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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 217

Le jeudi 7 juin 2018
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 7 juin 2018

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, après consultations, il a été convenu d’admettre un photographe sur le parquet du Sénat pour qu’il puisse photographier la présentation des nouveaux sénateurs.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Nouveaux sénateurs

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que le greffier a reçu du registraire général du Canada des certificats établissant que les personnes suivantes ont été appelées au Sénat :

Donna Dasko

Pierre J. Dalphond

Présentation

Son Honneur le Président informe le Sénat que les sénateurs attendent à la porte pour être présentés.

Les honorables sénateurs suivants sont présentés, puis remettent les brefs de Sa Majesté les appelant au Sénat. Les sénateurs, en présence du greffier, prêtent le serment prescrit et prennent leur siège.

L’honorable Donna Dasko, de Toronto, en Ontario, présentée par l’honorable Peter Harder, C.P., et l’honorable Ratna Omidvar.

L’honorable Pierre J. Dalphond, de Montréal, au Québec, présenté par l’honorable Peter Harder, C.P., et l’honorable Murray Sinclair.

(1340)

Son Honneur le Président informe le Sénat que chacun des honorables sénateurs susmentionnés a fait et signé la déclaration des qualifications exigées prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d’attester cette déclaration.

Félicitations à l’occasion de leur nomination

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : J’ai le plaisir, à titre de représentant du gouvernement au Sénat, de souhaiter la bienvenue à nos deux nouveaux collègues, l’honorable Donna Dasko, de Toronto, et l’honorable Pierre Dalphond, du Québec.

[Français]

La sénatrice Dasko arrive sur la Colline du Parlement avec de profondes connaissances du monde politique canadien et de l’élaboration de la politique publique.

[Traduction]

Elle a la chance de compter bon nombre de parlementaires parmi ses amis. En fait, les parlementaires lui sont redevables de son travail pour que les femmes aient une voix et une place égales à celles des hommes sur la scène politique canadienne. La sénatrice Dasko est une ancienne statisticienne et spécialiste des sondages. Je suis heureux d’annoncer que, grâce à l’arrivée de nos nouveaux collègues à la Chambre rouge, nous continuons de réduire l’écart entre les sexes.

[Français]

Dès aujourd’hui, nous comptons 52 sénateurs et 43 sénatrices. Ce n’est pas tout à fait la parité que vous souhaitez, je le sais, mais nous y arriverons, madame la sénatrice, j’en suis certain, et vous serez ici pour le voir.

Avec l’arrivée du sénateur Dalphond, nous accueillons un nouveau collègue doté de profondes connaissances du Parlement et de la Chambre haute, en particulier. À titre de juge de la Cour d’appel du Québec, le sénateur Dalphond a eu l’occasion d’énoncer les commentaires suivants au sujet du Sénat :

Il est incontestable que cette institution est une composante fondamentale du compromis fédéral de 1867.

[Traduction]

On me dit que bon nombre de membres du personnel du Sénat qui sont avocats sont un peu éblouis par votre arrivée parmi nous. Lorsque je regarde le résumé de votre longue carrière d’avocat, de juge et de formateur, les mots « arbitre » et « médiateur » me sautent aux yeux. Je pense que vous allez trouver, monsieur le sénateur, que ces qualités nous seront très utiles, à nous tous, alors que vous assumez votre nouveau rôle.

Sénateurs Dasko et Dalphond, je sais que vous vous taillerez très rapidement une place au Sénat. Sachez que tous vos collègues, moi y compris, sont là pour vous aider.

[Français]

Bienvenue à vous deux. J’ai hâte de vous voir à l’œuvre, et je vous remercie de vous joindre à notre équipe.

(1350)

[Traduction]

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour offrir mes sincères félicitations à nos deux nouveaux collègues, l’honorable Pierre Dalphond et l’honorable Donna Dasko, nommés au Sénat hier sur la recommandation du premier ministre Trudeau. Les sénateurs conservateurs sont impatients de mieux connaître nos nouveaux collègues et de savoir que les sénateurs Dalphond et Dasko nous découvrent en retour, tant individuellement que collectivement, par l’intermédiaire de l’important travail que fait l’opposition officielle et, bien entendu, que nous faisons tous collectivement.

[Français]

Le sénateur représentera le Québec, notre province commune, où on le connaît comme éminent juriste et médiateur.

[Traduction]

La sénatrice Dasko a fait une longue carrière en tant que spécialiste des sondages et a travaillé à la promotion des femmes en politique. Aujourd’hui, elle amorce une participation différente au processus politique, soit à titre de parlementaire.

L’expérience professionnelle de nos deux nouveaux collègues éclairera certainement leur travail, comme c’est le cas pour tous les sénateurs.

En tant que membres du Sénat du Canada, nous nous voyons confier de grandes responsabilités et nos nouveaux collègues se joignent à nous à un moment particulièrement intéressant. De nombreux mois de dur travail et d’analyse par les sénateurs, au Sénat comme aux comités, culmineront aujourd’hui en une mise aux voix, à l’étape de la troisième lecture, du projet de loi C-45, le projet de loi du gouvernement visant à légaliser la marijuana.

Au nom de tous les sénateurs conservateurs et de tous les sénateurs ici présents, je fais mes meilleurs vœux au sénateur Dalphond et à la sénatrice Dasko, ainsi qu’à leur famille respective et à leurs amis, alors qu’ils entament aujourd’hui un nouveau chapitre de leur vie. Bienvenue à vous deux.

L’honorable Yuen Pau Woo : Chers collègues, au nom du Groupe des sénateurs indépendants, j’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à l’honorable Donna Dasko, sénatrice représentant la province de l’Ontario.

La sénatrice Saint-Germain fera par la suite une déclaration afin d’offrir ses félicitations à l’honorable Pierre Dalphond.

Si le nom de Donna Dasko vous semble familier, c’est peut-être parce que la sénatrice Omidvar l’a mentionné dans un discours prononcé il y a seulement quelques semaines, où elle racontait que, à son arrivée au Canada comme nouvelle immigrante, elle a reçu l’aide de nulle autre que la sénatrice Dasko.

Vous avez peut-être entendu son nom dans les médias, où on a souvent parlé d’elle en tant que première vice-présidente d’Environics Research Group. À la tête d’une des plus grandes maisons de sondages au Canada, elle a aidé les Canadiens à se renseigner sur de nombreuses questions d’intérêt public, dont les priorités budgétaires, l’unité nationale et la promotion de la santé. Elle est également une personnalité de la télévision et de la radio, souvent invitée par CBC et d’autres réseaux à offrir des analyses éclairées sur les politiques et les enjeux stratégiques du moment.

Il n’est donc pas étonnant que la sénatrice Dasko soit actuellement conférencière et chercheuse principale à l’École de politiques publiques et de gouvernance de l’Université de Toronto, où elle donne un cours sur l’opinion publique et l’élaboration de politiques. Nous avons beaucoup de chance de compter parmi nous une personne possédant une telle expertise en matière de politiques publiques.

La sénatrice Dasko est aussi reconnue pour sa passion à l’égard de la promotion des femmes en politique. Elle est la cofondatrice d’À voix égales, un organisme non partisan visant une représentation accrue des femmes dans tous les ordres de gouvernement au Canada.

Il est tout à fait à propos que, le jour de sa nomination, l’Ontario, sa province, tienne des élections où l’on compte un nombre considérable de femmes parmi les candidats. Plus précisément, les candidates représentent 56 p. 100 du total des candidats chez les néo-démocrates, 52 p. 100 chez les verts, 45 p. 100 chez les libéraux et 32 p. 100 chez les conservateurs.

Comme l’a dit la sénatrice Dasko, « étant donné que les femmes représentent la moitié de la population, il devrait y avoir autant de femmes que d’hommes [au Parlement fédéral et dans les assemblées législatives provinciales] ». Ce ne sont pas des paroles en l’air. En présentant sa candidature comme sénatrice indépendante, elle a agi concrètement pour accroître la participation des femmes à la vie politique. Grâce à sa nomination au Sénat, aujourd’hui, elle fait passer la proportion des femmes dans cette enceinte à 45 p. 100, du jamais vu dans notre histoire. Chers collègues, très peu de sénateurs établissent un nouveau record dès leur première journée de travail, mais c’est ce qu’a fait la sénatrice Dasko. Je souhaite qu’elle connaisse de nombreux autres moments mémorables au Sénat.

Sénatrice Dasko, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat et avons bien hâte de travailler avec vous.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorable sénateur Dalphond, j’avais pensé amorcer ce mot de bienvenue en faisant la nomenclature de quelques faits d’armes de votre brillante carrière de juriste. Je me suis toutefois rapidement ravisée, compte tenu de l’étendue de vos réussites professionnelles et, admettons-le, de la longue séance qui nous attend. J’entrerai donc sans plus tarder dans le vif du sujet.

À n’en pas douter, votre nomination s’appuie sur votre mérite, à tous égards, vous qui portez déjà le titre d’« honorable » à vie. Vous joignez le Sénat dans le contexte où il s’efforce de se rapprocher du rôle constitutionnel initial qu’il a hérité des Pères de la Confédération, soit celui de porter un second regard attentif sur tous les projets de loi.

Comme membres d’une institution de la démocratie, nous avons le devoir d’abaisser le niveau de cynisme ambiant en répondant aux attentes élevées de la population et en méritant ainsi sa confiance, et ce, en agissant de manière complémentaire à la Chambre des communes — ou si vous préférez, à « l’autre endroit », dans le langage sénatorial. La Chambre basse est composée, comme nous le savons, de parlementaires élus. Il ne s’agit donc pas de contrecarrer ou de retarder indûment la concrétisation de la volonté d’un gouvernement légitimement élu ni d’approuver ses propositions passivement et avec complaisance. Nous devons contribuer à la qualité de la législation fédérale et des politiques publiques afin qu’elles soient mieux adaptées aux enjeux contemporains et à l’évolution de la société.

[Traduction]

Les sénateurs assument aussi d’autres responsabilités, notamment en ce qui concerne la représentation de régions et la protection des minorités. Ils doivent donc faire preuve d’une grande vigilance pour garantir le respect de la Charte canadienne des droits et libertés. Je constate que vous êtes expert en droit constitutionnel, notamment grâce à l’expérience que vous avez acquise en qualité de juge pendant de nombreuses années à la Cour supérieure et à la Cour d’appel du Québec. Vous serez donc une source indéniable de connaissances en la matière. Votre réputation, votre parcours professionnel exceptionnel et votre sagesse viennent soudainement accroître la crédibilité de cette institution.

Je constate aussi vos antécédents remarquables dans les domaines de l’arbitrage et de la médiation. Tous les sénateurs vont profiter de vos atouts en la matière. Vous vous joignez à une institution exceptionnelle, qui est vouée à l’analyse et où les compétences et l’expérience de vie de chaque sénateur viennent enrichir les débats. Dans cette enceinte, les points de vue divergents sont reçus en toute déférence, et la liberté d’expression est absolue. Ici, vous aurez le privilège de faire connaître votre point de vue dans un milieu qui traverse une transformation d’envergure. Il ne fait aucun doute que vous parviendrez à maîtriser les travaux du Sénat avec les mêmes aptitudes qui vous ont permis de connaître du succès tout au long de votre brillante carrière.

[Français]

En mon nom personnel et en celui de tous les membres du Groupe des sénateurs indépendants, je salue votre nomination. Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada, au sein de cette haute instance de la démocratie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, je tiens à remercier le sénateur Woo et la sénatrice Saint-Germain de nous avoir présenté nos nouveaux collègues de façon aussi détaillée. Je vais simplement accueillir chaleureusement les nouveaux sénateurs au nom des indépendants libéraux et leur souhaiter brièvement la bienvenue.

Vos parcours sont impressionnants. La sénatrice Dasko, qui représente l’Ontario, est une sociologue, une spécialiste en sondages ainsi qu’une conférencière et une commentatrice réputée dans de grands domaines de politiques publiques. Elle est un chef de file pour ce qui est d’intégrer l’opinion publique aux discussions sur les politiques. En tant que cofondatrice et ancienne présidente nationale d’À voix égales, elle a travaillé sans relâche pour faire en sorte que davantage de femmes soient élues à des charges publiques au Canada, comme vient de nous le dire le sénateur Woo.

[Français]

Le sénateur Dalphond, qui représente la division sénatoriale de De Lorimier, au Québec, est un avocat, un professeur et un ancien juge de la Cour d’appel. Depuis longtemps, il s’est dévoué à l’éducation des autres, autant celle des jeunes avocats et avocates que celle des juges. Comme je l’ai déjà mentionné, il est professeur et enseigne l’arbitrage interne et international à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

(1400)

[Traduction]

Honorables sénateurs, vous avez tous les deux mené des carrières exceptionnelles jusqu’à maintenant, et je crois que vous ferez profiter le Sénat de vos points de vue et de vos expériences uniques lorsque vous défendrez des dossiers au nom des gens de votre région. Vous côtoierez de nombreux collègues dévoués et vaillants, des sénateurs qui veulent le meilleur pour leur province et leur pays, ainsi que pour cette institution et le rôle qu’elle joue au sein du Parlement du Canada. Nous serons tous ravis de travailler avec vous sur les divers dossiers dont vous vous occuperez.

Au nom des libéraux indépendants au Sénat, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada. Mes collègues et moi nous réjouissons à l’idée de collaborer avec vous.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Déclaration de l’honorable Jacques Demers

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, je demande votre consentement pour prononcer une déclaration au nom de notre collègue, le sénateur Demers.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.

Avant de vous lire la déclaration de notre cher collègue, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous dire que c’est un plaisir et un privilège pour moi de lui prêter ma voix et de le remercier deux ans plus tard. En effet, lorsque j’ai été nommée au Sénat, l’une des premières choses que j’ai faites a été de téléphoner au sénateur Demers, que j’ai connu dans une autre vie, alors que nous étions tous les deux dans le monde du sport, où nous nous croisions régulièrement.

Mon premier réflexe avait été de dire : « Je vais appeler l’entraîneur et lui demander ce qu’il en pense .» Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le sénateur Demers, avec son enthousiasme, sa passion et sa conviction, a tout de suite été emballé pour moi, heureux et plein de bons mots et de beaux conseils.

[Traduction]

Il m’a dit : « Vous devez accepter; vous devez y aller. » Il m’a aussi dit que je devais avoir confiance en moi, que je ne devais pas douter de la contribution que je pouvais apporter aux Canadiens et au Sénat, en raison de ma carrière dans le domaine sportif. Il a ajouté: « Ne vous inquiétez pas. Ce sont des gens merveilleux. »

[Français]

C’est un grand plaisir pour moi d’avoir l’occasion de lui dire merci, et un grand privilège de vous lire la déclaration qu’il m’a demandé de vous adresser.

[Au nom de l’honorable Jacques Demers]

Honorables sénateurs, comme vous le savez tous, le 7 avril 2016, ma vie a basculé.

[Traduction]

Deux ans se sont écoulés, et voici où j’en suis.

[Français]

Mes capacités ont été affaiblies à la suite d’un AVC, mais je peux vous assurer, chers collègues, que la joie et la fierté que j’éprouve aujourd’hui valent tous mes efforts.

[Traduction]

Je vais continuer de travailler fort et de reprendre des forces.

[Français]

Merci pour les mots, les lettres et les cartes d’encouragement que vous m’envoyez. Mon bureau assure un suivi quotidien avec moi, et cela m’encourage beaucoup.

[Traduction]

Je vous remercie, honorables sénateurs, et je reviendrai très bientôt.

[Français]

Merci à toi, coach, et bienvenue chez toi.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Le ramadan

L’honorable Mobina S.B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin de parler du mois sacré du ramadan. Le ramadan est le neuvième mois du calendrier islamique et débute à la vue du premier croissant de lune. C’est en ce mois providentiel que le saint Coran a été révélé au saint prophète Mahomet, que la paix soit avec lui.

En tant que fière sénatrice musulmane ismaélienne, je suis honorée de commémorer cette période de réjouissances avec mes sœurs et mes frères musulmans du monde entier.

[Français]

Les musulmans célèbrent ce mois en participant à des prières et à un jeûne durant le jour. Une fois que le soleil se couche, la famille et les amis se réunissent pour partager l’iftar ensemble, le repas du soir.

[Traduction]

Le ramadan est également une occasion pour les musulmans de penser aux gens qui, dans le monde entier, vivent au jour le jour dans des pays déchirés par la guerre. Je prends alors douloureusement conscience des conflits qui ravagent les pays musulmans.

Je songe alors à des crises comme celle qui accable les Rohingyas, qui sont actuellement la cible d’un nettoyage ethnique brutal partout au Myanmar.

Je pense à des gens comme Rehena Begum, une femme rohingya qui a dû marcher pendant quatre jours avec son bébé pour se rendre jusqu’à la rivière qui sépare le Myanmar du Bangladesh. Elle a dû s’enfuir de chez elle lorsque des militaires du Myanmar ont brûlé son domicile et massacré les autres membres de sa famille.

Lorsque Rehena Begum est montée à bord d’un bateau pour traverser la rivière, des militaires du Myanmar ont approché de l’embarcation et ont ouvert le feu sur tous ceux qui tentaient de traverser la rivière. Bien que le bateau de Rehena Begum ait pu atteindre l’autre rive, tous les autres ont coulé, après avoir été criblés de balles.

En cette période du ramadan, je pense à Rehena Begum, à son enfant et aux innombrables autres Rohingyas qui ont été tués d’une façon insensée en tentant de franchir la frontière pour fuir.

[Français]

C’est avec respect que je demande aux Canadiens de penser à ceux qui ne peuvent pas célébrer ce mois sacré dans la sainteté de leur maison.

[Traduction]

J’invite les Canadiens de toutes les confessions à en profiter pour se joindre aux fêtes du ramadan, alors que les musulmans souligneront l’iftar, ou Aïd el-Fitr, la fête qui marque la fin du ramadan.

Ramadan Mubarak à tous.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Tomson Highway et de Raymond Lalonde. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice McCallum.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Ronald J. Turcotte, C.M., O.N.-B.

L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, le Canada est bien reconnu pour avoir créé de très grandes légendes dans tous les domaines de notre société et, particulièrement, dans le monde du sport.

[Traduction]

Pensons aux Jacques Demers, Yvon Durelle, Georges Chuvalo, Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Maurice Richard, Jacques Plante, Sidney Crosby, la sénatrice Nancy Greene Raine, la sénatrice Chantal Petitclerc et une autre légende, le sénateur Paul McIntyre, notre sénateur marathonien, et n’oublions pas le sénateur Larry Smith, de la Ligue canadienne de football.

Toutefois, je veux aujourd’hui rappeler au Sénat du Canada une autre légende remarquable qui — oui, il y a 45 ans — a surpris le monde entier. Premièrement, je dois vous dire qu’il lui est vite apparu, en tentant de suivre les traces de son père et de son grand-père en travaillant comme bûcheron, à Grand Falls, au Nouveau-Brunswick, que, à 5 pieds 1 pouce et 125 livres, il lui serait difficile de gagner sa vie.

(1410)

Fort des valeurs inculquées par son père, il ne s’est pas découragé et, une fois au camp, on lui a dit qu’il devrait s’occuper des chevaux. Ron était convaincu qu’il pouvait assumer cette responsabilité. Il a suivi les conseils de son père, qui lui a dit de faire preuve de patience et de bâtir une relation de confiance entre homme et cheval.

En mai 1960, à l’âge de 18 ans, Ron Turcotte a quitté son foyer au Nouveau-Brunswick et s’est rendu à Toronto, où il a été engagé comme aide-écuyer à la Windfields Farm d’E. P. Taylor.

Honorables sénateurs, plus tard, lorsqu’il a déménagé à New York en 1971, cet habitant de Grand Falls a amorcé le parcours qui allait faire de lui un jockey légendaire et sans égal dans le monde. Honorables sénateurs, je veux vous dire que personne ne l’avait vu venir et que personne n’avait prédit ce qu’il accomplirait. Tous les yeux étaient rivés sur les autres jockeys et leur monture. Cependant, le 9 juin 1973, le jockey Ron Turcotte et son cheval Secretariat, surnommé « Big Red », ont remporté la Triple Couronne. M. Turcotte est devenu célèbre dans le monde entier lorsqu’il a remporté la première Triple Couronne en 25 ans. Le moment extraordinaire où Secretariat a franchi le fil d’arrivée avec une avance de 31 longueurs sur ses concurrents à Belmont Park demeure une image emblématique dans l’industrie des courses de chevaux.

Enfin, le temps ne me permet pas d’énumérer toutes les réalisations sans précédent de Ron Turcotte, mais les 3 200 courses qu’il a remportées au cours de sa carrière en font le jockey du siècle.

Le Sénat du Canada rend hommage à Secretariat et à Ron Turcotte, le meilleur jockey du monde. Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Manitok Thompson, de John Douglas Thompson et de Thomas Frederic Thompson. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Patterson.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

James J. (J. J.) Morrison

L’introduction au Temple de la renommée de l’agriculture de l’Ontario

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. J’interviens pour parler brièvement de James J. Morrison, ou J. J. Morrison, qui est né en 1861 dans le comté de Mapleton, anciennement appelé comté de Peel, situé juste au sud d’Arthur, en Ontario, pas très loin du comté de Wellington d’où je viens.

Considéré comme le père du mouvement agricole ontarien et pionnier des politiques et de l’économie agricoles en Ontario, J.J. Morrison a été qualifié, en avril 1923, par le magazine national Saturday Night comme l’un des plus brillants personnages politiques que le Canada ait jamais connus.

À 25 ans, il quitte la ferme et part à Toronto, où il occupe divers emplois, notamment à la Dominion Grange and Farmers’ Association et au Conseil canadien de l’agriculture. Il rentre ensuite à Arthur pour reprendre la ferme familiale.

Au printemps de 1913, alors qu’il se trouve sur sa terre, il se pose la question suivante : « Comment peut-on freiner la vague de commercialisation à outrance qui nuit à l’industrie agricole en lui faisant porter un fardeau qui la rend esclave, et qui entraîne le dépérissement de la vie rurale? »

En réponse à cette question, J.J. Morrison crée, au tout début du XXe siècle, une vision pour transformer l’agriculture et la vie rurale en Ontario. Il devient alors l’un des chefs de file du mouvement.

En 1914, Morrison participe à la fondation de United Farmers of Ontario et de la United Farmers Cooperative Company, dont la mission consistait à appuyer les agriculteurs et à défendre leurs intérêts. United Farmers of Ontario, ou UFO, prend rapidement de l’expansion et, en 1917, l’organisation compte plus de 350 filiales locales et plus de 12 000 membres. Deux ans plus tard, le nombre de membres dépasse les 50 000.

En 1919, UFO remporte les élections provinciales. Après la victoire, J. J. Morrison refuse le poste de premier ministre en faveur d’E. C. Drury. Il continue néanmoins de travailler en coulisses pour soutenir le gouvernement de l’heure et améliorer les mesures législatives à caractère social. Mentionnons entre autres la Mothers’ Allowance Act et diverses lois prévoyant notamment un salaire minimum pour les femmes, une bonification des indemnités pour accident du travail, l’expansion du réseau électrique dans les régions rurales et la création de la Caisse d’épargne de l’Ontario, pour offrir aux agriculteurs des prêts à des taux plus bas.

Notons que M. Morrison est considéré comme l’un des mentors d’Agnes Macphail, la première Canadienne élue au Parlement, en 1921.

En raison de ses nombreuses réalisations, je suis ravi de vous annoncer que, dimanche, il sera intronisé au Temple de la renommée de l’agriculture de l’Ontario au cours de la cérémonie d’intronisation de 2018.

J. J. Morrison, figure de proue du milieu de l’agriculture en provenance du comté de Wellington, n’est que l’un des nombreux chefs de file reconnus au sein du Temple de la renommée de l’agriculture de l’Ontario, car il a contribué de manière significative à la croissance et au développement de l’industrie agricole et agroalimentaire de l’Ontario. Merci.

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Rhonda Semple. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Coyle.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

La sclérose latérale amyotrophique

L’honorable Lucie Moncion : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner que le mois de juin est consacré à la sensibilisation à la sclérose latérale amyotrophique, la SLA. Cette maladie neurodégénérative paralyse graduellement la personne atteinte, alors que le cerveau perd la capacité de communiquer avec les muscles du corps. Au fil du temps, la personne atteinte de SLA perd la capacité de marcher, de parler, de manger, d’avaler et, éventuellement, de respirer.

[Traduction]

À l’heure actuelle, près de 3 000 familles canadiennes vivent avec la sclérose latérale amyotrophique. Tout au long de la maladie, elles ont besoin de soutien physique et affectif, d’appareils fonctionnels et d’équipement. Cette maladie est mortelle et elle tuera près de 1 000 Canadiens cette année.

À titre de membre du caucus parlementaire non partisan sur la sclérose latérale amyotrophique, je sais que je ne suis pas la seule à m’intéresser à cette maladie débilitante. J’ai également eu le privilège de rencontrer des Canadiens vivant avec la SLA et d’entendre leurs histoires. Bon nombre d’entre nous ont un proche, un membre de la famille ou un ami qui a appris qu’il était atteint de cette maladie, et la communauté parlementaire a elle-même constaté les énormes répercussions de la SLA.

Il n’existe aucun remède pour la sclérose latérale amyotrophique, et peu de traitements ont une incidence significative sur la qualité et l’espérance de vie des personnes atteintes. Environ 80 p. 100 des personnes atteintes de la SLA meurent de deux à cinq ans après avoir reçu leur diagnostic.

[Français]

Malgré ce pronostic peu encourageant, il y a de l’espoir. La recherche sur la SLA a fait d’énormes progrès au cours des cinq dernières années. Alors que des essais cliniques prometteurs sont en cours et que Santé Canada procède à l’examen d’un deuxième traitement, pour la première fois en deux décennies, les Canadiens atteints de SLA ont accès à de nouvelles options de traitement.

[Traduction]

Ce n’est qu’en nous engageant à soutenir la recherche et à permettre à toutes les personnes atteintes d’être traitées rapidement que la sclérose latérale amyotrophique sera un jour vaincue.

[Français]

Juin est le Mois de la sensibilisation à la SLA. Nous pouvons manifester notre soutien à la recherche sur cette maladie en portant la boutonnière ou encore en participant, dans nos communautés respectives, à la marche pour la SLA. Ici à Ottawa, cette marche aura lieu le samedi 9 juin 2018, au Musée canadien de la guerre.

[Traduction]

Honorables sénateurs, montrons aux Canadiens qui sont atteints de la SLA que nous nous soucions d’eux et donnons aux gens l’espoir que cette maladie sera un jour éradiquée. Je vous remercie.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La commissaire au lobbying

Dépôt des rapports annuels de 2017-2018

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports annuels du Commissariat au lobbying du Canada pour la période qui s’est terminée le 31 mars 2018, conformément à la Loi sur l’accès à l’information et à la Loi sur la protection des renseignements personnels,L.R.C. 1985,ch. A-1 et P-21,art. 72.

Dépôt du rapport annuel de 2017-2018

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel du Commissariat au lobbying du Canada pour l’exercice qui s’est terminé le 31 mars 2018, conformément à la Loi sur le lobbying, L.R.C. 1985,ch. 44(4e suppl.),art. 11.

[Traduction]

La commissaire à l’information

Dépôt du rapport annuel de 2017-2018

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de la commissaire à l’information du Canada pour la période terminée le 31 mars 2018, conformément à la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985,ch. A-1,art. 38.

Le Code criminel
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Présentation du douzième rapport du Comité des droits de la personne

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard,présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, présente le rapport suivant :

Le jeudi 7 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a l’honneur de présenter son

DOUZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-240, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains), a, conformément à l’ordre de renvoi du 17 avril 2018, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :

1.Article 2, page 2 :

a)Remplacer la ligne 1 par ce qui suit :

« a) obtient un organe à des fins de greffe »;

b)remplacer la ligne 3 par ce qui suit :

« l’organe a été prélevé n’a pas donné un »;

c)remplacer les lignes 6 et 7 par ce qui suit :

« b) se livre ou participe au prélèvement d’un organe sur une autre personne, ou facilite pareil »;

d)remplacer la ligne 9 par ce qui suit :

« a été prélevé n’a pas donné un consente- »;

e)remplacer les lignes 14 et 15 par ce qui suit :

« gane sur une autre personne sachant que la personne à qui l’organe a été prélevé n’a »;

f)ajouter, après la ligne 18, ce qui suit :

« (1.1) Pour l’application du présent article, consentement éclairé s’entend du consentement donné par une personne qui est capable de prendre des décisions relatives à des questions de santé et qui connaît et comprend tous les faits importants, y compris la nature de la procédure de prélèvement d’organes, les risques en cause et les effets secondaires potentiels. »;

g)remplacer la ligne 20 par ce qui suit :

« d’une autre personne à des fins de greffe sur »;

h)remplacer la ligne 22 par ce qui suit :

« ou la facilite, sachant que l’organe »;

i)remplacer la ligne 27 par ce qui suit :

« sible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. 

240.2 Un médecin tel que défini à l’article 241.1 qui traite une personne en lien avec une greffe d’organe fait rapport, dès que les circonstances le permettent, à l’autorité désignée à cette fin par décret du gouverneur en conseil le nom de la personne, s’il est connu, ainsi que le fait qu’elle a reçu une greffe d’organe. ».

Respectueusement soumis,

La présidente,

WANDA ELAINE THOMAS BERNARD

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion de la sénatrice Bernard, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1420)

Droits de la personne

Budget—L’étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel—Présentation du treizième rapport du comité

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard,présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, présente le rapport suivant :

Le jeudi 7 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a l’honneur de présenter son

TREIZIÈME RAPPORT

Votre comité, qui a été autorisé par le Sénat le jeudi 15 décembre 2016 à étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel, demande respectueusement des fonds pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2019.

Le budget initial présenté au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration et le rapport de ce comité ont été imprimés dans les Journaux du Sénat le 29 mars 2018. Le 17 avril 2018, le Sénat a approuvé un déblocage de fonds de 126 878 $ au comité.

Conformément au chapitre 3:06, article 2(1)c) du Règlement administratif du Sénat, le budget présenté au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration ainsi que le rapport s’y rapportant, sont annexés au présent rapport.

Respectueusement soumis,

La présidente,

WANDA ELAINE THOMAS BERNARD

(Le texte du budget figure à l’annexe des Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 3628.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion de la sénatrice Bernard, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

L’étude sur les obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne

Dépôt du quatorzième rapport du Comité des droits de la personne

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le quatorzième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé La promotion des droits de la personne - L’approche du Canada à l’égard du secteur des exportations.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

(Sur la motion de la sénatrice Bernard, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Affaires juridiques et constitutionnelles

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à siéger en même temps que le Sénat

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à se réunir le mercredi 13 juin 2018, à 15 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

[Traduction]

Droits de la personne

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat et pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que, jusqu’au mercredi 20 juin 2018, pour les fins de son étude de projets de loi du gouvernement, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne :

a) soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

b) soit autorisé, nonobstant l’article 12-18(2) du Règlement, à se réunir du lundi au vendredi pendant une période d’ajournement du Sénat qui dure plus d’un jour mais moins d’une semaine.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Les pouvoirs et les responsabilités du vérificateur général

Le rapport de juin 2015 sur les dépenses des sénateurs—Préavis d’interpellation

L’honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur les attributions du vérificateur général du Canada, agent autorisé par la Loi sur le vérificateur général de 1977 à être « le vérificateur des comptes du Canada », dont le poste et le bureau ont été constitués en 1878 par la loi intitulée Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics; et sur le Rapport du vérificateur général du Canada au Sénat du Canada de juin 2015 sur les dépenses des sénateurs, rapport dans lequel il n’est nullement fait mention des pouvoirs législatifs précis de la Loi sur le vérificateur général sur lesquels le vérificateur général s’est lui-même appuyé pour justifier son examen de 2013 à 2015 du Sénat et des dépenses des sénateurs.

L’affaire Petrofina de 1987—Préavis d’interpellation

L’honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain:

J’attirerai l’attention du Sénat sur les attributions du vérificateur général du Canada, agent autorisé par la Loi sur levérificateur général de 1977 à être « le vérificateur des comptes du Canada », dont le poste et le bureau ont été constitués en 1878 par la loi intitulée Acte pour pourvoir à la meilleureaudition des comptes publics; et sur l’affaire Petrofina (1987) à la Cour d’appel fédérale concernant la demande d’accès du vérificateur général à des documents en particulier concernant l’achat de Petrofina Inc., dans laquelle le juge Pratte, souscrivant à la décision du juge principal Heald, a conclu que « l’intimé est le “vérificateur des comptes du Canada”. Il n’est pas le vérificateur des comptes de sociétés d’État telles que Petro-Canada. »


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-65, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

Le Code canadien du travail
La Loi sur les relations de travail au Parlement
La Loi no 1 d’exécution du budget de 2017

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Hartling, appuyée par l’honorable sénateur Wetston, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017.

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour traiter du projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement, et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017.

Bien que je sois heureuse d’agir comme porte-parole pour cet important projet de loi, je suis profondément consternée de voir que le harcèlement et la violence dans les lieux de travail sont et demeurent un problème répandu au Canada. Ce projet de loi vise à prévenir les cas de harcèlement et de violence, notamment la violence de nature sexuelle, dans les lieux de travail fédéraux en obligeant les employeurs à prendre des mesures de prévention et à protéger les employés de ces comportements. L’idée est de répondre efficacement aux incidents qui pourraient survenir et de venir en aide aux victimes, aux survivants et aux employeurs dans le cadre du processus.

(1430)

Pouvoir travailler dans un milieu sûr et exempt de toute forme de violence est crucial pour le bien-être des Canadiens. À mesure que le projet de loi progressera, je porterai une attention particulière à la question de l’aide aux victimes qui, à mon avis, est l’un des éléments centraux du projet de loi.

La partie 1 modifie le Code canadien du travail afin de renforcer le régime visant à prévenir le harcèlement et la violence dans les lieux de travail, notamment le harcèlement et la violence qui sont de nature sexuelle.

La partie 2 modifie la partie III de la Loi sur les relations de travail au Parlement concernant l’application de la partie II du Code canadien du travail aux employeurs et aux employés du Parlement sans toutefois restreindre de quelque façon les pouvoirs, privilèges et immunités du Sénat, de la Chambre des communes, des sénateurs et des députés.

La partie 3 modifie une disposition transitoire de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017.

En tant que marraine du projet de loi, la sénatrice Hartling a brillamment décrit les différentes dispositions, alors je vais me concentrer sur certains des impacts de la violence et du harcèlement en milieu de travail, notamment du harcèlement sexuel et des enjeux liés aux écarts de pouvoir.

L’impact et les conséquences du harcèlement et de la violence au travail varient d’une personne à l’autre et en fonction de la durée et de la gravité des gestes offensants. Il convient de noter que, souvent, le harcèlement est un comportement répétitif.

Dans un sondage en ligne sur le harcèlement, la violence et la violence sexuelle au travail, les répondants ont mentionné que le comportement le plus fréquent était le harcèlement : 60 p. 100 d’entre eux en avaient été victimes. Trente pour cent d’entre eux avaient été victimes de harcèlement sexuel, 21 p. 100 de violence et 3 p. 100 de violence sexuelle. Malheureusement, je crois que, en réalité, les pourcentages sont plus élevés.

Comme l’indique l’Office of Human Rights and Conflict Resolution de l’Université Fraser Valley, souvent, le harcèlement ou la violence en milieu de travail entraînera chez la victime une ou plusieurs des réactions suivantes : l’incrédulité, la colère, un sentiment de culpabilité, une perte de confiance en soi, un sentiment d’impuissance, l’isolement, le retrait, la maladie, la dépression, l’insomnie, la perte d’appétit, de l’angoisse ou des crises de panique, le découragement, l’humiliation, la peur d’aller au travail, un écrasant sentiment d’injustice ou une augmentation de l’absentéisme et des congés maladie.

Le harcèlement et la violence en milieu de travail ont également des répercussions considérables pour les employeurs sur le plan des ressources humaines et les plans opérationnel et financier. Parmi les conséquences possibles, mentionnons la perte d’employés compétents et d’expérience, les erreurs, l’augmentation du nombre de congés pour cause de stress et un roulement plus élevé.

Le fait de travailler dans un climat où l’intégrité de la personne n’est pas respectée ne peut qu’avoir un effet négatif sur la productivité.

Qui plus est, les conséquences du harcèlement dépassent souvent le cadre du travail et peuvent être catastrophiques pour la famille, les relations et les amis de la victime.

Nannina Angioni, une avocate en droit du travail et de l’emploi qui a travaillé sur des centaines de cas de harcèlement sexuel, décrit le harcèlement sexuel en milieu de travail comme « un mal qui se coule comme un serpent dans un environnement de travail, laissant sur son passage des conséquences dévastatrices ».

Selon Abacus Data, le harcèlement sexuel visant les femmes est répandu au Canada, un peu plus d’une femme sur 10 indiquant que ce comportement est fréquent dans leur milieu de travail.

Les femmes âgées de 30 à 44 ans sont les plus susceptibles d’être victimes de harcèlement sexuel au travail, 64 p. 100 d’entre elles indiquant que cela arrive et 22 p. 100, que c’est courant.

Selon Colleen Cullen, une psychologue clinicienne, « […] la honte ou la culpabilité qu’une victime de harcèlement sexuel au travail peut éprouver pourra être dévastatrice pour son estime de soi et le sentiment de sa propre valeur sur le plan professionnel ». Elles peuvent, en outre, avoir des conséquences à long terme sur la santé mentale lorsque l’incident se produit en début de carrière.

Selon la Commission de l’Union européenne pour la protection de la dignité de l’homme et de la femme au travail, « [le] harcèlement sexuel est nuisible à l’ambiance de travail et peut avoir des effets dévastateurs sur la santé, la confiance en soi, le moral et les performances de ceux qui en sont victimes ».

Il peut aussi faire obstacle à l’intégration des femmes sur le marché du travail, à leur progression professionnelle et à l’atteinte de l’égalité entre les sexes. Les victimes de harcèlement sexuel qui sont forcées de changer d’emploi voient de plus leurs perspectives professionnelles s’amoindrir, que ce soit à court ou à long terme.

Au total, 34 p. 100 des gens ont répondu à la question sur les facteurs qui favorisent l’expression de la violence au travail et, du nombre, 51 p. 100 ont dit qu’ils ont vécu de la violence lorsqu’ils travaillaient seuls ou en petit groupe, et 28 p. 100 quand ils travaillaient tard le soir. Ces deux facteurs sont très courants dans le milieu parlementaire.

Dès qu’il est question de harcèlement en milieu de travail, les rapports d’inégalité font souvent partie de l’équation. Jamais une personne ne devrait abuser de son autorité pour en exploiter ou en harceler une autre, sexuellement ou non.

Ici, sur la Colline, où les rapports d’inégalité sont très marqués, nous devons être particulièrement vigilants. Nous devons nous rappeler que les membres du personnel parlementaire n’ont aucune sécurité d’emploi et qu’ils ne sont souvent que trois ou quatre dans un même bureau. Les conséquences pour les personnes qui portent plainte, surtout les jeunes, peuvent être dramatiques. Cette mesure législative leur accordera donc une protection bien méritée, et c’est déjà un excellent début. N’oublions pas, toutefois, que nous avons tous la responsabilité de dénoncer le harcèlement et la violence dont nous pourrions être témoins ici, dans notre milieu de travail.

Pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, le gouvernement devra modifier la réglementation en même temps que la loi entrera en vigueur. Il devra notamment définir les éléments essentiels d’une future politique de prévention du harcèlement et de la violence au travail, actualiser le processus de traitement des plaintes et le confier à des personnes qualifiées et impartiales et offrir du soutien aux employés qui vivent du harcèlement ou de la violence au travail.

Honorables sénateurs, la protection et le bien-être des employés sous réglementation fédérale, y compris de ceux qui travaillent sur la Colline du Parlement, sont de la plus haute importance. J’appuie pleinement ce projet de loi.

Toutefois, il n’est pas possible d’assurer une telle protection uniquement en adoptant un projet de loi. Ainsi, je demande à tous les Canadiens de faire partie de la solution et de s’engager à éliminer la violence et le harcèlement au travail une fois pour toutes.

Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Sabi Marwah : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017.

Pour commencer, je tiens à dire que je crois fortement qu’on attend depuis longtemps un changement culturel dans les milieux de travail du Canada pour prévenir le harcèlement et la violence. Un sondage d’Abacus Data de 2017 révèle qu’un Canadien sur 10, quand on leur a demandé à quel point le harcèlement sexuel était commun dans leur milieu de travail, a répondu qu’il était tout à fait courant. Cette recherche montrait également qu’il était rare que des sanctions soient prises contre les harceleurs.

Le sondage d’Abacus Data n’est qu’une des nombreuses études qui mettent en évidence ce que nous savons depuis toujours, soit que ces comportements indésirables sont courants dans les milieux de travail canadiens, y compris dans ceux qui relèvent du gouvernement fédéral.

Ce projet de loi s’attaque au problème du harcèlement et de la violence, qui touche tout le monde. En 2015, le gouvernement du Canada a lancé l’Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale. Les conclusions étaient que 295 plaintes formelles pour harcèlement sexuel avaient été déposées auprès d’employeurs, dont 80 p.100 venaient de femmes. Au cours de la même année, 1 601 incidents de violence avaient été signalés et, de manière étonnante, 60 p.100 des employés blessés ou ciblés étaient des hommes.

Ainsi, le harcèlement et la violence peuvent être présents dans n’importe quel milieu de travail et être commis par n’importe quel individu.

Il existe une gamme de comportements non souhaités, qui vont des remarques ou des blagues offensantes à l’intimidation ou à l’agression en passant par le regard inapproprié, qui visent à isoler un travailleur ou à le provoquer en raison de son identité. La liste est longue.

Afin de mieux comprendre les types de harcèlement et de comportements violents qui ont cours dans les milieux de travail canadiens, le ministère de l’Emploi et du Développement social a tenu des consultations de juin 2016 à avril 2017. Les résultats ont été divulgués sous la forme d’une publication intitulée Consultations publiques sur le harcèlement et la violence sexuelle en milieu de travail : Ce que nous avons entendu.

(1440)

Le parrain du projet de loi, le sénateur Harder, vous a déjà fait part de certaines des constations découlant de ces consultations.

La sénatrice Ataullahjan a aussi mentionné certaines statistiques, mais il y en a d’autres. Parmi les répondants au sondage qui affirment avoir vécu du harcèlement sexuel, 94 p. 100 étaient des femmes. Les répondants qui ont été victimes de harcèlement sexuel ont aussi tendance à travailler dans des milieux présentant une forte proportion d’hommes en position d’autorité. Par ailleurs, les personnes handicapées et les membres de minorités visibles subissent plus de harcèlement que les membres des autres groupes.

Les auteurs du sondage ont aussi conclu que, très souvent, les incidents ne sont pas signalés par crainte de représailles. Les incidents qui sont signalés ne sont pas traités de manière efficace.

Les intervenants ont aussi signalé qu’il était nécessaire de rédiger des politiques claires, qui décrivent les types de comportements que l’organisation considère comme étant du harcèlement ou de la violence en milieu de travail.

Chers collègues, je ne souhaite pas répéter le contenu du projet de loi. Toutefois, j’aimerais souligner les trois piliers sur lesquels il repose.

Premièrement, le projet de loi met l’accent sur la prévention. Les employeurs doivent mettre en place des politiques et des programmes pour prévenir les incidents de harcèlement et de violence. Par exemple, il peut s’agir de séances d’information sur le harcèlement, qui permettent aux employés et aux employeurs de connaître leurs droits et leurs obligations.

Deuxièmement, le projet de loi prévoit une réaction efficace en cas d’incident de cette nature. Grâce au projet de loi C-65, les employés qui souhaitent signaler un incident de harcèlement ou de violence pourront suivre une procédure claire et compète. Les employeurs devront faire enquête sur tout cas de harcèlement ou de violence porté à leur attention, le consigner et en faire rapport. Pour veiller à ce que toutes les plaintes fassent l’objet d’une intervention appropriée, on nommera une personne compétente pour faire enquête si les intéressés sont incapables de résoudre la situation eux-mêmes.

Troisièmement, le projet de loi est axé sur le soutien aux victimes. Les victimes de harcèlement ou de violence en milieu de travail doivent avoir accès aux ressources qui les aideront à se rétablir. Qui plus est, les mesures proposées permettront d’adopter des règles rigoureuses en matière de protection de la vie privée, afin de protéger les employés et de faire en sorte que tous les cas soient traités de manière confidentielle.

Chers collègues, toutes les formes de harcèlement en milieu de travail peuvent porter atteinte à la dignité d’une personne. Comme la sénatrice Ataullahjan l’a mentionné, si on ne fait rien pour contrer le harcèlement, le comportement risque de s’aggraver. Cela laisse la victime avec des séquelles permanentes, comme la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique.

On peut aussi faire valoir un argument économique. Entre 2010 et 2015, les employeurs ont payé, par l’intermédiaire de la Equal Employment Opportunity Commission des États-Unis, presque 700 millions de dollars américains à des employés qui se sont plaints de harcèlement et cette somme ne tient pas compte des montants versés après que les affaires sont portées devant les tribunaux. Même sans poursuite officielle, le harcèlement coûte de l’argent aux employeurs. En plus des coûts directs, il y a des coûts indirects qui empêchent les employés de faire leur travail efficacement, comme le manque de motivation au travail, la baisse de productivité et l’augmentation du taux d’absentéisme, et tout cela coûte de l’argent.

Honorables sénateurs, je suis heureux qu’il y ait eu des discussions visant à déterminer si le projet de loi s’attaque au harcèlement et à la violence en milieu de travail de la meilleure façon possible. Par exemple, le Sénat et l’autre endroit ont discuté du rôle des comités de santé et de sécurité au travail. Dans sa forme actuelle, le projet de loi prévoit que ces comités ne participeront pas au traitement de plaintes particulières, mais qu’ils s’assureront plutôt que le processus fonctionne comme prévu et que toutes les plaintes sont traitées de manière appropriée.

Les employés pourraient-ils présenter leurs plaintes auprès de ces comités? Serait-ce une violation de la confidentialité? Je suis convaincu que ces questions seront posées au comité.

Dans l’ensemble, le projet de loi C-65 s’attaque à une question universellement importante. Il est aussi non partisan que vous pourriez l’espérer au Sénat. Je vous rappelle que le projet de loi C-65 a été adopté à la Chambre avec l’approbation de tous les partis. Nous devrions donc le faire passer à l’étape suivante avec un enthousiasme similaire.

En résumé, un milieu de travail sécuritaire qui est exempt de harcèlement et de violence est essentiel au bien-être des Canadiens. Bien que le projet de loi C-65 ne règle pas tous les problèmes liés au harcèlement en milieu de travail, il représente un grand pas dans la bonne direction et envoie le message que nous sommes du côté des victimes et que nous n’appuyons pas, sous aucun prétexte, les abuseurs.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Hartling, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des droits de la personne.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je crois comprendre qu’il y a eu des consultations, et il y a entente pour que le débat à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-45 soit limité à 15 minutes par intervenant, y compris la période prévue pour poser des questions, et qu’aucune prolongation ne soit accordée.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Merci, Votre Honneur. J’avais cru comprendre que les leaders avaient un peu plus de 15 minutes. Est-ce le cas ou pas?

Son Honneur le Président : Non, ce n’est pas le cas. Sauf erreur, le temps de parole est de 15 minutes par intervenant.

Le sénateur Smith : Ce n’est pas exactement ce que j’avais été amené à croire. Je vais essayer de vous faire part de notre point de vue au sujet du projet de loi C-45.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, simplement pour clarifier les choses, les honorables sénateurs ont convenu d’accorder 15 minutes à tous les intervenants, et cela comprend le temps pour poser des questions, mais j’entends des grognements qui me portent à croire que ce n’est peut-être pas le cas. Est-ce bien le cas ou pas?

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Selon ma compréhension, les leaders disposent d’un temps illimité, les critiques et les parrains, quant à eux, ont 45 minutes, malgré le fait qu’ils ne l’utiliseront probablement pas au maximum de leurs droits. Cela dit, ils ont droit à plus de 15 minutes.

[Traduction]

L’honorable Yuen Pau Woo : Cela ne me pose pas de problème.

L’honorable Donald Neil Plett : Eh bien, Votre Honneur, comme je l’ai dit l’autre jour, les quatre groupes ont discuté entre eux du déroulement des choses et ont décidé de revenir aujourd’hui au temps de parole ordinaire. Comme l’a souligné le sénateur Carignan, le temps de parole ordinaire, c’est 45 minutes pour un parrain et un porte-parole, et un temps de parole illimité pour les leaders. Nous avons également convenu qu’il n’y aurait pas de temps supplémentaire accordé. Par exemple, 45 minutes, c’est 45 minutes, et non 50, et 15 minutes, c’est bien 15 minutes, et non 20.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, permettez-moi de reformuler la question. Êtes-vous d’accord pour que le temps de parole des sénateurs à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-45 soit de 15 minutes, y compris le temps des questions, à l’exception des leaders, du parrain et du porte-parole du projet de loi?

Des voix : D’accord.

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, tel que modifié.

L’honorable Larry W. Smith (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45. J’aimerais d’abord souligner le travail considérable qui a été accompli au Sénat au cours des derniers mois, travail auquel toutes les personnes ici présentes ont participé.

Honorables collègues, nous avons dit dès le départ que le but du caucus conservateur n’était pas de faire de l’obstruction à l’endroit de ce projet de loi. Nous avons insisté sur une évaluation constructive et nous l’avons menée. À titre de sénateurs, notre but est de travailler à la fois à promouvoir et à protéger les intérêts de la population canadienne.

Nous avons consacré de nombreuses heures à l’étude du projet de loi C-45. Même si le gouvernement a insisté pour qu’il soit rapidement adopté avant le 27 avril, nous n’étions pas du même avis, et nous avons exigé la tenue du débat exhaustif et transparent qui est en voie de se terminer aujourd’hui.

[Français]

Quant à ces applications multiples, les cinq comités du Sénat qui ont étudié le projet de loi C-45 ont entendu les témoignages des Premières Nations, des représentants des gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux, des professionnels de la santé, des experts en toxicomanie, des représentants des forces de l’ordre, des avocats américains et canadiens spécialistes des questions juridiques transfrontalières, des experts en droit international, des professionnels des transports et de la sécurité routière, des ministres et des fonctionnaires du gouvernement fédéral et, bien entendu, d’un grand nombre d’intervenants et de groupes qui auront à composer avec les effets de ce projet de loi partout au Canada.

[Traduction]

Nous avons tenu compte de l’opinion de toutes les personnes qui ont témoigné devant nous. Nous avons écouté les questions sérieuses que vous avez soulevées, et, en tant qu’opposition officielle, nous avons tout fait pour que le gouvernement entende vos inquiétudes

(1450)

Nous avons pris connaissance de préoccupations importantes concernant les répercussions que cette mesure législative aura sur les jeunes, sur la sécurité de la population, sur les quartiers et les rues et, bien franchement, sur certains des gens les plus vulnérables de la société. Trop de Canadiens sont encore mal informés par le gouvernement au sujet des répercussions et des conséquences possibles de cette mesure législative.

Parmi ces conséquences, mentionnons de plus grands risques pour les jeunes, compte tenu des répercussions que la consommation de marijuana peut avoir sur le développement du cerveau chez les personnes de moins de 25 ans; de plus grandes difficultés pour les forces de l’ordre et les premiers intervenants à gérer les conséquences de la légalisation de la marijuana sur les routes et les autoroutes, étant donné qu’il n’existe pas d’appareil pour déterminer les niveaux de THC; des répercussions sur le rendement et la sécurité au travail, étant donné qu’il y aura probablement une augmentation de la consommation de marijuana à des fins récréatives; une plus grande accessibilité à la marijuana dans les collectivités, en particulier pour les jeunes; des problèmes de santé très variés ayant des répercussions sur le système de santé publique; une incidence sur les déplacements transfrontaliers des Canadiens qui consomment peut-être de la marijuana légalement au Canada, mais qui ne s’attendent pas à ce que la découverte de ce comportement puisse mener à une interdiction à vie d’entrer aux États-Unis; et, enfin, des répercussions sur la circulation fluide du commerce transfrontalier si les voyageurs canadiens finissent par être examinés de plus près à la frontière par les douaniers américains.

Évidemment, je ne parlerai pas de la myriade de problèmes que je viens de présenter : j’en ai choisi trois.

En ce qui a trait à la sensibilisation du public, selon la déclaration officielle du gouvernement relativement à l’objectif de la mesure législative, il est préférable de protéger le public en légalisant et en réglementant la marijuana. Permettez-moi de citer directement l’article 7 du projet de loi, qui indique ceci :

La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment […] de protéger la santé des jeunes en restreignant leur accès au cannabis […] de prévenir les activités illicites liées au cannabis […] de réduire le fardeau sur le système de justice pénale relativement au cannabis [et] de mieux sensibiliser le public aux risques que présente l’usage du cannabis pour la santé.

Les objectifs sont clairement énoncés dans la loi, mais il semble que les efforts pour les atteindre s’arrêtent là. Bien que le gouvernement affirme être conscient de l’importance de tenir une campagne de sensibilisation du public, les Canadiens n’ont pas encore vu les autorités communiquer honnêtement et ouvertement avec eux sur les conséquences de ce projet de loi. C’est une chose de prétendre que sensibiliser et éduquer le public sur la marijuana est prioritaire, mais c’en est une autre d’entreprendre une campagne et d’en faire vraiment une priorité.

Normalement, lorsqu’un programme gouvernemental est lancé, on en énonce les buts, les objectifs et les principaux résultats escomptés. Des instruments de communication ciblés et stratégiques sont préparés pour aider les Canadiens à comprendre les effets éventuels des changements à venir dans les politiques publiques. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi le gouvernement n’a rien fait de tel dans ce cas. Pourtant, les études portant sur le projet de loi nous indiquent clairement que les enfants et les adolescents canadiens seront davantage exposés à la marijuana qu’ils ne l’ont été jusqu’ici. Les données provenant d’autres endroits où la marijuana a été légalisée nous confirment que le crime organisé ne disparaît pas lorsque les dispositions juridiques sur la marijuana sont retirées ou assouplies. Ce produit devient inévitablement plus accessible.

Il est étrange que le gouvernement ne souhaite pas qu’on porte attention à cela. Il affirme plutôt que c’est le contraire qui va se produire, que le crime organisé sera moins présent et que l’accès au cannabis illégal sera réduit. Or, les études que nous avons réalisées sur le projet de loi nous ont permis de constater que ce ne sera pas le cas. Depuis le début de notre évaluation de ce projet de loi, nous avons personnellement soulevé des questions. J’ai posé des questions à la ministre de la Santé sur l’absence de campagne de sensibilisation lors de la séance du comité plénier qui a eu lieu en février. La ministre nous a promis à ce moment-là que la campagne commencerait en mars.

Le 21 mars, j’ai envoyé une lettre à la ministre de la Santé pour savoir où en était la mise en œuvre de la campagne de sensibilisation, puisque je n’avais pas encore entendu parler de la mise en œuvre de quelque campagne que ce soit. Le mois de mars est passé, et le gouvernement n’a rien ajouté de nouveau quant à son plan en vue de sensibiliser les Canadiens.

[Français]

Le 11 avril, j’ai demandé, encore une fois, à la ministre de la Santé d’accorder une séance d’information au sénateur Carignan, à la sénatrice Seidman et à moi-même, portant principalement sur la campagne de sensibilisation du public. Ma demande a été refusée.

[Traduction]

Comme je l’ai mentionné, le 11 avril, j’ai demandé à la ministre d’organiser une réunion pour faire le point sur la situation. Cette réunion n’a jamais eu lieu. Le 11 mai, la ministre de la Santé a répondu à ma demande de renseignements supplémentaires sur le plan de mise en œuvre de la campagne de sensibilisation nationale. La ministre a déclaré que cette campagne serait lancée en mars 2018. En lisant sa réponse, j’ai compris que cette campagne nationale n’était qu’un site web de Santé Canada où figurent des questions et réponses qui ont trait à la marijuana. On attend toujours une campagne de sensibilisation plus constructive à l’intention des Canadiens.

En me préparant en vue de mon allocution aujourd’hui, je suis tombé sur la citation suivante du premier ministre :

Je suis un enseignant. C’est ainsi que je me définis.

Comment le premier ministre du Canada, qui se définit comme un enseignant et qui croit qu’il est important de fournir aux gens les outils dont ils ont besoin pour réussir, peut-il ne pas être conscient de l’importance de veiller à ce que les gens soient prêts à surmonter remove les grandes difficultés qui découleront de la mesure législative qu’il propose? Les erreurs du gouvernement en matière de sensibilisation du public sont considérables, et je prédis que cela deviendra bien évident lorsque des questions seront posées après la légalisation. Je prédis que le gouvernement aura très peu de réponses, sinon aucune.

J’ai soulevé il y a quatre mois la question de l’absence de certitude quant aux répercussions possibles sur le Canada et les États-Unis après la légalisation. J’ai posé des questions détaillées au ministre de la Sécurité publique sur le nombre de fois où il avait soulevé, auprès de son homologue du département de la Sécurité intérieure des États-Unis, la question du traitement qui sera réservé à la frontière aux Canadiens qui reconnaîtront avoir déjà consommé de la marijuana. À ce jour, aucune réponse à ce sujet n’a été fournie. Pourquoi en est-il ainsi? L’absence de renseignements au sujet des nombreuses conséquences du projet de loi C-45 est quelque chose qui devrait préoccuper tous les sénateurs.

Les Premières Nations représentent un autre enjeu. Je souhaite également parler de la question des consultations avec les Premières Nations. Certains sénateurs, au Sénat et aux comités, ont beaucoup parlé de l’obligation pour le gouvernement de prendre part à des consultations en bonne et due forme lorsque des initiatives stratégiques touchent directement les communautés des Premières Nations. Le manque de matériel de sensibilisation de la population adapté aux communautés autochtones sur les plans linguistique et culturel m’apparaît particulièrement troublant. Il y avait de jeunes Autochtones en visite au Sénat hier. J’ai eu la chance de m’entretenir avec 10 d’entre eux. Je leur ai posé la question, et la réponse que j’ai reçue était la même : il n’y a pas de programmes adaptés à leur culture.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a très bien saisi le message : le matériel est toujours en cours de préparation, et il n’y a pas eu suffisamment de consultations en bonne et due forme auprès des communautés. Toutes ces préoccupations existent toujours à quelques semaines, à quelques jours à peine de la légalisation. Le comité a entendu des témoignages de représentants d’organismes de santé autochtone qui ont clairement dit qu’une démarche de sensibilisation adaptée sur le plan linguistique est nécessaire afin de répondre aux besoins des peuples autochtones. Une telle démarche permettrait aux communautés autochtones de s’éloigner de ce que la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances appelle une réaction fondée sur la peur pour s’orienter plutôt, à l’égard des conséquences de la marijuana, vers une approche d’atténuation des méfaits fondée sur les forces.

Étant donné que nous avons continuellement entendu le gouvernement dire que la protection des jeunes constitue un pilier central du projet de loi C-45, il est inquiétant qu’aucune campagne de sensibilisation de la population adaptée aux communautés autochtones sur le plan linguistique n’ait été encore lancée. Ce qui est surprenant en ce qui a trait à la communauté autochtone, c’est que le Comité des peuples autochtones avait formulé une recommandation unanime afin d’exiger que la ministre qu’elle dépose un rapport exhaustif pour répondre aux préoccupations liées à la légalisation et à ses conséquences sur les communautés autochtones, mais que les sénateurs libéraux indépendants du Comité des affaires sociales l’ont rejetée.

Parmi ces préoccupations, mentionnons celles qui concernent le partage des revenus fiscaux, l’élaboration de matériel de sensibilisation et de programmes adaptés, la création et le financement de programmes de lutte contre les troubles mentaux et la toxicomanie, la création de centres d’hébergement, de traitement et de guérison, et la nécessité d’offrir des soins infirmiers et des services de police adaptés. Il semble que les considérations idéologiques sur lesquelles se fonde la légalisation de la marijuana aient éclipsé l’idéal que constitue la nécessité de consulter suffisamment la population.

Hier, le sénateur Harder a lu une lettre que le gouvernement a envoyée à minuit moins cinq pour dire qu’il mènera une étude, qu’il répondra aux besoins en matière d’infrastructures et qu’il créera un programme de sensibilisation adapté à la culture des peuples autochtones. C’est bien : encore une autre promesse. Sera-t-elle tenue? C’est ce que nous verrons.

Mon dernier point concerne le respect et l’équilibre des pouvoirs. Il faut respecter les compétences constitutionnelles des provinces et l’équilibre des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

[Français]

L’Assemblée nationale du Québec a déterminé que, dans l’intérêt des Québécoises et des Québécois, la marijuana légale ne devrait être produite que par les producteurs titulaires d’un permis. Jean-Marc Fournier, ministre québécois responsable des Relations canadiennes, a déclaré que le Québec a le droit d’interdire la culture à domicile, et je cite :

[...] pour limiter l’accessibilité et éviter la banalisation du cannabis pour les mineurs et les jeunes adultes, l’accessibilité étant le plus grand déterminant de l’usage du cannabis.

(1500)

Il a ajouté ceci :

La production à domicile nous empêche de fournir l’information pertinente et d’avoir des moyens de constater si certaines personnes ont des besoins particuliers découlant de la consommation du cannabis.

Il a aussi souligné que l’objectif du Québec est le suivant :

[…] limiter le marché illicite du cannabis et éviter que soit constituée une chaîne de producteurs personnels.

Par contre, il y a quelques semaines, le premier ministre canadien a réitéré qu’il souhaitait aller de l’avant avec la culture à domicile, et ce, peu importe ce que dit le Québec. Autrement dit, selon la vision du fédéralisme du premier ministre Trudeau, la nation québécoise et les élus de l’Assemblée nationale n’ont pas voix au chapitre en ce qui concerne l’application de cette nouvelle loi.

Il y a donc un conflit qui doit être résolu entre le Québec, qui cherche à sécuriser sa population et le gouvernement fédéral, qui refuse d’écouter le Québec.

[Traduction]

Le Manitoba a aussi dit vouloir interdire la culture à domicile. La ministre de la Justice Heather Stefanson et le ministre de la Santé Kelvin Goertzen ont mentionné les préoccupations très sérieuses pour la santé et la sécurité publiques que soulève la mesure législative proposée. Plus précisément, ils ont demandé que le projet de loi C-45 soit amendé pour donner la certitude aux provinces et aux territoires qu’il leur sera permis de restreindre davantage, par voie législative, la production de cannabis à domicile.

Le Manitoba et le Québec ont dit fermement que le projet de loi C-45 doit traiter de ce problème pour éviter de futures contestations judiciaires. Il est très important de régler cette question dans l’amendement de la mesure législative apporté au Comité des affaires sociales, une recommandation aussi adoptée à l’unanimité par les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Il est juste de dire qu’il reflète, de ce fait, un fort consensus dans cette enceinte et qu’il renforce le rôle central que joue le Sénat dans l’expression des préoccupations régionales.

Nous suivrons de très près la réaction du gouvernement fédéral à cet amendement, qui montrera, je pense, la profondeur de l’engagement du gouvernement actuel à l’égard d’un fédéralisme souple et sa volonté de permettre aux provinces de réagir au projet de loi C-45 d’une manière qui leur laisse au moins la capacité de protéger leurs citoyens.

J’arrive à ma conclusion et j’ai pris bien moins que 45 minutes.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je demeure préoccupé par les graves lacunes du projet de loi C-45. Les sénateurs d’en face ont décrit ce projet de loi comme une expérience sociale. Ils disent que c’est un type de mesure législative que le gouvernement devrait prendre pour tester de nouveaux concepts sociaux et juridiques. Plus précisément, j’ai entendu la phrase : « Nous apprendrons au fur et à mesure. »

Bien sûr, dans l’ensemble, ce ne sera pas nous qui devrons composer avec l’accès accru des enfants et des collectivités à la marijuana qui en résultera. Ce ne sera peut-être pas nous qui nous verrons refuser l’entrée aux États-Unis parce que nous avons déjà consommé de la marijuana, lorsque les Américains intensifieront leur contrôle des Canadiens à la frontière. Ce ne sera pas nous non plus qui ferons partie des communautés autochtones qui devront se débrouiller avec la légalisation de la marijuana et des ressources insuffisantes.

Bien que je croie que les sénateurs ont apporté certaines améliorations modestes à ce projet de loi, celui-ci demeure fondamentalement mauvais. La priorité du gouvernement a été de faire en sorte que la marijuana soit légalisée dès cet été, au lieu de s’assurer que les Canadiens soient dûment protégés. La présentation de plus de 50 amendements de forme pour éliminer les anomalies du projet de loi — j’ai bien dit 50 amendements de forme — rend cet aspect particulièrement évident.

Lorsque le projet de loi C-45 sera adopté, il changera des vies. Il aura des répercussions sur nos enfants, nos petits-enfants et nos collectivités, d’un océan à l’autre. Ce ne sera pas un projet de loi qui ne touchera que quelques personnes, mais plutôt un projet de loi qui touchera tous les Canadiens, et ce, de plus d’une façon.

À l’avenir, j’espère que nous pourrons travailler ensemble pour garantir que tous les Canadiens soient respectés et que leurs voix continuent de se faire entendre.

Chers collègues, en résumé, il est question dans ce projet de loi de la façon dont nous gérons le risque. Faut-il faire plus de travail dès le début pour réduire les risques potentiels ou tenter tant bien que mal de régler au fur et à mesure les problèmes et les conséquences imprévues qui découleront de cette expérience sociale? Merci beaucoup de votre attention.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Mitchell a la parole.

L’honorable Grant Mitchell : Chers collègues, lorsque j’ai vu la liste des intervenants aujourd’hui, je savais qu’il y aurait beaucoup d’interventions fort intéressantes à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45. Or, cela vous surprendra, mais la mienne ne sera pas une de celles-là. Ainsi, je tâcherai de terminer aussi rapidement que possible.

Cependant, je profite de l’occasion pour aborder une question qui suscite un large consensus, si je ne m’abuse. Je présente deux amendements de forme à un amendement adopté par le Comité des affaires sociales, qui figure dans le dernier rapport.

Réflexion faite, le problème tient au fait que deux enjeux préoccupants ont fait surface. Premièrement, le comité sénatorial et, par la suite, le Sénat ont exprimé le souhait qu’un comité du Sénat et un comité de la Chambre des communes effectuent chacun un examen après cinq ans, mais le libellé donne à entendre que ce pourrait être l’un ou l’autre.

Je parle du libellé des paragraphes 151.3(1) et 151.3(2). Dans le second paragraphe, comme deux comités feront rapport, il faut ajouter un « s » à « comité » pour lire « comités » plutôt que « comité ».

Adoption de la motion d’amendement

L’honorable Grant Mitchell : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-45, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à la page 91, par substitution, à l’article 151.3 (ajouté par décision du Sénat le 30 mai 2018), de ce qui suit :

« 151.3 (1)Cinq ans après l’entrée en vigueur du présent article, un comité du Sénat et un comité de la Chambre des communes sont désignés ou constitués pour entreprendre un examen de l’application de la présente loi.

(2) Les comités visés au paragraphe (1) examinent à fond la présente loi et son application, et déposent, dans un délai raisonnable après l’examen, devant chaque chambre du Parlement un rapport sur celui-ci, lequel rapport comporte notamment toute conclusion ou recommandation qui en découle. ».

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénateur Mitchell, avec l’appui de l’honorable sénateur Harder, propose en amendement que le projet de loi C-45 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 91, par substitution à l’article 151.3, de ce qui suit… Puis-je me dispenser de lire la motion?

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

(La motion d’amendement de l’honorable sénateur Mitchell est adoptée.)

[Français]

L’honorable Marc Gold : Honorables sénateurs, appuyer ce projet de loi était relativement facile pour moi. J’ai toujours pensé que le droit criminel était le mauvais outil pour traiter de la possession et de l’usage du cannabis. En effet, je me penche sur la question de la légalisation de la marijuana depuis la fin des années 1960. Alors, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi C-45 au Parlement l’an dernier, j’avoue que je l’appuyais déjà.

L’hiver dernier, j’ai passé mes dernières vacances à étudier attentivement le projet de loi. J’ai conclu que c’était une solution judicieuse pour résoudre les problèmes relevant de la politique publique auxquels le gouvernement est confronté, soit, selon mes lectures, les problèmes sociaux causés par la criminalisation de la possession et de l’usage de cannabis au Canada. Il n’était pas parfait. Quel projet de loi l'est? J’en suis venu à la conclusion que ce texte de loi méritait mon appui, ce que j’ai déclaré en cette enceinte. Dans mon discours à l’étape de deuxième lecture, j’ai invoqué les cinq raisons suivantes pour témoigner de mon appui au projet de loi C-45.

Premièrement, notre approche actuelle de la criminalisation de l’usage du cannabis est un échec complet et total. Elle n’a pas réussi à réduire la consommation de cannabis au Canada, tant chez les jeunes que chez les adultes, et il en a résulté un vaste marché illégal non réglementé dominé par des éléments criminels.

(1510)

Deuxièmement, la criminalisation de la possession de cannabis a sérieusement compromis notre capacité d’éduquer les Canadiens, en particulier les jeunes, sur les véritables risques pour la santé liés à la consommation du cannabis.

Troisièmement, la criminalisation continue du cannabis mine le respect des Canadiens à l’égard du droit pénal et du système juridique en général.

Quatrièmement, les conséquences de la criminalisation sont préjudiciables à tous les Canadiens qui se retrouvent dans le système de justice pénale, et ces conséquences touchent de façon disproportionnée les jeunes et les populations les plus vulnérables.

Enfin, le projet de loi établit un équilibre salutaire entre les rôles légitimes du Parlement et des assemblées législatives provinciales en réponse aux dimensions sanitaires, éducatives et sociales de l’usage du cannabis dans notre pays.

[Traduction]

Rien de ce que j’ai entendu pendant les audiences du comité ou le débat au Sénat ne m’a fait changer d’idée. Au contraire, les témoignages me convainquent encore plus que le projet de loi C-45 est non seulement une solution sensée à ce problème social, mais aussi la solution qui convient le mieux.

Les mois d’étude et de débats parlementaires ne m’ont pas seulement conforté dans mes convictions quant à l’utilité du projet de loi, ils m’ont aussi permis d’apprendre beaucoup de choses. J’ai appris que la consommation de cannabis présente vraiment des risques pour la santé, mais qu’ils ne sont pas aussi graves que ce que les détracteurs du projet de loi laissent entendre. J’en sais aussi beaucoup plus, toutefois, sur certains effets négatifs que la consommation de cannabis a eus dans plusieurs communautés autochtones.

J’ai aussi appris que la légalisation du cannabis ouvrira de grands champs de recherche. La criminalisation du cannabis a eu pour conséquence qu’il manque cruellement d’études dans ce domaine. La recherche nous permettra donc de mieux comprendre les risques et les possibles avantages de la consommation de cannabis. Elle nous permettra de mieux sensibiliser les Canadiens aux moyens d’aborder la consommation de cannabis de manière responsable.

J’ai en surtout beaucoup appris, honorables sénateurs, sur le processus législatif au Sénat. J’ai pu constater que, en nous acquittant de nos responsabilités relativement à l’étude des projets de loi, nous pouvons apporter une contribution utile, et nous le faisons.

La majeure partie de ce que j’ai appris est positif. Je pense que l’organisation du processus dans un calendrier bien établi et par thèmes — et ce, tant en comité qu’au Sénat même — nous a beaucoup aidés à étudier en profondeur et de manière rigoureuse l’ensemble de la question.

Que l’on soit pour ou contre la légalisation du cannabis — il y a certes des gens raisonnables qui s’y opposent et continueront de le faire —, nous pouvons tous convenir, je crois, que le projet de loi C-45 est une mesure législative d’importance historique et très complexe. Pour ma part, je crois sincèrement que tous les enjeux pertinents ont fait l’objet d’un examen exhaustif et très approfondi. Comme nous l’avions fait pour le débat sur l’aide médicale à mourir, nous avons adopté, pour traiter le projet de loi C-45, une approche structurée qui nous sera fort utile quand d’autres mesures législatives difficiles se présenteront.

J’en profite d’ailleurs pour remercier les leaders des différents groupes du Sénat, qui se sont entendus sur une façon efficace d’organiser l’examen du projet de loi. Nous devons également des remerciements particuliers au sénateur Dean, qui a joué son rôle de parrain du projet de loi de manière ouverte, équilibrée et non partisane. Enfin, nous ne sommes pas censés mentionner des sénateurs absents, mais j’aimerais, avec le consentement du Sénat, offrir nos remerciements collectifs à la sénatrice Seidman, car elle a joué son rôle de porte-parole de l’opposition de manière professionnelle et constructive, comme elle le fait toujours.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Gold : Honorables sénateurs, je termine en revenant à mon point de départ. À mon avis, le projet de loi C-45 offre une solution appropriée aux problèmes sociaux que cause la criminalisation de la consommation de cannabis au Canada. Si le projet de loi C-45 est mis en œuvre judicieusement et fait l’objet d’un suivi approprié, nous serons mieux placés pour régler les véritables enjeux associés à la consommation de cannabis, et ce, pour les Canadiens de tous les âges, de tous les horizons et de tous les milieux.

J’appuie le projet de loi C-45, de toute évidence, et j’encourage tous les honorables sénateurs à en faire autant. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous une question, honorable sénatrice?

L’honorable Sandra M. Lovelace Nicholas : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Gold?

Le sénateur Gold : Bien sûr.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Ne pensez-vous pas qu’il est préférable de prescrire de la marijuana à des fins médicales que des opioïdes?

Le sénateur Gold : Merci d’avoir posé la question. En gros, la réponse est oui. Je ne suis pas médecin, alors je ne prétendrai pas connaître toutes les circonstances dans lesquelles ce serait utile, mais si j’en juge par mon expérience — et je présume que la plupart d’entre nous ont des collègues, des amis et des membres de la famille qui en ont consommé —, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’utilisation responsable et supervisée de certains produits du cannabis pour certaines conditions offre un soulagement et des bienfaits énormes aux Canadiens. Il est clair qu’elle est préférable à l’utilisation et à l’abus de médicaments sur ordonnance comme les opiacés, qui, bien qu’ils soient nécessaires au soulagement de la douleur dans des circonstances extrêmes, a eu des conséquences dévastatrices sur des milliers, sinon des millions, d’utilisateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Gold : Oui, avec plaisir.

L’honorable Marty Deacon : Merci, sénateur Gold. J’écoute et je dois avouer que, contrairement à ce que vous avez dit cet après-midi, dans mon cas à moi, cela n’a pas été une décision facile. Je suis une nouvelle sénatrice indépendante qui, il y a 15 semaines, ne pouvait concevoir d’appuyer la légalisation du cannabis. Comme bien des gens, il est clair que j’ai appris très rapidement la complexité du sujet, notre vulnérabilité, le besoin de poser de nombreuses questions…

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous participez au débat ou vous posez une question?

La sénatrice Deacon : Je vais poser une question concernant le besoin de faire toutes ces choses. En fonction des renseignements que nous avons examinés au cours des six dernières semaines et de nos différentes expériences, j’aimerais vous demander aujourd’hui, en fonction de ce que vous avez dit, si vous croyez qu’on a fait preuve de diligence raisonnable à tous les niveaux et dans tous les coins possibles? Croyez-vous que le principal objectif de ce projet de loi soit toujours d’aider nos jeunes et de réglementer le cannabis? Croyez-vous que, si ce projet de loi est adopté, il sera assorti d’un cadre de responsabilisation et de suivi pour veiller à ce que tous les Canadiens soient informés afin de mieux comprendre leurs actes et leurs décisions?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de vos questions. Il y en avait trois ou quatre, je crois. Les réponses sont oui, oui, oui et oui, s’il y en avait une quatrième.

En ce qui a trait à la diligence raisonnable, laissons de côté les décennies d’études et de réflexion sur la question qui ont eu lieu avant la création du groupe de travail. Oublions le groupe de travail et ses conclusions. La Chambre des communes a mené une étude approfondie du projet de loi et, plus important encore, nous avons fait de même. Sans avoir les statistiques exactes sous la main, je peux affirmer qu’il y a eu des dizaines et des dizaines de réunions de comité, des centaines de témoins, des heures et des heures d’excellents débats — dont certains figurent parmi nos meilleurs. Je suis convaincu que le Sénat a fait preuve de beaucoup de rigueur dans cet examen crucial.

Pour ce qui est de votre question quant à l’objet premier du projet de loi, je dirai qu’il s’agit d’une politique sociale complexe et que, partant, le projet de loi est lui aussi complexe. Il poursuit plusieurs buts, qui sont énoncés à l’article 7. La protection des jeunes en fait partie et elle suscite des préoccupations. Un autre objectif important est celui de réduire les préjugés et la marginalisation dont font l’objet les adultes et les jeunes qui ont eu affaire au système de justice pénale parce que le cannabis est illégal. Le projet de loi a d’autres objectifs dont je ne parlerai pas, car nous avons une longue journée devant nous.

Il y a beaucoup de choses à dire sur le cadre de responsabilisation et de suivi, mais je serai très bref. Le projet de loi, tel qu’amendé par le Comité des affaires sociales et le Sénat, exige clairement la tenue d’un examen et la présentation d’un rapport au Sénat. Ce n’est pas tout. Il a aussi été question de confier le suivi de la loi à un tiers indépendant lorsqu’elle entrera en vigueur, car il est possible que nous considérions la loi sous un angle particulier. Il y aura sans doute des ratés. Il n’est pas irresponsable de le reconnaître lorsqu’on adopte un projet de loi complexe. Il est cependant responsable de mettre en place des mécanismes de surveillance afin que nous puissions nous adapter aussi rapidement que nécessaire et avec toute la souplesse et la diligence qu’exigent les circonstances et les Canadiens.

(1520)

Outre ces mécanismes formels, n’oublions pas les pouvoirs que nous avons dans cette Chambre. Le Sénat a la possibilité de poser des questions, d’exiger des réponses écrites et de demander des comptes au gouvernement. Nous pouvons, par l’entremise du système de comités, exiger des rapports… Je me suis laissé emporter par l’enthousiasme. Nous avons de nombreux outils à notre disposition. Nous pouvons réclamer avec insistance que des rapports soient produits en temps opportun. Nous n’avons pas à attendre cinq ans pour obtenir de l’information sur les résultats; en tant que sénateurs, nous pouvons nous servir de notre tribune pour faire des remontrances — si je peux m’exprimer ainsi — et attirer l’attention du public sur ces questions. J’ai oublié de parler de la société civile. Il nous arrive de rester dans notre petite bulle sur la Colline, mais le monde aura les yeux fixés sur nous, y compris le monde des médias, dont certains représentants sont sûrement ici aujourd’hui.

Honorables sénateurs, je n’ai aucun doute que la mise en œuvre de ce projet de loi sera étudiée et examinée. Elle sera scrutée d’un œil critique, particulièrement par ceux qui demeurent préoccupés, voire craintifs, au sujet des conséquences de ce que je crois et ce que j’espère que nous ferons aujourd’hui si nous adoptons ce projet de loi.

Par conséquent, la réponse est oui. Merci de vos questions.

L’honorable Leo Housakos : Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Bien sûr. Vous ai-je déjà refusé une question auparavant?

Le sénateur Housakos : Je ne crois pas que ce soit déjà arrivé.

Vous avez parlé des nombreuses recherches scientifiques menées sur des dizaines d’années par le gouvernement au sujet de ce projet de loi. Pouvez-vous nommer une étude des cinq dernières années qui a été réalisée par un ministère fédéral afin de recueillir des données scientifiques sur la quantité de marijuana qui circule dans la société? J’écarte, évidemment, l’étude commandée par le ministère de la Santé plus tôt cette année, en février ou en mars, afin d’analyser le traitement des eaux usées à l’échelle du pays. Je souligne que l’étude avait été commandée en février ou en mars, mais que les travaux se font toujours attendre. Ai-je manqué ne serait-ce qu’une autre étude fondée sur des données qui aurait été menée par un ministère concerné?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne pense pas avoir dit — du moins, je n’en avais pas l’intention — que le gouvernement a mené des études pendant des dizaines d’années. Ce que j’ai dit, c’est que cette question fait l’objet d’études depuis des dizaines d’années. Chose certaine, elle a été examinée par la Commission Le Dain et, ici, par un comité sénatorial. Des chercheurs universitaires ont mené des études sur le sujet, qui a fait partie des questions de politique publique au fil des ans. Si j’ai donné l’impression, sénateur Housakos, que je parlais d’études du gouvernement fédéral en particulier, je m’en excuse.

Ce que je voulais dire — et je crois que l’argument tient toujours —, c’est que cette question occupe des gens réfléchis, expérimentés et sérieux depuis des décennies, et à juste titre. Nous ne sommes pas partis de zéro. Le projet de loi qui a été présenté s’appuie donc sur des dizaines d’années de considération, d’examen et d’expérience. Nous sommes bien au fait des conséquences du régime actuel de prohibition et de criminalisation ainsi que des ravages qu’il a causés dans la société canadienne.

L’honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, je prends la parole alors que nous en sommes à la fin de l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi sur le cannabis, sous sa forme modifiée.

Durant son étude du projet de loi, le Comité sénatorial des affaires sociales a entendu 136 témoins en 53 heures, dans le cadre de 19 réunions. Il a aussi examiné les rapports de quatre autres comités sénatoriaux. Inutile de dire qu’il y a eu de longs débats et que beaucoup d’arguments ont été présentés.

Pendant ces réunions, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’il y a probablement eu des débats semblables au Canada il y a près d’un siècle sur la décision de lever la prohibition. Il appert que bon nombre des préoccupations soulevées aujourd’hui existaient déjà à l’époque. J’aimerais donc faire un bref rappel historique.

Au Canada, la prohibition des produits alcoolisés relevait en grande partie de la compétence des provinces. En 1917, toutes les provinces, à l’exception du Québec, avaient adopté des lois sur la tempérance.

Dans ma province, la prohibition a été décrétée en 1916, du fait de l’adoption de la Loi sur la tempérance de l’Ontario. Elle est restée en vigueur pendant environ une décennie, jusqu’à ce que le chef du Parti conservateur, Howard Ferguson, obtienne un second mandat comme premier ministre, en 1926, après avoir promis de lever la prohibition durant sa campagne électorale. Je dirais qu’il y a eu une certaine inversion des rôles depuis.

Comme c’est le cas maintenant, bon nombre de personnes avaient peur de ce qui se produirait après la levée de la prohibition. Quand M. Ferguson a déclenché les élections, le procureur général de l’époque, W.F. Nickle, a remis sa démission, croyant que la politique sur l’alcool du parti « mènerait à une catastrophe à laquelle [il ne voulait] pas être mêlé ».

Par ailleurs, le comité de rédaction du Toronto Star avait déclaré ceci :

Les électeurs doivent décider s’ils souhaitent que l’Ontario abandonne une loi qui a éliminé les deux tiers des cas d’ivresse à Toronto […] et la remplace par un système qui a augmenté ces cas de 40 p. 100 à Winnipeg, de 52 p. 100 à Calgary…

— et, sénateur Mitchell —

… de 111 p. 100 à Edmonton.

Voici un autre exemple d’inversion des rôles. Le chef du Parti progressiste, William Raney, a déclaré : « La Loi sur la tempérance de l’Ontario s’est révélée fort utile pour réduire la tentation à laquelle sont soumis les jeunes Ontariens, pour favoriser la sobriété chez les citoyens, pour aider les ménages à vivre à l’abri de la misère, du besoin et du crime […] »

Malgré ces préoccupations, le gouvernement conservateur de M. Ferguson a invalidé la prohibition en adoptant la Loi sur les alcools, créant ainsi la Régie des alcools de l’Ontario, qui, en Ontario, est également responsable de l’administration de la vente au détail. Ce système de réglementation et de contrôle gouvernemental en matière de distribution de l’alcool est en vigueur depuis près de 100 ans.

Le projet de loi C-45 vise à mettre en place un système semblable à celui mis en place par M. Ferguson en 1927. En fait, si on remplace les renvois à l’alcool par « cannabis », on pourrait croire que c’est aujourd’hui que le premier ministre Ferguson a pris la parole lorsqu’il a déclaré que la mesure législative ne visait pas à éliminer complètement la distribution d’alcool, mais plutôt à la contrôler. Il a ajouté que le gouvernement n’était pas là pour accroître la consommation d’alcool, mais bien pour protéger la population, tout particulièrement la nouvelle génération, contre le fléau des dernières années.

Chers collègues, mon intention n’est pas de passer sous silence les difficultés qu’éprouvent de nombreux Canadiens relativement à l’alcool. Il serait tout à fait irréfléchi d’affirmer que tous les risques liés à l’alcool ont été éliminés. Cependant, malgré les avertissements, l’ordre social en Ontario ne s’est pas détérioré lorsque la prohibition a été levée.

Le sénateur Mercer : Cela s’est produit plus tard.

Le sénateur Eggleton : Oui, la situation se détériore aujourd’hui.

Au contraire, lorsque l’administrateur en chef de la santé publique s’est penché sur les habitudes de consommation d’alcool des Canadiens en 2015, il a constaté que les Ontariens se classaient au deuxième rang des plus faibles consommateurs d’alcool parmi toutes les provinces et que l’Ontario avait l’un des plus faibles taux de conduite en état d’ébriété. Je dois souligner que certains dirigeants politiques en Ontario ont jugé ce système si efficace qu’ils ont proposé, pendant la campagne électorale qui prend fin aujourd’hui, d’autoriser la vente d’alcool dans les dépanneurs.

Je crois que le projet de loi C-45 va entraîner des résultats similaires. Après tout, c’est un projet de loi qui vise la réduction des méfaits, et pas leur élimination. Personne n’est en train de dire que le cannabis ne peut pas être néfaste, comme peut l’être l’alcool, s’il est consommé à l’excès. Cela montre plutôt que l’approche actuelle par rapport à cette substance ne fonctionne pas. L’approche prohibitive ne freine pas la consommation de marijuana. Les Canadiens, particulièrement les jeunes Canadiens, comptent parmi les grands consommateurs de cannabis au monde.

La prohibition n’a fait qu’empêcher l’adoption d’une approche de santé publique raisonnable par rapport à la consommation de cannabis. Plutôt que d’acheter un produit réglementé, accompagné de mises en garde, clairement indiquées sur l’emballage, les Canadiens s’en procurent dans la rue, dans les ruelles et dans les cages d’escalier des écoles secondaires. Il n’y a aucun moyen pour eux de connaître la concentration en THC du produit qu’ils consomment. Qui plus est, la prohibition favorise un marché illicite, dont les vendeurs ont fort probablement des substances plus addictives et plus destructives à proposer.

Voici ce qu’a dit au comité le Dr Le Foll, le directeur médical du Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui est la plus grande institution de la sorte au pays qui s’occupe de santé mentale :

(1530)

L’approche générale que nous devons adopter [...] doit être axée sur la santé publique et non sur le droit criminel. Nous pourrons grandement réduire les méfaits liés aux drogues illicites, y compris le cannabis, en adoptant une approche axée sur les questions sous-jacentes de santé publique. La plupart des méfaits sont en vérité le fruit des lois en vigueur, et non des drogues elles-mêmes.

La Criminal Lawyers’ Association a répété la même chose. Elle nous a dit ceci :

Simplement, c’est la criminalisation de la marijuana, non pas la marijuana elle-même, qui cause ces préjudices.

Ce qui aggrave les choses, c’est le fait que les lois en vigueur ne sont pas claires. Certains Canadiens, en particulier des jeunes, pensent qu’il est permis de posséder de la marijuana pourvu qu’on n’ait pas l’intention d’en faire la vente. Comme l’a dit un témoin au comité :

[...] comme le préposé au dépanneur du coin m’a dit l’année dernière, il est légal de posséder [de] la marijuana une fois par année, pourvu que ce soit pendant le rassemblement du 20/4 sur la Colline du Parlement.

Ces malentendus peuvent avoir de graves conséquences. Pas plus tard qu’en 2016, près de 18 000 Canadiens ont été accusés de possession simple. Voilà ce dont je veux parler en conclusion, c’est-à-dire empêcher les Canadiens, en particulier les jeunes, d’avoir un casier judiciaire pour la simple possession de cannabis destiné à leur consommation personnelle.

Le projet de loi propose de limiter à cinq grammes la possession de cannabis à des fins d’usage personnel pour les personnes âgées de moins de 18 ans, sans que celles-ci risquent d’être considérées comme des criminels. Je ferai remarquer que cela n’autorise pas les jeunes de moins de 18 ans à posséder du cannabis. S’ils se font prendre avec une quantité inférieure à cette limite, la drogue sera presque assurément saisie et ils seront passibles d’une sanction déterminée par la province ou la municipalité, un peu comme c’est le cas en Ontario pour les jeunes de moins de 19 ans qui se font prendre à acheter, à posséder ou à boire de l’alcool. Toutefois, ces personnes ne seront pas passibles d’une sanction pénale, ce qui est très important.

C’est ici, au Sénat, à l’étape de la deuxième lecture, qu’on a accusé le gouvernement de donner son accord tacite à ce que des enfants puissent avoir en leur possession jusqu’à cinq grammes de cannabis. Ce n’est tout simplement pas vrai. J’espère que personne au Canada, ni les adultes ni les jeunes, ne se retrouvera avec un casier judiciaire pour possession de cannabis. Souvenez-vous, lorsque vous étiez jeune, à quel point l’influence des pairs était importante. On peut facilement imaginer que, de nos jours, un jeune puisse demander à un ami de garder son herbe pour éviter que ses parents ne la trouvent. Admettons que cet ami ait déjà aussi un peu de cannabis, il se retrouvera peut-être au-dessus de la limite des cinq grammes. Mériterait-il alors d’avoir un casier judiciaire? Évidemment que non. C’est ce qui explique l’importance de l’amendement de la sénatrice Seidman que notre comité a adopté. Il prévoit ce qui suit :

Il est entendu que la présente loi n’a pas pour effet de limiter l’application des mesures extrajudiciaires prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Parmi les exemples de ces mesures extrajudiciaires, notons la possibilité pour l’agent de police de donner un simple avertissement, de diriger le jeune vers des programmes communautaires ou même d’envoyer un avis écrit aux parents.

Il est également important que ce projet de loi s’applique équitablement à tous les Canadiens. Pendant notre étude, on nous a répété que la législation en matière de drogue n’était pas appliquée de manière uniforme au Canada. En termes simples, les groupes racialisés, les Autochtones et les Canadiens à faible revenu se voient imposer des peines beaucoup plus sévères que les Canadiens qui ont la même allure que moi.

Le projet de loi tel que modifié comprend plusieurs mécanismes d’examen. Ceux qui mèneront ces examens devront vérifier si les peines prévues dans la Loi sur le cannabis, tant pour les adultes que pour les jeunes, sont appliquées de manière équitable à tous les groupes de notre société diversifiée.

Honorables sénateurs, au cours du débat, j’ai entendu toutes sortes d’opinions sur les effets potentiels de ce projet de loi. En fait, nous sommes largement en territoire inconnu, et il y aura des conséquences inattendues, quelle que soit la prévoyance dont nous essayons de faire preuve.

Je suis toutefois certain d’une chose, et c’est que l’approche actuelle ne fonctionne pas. Il faut y remédier. En qualité de législateur, j’aurais tort de préconiser que nous maintenions le cap. Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est une étape en vue d’adopter une meilleure approche. C’est une étape importante pour sortir d’un système qui fait plus de mal que de bien et c’est pourquoi je vais voter pour le projet de loi C-45.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Monsieur le sénateur Eggleton, accepteriez-vous de répondre à une question?

L’honorable David Tkachuk : Je pense que le débat aurait pris une tournure différente s’il s’était agi uniquement de la décriminalisation. Sur les 16 000 personnes qui ont été inculpées l’année dernière, selon vous, combien ont été déclarées coupables?

Le sénateur Eggleton : Je n’ai pas cette statistique, mais je pense que le nombre doit être beaucoup moins élevé. Je vais m’en tenir à cela. Néanmoins, dès qu’on inculpe une personne, on lui fait subir un traumatisme, et elle risque de vivre beaucoup de difficultés. Se voir infliger un casier judiciaire est une conséquence très sévère à subir pour la simple possession de cette substance afin d’en faire un usage personnel, alors que ses effets ne sont pas pires que ceux de l’alcool. La consommation modérée ne pose jamais de problème, qu’il s’agisse d’alcool ou de cannabis. Je suis toutefois d’avis que porter des accusations criminelles contre ces gens est mauvais. C’est l’un des problèmes que ce projet de loi corrigera.

Vous parlez de décriminalisation, mais vous ne devez pas oublier le revers de la médaille, c’est-à-dire que, même en décriminalisant, un marché illégal subsisterait. C’est en procédant non seulement à la décriminalisation, mais aussi à la légalisation qu’on peut prendre le contrôle de cette industrie et la réglementer, pour enfin se débarrasser de ce marché illégal de 7 milliards de dollars.

Le sénateur Tkachuk : Le débat aurait été tout autre s’il avait été question de décriminalisation. Je voulais simplement faire ressortir la différence entre le nombre de personnes qui ont, en fin de compte, été reconnues coupables par opposition au nombre qui ont été accusées. Comment ce projet de loi va-t-il mettre un frein à la vente d’une drogue qui sera maintenant légale, ce qui est très différent de la situation actuelle, à des personnes qui ne devraient pas en avoir en leur possession, c’est-à-dire les jeunes de moins de 18 ans?

Le sénateur Eggleton : Si j’en reviens à mon analyse historique, il fut un temps où il y avait des contrebandiers d’alcool et toutes sortes de gens qui vendaient clandestinement de l’alcool, mais, à un moment donné, la loi a pris le dessus. Naturellement, il reste certains éléments. Rien n’est jamais parfait. Il reste que l’ordre social a été maintenu au Canada lorsque le pays est sorti de la prohibition et, à mon avis, il en sera de même dans ce cas-ci. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Cependant, lorsque nous sensibiliserons les gens, lorsque nous leur communiquerons les mises en garde et les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions touchant leur santé et leur sécurité — ce que nous ne pouvons pas faire tant qu’il s’agit d’une substance illégale, du moins pas dans la même mesure —, je pense qu’il y aura une grande amélioration de notre système.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’ai une question à poser au sénateur Eggleton.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous avez 1 minute et 15 secondes.

La sénatrice Martin : Oh, cela prendra plus de temps. J’allais exposer certaines préoccupations relativement à l’infrastructure employée à l’heure actuelle pour la contrebande de cigarettes, dont la vente est légale et très réglementée et comporte de nombreuses mises en garde, et à ce qui pourrait arriver avec ce produit illicite qui deviendra légal, mais est illégal ailleurs dans le monde. Cela suscite certaines inquiétudes.

Le sénateur Eggleton : Le tabagisme a beaucoup diminué au cours des dernières décennies. Ce programme a été très efficace. J’espère que nous prendrons le même genre de mesures en ce qui concerne le cannabis ,et je crois que la consommation de cannabis diminuera aussi.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, il est maintenant l’heure pour nous de nous prononcer sur l’ensemble du projet de loi C-45. Je tiens à vous remercier de votre travail diligent dans ce dossier. Nous avons prouvé encore une fois que le Sénat peut très bien fonctionner, tenir des débats de haut niveau, exercer son rôle de Chambre de deuxième réflexion et demeurer une institution essentielle à la protection de notre démocratie et des droits des minorités.

[Traduction]

La légalisation du cannabis est une étape importante au Canada. Il faut aborder ce changement fondamental de façon mature, sérieuse et responsable. Il nous incombe de voir à ce que le projet de loi que nous adoptons fasse du Canada un meilleur endroit où vivre.

[Français]

Le Sénat aura adopté 44 amendements au projet de loi C-45, dont 29 ont été déposés par le parrain lui-même, le sénateur Dean. Pour un projet de loi qu’on nous a décrit à plusieurs reprises comme étant parfait, c’est tout de même un fait remarquable. J’espère que le gouvernement aura l’ouverture d’esprit nécessaire pour faire en sorte que tous ces amendements soient retenus à l’autre endroit. Nous avons certainement réussi à améliorer le projet de loi C-45.

(1540)

Cependant, malgré ces améliorations, le projet de loi C-45 demeure, à mon avis, un projet de loi dangereux pour les Canadiens et les Canadiennes. Son entrée en vigueur n’a pas été préparée avec tout le soin nécessaire ni avec toutes les précautions dont le gouvernement doit faire preuve lorsqu’il adopte un tel changement de société et qu’il légalise un produit de consommation humaine sans s’appuyer sur des preuves scientifiques et d’une manière tout aussi raisonnablement imprévisible quant aux risques qui lui sont associés.

Je vous rappelle les objectifs que le gouvernement a affirmé poursuivre avec le projet de loi sur la légalisation du cannabis :

[Traduction]

[…] de restreindre l’accès des jeunes au cannabis, de protéger la santé et la sécurité publiques par l’établissement d’exigences strictes en ce qui a trait à la sécurité et à la qualité des produits et de décourager les activités criminelles par l’imposition d’importantes sanctions pénales aux personnes agissant en dehors du cadre juridique.

Étant donné les témoignages d’experts et de représentants de nombreux organismes et associations que nous avons entendus au cours des dernières semaines, je dois conclure que cet objectif ne sera pas atteint par le projet de loi dont nous sommes saisis.

[Français]

Je ne suis pas le seul à penser ainsi, comme l’ont démontré les travaux de nos comités. Les sénateurs ont entendu 244 témoins qui représentent tout un éventail de secteurs, et ont étudié le projet de loi sous une multitude d’angles. C’est énorme! Je me permets donc de revenir aux faits qui nous ont été présentés et aux lacunes qui accablent toujours ce projet de loi.

Parlons premièrement des traités internationaux. Comme vous le savez, le Canada est signataire de trois conventions des Nations Unies relatives au contrôle des drogues. Ces conventions sont des ententes contractuelles, et le fondement du droit international repose sur le respect de ces ententes par les signataires et sur le respect de la primauté du droit. Or, il est très inquiétant d’entendre un haut fonctionnaire fédéral comme M. Mark Gwozdecky, sous-ministre adjoint à la sécurité internationale et aux affaires politiques à Affaires mondiales Canada, admettre candidement devant le Comité des affaires étrangères qu’il pourrait y avoir un manquement à ces traités et en minimiser le non-respect. Il a dit ce qui suit, et je cite :

Nous allons contrevenir à un sous-ensemble de dispositions sur le cannabis dans les conventions [...]

La ministre des Affaires étrangères a aussi reconnu que le Canada allait contrevenir à ces traités. La légalisation du cannabis mettra donc le Canada en état de violation de ses engagements internationaux, ce qui nous place dans une situation impossible. Comment pourrons-nous demander à d’autres États de respecter les conventions et les traités internationaux si nous sommes, nous-mêmes, insouciants à cet égard?

Le fait de dire que la légalisation du cannabis est une réponse domestique à un problème domestique, tel que l’a indiqué la ministre Freeland devant le Comité des affaires étrangères, n’est pas une excuse valable pour contrevenir à nos obligations internationales. C’est plutôt le genre de réponse qu’on attend des régimes voyous lorsqu’ils se font rappeler à l’ordre par la communauté internationale. Le gouvernement a sciemment négligé de respecter ses obligations internationales dans le cadre du projet de loi C-45.

Parlons maintenant des peuples autochtones. Les témoignages qu’a entendus le Comité des peuples autochtones ont été révélateurs quant aux impacts de la légalisation du cannabis. Les communautés autochtones sont déjà aux prises avec d’importants enjeux liés à la toxicomanie. La légalisation du cannabis ne fera qu’ajouter à leur fardeau accablant. Les problèmes sont multiples : manque d’éducation publique, manque de centres de réhabilitation et de traitement en toxicomanie, et manque de ressources policières.

Steve Burton, du Service de police de la nation de Tsuut’ina, a précisé ce qui suit :

Selon moi, les ententes de financement pour les communautés des Premières Nations, et plus particulièrement pour les services de police des Premières Nations, constituent une des difficultés. [...] Les échéanciers ambitieux découlent peut-être de bonnes intentions, mais ils ne sont malheureusement pas réalistes, car nous ne serons pas en mesure d’appliquer la loi.

Les gens de ces communautés, en qualité de représentants ou à titre personnel, sont venus offrir des témoignages très touchants, reflétant l’ensemble de leurs préoccupations. Le chef April Adams-Phillips, du Conseil des Mohawks d’Akwesasne, a fait les commentaires suivants :

Cela nous permettrait de nous occuper des jeunes de notre peuple de notre propre façon avec nos propres lois. La situation d’Akwesasne est unique. Nous nous trouvons sur la frontière entre le Québec et l’Ontario. Nous avons besoin d’une loi adaptée à notre territoire. Je ne voudrais pas que des membres de notre collectivité sortent de notre territoire pour quelque chose en rapport avec le cannabis.

Nous avons mis derrière nous tous les problèmes qui sont survenus avec le tabac dans les années 1990. Nous ne voulons pas que cela recommence.

À ce manque de ressources s’ajoute l’occasion manquée par le gouvernement de s’assurer que les communautés autochtones pourraient profiter des fruits économiques de la légalisation du cannabis. En fait, tout ce gâchis relève du manque de consultation auprès des nations autochtones.

Hier, à la dernière minute, le sénateur Harder nous a sorti la lettre d’engagement du gouvernement à tenir ces consultations après l’adoption du projet de loi C-45. Il s’agira donc, pour le gouvernement, d’une opération menée à l’improviste pour tenter de régler les problèmes après coup. Pourquoi ne pas consulter avant la légalisation? L’obligation constitutionnelle de consulter les Autochtones doit avoir lieu avant la décision, et non après. N’importe quel processus de consultation mené après la prise d’une décision est une mascarade visant à cacher un terrible déni de justice, une tentative de réparer l’irréparable.

Parlons maintenant de la relation avec nos amis, les États-Unis. Par ailleurs, notre Comité des affaires étrangères a vérifié si la légalisation du cannabis aurait un impact sur l’admissibilité des Canadiens au programme NEXUS et aux laissez-passer express.

[Traduction]

À l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen de déterminer quels seront les effets du projet de loi C-45 sur les programmes. Cependant, une sérieuse planification dans le projet de loi aurait prévenu ce type de situation.

Lors de notre voyage à Washington, nous avons rencontré de hauts fonctionnaires et des représentants du gouvernement américain qui n’avaient pas été informés de l’incidence du projet de loi C-45 sur la libre circulation des personnes et des marchandises à la frontière. Pourtant, le gouvernement ne cesse d’essayer de minimiser ces répercussions et de nier les preuves.

[Français]

D’autre part, les témoignages des agences de sécurité canadienne quant à leur niveau de préparation pour l’entrée en vigueur de la loi ne sont pas rassurants. Des témoignages toujours vagues au sujet de futurs plans de communication, de rencontres informelles avec les autorités américaines, d’études et de scénarios imprécis, tel est le constat de l’état d’avancement des travaux que les fonctionnaires fédéraux ont présenté au Comité de la sécurité nationale et la défense. Il y avait donc peu de substance, et les agences n’avaient aucun plan à présenter.

Voici ce qu’a dit Kevin Thompson, directeur général de la Stratégie pour l’Amérique du Nord à Affaires mondiales Canada, et je cite :

Pour l’instant, ce que je peux dire, c’est que [...] nous travaillons en étroite collaboration avec les divers acteurs de l’administration américaine afin de cerner certains des domaines de risque et de prévoir certaines des situations qui pourraient se produire quand le projet de loi sera mis en œuvre; s’il l’est. Alors, nous entretenons un dialogue solide avec une diversité de départements et d’organisations du gouvernement américain. Il s’agit certainement de l’un des problèmes qui ont été soulevés, et [...] pour l’instant, l’administration n’a pas affirmé qu’elle allait modifier fondamentalement son approche pour ce qui est de régler ces problèmes à la frontière.

Malheureusement, cette dernière citation de M. Thompson représente le type de réponses vides de sens auxquelles le Comité de la sécurité nationale s’est heurté. À en croire le témoignage du ministre Goodale, ce sera « business as usual » pour la traversée de la frontière américaine. Il admet cependant que des efforts de prévention et d’éducation sont requis. Le constat s’impose de lui-même. Le gouvernement n’a pas entrepris, en temps utile, de négociations sérieuses avec nos voisins du Sud afin d’éviter de regrettables erreurs.

Nous en sommes donc à faire des prédictions sur l’attitude qui sera adoptée par les agents du service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Les conséquences pourraient être dramatiques : fouilles, refus d’entrée, bannissement des États-Unis. C’est sans compter l’augmentation des délais d’attente à la frontière. Le gouvernement a agi comme s’il allait de soi que les États-Unis allaient accepter sans broncher des changements entraînés par la légalisation du cannabis. Or, si nous avons appris quelque chose au cours des derniers mois, c’est qu’il est loin d’être garanti que les Américains accepteront les positions canadiennes. En ayant négligé le dialogue avec les Américains, le gouvernement risque de mettre dans l’embarras les voyageurs et les transporteurs canadiens.

(1550)

[Traduction]

Un des problèmes du projet de loi C-45 est l’âge légal pour consommer du cannabis. Il y a beaucoup de confusion dans la mesure législative et l’attitude du gouvernement à l’égard de la consommation chez les jeunes Canadiens.

D’un côté, le principal objectif du projet de loi C-45 est de s’assurer que l’accès des jeunes au cannabis est restreint. D’un autre côté, le projet de loi C-45 est conçu pour éviter la judiciarisation des jeunes consommateurs.

Au titre du projet de loi C-45, il sera légal pour les jeunes de moins de 18 ans de posséder cinq grammes ou moins de cannabis. Cependant, s’il leur est interdit de se procurer du cannabis, où l’achèteront-ils? La réponse est évidente. Ils l’achèteront sur le marché illicite. Par conséquent, comment les exigences strictes concernant la production les protégeront-ils?

[Français]

À cette confusion sur les objectifs de la législation s’ajoute le fait que la décision de fixer l’âge minimum pour la consommation à 19 ans ne repose sur aucune preuve scientifique, tout au contraire.

Voici ce qu’a voulu souligner l’Association des médecins psychiatres du Québec :

La recherche scientifique a établi que le cerveau humain continue de se développer jusqu’à environ 25 ans.

Ainsi, nous reconnaissons que les adolescents n’ont pas les capacités intellectuelles des adultes, en particulier en ce qui a trait à la gestion de l’impulsivité, aux capacités d’organisation, à l’anticipation des causes et effets, à la prise de décision, au jugement moral.

À ceci, le Dr Meldon Kahan, directeur médical du service de toxicomanie du Women’s College Hospital, au Département de médecine familiale de l’Université de Toronto, a ajouté le commentaire suivant, et je cite :

Je crois vraiment — tout comme un grand nombre de mes pairs — que la limite légale devrait passer de 18 à 25 ans. Il s’agit d’un âge auquel il a été démontré que le cerveau a atteint sa pleine maturité et après lequel le cannabis semble causer un peu moins de dommages. Cette augmentation de l’âge rendra la tâche plus difficile aux jeunes qui veulent consommer de cannabis. [...]

Si nous fixons l’âge limite à 25 ans, cela enverra aux jeunes un puissant message de santé publique selon lequel la consommation de cannabis est dangereuse et devrait être évitée.

Le projet de loi C-45 ne réglera donc rien quant à la consommation de cannabis par les jeunes. Il est clair que la limite de 19 ans a été établie sans aucune base scientifique, simplement parce que cela correspondait aux choix politiques du gouvernement. Je ne peux que regretter que les amendements qui auraient permis de respecter le consensus chez les scientifiques aient été rejetés.

En ce qui concerne la culture à domicile, elle est à l’origine de nombreuses problématiques qui ne semblent jamais avoir été dans la mire du gouvernement. Le projet de loi ne prévoit rien quant à la protection des jeunes et à l’accès aux plantes à domicile. Le Barreau du Québec faisait remarquer que l’État du Colorado imposait des mesures de sécurité pour restreindre l’accès aux plantes de cannabis. L’État même qui est pris en exemple pour justifier la légalisation a prévu de sécuriser l’accès aux plantes à la maison. Notre gouvernement a plutôt pris la décision de déléguer la question aux autres ordres de gouvernement. La citation suivante du Barreau du Québec est on ne peut plus claire :

Pour assurer la sécurité, particulièrement celle des jeunes, nous croyons que la culture personnelle devrait uniquement être permise que si elle est faite dans un endroit fermé et protégé, à l’instar de ce qui se fait au Colorado ou en Californie.

On peut limiter l’accès aux médicaments grâce à un entreposage sécuritaire, comme la pharmacie d’une résidence, et l’alcool peut être rangé dans un espace restreint ou dans une armoire verrouillée. Cependant, quatre plantes de cannabis dans le salon ne peuvent pas être dissimulées et sont aisément accessibles pour les jeunes qui y habitent.

Comment le gouvernement entend-il appliquer une limite de quatre plantes à domicile? Les forces policières ont témoigné qu’il sera impossible d’appliquer cette réglementation. Voici ce que le chef Mario Harel, président de l’Association canadienne des chefs de police, avait à nous dire à ce sujet :

En ce qui a trait à la production à domicile, l’ACCP continue de plaider fortement contre cette mesure pour l’instant. Nous estimons que la culture personnelle est un délit en grande partie inexécutable qui créera des occasions additionnelles de possession illégale, de distribution illégale et de surproduction de cannabis. Nous craignons aussi que la production à domicile pose un risque plus élevé pour les jeunes, puisqu’elle augmenterait l’exposition et l’accessibilité au cannabis.

Pour sa part, M. Tom Stamatakis, président de l’Association canadienne des policiers, a tenu des propos non moins inquiétants. Il nous a affirmé ceci :

Certaines dispositions de cette mesure législative seront tout simplement presque impossibles à faire respecter de façon efficace, peu importe le financement additionnel que le gouvernement pourrait fournir. Le fait de permettre aux personnes de cultiver et de posséder jusqu’à quatre plants de marijuana en est un exemple. J’ai de la difficulté à imaginer comment n’importe quel service de police au pays pourrait avoir les ressources, qu’il s’agisse d’argent ou d’effectifs, pour effectuer la surveillance liée à cette disposition en particulier.

L’un des objets du projet de loi est d’établir des normes de qualité pour la production. Comment peut-on contrôler la qualité de la culture à domicile? Poser la question, c’est y répondre. Est-ce que le gouvernement a une idée de la quantité de cannabis que peuvent produire annuellement quatre plantes, tout en ne sachant pas quelle sera la hauteur de ces plantes?

Le taux de THC du cannabis produit par les distributeurs licenciés sera strictement réglementé. Quel sera le taux de THC du cannabis produit à domicile? Il n’existe aucune limite de THC pour les concentrés dérivés de la culture personnelle. Les amendements visant à resserrer les règles sur la culture à domicile ont malheureusement été rejetés. Le projet de loi C-45 comporte donc toujours des trous béants quant à cette question.

En ce qui a trait à la lutte au crime organisé, elle constitue le dernier objectif du préambule du projet de loi C-45. Ironiquement, les médias ont déjà publié des articles énonçant le fait que plusieurs distributeurs de cannabis canadiens ont bénéficié d’investissements qui provenaient de paradis fiscaux reconnus. Il s’agit de millions de dollars qui sont injectés dans l’aventure de la légalisation du cannabis, sans que l’on puisse savoir qui s’abrite derrière le voile corporatif. C’est un secret de polichinelle que le crime organisé possède les ressources nécessaires afin de réinvestir le fruit de ses crimes dans des entreprises légales et légitimes.

Le chef adjoint Mike Serr, coprésident du Comité sur l’abus des drogues de l’Association canadienne des chefs de police, a fait une déclaration pour le moins préoccupante, voire inquiétante, et je cite :

Nous savons qu’il y a plus de 300 groupes criminels organisés qui sont impliqués dans la distribution et la production de cannabis. Il s’agit d’une industrie de 7 milliards de dollars par année. C’est un problème énorme. Le crime organisé ne va tout simplement pas renoncer à ce marché [...]

En outre, Radio-Canada/CBC vient tout juste de révéler des faits étonnants concernant la légalisation du cannabis récréatif au Colorado, qui est en vigueur depuis 2014 :

Selon les autorités étatiques, toutefois, la légalisation a plutôt eu le résultat inverse. Même si on compte plus de 500 points de vente de marijuana légale sur le territoire, le marché noir a le vent dans les voiles.

Les États de Washington et de l’Alaska ont respectivement légalisé le cannabis récréatif en 2012 et en 2014. Vous serez sans aucun doute aussi surpris que moi d’apprendre que ni l’un ni l’autre ne peut fournir de données officielles au sujet des effets de la légalisation sur le marché noir. Donc, le Colorado a vu un accroissement du marché noir, et l’État de Washington et l’Alaska n’en connaissent pas les résultats. Je souhaite de tout cœur que le gouvernement ait raison dans ses prédictions sur le fait que le marché du cannabis migrera vers le marché légal. J’ai de sérieux doutes sur le fait que l’État puisse offrir un service aussi efficace et à un coût équivalent que ceux que nous offrent les criminels. Toutefois, on ne peut qu’espérer.

(1600)

Cependant, nous avons l’obligation de nous assurer que le gouvernement mettra en place des mécanismes qui ne permettront pas au crime organisé de s’infiltrer dans le réseau légal des distributeurs.

Les forces de l’ordre ont demandé d’apporter des améliorations au processus d’émission des permis de production. Le chef Mario Harel, de l’Association canadienne des chefs de police, avait également le message suivant à nous transmettre :

Nous demandons également au gouvernement fédéral d’adopter des exigences rigoureuses et de solides mesures de réglementation en matière d’attestation de sécurité afin de s’assurer que les activités criminelles ne soient pas en mesure d’obtenir des permis de production, tel que nous avons observé dans le secteur du cannabis thérapeutique.

Si l’élimination du crime organisé dans le marché du cannabis est réellement un objectif, un gouvernement responsable doit prévoir des mesures de contrôle pour les producteurs et les fournisseurs reconnus.

Nous avons adopté un amendement au projet de loi à ce sujet. J’espère que le gouvernement l’approuvera. Ne pas instaurer un tel processus ne ferait que confirmer un manque de sérieux lorsque l’on prétend s’attaquer au crime organisé.

L'impact sur la santé publique constitue un autre enjeu. Le gouvernement a complètement négligé l’aspect de la santé publique dans son approche en ce qui concerne le projet de loi C-45. La ministre de la Santé, lorsqu’elle a témoigné devant le Comité des affaires sociales, a affirmé que l’approche du gouvernement est basée sur des éléments probants. Du même souffle, elle nous a informés qu’un système de surveillance sera mis en place pour étudier les conséquences de la législation. J’ai l’impression d’assister à la création du plus grand laboratoire vivant au monde, et que ce sont les Canadiens, surtout les jeunes, qui en seront les cobayes. Si la législation était vraiment fondée sur des faits probants et scientifiquement soutenus, nous aurions eu réponse à nos nombreuses questions, ce qui n’a pas été le cas.

Nous sommes en territoire inconnu quant aux conséquences à long terme de la légalisation du cannabis sur la santé publique. Il aurait donc été du devoir du gouvernement de faire preuve de prudence, ce qu’il n’a pas fait, de toute évidence. D’ailleurs, Santé Canada prévient toujours les utilisateurs de cannabis médicinal et affiche la mise en garde suivante sur son site web :

L’utilisation du produit comporte des risques pour la santé, dont certains pourraient ne pas être connus ou entièrement compris. Les études qui soutiennent l’innocuité et l’efficacité du cannabis à des fins médicales sont limitées et ne respectent pas la norme établie par le Règlement sur les aliments et drogues relativement aux médicaments offerts sur le marché canadien.

Le gouvernement n’a présenté aucune étude sérieuse à propos des impacts sur la santé publique et des coûts que représente la légalisation du cannabis sur le système de santé. Pour un gouvernement qui dit baser ses décisions sur les faits, il s’est assuré de ne pas en avoir avant de légiférer en la matière.

Pour ce qui est de l’indication du taux de THC sur les produits, la sénatrice Seidman a proposé que le taux de THC soit clairement indiqué sur tous les produits du cannabis qui seront vendus en boutique. Comme cet amendement relève du gros bon sens et vise de saines pratiques en matière de santé publique, je n’arrive pas à expliquer pourquoi il a été rejeté. On indique le taux de goudron et de nicotine sur les paquets de cigarettes, on indique le taux d’alcool sur les bouteilles de bière et de vin, mais on ne le fera pas pour les produits du cannabis.

Je relisais les déclarations de certains sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants qui allaient entièrement en ce sens, avant qu’ils décident de faire volte-face et d’appuyer le gouvernement en rejetant l’amendement de ma collègue.

Le sénateur Gold, en date du 1er février, a déclaré ce qui suit :

Les Canadiens sauront ce qu’ils ingèrent — la teneur en THC et en CBD du produit qu’ils achètent, son lieu de production et son producteur.

Le sénateur Harder répondait à une question du sénateur Pratte, le 27 février dernier, en affirmant ceci :

Le gouvernement a l’intention de prendre des dispositions réglementaires ayant pour effet de normaliser la concentration de THC dans les produits de cannabis et d’obliger les fournisseurs à indiquer clairement cette concentration sur l’étiquette de leurs produits.

Voici la recommandation qu’a formulée le groupe de travail du gouvernement en ce qui concerne l’affichage du taux de THC sur chaque produit vendu :

Nous recommandons également d’étiqueter tous les produits avec des indications claires de leur teneur en THC et en CBD ainsi que des avertissements de santé appropriés.

La réglementation contiendra-t-elle vraiment cette obligation? On ne le sait pas. Le gouvernement refuse de dévoiler publiquement ses intentions. On nous demande de légaliser le cannabis en prétextant que le gouvernement saura réglementer le marketing et l’emballage des produits, mais ce dernier n’a pas la franchise de produire des textes pour appuyer sa réglementation.

L’absence de campagnes publiques de sensibilisation sur les effets du cannabis est une autre de mes préoccupations. Selon les plans du gouvernement, le cannabis sera en vente libre dès cet été. Où sont les campagnes de sensibilisation promises? Qu’attend le gouvernement pour agir?

[Traduction]

Enfin, l’un des problèmes entourant le projet de loi C-45, c’est l’empressement que semble montrer le gouvernement. Tous les comités qui ont entendu des témoignages au sujet du projet de loi C-45 savent que les intervenants se sentent brusqués et qu’ils demandent qu’on retarde sa mise en œuvre.

Laissez-moi citer Yvon Soucy, de la Fédération québécoise des municipalités :

Toutefois, bien des aspects du projet de loi C-45 demandent à être précisés. C’est pourquoi la [Fédération], tout comme le Québec, souhaite que l’entrée en vigueur de la loi soit retardée de quelques mois. La législation du cannabis est un dossier complexe, et plusieurs questions nous semblent encore être restées sans réponse.

Il ne fait aucun doute que le projet de loi C-46 est intimement lié au projet de loi C-45. De toute évidence, les corps policiers doivent être prêts à composer avec de possibles infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

Les témoignages entendus au Comité des affaires juridiques m’amènent à croire que nous ne sommes pas en bonne posture. À tout le moins, les dispositifs de détection de la drogue utilisant la salive n’ont pas encore été approuvés et ils ne sont pas disponibles, sans compter qu’il faut des centaines d’experts en reconnaissance de drogues.

Le chef Mario Harel, président de l’Association canadienne des chefs de police, nous a dit ceci :

Nous avons besoin d’un nombre beaucoup plus grand d’agents formés pour effectuer les tests normalisés de sobriété utilisés dans les contrôles routiers et comme experts en reconnaissance de drogues. Pour tout dire, nous n’avons pas en ce moment la capacité de fournir la formation nécessaire à court terme.

[Français]

Il reste donc beaucoup à faire. Plusieurs témoins nous ont confié qu’ils subissaient une pression afin de se préparer à faire face à ce projet de loi. Ils ont la nette impression que le tout est mal ficelé, improvisé et que le temps manque cruellement.

[Traduction]

Je tiens à vous rappeler que la plupart des États américains que le gouvernement se plaît à prendre en exemple avaient prévu un délai minimal entre l’adoption de la mesure législative et l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la vente au public. Pour ne nommer que lui, le Colorado a adopté un amendement constitutionnel légalisant le cannabis en novembre 2012, alors que les ventes sont devenues légales le 1er janvier 2014.

[Français]

Si nous ne prenons pas le temps nécessaire pour bien faire les choses, nous serons confrontés à des situations qui entraîneront des conséquences fâcheuses.

Le gouvernement n’a pas fait les consultations requises avec les Autochtones, et le Canada s’apprête à contrevenir à ses obligations internationales, notamment avec les États-Unis. Les résultats sur la lutte au crime organisé et les impacts sur la santé publique sont incertains. Le gouvernement banalise la consommation de cannabis, notamment chez les jeunes. Certaines dispositions de la loi vont à l’encontre même des objectifs annoncés, comme la culture à domicile et l’absence de règles sur la teneur en THC. Nos forces policières n’ont pas les outils requis pour faire face aux infractions criminelles qui découleront de la consommation du cannabis. Voilà ce que nous avons entendu. Voilà les faits.

(1610)

Les Canadiennes et les Canadiens attendent de leur gouvernement qu’il adopte des mesures réfléchies, bien préparées et structurées. Visiblement, le projet de loi C-45 ne satisfait pas à ces critères, et ce, de plusieurs points de vue. Ce projet de loi montre un niveau d’improvisation, d’approximation et d’incohérence ahurissant.

Le gouvernement se targue de vouloir légiférer en se basant sur les faits et non sur des idées préconçues, mais, dans le cas de la légalisation du cannabis, c’est tout le contraire que nous avons vu. Envers et contre tous, malgré l’abondance de preuves, à savoir que la légalisation est précipitée et que le projet de loi est mal rédigé, le gouvernement persiste et signe, par pur calcul politique ou par pure idéologie, on l’ignore.

Le sénateur Harder, le 13 février dernier, disait ceci :

Le projet de loi C-45 nous propose de remédier au taux élevé de consommation parmi les jeunes au Canada grâce à une nouvelle approche de contrôle strict du cannabis et d’éducation du public. Il s’agit de résoudre les problèmes de santé et de sécurité qui existent au Canada présentement ainsi que de priver le crime organisé de ce marché.

Les témoignages que nous avons entendus ne nous laissent pas à penser que le projet de loi C-45 correspond aux prétentions du leader du gouvernement. Je m’interroge toujours, honorables sénateurs, et cette question demeure sans réponse : pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas étudié la Norvège, pays qui compte le taux le plus bas de consommation chez les jeunes? Pourquoi mon pays ne s’est-il pas inspiré des meilleurs au monde plutôt que des pires?

Je vous invite donc, honorables sénateurs, à rejeter le projet de loi C-45 et à renvoyer le gouvernement à ses devoirs. Il pourra ainsi mener des consultations appropriées et établir un dialogue avec les États-Unis à ce sujet. Il pourra effectuer les études d’impact nécessaires, et sensibiliser les Canadiens, particulièrement les jeunes, aux dangers du cannabis. Il pourra s’assurer que tous les intervenants sont prêts et rédiger un projet de loi et des règlements clairs et efficaces qui atteindront un objectif de santé publique, de réduction de consommation chez les jeunes et d’élimination du marché noir qui est contrôlé par le crime organisé.

Merci, et bonne journée.

[Traduction]

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir prendre la parole au sujet de ce projet de loi. C’est un moment important au Canada. Que l’on soit pour ou contre le projet de loi, il s’agit d’un changement majeur de politique publique.

Nous avons eu l’occasion de consacrer beaucoup de temps ensemble à ce projet de loi, et une grosse somme de travail consciencieux a été accomplie. Nous comprenons bien mieux le projet de loi grâce aux délibérations du comité, aux témoins que nous y avons entendus et aux échanges que nous avons eus les uns avec les autres dans cette enceinte afin d’essayer de comprendre et d’arriver ensemble au meilleur résultat final possible.

Je pense que nous nous apercevons tous de la polarisation des points de vue concernant la légalisation du cannabis. En parlant avec les gens de mon coin de pays, je me suis aperçue que les opinions n’étaient pas déterminées simplement par une appartenance idéologique. Parmi la gauche comme parmi la droite, il y a des partisans et des opposants.

Je pense que notre point de convergence est notre désir d’adopter un projet de loi qui soit le meilleur possible. Certains en concluent que nous devrions poursuivre l’étude plus longtemps. D’autres sont d’avis que nous devrions nous doter de mécanismes d’examen efficaces pour pouvoir tirer les leçons nécessaires à mesure que des données seront recueillies grâce aux projets de recherche déjà envisagés et au financement que l’on s’est engagé à leur fournir.

J’ai abordé l’étude de ce projet de loi avec une attitude généralement favorable à la légalisation de la marijuana, attitude qui me vient de ma carrière d’intervenante dans le domaine de la santé publique, pendant de nombreuses années, ainsi que de l’époque où j’ai été ministre de la Santé. Je crois que l’approche consistant à interdire le cannabis — la guerre contre la drogue en général, mais contre le cannabis en particulier — a donné lieu à un retentissant échec. Elle correspond à une politique publique qui n’a pas fonctionné et qui nous a privés du genre de recherche qui nous aurait été nécessaire pour pouvoir formuler de bonnes opinions solides en tant que personnes qui avaient pris le temps de se renseigner et de s’appuyer sur des faits et des données avant de participer à l’examen du projet de loi dans cette enceinte. Par exemple, j’ai entendu des sénateurs dire que toutes les données révèlent des effets dramatiques sur la santé des personnes de 18 ans. D’autres ont plutôt affirmé qu’en fait, selon les dernières données et selon l’analyse de métadonnées englobant toutes les études, les liens ne sont pas clairs et peuvent être qualifiés, au mieux, de ténus.

Quand on cherche, on trouve toujours de quoi étayer sa position. Nous devons cependant nous rappeler que personne n’a la science infuse et que personne ne l’a jamais eue. Il y aura toujours des divergences d’opinions, parce que les politiques publiques doivent tenir compte d’énormément de facteurs.

Quand j’ai pris la parole à l’étape de la deuxième lecture, j’ai fait l’historique de la prohibition, celle du cannabis en particulier. Je n’en savais pas grand-chose, mais je me suis renseignée, et j’ai été fascinée d’en apprendre plus sur la manière dont elle a fait son apparition au Canada, sur les débats entourant la légalisation, aux États-Unis, sur les différentes commissions, sur ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord et, bien entendu, sur le processus qui est en cours chez nous, au Canada. Je n’ai pas l’intention de me répéter, simplement de dire que j’ai beaucoup appris parce que j’ai constaté que ce dossier fait l’actualité depuis très longtemps et que le débat entre prohibition et santé publique est loin de dater d’hier.

Le gouvernement libéral a choisi l’approche privilégiant la santé publique, la sensibilisation du public et la responsabilisation des consommateurs de cannabis.

C’est sans oublier la réglementation du produit en soi, et le sénateur Carignan en a d’ailleurs parlé. Même si cela n’est pas dans la loi, la réglementation précisera que tous les types de cannabinoïdes, et leur concentration, devront être indiqués sur l’emballage. Les consommateurs auront donc accès à de l’information de meilleure qualité qu’à l’heure actuelle, et le public sera davantage conscientisé.

Cela me semble équilibré comme approche. Il y a des pour et des contre, de fervents défenseurs du projet de loi et de farouches opposants, et des données scientifiques qui penchent autant d’un côté que de l’autre. Que faire, alors? Selon moi, l’approche privilégiée est la bonne, et j’estime que, peu importe le temps que nous prendrons, un changement sociétal de cette ampleur ne se fera jamais sans heurts. Nous devons simplement être vigilants. Nous devons nous préparer et accepter — et je n’accuse personne quand je dis cela, j’essaie seulement d’être pratique et d’envisager la chose selon notre rôle de spécialistes des politiques publiques — qu’il faut bien commencer quelque part et tirer les leçons, politiques et administratives, qui s’imposeront au fur et à mesure que nous avançons. Il ne faut pas en conclure pour autant que ce n’est rien d’autre qu’un coup de dés et que nous nous fichons de la santé des gens. Il faut simplement accepter que la route sera cahoteuse et que les difficultés que nous rencontrerons seront des occasions d’apprentissage.

Dans le milieu communautaire, il existe beaucoup d’articles sur l’évaluation du développement. On s’intéresse à des enjeux complexes, et pas seulement aux répercussions de la marijuana sur la vie d’une personne qui en consomme. On se demande aussi pourquoi telle ou telle personne consomme de la marijuana. Quelles sont les autres facettes de sa vie? Quelles sont les prédispositions génétiques à la dépendance? Un éventail de facteurs peut créer des résultats différents d’une personne à une autre.

Les interventions doivent être offertes dans le cadre de programmes dans les domaines de la santé publique, de la sensibilisation de la population et de la prévention, et il doit être possible de les adapter. De plus, l’évaluation du développement doit être intégrée à toutes les approches.

Je pense que c’est ce qu’a fait le Sénat. Encore une fois, le Sénat a proposé un amendement ce matin pour veiller à ce que les bons types d’examens soient effectués.

Le projet de loi prévoit un examen après trois ans, à l’issue duquel les ministres devront présenter des rapports sur la mise en œuvre de la loi. Il prévoit aussi que, après cinq ans, les deux Chambres du Parlement effectueront un examen et présenteront des rapports.

(1620)

Dans les observations — et c’est principalement ce que je veux souligner —, nous demandons au gouvernement de créer un groupe d’experts pour l’épauler pendant la mise en œuvre au cours des cinq prochaines années, pour surveiller cette mise en œuvre et fournir des rapports sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Au début de mes recherches sur ce projet de loi, j’étais très préoccupée par les répercussions sur la santé mentale. En lisant les études, cependant, je me suis de moins en moins inquiétée au sujet du lien direct avec le cannabis, même si le manque de soutien et de ressources pour les gens atteints de maladie mentale dans notre pays continue de m’inquiéter grandement. Nous avons encore beaucoup à faire.

J’ai vu ce projet de loi et le débat qui l’entoure comme une occasion de faire avancer ce dossier.

En m’entretenant avec des experts dans le domaine, j’ai entendu que nous n’avions pas besoin d’une autre stratégie fédérale-provinciale à ce sujet, que nous n’avions pas juste besoin d’un engagement et de fonds supplémentaires. Nous avons besoin qu’on fasse un suivi des sommes promises et qu’on respecte les ententes sur la façon d’investir les fonds localement dans des programmes de santé mentale et d’aide psychologique.

J’avais cela à l’esprit en m’entretenant avec d’autres personnes, qui m’ont aussi parlé de la nécessité de surveiller la mise en œuvre.

C’est une observation que nous avons, au moment d’adopter le rapport, annexée au projet de loi qui sera renvoyé à la Chambre des communes. Nous recommandons la création d’un groupe de surveillance. Ce groupe de surveillance, qui adoptera un point de vue d’experts — sans vouloir diminuer le point de vue du public dont nous parlons dans nos débats politiques —, fournira de l’information qui sera soumise à l’examen de la ministre et du Parlement à mesure que nous avancerons.

Ainsi, Votre Honneur, je suis honorée de faire partie de ce groupe et d’avoir participé à ce processus. Je crois que c’est un moment historique, et c’est tout à fait incroyable de prendre part à celui-ci. J’espère qu’à l’avenir nous reconnaîtrons, des deux côtés de cette enceinte, même ceux qui appuient le projet de loi, qu’il y aura des problèmes et que nous devrons surveiller ceux-ci en cours de route. Nous devrons corriger le tir. C’est la façon sage, pragmatique et correcte pour un gouvernement de mettre en œuvre un changement majeur de politique gouvernementale. Merci beaucoup de votre attention.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Lankin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Lankin : Oui.

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Sénatrice Lankin, je vous remercie de l’attention que vous portez à la politique publique. Je pense que c’est important. Vous dites que nous avons besoin de groupes d’experts pour surveiller les progrès. Je suis tout à fait du même avis. Cependant, une bonne politique publique comporterait un plan de mise en œuvre avant sa mise en place, qu’il serait possible d’examiner pour voir s’il faut apporter des modifications ou des changements. Il y a le travail et les changements, mais il faut connaître le point de départ.

Ne pensez-vous pas que, avec une bonne politique publique, nous saurions déjà ce que nous allons faire pour en assurer le suivi? Cependant, on nous dit que tout cela sera inclus dans les règlements et qu’il y aura une campagne de sensibilisation, mais nous n’avons pas de point de référence à partir duquel travailler.

Normalement, nous aurions ce point de référence à partir duquel commencer, car la mise en œuvre est une partie importante de la loi. Seriez-vous d’accord pour dire que nous éloignons des pratiques en matière de politique publique auxquelles vous et moi sommes habituées?

La sénatrice Lankin : Je suis d’accord avec une partie de ce que vous avez dit, mais pas tout. En ce qui concerne le point de référence sur lequel s’appuyer, j’aimerais voir davantage de données de recherche et de données fondées sur des preuves comme point de référence pour la recherche, notamment. Cela dit, le cannabis étant illégal, ils n’ont pas pu obtenir la substance et les approbations pour faire autant de recherche qu’ils l’auraient souhaité, si bien que nous n’avons pas ce point de référence. Nous pourrions prendre encore une dizaine d’années pour faire ce type de recherche.

Pour ce qui est de la mise en œuvre de programmes que vous avez mentionnée, je sais que des gouvernements ont fait du très bon travail dans l’élaboration de programme, dont la portée est habituellement un peu plus étroite que ce que nous avons ici. J’ai vu des gouvernements de tous les partis faire aussi du très mauvais travail à cet égard.

Notre rôle au Sénat, qui nous permet de faire un second examen des choses, comme vous diriez, est unique. Il me semble que le gouvernement a suivi un processus de prise de décisions politiques pour déterminer que ce serait un thème de sa campagne. Contrairement à l’approche visant à publier un livre blanc du gouvernement ou un livre vert, les libéraux ont nommé un groupe de travail qui a tenu des consultations et produit un rapport contenant des recommandations claires, rapport qui a ensuite été diffusé. Nous l’avons reçu avant le projet de loi. Nous avons eu le temps de comprendre l’orientation que ceux qui leur faisaient des recommandations leur suggéraient de prendre. On nous a aussi laissé entendre que la réglementation aurait une certaine ouverture.

Honnêtement, avec ce type de mesure législative, j’ignore s’ils auraient fait un meilleur travail en prenant deux ou trois mois de plus. Je ne sais pas. Ils auraient peut-être rédigé une meilleure mesure législative, ce qui aurait été prudent. Je sais que j’ai trouvé que le projet de loi manquait de substance lorsqu’ils l’ont présenté l’an dernier, et certains de mes collègues disaient déjà qu’il avait été étudié à la hâte pour être adopté avant l’été.

Je n’avais jamais eu, je crois, l’occasion de consulter, d’assimiler et de comprendre autant de documentation au sujet d’un projet de loi. J’en remercie le sénateur Dean et les autres sénateurs qui ont fait circuler des documents. Cela m’a été utile.

Dans un monde idéal, pourrions-nous faire mieux? Oui. Dans ce monde qui est le nôtre, avons-nous consacré beaucoup de temps et d’efforts à ce dossier et avons-nous exploré de multiples points de vue? Je ne sais pas si vous avez acquis beaucoup de nouvelles connaissances pendant ce processus. Personnellement, j’ai appris de nouvelles choses grâce à certaines données scientifiques. Ces éléments mis à part, il a surtout été question de choses dont j’entends parler depuis des années.

Il faut en venir à une décision à un certain moment. Je suis à l’aise avec ma décision d’appuyer le projet de loi. J’espère qu’un certain nombre d’amendements seront acceptés, et je me dis que nous pourrons peut-être, au fil du temps, convaincre les gouvernements qu’il existe de meilleures façons de procéder. J’aime bien l’ancien processus fondé sur des livres verts et des livres blancs, qui permettait d’explorer une question en profondeur pendant un an ou deux avant le dépôt d’un projet de loi. De nombreux gouvernements ont toutefois abandonné cette façon de faire, qui semble dépassée. Cela me désole.

L’honorable Mobina S.B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens, moi aussi, au sujet du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont participé au vaste débat sur le projet de loi C-45 dans le but de favoriser la création d’un marché du cannabis à la fois sécuritaire, équitable et bien réglementé au Canada. Je tiens particulièrement à remercier le sénateur Dean de son travail dévoué, ainsi que le sénateur Eggleton et le Comité des affaires sociales, qu’il préside, pour leur travail assidu dans ce dossier. Ils nous ont aidés à mieux cibler les enjeux, et je les en remercie.

Je n’ai pas l’intention de revenir sur de nombreuses questions qui ont été abordées, car nous en avons longuement discuté. Je veux cependant contribuer au débat sur les répercussions qu’aura le projet de loi C-45 à la frontière entre le Canada et les États-Unis.

Au lieu de discuter de la question sous l’angle du commerce ou des relations diplomatiques, je veux traiter de la nécessité d’une vaste campagne de sensibilisation sur ce qui est légal et ce qui ne l’est pas pour les Canadiens qui traversent la frontière canado-américaine.

Il n’est pas exagéré de dire qu’une grande partie des Canadiens ne savent pas ce qui sera légal aux États-Unis après l’adoption du projet de loi C-45. En fait, des Britanno-Colombiens me posent des questions à ce sujet pratiquement chaque jour.

Certains se demandent s’ils peuvent consommer du cannabis dans les États où il a été légalisé, comme dans l’État de Washington, ou s’ils peuvent transporter du cannabis du Canada vers les États-Unis, afin d’en consommer avec des amis dans un État où la substance est désormais permise.

Chaque fois qu’on me pose ce genre de questions, mon inquiétude grandit. Beaucoup de Canadiens ne connaissent tout simplement pas les dispositions législatives de base concernant la possession et la consommation de cannabis aux États-Unis.

C’est inacceptable. D’abord et avant tout, il faut clairement communiquer que, malgré le fait que le cannabis sera légal au Canada après l’adoption du projet de loi et bien qu’il soit déjà légalisé dans certains États américains, la consommation et la possession de la marijuana au-delà de la frontière auront de graves conséquences tant que les lois fédérales des États-Unis interdiront le cannabis.

Dans la plupart des cas, l’infraction de ces lois fait perdre à tout jamais le droit de se rendre aux États-Unis. Regagner le droit d’entrer aux États-Unis après avoir été frappé d’une telle interdiction exige une demande de levée d’interdiction de territoire, un processus très long et coûteux.

Honorables sénateurs, je sais que vous serez d’accord avec moipour dire qu’il faut empêcher que cela arrive aux Canadiens. Pour bon nombre de Britanno-Colombiens, se faire interdire l’entrée aux États-Unis serait dévastateur. Traverser la frontière est presque un mode de vie pour plusieurs d’entre eux.

Juste pour vous donner une idée du nombre de Britanno-Colombiens qui traversent la frontière, le poste frontalier de Peace Arch à Surrey, en Colombie-Britannique, se classe troisième au Canada de par son volume d’activité. Chaque jour, 4 800 voitures y passent pour voyager entre Seattle et Vancouver.

(1630)

Ces gens doivent pouvoir se rendre aux États-Unis pour pratiquement toutes les raisons possibles, que ce soit pour rendre visite à des amis et à des membres de leur famille ou pour trouver un endroit où faire des achats ou manger. Pour des Britanno-Colombiens, c’est même essentiel à leur carrière. Ils représentent avec fierté le Canada aux États-Unis, que ce soit dans le secteur manufacturier, le domaine de la santé, les milieux de l’éducation et des sciences ou le domaine universitaire. Si des Britanno-Colombiens sont interdits de territoire aux États-Unis, ils devront changer complètement leur mode de vie.

Le gouvernement doit agir de manière proactive pour renseigner les Canadiens au sujet des lois visant les passages transfrontaliers. Malgré le besoin urgent de mener une campagne de sensibilisation, le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires pour que les Canadiens soient bien renseignés. Au Comité de la défense, lorsque j’ai demandé aux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada ce que le gouvernement compte faire pour sensibiliser les Canadiens au sujet de ce qui les attend à la frontière, ils m’ont seulement dit qu’on installera des panneaux dans les aéroports d’ici le printemps 2019. Honorables sénateurs, je vous dis que c’est trop tard. Pire encore, nous n’avons pratiquement rien entendu sur les efforts de sensibilisation à l’extérieur des aéroports. Autrement dit, les milliers de Britanno-Colombiens qui traversent la frontière terrestre tous les jours ne seront pas du tout informés.

C’est tout simplement insuffisant. Si les Canadiens ont des questions sur ces lois, le gouvernement a le devoir de s’assurer qu’ils pourront obtenir les réponses. Malheureusement, les Canadiens n’obtiennent pour le moment que des réponses contradictoires. Par exemple, selon le gouvernement, après l’adoption du projet de loi C-45, si une personne admet ouvertement à un agent frontalier qu’elle a déjà consommé du cannabis, le pire qui pourra lui arriver, c’est qu’on lui refuse l’accès à la frontière. Or, non seulement cette personne se verra refuser l’accès à la frontière, mais on lui interdira pour toujours d’entrer aux États-Unis.

En effet, selon des témoins ayant comparu devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, il y a un risque élevé que les Canadiens qui admettent avoir consommé du cannabis soient interdits de territoire à vie aux États-Unis.

Ce manque de clarté m’inquiète beaucoup. Je crains que les Canadiens ne puissent facilement être interdits de territoire aux États-Unis parce que nous ne les renseignons pas sur un ensemble de lois antidrogue complexes. Pour mettre en perspective la complexité de ces lois, je vais énumérer certaines choses que les Canadiens pourraient faire qui entraîneraient leur bannissement à vie des États-Unis. Si vous admettez avoir consommé du cannabis par le passé, vous pourriez être bannis à vie. Si vous décidez de travailler avec une entreprise canadienne œuvrant légalement dans le secteur du cannabis, vous pourriez non seulement être bannis à vie, mais aussi être détenus pour association au trafic de drogue. Si vous déclarez publiquement à la télévision ou sur les médias sociaux que vous avez déjà consommé du cannabis, vous pourriez être bannis à vie. De surcroît, si vous passez par une zone de précontrôle, on peut vous forcer à répondre à des questions sur votre consommation antérieure de cannabis et vous bannir à vie, selon votre réponse. En fait, vous pouvez même être interdits de territoire à vie si vous êtes parents d’une personne qui a commis une infraction liée aux drogues, puisqu’on considérera que vous avez bénéficié du trafic de drogue.

Ces répercussions ne sont pas immédiatement perceptibles pour les Canadiens à l’heure actuelle. Le Comité de la défense en a seulement pris conscience après avoir entendu le témoignage d’experts qui ont de vastes connaissances sur cette question.

Dans cette optique, j’aimerais que vous imaginiez tous à quel point cette situation serait difficile pour la majorité des Canadiens. Il est fort probable qu’ils ne seront jamais au courant de ces lois, ce qui est tout simplement inacceptable. Si les Canadiens doivent être exposés à de tels risques, ils doivent en être informés avant de traverser la frontière américaine.

J’aimerais parler d’un cas particulièrement inquiétant pour montrer la gravité des conséquences auxquelles les Canadiens s’exposent. En 1998, Ross Rebagliati fait la fierté du Canada lorsqu’il décroche une médaille d’or olympique en surf des neiges. Toutefois, de retour à la maison, il apprend qu’il lui est interdit à vie de se rendre aux États-Unis. Lorsqu’il demande les raisons de cette interdiction, Ross découvre qu’elle est justifiée par son admission, au Jay Leno Show, d’avoir déjà fumé du cannabis. Encore aujourd’hui, Ross doit régulièrement présenter une demande de levée d’interdiction. Actuellement, il dispose d’une dérogation d’une durée de trois ans pour entrer aux États-Unis. Toutefois, il doit régulièrement demander ce type d’autorisation. Le simple fait d’en parler une seule fois lui a valu une interdiction d’entrée au pays pour le reste de sa vie. Voilà ce qui est en jeu pour les Canadiens qui traverseront la frontière après l’adoption du projet de loi C-45.

Heureusement, ce problème peut être réglé sans modifier le projet de loi C-45. Je ne présenterai donc pas d’amendement. J’exhorte plutôt le gouvernement à lancer une vaste campagne de sensibilisation afin que tous les Canadiens soient au courant de ce qui les attend à la frontière. Cette campagne doit être menée maintenant. Chaque jour où nous n’informons pas les Canadiens est un jour où ils risquent d’avoir des problèmes avec les forces policières américaines et d’être frappés d’une interdiction à vie de traverser la frontière.

Les Canadiens doivent savoir que le cannabis est illégal à l’échelle fédérale aux États-Unis, peu importe s’il est légal ici ou dans certains États. Ils doivent connaître les diverses lois complexes qui peuvent faire en sorte qu’ils soient bannis à vie des États-Unis. Ils doivent aussi être informés de leurs droits. Ils doivent connaître les options dont ils disposent, notamment de quitter un point d’entrée au lieu de répondre à des questions. Ils pourraient ne pas pouvoir aller aux États-Unis cette journée-là, mais c’est de loin préférable à une interdiction à vie.

Honorables sénateurs, bien que j’appuie les dispositions du projet de loi C-45, je vous invite à vous joindre à moi pour demander au gouvernement d’adopter une position beaucoup plus proactive dès maintenant pour veiller à ce que les Canadiens soient conscients de ce qui les attend au moment de franchir la frontière américaine.

Les cas comme celui de Ross ne sont pas isolés. Lors de l’étude au comité, nous avons entendu plusieurs avocats dont les clients ont vécu des expériences similaires. À moins que le gouvernement agisse dès maintenant, davantage de Canadiens seront interdits de séjour aux États-Unis et obligés de changer de mode de vie. Or, ce n’est pas seulement une question de changement de mode de vie; ces gens ne pourront plus voir leurs proches. Comme nous le savons tous, nombreux sont les Canadiens et les Américains qui ont de la famille dans l’autre pays.

Je prie donc le gouvernement de lancer une vaste campagne de sensibilisation pour informer les Canadiens du fait que le cannabis, même s’il est légal, par exemple, en Colombie-Britannique et dans l’État de Washington, ne l’est pas au niveau fédéral aux États-Unis. Nous devons veiller à ce que les Canadiens le sachent dès maintenant. Merci.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-45 à l’étape de la troisième lecture.

Au début de l’étude, j’ai parlé des craintes que j’avais concernant le fait que le gouvernement n’était pas parvenu à répondre à des questions fondamentales sur ses raisons de légaliser la marijuana. Malgré des améliorations positives, apportées grâce aux sénateurs conservateurs, il est évident que le projet de loi C-45 ne cadre pas avec la prétention qu’a le gouvernement d’adopter une approche axée sur la santé publique, et ce, pour la simple raison que la légalisation du cannabis menace la santé et la sécurité des Canadiens.

Après avoir entendu les arguments présentés, il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement procède de la sorte, surtout de façon si draconienne et irréversible. La légalisation devrait être une option de dernière instance, notamment si les approches progressives de réduction des méfaits du cannabis étaient un échec. Or, le gouvernement a choisi de mener un grand projet expérimental irrémédiable avec le public canadien.

Je ne doute point que les lois en vigueur régissant le cannabis pénalisent injustement les consommateurs, en particulier au sein de populations marginalisées. Je ne doute pas non plus qu’un nombre élevé de jeunes consomment déjà de la marijuana à l’heure actuelle, à leur détriment. Toutefois, il ne s’ensuit pas logiquement que la solution à ces problèmes soit de créer du jour au lendemain une industrie du cannabis prédatrice d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, où les provinces jouent le rôle de revendeurs de drogue et le gouvernement fédéral prend sa part des profits.

Le gouvernement prétend que ses choix stratégiques sont fondés sur des données probantes. Pourtant, il ne semble résolument pas intéressé à adopter une approche progressive qui permettrait de recueillir de l’information. Le Canada est seulement le deuxième pays au monde, après l’Uruguay, à légaliser la marijuana. Nous manquons sérieusement de données de référence, malgré un effort de dernière minute de Statistique Canada en vue de nous aider à comprendre pleinement les incidences sur la santé et la sécurité d’une légalisation à grande échelle d’un seul coup.

Rien n’aurait empêché le gouvernement de mettre en œuvre un programme complet de sensibilisation du public lorsqu’il a été élu en 2015 afin de préparer les Canadiens à la légalisation. Or, il ne l’a pas fait. De même, rien ne l’empêchait de décriminaliser la possession de petites quantités de marijuana ni d’accorder un pardon aux personnes ayant à leur casier des condamnations antérieures relatives à une telle possession. Or, il a refusé de le faire.

L’introduction progressive de politiques de libéralisation du cannabis aurait permis au gouvernement d’agir immédiatement pour remédier à certains des aspects négatifs des lois en vigueur tout en recueillant des données clés et en informant le public.

(1640)

La décision du gouvernement de ne pas adopter une approche graduelle s’explique en partie par le fait que la réduction de la consommation de cannabis, surtout chez les adultes, n’est pas une question qu’il prend vraiment au sérieux. On a pu le voir très clairement lorsque j’ai insisté auprès du secrétaire parlementaire Bill Blair pour qu’il nous explique pourquoi le gouvernement n’avait pas établi d’objectifs pour réduire le nombre de Canadiens qui consomme de la marijuana. Il n’a pas pu répondre. Or, quelques semaines plus tard, Santé Canada a fini par annoncer que le ministère établirait des objectifs de réduction du taux de consommation de cannabis, mais seulement chez les Canadiens de 15 à 24 ans.

L’établissement d’objectifs en vue de réduire la consommation de cannabis chez les jeunes est certes un pas dans la bonne direction, mais cela révèle que le gouvernement s’attend à ce que le nombre d’adultes canadiens qui font usage du cannabis augmente et que cela ne le dérange pas du tout qu’un plus grand nombre de gens consomment cette drogue.

C’est inévitablement ce qui se produira, car on sait que la légalisation de la marijuana contribue à en banaliser l’usage et laisse entendre que cela ne pose aucun risque. Qui plus est, chez les personnes qui consomment déjà du cannabis, la fréquence d’usage augmentera, et la fréquence est le plus grand facteur prédictif de méfaits. Selon un nouveau rapport publié par Deloitte, on estime que, après la légalisation, les consommateurs de cannabis vont acheter plus souvent de la marijuana qu’ils ne le font à l’heure actuelle et vont dépenser jusqu’à 68 p. 100 de plus pour ces achats. Cette prévision cadre avec les données empiriques recueillies ailleurs voulant que les politiques de libéralisation du cannabis, y compris la légalisation, entraînent une hausse de la fréquence et de l’intensité de la consommation chez les personnes qui en consomment déjà.

Des fonctionnaires de Santé Canada, de même que des experts du Centre de toxicomanie et de santé mentale et du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, pour n’en nommer que quelques-uns, reconnaissent que les personnes qui consomment fréquemment du cannabis sont plus susceptibles d’en subir les méfaits. Il existe de sérieux doutes que la légalisation soit la solution pour réduire les méfaits. Or, en donnant libre cours à une industrie commerciale de plusieurs milliards de dollars, qui, en soi, constitue déjà un lobby très puissant, le gouvernement a lié les mains des futurs législateurs, advenant que cette expérience échoue.

Le leader de l’opposition au Sénat a parlé hier dans cette enceinte du fait que certains des aspects les plus critiques de la légalisation, ceux qui concernent la santé et la sécurité des Canadiens, ont été relégués au processus réglementaire. De nombreuses questions relatives à l’emballage, à la publicité et à la puissance des produits seront réglées au moyen des règlements, ce qui n’a rien pour assurer aux sénateurs que les protections requises seront mises en place.

Je suis ravie que le Comité des affaires sociales ait accepté mon amendement, qui demande que les règlements futurs concernant les nouveaux produits du cannabis, comme les produits comestibles ou les produits de vapotage, soient soumis à l’étude du Parlement, mais cela ne change pas le fait que des décisions réglementaires concernant les éléments qui auront l’impact le plus grand sur la santé publique sont loin d’avoir été prises dans la transparence.

Le passage rapide à la commercialisation dans cette industrie devrait aussi nous amener à réfléchir aux pouvoirs discrétionnaires conférés par le projet de loi en matière de publicité. Nous savons que les entreprises du cannabis feront tout pour contourner les restrictions concernant la promotion de leurs produits, et c’est pourquoi cinq organismes de santé publique — le médecin hygiéniste en chef, l’Association canadienne de santé publique, l’Association médicale canadienne, la Société canadienne de pédiatrie et le Centre de toxicomanie et de santé mentale — ont tous recommandé que la publicité soit complètement interdite. C’est un autre exemple d’un gouvernement qui dit vouloir adopter une approche de santé publique, mais qui ignore les conseils de tous les principaux organismes du domaine au pays.

La semaine dernière, la majorité des sénateurs ont voté pour la correction de l’échappatoire qui permettait aux entreprises de cannabis de faire de la publicité de façon détournée. Parmi les restrictions partielles contenues dans le projet de loi se trouvait une exception qui aurait permis aux fabricants de produits du cannabis de faire des t-shirts, des casquettes, des étuis d’iPhone et d’autres articles sur lesquels figurerait le logo de leur marque. Cette pratique s’appelle l’extension de marque — de la publicité par des moyens détournés — et elle va manifestement à l’encontre de l’objectif de protection de la santé publique énoncé par le gouvernement.

Sans interdiction, les vêtements et autres articles de promotion arborant le logo d’entreprises de cannabis feront penser aux jeunes qui les verront que la marijuana est sécuritaire. C’est purement et simplement de la publicité, et le projet de loi C-45 prétend l’interdire.

Compte tenu des restrictions visant d’autres types de marketing, les entreprises consacreront inévitablement leur budget publicité à ces produits. Si nous le savons, c’est que c’est ce qui s’est produit avec le tabac et ce qui se produit déjà avec le cannabis.

Depuis que le Sénat a adopté l’amendement, il n’est pas étonnant que l’industrie du cannabis s’y soit opposée, mais elle crie au loup. Les entreprises peuvent distinguer leurs produits grâce aux emballages, aux accessoires portant l’image de marque du cannabis et aux présentoirs de promotion informative en magasin.

Une distribution hautement réglementée par l’intermédiaire de quelques détaillants donne à ces entreprises un marché captif, et elles n’ont nul besoin de valoriser la marque de façon détournée pour vendre plus de marijuana.

Nous aurions intérêt à nous souvenir de notre lutte de plusieurs décennies contre l’industrie du tabac pour que les logos de cigarettes comme celui de Camel ne soient plus visibles. Plus de 70 pays ont interdit l’extension de marque du tabac conformément à la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’OMS. Dans les faits, la pratique est interdite au Canada par différentes restrictions provinciales, mais ces victoires sur le plan de la santé publique ont été difficilement gagnées.

Nous avons une occasion en or d’apprendre des erreurs passées. La légalisation nous offre la possibilité de repartir à zéro, et le lobbying de l’industrie du cannabis ne fait que s’intensifier. Les producteurs ont clairement exprimé leur intention de contourner habilement les restrictions du projet de loi en matière de publicité. Une interdiction de valoriser la marque de façon détournée vient contrer cette menace avec de meilleures pratiques en matière de santé publique.

Lorsque le projet de loi C-45 sera renvoyé à la l’autre endroit, le gouvernement devrait accepter les amendements du Sénat. Lorsqu’une majorité de sénateurs relève une échappatoire contraire à l’objectif du projet de loi, le Sénat remplit son rôle de Chambre de second examen objectif. Si la motivation du gouvernement pour légaliser la marijuana est vraiment une question de santé publique et non de profit, il acceptera l’amendement visant à éliminer l’échappatoire relative à la valorisation de la marque de manière détournée, ainsi que nombre d’autres améliorations importantes qui ont été apportées au projet de loi par les sénateurs de tous les partis et de tous les groupes.

Même si le projet de loi prévoit la tenue d’examens, je crains encore fortement que la légalisation ne nous entraîne dans une voie à sens unique. Jonathan Caulkins, chercheur de renommée internationale dans le domaine des politiques sur la drogue, a dit ce qui suit sur l’avenir de la légalisation du cannabis :

[…] il est fort probable que, dans 25 à 40 ans, les gens regarderont en arrière et hocheront la tête en se disant: « Mais à quoi pensiez-vous? Pourquoi avez-vous pensé que c’était une bonne idée de créer une industrie de titans pour commercialiser cette drogue? »

Alors que nous nous préparons à voter à l’étape de la troisième lecture et à renvoyer le projet de loi à l’autre endroit, nous devons nous demander si nous avons fait tout en notre pouvoir pour protéger les Canadiens contre une politique non éprouvée et un marché avide de profits.

Des voix : Bravo!

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2018

Première lecture

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Harder, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

Projet de loi sur le cannabis

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, tel que modifié.

L’honorable Mary Jane McCallum : Ai-je le gros bout du bâton?

Honorables sénateurs, les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis continuent de vivre dans des conditions dangereuses, qui sont devenues chose courante. Des situations qui, à une certaine époque, étaient rares, comme des agressions et des activités de gang, sont maintenant monnaie courante dans les communautés autochtones.

(1650)

Comme la majorité d’entre nous ont vécu toute notre vie assujettis à des lois et à des politiques fédérales — dans notre propre pays, de surcroît —, nous en sommes arrivés à la triste conclusion que l’instabilité et l’insécurité sont chose courante depuis les 150 dernières années.

La violence permanente, qui découle de la pauvreté et de politiques qui font en sorte que les peuples autochtones ne sont pas en mesure de satisfaire à leurs besoins de base, notamment sur le plan de la santé, est en fait une violence structurelle qui est à l’origine de traumatismes.

Souvent, ces traumatismes causés par la violence structurelle passent inaperçus, jusqu’à ce que des événements exposent très clairement ce qui a toujours existé. Le projet de loi C-45 m’a fait très nettement fait comprendre combien l’emprise et le pouvoir de la criminalisation contrôlent souvent la vie des Autochtones.

Autrefois, chers collègues, nos collectivités étaient des lieux sûrs où les gens se sentaient protégés et appuyés. Comme nous vivions en symbiose avec la terre, nous étions souvent mis à rude épreuve, ce qui nous incitait à mieux faire tout en faisant ressortir le meilleur de nous.

Mes parents et leurs pairs ont accompli de grandes choses. Ils étaient de bons pourvoyeurs. Ils étaient intelligents, ils avaient une bonne éthique de travail et ils ont réussi à transmettre leurs compétences ancestrales. La loi s’est rendue jusqu’à eux, dans le Grand Nord, tout comme la politique relative aux pensionnats autochtones.

Dans les réserves pauvres dotées d’une structure politique, qui sont liées étroitement et légalement à notre Canada bien-aimé, un pays riche et démocratique, des lois terribles continuent d’être appliquées. Les politiques et les régimes imposés dans les réserves servent de fondement et de guide aux Autochtones, tout au long de leur courte vie, qui se termine souvent par un décès prématuré.

Des lois continuent de nous isoler, et c’est dans cet isolement que nous sommes les plus vulnérables. Des lois ont la capacité de réduire les gens au silence, tout particulièrement ceux qui n’ont plus de voix au sein d’une société en grande partie patriarcale. Ces mêmes lois contraignent au silence ceux qui n’ont aucun privilège ou qui n’ont pas leur mot à dire au sujet de la mesure même qui a façonné leur vie. Des lois continuent de diriger notre vie et donnent lieu à une judiciarisation effrénée des Autochtones, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou de jeunes.

Honorables sénateurs, on ne peut pas continuer de créer des lois qui criminalisent des problèmes sociaux, comme la possession de cannabis; cela ne peut plus durer. On ne tolère plus de tout accepter sur parole lorsqu’on nous dit que les ressources sont limitées. Les ressources limitées dont je parle, chers collègues, ce sont celles dont on a besoin pour contrer les effets du colonialisme, qui créent des zones à forte charge de morbidité dans les communautés.

Qu’est-ce qui ne peut plus durer? Je dirais que, en contrepartie, c’est l’opposition à l’idée d’investir de l’argent et de déployer des ressources dans les zones à forte charge de morbidité qui ne peut plus durer. La richesse du Canada n’a pas disparu; elle demeure simplement inaccessible à ceux qui en ont le plus besoin.

Nous, Autochtones, avons connu les compressions budgétaires imposées par les gouvernements précédents, dont nous ne nous sommes pas encore remis. En travaillant sur le terrain au cours des 15 dernières années, j’ai constaté que de nombreux organismes autochtones ont vu leur budget être amputé de 50 p. 100, et, à ce moment-là, personne n’est venu poser de questions sur nos ressources.

À titre de parlementaires, notre difficile mandat consiste non seulement à attirer l’attention sur les conséquences de l’écart sans cesse grandissant entre la judiciarisation des Autochtones et des non-Autochtones, mais aussi à analyser le problème et à faire tout ce que nous pouvons pour combler cet écart.

Je me pose la question suivante : certains segments de la population au Canada doivent-ils accepter comme une réalité inévitable le fait qu’il existe des normes inégales en matière de judiciarisation?

Honorables sénateurs, au cours de notre vie, nous, Autochtones tentons de comprendre le traumatisme que nous avons été forcés de subir. Aujourd’hui, l’aînée en moi insiste pour dire que les problèmes sociaux ne doivent pas être criminalisés, qu’il est possible de les régler plutôt en utilisant et en déployant les ressources appropriées. Néanmoins, les prisons et les centres de détention pour les jeunes demeurent la principale solution du Canada pour les Autochtones et les problèmes auxquels ils sont confrontés.

Amartya Sen a remarqué que la première question de tout examen critique de l’égalité est la suivante : de l’égalité de quoi s’agit-il? Dans le cadre de l’examen des inégalités et de la représentation de la population carcérale, pourquoi les Autochtones sont-ils plus susceptibles de se retrouver en prison et dans des centres de détention pour jeunes, et les non-Autochtones sont-ils plus susceptibles d’éviter ce sort? Qu’est-ce qui crée et maintient de telles disparités, qui sont principalement issues de l’ordre social?

Chers collègues, le fait de fumer ou non de la marijuana ne devrait pas reposer sur la peur d’être incarcéré, mais plutôt sur la liberté de prendre des décisions. La pauvreté, le traumatisme intergénérationnel et la honte limitent déjà énormément la liberté des Autochtones. Nous savons déjà que beaucoup de jeunes emprisonnés pour avoir fumé de la marijuana l’avaient fait même s’ils avaient reçu suffisamment de renseignements sur le sujet. Ils ont plutôt besoin d’être guidés et de développer leur jugement critique afin qu’ils puissent prendre leurs propres décisions sécuritaires et éclairées.

Lorsque des conditions sociales et politiques déterminent le risque de judiciarisation, nos connaissances, notre compassion et notre sagesse à titre de parlementaires peuvent modifier fondamentalement et atténuer possiblement le risque.

Honorables sénateurs, le second examen objectif ne prend pas fin à l’adoption d’un projet de loi. Nous avons la responsabilité de communiquer des renseignements et des conseils sur ce qui convient le mieux pour tous les Canadiens. La nature du second examen objectif n’est pas punitive, mais transformatrice. Le second examen objectif reconnaît que les conflits font partie intégrante des relations humaines et que, lorsqu’il est exploité convenablement, un conflit peut devenir un agent de changement efficace. Le second examen objectif devrait préconiser la non-violence comme ligne de conduite dans la vie personnelle et professionnelle.

Les aînés de ma communauté suivent la pratique du second examen objectif. Je me souviens de leur avoir posé des questions lorsque j’étais une jeune adulte et de ne pas avoir obtenu immédiatement de réponse. Ils ont discuté du sujet le soir suivant et le soir d’après. Je n’ai pas reçu de réponses immédiates, et c’est ainsi que j’ai découvert le second examen objectif.

Avant d’exprimer mes idées à la Chambre de second examen objectif, j’ai toujours réfléchi beaucoup et longuement. Je ne me suis jamais laissée mener par les intentions politiques de quiconque. Les peuples autochtones me tiennent à cœur. Je ne sacrifierai jamais leurs intérêts, comme certains ont accusé — à tort — mes collègues sénateurs autochtones et moi de le faire.

Cher collègues, il nous est arrivé, à moi et à mes proches, des choses horribles lorsque nous étions dans les pensionnats indiens. Ces expériences ont une profonde influence sur ma façon d’être mère et de réagir dans la société. Lorsque je suis sortie du pensionnat indien, j’étais très mal préparée à la société et à tout ce qu’il m’a fallu affronter à cause du manque d’assurance et de la peur de penser par moi-même, qui étaient profondément ancrés en moi. J’étais vulnérable. Pour tout dire, je me considère chanceuse d’être encore en vie et de ne m’être jamais retrouvée en prison.

Les gens sont vulnérables parce qu’ils sont incapables de prendre eux-mêmes les décisions qui les concernent. On ne leur a pas appris à le faire ni permis de le faire; c’est ce qui manque à nos enfants.

J’avoue aujourd’hui avoir déjà trouvé refuge dans l’alcool pendant une période de ma vie. Ce n’est pas un sujet facile à aborder, mais j’ai fini par comprendre, grâce aux enseignements et à l’exemple de mes aînés, que je ne voulais pas rester accrochée à la colère venant de mon passé et que j’avais vraiment besoin d’aide. Voilà le parcours que j’ai fait à la découverte de moi-même et qui m’a permis d’affronter sans danger le monde extérieur et de tirer des leçons des nombreuses difficultés que j’ai vécues.

(1700)

C’est un parcours que bien des Autochtones doivent entreprendre pour composer avec des traumatismes personnels et intergénérationnels, et ils ne devraient pas en être empêchés par peur d’accusations criminelles.

Qu’est-ce que je veux pour les jeunes Autochtones? Je veux qu’ils aient un sentiment d’authenticité et d’appartenance plutôt que de chercher ces choses à l’extérieur. Je veux qu’ils aient le courage d’être imparfaits, vulnérables et créatifs, qu’ils n’aient pas peur de se sentir honteux ou laissés pour compte s’ils sont différents ou traversent des difficultés et qu’ils avancent dans notre monde en rapide mutation avec courage et résilience. C’est le monde que nous devrons créer pour nos jeunes, qu’ils soient Autochtones ou non.

Chers collègues, je reviens à la question que j’ai posée au début de mon intervention. Ai-je le gros bout du bâton? Oui, je l’ai. Je l’ai toujours. Je vais continuer de le brandir d’une manière que j’estime dans l’intérêt de tous les Canadiens, y compris les peuples autochtones, qui sont sous-représentés et rarement entendus.

L’honorable Sandra M. Lovelace Nicholas : Honorables sénateurs, j’aimerais parler du projet de loi C-45. Bien que je l’appuie, je suis sceptique quand je lis la lettre d’intention du gouvernement concernant la consultation des Autochtones.

Je ne suis pas d’accord au sujet du report d’un an pour les Autochtones, car ils auront manqué une occasion de plus de devenir autosuffisants. Par le passé, le Canada n’a pas consulté comme il se doit les Premières Nations. Je crains que les Premières Nations ne puissent obtenir de permis pour vendre du cannabis.

Pour ce qui est des contraventions, la GRC procède à des contrôles aléatoires à l’entrée des communautés des Premières Nations. Est-ce que cela changera quand les Premières Nations obtiendront aussi le droit de vendre du cannabis, le cas échéant?

Selon les traités, les Premières Nations peuvent pêcher, chasser, faire du commerce, ainsi que cultiver et récolter des produits médicinaux sur leur propre territoire ou dans leur maison d’habitation pour assurer leur subsistance. Le gouvernement a tendance à en faire abstraction.

Trois entités ont empêché les Premières Nations de jouir pleinement des mêmes droits que les autres Canadiens en ce qui concerne l’exploitation des ressources de ce pays : le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et le ministère des Affaires autochtones.

Je me permets de citer quelques déclarations de personnages célèbres au sujet du cannabis.

Je cite d’abord John Adams :

Il faut du chanvre partout et surtout pour notre propre consommation.

Voici maintenant une déclaration de Thomas Jefferson :

Le chanvre est un produit de première nécessité pour la prospérité et la protection du pays.

Enfin, je cite le général George Washington :

Exploitez le chanvre indien autant que vous le pouvez et semez-le partout.

Honorables sénateurs, je tiens à remercier tous les membres du Comité des peuples autochtones du travail qu’ils ont réalisé au cours des nombreux mois d’étude de ce projet de loi très important. Je crois que nous avons accompli ce que nous souhaitions dans l’unité. Woliwon.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, j’aimerais faire quelques observations pour étayer le discours que j’ai fait à l’étape du rapport du projet de loi, il y a une semaine, et celui que j’ai fait hier soir, au sujet des questions liées au projet de loi C-45, le projet de loi sur le cannabis, qui concernent plus précisément les Autochtones.

Honorables sénateurs, nous participons à un débat historique en discutant du projet de loi C-45, qui vise à mettre en place la Loi sur le cannabis. Nos comités ont fait une étude détaillée, nous avons tenu dans cette enceinte un débat vaste et approfondi, et nombre d’amendements supplémentaires ont été proposés, débattus, adoptés ou rejetés.

Comme bien d’autres sénateurs, je me suis surtout inquiétée au sujet des effets du cannabis sur les jeunes. Chez les jeunes Autochtones, la consommation de cannabis risque d’aggraver les problèmes de santé mentale.

Pendant les audiences du Comité des peuples autochtones sur le projet de loi C-45, deux témoins nous ont dit qu’il y a un risque accru de souffrir de psychose et de schizophrénie chez les personnes qui ont subi un traumatisme.

Chers collègues, nous savons tous qu’il existe des communautés autochtones du Nord, ou éloignées, qui souffrent d’un traumatisme intergénérationnel découlant des mauvais traitements subis dans les pensionnats indiens. À cause de cela et d’autres raisons, le Comité des peuples autochtones avait à l’origine recommandé de reporter cette mesure d’un an, le temps que le gouvernement s’engage à répondre aux besoins critiques en santé mentale qui existent au sein des communautés autochtones, et à s’assurer que des fonds et des installations de traitement soient disponibles pour combler les nouveaux besoins en santé mentale qui se feront probablement sentir si le projet de loi C-45 est adopté.

Comme on l’a appris hier, les ministres Philpott et Petitpas Taylor se sont engagées à régler les préoccupations soulevées par le Comité des peuples autochtones, et tous les sénateurs autochtones ont convenu que la lettre traite de toutes nos préoccupations.

J’ai été particulièrement rassurée par l’engagement des ministres à travailler étroitement avec les communautés autochtones et à s’assurer que des ressources supplémentaires soient affectées à la santé mentale et aux dépendances dans les communautés autochtones. Ce qui est plus important encore, c’est que tous les sénateurs autochtones ont convenu que l’engagement pris par les ministres atténue la nécessité d’amender le projet de loi afin de retarder son adoption, étant donné que les objectifs ont été atteints par les engagements des ministres.

Honorables sénateurs, le débat sur le projet de loi C-45 a été exhaustif et, la plupart du temps, respectueux des points de vue différents. Hier, toutefois, j’ai été renversée par les commentaires de la sénatrice Stewart Olsen. L’effet de ses commentaires a été immédiat. Je me suis sentie attaquée personnellement à cause du ton de ses observations. Leur nature était indéniablement condescendante et personnelle.

Le sénateur Plett : Ils ne l’étaient pas.

La sénatrice Dyck : Plutôt que des commentaires neutres et réfléchis concernant mon discours…

Le sénateur Plett : … échange respectable.

La sénatrice Dyck : Votre tour viendra, sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Pourquoi ne discutons-nous pas respectueusement aujourd’hui?

La sénatrice Dyck : À l’ordre.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la sénatrice Dyck a la parole. Si d’autres sénateurs souhaitent participer au débat, j’ajouterai leur nom à la liste.

La sénatrice Dyck : Merci, Votre Honneur.

Je crois que ses commentaires étaient antiparlementaires, personnels, mordants et navrants. Ses commentaires étaient répréhensibles. Je ne vais pas soulever maintenant une question de privilège, même si je pense qu’elle serait jugée fondée, mais je tiens à ce que mes préoccupations soient notées.

La sénatrice Stewart Olsen s’est dite troublée parce que « nous capitulions devant le gouvernement » et parce que, selon elle, au Comité des peuples autochtones, nous avions…

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je suis désolée, Votre Honneur, j’invoque le Règlement. Je m’excuse auprès de la sénatrice Dyck.

Son Honneur le Président : Il y a recours au Règlement. Oui, sénatrice Martin?

La sénatrice Martin : Je voudrais simplement signaler que la sénatrice Dyck n’était pas inscrite sur la liste originale qui a été soumise. La sénatrice Lovelace Nicholas a parlé, alors le fait que la sénatrice Dyck ait pris la parole immédiatement après elle perturbe la liste, car il y a des sénateurs qui attendent de pouvoir intervenir. Je voudrais savoir si cela a été pris en considération au moment de donner la parole à la sénatrice Dyck.

Son Honneur le Président : J’ai respecté la liste que j’ai en main, et il ne me semble pas y avoir l’alternance habituelle. Je suis tout simplement la liste qu’on m’a donnée, sénatrice Martin.

La sénatrice Dyck a la parole.

La sénatrice Dyck : Merci, Votre Honneur.

(1710)

Honorables sénateurs, comme j’ai été interrompue, je répéterai le début de la phrase.

La sénatrice Stewart Olsen s’est dite troublée parce que « nous capitulions devant le gouvernement » et parce que, selon elle, au Comité des peuples autochtones, nous avions le gros bout du bâton pour retarder le projet de loi.

Chers collègues, les sénateurs autochtones ont été en mesure d’utiliser ce fameux « gros bout du bâton » sans nécessairement retarder le projet de loi C-45. À titre de sénateurs autochtones, nous n’avons pas laissé tomber le bâton. Nous l’avons utilisé judicieusement, de manière précise et bien ciblée, et nous avons atteint nos objectifs sans causer de dommages collatéraux indus qui auraient été attribuables à un retard.

Je remercie le sénateur Sinclair d’avoir dénoncé, hier soir, les propos de la sénatrice Stewart Olsen.

Chers collègues, la sénatrice Stewart Olsen m’a bel et bien présenté ses excuses hier soir, mais je n’avais pas bien mesuré, sur le coup, toute la condescendance de ses remarques. Quand j’ai lu le compte rendu ce matin, j’ai constaté à quel point ses propos étaient irrespectueux. Il s’agissait de commentaires partisans, et non d’observations réfléchies et judicieuses.

Finalement, comme je l’ai dit il y a quelques minutes, je ne soulèverai pas de question de privilège. Je tiens toutefois à ce que mes objections aux propos de la sénatrice Stewart Olsen figurent dans le compte rendu.

Chers collègues, gardons à l’esprit la chanson de Peter, Paul et Mary :

Si je tenais le gros bout du bâton

J’écraserais les dangers

Je battrais le tocsin

Je ferais régner l’amour entre mes frères et mes sœurs

D’un bout à l’autre du pays

Les propos tenus par la sénatrice Stewart Olsen hier soir ne changent en rien ma position à l’égard du projet de loi C-45. J’appuierai le projet de loi C-45 tel que modifié. Merci.

[Français]

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, je prends la parole pour vous dire à quel point je suis troublé par le débat que nous venons de vivre, principalement cette semaine.

Je suis troublé de voir à quel point nous venons tous de jouer dans une pièce pathétique, que je traiterais même de mascarade, écrite par le maître des changements de costume de l’autre endroit. Le résultat du vote que j’anticipe sur le projet de loi C-45, après tout le travail qu’ont accompli nos comités et cette Chambre, mettra en évidence un aveuglement politique sans précédent. Tout cela pour faire plaisir à un politicien qui avait promis de légaliser le pot au Canada.

Nous avons travaillé fort, vous et moi, pour voir clair dans l’impact de cette loi. Nous avons fait notre devoir, malgré le peu de temps qui nous a été accordé pour examiner un projet de loi de société aussi important.

Aujourd’hui, je suis troublé de voir le peu de crédibilité que plusieurs d’entre vous ont accordée aux témoignages sérieux de médecins, d’experts, de policiers, de victimes et de politiciens qui sont venus nous parler des conséquences graves qui découleront de l’adoption du projet de loi C-45 proposé par le gouvernement libéral.

Je suis vraiment troublé de voir qu’on est prêt à ignorer ces avis, surtout mes collègues d’en face, pour de simples convictions politiques. Je le dis ainsi, parce que je ne crois plus un instant que vous avez tous ensemble, au même moment, perdu l’indépendance que vous prétendez avoir. J’y reviendrai d’ailleurs dans quelques instants.

Je suis aussi troublé quand je vois que notre Chambre est prête à ignorer les droits constitutionnels des provinces, une position que je qualifie d’indéfendable de la part de gens aussi informés que vous. Je suis troublé de voir que vous rejetez la demande très justifiée des peuples autochtones de reporter la légalisation de la marijuana d’un an, alors que nous sommes tous conscients des problèmes qu’ils appréhendent pour leur population. C’est toute une réconciliation, pour employer le vocabulaire du premier ministre en poste.

Je vous pose la question suivante : où est l’urgence, en ce 7 juin 2018, d’adopter ce projet de loi? Pourquoi ce gouvernement réussit-il à vous faire agir de la sorte? Vous n’êtes sûrement pas assez dupes pour croire collectivement et unanimement que c’est pour le bien des Canadiens et des Canadiennes qu’on légalise la marijuana. Avant de voter, vous avez tous eu la chance de vous exprimer sur le projet de loi C-45 ou sur certains de ses aspects. Je fais donc un petit retour en arrière pour vous montrer ce qui s’est dit de votre côté de la Chambre.

Les sénateurs et sénatrices Dean, Gagné, Galvez, Lankin, Mégie, Moncion et Woo ont tous soulevé la problématique de l’impact de la marijuana sur le cerveau, tout comme les médecins que nous avons tous et toutes entendus en comité. Les sénateurs et les sénatrices Boniface, Dupuis, Galvez, Gold et Pratte ont tous soulevé le problème du taux de THC dans la marijuana. On a entendu des sommités nous le confirmer dans nos comités.

Le sénateur Dean a soulevé, avec raison, la question de l’impact de la légalisation de la marijuana dans les communautés autochtones. Les Premières Nations l’ont toutes confirmé devant nos comités. Les sénatrices Moncion et Lankin ont parlé du problème de la production à domicile. Les policiers ont confirmé cette problématique dans leurs témoignages devant nos comités. Les sénatrices Mégie et Petitclerc et le sénateur Woo ont appuyé l’idée de hausser l’âge légal de consommation de la marijuana. Finalement, les sénateurs et les sénatrices Gagné, Galvez, Hartling, Lankin, Mégie, Moncion, Petitclerc et Pratte ont tous affirmé, à un moment donné, qu’il existait des lacunes en ce qui concerne les programmes d’éducation et de sensibilisation à la marijuana.

Je vous regarde tous et toutes et je vous demande ceci : quels changements ont été apportés au projet de loi C-45 quant aux appréhensions et aux préoccupations que vous avez aussi clairement exprimées? Je ne vois aucun amendement majeur. Pourquoi? Parce que vous avez voté majoritairement contre d’autres amendements. La question que je pose aujourd’hui est celle-ci : est-ce qu’on vous a demandé ou même commandé d’adopter la légalisation de la marijuana, telle qu’elle est proposée? Ce n’est rien de moins que cela, à mon avis.

Où est votre indépendance? Où est votre capacité de changer les choses? Où est la cohérence pour répondre à vos craintes? Est-ce que tout cela a été balayé sous le tapis, parce que vous êtes maintenant éclairés par je ne sais trop quelle intervention, peut-être celle du Saint-Esprit ou de saint Justin?

Le moment que nous vivons aujourd’hui est important pour la crédibilité du Sénat et de ses sénateurs. Certains observateurs étaient d’avis que notre rôle allait être revalorisé grâce à ce projet de loi, que ce rôle reprendrait de la crédibilité grâce aux débats sur le sujet. C’est dommage. Je crois que le fait d’adopter ce projet de loi sera un gâchis, et j’espère ne pas vivre assez vieux pour en constater les dommages sur notre société.

[Traduction]

L’honorable André Pratte : Honorables sénateurs, le choix qui s’offre à nous aujourd’hui est, en fait, assez simple. Soit on vote contre le projet de loi C-45 parce qu’on estime que le système en place fonctionne, soit on décide qu’une nouvelle approche est nécessaire.

Dans ce cas, il y a deux options possibles : la décriminalisation, qui semble être le choix de certains de nos amis de l’opposition, ou la légalisation, qui est proposée par le projet de loi C-45.

Force est de constater toutefois que, lorsque les conservateurs formaient le gouvernement précédent, ils n’ont nullement indiqué qu’ils envisageaient de procéder à la décriminalisation, même si la situation était aussi grave alors qu’aujourd’hui.

Par ailleurs, soulignons que, durant l’actuel débat, les conservateurs ont demandé à maintes reprises qu’on criminalise, pour les mineurs, la possession de moins de cinq grammes de cannabis.

(1720)

Par conséquent, je pense que, si le passé est garant de l’avenir, les probabilités de voir un jour une décriminalisation sont pratiquement nulles. Le choix qui s’offre à nous est donc clair : le régime actuel, la prohibition ou la légalisation, le projet de loi C-45.

Trente-deux pour cent. C’est le pourcentage de Canadiens de 20 à 24 ans qui ont consommé du cannabis au cours des trois derniers mois. Pensons-y un instant. Un Canadien au début de la vingtaine sur trois est un consommateur régulier de cannabis. Voilà la situation après un siècle de prohibition et des centaines de milliers d’accusations criminelles. Selon moi, cette donnée à elle seule met fin à tout débat sur l’efficacité de la prohibition.

[Français]

Nous voici donc devant le projet de loi C-45. À mon avis, le principal avantage de la légalisation, on l’a constaté déjà au cours des derniers mois, c’est de permettre l’ouverture d’une discussion franche à tous les niveaux de la société canadienne, notamment dans les familles et dans les écoles du pays, sur l’utilisation du cannabis. Au lieu de fermer les yeux et de nous en remettre au système de justice criminel, nous nous attaquerons désormais aux problèmes causés par la consommation précoce ou abusive du cannabis par des moyens qui relèvent de l’éducation et de la santé publique. Pour ce qui est des millions d’honnêtes citoyens qui consomment du cannabis à des fins récréatives, la sensibilisation remplacera la répression.

Cependant, dans le cas des gens qui violent le cadre légal mis en place par la Loi sur le cannabis, les peines seront extrêmement sévères. L’approche proposée n’est ni bête ni naïve. Elle est finement ciselée, réaliste et stricte.

[Traduction]

Ce soir, nous ne voterons pas sur la capacité des Canadiens à consommer du cannabis. Ils n’ont pas attendu que nous leur donnions la permission. Le taux de consommation élevé de cannabis est un fait établi. Nous pourrions, bien sûr, nous ériger en grands sages en proclamant : « Tu ne consommeras pas de cannabis avant l’âge de 25, 21 ou 19 ans. » Les jeunes Canadiens feraient fi de nos hauts cris, tout comme nous avons souvent refusé d’écouter nos propres parents. Ce soir, nous voterons sur la meilleure façon d’encadrer la consommation récréative du cannabis en la considérant non pas comme une possibilité ou une politique du gouvernement Trudeau, mais comme un fait.

Que devrions-nous faire? Prenons-nous une grande respiration, fermons-nous les yeux et conservons-nous une approche prohibitionniste qui est passéiste, hypocrite et malsaine, et dont l’inefficacité a été démontrée? Allons-nous plutôt de l’avant, les yeux grand ouverts, en choisissant une politique réfléchie et franche, qui a été grandement enrichie par l’examen objectif mené par nous, sénateurs? Je choisis la deuxième option. J’appuie le projet de loi C-45 parce que je suis convaincu que les Canadiens peuvent s’attaquer de front à cette question, d’une façon résolue, responsable et pondérée.

Le projet de loi C-45 ne fait pas la guerre aux drogues, mais il ne fait pas preuve non plus de laxisme à leur égard. Le projet de loi C-45 est une mesure pragmatique qui respecte l’intelligence des Canadiens et cherche à les informer des risques du cannabis, au lieu de les menacer pour qu’ils cessent de consommer un produit que des millions de personnes aiment vraiment.

Honorables sénateurs, l’approche actuelle ne fonctionne pas. J’opte donc pour une nouvelle façon de faire les choses. Je choisis de m’ouvrir les yeux au lieu de mettre des œillères. Je privilégie l’éducation plutôt que la criminalisation, la répression de la criminalité plutôt que la répression des jeunes, le dialogue plutôt que les diktats, la sensibilisation plutôt que les menaces. Je fais confiance aux Canadiens, et surtout aux jeunes Canadiens. Je suis convaincu que, une fois qu’ils auront reçu toute l’information et l’éducation nécessaires dans un environnement sûr et légal, ceux-ci feront les bons choix, les bons choix pour eux et pour leurs êtres chers, et non les bons choix selon nous, aussi sages que nous croyions être.

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Je vais de nouveau exprimer certaines de mes préoccupations au Sénat. Je n’ai pas l’intention de discuter de toutes mes préoccupations ni des problèmes qui, à mon avis, doivent être adéquatement réglés, peu importe ce qu’il adviendra du projet de loi. Je veux seulement me pencher sur deux ou trois problèmes.

Je pense qu’il est faux de dire qu’il y a seulement deux options. Il en existe plusieurs. La société change tous les jours, et nous ne savons pas ce dont les enfants de l’avenir auront besoin et ce que les enfants vivent de nos jours. Nous ne sommes pas pleinement en mesure, dans cette assemblée, ou ailleurs, de réellement comprendre les divers modes de vie des enfants et les situations dans lesquelles ils se trouvent.

Toutes les personnes qui ont travaillé dans des tribunaux de la famille ou dans les domaines des services sociaux ou de la pédiatrie vous diront que chaque enfant est unique. Les enfants ont tous des besoins différents, et certaines options ne s’appliquent pas à l’ensemble d’entre eux.

C’est vrai que nous avons parlé, pendant des années, de décriminalisation. La population semblait souhaiter la décriminalisation. Petit à petit, j’ai observé la société passer de l’idée que tout cela était criminel à l’idée qu’il fallait peut-être penser à la décriminalisation, surtout pour les jeunes. Cependant, le gouvernement a rapidement commencé à parler de « légalisation » en parlant de consommation de marijuana « à des fins récréatives » pour que cela soit acceptable.

Cela m’amène à parler du fait que de nombreux Canadiens qui m’ont écrit — et il y en a des centaines — ne faisaient pas la différence entre la décriminalisation et la légalisation. Il incombait vraiment au gouvernement d’éduquer la population avant de faire adopter ce projet de loi. Cela aurait été tellement plus simple. Nous ne savons pas ce qui contribuera à rendre la société meilleure. Est-ce la légalisation? Est-ce la décriminalisation? Est-ce le statu quo? Y a-t-il d’autres options? Certains pays se penchent sur d’autres options.

Donc, je ne dis pas que c’était une politique inefficace et que nous aurons maintenant une bonne politique. C’est une politique qui s’est soldée par un échec. Les nouvelles politiques pourraient n’être guères mieux dans 5 à 10 ans. C’est pourquoi je crois qu’il faut de l’éducation. C’est également pourquoi des préoccupations ont été soulevées.

Nous ne pouvons pas nous asseoir ici et dire que l’option que nous avons est la bonne. Ce que nous pouvons dire, c’est que si ce projet de loi est adopté, nous aurons une option différente. C’est pour cela que nous aurions dû faire les choses de manière prudente. La question de l’éducation aurait dû être la priorité. Or, c’est seulement maintenant que nous nous y attaquons. Je m’inquiète aussi pour les gens. Je ne crois pas que l’alcool, la prohibition, et maintenant la légalisation, soient de bons exemples. Je ne me tourne pas vers les années 1910 et 1920. La société est totalement différente aujourd’hui. Nous avons appris des choses pendant tout ce temps et changé nos politiques en matière de consommation d’alcool.

Je songe au syndrome d’alcoolisation fœtale et à ce qu’il a causé. Nous n’étions pas prêts. Nous ne pensions pas aux facteurs médicaux; ceux qui ont déjà travaillé avec des enfants comprennent ce que je veux dire. Je m’inquiète maintenant des lésions cérébrales qui, si on se fie aux rapports publiés ces temps-ci, risquent de frapper les jeunes.

J’estime que le gouvernement a le droit de présenter une loi. Après tout, les libéraux ont été élus par un vote majoritaire : ils en ont le droit. Par contre, je pense aussi que le gouvernement a le devoir, quand il met en œuvre des programmes aussi risqués, de ne pas tomber dans l’improvisation et de nous présenter une solution de rechange; il doit nous montrer comment ces programmes seront mis en œuvre afin que nous puissions souscrire pleinement à la loi. Nous voulons prendre part à l’ensemble du processus.

Après tout, le Canada est une démocratie. Les gouvernements doivent être transparents et responsables, mais ils ne doivent pas l’être seulement après coup. J’aurais aimé que nous ayons plus de temps pour discuter de ce que la sénatrice Lankin a proposé.

(1730)

Nous pourrions apprendre du passé. Jadis, on faisait circuler des livres blancs et des livres verts au sein du public et celui-ci pouvait réagir bien avant que les lois soient mises en œuvre ou même rédigées. Je crains non seulement que nous n’ayons pas obtenu l’information suffisamment tôt — et quand je dis nous, je ne parle pas du Sénat, mais du public en général —, mais que nous n’ayons pas eu l’occasion de remédier aux préoccupations.

Cela demeure une grande préoccupation. Que faire maintenant? Comment allons-nous éduquer le public? Comment allons-nous régler les problèmes?

L’un des aspects qui préoccupent le sénateur Downe et moi est l’activité illégale. C’est un phénomène mondial. On peut parler de contenir l’activité illégale en la légalisant. Toutefois, si l’on étudie les rapports au sein de l’OCDE et dans tous nos milieux de la sécurité, on sait que l’activité criminelle a une longueur d’avance. C’est le cas relativement à la cybersécurité et c’est le cas pour l’activité illégale. Ceux d’entre nous qui ont travaillé dans le domaine du droit pénal vous diront qu’on ne peut pas éliminer l’activité illégale. On peut la ralentir et elle peut évoluer, mais elle sera toujours là et nous devons toujours être vigilants. Il n’y a pas de panacée contre l’activité illégale.

Enfin, j’aimerais terminer mes observations en évoquant mes préoccupations relatives au droit international. Comme je l’ai déjà dit, nous vivons dans un monde très précaire. Les pays aux vues similaires avec lesquels nous avions l’habitude de coopérer ne respectent plus autant les conventions, les accords ou les politiques qu’ils ont signés. Tous ces petits accrocs qui déchirent les conventions ne sont pas ce que nous désirons du système de valeurs que nous avons et de l’ordre que nous tentons d’établir à l’échelle internationale.

Le dernier argument que je voudrais faire valoir est celui de la responsabilité qui incombe au Sénat, en vertu de la Constitution, à l’égard des Autochtones. Je prends cette responsabilité très au sérieux. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ne sont pas négociables. Elles établissent les droits des Autochtones. Je suis quelque peu inquiète de voir que l’on continue de parler des consultations au futur. On leur fait une promesse. Les mots qui m’ont le plus dérangée dans la lettre des ministres sont « soyez assurés ». Nous avons été « assurés » à plusieurs reprises. Je ne pense pas que les Autochtones du pays méritent d’être obligés d’attendre.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Andreychuk : L’idée que je véhicule aujourd’hui est la suivante. Ce ne sont pas des droits que nous accordons aux Autochtones. Ce sont des droits qu’ils possèdent déjà. Nous devons tout faire au Sénat pour veiller à ce qu’ils puissent les exercer sans attendre un jour de plus. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Patricia Bovey : La sénatrice Andreychuk accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Andreychuk : Je vous en prie.

La sénatrice Bovey : Sur le plan international, comme je l’ai dit l’autre soir, le Congrès des États-Unis étudie un certain nombre de projets de loi, et la société ne cesse d’évoluer. Aujourd’hui, il y a eu du nouveau. Je suis certaine que vous avez vu le projet de loi déposé au Sénat et à la Chambre des représentants. Ce sont des projets de loi visant à protéger les États qui légalisent la marijuana contre l’ingérence du gouvernement fédéral, ce qui permettra aux particuliers et aux entreprises de bénéficier de la protection des lois de l’État concernant la marijuana sans avoir à craindre que les autorités fédérales ne leur intentent une poursuite judiciaire.

J’aimerais vraiment savoir si le monde devient meilleur ou s’il progresse, selon vous, à mesure que des pays modifient leur législation concernant le cannabis.

La sénatrice Andreychuk : Je voudrais faire deux observations. Premièrement, le président des États-Unis a dit qu’il permettrait aux États de faire ce qu’ils veulent, mais il a également dit que ce ne serait peut-être pas le cas, comme nous le savons tous. Toutefois, nous avons bien entendu des témoins dire à deux comités que la position des autorités fédérales concernant la frontière ne changerait pas, et elle n’a pas changé. À mon avis, ces lois concernent l’ingérence fédérale dans les affaires des États, mais elles ne changent rien en ce qui a trait à la frontière, qui reste de compétence fédérale, à moins que ne se cachent dans les détails de ces projets de loi des dispositions qui disent le contraire. Je crois que c’est la situation actuelle dans ce dossier.

Il y a un élément auquel il m'est impossible de souscrire : certains pays envisagent de changer leur position face à la marijuana, mais il y a également des pays qui vont dans la direction opposée, comme nous le savons. C’est ce qui me dérange quant à l’ordre mondial. Un groupe de pays qui partagent la même position vont dans une direction, puis ils tentent de convaincre les autres de faire comme eux. Les conventions sur les drogues regroupent environ 180 participants. Certains parmi eux veulent du changement. Nous allons demander à l’OMC s’il y a des solutions de rechange, mais d’autres pays maintiennent et raffermissent plutôt leur position. Alors, encore une fois, nous sommes loin d’un consensus sur cette question.

C’est pourquoi je considère que nous enfreignons le droit international. Je suis désolée que ce soit le cas. Cette décision a été prise il y a peut-être un ou deux ans. Ce qui me préoccupe, c’est de savoir quel est le plan du Canada pour la consolidation de l’ordre mondial et la défense de nos valeurs, car je ne crois pas que le Canada, ni le gouvernement d’ailleurs, souhaite nuire à l’ordre mondial.

La sénatrice Bovey : Comme il s’agissait d’un projet de loi bipartisan ici et à l’autre endroit, ma collègue croit-elle que cela rendra le dialogue plus facile alors que nous entreprenons cette nouvelle aventure?

La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas convaincue que les États-Unis seront la clé. Dans les questions internationales, les États-Unis participent aux discussions, mais ce ne sont pas eux qui sont les premiers à apposer leur signature. Il est intéressant de noter que les États-Unis ne sont pas signataires de bien des conventions internationales existantes. Cependant, certaines régions des États-Unis exprimeront leur appui. Je ne suis pas sûre de vouloir m’avancer sur ce qui se passe aux États-Unis.

[Français]

L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénateurs, j’avais préparé un discours pour aujourd’hui, avec de bonnes statistiques, des citations pertinentes et beaucoup d’arguments. Or, ce matin, je me suis réveillée et je me suis dit : que dire de plus? Nous avons étudié, réfléchi et parlé de ce projet de loi pendant des mois.

[Traduction]

Je pense que nous n’avons négligé aucun détail. Mon allocution sera donc très brève. Au cours des quelques derniers mois, j’ai parlé de cannabis et j’ai réfléchi à ce sujet plus que je ne l’ai fait dans ma vie entière et, à ce stade-ci, si je ne suis pas prête maintenant, je ne le serai jamais. Quelle que soit l’appréhension que nous inspire la ligne d’arrivée, il y a une limite à la préparation possible, et il faut finir par franchir cette ligne.

J’ai la conviction — et c’est personnel — que les meilleurs moments, les meilleures performances et les meilleures décisions surviennent lorsque la raison, le cœur et l’intuition nous disent la même chose, lorsqu’ils sont en harmonie. Or, dans ce cas-ci, compte tenu de la complexité de la question et du nombre d’éléments inconnus, cela est à peu près impossible. Voilà, à mon avis, le défi que pose ce projet de loi pour bon nombre d’entre nous.

Après des mois de discours, avec plus de 100 témoins qui sont venus nous faire profiter de leurs connaissances, et d’innombrables heures de réflexion — bien entendu, nous ne voulons pas nous tromper —, la raison me dit que la décriminalisation est une question de santé publique. C’est une façon de protéger les jeunes. C’est important et il ne faut pas tarder.

Les adultes qui prennent la décision de consommer du cannabis devraient avoir accès à des produits légaux, réglementés et bien étiquetés. La légalisation permettra de recueillir des données utiles et, par conséquent, de mieux comprendre cette substance et ses méfaits.

La raison me dit que ce projet de loi, avec les amendements solides que nous proposons et nos observations réfléchies et pertinentes, est assez restrictif pour protéger les plus vulnérables.

(1740)

Toutefois, je suis toujours profondément inquiète.

Je suis parfaitement consciente du fait que, seul, ce projet de loi ne sera pas suffisant et que les campagnes de conscientisation et de sensibilisation du public n’ont pas été suffisantes jusqu’ici. Toutefois, je pense que ces campagnes seront la plus importante clé du succès. Au cours des derniers jours, des collègues ont proposé des amendements que j’ai trouvés très pertinents.

[Français]

Sénatrice Poirier, je crois, comme vous, que les données médicales démontrent que le plus tard est le mieux lorsqu’il s’agit de s’exposer au cannabis, et nous devons veiller à ce que tous nos jeunes le sachent et en soient informés.

[Traduction]

Sénateur Wells, je m’inquiète aussi des conséquences de la fumée secondaire et je pense aussi qu’on connaît mal et qu’on sous-estime les méfaits associés au cannabis. Quand vous avez dit avoir grandi dans une maison où vos deux parents fumaient, des souvenirs me sont revenus en tête. Mes parents étaient aussi de grands fumeurs. Ils ont commencé à fumer quand ils avaient 15 ans. Ils fumaient dans la maison et dans la voiture. Il y a même une photo vieille de 30 ans où ma mère tient mon frère, alors bébé, d’une main, alors qu’elle a une cigarette dans l’autre main. Quand j’ai donné naissance à mon fils, il y a quatre ans, je n’ai même pas eu à demander à ma mère d’aller fumer dehors. C’est ce qu’elle a fait spontanément, car elle sait à quel point la fumée est néfaste. Cette année, elle s’est mise à vapoter et elle prévoit arrêter d’ici la fin de l’année. Elle a pris cette décision en raison du grand pouvoir de persuasion des campagnes de sensibilisation du public et, aussi, d’un peu de pression de ma part, je dois l’avouer. Je suis convaincue que des campagnes de sensibilisation très solides, variées et à long terme peuvent provoquer un changement dans la société et avoir l’effet souhaité par tout le monde.

Mon cœur se demande encore si nous ne mettons pas simplement le couvercle sur la marmite au lieu de nous attaquer à la racine du problème. Compte tenu de toutes les questions qu’on a posées, la seule réponse que je n’ai jamais eue — et c’était la plus importante —, c’est de savoir si ce projet de loi aura une incidence positive en réduisant considérablement la consommation de cannabis chez les jeunes Canadiens. Aucun témoin — et je crois que tout le monde en convient — n’est intervenu pour dire que ce projet de loi réduira de manière significative la consommation chez les jeunes. Voilà qui m’inquiète beaucoup.

Je sais que certains de mes collègues estiment que ce n’est pas un gros problème, mais je continue de croire qu’il est très troublant que les jeunes Canadiens soient parmi les plus grands consommateurs de cannabis au monde. Je continue de croire que la légalisation à elle seule ne réglera pas ce problème.

[Français]

Depuis que nous avons entamé l’étude de ce projet de loi, je suis fascinée par le modèle islandais. En 1998, la situation des jeunes en Islande était catastrophique. Le pays a décidé de prendre les grands moyens et de s’attaquer au problème de façon audacieuse. Depuis 2016, donc en moins de 20 ans, les résultats sont remarquables.

[Traduction]

Dans ce petit pays, sans que le cannabis ait été légalisé, le pourcentage d’adolescents de 15 et 16 ans qui consomment cette drogue est passé de 17 à 7 p 100 en moins de 20 ans. En 1998, 42 p. 100 des adolescents disaient s’être saoulés au cours du dernier mois, et ce pourcentage a été ramené à seulement 5 p. 100 en 2016.

Cela ne s’est pas produit par miracle. Ce très petit pays a essentiellement éradiqué les abus d’alcool, de tabac et de drogues chez les jeunes, parce qu’il a compris que les problèmes sociaux sont le produit d’un environnement social et que la solution réside dans la création d’un environnement qui n’offre pas l’occasion ou la tentation d’abuser d’une substance. Ce pays a troqué dépendances et paradis artificiels, comme on dit, pour la sensation naturellement grisante que procurent des activités comme le sport, l’art et la musique.

[Français]

Le gouvernement islandais a lancé le programme Youth in Iceland, qui combine les couvre-feux, la prévention, la hausse de la majorité et prévoit, tout particulièrement, des subventions et des mesures de soutien pour encourager la pratique du sport et favoriser l’accès à tous aux loisirs, aux arts et à la musique. Ce programme islandais mise aussi sur plus de proximité, d’attention, et de partage, et sur le resserrement des familles.

Cette méthode islandaise a même inspiré un projet européen qui s’appelle Youth in Europe, une initiative qui donne déjà de nombreux résultats positifs.

Je vous entends penser, honorables sénateurs : « Oui, mais l’Islande avec ses 340 000 habitants, c’est petit, ce n’est pas le Canada. »

[Traduction]

Traitez-moi de rêveuse si vous voulez, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander : « Pourquoi pas? » Qu’arriverait-il si, comme pays, nous décidions d’adopter une telle vision? Pourquoi ne pas être ambitieux? Qu’arriverait-il si nous décidions d’investir autant d’efforts, de temps et de ressources dans le but de susciter de profonds changements sociaux pour les jeunes que nous en avons consacrés à la légalisation du cannabis?

Nous ne connaîtrons peut-être jamais la réponse, car ce n’est pas la voie que nous avons décidé de suivre. Pourtant, un petit pays comme l’Islande a fait des choix draconiens et inspirants lorsqu’il s’est agi de régler un grave problème de consommation de drogue chez les jeunes, et ces choix ont porté leurs fruits.

Pour conclure, permettez que je cite deux grands Canadiens, Mark Tewksbury et notre collègue, le sénateur Manning.

Mon cher ami Mark Tewksbury, lorsqu’il rêvait de remporter la médaille d’or à Barcelone, en 1992, ne cessait de se répéter que quelqu’un serait forcément le meilleur au monde, alors pourquoi pas lui?

Je pense qu’un pays sera le meilleur au monde au chapitre de la santé et de l’épanouissement des jeunes, qui pourront poursuivre leurs rêves les plus ambitieux. Quelqu’un doit le faire, alors pourquoi pas nous? Pourquoi pas le Canada?

Des voix : Bravo!

La sénatrice Petitclerc : Comme l’a dit le sénateur Manning dans son discours du 31 mai : « [...] tout changement commence avec un petit pas. »

Espérons que le projet de loi C-45 est véritablement ce premier pas, mais, surtout, engageons-nous à faire en sorte que le changement ne s’arrête pas après ce premier pas.

Des voix : Bravo!

L’honorable Ratna Omidvar : Ce sera difficile d’intervenir après le discours de la sénatrice, mais je vais faire de mon mieux.

De toute évidence, le projet de loi C-45 est une mesure législative qui changera considérablement l’histoire du Canada. Tous les mois de juin depuis que je suis entrée en fonction, il me semble que nous tenons le même genre de discussions, sur des projets de loi qui changent l’histoire de notre pays.

Le premier mois de juin où j’ai siégé au Sénat, nous étions saisis du projet de loi C-14, qui portait sur l’aide médicale à mourir; en juin suivant, c’est-à-dire l’année dernière, nous étions saisis du projet de loi C-16, qui portait sur les droits des personnes transgenres; ce mois de juin-ci, nous sommes saisis du projet de loi sur le cannabis.

Permettez-moi d’informer les nouveaux sénateurs qui ont été nommés au cours des dernières semaines du petit fait suivant : le mois de juin n’est jamais ennuyant au Sénat.

Je tiens aussi à profiter de l’occasion pour remercier deux personnes qui travaillent très fort et qui ont se sont penchées sur toutes nos idées et nos suggestions, c’est-à-dire nos deux légistes. Je ne savais pas qu’il y avait seulement deux légistes pour traiter la multitude d’amendements que nous apportons non seulement au projet de loi C-45, mais aussi au projet de loi C-49 et ainsi de suite. Je me demande s’il est suffisant d’en avoir deux, mais je vais laisser à d’autres personnes le soin d’en décider. Je veux m’assurer que ces légistes reçoivent aussi nos remerciements.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Omidvar : Revenons au projet de loi C-45. Comme beaucoup de Canadiens, j’aimerais que les gens ne consomment pas une si grande quantité d’alcool qu’ils en deviennent un danger pour eux-mêmes et pour les autres. J’aimerais qu’ils ne fument pas du tout, car nous sommes au courant des méfaits du tabac pour la santé. Je souhaite la même chose pour le cannabis, mais je ne pense pas que nous puissions revenir en arrière. L’alcool, le tabac et le cannabis sont une réalité. Ne nous contentons pas de vœux pieux : légiférons, réglementons, surveillons. C’est ainsi que nous pourrons protéger la santé individuelle et collective des Canadiens.

(1750)

Je me permets de répéter un argument souvent entendu jusqu’ici : la prohibition ne donne rien.

J’ai grandi dans un pays où, selon le gouvernement au pouvoir, l’alcool était interdit. Le souvenir que je garde de cette anecdote est encore bien vivant dans mon esprit : mon père ne mangeait jamais de soupe à la maison, mais quand il allait au restaurant, il commandait… de la soupe. Je me demandais ce qu’il faisait : la soupe ne se boit pas. Un jour, j’ai regardé dans le bol et j’ai compris : c’était du scotch et du soda. Je lui ai alors demandé : « Sais-tu ce que c’est, au moins? » Il s’est contenté de hausser les épaules.

La prohibition ne servirait qu’à une chose : assurer la croissance et la survie du marché illégal, qui vaut déjà 6 milliards de dollars. C’est à dessein que je parle du marché « illégal » et non de l’habituel marché « noir », parce que je suis allée à l’école de la sénatrice Bernard, et je comprends à quel point il s’agit d’un enjeu délicat. Je ne peux pas promettre que la langue ne me fourchera jamais, mais je suis à tout le moins consciente de l’impact de ces deux mots sur une communauté qui a connu son lot de malheurs, et plus encore, surtout dans le dossier du cannabis.

Ce qui m’inquiète le plus à propos du marché illégal, hormis le fait, évident, qu’il détruit des vies, des familles et des communautés entières, c’est le fait qu’il initie les jeunes au monde interlope, au point même qu’il finisse par paraître normal à leurs yeux. Qui sait? Les jeunes pourraient se retrouver eux-mêmes impliqués dans des activités criminelles.

De toute façon, quels moyens s’offrent aux adultes pour acheter du cannabis, tant qu’il ne sera pas légal? Je n’en vois qu’un : un revendeur faisant partie de la chaîne alimentaire du crime organisé. Nous le savons tous. C’est simple. J’appelle mon revendeur — j’invente, évidemment; j’ai regardé assez de télévision pour avoir l’imagination très développée —, je l’attends au coin de la rue et quelqu’un vient me remettre un sachet plein de ce que j’espère être de la drogue. Parce que je ne peux pas en être sûre. J’ignore si le produit contient du THC et du CDB. Honorables sénateurs, le danger, c’est de ne pas réellement connaître le contenu du produit, ou pire encore, d’ignorer s’il est mélangé à des substances dangereuses. C’est ce qui m’inquiète. C’est comme acheter chat en poche.

Une fois que la légalisation sera devenue normale, il sera possible d’aller dans un magasin ou en ligne pour acheter un produit. Si le produit est étiqueté, on saura ce qu’on achète. On connaîtra le niveau de puissance. Il est possible que des avertissements soient inscrits sur le produit, entre autres. On pourra avoir l’assurance que le produit ne contient aucune substance dangereuse.

Je souhaite passer à un autre aspect du marché illégal et de ses conséquences sur les consommateurs. Au Sénat et en comité, nous avons beaucoup entendu parler des conséquences de la criminalisation. Un jeune qui reçoit une peine pour simple possession vit avec les conséquences toute sa vie. Comme l’a souligné hier la sénatrice Poirier, ces effets néfastes comprennent la stigmatisation, l’exclusion, des possibilités d’emploi intéressant limitées et, par conséquent, un niveau de pauvreté accru et des problèmes de santé, sans compter le fardeau que cela représente pour les ressources publiques limitées.

Nous avons également beaucoup entendu parler des conséquences disproportionnées de la criminalisation sur deux groupes historiquement exclus : les Autochtones et les Afro-Canadiens. La sénatrice Dyck nous a rappelé qu’à Regina il est neuf fois plus probable que les Autochtones soient judiciarisés pour simple possession, comparativement aux autres. À Toronto, d’où je viens, durant les 10 années qui se sont écoulées entre 2003 et 2013, les forces policières ont arrêté des Noirs trois fois plus souvent que des Blancs pour simple possession de cannabis, et ce, malgré les données qui démontrent que le taux de consommation de cannabis chez ces deux groupes est semblable.

La criminalisation a contribué à la surreprésentation des groupes exclus dans le système carcéral.

Personnellement, je ne veux pas voir un autre Autochtone, un autre Afro-Canadien, un autre membre d’une minorité visible ou tout autre Canadien recevoir une peine d’emprisonnement pour simple possession.

Ce n’est pas tout, parce que nous avons aussi des craintes. Je vais en mentionner quelques-unes.

Nous avons entendu les gens parler des méfaits possibles liés à la consommation de cannabis par des jeunes, notamment les répercussions sur le développement de leur cerveau. De nombreuses personnes ont témoigné. À vrai dire, les témoignages sont contradictoires. Nous citons les témoignages qui appuient notre point de vue, mais je ne nie pas qu’il y ait des risques de méfaits.

Je trouve quelque peu rassurant le témoignage d’Ian Culbert, de l’Association canadienne de santé publique, qui nous a dit que seulement 1 p. 100 des élèves de la 7e année à la 12année ont dit avoir consommé chaque jour du cannabis au cours des 12 derniers mois. Voilà la clé : tout dépend de l’âge auquel on commence à consommer du cannabis et de la fréquence de la consommation.

J’aimerais ajouter que le chiffre de 1 p. 100 n’est pas sans importance. Nous devons nous inquiéter pour les jeunes qui font partie du 1 p. 100 et nous ne pouvons pas ignorer les risques de méfaits. Nous avons toutefois entendu à maintes reprises de la part de témoins que la légalisation aidera la communauté scientifique à faire plus de recherche. Elle sera enfin en mesure de faire la recherche, puisque les gens pourront admettre qu’ils consomment une substance légale par opposition à une substance illégale. Nous serons ainsi en mesure de découvrir, d’une façon plus scientifique, je l’espère, le lien entre une consommation excessive et les problèmes de santé mentale et d’autres problèmes de santé. Une fois que nous disposerons de cette information, nous pourrons élaborer des stratégies et des interventions fondées sur des données probantes plutôt que sur la peur et les suppositions.

Il y a d’autres craintes raisonnables, toutefois. La consommation chez les jeunes augmentera-t-elle? Franchement, je ne sais pas si ce sera le cas, mais, encore une fois, je pense aux données qui nous arrivent du sud de la frontière. Le National Survey on Drug Use and Health a révélé que, au Colorado, la consommation n’avait pas augmenté; en fait, elle a baissé un tant soit peu chez les jeunes âgés de 12 à 17 ans. Dans l’État de Washington, le Healthy Youth Survey du Washington State Liquor and Cannabis Board a révélé que la consommation n’avait pas augmenté en 2012 et en 2016. Dans le cadre de ce sondage scientifique, on pose, tous les deux ans, la même question aux élèves de 8e, de 10e et de 12e année.

Je suppose que le ciel ne s’écroulera pas si ce projet de loi est adopté. En fait, il y a lieu d’avoir confiance, chers collègues. Il y a deux jours, Deloitte a publié une nouvelle étude selon laquelle les deux tiers des Canadiens qui consomment du cannabis se tourneront vers les détaillants légaux, question d’avoir accès à des produits plus variés, de meilleure qualité et plus sûrs. En passant, ils sont aussi prêts à payer un peu plus cher pour obtenir un produit qui est légal, sûr et réglementé. J’ai donc bon espoir que les objectifs du projet de loi seront atteints s’il est adopté.

Pour conclure, je vais faire quelques observations au sujet du processus que nous avons suivi. Je remercie et félicite les sénateurs Harder, Smith, Woo et Day d’avoir proposé le processus qui nous a permis de faire une étude approfondie de ces questions rapidement et avec efficience, sans rien omettre, et de participer à un débat complet, sans perdre de temps. Bien joué.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Omidvar : Je souhaiterais que nous suivions ce processus, peut-être de manière officieuse, pendant un certain temps, puis, nous pourrions peut-être l’adopter officiellement.

Je veux aussi remercier le sénateur Eggleton pour la façon experte et élégante dont il a guidé les membres du Comité des affaires sociales dans un dossier très complexe, en étant juste, ainsi que les sénatrices Seidman et Petitclerc qui, ensemble, ont veillé à ce que tous les membres du Comité des affaires sociales soient inclus.

(1800)

Enfin, je veux dire merci au sénateur Dean, envers qui j’ai personnellement une énorme dette de reconnaissance. Vous méritez la gratitude et l’estime de nous tous pour le travail absolument formidable que vous avez accompli. Vous avez fixé la barre très haut et il sera très difficile de la dépasser. Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, je veux faire quelques observations à propos du projet de loi C-45. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais souligner que nous avons souligné le mois dernier le 25e anniversaire de ma première élection à l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador, qui a eu lieu en 1993.

Au cours des 25 dernières années, j’ai eu l’honneur de servir au sein de l’Assemblée législative de Terre-Neuve-et-Labrador, à la Chambre des communes et au Sénat du Canada, avec vous tous. J’ai siégé en tant que député de l’opposition, en tant que député ministériel et même à titre de député indépendant.

Au fil des ans, j’ai retenu nombre de leçons précieuses. J’ai appris à accepter et à respecter les opinions des autres, même si elles sont diamétralement opposées aux miennes. J’ai compris que les gens regardent le monde sous des angles différents. Au Sénat, nous étudions les projets de loi selon tout un éventail de perspectives, ce qui est tout à fait légitime. J’ai également appris à endurer les pressions que peut exercer le parti au pouvoir pour me voir appuyer un projet de loi avec lequel je ne suis pas tout à fait d’accord. Après les nombreuses discussions auxquelles j’ai pris part au cours des dernières semaines, je soutiens que c’est certainement le cas avec le projet de loi à l’étude.

Cela dit, ultimement, nous avons tous un choix à faire. Chacun de nous prend la décision personnelle d’appuyer ou non un projet de loi, et c’est ce que nous ferons pour le projet de loi C-45.

Même si je n’approuve pas la décision de bien d’autres dans cet endroit qui appuieront le projet de loi, je respecte leur droit de le faire. En retour, je demande que vous respectiez mon droit de m’y opposer avec véhémence.

En tant que membre du Comité des affaires sociales, j’ai écouté les nombreux témoins qui ont comparu pour appuyer le projet de loi ou s’y opposer. J’ai passé bien des soirées dans mon bureau à examiner des rapports, des études et des témoignages, ainsi qu’à parler avec des gens de divers coins de ma province et du pays.

À l’issue de tous ces efforts, j’en suis venu à conclure personnellement que le projet de loi n’est pas dans l’intérêt des Canadiens pour le moment. Bien des exposés ont été présentés sur ce projet de loi très important, certains pour, d’autres contre, mais toujours appuyés de présumés « faits ». Toutefois, j’ai toujours de nombreuses questions et préoccupations.

Quand, une journée donnée, on entend des arguments à l’appui d’un projet de loi justifiés par une étude exhaustive d’un groupe ou organisme de bonne réputation ou par une enquête massive dont on dit que la marge d’erreur est de plus ou moins 1 p. 100, puis que, le lendemain, on entend des arguments contre le même projet de loi justifiés par une autre étude exhaustive d’un groupe ou organisme de bonne réputation ou par une autre enquête massive dont on dit que la marge d’erreur est de plus ou moins 1 p. 100, on se demande, bien souvent, qui croire. Qui a raison? Qui a tort? Qui dit la vérité et, surtout, qui ment?

Si j’en juge par mon expérience, j’ai aussi appris que si vous avez suffisamment d’argent et que la question est posée d’une certaine façon, vous pouvez recevoir la réponse que vous désirez. En conséquence, y a-t-il une réponse meilleure qu’une autre? C’est une question à laquelle je ne puis répondre pour personne d’autre que moi. En fonction de ce que j’ai lu et écouté, et de la documentation que j’ai devant moi concernant le projet de loi C-45, je ne peux pas appuyer ce projet de loi et je ne le ferai pas.

Je veux faire valoir aujourd’hui que je suis très favorable à la marijuana à des fins médicales. J’estime qu’il revient à une personne de décider, en consultation avec son médecin, si le recours à la marijuana soulagera ses souffrances. C’est son choix, et je l’appuie. J’ai été extrêmement contrarié d’apprendre que le projet de loi C-45 imposerait une taxe à la marijuana à des fins médicales, alors que d’autres médicaments sur ordonnance au Canada ne sont pas taxés. Cela a soulevé pour moi la question suivante : l’objectif de ce projet de loi est-il purement pécuniaire? Le reste n’est-il que beaux discours?

Je suis aussi très favorable à la décriminalisation de la marijuana. Nous avons tous été adolescents à un moment donné et nous avons tous commis des erreurs. Nul n’est parfait, et je ne crois pas que nous devrions avoir à vivre avec les conséquences de ces erreurs puériles et immatures pour le reste de nos vies. Il est ridicule d’avoir un casier judiciaire à vie pour s’être fait prendre avec trois joints à 16 ou 17 ans — ce l’était à l’époque, et ce l’est toujours. Je ne suis pas convaincu que le projet de loi C-45 aborde les erreurs de jeunesse de manière pleinement constructive et productive.

Après avoir bien étudié le projet de loi, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’est pas bien réfléchi. Je comprends l’importance pour un gouvernement de chercher à honorer une promesse électorale importante. Je comprends le désir de tous les ordres de gouvernement de tirer parti des recettes fiscales qui découleront de la vente de marijuana. Cependant, je crois vraiment et honnêtement que les coûts sur les plans sanitaire et social découlant de la mise en œuvre de ce projet de loi l’emporteront largement sur tout avantage économique généré par les recettes fiscales qui seront perçues.

J’aimerais aborder certaines de mes préoccupations au sujet de la mesure législative. D’après le gouvernement, le projet de loi vise notamment à garder la marijuana hors de la portée des enfants, mais le projet de loi C-45 autorise aussi les enfants âgés de 12 à 17 ans à avoir en leur possession jusqu’à cinq grammes de marijuana. Même si je comprends la perspective de décriminalisation de la mesure législative, je ne crois pas qu’un enfant âgé de 12 à 17 ans devrait être autorisé à avoir de la marijuana en sa possession. Je crois en la tolérance zéro à un si jeune âge, en raison des données médicales qui font état des dommages que le cannabis peut provoquer chez les jeunes. Il doit y avoir une meilleure façon de remédier à cette importante préoccupation.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a examiné les données relatives au système de contrôle du cannabis et a tiré les conclusions suivantes : la consommation de cannabis pose des risques considérables pour la santé, tout particulièrement pour les gens qui en consomment fréquemment ou qui ont commencé à en consommer à un jeune âge. Des professionnels de la santé de l’Association médicale canadienne ont déclaré que le cerveau continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans. Plus la consommation de marijuana avant l’âge de 25 ans est élevée, plus la personne risque de développer des troubles mentaux comme la schizophrénie, la dépression et l’anxiété. Le risque peut atteindre 30 p. 100 de plus par rapport à ceux qui n’ont pas consommé de marijuana lorsqu’ils avaient moins de 25 ans.

Le Dr Jeff Blackmer, de l’Association médicale canadienne, a aussi comparu devant le Comité de la santé et il a parlé tout particulièrement du fait que le gouvernement ne prend pas très au sérieux les conseils médicaux au sujet de la marijuana. Il a dit ceci :

Nous avons été un peu surpris de voir que les gens ne respectent pas davantage les données probantes et le réel potentiel de dommages.

On ne parle pas de modèles théoriques en laboratoire. On parle d’études, et nous savons que plus les gens commencent tôt, plus grand sera le dommage, plus permanent il sera, et plus il est probable que les personnes acquièrent une dépendance à la marijuana. Nous avons toutes ces statistiques. Nous avons toutes les données probantes dont nous avons besoin pour ce qui est des effets sur l’éducation, la carrière, les niveaux de QI et tous ces genres de choses. Et malgré tout, on continue d’entendre les gens dire qu’il faut opter pour la même limite d’âge que pour l’alcool.

Je le répète, selon nous, cet argument ne tient pas la route.

L’Association des courtiers d’assurances du Canada a aussi exprimé de vives inquiétudes à propos des répercussions qu’aura cette mesure législative sur l’assurance auto et habitation, particulièrement en ce qui concerne la quantité maximale de marijuana qu’un conducteur pourra consommer avant de prendre le volant pour que ses polices d’assurance demeurent en vigueur. Autre point de préoccupation, il faut se demander si la culture de marijuana à domicile aura une incidence sur les primes d’assurance-habitation et si elle pourrait entraîner l’annulation de la police d’assurance.

L’Association canadienne de l’immeuble s’est dite préoccupée par les répercussions qu’aura la culture à des fins personnelles sur les maisons et sur les propriétaires. Elle a notamment signalé des enjeux concernant la santé et la sécurité, les droits des propriétaires, les exigences de divulgation accrues, l’efficacité de la surveillance et l’application de la loi à l’égard des cultures à domicile légales et illégales. L’association a indiqué qu’elle préférerait fortement qu’il ne soit pas permis de cultiver du cannabis à domicile à des fins personnelles.

Selon les organismes que j’ai mentionnés et plusieurs autres témoins, il est essentiel de mettre en place un programme de sensibilisation et d’information du public avant de légaliser le cannabis. Aucune disposition du projet de loi ne traite de la sensibilisation du public, et le travail que le gouvernement a accompli jusqu’à maintenant dans ce domaine laisse grandement à désirer.

Par ailleurs, plusieurs témoins, particulièrement les représentants des forces de l’ordre, ont dit trouver très préoccupant qu’il n’existe actuellement aucune méthode scientifique adéquate pour reconnaître les conducteurs aux facultés affaiblies par la drogue. Plusieurs sont d’avis qu’ils n’ont pas reçu les outils et la formation dont ils ont besoin pour assurer la sécurité des routes et des citoyens. Ces commentaires devraient nous inquiéter.

Je suis conscient des grandes difficultés qu’ont vécues, au fil des ans, les communautés autochtones du Labrador, dans ma province, et d’ailleurs au pays. Je suis donc sidéré et consterné de voir que des amendements cruciaux proposés par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ont été rejetés par la majorité et ramenés à quelques observations dans le rapport final du Comité permanent des affaires sociales. À mon humble avis, ce fut une grave erreur de jugement et une bonne occasion ratée. D’importants problèmes ont été soulevés : le manque de consultation des populations et des organisations autochtones dans l’élaboration du projet de loi C-45; l’absence de moyens culturellement adaptés pour sensibiliser la population autochtone au projet de loi de légalisation du cannabis et aux effets du cannabis sur la santé; l’accès insuffisant à des services culturellement adaptés de santé mentale et de traitement des dépendances et le financement inadéquat de ces services; la nécessité de reconnaître le droit inhérent des communautés autochtones à exercer elles-mêmes les pouvoirs liés à la réglementation, la vente, la consommation et la taxation du cannabis sur leur territoire; le désir des communautés autochtones de profiter pleinement des retombées économiques et de la possibilité de tirer des recettes autonomes résultant de la légalisation du cannabis.

(1810)

Ce n’est pas d’hier que je vois des rapports de comité, et je peux dire que, quel que soit le parti au pouvoir à Ottawa, il est la plupart du temps difficile de trouver un ministre, un ministère ou un gouvernement qui prend ses décisions en tenant compte des recommandations justes, solides et réfléchies du Sénat. Peu importe le parti politique au pouvoir, les gouvernements ont, à tous égards, un bilan lamentable quand vient le temps de donner suite à ces recommandations, qui sont reléguées au rang d’observations. Beaucoup considèrent ce comportement comme une véritable gifle pour nous, qui ne comptons ni les efforts ni le temps que nous consacrons aux travaux des comités.

Selon ce que j’ai pu voir dans les médias hier, le gouvernement a promis de s’occuper de ces questions et d’affecter les ressources humaines et financières nécessaires pour répondre aux préoccupations relevées par le Comité des peuples autochtones et prises en compte dans ses recommandations.

Mes amis, nous savons tous que les promesses et les projets de loi sont deux réalités distinctes. Une promesse peut être trahie, oubliée ou abandonnée pour diverses raisons, y compris les restrictions budgétaires, les changements de gouvernement ou même un simple remaniement ministériel. Alors, j’encourage tous les sénateurs à maintenir la pression sur le gouvernement au sujet de ces importantes questions. Seul le temps nous dira si le gouvernement est vraiment sincère dans son engagement. Alors, je vous en prie, ne laissez pas les beaux discours vous faire oublier les mesures tangibles qui doivent être prises pour assurer la santé et la sécurité des populations autochtones du pays.

Je rappelle en outre que plusieurs provinces ont réclamé plus de temps pour se préparer à la légalisation de la marijuana. Je sais que le gouvernement a déjà abordé la question, mais bon nombre de provinces craignent de ne pas être prêtes quand le projet de loi sera en vigueur et que les problèmes se mettront à surgir. J’estime que, là aussi, la retenue est de mise. Il faudrait également que toutes les parties intéressées aient les ressources nécessaires.

Chers collègues, beaucoup de dispositions dans ce projet de loi me font tiquer, mais je n’ai pas le temps de toutes les passer en revue. Comme je le disais plus tôt, j’ai passé de longues heures à étudier ce texte d’une extrême importance et à en discuter. J’en suis venu à la conclusion que je ne peux pas l’appuyer dans sa forme actuelle. Il s’agirait, selon moi, d’une mauvaise politique publique, parce que de nombreuses parties du pays, surtout dans les secteurs éloignés, ne sont pas prêtes à affronter les changements qui viennent.

Je n’ai appuyé aucun des amendements proposés, peu importe par qui, parce que, à mon humble avis, ce projet de loi me fait penser à un gros seau d’eau salée : même si on y jette quelques verres d’eau douce, l’eau demeurera salée.

Nous avons probablement affaire à l’un des plus gros changements dans les politiques publiques canadiennes depuis très longtemps, et ce projet de loi est sans doute l’un des seuls qu’il nous sera jamais donné d’étudier qui a le potentiel de changer du tout au tout la face du pays.

Puis-je ajouter que, selon moi, les changements dont nous serons témoins une fois le projet de loi en vigueur ne serviront pas les intérêts du Canada ni des Canadiens? Je suis plutôt convaincu que ce sera le contraire. J’ai vu de mes yeux les ravages que la drogue a causés dans ma famille et dans mon cercle d’amis. J’ai vu la vie de gens bons, honnêtes et vaillants voler en éclats à cause d’elle. Je peux seulement espérer que les recettes engendrées par les taxes sur la vente de marijuana serviront à créer des programmes de sensibilisation, surtout pour les jeunes, et à aider les Canadiens aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, surtout ceux qui vivent en région éloignée.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué, d’une façon ou d’une autre, à la discussion et au débat importants sur le projet de loi C-45, tout particulièrement ceux qui ont participé aux études des différents comités qui se sont penchés sur les divers aspects du projet de loi. J’aimerais surtout remercier les sénateurs Eggleton, Seidman et Petitclerc de leur travail au Comité des affaires sociales. Cette étude a exigé beaucoup de temps et de délibérations, et vous méritez tous des félicitations pour vos efforts.

Je félicite également le sénateur Dean, parrain du projet de loi, pour le travail qu’il a fait dans ce dossier, malgré les problèmes de santé dont il a souffert personnellement. Même si je vous ai fait part à maintes reprises de mon opposition à ce projet de loi, nos conversations ont toujours été respectueuses et constructives, même quand je savais que mes opinions personnelles n’allaient rien changer.

Nous avons tous une décision à prendre en fonction de ce que nous croyons sincèrement être dans l’intérêt supérieur de tous ceux que nous avons le privilège de servir. Comme je l’ai dit au début, je respecte votre droit de voter comme vous le désirez, et je vous demande de me rendre la pareille.

Des voix : Bravo!

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je souhaite intervenir dans le débat d’aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45.

J’aimerais dire d’emblée que je suis inquiète en songeant au territoire inexploré sur lequel nous allons nous aventurer avec ce projet de loi. Chers collègues, le Canada n’est tout simplement pas prêt à légaliser la marijuana. Les policiers, les gouvernements provinciaux, les municipalités et les systèmes de santé et de justice, déjà surchargés, ne sont tout simplement pas préparés à un changement de politique aussi soudain et d’une telle ampleur qui leur est imposé à la hâte, sous la pression d’un gouvernement qui tient absolument à respecter une échéance déterminée de façon arbitraire pour des raisons politiques qui le concernent.

Quand le projet de loi C-45 a été présenté pour la première fois, il laissait bien des questions sans réponse. Cela fait plus d’un an que le Parlement est saisi de ce projet de loi. Nous sommes maintenant à l’étape de la troisième lecture au Sénat. Or, il y a encore plus de questions sans réponse que lorsque nous avons commencé notre étude. Comment les agents d’application de la loi seront-ils en mesure d’appliquer les mesures sur la culture à domicile? Quand les appareils de détection des drogues en bordure de route seront-ils finalement sélectionnés? Quelles seront les répercussions de la légalisation de la marijuana pour les Canadiens tentant de traverser la frontière américaine? Que ferons-nous au sujet des communautés autochtones qui s’opposent complètement à la légalisation? Qu’adviendra-t-il des conventions internationales sur les drogues que le Canada a signées? Quel prix le gouvernement fixera-t-il pour la marijuana? Est-il assez bas pour éviter la croissance du marché noir? Les questions sont innombrables.

Ce qui est troublant, c’est que les architectes du projet de loi ne peuvent pas répondre à certaines de ces questions fondamentales, à ce stade du processus. Les fonctionnaires qui sont chargés de la rédaction et de la mise en œuvre du projet de loi ne peuvent même pas expliquer adéquatement certaines de ses dispositions. Je vous ai raconté, lors de mon intervention à l’étape du rapport, que j’avais demandé aux fonctionnaires des ministères de la Justice, de la Sécurité publique et de la Santé précisions sur les dispositions de l’alinéa 8(1)e) du projet de loi. Cette disposition concerne le nombre de plantes en train de bourgeonner ou de fleurir qu’un particulier ne peut avoir en sa possession. Les fonctionnaires n’arrivaient pas à s’entendre. Les fonctionnaires du ministère de la Justice ont affirmé que l’alinéa s’appliquait aux plantes bourgeonnant ou fleurissant dans un lieu public, même si les mots « dans un lieu public » n’apparaissaient pas dans l’alinéa ou dans toute disposition renvoyant à l’alinéa. Je l’ai signalé, et je leur ai demandé de fournir plus de précisions. Ils ne l’ont pas fait.

Quand, deux mois plus tard, au Comité des affaires sociales, le sénateur Manning a posé la même question aux mêmes fonctionnaires du ministère de la Justice, il a obtenu la même réponse erronée que les fonctionnaires avaient tenté de me faire accepter deux mois plus tôt.

C’est tout simplement inadmissible, honorables sénateurs. Les Canadiens méritent de savoir avec certitude s’ils enfreindront les lois criminelles du pays s’ils cultivent chez eux une ou quatre ou six plantes de marijuana qui sont en train de bourgeonner ou de fleurir.

Le gouvernement semble avoir commis une erreur de rédaction dans une disposition fondamentale du projet de loi qui aura une incidence sur un grand nombre de Canadiens. Pourtant, il refuse de l’admettre. La correction ne se trouve même pas dans l’un des 29 amendements sans précédent que le gouvernement a apportés à son propre projet de loi par l’entremise de son mandataire, le sénateur Dean. Honorables sénateurs, le gouvernement a eu deux ans et demi pour peaufiner le texte. Je trouve très inquiétant que nous trouvions toujours des lacunes dans le projet de loi à cette étape tardive du processus.

Au cours des derniers jours, des sénateurs ont proposé des amendements pour régler certains des problèmes du projet de loi C-45. Je suis soulagée de constater qu’au moins quelques mesures ont été adoptées qui resserrent certaines des dispositions les plus libérales du projet de loi, dont la proposition de la sénatrice Seidman de limiter la promotion des marques sur les articles promotionnels et les restrictions du sénateur Plett sur le partage dans un contexte social. Pourtant, je ne puis m’empêcher de penser que c’est insuffisant.

Nous avons maintenant l’occasion d’atténuer les torts que causera le projet de loi sur le cannabis avant qu’il ne devienne loi, mais je crains que nous ne l’ayons ratée en grande partie:  d’abord, parce que le Sénat a rejeté une mesure visant à interdire la culture à domicile et ensuite, parce qu’il a rejeté la proposition de faire passer l’âge légal d’accès à la marijuana à 21 ans. Ces deux mesures auraient au moins permis de réduire les répercussions du projet de loi sur les enfants et les jeunes adultes — une question au sujet de laquelle le gouvernement Trudeau se contente de belles paroles, sans passer aux actes.

Depuis le début, le gouvernement dit aux Canadiens que la raison d’être du projet de loi est de garder la marijuana hors de la portée des enfants. Il est illogique que le stratagème de légalisation du gouvernement Trudeau atteigne cet objectif. Étant donné que les jeunes de 18 ans pourront acheter légalement du pot, ils serviront d’intermédiaire pour apporter de la marijuana directement dans les écoles secondaires. Qui plus est, avec la proposition sur le partage social, les adolescents d’à peine 16 ans pourront avoir accès à la marijuana grâce à leurs amis. De plus, à mesure que la légalisation entraînera la normalisation de la marijuana, la consommation chez les jeunes augmentera.

(1820)

Honorables sénateurs, hier, nous avons eu une discussion approfondie au Sénat au sujet des répercussions de la consommation de marijuana sur la santé mentale, particulièrement sur le cerveau en développement des jeunes de moins de 25 ans. Il s’agit toujours de ma principale inquiétude au sujet de ce projet de loi.

Depuis que nous avons commencé à étudier ce projet de loi au Sénat, il est on ne peut plus évident que les préoccupations liées à la santé mentale entourant la légalisation ne sont pas partagées par le gouvernement Trudeau. Au comité plénier du Sénat, lorsque j’ai questionné la ministre de la Santé, ici même, au sujet des répercussions considérables sur la santé mentale de la légalisation de la marijuana, elle m’a donné une réponse de près de deux minutes sans jamais prononcer une seule fois les mots « santé mentale ». C’est fort révélateur, honorables sénateurs, et profondément troublant.

Une très grande majorité des professionnels de la santé nous mettent en garde contre cette mesure législative. Nous devrions tenir compte de leur avertissement. Le système de soins de santé mentale au Canada est terriblement inadéquat à l’heure actuelle, et pourtant, le gouvernement impose la légalisation d’un psychotrope qui a des répercussions considérables sur la santé mentale.

Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est l’incidence que la légalisation aura sur les services en santé mentale pour les enfants : actuellement, seul un enfant sur cinq ayant besoin de services de santé mentale les reçoit. On peut s’attendre à ce que la consommation chez les jeunes augmente après la légalisation, et, avec elle, les pressions exercées sur le système de santé mentale des jeunes s’intensifieront à mesure que la marijuana deviendra de plus en plus normale et accessible aux jeunes.

Au Canada, l’infrastructure de traitement des dépendances n’est pas prête à faire face à une hausse des cas de dépendance découlant de la légalisation du cannabis. Voici ce qu’a déclaré le Dr Philip Tibbo, psychiatre et professeur, lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales :

[...] il existe des traitements pour les toxicomanies au cannabis. Sont-ils disponibles et y a-t-il des gens formés partout au pays, tant en milieu urbain qu’en milieu rural? Pas à ce jour. Si vous me demandez aujourd’hui si nous sommes prêts à lutter contre l’abus et la dépendance au cannabis sous l’angle du traitement, non, nous ne sommes pas prêts pour l’instant. Il faut encore renforcer beaucoup les capacités et faire aussi quelques recherches sur les bonnes options de traitement.

Je n’appuie pas la légalisation de la marijuana — je suis certaine que ma position n’étonne personne —, mais si on doit aller de l’avant avec la légalisation, on ne devrait pas procéder comme on le fait maintenant, en présentant un projet de loi que l’éminent avocat de la défense Solomon Friedman a qualifié d’énorme gâchis.

Pourtant, le gouvernement Trudeau semble déterminé à foncer à toute allure pour faire adopter cette mesure législative boiteuse, sans égard aux conséquences, pour respecter son échéancier politique. En fait, honorables sénateurs, ce sont les ambitions politiques du premier ministre Trudeau qui ont dicté le projet de loi. C’était évident dès le départ, lorsque le projet de loi C-45 a été présenté à la Chambre des communes le dernier jour de séance avant le 20 avril, pour que les milliers d’utilisateurs de marijuana qui convergent chaque année sur la Colline du Parlement se réjouissent de la mesure prise par le gouvernement Trudeau pour lequel ils avaient voté. Comme ce même gouvernement venait, quelques semaines plus tôt, de rompre sa promesse sur la réforme électorale, il devait promettre autre chose aux jeunes électeurs pour leur faire oublier les conséquences de son manque de parole.

Honorables sénateurs, la décision politique de légaliser la marijuana aura d’énormes conséquences pour les Canadiens. On ne pourra remettre le génie dans la lampe. Pour les raisons que j’ai énoncées, je voterai contre le projet de loi C-45 à l’étape de la troisième lecture. Je vous invite à réfléchir sérieusement aux répercussions que cette mesure législative aura sur les jeunes, sur la santé mentale et sur l’ensemble des Canadiens, et j’espère que, comme moi, vous voterez contre.

Merci.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis, adopté par la Chambre des communes le 27 novembre dernier et amendé par le Sénat le 30 mai dernier.

Ce projet de loi est l’expression de l’engagement politique pris par le gouvernement fédéral actuel lors de la campagne électorale de 2015 qui l’a mené au pouvoir. Cet engagement se lit comme suit : « de légaliser et réglementer rigoureusement le cannabis ».

Quelle que soit notre position personnelle sur le cannabis et sa légalisation, je suis d’avis que nous avons étudié attentivement ce projet de loi. Nous avons fait des recherches et, d’ailleurs, nous avons reçu le soutien du parrain du projet de loi, le sénateur Dean, que je tiens à remercier. Nous avons surtout eu l’occasion d’entendre un nombre impressionnant de témoins de tous horizons et de positions très contrastées. Ces témoins ont comparu devant plusieurs comités du Sénat et, ultimement, devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Nous avons pu obtenir des réponses aux questions que nous leur avons posées et nous en tirons les constats suivants.

Nous sommes conscients que nous ne sommes pas les premiers parlementaires canadiens à étudier la question de la consommation du cannabis depuis les années 1970.

Nous savons qu’il s’agit d’une question très complexe.

Nous savons que le cannabis est considéré comme étant la drogue la plus utilisée, produite et vendue au monde et qu’il est consommé dans presque tous les pays.

Nous savons que la consommation du cannabis est largement répandue au Canada, surtout chez les jeunes, que le marché illégal est florissant et qu’il n’existe aucun contrôle du contenu des produits consommés actuellement.

Nous savons que la consommation du cannabis peut entraîner des conséquences négatives importantes pour la santé, surtout quand la consommation commence à un jeune âge et qu’elle est régulière.

Nous savons que la consommation et la commercialisation du cannabis posent des enjeux importants en matière de santé publique.

Nous savons que les connaissances scientifiques sur les effets de la consommation du cannabis et la recherche scientifique sur le cannabis au Canada sont déficientes, et qu’un immense rattrapage à ce chapitre sera nécessaire pour surveiller la nouvelle situation qui sera créée par l’adoption du projet de loi C-45 et, surtout, pour combler la carence actuelle de données qui seront nécessaires pour constituer une base valide pour les décisions qui s’imposeront dans l’application de la loi.

Nous savons que la légalisation du cannabis prévue par le projet de loi C-45 vient s’insérer dans un régime juridique qui autorise actuellement la culture et la consommation du cannabis et de produits dérivés du cannabis par des personnes malades pour soulager leurs maux.

Nous reconnaissons l’importance de réviser le système actuel qui permet de désigner une personne pour cultiver du cannabis à des fins médicales.

Nous savons aussi que le régime actuel relatif au cannabis à des fins médicales a été influencé directement par des décisions rendues par des tribunaux canadiens à partir des années 2000.

Nous savons que la question du cannabis a fait l’objet de discussions, de contestations judiciaires, de réglementations, autrement dit, d’un dialogue constant entre les trois composantes de l’État, soit le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, et ce, depuis plusieurs décennies.

Nous savons qu’on est passé du cannabis séché, consommé dans les années 1960 à partir de certaines parties du cannabis, à un nombre presque infini de produits de consommation fabriqués à partir de composantes différentes de la plante et qui peuvent, entre autres, être fumés, vapotés, bus, mangés, appliqués sur le corps, et surtout dont les concentrations sont beaucoup plus importantes en THC que le cannabis consommé il y a 50 ans.

Nous savons qu’il est urgent d’introduire un régime de contrôle de la qualité des produits que nous laissons circuler. Nous savons l’importance de contrôler rigoureusement la commercialisation et la promotion des produits qui seront légalisés, entre autres, pour éviter que les jeunes soient ciblés et que la disponibilité des produits ne soit confondue avec la sécurité de ces produits.

Nous savons que des enjeux internationaux se posent, compte tenu des engagements internationaux du Canada.

Nous savons que cette loi fédérale, si elle est adoptée, sera imbriquée dans un réseau de lois provinciales et territoriales qui en réglementeront certains aspects.

Nous savons que la majorité des provinces et des territoires ont déjà indiqué leurs priorités respectives et qu’elles mettront en place les législations nécessaires. C’est la raison pour laquelle les sénateurs du Groupe des sénateurs indépendants ont voulu insérer dans le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dont je fais partie, une recommandation en ce sens, laquelle a été adoptée à l’unanimité par les membres de ce comité. C’est dans cet esprit que j’ai déposé auprès de mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants une proposition d’amendement pour clarifier la compétence des provinces à légiférer la culture du cannabis à domicile, y compris pour l’interdire, laquelle proposition, après discussion entre nous, a été déposée comme amendement par le Groupe des sénateurs indépendants au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui l’a adoptée. Il s'agit de la troisième modification, qui ajoute le nouvel article 5.2 au projet de loi C-45 et qui a été adoptée par le Sénat le 30 mai dernier.

Je tiens à souligner la contribution particulière du président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le sénateur Eggleton, et aussi celle des deux vice-présidentes, les sénatrices Petitclerc et Seidman, qui ont dû concilier leur étude globale du projet de loi avec les études menées par les autres comités du Sénat qui avaient eu pour mandat d’en analyser certaines parties.

(1830)

Nous avons surtout compris l’urgence d’élaborer des programmes de prévention, d’information et d’éducation à l’intention des jeunes et aussi des parents et des éducateurs. Nous avons compris le défi de communiquer le message social qui, d’une part, reconnaît que des personnes malades peuvent soulager leurs maux en consommant du cannabis et, d’autre part, que le cannabis est susceptible d’entraîner des problèmes graves de santé aux personnes qui en consomment.

Nous avons compris qu’il est de notre devoir de veiller à ce que les jeunes de notre société soient adéquatement informés et de leur apporter un soutien.

Enfin, nous avons compris que nous avons la responsabilité, comme adultes, de dépasser le stade du déni, de l’indifférence et de la banalisation entretenue par le régime actuel de prohibition du cannabis.

Honorables sénateurs, notre mission ne s’arrête pas ici aujourd’hui avec ce vote. Nous devons être vigilants et analyser rigoureusement le rapport que le gouvernement devra déposer au Sénat une fois qu’il aura révisé la loi et son application dans cinq ans, comme l’article 151 l’oblige à le faire. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Norman E. Doyle : Honorables sénateurs, je voudrais formuler quelques observations au sujet du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. D’abord, je tiens à dire que je m’oppose au projet de loi, qui n’est pas dans l’intérêt public, selon moi.

Une grande partie des points que je soulèverai ont déjà été traités à de nombreuses reprises, que ce soit au comité ou dans le cadre des débats sur les amendements. Cela dit, étant donné que l’enjeu est extrêmement important, le fait de répéter certains arguments ne fait pas de tort.

Les problèmes réels et lourds associés à la consommation du cannabis sont connus par nous tous, particulièrement en ce qui concerne les jeunes. Pourtant, nous sommes en voie de légaliser la consommation de cette substance. De multiples sources nous mettent en garde : au moment où nous dépensons des millions, si ce n’est pas des milliards de dollars pour décourager le tabagisme, nous faisons fi de la sécurité publique en légalisant une drogue qui est, évidemment, beaucoup plus dangereuse.

Beaucoup de gens se demandent s’il ne serait pas plus logique d’investir notre argent dans les programmes qui ciblent les causes sous-jacentes de la toxicomanie, dont la pauvreté, l’éclatement de la famille, la violence et la maladie mentale. Les gens se tournent vers les drogues psychotropes pour une myriade de raisons. Je doute fort qu’une grande partie des problèmes associés à la consommation de drogues soient résolus par la légalisation de ces substances.

J’ai d’autres sujets d’inquiétude. Entre autres, le projet de loi C-45 facilite la vente et la distribution légales d’une autre substance intoxicante auprès du grand public. Comme toutes les personnes qui écoutent les bulletins de nouvelles le savent, des troubles incessants assaillent déjà la société à cause de la consommation abusive de trois autres types de substances intoxicantes légales : le tabac, l’alcool et les médicaments. Nous sommes maintenant sur le point d’ajouter le cannabis à la liste des choses qui entraînent très souvent des problèmes.

N’en déplaise au gouvernement du Canada, je voudrais bien savoir ce qui presse. Les gens ne sont pas en train de manifester dans la rue en très grand nombre, tous les jours, en brandissant des affiches où on peut lire : « Dépêchez-vous avec le cannabis! » Nous sommes pourtant obligés de travailler à la hâte pour respecter la date limite artificielle du 1er juillet qui a été fixée pour l’adoption de ce projet de loi.

Cela dit, je crois que ma principale crainte concernant le projet de loi C-45 porte sur les conséquences qu’il aura sur la jeunesse du Canada. En effet, les médecins, comme on l’a entendu à maintes reprises, ont recommandé que l’âge légal pour consommer du cannabis soit d’au moins 21 ans. Il semble que le cannabis ait un effet néfaste sur le développement cérébral des jeunes.

Autrement dit, pour leur propre bien, les enfants ne devraient pas consommer de cannabis au cours de leurs années formatrices. Le développement cérébral se poursuit jusqu’à l’âge de 25 ans. C’est ce que nous ont dit les médecins que nous avons rencontrés ici, sur la Colline, qui redoutent fortement l’adoption du projet de loi dans sa forme actuelle. Sommes-nous vraiment en train de les écouter? Dans la négative, pourquoi pas? Dans son mémoire, la Société canadienne de pédiatrie somme le gouvernement de prendre en considération les dangers que suppose le fait de fixer une limite d’âge aussi basse pour l’achat de marijuana. Comme toujours, le gouvernement n’arrête pas de dire qu’il veut protéger les enfants, mais il ne tient pas compte des données.

Le projet de loi C-45 passe à côté de renseignements déterminants, selon l’ancien ministre de la Justice, Rob Nicholson, qui se demande pourquoi le gouvernement actuel fait fit des données scientifiques cruciales relativement aux conséquences directes sur la santé et les intérêts des Canadiens.

Dans un discours à la Chambre, il a dit : « […] [le gouvernement aurait] eu tout le temps voulu pour s’informer de l’incidence qu’a eue la légalisation de la marijuana dans plusieurs États américains […] », mais il semble en avoir fait fi. C’est vraiment très dommage.

L’ancien ministre a ajouté ceci :

Nos voisins américains ont constaté que, dans certains des endroits ayant légalisé la marijuana, les cas de conduite avec facultés affaiblies ont augmenté. En fait, selon le département de la Justice des États-Unis, le nombre de décès sur les routes du Colorado qui sont liés à la consommation de marijuana a augmenté de 32 p. 100 dans l’année qui a suivi l’entrée en vigueur de la loi. C’est tout simplement inacceptable.

Pourquoi semble-t-on faire abstraction de ces données?

Selon l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues, près d’un élève du secondaire sur cinq au Canada a déjà été passager d’une voiture conduite par une personne qui venait de fumer de la marijuana. Les Canadiens de tous âges peinent à s’y retrouver, étant donné tous les mythes qui entourent la consommation de cannabis et la conduite automobile. Par exemple, un sondage de 2014 révélait que 32 p. 100 des adolescents au Canada croient que conduire gelé est moins dangereux que conduire sous l’effet de l’alcool.

Si les gens croient ce genre de choses, les conséquences seront graves. Un rapport du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances indique que les Canadiens âgés de 16 à 19 ans risquent davantage de conduire dans les deux heures suivant la consommation de marijuana que dans les deux heures suivant la consommation d’alcool. Il faut absolument un programme de sensibilisation axé sur ces questions.

Je poursuis ma citation de l’ancien ministre de la Justice :

Au Colorado, les études à ce sujet ont eu des conséquences concrètes et de vaste portée. Selon un rapport récent du ministère de la Santé du Colorado, le nombre d’hospitalisations de patients exposés à la marijuana [est passé] d’environ 803 par 100 000 habitants entre 2001 et 2009 à 2 413 par 100 000 habitants après la légalisation de la marijuana. Au chapitre des conséquences pour les enfants d’un accès facile et de l’exposition au cannabis, voilà qui devrait servir d’avertissement.

Même si le projet de loi concerne principalement la légalisation de la production, de la vente et de la consommation des produits du cannabis à usage récréatif pour les adultes, il ne faut pas oublier que les adultes font généralement partie de familles qui comptent, dans bien des cas, des enfants. Ce qui est étrange au sujet du projet de loi C-45, et ce qui est aussi malheureux, c’est qu’on croit que la révolution en matière de cannabis s’effectuera, en partie du moins, dans les domiciles.

Dans bien des foyers, les enfants voient déjà des adultes prendre de l’alcool ou fumer du tabac. À présent, ils vont voir des adultes fumer du cannabis. Auparavant, comme l’usage du cannabis à des fins récréatives était illégal, il y avait au moins quelque chose pour inciter les fumeurs à être un peu discrets, surtout en présence d’enfants. Cette discrétion va-t-elle s’envoler en fumée une fois que la consommation du cannabis à des fins récréatives sera légale? Les gens ont des préoccupations valables et ils s’attendent à ce que nous y portions attention.

Un autre problème soulevé par le milieu médical à la réunion est le risque que les enfants mettent la main sur des produits du cannabis comestibles qui ne sont pas rangés hors de leur portée à la maison. Certains de ces produits ressemblent beaucoup à des biscuits ou à des bonbons. Or, nous savons tous que les bambins mettent tout ce qu’ils trouvent dans leur bouche. Qu’il s’agisse d’une capsule de détergent ou de jujubes injectés de cannabis, le résultat est habituellement le même : une visite à l’urgence. Comme je l’ai déjà dit, le milieu médical est sûr que cette crainte est justifiée.

(1840)

En somme, on pourra non seulement acheter du cannabis chez le marchand d’alcool du coin, mais aussi en faire pousser chez soi et en faire des pâtisseries ou des joints. Est-ce la société que nous voulons offrir à nos enfants à l’aube du XXIe siècle? Peut-on imaginer que nos enfants innocents naissent dans une société qui se soucie aussi peu de leur bien-être?

L’un des principaux arguments que nous sert le gouvernement pour nous vendre le projet de loi C-45, c’est que l’instauration d’un système de réglementation par l’État permettra de chasser le crime organisé de l’industrie du cannabis et d’empêcher les enfants d’avoir accès à cette substance. Je viens de voir, il y a quelques semaines — et je suis sûr que vous l’avez vu aussi — un documentaire sur ce qui se passe au Colorado : le crime organisé s’en tire très bien. Les producteurs autorisés vendent leur produit 10 $ le gramme et le crime organisé le vend 6 $ le gramme. Je ne suis pas convaincu que le projet de loi permettra d’empêcher les enfants d’y avoir accès. Quoi qu’il en soit, nous aurions mieux fait d’utiliser les centaines de millions de dollars que coûte la légalisation de cette drogue pour lutter contre le crime organisé par des mesures répressives bien coordonnées.

Selon moi, la seule conséquence positive du projet de loi est qu’il suscite de nombreux commentaires qui portent à réfléchir. Il y a quelques jours, j’ai vu en ligne le commentaire suivant qu’une femme avait laissé :

De nos jours, nous acceptons beaucoup de lois désastreuses parce que les cris proférés dans le monde nous empêchent d’entendre la voix intérieure de la vraie conscience que Dieu a conférée à chacun d’entre nous.

J’ai trouvé qu’il s’agissait d’une excellente citation.

L’honorable Elizabeth Marshall : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-45, Loi sur le cannabis. Rien de ce que je vais dire ne sera nouveau à vos oreilles, mais j’ai pensé qu’il était important de vous faire part de mes principales inquiétudes au sujet de ce projet de loi.

Le projet de loi vise à légaliser la production, la possession, la consommation et la distribution de marijuana au Canada. Il est censé avoir pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, mais ses dispositions semblent aller à l’encontre de l’objectif, surtout en ce qui concerne les jeunes Canadiens.

Malgré les inquiétudes liées aux nombreux risques pour la santé associés à la consommation de marijuana, le gouvernement fédéral entend remplir sa promesse électorale de légaliser l’usage du cannabis à des fins récréatives au Canada d’ici le mois de juillet prochain.

D’entrée de jeu, je tiens à dire que la consommation de cannabis à des fins récréatives n’est pas la même chose que son usage à des fins médicales. Par conséquent, l’accès à cette substance devrait être régi par deux cadres différents.

L’usage du cannabis à des fins médicales a été autorisé au Canada pour la première fois en 1999. À la suite de plusieurs modifications, le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales a été adopté dans sa forme actuelle.

Des patients ont le droit d’avoir accès au cannabis à des fins médicales s’ils ont l’appui d’un praticien de la santé.

Dans son rapport intitulé Un cadre pour la légalisation et la réglementation du cannabis au Canada, le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a souligné que le maintien d’un volet distinct pour l’usage du cannabis à des fins médicales est la meilleure façon d’améliorer la sécurité des patients et d’assurer un traitement efficace des maladies.

Ce cadre distinct permettrait d’appuyer les patients et les fournisseurs de soins de santé en aidant à réduire les préjugés, de mettre en place des systèmes uniformes de suivi des patients, de faciliter l’éducation continue des fournisseurs de soins de santé, d’adopter des mesures incitatives visant à renforcer la recherche sur l’efficacité et la sécurité de la consommation, ainsi que de mettre au point de nouveaux produits thérapeutiques à base de cannabinoïdes.

Honorables sénateurs, la marijuana a des conséquences graves sur la santé des jeunes. L’Association médicale canadienne a déjà prévenu le gouvernement que la consommation de cannabis a des effets psychologiques importants liés au développement du cerveau jusqu’à l’âge de 25 ans. Selon elle, il n’est pas acceptable de légaliser l’achat ou la consommation de cannabis à un âge inférieur à 21 ans.

L’Association des psychiatres du Canada a aussi recommandé un âge minimal de 21 ans pour l’usage récréatif du cannabis. Pourtant, le gouvernement fédéral a décidé de fixer l’âge légal à 18 ans.

En outre, la Société canadienne de pédiatrie exhorte le gouvernement, elle aussi, à considérer les dangers de permettre l’achat et la consommation de marijuana à un aussi jeune âge, car une telle consommation est fortement associée, et je cite :

[...] à la dépendance au cannabis et à d’autres troubles de l’usage d’une substance, à l’adoption et au maintien du tabagisme, à l’augmentation des troubles de santé mentale, y compris la dépression, l’anxiété et la psychose, à une perturbation du développement neurologique et à un déclin cognitif ainsi qu’à une diminution de la performance scolaire et des réalisations au cours de la vie.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale et la Société canadienne de pédiatrie ont déclaré publiquement que la marijuana n’était pas inoffensive et qu’elle pouvait avoir des effets néfastes sur le cerveau, en particulier lorsque la personne est jeune. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale affirme clairement que « le cannabis n’est pas une substance bénigne et que ses préjudices pour la santé augmentent parallèlement à l’intensité de la consommation ».

Bien que les adultes puissent, eux aussi, subir les effets néfastes du cannabis, un cerveau qui n’a pas fini de se développer y est particulièrement sensible.

Un groupe d’experts formé par l’Association canadienne des centres de santé pédiatriques et les Directeurs de pédiatrie du Canada est d’avis que, selon les données disponibles, il y a un lien direct entre les problèmes majeurs de santé mentale parmi les jeunes et la consommation régulière de cannabis, qui crée une dépendance et peut causer des psychoses et des dépressions.

Sur la scène internationale, l’Organisation mondiale de la Santé associe la consommation de cannabis à des problèmes de santé tantôt aigus, tantôt chroniques. Les effets aigus comprennent une diminution du développement cognitif, une réduction de la performance psychomotrice dans une variété de tâches, comme la coordination motrice, la dissociation d’attention et les tâches opératoires de divers types, ainsi qu’une baisse de la capacité à utiliser des appareils complexes pendant des périodes pouvant atteindre 24 heures après avoir fumé aussi peu que 20 milligrammes de THC.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, parmi les effets chroniques du cannabis, on observe :

[…] altération des fonctions cognitives, notamment l’organisation et l’intégration des informations complexes impliquant divers mécanismes d’attention et processus de rétention;

[…] détérioration des facultés qui pourrait ne pas guérir avec la cessation de la consommation, et qui pourrait avoir une incidence sur le fonctionnement de tous les jours;

apparition d’un syndrome de dépendance au cannabis caractérisé par une perte de contrôle sur la consommation du cannabis […]

L’Organisation mondiale de la Santé a aussi fait valoir que la consommation de cannabis peut empirer la schizophrénie chez les personnes qui en souffrent, en plus d’aggraver les inflammations pulmonaires et les blessures à la trachée et aux bronches souches causées par l’inhalation à long terme de la fumée du cannabis. Le cannabis peut aussi nuire au développement du fœtus, occasionnant une réduction du poids à la naissance et un risque postnatal accru de certains cancers rares si la mère en a consommé pendant la grossesse.

Le ministère de la Santé, sur le site web du gouvernement, fait état des effets du cannabis sur la santé mentale. J’en cite une partie parce que c’est absolument étonnant. Cela vient du site web du gouvernement, et nous discutons sérieusement de légaliser le cannabis. On dit ceci :

Chez certaines personnes, la consommation de cannabis augmente le risque de développer des maladies mentales, notamment la psychose ou la schizophrénie, plus particulièrement chez ceux qui :

commencent à consommer du cannabis à un jeune âge

consomment du cannabis fréquemment […]

ont des antécédents personnels ou familiaux de psychose et/ou de schizophrénie.

La consommation fréquente de cannabis est également associée à un risque accru de :

suicide

dépression

troubles anxieux.

Des données probantes indiquent que combiner le tabac et le cannabis peut augmenter :

la puissance de certains effets psychoactifs

le risque d’effets nocifs sur la santé mentale, notamment : la dépendance

Les renseignements suivants viennent aussi du site web de Santé Canada :

Les recherches montrent que le cerveau n’est pas entièrement développé avant l’âge de 25 ans environ. Par conséquent, les jeunes sont particulièrement vulnérables aux effets du cannabis sur le développement et le fonctionnement du cerveau. Le THC présent dans le cannabis agit sur le même système biologique du cerveau responsable du développement du cerveau.

La consommation de cannabis a été liée à un risque accru de nocivité lorsqu’elle :

est fréquente

se prolonge dans le temps

commence tôt à l’adolescence

Certains des effets nocifs peuvent ne pas être entièrement réversibles.

On trouve beaucoup plus d’information encore à propos des effets du cannabis sur la santé mentale sur le site web du gouvernement, mais cela vous donne une idée de certains des renseignements qu’on y donne.

Malgré ces données probantes, le gouvernement est déterminé à légaliser le cannabis cet été. Il ne tient donc aucun compte des mises en garde sur les effets que peut avoir le cannabis sur la santé des Canadiens, plus particulièrement la santé mentale des jeunes.

La mesure législative entraînera en outre un risque pour les enfants en facilitant l’accès à la marijuana. À mon avis, cet élément interpelle les parents de jeunes enfants et d’adolescents.

Selon le projet de loi, l’âge minimal recommandé pour consommer du cannabis est de 18 ans, alors que les experts pensent qu’il devrait être de 21 ans.

(1850)

La marijuana légale envoie aux jeunes Canadiens le message que la consommation de drogue à des fins récréatives est permise, sans danger et acceptable. Imaginons seulement un jeune de 12 ans qui peut consommer et distribuer du cannabis à ses pairs à un terrain de jeu.

Le gouvernement dit aux Canadiens que jusqu’à cinq grammes de cannabis est acceptable et, de ce fait, il normalise la consommation de marijuana chez les enfants et les jeunes. La légalisation de la consommation de cannabis peut donc être interprétée comme la normalisation de la consommation, ce qui peut entraîner une hausse de la consommation et, ultimement, de la dépendance. Bien que le gouvernement ait déclaré que l’un des objectifs de la mesure législative est d’empêcher les jeunes d’accéder au cannabis, en réalité, celle-ci a un effet totalement contraire.

Le projet de loi C-45 permet aux gens de posséder au moins quatre plants de marijuana à la maison. C’est assez inquiétant, étant donné que les enfants peuvent potentiellement accéder à de la marijuana de cette façon. Par exemple, si les parents cultivent de la marijuana dans la cuisine, il n’y a rien de plus facile pour les enfants ou les jeunes que d’accéder à du cannabis dans la maison. Les jeunes commenceront à consommer de la marijuana lorsqu’ils sont mineurs. Avec cet âge minimum et cette accessibilité sans précédents, on ne peut pas dire que le gouvernement protège les enfants et les jeunes.

Les produits comestibles ou les aliments et les boissons contenant du cannabis sont un autre enjeu qui m’inquiète, de même que le manque de réglementation. En octobre 2017, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a voté en faveur de deux amendements proposés concernant le projet de loi C-45 touchant les produits comestibles, et ils ont été adoptés. Le premier amendement ajoutait les produits comestibles qui contiennent du cannabis et le cannabis sous forme d’un concentré aux types de cannabis qu’une personne autorisée peut vendre. Le deuxième amendement exigeait que l’ajout de produits comestibles se fasse dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la loi. Par conséquent, si le projet de loi est adopté, la vente de produits comestibles par une personne autorisée devrait être légale au Canada d’ici juillet 2019.

Le gouvernement devra élaborer et instaurer, dans un délai d’un an, des règlements sur la production et la vente de produits comestibles. Ce sera une responsabilité de taille puisque les produits comestibles constituent un élément controversé et complexe de la réglementation du cannabis. Il convient de souligner que le rapport du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis conclut que les produits comestibles devraient être légaux au Canada et formule des recommandations pour leur production et leur vente en dépit des risques et des craintes.

Les produits comestibles sont risqués pour la santé parce qu’ils prennent plus de temps à faire effet, ce qui peut mener à une surconsommation involontaire. Certains pourraient donc avoir de graves accès d’anxiété et des symptômes s’apparentant à une psychose. Les produits comestibles peuvent être tentants pour les enfants et les jeunes, surtout ceux sous forme de bonbons ou de pâtisseries. Il pourrait être impossible de les distinguer des sucreries ou des gâteaux et biscuits qu’on trouve souvent dans les cuisines familiales. À ce moment-ci, l’information sera essentielle pour empêcher une mauvaise utilisation.

Selon les professionnels de la santé, la consommation de plusieurs portions de produits comestibles dans n’importe quel groupe d’âges pourrait entraîner des effets psychologiques différents, outre la possibilité d’un effet sédatif excessif, d’anxiété ou de psychose. Plusieurs portions en une courte période peuvent aussi produire de l’anxiété intense, de la paranoïa, voire une psychose. Ces effets secondaires indésirables sont plus fréquents chez les jeunes et ceux qui en consomment pour la première fois, et ces risques pour la santé ne peuvent être sous-estimés. Le groupe d’experts, dans lequel étaient représentés l’Association canadienne des centres de santé pédiatriques et les Directeurs de pédiatrie du Canada, a signalé que le gouvernement devrait prioriser la formation des professionnels de la santé pour qu’ils puissent diagnostiquer et traiter l’ingestion accidentelle afin de réduire au minimum les torts puisqu’on s’attend à une augmentation des visites aux urgences par des enfants qui avaleront accidentellement des produits comestibles contenant du cannabis.

Le même groupe d’experts a indiqué que le gouvernement fédéral devrait déterminer les risques associés à la consommation et à la dépendance en raison de la concentration accrue de THC dans les produits comestibles et les concentrés.

Honorables sénateurs, j’aimerais terminer par une observation personnelle, ou plutôt un commentaire. Terre-Neuve-et-Labrador est une province peu peuplée, et tout le monde se connaît. Quand on ne connaît pas une personne, en effet, on en connait au moins une autre qui la connaît. Nous sommes tissés serré, comme on dit. Or, depuis quelques années, de nombreux jeunes ont perdu la vie à cause de la drogue. On ne parle pas d’un cas isolé, mais de plusieurs jeunes dans la vingtaine ou la trentaine. Je connais aussi des parents dont les enfants sont toxicomanes. C’est possible de s’en sortir, mais il s’agit d’un processus long et difficile, y compris pour la famille, et il n’est pas rare que les toxicomanes rechutent et doivent tout recommencer depuis le début.

Bref, pour certaines familles, la drogue est un véritable calvaire. Si ce projet de loi est adopté — ce qui risque fort de se produire à entendre mes collègues —, j’espère que le gouvernement financera adéquatement les programmes de désintoxication, les campagnes de sensibilisation et les soins de santé mentale, car c’est là que se feront sentir les dommages collatéraux de la légalisation du cannabis.

Le Comité des finances — j’ai seulement assisté à quelques rencontres du Comité des affaires sociales et du Comité des affaires juridiques portant sur l’un ou l’autre des deux projets de loi sur le cannabis — a entendu le témoignage d’un député, Bill Blair. Je lui ai demandé combien d’argent avait été consacré à la sensibilisation jusqu’ici, parce que je me serais attendue que, à quelques mois de la légalisation de la marijuana, nous ayons accès à toutes sortes de documents d’information et de publicités préventives. Il n’avait pas l’information en main à ce moment-là. Il m’a donné un aperçu, mais je lui ai signifié que je voulais avoir les vrais chiffres. Je les ai obtenus, l’autre jour. Environ 9 millions de dollars ont été dépensés jusqu’ici. Je n’en reviens pas à quel point c’est peu. À environ 100 millions de dollars, le budget semble énorme, mais le montant dépensé jusqu’ici est très peu élevé.

Si le projet de loi est adopté, j’espère qu’une partie des importantes recettes qu’on s’attend à voir remplir les coffres de l’État à la suite de la légalisation de la marijuana ira aux programmes que cette légalisation rendra nécessaires.

[Français]

L’honorable Ghislain Maltais : Le projet de loi C-45 est sans doute l’une des lois les plus importantes sur laquelle la majorité d’entre nous aura à voter. C’est une loi fondamentale qui transformera notre pays. Est-ce pour le mieux ou pour le pire? L’avenir le dira.

Tout le monde s’est intéressé à la santé, aux profits et à plusieurs autres aspects du projet de loi. Curieux, je me suis intéressé à l’agriculture. Comme je suis membre du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts depuis six ans et demi, j’ai regardé ce que cela pouvait apporter dans le domaine de l’agriculture.

Tout d’abord, en janvier, j’ai rencontré des maires et des échevins municipaux. Ce sont eux qui m’ont éclairé. Leur inquiétude avait trait à ce que deviendront les résidus du cannabis. Quelqu’un s’est-il posé la question dans cette salle? Je leur ai dit que je ferais des recherches, que je regarderais, que je questionnerais.

Bien sûr, au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, qui est présidé par notre collègue, la sénatrice Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons entendu toutes sortes de témoins, des comiques comme des sérieux. Je les qualifie de comiques, parce qu’ils venaient vanter leurs produits. Je leur ai demandé tout bonnement ce qu’ils faisaient auparavant. L’un d’eux m’a répondu qu’il travaillait dans la technologie; un autre avait travaillé dans le domaine des pièces d’auto. Je les ai félicités de vouloir devenir agriculteurs.

Depuis la Confédération, il n’y a jamais eu autant d’argent investi dans l’agriculture au Canada; des dizaines, des centaines, voire des milliards de dollars sont investis soudainement. Je ne crois pas que, même pendant la période la plus difficile au Canada, il y ait eu autant de personnes, étrangers ou locaux, qui se soient intéressées à l’agriculture canadienne. Je me suis dit tout bonnement que si l’on investissait cet argent — dont nous ne connaissons pas toujours la provenance — dans la culture des carottes, des navets et des salades, on pourrait nourrir la moitié de la population mondiale.

(1900)

Or, la salade, les carottes et les navets, ce n’est pas payant. J’en conclus donc que derrière la culture du cannabis se cache l’appât du gain. Ces gens n’investissent pas simplement pour le plaisir, ils investissent pour accaparer un marché et le garder pendant longtemps. C’est leur droit, car nous sommes dans un pays libre.

Je reviens aux résidus du cannabis. Avec la légalisation, nous allons nous retrouver avec une quantité énorme de résidus. La majorité des spécialistes que nous avons accueillis au Comité de l’agriculture nous ont dit que les résidus de cannabis ne faisaient pas un très bon compost.

Par contre, deux d’entre eux croyaient dur comme fer que le cannabis n’avait aucun, mais alors aucun effet néfaste pour le compostage. Je leur ai demandé de faire parvenir une lettre à notre ministre canadien de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire en vue de lui confirmer officiellement que les résidus de cannabis ne comportent aucun danger pour l’agriculture traditionnelle. C’était le 8 février. Nous sommes aujourd’hui le 7 juin, et le ministre n’a toujours pas reçu cette lettre, pas plus que la présidente de notre comité, d’ailleurs. Il ne s’agissait que de fanfreluches.

Le ministre nous a dit en toute franchise — et je l’en félicite —, alors qu’il comparaissait devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, que son ministère n’avait pas commandé d’études scientifiques pour savoir si les résidus de cannabis sont nocifs ou non pour le compostage. Il a ajouté que le ministre de la Santé l’avait peut-être fait, mais il n’en était pas certain. On avait enfin la vérité. Il nous a également raconté que, comme la culture du cannabis augmentera considérablement au cours des prochaines années, les effets possibles sur la qualité des sols méritaient qu’on examine de façon très précise la situation.

Je vous parle du compostage, parce que la population et les municipalités sont inquiètes. Le jardinage en ville est de plus en plus populaire. Presque tous les citoyens entretiennent de petits jardins sur leur balcon ou dans leur cour arrière de nos jours. Ils craignent que les résidus des quatre plantes de cannabis accordées à chaque citoyen fusionnent avec les autres matières compostables. Personne n’a pu nous rassurer à ce sujet. Cette question me taraude, parce que cela pourrait toucher des millions de Canadiens dans les villes comme Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary, Halifax, Vancouver ou St. John’s. Les petits cultivateurs de balcon ont des craintes, alors que les fumeurs de cannabis, de leur côté, croient que cette consommation n’est pas nocive pour la santé. Bien au contraire.

Nous nous sommes posé la question suivante : le cannabis est-il un produit agricole? Les producteurs de cannabis médical disent qu’il s’agit d’un produit médical. Si c’est un produit médical, pourquoi ne le retrouve-t-on pas dans les pharmacies? Si j’ai besoin de Tylenol, je vais m’en procurer à la pharmacie. Si mon médecin me prescrit un antibiotique, je le trouve à la pharmacie. Or, si je veux du cannabis, je dois aller voir le revendeur. S’il s’agit d’un produit médical, il devrait être vendu en pharmacie. Si ce n’est pas le cas, c’est un produit agricole.

C’est exactement ce que les agriculteurs canadiens nous ont dit : le cannabis est un produit agricole. À partir du moment où le cannabis est un produit agricole, il est cultivable sur des terres agricoles, évidemment. Il ne pousse pas sous l’asphalte, à ce que je sache. Puisque c’est un produit agricole, sera-t-il soumis aux mêmes normes environnementales que les autres produits agricoles, qu’il s’agisse d’écoulement dans les fossés ou de pesticides? Sera-t-il soumis aux mêmes lois que n’importe quel autre produit? Sera-t-il couvert par les régies d’assurance agricole en cas de perte de revenus? Une sécheresse ou des pluies abondantes, ce n’est pas impossible. Sera-t-il assuré par le gouvernement fédéral? Les terres agricoles devront-elles être dézonées pour permettre la plantation de cannabis? Nous n’avons reçu aucune réponse à ces questions.

Tout cela pour vous dire que j’ai lu attentivement et à plusieurs reprises le projet de loi no 157 du Québec, qui évoque quatre types d’autorisations pour la culture du cannabis : la culture standard, la microculture, les champs intérieurs et les champs extérieurs. Cette loi provinciale permet donc de certifier qu’il s’agit d’un produit agricole.

Néanmoins, le problème des résidus reste entier. Un expert de l’Université de Guelph, en Ontario, nous a dit que, après l’éclosion de la fleur, il reste 98 p. 100 de toxine dans la plante. Ce n’est pas très bon pour la santé, vous vous en doutez bien.

Dans un autre ordre d’idées, l’autre volet de mon questionnement est venu de l’un de mes petits-fils, tout simplement. Nous étions à la pêche ensemble il y a une quinzaine de jours, et il m’a questionné sur le projet de loi sur le cannabis. Il m’a demandé de lui expliquer pourquoi, alors que depuis sa tendre enfance on le met en garde contre les effets nocifs de la cigarette, une loi est maintenant votée pour légaliser le cannabis. Il se demandait bien ce qu’il devait comprendre dans tout cela. La fumée de cannabis n’est-elle pas aussi nocive que celle de la cigarette? Personne ne nous a donné d’information à ce sujet. Que vais-je dire à mon petit-fils? Je ne suis pas médecin. Il m’a dit : « Toi, tu fumes, grand-papa. » Je lui ai répondu : « Je te rappelle, fiston, qu’il y a plus de vieux fumeurs que de vieux docteurs. » Cela dit, la population canadienne se pose les mêmes questions que mon petit-fils, et nous n’avons pas de réponses à lui fournir.

Malgré tout cela, certains volets de ce projet de loi me satisfont très bien, plus particulièrement la décriminalisation, que j’appuie depuis des lunes, autant dans un autre Parlement que dans celui-ci. Malheureusement, on a ajouté d’autres ingrédients à la recette de ce projet de loi. Au fond, la vraie question que nous devons nous poser est celle-ci : est-il vraiment nécessaire de procéder si rapidement?

Lorsqu’un projet de loi contient 40 amendements, c’est parce que les parlementaires des deux côtés se posent de sérieuses questions. Je crois sincèrement que nous devrions nous partager ces 40 amendements et les étudier attentivement en compagnie de spécialistes qui pourront répondre à chacune de nos questions. Je ne parle pas de spécialistes du dimanche, je pense à de vrais spécialistes. Ainsi, lorsque nous aurons effectué ce travail, nous aurons la certitude d’avoir trouvé les bonnes solutions. À mon avis, ce projet de loi n’est pas urgent. Il n’y a pas incendie en la demeure. Il n’y a pas d’urgence pour adopter ce projet de loi, parce que la population et le gouvernement ne sont pas prêts. Lorsqu’on légifère trop rapidement, il arrive malheureusement que l’on doive revenir en arrière, et lorsque quelque chose est donné à la population, y mettre un frein pour mieux s’adapter devient très difficile.

(1910)

Honorables sénateurs, je souhaite que tous les parlementaires de tous les partis, sans se disputer, prennent le temps de donner des réponses à la population. Je ne suis certainement pas le seul à avoir reçu des centaines de courriels dans lesquels on nous demandait de ralentir la cadence. Parmi les personnes qui m’ont écrit, deux d’entre elles seulement me demandaient d’adopter rapidement le projet de loi. Je ne suis pas statisticien ni bon dans les sondages, mais je sens une inquiétude profonde de la part de la population.

Bien sûr, d’aucuns diront que c’est un engagement électoral. Oui, c’est vrai. Je suis en politique depuis 35 ans et j’en ai fait et j’en ai vu passer des engagements électoraux. Si tous les engagements électoraux avaient été réalisés dans les provinces, nous ne serions pas ici, car il n’y aurait plus de problème. Les engagements électoraux ne sont pas une raison. On ne peut pas faire de comparaisons non plus. J’écoutais le sénateur Eggleton comparer le projet de loi C-45 à la loi sur la prohibition. Ce n’est pas tout à fait la même chose. La prohibition ne s’adressait pas à des enfants âgés de 12, 13, 14 ou 15 ans, mais à des adultes. Je suis père et grand-père à plusieurs reprises, le sénateur Harder l’est aussi. Je ne suis pas sûr que, dans 12 ou 13 ans, il aimerait voir sa petite-fille avec un joint. Il va lui demander où elle l’a pris et qui le lui a donné, et elle lui répondra que c’est « monsieur le gouvernement » qui lui a permis de l’obtenir, que c’est son petit cousin qui l’a pris chez lui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, votre temps de parole est écoulé.

[Traduction]

L’honorable Betty Unger : Honorables sénateurs, j’interviens à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45.

Il y a plus de deux ans, le gouvernement Trudeau annonçait qu’il entreprenait le processus de légalisation de la marijuana consommée à des fins récréatives. Puisque cette initiative faisait partie de leur programme électoral — comme 226 autres promesses, dont notamment l’atteinte de l’équilibre budgétaire d’ici 2019 —, ils ont soutenu qu’il n’était pas nécessaire de consulter les Canadiens afin de confirmer que la légalisation était bel et bien la voie à suivre. Le gouvernement de Justin Trudeau a donc mis sur pied un groupe de travail, qui était composé de personnes susceptibles de tirer profit d’une éventuelle légalisation, pour obtenir des conseils sur la façon de procéder, ce que le groupe de travail a fait très volontiers.

Honorables sénateurs, il est révélateur que le gouvernement Trudeau n’ait, à aucun moment, adopté une approche fondée sur la science pour déterminer si la légalisation est une bonne chose pour les Canadiens. Sa décision semble fondée uniquement sur des considérations tenant de l’idéologie et de l’opportunisme politique, sans égard aux conséquences pour le tissu social de la nation. Beaucoup de gens ont toutefois exprimé leurs préoccupations.

Au cours des deux dernières années, le gouvernement s’est fait tancer à maintes et maintes reprises pour sa façon insouciante et irresponsable d’aborder le dossier de la légalisation de la marijuana. Un concert de voix a mis en garde le gouvernement Trudeau, qui s’est entêté à faire la sourde oreille.

Le temps me manque pour même tenter de résumer toutes les inquiétudes qui ont été soulevées. Les membres de mon caucus se sont opposés avec force à l’approche du gouvernement Trudeau envers la légalisation de la marijuana. Un représentant du Centre de toxicomanie et de santé mentale est allé jusqu’à déclarer que « […] la légalisation sera une expérience sociale majeure et sans précédent en matière de politique de santé. »

Je n’arrive pas à croire que cette Chambre, qui est censée être celle du second examen objectif, choisit d’ignorer les innombrables avertissements concernant les multiples méfaits qui suivront la légalisation. Au contraire, il semble que nous soyons allés de l’avant volontairement, aveuglés par l’opportunisme, sans données scientifiques solides sur lesquelles fonder notre décision.

Les témoins ont répété que nous ne sommes pas prêts. Les services de police de partout au pays ont commencé à nous prévenir, il y a un an, qu’il leur faudrait plus de temps pour se préparer. Des professionnels de la santé ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, dont la Dre Sharon Levy, directrice médicale du programme d’intervention pour adolescents toxicomanes à l’hôpital pour enfants de Boston et professeure agrégée de pédiatrie à l’école de médecine de l’Université Harvard. Elle a prévenu le comité en ces termes :

[…] le système de santé du Canada […] n’est pas adéquatement préparé à offrir un traitement approprié aux adolescents qui développent des troubles liés à la consommation de cannabis. Ce problème deviendra bien pire après que la vente légale de cannabis aura commencé.

Elle a aussi affirmé ceci :

J’ai traité un certain nombre d’adolescents consommateurs de cannabis que j’ai vus de mes propres yeux devenir schizophrènes.

Le Dre Levy a expliqué que, pour consoler ces jeunes, une seule méthode fonctionnait : elle devait les prendre dans ses bras et les serrer aussi fort que possible, jusqu’à ce qu’ils cessent de trembler et commencent à sortir de cette psychose causée par le cannabis.

Elle a également prévenu le comité que le Canada compte un seul médecin spécialiste qui a les mêmes compétences qu’elle. Alors comment, grands dieux, pourra-t-on composer avec le chaos médical qui se produira quand cette drogue dangereuse aura été approuvée et qu’elle fera grimper le nombre de visites à l’urgence?

Pour leur part, les professionnels de la santé mentale signalent que l’âge minimum fixé pour la possession de marijuana n’est pas assez élevé. Certains de mes collègues ont longuement parlé des effets de la marijuana sur le cerveau, et mon discours à l’étape de la deuxième lecture portait sur l’anandamide, une substance normale produite par le cerveau et dont la taille et la forme chimique ressemblent à celles du THC. Ces similarités permettent au THC de berner le cerveau et de se faire passer pour une substance chimique produite naturellement.

La liste est longue. Elle comprend les enfants et les jeunes de moins de 25 ans — dont le cerveau est encore en développement —, les parents et les familles, les groupes sociaux et religieux, les premiers ministres, les maires, les municipalités, les professeurs et les associations de droit, les employeurs, et les organismes qui gèrent des condominiums et des appartements, pour ne nommer que ceux-là.

Je ne comprends vraiment pas comment un gouvernement, quel que soit le pays, puisse adopter un projet de loi ainsi décrié par tous les groupes touchés possibles. Même les groupes autochtones ont dit à répétition qu’ils n’avaient pas été consultés, qu’ils ont besoin de plus de temps et qu’ils ne sont pas prêts.

Je pourrais continuer de répéter le même refrain, « Nous ne sommes pas prêts », mais cela n’en reste pas moins un fait. Que le gouvernement Trudeau choisisse de passer outre les préoccupations de la majorité des Canadiens au lieu de prendre le temps de les étudier dépasse l’entendement. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement est si pressé et pourquoi cette Chambre semble prête à lui accorder sa bénédiction.

(1920)

Malheureusement, le projet de loi à l’étude transformera de façon spectaculaire le tissu de notre pays. Je doute que l’histoire parlera positivement des maîtres politiques et flagorneurs qui auront permis la légalisation de cette drogue dangereuse. Elle condamnera certainement les sénateurs qui auront appuyé le projet de loi, car ils sont mieux avisés que cela. Le coût de ce projet de loi sera assumé de manière disproportionnée par nos précieux jeunes, dont la vie sera brisée, dont les rêves seront anéantis et détruits, et dont la famille vivra avec la perte. Cela n’arrivera pas à tous les jeunes, mais à beaucoup, et même un seul en est déjà un de trop.

Ainsi, aujourd’hui, je n’appuierai pas ce programme du gouvernement Trudeau. Je n’appuierai pas le projet de loi C-45 et je demande à tous les sénateurs d’en face de faire ce qui s’impose et de simplement dire non à la légalisation de cette drogue dangereuse. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous poursuivons le débat. Sénateur Mockler, vous avez la parole.

L’honorable Percy Mockler : J’aimerais citer la sénatrice Lankin. Je l’ai entendue tout à l’heure. Je suis d’accord avec elle sur certains points. Je la cite : « Je crois qu’un changement sociétal de cette ampleur ne se fera jamais sans heurts, et que, comme il nous reste tant à apprendre, un changement sociétal aussi complexe que le projet de loi C-45 entraînera certainement des problèmes. Nous devons nous préparer et accepter que la route sera cahoteuse et que les difficultés que nous rencontrerons seront des occasions d’apprentissage. »

[Français]

Honorables sénateurs, je dois vous faire savoir que je suis toujours sensible, pour ne pas dire ému, lorsque je prends la parole dans un débat qui influencera l’avenir de nos enfants et qui changera une politique publique qui aura un impact dramatique sur la qualité de vie de l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes.

[Traduction]

Je vais maintenant vous parler d’un point de vue personnel. Oui, c’est ce que je ferai. Comme j’ai été élevé par une mère seule, dans la pauvreté, j’ai vu les effets et les conséquences de la toxicomanie. Il ne fait aucun doute que d’autres ont vécu des expériences semblables.

Par ailleurs, en me fondant sur mes 34 années de travail parlementaire, passant de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick au Sénat du Canada, je peux dire que le projet de loi C-45 changera la qualité de vie de tous les Canadiens. Nous ne pouvons pas justifier l’adoption d’un tel projet de loi parce que, comme certains le disent, il créera des emplois et il générera plus de recettes fiscales. Le gouvernement ne peut pas non plus se servir de sa majorité, de son mandat, pour l’adopter, sous le prétexte qu’il avait promis de le faire.

Honorables sénateurs, on dit que seuls les imbéciles ne changent jamais d’idée.

Une autre justification donnée par le gouvernement est qu’il faut retirer le cannabis des mains des criminels.

Honorables sénateurs, j’ai organisé beaucoup de tables rondes et j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux Néo-Brunswickois au cours des six derniers mois. Ils réclament plus d’information. Ils me demandent pourquoi le gouvernement accélère la prise d’une décision politique qui les touchera.

Toutefois, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les membres de cette Chambre de second examen objectif ont fait preuve de diligence raisonnable et que nous avons donné le meilleur de nous-mêmes dans ce débat. Aurons-nous un bras de fer avec les ministériels de l’autre endroit s’ils font fi de nos amendements? Si c’est le cas, je ne crois pas que les Canadiens l’accepteront.

Néanmoins, ce sont les Canadiens qui trancheront un jour cette question et — puisque, Dieu merci, nous vivons dans une démocratie — qui décideront du sort du gouvernement lors des prochaines élections.

Honorables sénateurs, je partage l’avis de ma collègue, la sénatrice Lovelace Nicholas, elle aussi originaire du Nouveau-Brunswick, qui vient de dire qu’elle s’inquiète de la lettre que les Premières Nations ont reçue hier et qu’elle a des doutes à son égard.

Honorables sénateurs, Winston Churchill a déjà dit : « Il est évidemment préférable d’avoir raison tout en étant conséquent, mais à choisir, il vaut mieux avoir raison. »

[Français]

Honorables sénateurs, j’estime, avant de voter sur cet important projet de loi, qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité, comme Chambre de second regard, de tenter de déterminer si cette loi a sa propre raison d’être, si les objectifs sont raisonnables et réalisables, et si, le cas échéant, elle aura un effet bénéfique sur la santé et la qualité de vie des Canadiens et des Canadiennes.

Comme l’ont fait remarquer plusieurs honorables collègues avant moi, il était primordial que nous prenions le temps nécessaire pour réfléchir sur sa portée, pour déterminer l’impact que la nouvelle loi aura sur la société canadienne, peu importe où l’on vit au Canada, et pour bien informer les citoyens canadiens de l’impact du cannabis sur leur santé, tout particulièrement sur celle de leurs jeunes et de leurs petits-enfants.

[Traduction]

Comme chez bon nombre de sénateurs, le projet de loi suscite chez moi de vives inquiétudes. Premièrement, je tiens à dire que j’éprouve les mêmes réserves que celles qu’ont exprimées les sénateurs McIntyre, Poirier et Stewart Olsen, qui représentent la même province que moi.

[Français]

Honorables sénateurs, le sénateur McIntyre a certainement vu de très près, comme juriste et grand juriste du Canada, les effets que peut avoir la consommation de cannabis sur nos jeunes.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen redoute les conséquences du projet de loi sur la santé des gens. Elle craint aussi que les gouvernements provinciaux et les services policiers ne soient pas encore prêts à mettre en œuvre une telle mesure législative.

[Français]

Honorables sénateurs, je partage aussi les inquiétudes de nombreux collègues et j’appuie les propositions visant à améliorer ce projet de loi qui ont été présentées par les sénateurs Smith, Galvez, Boisvenu, Dagenais et Carignan.

[Traduction]

Je suis aussi d’accord avec ce qu’ont dit les sénateurs Oh et White. Il faut nous en souvenir et y réfléchir.

[Français]

Je pense à une étude comme celle du groupe Smart Approaches to Marijuana (SAM), aux États-Unis, intitulé :

[Traduction]

Lessons Learned from Marijuana Legislations in Four U.S. States and D.C. Le groupe de recherche SAM, qui est bien connu dans le monde, est formé d’éminents spécialistes provenant du milieu médical et d’universités réputées, comme la faculté de médecine de l’Université Harvard et l’hôpital pour enfants de Boston. Il a étudié l’incidence de la consommation de marijuana sur la santé, la sécurité, la criminalité et le monde du travail dans quatre États qui, depuis 2012, ont légalisé la consommation de marijuana à des fins récréatives — le Colorado, Washington, l’Alaska et l’Oregon — ainsi que dans le district de Columbia.

Les conclusions de ce groupe, honorables sénateurs, ont été examinées par des scientifiques et chercheurs éminents, qui ont conclu que l’étude « […] constitue un guide fondé sur des données probantes relativement à ce que l’on observe à l’heure actuelle dans divers États ».

Honorables sénateurs, permettez-moi de résumer les conclusions de ce groupe en citant un passage de son rapport :

La marijuana qu’on trouve sur le marché de nos jours est une substance très puissante qui représente une menace grandissante et considérable pour la santé et la sécurité publiques, une menace amplifiée par l’existence d’une nouvelle industrie de la marijuana résolue à s’enrichir en misant sur une forte consommation.

Allant directement dans le sens contraire des lois fédérales, les lois des États qui permettent la marijuana ont donné à cette industrie la possibilité de prospérer et ainsi d’influer sur les politiques et les décideurs. On ne connaîtra pas les conséquences de ces politiques avant des décennies, mais les premiers indicateurs sont inquiétants.

Il n’y a aucun doute dans mon esprit que le gouvernement ne s’est pas attardé à l’opinion de ces scientifiques, pas plus qu’à celle de nombreuses autres personnes, et ce, même s’il avait promis, pendant la campagne électorale, d’écouter les scientifiques et d’agir en conséquence.

[Français]

(1930)

Honorables sénateurs, mes propres inquiétudes s’ajoutent à celles de mes collègues, des nombreux experts de la santé, du monde de l’éducation, des municipalités et des corps policiers qui seront touchés de près par la mise en oeuvre de cette nouvelle législation.

Honorables sénateurs et sénatrices, la consommation de cannabis à des fins récréatives et son impact sur la santé mentale de nos adolescents nous préoccupent aujourd’hui et pour les années à venir. Selon le psychiatre Didier Jutras-Aswad, de l’Université de Montréal, qui a revu 120 études scientifiques à ce sujet, le risque de développer une psychose ou de souffrir de schizophrénie est multiplié par quatre ou cinq pour un adolescent qui consomme du cannabis régulièrement.

Étant donné qu’il est prouvé que le cerveau humain continue de se développer jusqu’à l’âge de 25 ans, plusieurs organisations de la santé au pays, comme la Société canadienne de pédiatrie, l’Association médicale canadienne et la Société médicale du Nouveau-Brunswick, auraient souhaité que la loi interdise la consommation de cannabis à des fins récréatives avant l’âge de 25 ans. Toutefois, on a vu ce que contenaient les derniers amendements.

[Traduction]

Honorables sénateurs, les commentaires des différents services de police, notamment ceux du Service de police de Fredericton et de la Police provinciale de l’Ontario, quant au fait que les policiers n’auront pas les outils requis et qu’ils n’auront pas suivi la formation nécessaire pour assurer la sécurité publique dans les villes et sur les routes si le projet de loi sur le cannabis entre en vigueur cet été sont très troublants.

La légalisation de la marijuana amènera de nouveaux problèmes pour les employeurs, comme le risque de blessures causées par des personnes qui ont consommé de la drogue.

Les gouvernements fédéral et provinciaux n’investissent pas beaucoup dans la prévention et la sensibilisation. Nous ne fournirons pas aux jeunes Canadiens les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions aussi importantes concernant leur santé physique et mentale.

[Français]

Honorables sénateurs, comme l’ont mentionné l’Association canadienne des chefs de police et des organisations représentant les municipalités comme l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick et l’Union des municipalités du Québec, ce sont les gouvernements locaux qui devront assurer le respect de la nouvelle loi sur le terrain et la protection de nos citoyens contre le crime organisé. Ils ont besoin de l’aide et de l’appui du gouvernement fédéral. C’est plus qu’un besoin, c’est une nécessité.

[Traduction]

Ma dernière préoccupation en tant que parlementaire au sujet du projet de loi C-45, c’est qu’il fera en sorte qu’il sera permis de vendre du cannabis dans les communautés des Premières Nations, alors que l’abus de drogue est déjà dans ces communautés un problème grave qui mène au décès prématuré de jeunes Canadiens.

Il est évident que la vente et la distribution de cannabis ne devraient pas être permises dans les communautés des Premières Nations jusqu’à ce que leurs chefs aient réussi à endiguer le problème de l’abus de drogue. Il ne faut pas se laisser endormir par de belles promesses.

Je suis très inquiet du fait que les Premières Nations n’aient pas été consultées. Une partie du projet de loi va même à l’encontre de leur droit à l’autodétermination.

N’oublions pas ce qu’il est advenu des promesses faites aux Premières Nations par le passé. Pensons à toutes les questions que ces communautés doivent régler : la santé mentale, les services de désintoxication, l’eau potable et le logement. Je suis ici depuis 10 ans et toutes ces questions sont encore d’actualité.

Honorables sénateurs, il est de plus en plus évident que le gouvernement s’empresse de faire adopter ce projet de loi et qu’il n’a pas fait ses devoirs. Il a tort sur cette question cette fois. Nous avons besoin de temps. Le gouvernement n’a certainement pas pris en considération les nombreuses inquiétudes des quelque 150 experts canadiens qui ont comparu et témoigné devant les cinq comités sénatoriaux.

Il est également évident que, si ce projet de loi est adopté cette session, le gouvernement n’aura pas le temps de mettre en place les règlements nécessaires d’ici cet été. Ainsi, les Canadiens pourront commencer à faire pousser leurs propres plants de cannabis sans que les règlements qui s’imposent ne soient en place.

Pourquoi ne pas prendre le temps de mieux informer les Canadiens des conséquences réelles du cannabis sur la santé?

Je crois que, en précipitant l’adoption de ce projet de loi, le gouvernement manque une bonne occasion, comme l’a dit Winston Churchill, de bien faire les choses.

Pourquoi ne pas mettre le projet de loi en veilleuse jusqu’au 1er janvier 2019 et lancer immédiatement une campagne nationale d’information sur les dangers du cannabis sur la santé et la sécurité publique?

Comme le disait Winston Churchill :

[…] il vaut mieux être à la fois juste et cohérent, mais s’il faut absolument choisir entre les deux, vous devez choisir d’être juste.

Au gouvernement du Canada, je dis ceci : prenons le temps de faire ce qui est juste avec le projet de loi.

Merci beaucoup.

L’honorable Yuen Pau Woo : Chers collègues, malgré l’heure tardive à laquelle nous sommes censés nous prononcer par vote sur le projet de loi C-45, je crois savoir qu’il y aura un groupe de journalistes dans le foyer qui voudra obtenir des commentaires sur ce que nous avons fait et la décision que nous avons prise.

En pensant à ce que j’allais dire aux médias, j’ai décidé de préparer un court discours contenant mes réflexions, en partie parce que je vais leur dire la même chose que ce que je dirai à ma famille, à mes amis et aux habitants de ma région quand je retournerai en Colombie-Britannique.

Plusieurs d’entre vous retourneront dans leur coin de pays la fin de semaine prochaine. J’imagine que les discussions dans les salles à manger et les salles paroissiales, ou peu importe où vous vous trouverez, tourneront autour de ce qui s’est passé au Sénat ce fameux jeudi où nous devions voter sur ce projet de loi aux lourdes conséquences.

Honorables collègues, voici ce que je dirai :avant tout, j’espère que le projet de loi sera adopté. Après avoir annoncé mes couleurs, j’ai quelques observations à présenter.

D’abord, le Sénat a fait son travail. Nous avons déjà parlé de l’examen approfondi qui a été mené dans le cadre habituel du Sénat, en plus du processus spécial où cinq comités ont consacré plus de 215 heures à étudier les différents aspects du projet de loi.

De plus, d’innombrables rencontres ont eu lieu à l’extérieur du cadre officiel, comme des réunions organisées par le parrain et les sénateurs intéressés. Je me souviens que le sénateur Oh a organisé une rencontre avec l’Association canadienne des centres de santé pédiatriques et que d’autres ont tenu des réunions avec des dirigeants communautaires, des chercheurs universitaires, des médecins spécialistes, des policiers et d’autres intervenants.

Nos quelque 50 amendements témoignent de tous les efforts consacrés à l’examen du projet de loi pendant plus de huit mois.

Certains d’entre vous ont interprété le fait qu’il y ait de nombreux amendements comme un constat d’échec, comme un signe que le projet de loi était malavisé dès le début. Certains d’entre vous considèrent que c’est une bonne raison de rejeter le projet de loi. Je vois les choses différemment.

Nous avons environ 29 amendements qui sont des améliorations de forme. Voilà la preuve que la Chambre haute a fait son travail d’examen minutieux de la mesure législative, en trouvant des façons de l’améliorer, même s’il s’agit de détails, et en étant en mesure de convaincre le gouvernement de les adopter. Pourrait-il y avoir un meilleur exemple du rôle de la Chambre de second examen objectif?

Le Sénat a aussi fait son travail si l’on tient compte de la façon dont il a organisé le débat au cours des derniers jours, mais aussi tout au long de l’étude du projet de loi dans les comités.

Je tiens à rappeler à mes collègues que l’idée d’un débat structuré a été présentée par nul autre que le parrain du projet de loi au tout début du processus. En novembre 2017, j’ai écrit à tous les leaders pour leur demander qu’on adopte ce genre de processus structuré qui permettrait de passer en revue les domaines thématiques du projet de loi et de tenir un débat cohérent et consécutif. Voilà le genre de débat que nous avons tenu au cours des derniers jours. Comme la sénatrice Omidvar l’a recommandé, j’espère que nous allons en tenir compte lors des débats sur d’autres projets de loi.

(1940)

Je félicite mes collègues les leaders d’avoir fait preuve de prévoyance et de jugement en convenant de l’échéancier que nous avons suivi dans un esprit de collaboration. Encore une fois, cela démontre l’efficacité du nouveau Sénat, et j’espère que nous pourrons maintenir cet esprit de collaboration pour les prochains projets de loi.

En ce qui concerne le Groupe des sénateurs indépendants, je suis très fier de mes collègues, qui ont fait preuve d’une volonté et d’une capacité de collaborer comme je n’en avais jamais vu auparavant, tout en maintenant leur indépendance, et je crois que c’est en partie grâce à cela que nous avons présenté tant d’amendements constructifs au projet de loi.

Cela dit, mes collègues ont aussi appuyé un certain nombre d’amendements proposés par les conservateurs, et j’en suis très fier également. Cela prouve, encore une fois, l’indépendance de notre groupe.

Il ne fait aucun doute que le parrain du projet de loi et les présidents des cinq comités qui ont étudié les divers aspects du projet de loi ont fait un travail extraordinaire. Cependant, comme d’autres l’ont déjà dit, il faut saluer tout particulièrement les efforts du président et des deux vice-présidentes du Comité des affaires sociales, les sénateurs Eggleton, Seidman et Petitclerc, qui nous ont aidés à traverser la partie la plus difficile du processus et nous mener à bon port.

Ainsi, le premier message que j’aimerais transmettre à ma communauté, à mes amis, à mes collègues, aux gens de la région que je représente et aux médias, c’est que le Sénat a montré son efficacité. Le nouveau Sénat est efficace, et nous devrions en être fiers.

Chers collègues, mon deuxième message, c’est que la légalisation de la marijuana ne fera rien pour réduire les méfaits connus qui sont associés à la consommation de cette drogue. Permettez-moi de dire les choses autrement : la légalisation ne va pas entraîner ces méfaits. Ces méfaits touchent déjà de nombreux Canadiens et, si l’on décidait de ne pas légaliser le cannabis, cela ne changerait rien au grave problème de santé publique auquel nous sommes confrontés en raison de l’omniprésence du cannabis illicite dans notre société.

Mon troisième message est le suivant : la meilleure façon de réduire les méfaits liés à la consommation de cannabis, c’est de légaliser et de réglementer le marché. Vous avez déjà entendu les nombreux arguments contre la criminalisation de la possession simple de marijuana et pour sa légalisation. Nous connaissons déjà les torts causés par cette situation, à savoir la stigmatisation, l’exclusion, les conséquences disproportionnées pour les Autochtones et les minorités, et j’en passe.

J’aimerais aller un plus loin et dire que, en légalisant l’industrie du cannabis, on lui donnera les meilleures chances possibles de connaître du succès. Je ne suis pas sûr que nous ayons bien compris cette partie de l’équation. J’encourage donc les sénateurs à réfléchir plus longuement à ce que cela signifie, alors que nous surveillons l’industrie avec beaucoup de diligence et que nous veillons à la réussite de la légalisation. Il faut donc éviter d’adopter des règles ou des restrictions trop rigoureuses sur l’industrie.

Mon quatrième message s’adresse aux parents et aux jeunes. Mon message aux parents est simple : la légalisation sera l’occasion de discuter avec vos enfants de la consommation de marijuana et des risques qu’elle entraîne pour les adolescents et les jeunes adultes au début de la vingtaine.

Chers collègues, ces discussions n’ont pas lieu à l’heure actuelle, en partie parce que le cannabis est illégal. Je parle en pleine connaissance de cause et j’espère sincèrement que la légalisation aidera les parents à avoir ces conversations difficiles, précisément parce qu’il ne sera plus possible de les éviter.

Si certains d’entre eux écoutent notre débat ce soir, j’aimerais que ce soit très clair pour eux. Nous voulons qu’ils aient ces conversations précisément parce que la légalisation aura lieu sous peu. Ils doivent avoir ces conversations très bientôt.

J’ai aussi un message pour les jeunes. J’aimerais leur dire que la principale question dont nous avons débattu dans cette enceinte — et nous en avons débattu avec beaucoup de passion et de vigueur —, c’est l’incidence sur les jeunes. Nous le savons tous. Certains d’entre vous se souviendront peut-être que mon allocution à l’étape de la deuxième lecture portait sur l’âge légal. J’ai remis en question l’âge légal de 18 ou 19 ans, compte tenu des témoignages — dont certains ont été contestés — selon lesquels le cerveau des jeunes continue de se développer jusqu’à l’âge de 23, 24 ou 25 ans et que les personnes dans ce groupe d’âge s’exposent à des risques particuliers en consommant du cannabis. J’ai maintenant réfléchi davantage à la question et j’en suis venu à accepter que l’âge légal doive correspondre à l’âge de la majorité, puisque ce sera plus commode et plus simple à appliquer. Je crois toutefois que nous devons faire comprendre aux jeunes que, même si l’utilisation de cannabis sera légale pour les personnes âgées de 18 ou 19 ans, selon la province, ils doivent se dire que sa consommation est légale au même titre que la consommation excessive d’alcool est légale.

Comme je l’ai dit, j’appuie le fait que l’âge légal corresponde à l’âge de la majorité, et ce, pour diverses raisons. Je suis également porté à croire les données présentées par divers professionnels de la santé, qui sont d’avis que les jeunes de 25 ans ou moins qui consomment de la marijuana pourraient avoir de graves problèmes de santé mentale. Ces données nous ont été présentées de nouveau ce soir. Nous devons répéter ce message. Même si la recherche est quelque peu contestée, nous devons répéter le message. Nous devons protéger les jeunes le plus possible. Au fur et à mesure que de nouvelles recherches seront menées, nous pourrons leur fournir de meilleurs renseignements.

Nous ne devrions rien faire qui pourrait semer la confusion dans l’esprit des jeunes Canadiens. Nous ne voulons certes pas qu’ils commencent à consommer de la marijuana durant leur adolescence, et peut-être même pas au début de la vingtaine.

Enfin, chers collègues, je veux dire à toutes les personnes qui s’intéressent à ce débat que notre travail n’est pas fini. Le projet de loi C-45 n’est que le début. Toutefois, contrairement à ce que pourraient dire certains de mes collègues conservateurs, il n’est pas le début de la fin. Le monde n’arrêtera pas de tourner. Le ciel ne nous tombera pas sur la tête.

Le projet de loi C-45 n’est pas non plus le commencement du commencement, parce que le cannabis existe déjà. Il y a déjà un marché illicite florissant. Nous tentons seulement de corriger un problème qui dure depuis longtemps. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, mesdames et messieurs, chers collègues. Nous cherchons à sortir d’un bourbier au moyen d’un programme judicieux de légalisation, de réglementation et de sensibilisation du public.

Si ce n’est ni le commencement de la fin ni le commencement du commencement, je dirais que c’est, en fait, la première étape de l’élimination graduelle de ce problème. J’espère et je prie que ce sera la fin graduelle d’un marché illicite omniprésent, qui cédera la place à la production, à la distribution et à la consommation légales du cannabis.

Cette mesure permettra d’adopter une nouvelle approche à l’égard du cannabis qui sera axée sur la santé publique, la réduction des méfaits, la réglementation stricte de la production et de la distribution du cannabis légal et la réduction du cannabis illicite.

J’espère et je sais que nous surveillerons tous très attentivement l’application du projet de loi sur le cannabis et de ses règlements connexes, et que nous n’hésiterons pas à proposer des modifications à la loi et d’autres corrections si nous détectons des problèmes au cours des années à venir.

(1950)

Étant donné notre avantage comparatif par rapport à la Chambre des communes en raison de notre mémoire institutionnelle et de notre longévité, le Sénat est maintenant bien placé pour faire le suivi des progrès et des revers de la légalisation du cannabis. Ne vous y trompez pas, toutefois : si nous légalisons le marché du cannabis, nous devrions faire tout en notre pouvoir pour en faire un succès. Si le projet de loi C-45 est adopté une fois le débat terminé, unissons nos efforts pour faire en sorte que sa mise en œuvre soit un succès. Merci.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Martin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en ce dernier jour du débat à l’étape de la troisième lecture sur le projet de loi C-45. À l’instar de mes collègues, je tiens à saluer toutes les personnes qui ont déployé de grands efforts pour parrainer, critiquer, analyser et étudier le plus possible le projet de loi afin que nous puissions tous prendre la parole avec fierté aujourd’hui et les féliciter de leurs efforts.

Je suis également très fière du Sénat et j’ai toujours été fière de l’excellent travail que fait la Chambre haute sur toutes les mesures législatives et les études menées par les comités.

Comme vous, à mon réveil ce matin, j’ai appris que ce serait aujourd’hui un jour historique. C’est le jour J pour les Ontariens, le jour J potentiel pour les champions de la Coupe Stanley, le cas échéant, et, pour nous, le jour du vote à l’étape de la troisième lecture.

De plus, lorsque je me suis réveillée, beaucoup de pensées me sont venues à l’esprit et j’ai été envahie par les émotions. J’ai ouvert ma messagerie et j’ai constaté que j’avais de nombreux messages tardifs que je n’avais pas eu l’occasion de lire à cause de notre horaire chargé. J’ai aussi vu que j’avais reçu d’adorables photos de mes nièces et de mes neveux et que d’anciens étudiants que j’avais récemment croisés m’avaient envoyé de belles photos de leurs enfants.

Même si je suis intervenue pour parler à diverses reprises, je parle aujourd’hui au nom des enseignants et des administrateurs de l’ensemble du pays qui sont sincèrement inquiets de ce qui arrivera si jamais le projet de loi C-45 reçoit la sanction royale et que la marijuana est légalisée, surtout dans les provinces où l’âge légal pourrait être établi à 18 ans. Les écoles ont raison d’être inquiètes, étant donné que des personnes de 18 ans fréquenteront les mêmes écoles que des élèves plus jeunes — aussi jeunes que 12 ans.

Je prends aussi la parole au nom des parents et des grands-parents qui se demandent ce qu’ils diront à leurs enfants et à leurs petits-enfants au sujet d’une drogue qui a toujours été illégale, du moins depuis ma naissance. Que peuvent-ils dirent après la légalisation, lorsque la loi ne pourra plus être un argument de dissuasion qu’ils pourront servir à leurs enfants et leurs petits-enfants pour les dissuader d’adopter une habitude qui peut être très difficile à briser?

Depuis les élections de 2015 et la promesse de légaliser cette drogue, il y a des quartiers dans ma ville, Vancouver, où on trouve des magasins de marijuana à quelques pas d’écoles, de garderies, de terrains de jeu, de centres communautaires, sans parler des maisons, et cela ne changera pas.

Au cours du débat, les sénateurs de toutes les allégeances ont cité des témoins experts et des conclusions de recherche opposées au sujet des effets de la consommation de marijuana sur les jeunes, le développement de leur cerveau, et leur santé mentale.

Hier, j’ai reçu un lien vers un article rédigé par Graeme Benjamin et publié sur le site web de Global News le 6 juin, dont le titre se lit à peu près comme suit : « Les étudiants canadiens qui consomment de la marijuana ont une mauvaise santé et de mauvais résultats scolaires ». Je souhaite lire cet article opportun pour qu’il paraisse au compte rendu.

Selon une étude de l’Université St. Francis Xavier et de l’Université de Victoria, les étudiants qui essaient la marijuana à un jeune âge et qui en consomment souvent sont plus susceptibles d’avoir des problèmes concomitants, des problèmes de santé et moins de réussite professionnelle et scolaire en tant que jeunes adultes.

Dans le cadre de l’étude qu’elles ont réalisée, la professeure de psychologie Kara Thompson, de l’Université St. Francis Xavier, et Bonnie Leadbeater, de l’Université de Victoria, ont suivi une cohorte de 662 jeunes pendant 10 ans.

Les chercheuses ont interviewé les jeunes — âgés de 12 à 18 ans au début de l’étude, en 2003 — tous les deux ans au sujet de leur consommation de substances, de leur santé mentale, de leurs réalisations et de leur bien-être général.

Les chercheuses ont observé comment les habitudes de consommation évoluent au fil du temps et comment elles sont influencées par d’autres facteurs à l’adolescence et au début de l’âge adulte.

« Nous entendons beaucoup parler des risques qu’il y a pour les jeunes à consommer du cannabis, d’autant plus qu’il est sur le point d’être légalisé, mais ce que nous voyons des habitudes de consommation de cannabis chez les jeunes Canadiens au fil du temps et des conséquences est, en fait, assez limité », a déclaré Mme Leadbeater.

« Nous espérons que ces travaux feront de la lumière sur la façon dont les Canadiens consomment le cannabis tout au long de l’adolescence et au début de l’âge adulte, ce qui permet de prédire différentes habitudes de consommation et comment ces habitudes contribuent à la santé mentale et au bien-être des jeunes. »

Les deux études ont permis de dégager cinq habitudes de consommation de cannabis. Environ 30 p. 100 des jeunes ont été classés à haut risque, ce qui signifie qu’ils ont commencé à consommer du cannabis fréquemment au début de l’adolescence ou ont augmenté leur consommation, qui était de plus d’une fois par semaine lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte.

« Ces habitudes de consommation risquées ont été associées aux pires états de santé chez les jeunes adultes, dont des taux plus élevés de troubles associés à la consommation, des problèmes de santé mentale et de comportement, ainsi que des taux plus bas de réussite scolaire et professionnelle », selon l’étude.

Selon Mme Thompson, les jeunes qui avaient des habitudes risquées consommaient du cannabis et d’autres substances à l’adolescence. Ils avaient aussi d’autres problèmes de comportement.

Elle a déclaré : « Une approche efficace de santé publique pour réduire la consommation de cannabis chez les jeunes devra tenir compte des contextes et des problèmes qui accompagnent la consommation risquée de cannabis chez les jeunes. »

Nous espérons que les conclusions de l’étude fourniront au gouvernement et aux praticiens en santé publique une source d’informations qui guidera les politiques actuelles et futures en matière de cannabis.

Chers collègues, je vous fais part de cet article dans l’espoir que, à la dernière heure, quand tout aura été dit, chacun d’entre nous réfléchira à ce qui nous attend à la croisée des chemins. La sénatrice Petitclerc a évoqué la ligne d’arrivée. Il est vrai que nous franchissons un cap aujourd’hui, mais il y a bien d’autres étapes par lesquelles il faudra passer et dont nous devrons débattre.

Sénatrice Petitclerc, je partage votre vision — comme tous les sénateurs, je crois — et je souhaite faire du Canada le meilleur pays du monde, où on donne aux jeunes les moyens de développer leur plein potentiel. Selon moi, le projet de loi C-45 n’est pas, comme vous semblez le penser, la voie à emprunter pour concrétiser cette vision.

Dans ma vision, c’est en rejetant le projet de loi C-45 que le Canada devient le meilleur pays, et non en légalisant une drogue qui est interdite par toutes les fédérations du monde, à l’exception de l’Uruguay. Je suis en faveur de la décriminalisation et je crois que nous devrions l’envisager sérieusement — de même que la légalisation peut-être —, lorsque le moment s’y prêtera mieux. À l’heure actuelle, compte tenu des données dont nous disposons, des inquiétudes grandissantes et du nombre croissant d’appels et de courriels que nous recevons tous, je suis d’avis que la légalisation ne devrait pas avoir lieu maintenant et que les risques de la légalisation sont trop élevés, peu importe les retombées financières qu’elle entraînera.

Honorables sénateurs, deux voies s’ouvrent à nous. Je crains que, peu importe celle que nous emprunterons, nous continuerons d’y avancer et nous ne saurons jamais ce qui aurait pu arriver. Je sais que nous accordons tous beaucoup de sérieux au prochain vote. Il me semble que nous vivons une journée historique et je suis certaine qu’il en est de même pour vous. J’espère que nous saurons tous faire un choix judicieux. Merci.

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux au Sénat) : Honorables sénateurs, il faut du temps pour effectuer un changement. Il faut aussi s’y habituer un peu, une fois qu’il est enfin réussi. Si l’on considère les générations passées, on se remémore l’époque où les femmes ont obtenu le droit de vote et, plus récemment, où les couples de même sexe ont obtenu le droit de se marier. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas imaginer que ces droits soient remis en question. Le changement social n’est pas facile à opérer. Cela prend du temps, parfois plusieurs générations, mais un jour le changement se produit, même si l’on s’y oppose, pour le meilleur et pour le pire.

(2000)

Le débat sur les drogues paraît interminable, et je crois qu’il devrait effectivement toujours se poursuivre. Aucun débat ne peut prendre fin définitivement. Les nouvelles idées, les découvertes scientifiques et les nouvelles générations de citoyens font en sorte que les mentalités évoluent sur ce qui peut améliorer le sort de la société.

Dans le présent débat sur le projet de loi C-45, on entend des arguments pour et des arguments contre : nous avons besoin de plus de temps pour l’étudier; nous devrions avoir adopté ce projet de loi il y a des années; les conséquences sur la population sont inconnues; devrions-nous essayer et voir quel sera le résultat? Ce sont des questions naturelles, bien entendu, mais, à un moment donné, une décision doit être prise.

Je rappelle aux sénateurs que le débat sur la légalisation de la marijuana a lieu depuis des dizaines d’années. Un rapport sur le cannabis produit dès 1955 par le comité sénatorial spécial sur le trafic des stupéfiants préconisait le maintien de l’interdiction des drogues illicites.

Puis, en 1972, c’est le Rapport final de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales, présidée par Gérald Le Dain, qui a été publié. Il recommandait que l’on abroge l’interdiction de la possession simple de cannabis et de sa culture pour un usage personnel. C’était en 1972, chers collègues.

En 1994, le projet de loi C-7, Loi portant réglementation de certaines drogues et de leurs précurseurs ainsi que d’autres substances, modifiant certaines lois et abrogeant la Loi sur les stupéfiants en conséquence, a été présenté à l’autre endroit. Il est mort au Feuilleton et a été présenté de nouveau sous la désignation de projet de loi C-8, en 1996. Le Sénat l’a alors étudié.

Selon la Canadian Foundation for Drug Policy, plusieurs membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont déclaré publiquement qu’ils étaient favorables à la décriminalisation de la marijuana, mais ont abandonné l’idée de recommander qu’aucune accusation criminelle ne soit portée contre une personne pour avoir eu quelques « joints » de marijuana en sa possession parce qu’ils se sont dit que cette idée ne serait jamais acceptée par la Chambre des communes. Comme la sénatrice Carstairs l’a précisé, les membres du comité envisageaient sérieusement l’idée de la décriminalisation, mais ils considéraient qu’une telle recommandation serait futile. La sénatrice a déclaré ceci dans une interview :

La majorité des sénateurs — et j’étais avec eux — estimait que les renseignements disponibles portaient à croire que la décriminalisation pour la possession simple était la solution à adopter.

La recommandation suivante figurait dans le rapport sur le projet de loi C-8 :

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles propose énergiquement qu’un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes soit créé afin d’examiner toutes les lois, politiques et les programmes canadiens antidrogue.

Le 2 juin 1999, le regretté Pierre Claude Nolin a proposé la motion suivante :

Qu’un comité spécial du Sénat soit formé afin de réévaluer les lois et les politiques canadiennes antidrogues, de consulter abondamment la population canadienne pour déterminer les besoins spécifiques des différentes régions du pays plus particulièrement là où les problèmes sociaux liés au trafic et à l’usage des drogues illicites sont les plus manifestes, d’élaborer des propositions pour diffuser toute information relative à la politique canadienne antidrogues et, enfin, de produire des recommandations pour en arriver à l’adoption d’une stratégie antidrogues mise au point par et pour les Canadiens encourageant tous les paliers de gouvernement à travailler en étroite collaboration à la réduction des méfaits liés à la consommation de drogues illicites.

Le comité a fait un énorme travail et a publié son rapport en septembre 2002, et vous l’avez sûrement tous lu; du moins, je l’espère. On y aborde un grand nombre des questions soulevées par la plupart des sénateurs dans le débat sur le projet C-45 dont nous sommes saisis aujourd’hui. On peut y lire ce qui suit :

En somme, les principaux coûts sociaux relatifs au cannabis relèvent de choix de politiques publiques, principalement de la criminalisation continue de cette substance, tandis que les conséquences de l’usage de la substance elle-même ne comptent que pour une fraction de l’ensemble des coûts sociaux imputables à l’usage de drogues illicites.

Notre ancien collègue poursuit plus loin en disant ce qui suit :

Selon nous, il est clair que si les politiques publiques ont pour but de réduire la consommation et l’offre de drogues, spécifiquement de cannabis, tout indique qu’elles ont échoué.

C’était la situation à ce moment-là.

Il poursuit ainsi :

Nous pensons que l’ensemble des données que nous avons recueillies sur le cannabis et ses dérivés justifie notre conclusion générale à l’effet que la réglementation de la production, de la distribution et de la consommation de cannabis est un régime préférable à la prohibition, pour autant qu’elle s’inscrive dans une politique publique intégrée et adaptée sur les substances. Un régime de réglementation sur le cannabis devrait permettre notamment :

De cibler plus efficacement les trafics illégaux et de diminuer le rôle du crime organisé.

De mener des programmes de prévention plus adaptés à la réalité et plus à même de prévenir et dépister les conduites à risque.

De mieux contrôler les produits, leur qualité et leurs propriétés.

De mieux informer et éduquer les usagers.

De respecter les libertés individuelles et collectives et de mettre la loi en phase avec le comportement des Canadiens.

C’était notre ami, Pierre Claude Nolin.

Le rapport du comité se poursuit ainsi :

Nous sommes d’avis que la société canadienne est prête pour une politique responsable de réglementation du cannabis pour autant qu’elle respecte ces principes fondamentaux.

Ainsi, honorables collègues, dans les exemples que j’ai donnés, qui datent de 1955 à 2002, on peut voir que l’opinion a changé et on remarque qu’il a fallu du temps pour qu’elle change.

Maintenant, pensez à ce que nous faisons actuellement. Nous sommes en 2018, soit 16 ans après que le rapport Nolin ait recommandé essentiellement ce que le projet de loi C-45 vise à faire. Sommes-nous prêts à faire ce changement? Je crois que nous l’étions à l’époque, et je crois que nous le sommes maintenant.

Nous pouvons toujours nous demander si c’est le bon moment pour une telle mesure législative ou si elle est pertinente et sécuritaire. Ce que nous ne devrions pas remettre en question, c’est que le moment est venu d’essayer une autre tactique dans la guerre contre la drogue. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous saurons si elle a fonctionné, et je suis convaincu que ce sera le cas.

Bien que je n’aime pas certains des amendements que le Sénat a convenu d’apporter au projet de loi, pour le meilleur ou pour le pire, je suis heureux d’appuyer le projet de loi et j’encourage tous les sénateurs à faire de même.

L’honorable Dennis Dawson : Accepteriez-vous de répondre à une question présentée sous forme de déclaration?

Je suis très heureux. Je ne veux pas gaspiller le temps de tous les sénateurs en répétant ce qui a déjà été dit. Cependant, pensez-vous que le sénateur Nolin aurait voté en faveur du projet de loi?

Le sénateur Mercer : Je pense qu’il aurait voulu le parrainer.

[Français]

Le sénateur Carignan : Avez-vous bien lu le rapport Nolin, qui indiquait que le cerveau était complètement développé à l’âge de 16 ans?

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Chaque rapport est différent et nous nous sommes adaptés au fur et à mesure. Oui, vous avez lu le rapport. Vous savez ce qu’il y est écrit.

L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour participer brièvement au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-45.

J’ai déjà pris la parole le 13 février à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. Ce jour-là, mon discours était axé sur deux points : le premier concernait la demande d’avis juridique sur les conséquences sur la santé et sur les coûts en santé de la consommation de tabac par rapport à la consommation de marijuana, et le deuxième portait sur les obligations du Canada en matière de marijuana qui découlent des traités internationaux.

(2010)

Ces deux questions ont été inscrites dans le Feuilleton des préavis du Sénat en tant que questions écrites.

Comme nous le savons tous, chers collègues, plusieurs associations professionnelles et plusieurs médecins ont rédigé des mémoires ou produit des communiqués de presse pour signaler au gouvernement qu’il y a beaucoup à faire pour limiter les risques pour la santé associés au projet de loi C-45. Ces experts ont également témoigné devant les divers comités du Sénat; ils ont parlé de leurs inquiétudes à propos des effets qu’aura la légalisation du cannabis sur les jeunes adultes, surtout sur les plus vulnérables.

Comme il existe des risques considérables en matière de santé mentale, surtout pour les jeunes, je souhaite m’exprimer, moi aussi, sur les dangers de la légalisation du cannabis proposée.

Permettez-moi de vous parler un peu de mon expérience. J’ai été propriétaire d’un cabinet juridique du Nord du Nouveau-Brunswick spécialisé en droit pénal et en droit civil pendant près de 40 ans. Pendant cette période, j’ai aussi eu le privilège de présider la Commission d’examen du Nouveau-Brunswick, qui tient ses pouvoirs de l’article 672.38 du Code criminel.

La commission s’occupe des personnes qui souffrent d’un trouble mental et qui ont commis un acte criminel pour lequel la cour les a jugées inaptes à subir un procès, ou que la cour a jugées aptes à subir un procès, puis a déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Ces personnes sont remises en liberté dans la collectivité ou mises en détention dans un établissement psychiatrique en attendant la tenue d’une audience devant la commission d’examen pour déterminer la décision à rendre.

La grande majorité des causes que j’ai entendues à titre de président de la commission d’examen avaient un lien avec la consommation de drogues illicites, surtout de cannabis.

Il est vrai, manifestement, que les personnes qui relevaient de la compétence de la commission d’examen étaient vulnérables aux effets négatifs du cannabis sur la santé mentale.

Comme le gouvernement du Canada l’explique dans les renseignements sur la santé qu’il publie, des gens peuvent éprouver de l’anxiété ou même des symptômes psychotiques après avoir consommé du cannabis, particulièrement les consommateurs inexpérimentés ou ceux qui souffrent déjà d’un problème de santé mentale. D’après les renseignements fournis, le THC peut aggraver ces symptômes.

Comment le projet de loi C-45 peut-il atténuer les répercussions du cannabis sur la santé mentale des jeunes et des personnes vulnérables? Il ne le peut pas, point à la ligne.

Dans un bref moment, nous nous prononcerons sur le projet de loi C-45. Nous devons avoir pleinement conscience du poids et de la gravité qu’aura notre décision afin de nuire le moins possible aux jeunes.

La décision que nous sommes appelés à prendre est capitale, et les législateurs que nous sommes sont bien évidemment responsables des lois qu’ils adoptent, mais ils ont aussi la terrible responsabilité de prendre des décisions prudentes, sages et conformes à l’éthique.

Honorables sénateurs, réfléchissons à l’incidence de notre vote sur les Canadiens ainsi que sur leur bien-être physique et mental. Je vous laisse sur cette pensée.

L’honorable Lynn Beyak : Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du projet de loi C-45. Je remercie la sénatrice Frances Lankin d’avoir précisé qu’elle a discuté de ce dossier avec les gens de son coin de pays. Je crois qu’il n’y a rien de plus important dans notre travail sénatorial : nous devons parler aux gens.

Dans la région d’où je viens, les Autochtones et les non-Autochtones craignent énormément les conséquences inattendues que ce projet de loi pourrait avoir et dont ils ont entendu parler dans les médias ou par l’entremise des nombreux témoins que nous avons entendus. Ils ne sont tout simplement pas prêts.

Je crois surtout qu’il manque une chose dans le mandat du gouvernement libéral. Le Canada compte 36 millions d’habitants. Là-dessus, près de 7 millions ont voté pour les libéraux, 6 millions pour les conservateurs, 4 millions pour d’autres partis et 10 millions de mineurs n’ont pas voté du tout.

C’est donc archi-faux de dire que les libéraux ont le mandat de faire une chose qui va bouleverser du tout au tout la société canadienne. Les électeurs ont voté pour la décriminalisation afin que les prévenus n’aient plus de casiers judiciaires et évitent la prison. Ils ont voté pour que nous protégions les enfants. Ils n’ont pas voté pour que nous enfreignions les traités internationaux antidrogue. Qu’on parle de transport routier, aérien ou ferroviaire, cette loi sera très difficile à faire appliquer. Elle ternira la réputation sans tache du Canada sur la scène internationale. Elle compliquera probablement nos déplacements chez notre plus proche voisin, les États-Unis, avec qui nous partageons la plus longue frontière non défendue du monde et où les lois fédérales interdisent toujours la marijuana. Les électeurs n’ont pas voté pour cela.

Le nombre d’amendements aux articles portant sur les lourds préjudices aux enfants devrait nous faire réfléchir. Les enfants n’ont pas de voix. Les amendements ont été proposés ou adoptés, et ils doivent faire l’objet d’un examen très attentif à l’autre endroit, mais, avant cela, j’aimerais que nous procédions à un second examen objectif.

Qu’est-ce qui est si urgent? Le Canada a survécu sans avoir eu un accès légal à la marijuana à des fins récréatives, et il prospère depuis 150 ans. La marijuana à des fins médicales est déjà disponible pour tous ceux qui en ont besoin.

Les honorables sénateurs doivent songer, en toute conscience, à rejeter tout simplement ce projet de loi qui sème la discorde et qui est compliqué, coûteux et nuisible. Nous devrions plutôt demander à l’autre endroit de décriminaliser dès maintenant la marijuana et d’élaborer, par la suite, un projet de loi qui soit digne des préoccupations dont les Canadiens nous ont fait part au cours des dernières semaines.

Je pense que ce serait une solution beaucoup plus convenable que le projet de loi dont nous sommes saisis. Nous devons élaborer un projet de loi qui ne comporte aucun défaut et qui permet de faire les choses correctement, dès le début, pour nos précieux enfants.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-45.

Depuis que le projet de loi a été présenté au Sénat à la fin de novembre, cinq comités sénatoriaux l’ont étudié. Nous avons entendu plus de 100 témoins en parler, et nous avons débattu vivement pendant plusieurs mois, tant du projet de loi que des amendements possibles. C’est tout à l’honneur du Sénat, comparativement au processus précipité qui a eu lieu à l’autre endroit.

Le sénateur Woo a parlé de tous les experts qui ont témoigné, dans un cadre officiel ou de manière informelle. C’est bien dommage que leurs conseils aient été si souvent ignorés.

Comme vous le savez, je me suis rendu en personne dans chaque collectivité du Nunavut pour y demander conseil d’autant de membres des collectivités que possible afin d’éclairer mon choix définitif.

Qu’ont dit les résidants du Nunavut dans le cadre de ma tournée exhaustive? Ils ont dit la même chose que ce que les populations autochtones et leurs dirigeants nous ont dit, partout au Canada : « Pourquoi une telle précipitation? Nous ne sommes pas prêts. »

Les municipalités ont dit qu’elles ne seraient pas prêtes à traiter les cas d’employés qui se présentent au travail sous l’effet de la marijuana et qui doivent se servir de machinerie lourde. Elles étaient complètement abasourdies qu’il n’y ait aucun moyen fiable de vérifier si une personne conduit un véhicule sous l’effet de la marijuana.

Toutes les collectivités ont souligné la nécessité urgente de plus de sensibilisation sur les effets de la marijuana et la nécessité de communiquer ces connaissances et de mettre en place des mesures de soutien avant la légalisation.

Les municipalités se sont dites inquiètes du fait que l’adoption de nouveaux règlements municipaux et de nouvelles politiques des ressources humaines et la formation des policiers et des agents chargés de faire respecter les règlements demanderont beaucoup de temps et d’argent. Elles étaient abasourdies d’apprendre que le projet de loi fédéral allait permettre à des personnes aussi jeunes que 18 ans d’avoir de la marijuana en leur possession et qu’il n’y aurait aucune conséquence criminelle pour des jeunes de 12 ans qui ont jusqu’à cinq grammes de marijuana en leur possession. Pourtant, le projet de loi prévoit des peines sévères pour ceux qui vendent de la marijuana à des jeunes.

Les gens du Nunavut s’inquiétaient surtout, avec raison, de la protection des jeunes, qui représentent une tranche démographique très importante de la population. Dans un des villages que j’ai visités, Naujaat, la moitié de la population a moins de 14 ans. Les gens sont bien conscients des dangers potentiels de cette substance psychoactive pour le développement du cerveau. Ils connaissent les risques pour la santé mentale des gens qui ont vécu des traumatismes, qui représentent une partie importante de la population autochtone dans mon territoire.

Les gens étaient également au fait des éléments mentionnés par les spécialistes de la médecine : la schizophrénie, l’anxiété et la dépression et leurs effets, qui seraient particulièrement importants dans les communautés du Nunavut où le tissu social est ténu, des communautés déjà gravement touchées par la violence familiale, le suicide et les problèmes de santé mentale, des communautés où, malheureusement, les altercations entre des jeunes atteints de troubles mentaux et la police sont presque quotidiennes.

Ces communautés sont très préoccupées par l’absence de programmes communautaires de bien-être et de santé mentale et de centres de traitement des dépendances au Nunavut et, d’ailleurs, dans l’ensemble des territoires du Nord.

(2020)

Certains ont dit que ce n’est qu’une question d’argent, et nous avons senti des pressions de la part du leader du gouvernement au Sénat, qui a d’abord tenté de négocier la tenue du vote à l’étape de la troisième lecture pour la fin d’avril. On nous a demandé : « Pourquoi le gouvernement Trudeau ferait-il cela sans nous consulter? »

J’espère sincèrement que j’ai tort, mais j’ai des doutes par rapport à toutes les promesses qu’on nous a faites et que ceux qui sont favorables au projet de loi ont acceptées avec empressement. Revenons sur les garanties qu’on nous a offertes.

On nous a assuré que ce projet de loi allait mettre fin aux activités des narcotrafiquants. Chers collègues, cette question a été soulevée lors des consultations que j’ai menées dans ma communauté. À Clyde River, au Nunavut, un hameau isolé sur l’île de Baffin, les membres du conseil m’ont dit que, à moins d’offrir un prix de beaucoup inférieur à 10 $ le gramme, les fournisseurs du Sud et les trafiquants du Nord seront en mesure de vendre pour moins cher que le prix fixé par le gouvernement en vendant de grandes quantités par la poste et en couvrant même les frais d’affranchissement.

Ils ont dit également que, à moins que le gouvernement fournisse un produit à forte teneur en THC — et le gouvernement nous a confirmé le contraire —, les trafiquants n’hésiteront pas à vendre des drogues à plus forte teneur en THC.

D’autres ont prédit que les trafiquants vendront du cannabis à des jeunes ou qu’ils se tourneront vers de nouveaux marchés pour vendre des drogues plus fortes.

Ensuite, il y a dans ce projet de loi une disposition bizarre qui permettra d’avoir une quantité illimitée de marijuana dans une maison d’habitation. J’admets que cela peut être changé par le gouvernement d’une province ou d’un territoire, mais, si on ne le fait pas, cela encouragera sûrement le trafic. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’un trafiquant puisse alors faire des réserves chez lui parce qu’il n’y a pas de limites à la quantité qu’il peut avoir dans sa maison. Quelqu’un pourrait alors cogner à sa porte et lui dire : « Je n’ai pas reçu mon colis par la poste. L’avion n’est pas venu. Le magasin est fermé. Pouvez-vous me vendre ou me donner ce dont j’ai besoin? »

On nous dit aussi que le projet de loi protégera les jeunes. Honorables collègues, j’espère sincèrement que j’ai tort, mais j’ai bien peur — comme beaucoup d’habitants du Nunavut — que la mesure législative n’ait des conséquences négatives. Actuellement, les habitants du Nunavut, éparpillés dans 25 localités éloignées, paient en général 50 $ le gramme, et le prix peut grimper jusqu’à 100 $. Faciliter l’accès à cette drogue psychotrope en plus d’en réduire le prix dans les régions éloignées aura un effet catastrophique, comme beaucoup de gens le prédisent. Je partage cette crainte. Il y aura des victimes. Il y aura des problèmes de santé mentale. Il y aura des dommages cérébraux. Il y aura des morts.

On m’accusera peut-être de tenir des propos alarmistes. Pour certains d’entre vous qui vivent dans le sud du pays, il est difficile de concevoir les affrontements, les suicides et la violence qui sont monnaie courante dans l’Arctique. Dans de nombreuses collectivités au Nunavut, où la moitié des enfants ne fréquentent déjà pas l’école, quels seront les effets de l’accès facile à cette drogue abrutissante sur l’assiduité scolaire? Au moment même où nous faisons des progrès dans l’embauche des Inuits au sein de notre industrie minière naissante mais en expansion, combien de travailleurs supplémentaires échoueront aux tests de dépistage de drogue imposés par les sociétés minières?

On nous dit que les peuples autochtones ont été consultés. C’est manifestement une façon d’embellir la réalité. On a offert des consultations symboliques aux peuples autochtones, y compris aux Inuits du Nunavut. Les Premières Nations ont été écartées des sources de revenus. On ne leur a pas permis de décider elles-mêmes si elles voulaient que cette drogue psychotrope soit autorisée dans leurs communautés. Voilà qui montre la fausseté de l’intention déclarée du gouvernement actuel d’établir une nouvelle relation de nation à nation, de respecter le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, qui est protégé par la Constitution et qui est inscrit dans celle-ci, de respecter la déclaration des Nations Unies, qui réclame le droit au consentement préalable et donné en connaissance de cause, et d’établir de nouvelles relations fiscales. Il n’y a eu aucun engagement fort ni progrès important en ce qui concerne le développement de matériel éducatif pertinent sur le plan culturel ou l’appui à des programmes communautaires de bien-être et de counseling, qui seront sûrement plus sollicités que jamais. Il n’y a eu aucun engagement ferme de fournir des services de traitement des dépendances.

Une organisation et un chef autochtone après l’autre ont demandé que le processus soit retardé afin de pouvoir participer de façon constructive. Je respecte le fait que mes collègues, les sénateurs autochtones, soient plus ou moins satisfaits de la lettre des deux ministres promettant une consultation et la participation sur diverses questions soulevées dans le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, promettant de régler et de tenir compte de questions de compétence, promettant une nouvelle relation financière, et ainsi de suite. « Soyez assurés », nous dit-on. La phrase est répétée à deux reprises dans la lettre des ministres. « Adoptez le projet de loi, et ces questions seront réglées. Soyez assurés. »

Cela ne suffit pas qu’on m’en assure. Je vais attendre de voir ce qui se passera, même si nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre au Nunavut. Si, en septembre, nous n’obtenons que du vent et des promesses de futurs dialogues j’espère que mes collègues autochtones et mes collègues du comité demanderont que des mesures soient prises pour donner suite aux promesses faites hier.

Chers collègues, nous sommes saisis d’un projet de loi qui crée un régime disparate et alambiqué pour l’ensemble du pays, et c’est sans compter les lois contradictoires d’une province et d’un territoire à l’autre. Je crois que nous avons relevé de trop nombreuses lacunes et qu’on nous a démontré que le projet de loi ne permettra pas d’atteindre les nombreux objectifs énoncés.

Chers collègues, j’ai participé aux audiences de la Commission Le Dain lorsque j’étais un jeune étudiant en droit à l’Université Dalhousie, à Halifax. J’ai même donné un exposé au commissaire Le Dain. Je me souviens d’avoir rencontré de façon informelle l’un des commissaires à l’époque. Il avait dit que la marijuana causerait des dommages à ce qu’il appelait le « navire de l’État ». La question est la suivante. Dans quelle mesure le projet de loi nuira-t-il à la productivité et à la santé mentale et affaiblira-t-il les portes étanches du navire de l’État?

Quand je constate avec quelle précipitation le gouvernement tente de faire adopter le projet de loi à la fin de son mandat, ainsi que les énormes lacunes et incohérences contenues dans le projet de loi, lacunes et incohérences que j’ai soulignées, sans compter le fait que les peuples autochtones ont été exclus d’une manière si flagrante des processus de consultation et de rédaction de la mesure, sans doute la plus grande faiblesse du projet de loi, j’ai de sérieux doutes quant à savoir si le projet de loi sera bénéfique pour le pays, pour le Nunavut et pour l’ensemble de la société canadienne. Je crois que nous paierons un prix élevé et que nous aurons de graves regrets. J’espère sincèrement avoir tort.

J’ai dit aux gens du Nunavut que je voterais contre le projet de loi, à moins d’avoir des garanties qu’il y aurait des systèmes en place pour faire face aux méfaits et aux répercussions négatives prévisibles de la facilité d’accès à la marijuana dans le territoire. On ne peut me l’assurer. Je ne voterai pas en faveur de ce projet de loi. Merci.

L’honorable Sandra M. Lovelace Nicholas : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Patterson : Oui.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénateur Patterson, je pense qu’il reviendrait à chaque communauté de décider d’adhérer ou non à la légalisation du cannabis prévue par le gouvernement. Votre communauté n’aurait-elle pas un règlement interdisant le cannabis?

Le sénateur Patterson : Je remercie la sénatrice de sa question.

Nous savons — parce que cela nous a été confirmé par un spécialiste du ministère de la Justice — que les communautés des Premières Nations ne peuvent décider de ne pas adhérer à la Loi sur le cannabis, parce que la Loi sur les Indiens ne le permet pas. Cette dernière n’autorise les votes locaux qu’en ce qui concerne l’interdiction de l’alcool. Il s’agit d’une loi d’application générale qui s’appliquera aux communautés des Premières Nations du Canada. En adoptant ce projet de loi, nous allons priver ces communautés de leur droit de se gouverner, même si le gouvernement a déclaré son soutien au droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, reconnu à l’article 35 de la Constitution.

Pour ce qui est de communautés du Nunavut qui ne sont pas régies par la Loi sur les Indiens, je pense que le gouvernement du Nunavut pourrait peut-être permettre à des hameaux d’adopter des mesures d’interdiction locales. Cela se fait pour l’alcool et cela pourrait se faire aussi pour la marijuana.

(2030)

Dans un document de travail qu’il a publié en prévision du présent projet de loi et de son propre projet de loi, qui n’en est qu’à ses balbutiements, le gouvernement du Nunavut dit estimer que le pouvoir d’interdire l’usage du cannabis dans certaines collectivités serait difficile à appliquer. Sa position déclarée est donc qu’il n’autorisera pas l’exercice de ce pouvoir.

Je suis davantage préoccupé par les communautés des Premières Nations, car elles nous ont dit qu’elles s’autogouvernent. Elles sont responsables de l’éducation, de remédier aux incidences sociales et en matière de santé. Elles n’obtiennent aucun revenu car elles ont été exclues de la taxe d’accise, et elles n’ont pas le droit d’interdire l’usage du cannabis en raison de la Loi sur les Indiens et du fait que le projet de loi est d’application générale.

Ainsi, les communautés des Premières Nations sont laissées pour compte par le projet de loi, à moins qu’on ne rectifie plus tard la situation. Je demeure optimiste à l’idée qu’on réglera ces problèmes, mais je suis, de nature, sceptique. Je vais exiger des comptes du gouvernement et des ministres à l’égard de leurs promesses. J’estime qu’il vaut mieux corriger les problèmes avant l’adoption du projet de loi, et non après. Voilà pourquoi j’entends m’y opposer. Merci.

L’honorable Tony Dean : Si je comprends bien, je suis le dernier à intervenir dans le débat sur le projet de loi ce soir. Je ne compte pas utiliser complètement les 45 minutes qui me sont allouées.

J’aimerais d’abord faire quelques remerciements. Premièrement, je remercie mes collègues indépendants qui, au cours des sept derniers mois, se sont joints à moi pour apprendre sur le cannabis, ses problèmes et les difficultés qu’il pose au pays.

Ce fut intéressant. Encore hier, un ou deux de mes collègues étaient toujours indécis, ce qui prouve qu’ils ont l’esprit ouvert et n’ont pas rejeté l’idée d’emblée. Je les en remercie.

Je remercie le sénateur Eggleton, qui a fait un merveilleux travail en qualité de président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Le comité a eu la tâche très difficile de passer en revue le travail des quatre autres comités sur un projet de loi extrêmement complexe. Sénateur Eggleton, je vous remercie, au nom de tous les sénateurs. Vous avez fait un excellent travail.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Dean : Je remercie tous les sénateurs présents d’avoir grandement participé au débat aujourd’hui, surtout dans ce format. On sait que cela a fonctionné pour l’aide médicale à mourir. Nous en avons parlé pendant un certain nombre de mois et nous nous en sommes encore servis dans ce cas-ci. Je crois que tout le monde ici présent a pu de nouveau constater que le fait de planifier et d’organiser les débats en fonction de thèmes nous aide à savoir où nous en sommes, à nous préparer et à savoir ce qui suit, mais cela aide surtout les gens qui ne sont pas au Sénat, et qui veulent participer à notre travail, de voir ce que nous faisons et de nous suivre. Plusieurs d’entre vous ont constaté sur leurs propres fils Twitter que les gens intéressés réagissent instantanément aux choses qui se passent au Sénat. C’est merveilleux. Je pense que, une fois que nos délibérations seront télévisées, prochainement, nous devrons exceller, et je crois que nous tiendrons bien plus souvent ce genre de débats.

Je remercie tous les membres du personnel du Sénat qui nous appuient. Je tiens à remercier tout particulièrement mon personnel. J’ai deux membres du personnel. Tout ce que vous avez reçu, tous les documents d’information et tous les conseils qui vous ont été donnés ont été produits par Amanda McLaren et Lauren Thomas. Elles ont fait un travail absolument exceptionnel.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Dean : Je tiens à remercier les fonctionnaires fédéraux, et plus particulièrement ceux des ministères de la Santé et de la Justice, qui ont été passablement malmenés ces dernières semaines. C’était tout à fait injustifié, selon moi. En plus d’être professionnelle et impartiale, la fonction publique canadienne est l’une des meilleures du monde, sinon la meilleure, alors les parlementaires que nous sommes ont beaucoup de chance. Les fonctionnaires nous aident et ils nous servent au quotidien. Ils servent aussi les Canadiens, alors ils méritent que nous leur accordions notre confiance au quotidien. Ils méritent notre respect, et je les remercie de tout ce qu’ils ont fait pour mes collègues et moi dans ce dossier ardu.

Je remercie tout particulièrement M. Eric Costen, qui dirige le secrétariat du cannabis à Santé Canada. Il nous accompagne depuis les débuts du cannabis médical et il nous a fait profiter de son immense expertise quand la discussion s’est étendue au cannabis récréatif. J’ai côtoyé très peu de fonctionnaires de sa trempe.

J’aimerais remercier une autre personne. Elle m’a accompagné non seulement dans la dimension professionnelle de mon travail en tant que parrain du projet de loi C-45, mais aussi dans la dimension personnelle de ma vie, qui, en novembre dernier, c’est-à-dire précisément au moment où le Sénat a été saisi de ce projet de loi, m’a amené sur un chemin que je n’aurais jamais cru emprunter. Je parle, bien entendu, de mon épouse, Marie Boutilier, qui est ici aujourd’hui et qui m’offre son soutien inconditionnel.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Dean : Je me fais très souvent demander ce qui a bien pu me passer par la tête pour accepter de parrainer le projet de loi C-45. La réponse est simple : quand j’ai vu qu’une politique publique d’une grande complexité serait soumise à l’examen du Sénat sous la forme d’une mesure législative, j’ai voulu être de la partie. Je n’ai pensé qu’aux occasions à saisir, et jamais aux problèmes. Je me suis dit que nous aurions l’occasion de retravailler cette mesure législative et de l’améliorer afin qu’elle soit aussi parfaite et aussi efficace que possible, pour le bien des Canadiens. Je n’ai pas été déçu. Ce fut une aventure fantastique pour moi, et je n’ai pas regretté ma décision un seul instant.

J’aimerais vous faire part de mon point de vue à ce sujet. Au fil de mon expérience des 25 dernières années dans les domaines des politiques et de l’administration publiques, ainsi qu’auprès de la classe politique, j’ai remarqué que, de temps à autre, un gouvernement, peu importe ses allégeances politiques, décide de tenter de régler un problème pressant sur le plan social ou en matière de santé. Ne vous méprenez pas. C’est ce que le gouvernement a fait en décidant de réfléchir à la possibilité de légaliser et de réglementer le cannabis. Effectivement, le gouvernement a reçu l’appui d’un groupe de travail composé d’experts. Effectivement, il s’agissait d’une promesse électorale. Toutefois, c’était loin d’être une sinécure pour le gouvernement. Il n’a pas pris cette décision sur un coup de tête. On ne fait pas ce genre de choses sans sacrifier une grande partie de son capital politique. De par leur nature même, toutes les initiatives sociales ou en matière de santé sont complexes et, quand les choses sont complexes, la critique est facile. Permettez-moi d’être franc et direct. C’est facile de dénigrer une telle initiative. Ce n’est pas aussi simple que la prohibition. Ce n’est pas aussi simple qu’un slogan du genre « il suffit de dire non ». C’est complexe.

Au cours des derniers mois, nous avons eu l’occasion — du moins, ceux d’entre nous qui ont voulu le faire — d’examiner, de comprendre et de soupeser chacun des éléments du projet de loi, ainsi que de prendre la mesure des défis qu’il tente de relever et des solutions qu’il tente de trouver.

Nous savons que le projet de loi s’attaque à des méfaits connus. Nous n’avons aucune divergence d’opinions au sujet des méfaits. La seule différence que nous avons entendue dans cette enceinte a trait à l’idée que l’adoption du projet de loi va prétendument engendrer de nombreux méfaits. Or, tous ces méfaits existent déjà, avant la réforme du régime sur le cannabis. Tout cela se passe sous notre nez et nous le savons — les conséquences sanitaires et sociales de la criminalisation, en particulier chez les Autochtones et d’autres Canadiens racialisés, et elles sont trop nombreuses. Le marché illégal massif bourgeonne en ce moment sous notre nez.

(2040)

Voici ce que le gouvernement a fait : le gouvernement a choisi d’enlever le couvercle, de faire ressortir les problèmes, et de lancer un débat national dans l’ensemble du pays au sujet du cannabis et de ce qui se passe avec le cannabis au pays en ce moment. C’était un geste politique courageux de la part du gouvernement. C’est un geste historique qui aidera les Canadiens plutôt que de leur nuire.

Au cours des derniers mois, à titre de parlementaires, je dirais que nous avons eu sur les épaules la grande responsabilité d’étudier cette mesure législative, de l’examiner, d’essayer de l’améliorer et d’offrir des conseils judicieux, en tant que parlementaires d’expérience dans certains cas et de législateurs chevronnés dans d’autres. Nous savons qu’il s’agit d’une approche visant à nous attaquer à des problèmes qui ont été ignorés pendant des années. Le sénateur Mercer nous a rappelé le rapport Nolin. Il est curieux que, au cours des sept derniers mois, aucun des collègues du sénateur Nolin ne l’ait mentionné. Il était un défenseur d’une réforme progressiste de la drogue, et 46 ans se sont écoulés depuis le rapport Le Dain.

Nous avons été occupés ici à exposer les problèmes existants liés au cannabis. C’est ce que nous avons fait et nous avons fait du bon travail.

Nous savons que les choses ne fonctionnent pas actuellement. Nous savons que l’interdiction ne fonctionne pas. Alors que nous approchons du vote, je suis bien conscient des possibilités qu’offre aux jeunes Canadiens le projet de loi C-45. Je l’appuie.

Voici ce qui me tracasse depuis quelques semaines. Je crains ce qui pourrait arriver si nous votons contre le projet de loi. C’est ce qui me préoccupe, compte tenu de tout ce que nous avons appris. Comme le sénateur Nolin l’a lui-même dit il y a 16 ans, la légalisation et la réglementation sont meilleures et plus sûres pour les jeunes Canadiens que l’interdiction. Je ne pense pas que la conclusion du sénateur Nolin ait changé. Si une chose a changé, c’est que les problèmes dont il parlait ont empiré pendant que nous faisions comme si l’interdiction fonctionnait.

Je vais terminer. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. En réfléchissant à la façon dont nous allons voter, nous devons nous demander ce que nous savons des conséquences d’un vote négatif. Nous savons qu’un vote contre la légalisation et la réglementation du cannabis dans notre pays est un vote en faveur du maintien de l’interdiction et signifie que nous continuerons de traiter en criminels les jeunes et les plus âgés, surtout ceux qui peuvent le moins se le permettre, les plus marginalisés et démunis dans notre pays.

Nous disons : « Faites attention à vous. Nous préférons l’interdiction. Nous sommes plus à l’aise avec l’interdiction. Faites attention à vous. » « Les méfaits pour la santé? Eh bien, nous fermerons la porte et détournerons le regard pendant que des jeunes continuent de subir les effets néfastes du cannabis. » Nous disons qu’au final nous préférons l’interdiction, avec un marché illégal en expansion de 6 milliards de dollars sur lequel les produits ne sont pas testés pour en déterminer la puissance ou y déceler la présence de contaminants, ne portent aucune étiquette en indiquant la puissance et ne sont pas vendus dans des sacs à l’épreuve des enfants. » Nous savons que ces produits sont actuellement offerts partout au pays et nous savons qu’il y aura encore une plus large gamme de produits que la gamme limitée offerte dans le cadre de l’approche prudente de la légalisation du cannabis qui est proposée par le gouvernement.

Je le répète : je préfère éviter un retour en arrière. Je préfère ne pas permettre à ces méfaits de persister, ni du côté social ni du côté de la santé. J’aimerais que nous nous joignions à d’autres États, comme certains aux États-Unis qui ont constaté un important effet de détournement. Au Colorado, 50 p. 100 du produit a été détourné du marché illégal vers le marché légal. Donc, la législation fonctionne.

Par conséquent, je vous dis que je voterai pour le projet de loi C-45, et je demande à ceux qui pensent encore voter contre de réfléchir attentivement aux implications et aux conséquences de leur geste.

Merci beaucoup.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Dean, avec l’appui de l’honorable sénatrice Dupuis, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois sous sa forme modifiée.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Conformément au paragraphe 2.4 de l’ordre adopté par cette Chambre le jeudi 31 mai dernier, la sonnerie d’appel retentira pendant 15 minutes, donc le vote se tiendra à 21 h 1.

(2100)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté :

POUR
Les honorables sénateurs

Bellemare Harder
Bernard Hartling
Black (Ontario) Jaffer
Boniface Joyal
Bovey Lankin
Boyer Lovelace Nicholas
Campbell Marwah
Christmas Massicotte
Cordy McCallum
Cormier McCoy
Coyle McPhedran
Dalphond Mégie
Dasko Mercer
Dawson Mitchell
Day Moncion
Deacon Munson
Dean Omidvar
Downe Pate
Dupuis Petitclerc
Dyck Pratte
Eggleton Ravalia
Forest Richards
Furey Ringuette
Gagné Saint-Germain
Galvez Sinclair
Gold Wallin
Greene Wetston
Griffin Woo—56

CONTRE
Les honorables sénateurs

Andreychuk McIntyre
Ataullahjan Mockler
Batters Neufeld
Beyak Ngo
Boisvenu Oh
Carignan Patterson
Dagenais Plett
Doyle Poirier
Housakos Seidman
MacDonald Smith
Maltais Stewart Olsen
Manning Tkachuk
Marshall Unger
Martin Verner
McInnis Wells—30

ABSTENTION
L’honorable sénatrice

Cools—1

(2110)

[Français]

L’ajournement

Adoption de la motion

Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion du gouvernement :

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 11 juin 2018, à 18 heures;

Que les comités sénatoriaux devant se réunir ce jour-là soient autorisés à siéger même si le Sénat siège, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 21 h 11, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 11 juin 2018, à 18 heures.)

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