illégaux? Est-ce que, dans la tête des jeunes, cela pourrait empêcher la normalisation?

[Traduction]

Mme Wright : Je regarde le travail remarquable qui s’est fait auprès des jeunes au sujet de la nicotine et de l’alcool. Il a peut-être fallu une dizaine d’années pour passer de ce que nous avions l’habitude de faire à ce que nous faisons aujourd’hui, mais ces mesures ont certainement été très efficaces. Ces deux substances sont légales et elles ont des répercussions sur la santé; je pense que l’approche de renoncement au tabac qui a été adoptée partout au pays est une approche que nous devrions essayer de reproduire dans le cas du cannabis.

Le président : Nous allons passer au deuxième tour.

La sénatrice Seidman : Mme Eberl Kelly et d’autres ont parlé de réduction des méfaits. Je pense que vous en avez tous parlé. Tout d’abord, nous savons que d’autres gouvernements, celui du Colorado, par exemple, ont recommandé que le Canada mette en œuvre des campagnes d’éducation en santé publique bien avant la légalisation de la marijuana. Voici donc les préoccupations au sujet de l’éducation du public et des enfants, ainsi que des dangers et des méfaits liés à la consommation de marijuana. Vous avez déjà mentionné que les conseils scolaires ont besoin de plus de ressources et, en fait, monsieur Watt, vous avez dit que les conseils scolaires ne devraient pas être les seuls intervenants parce que vous êtes déjà à court de moyens. Quelles autres stratégies de réduction des méfaits recommanderiez-vous en milieu scolaire? Nous pourrions peut-être commencer par cela. Je m’adresse d’abord à vous, madame Kelly.

Mme Eberl Kelly : Le Consortium conjoint pour la santé en milieu scolaire est axé sur une population, sur une approche préventive pour cette population. Nous reconnaissons pleinement qu’il y aura toujours des besoins d’interventions cliniques, mais tous nos outils et nos ressources sont fondés sur la promotion de la santé, la prise de bonnes décisions, des relations saines, un environnement scolaire qui favorise l’engagement des élèves, leur apprentissage et de bons choix de leur part. Je ne suis pas une experte qui pourrait se prononcer sur les ressources cliniques qui conviendraient le mieux, mais je pense que nos membres seraient en faveur d’un soutien et d’une approche collaborative pour fournir aux étudiants de l’information, s’engager auprès d’eux et avoir cette conversation.

La sénatrice Seidman : Merci.

Monsieur Watt, vous avez parlé de réduction des méfaits à plusieurs reprises dans votre exposé. Quelles autres stratégies de réduction des méfaits recommanderiez-vous en milieu scolaire?

M. Watt : À mon avis, faute d’un meilleur terme et malgré une image trop souvent utilisée, il faut vraiment un village pour élever un enfant. Du fait de cette réalité, l’action de nombreux organismes sera nécessaire pour nous aider à corriger la perception que la légalisation normalisera le cannabis, mais aussi à le situer dans le contexte plus large des autres drogues et substances psychoactives.

Je pense qu’il est particulièrement important que le secteur de la santé collabore avec les conseils scolaires pour ce qui est de la prestation de soutien et de services. À l’échelle du pays, dans le cas des organismes de services à la famille qui sont en première ligne lorsque des enfants sont placés sous la tutelle de l’État en raison de la toxicomanie de leurs parents, il sera très important de renforcer les mesures de soutien et les services offerts par leurs travailleurs sociaux.

Il s’agit d’une approche à plusieurs volets qui fait appel à de nombreux différents intervenants, et pour citer encore une fois l’exemple du Manitoba, nous avons vu à quel point il est important que notre régie publique d’assurance automobile nous accompagne depuis le lancement d’une campagne proactive de sensibilisation aux dangers de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Ainsi, même des organismes comme celui-là sont importants, et il faudra vraiment adopter une approche à plusieurs volets.

M. Mendes : Merci de votre question.

Je pourrais ajouter, en ce qui concerne les interventions de réduction des méfaits, que nous devons tenir compte du point de vue des jeunes et revoir toute l’éducation qui leur est donnée et la modifier de façon à ce qu’elle corresponde à la réalité d’aujourd’hui et aux comportements des jeunes d’aujourd’hui.

Comme mon collègue l’a dit, nous devons concentrer nos efforts sur les programmes qui vont au-delà de l’école et qui établissent des liens avec les programmes parascolaires et les services communautaires de prévention et ainsi de suite, comme ceux offerts par Rideauwood, par exemple. Mais Rideauwood, il va sans dire, est un très modeste exemple ici, dans la région de la capitale.

L’autre élément important de la réduction des méfaits est la loi elle-même. C’est tout un saut à faire pour la réduction des méfaits. Comme le cannabis est illégal, comme il marginalise les jeunes et comme il est obtenu de sources illégales, il met aussi les jeunes en danger et leur offre la possibilité d’obtenir d’autres drogues. Nous voyons un grand nombre de cas de jeunes qui boivent de l’alcool avant d’avoir atteint l’âge légal, mais sans consommer d’autres substances, ou sans reconnaître avoir consommé d’autres drogues. Dans le cas du cannabis cependant, les rapports sur la consommation chez les jeunes sont fortement associés à la consommation d’autres drogues. Nous croyons fermement que ce lien étroit avec les sources d’accès à ces drogues réside dans le fait que ses sources sont toutes illégales et se rattachent habituellement à toute une série de sous-cultures de comportement illégal.

Un élément important de la réduction des méfaits est la loi elle-même et, encore une fois, l’accroissement des programmes d’éducation existants et leur examen, ainsi que des programmes parascolaires offrant aux jeunes des activités les décourageant de recourir aux drogues.

La sénatrice Seidman : Vous insistez également sur la prévention.

M. Mendes : Oui, j’insiste sur la prévention.

La sénatrice Seidman : Il y a beaucoup de travail à faire.

La sénatrice Petitclerc : J’ai une question pour vous tous et je me rends compte qu’elle concerne peut-être les provinces. Je profite du fait que vous êtes ici et que vous travaillez avec les écoles, les élèves et les jeunes, pour vous demander si vous vous inquiétez de la proximité des points de distribution du cannabis aux écoles. La raison pour laquelle je pose la question, c’est que nous savons qu’une province les autorisera à 100 mètres, ce qui est une petite promenade de 40 secondes. Cela m’a interpellé vivement. Que recommanderiez-vous comme distance minimale?

M. Watt : Je peux répondre en premier parce que c’est une question qui concerne directement nos intérêts.

La proximité est une question du ressort provincial qui est déléguée de plus en plus par les provinces aux administrations municipales, qui sont chargées des règlements de zonage nécessaires à l’établissement de zones tampons pour la vente au détail. Nous ne savons pas quelle serait la distance appropriée par rapport à une école, mais nous sommes très préoccupés par l’ouverture de points de vente au détail à proximité directe des écoles et des autres endroits fréquentés par les enfants, comme les parcs, les terrains de jeux, les installations récréatives et les garderies.

Il y a deux semaines, en Ontario, on a appris que l’un des premiers magasins de cette province avait ouvert ses portes juste à côté d’une école. La première ministre Kathleen Wynne a été choquée d’apprendre que cela s’était produit malgré les règlements provinciaux qui prévoyaient le contraire.

Ce genre de choses et de développements préoccupe grandement les conseils scolaires. Cela pose un défi particulier, d’autant plus qu’il y a souvent des chevauchements entre la compétence des conseils scolaires et celle des municipalités. Ce qui est devenu la norme par conséquent, c’est que les conseils scolaires devront s’adresser à de multiples secteurs municipaux pour s’assurer que la distance demeure la même et que les élèves sont protégés contre l’exposition au cannabis.

Mme Eberl Kelly : Je ne suis certainement pas experte en la matière et je ne peux pas parler au nom de tous les membres du consortium conjoint. Cela montre certainement la nécessité d’un solide contrôle des achats et des acheteurs.

Mme Wright : Je suis d’accord avec mes collègues, mais j’aimerais dire quelque chose au sujet de la proximité, qui est un peu à côté de votre question, madame la sénatrice. Lorsque nous passons de la criminalisation à la décriminalisation du cannabis, nous changeons aussi la facilité d’accès à d’autres drogues illicites, dont certaines sont d’une létalité élevée. Si vous songez aux endroits où un adolescent ou un jeune adulte pourrait se procurer son cannabis, il faut constater qu’il pourrait aussi se faire offrir d’autres choses ayant des effets plus nocifs. Ce n’est pas vraiment une question de proximité, mais je voulais le préciser.

Le président : C’est un point important.

Mme Wright : Oui.

Le président : Notre temps est écoulé. Je vous remercie tous les quatre d’être venus et de nous avoir fourni d’autres renseignements qui nous aideront dans nos délibérations sur le projet de loi C-45.

(La séance est levée.)

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