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La Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada

Projet de loi modificatif—Adoption du sixième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense, Tel que modifié

25 octobre 2016


L’honorable Sénatrice Mobina S. B. Jaffer :

Honorables sénateurs, je sais que certains d'entre nous sont impatients de voir le projet de loi adopté. Comme celui-ci sera renvoyé à l'autre endroit, je veux que certaines choses soient consignées au compte rendu.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada. S'il est adopté, le projet de loi entraînera la création du poste d'inspecteur général de l'Agence des services frontaliers du Canada. L'inspecteur général aura pour mandat de faire rapport sur les activités de l'agence et de formuler des recommandations à cet égard, et d'étudier les plaines concernant celle-ci.

Avant de commencer, j'aimerais remercier le sénateur Moore des efforts inlassables qu'il a déployés en faveur de ce projet de loi et de sa contribution au Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. Il a consacré de nombreux mois au projet de loi et je le remercie de l'engagement qu'il a pris de mettre en place une structure de responsabilisation efficace pour l'Agence des services frontaliers du Canada.

Honorables sénateurs, je veux vous raconter une histoire qui montre à quel point le projet de loi S-205 est important. C'est l'histoire d'une femme nommée Lucia Vega Jimenez. Il y a trois ans, Mme Jimenez a été interpellée à la station du SkyTrain de Vancouver parce qu'elle n'avait pas de titre de transport. Interrogée et arrêtée peu après, on a jugé qu'elle risquait de s'enfuir et de ne pas se présenter aux audiences, étant donné qu'elle avait déjà été déportée. Par la suite, le consulat du Mexique à Vancouver a indiqué que Mme Jimenez craignait d'être renvoyée à cause des traitements horribles qui l'attendaient chez elle. Les infirmières et les agents qui se sont occupés d'elle ont même remarqué les « horribles cicatrices » témoignant de la violence qu'elle avait subie.

Mme Jimenez a donc été placée dans un centre de détention de l'aéroport de Vancouver, géré par l'Agence des services frontaliers du Canada. C'est là qu'a commencé son histoire tragique. L'agence lui a refusé l'accès à des services juridiques et à l'aide médicale et psychologique dont elle avait besoin. À la fin du mois, Mme Jimenez est morte après s'être pendue dans sa propre cellule — tragédie qui aurait pu être facilement évitée si ses besoins avaient été satisfaits.

Honorables sénateurs, nous vivons dans un pays magnifique. Le suicide de Mme Jimenez nous laisse une terrible cicatrice.

Ce genre de traitement et ce manque de transparence sont loin d'être uniques. Le Toronto Star rapporte que, au cours de la dernière décennie, plus de 80 000 migrants ont été emprisonnés par l'Agence des services frontaliers du Canada sans qu'aucune accusation ne soit portée contre eux. Un tiers de ces migrants est détenu dans des lieux destinés aux criminels.

Honorables sénateurs, il est important de se rappeler que les personnes avec lesquelles l'Agence des services frontaliers du Canada traite chaque jour ne sont pas nécessairement des criminels. Ce sont souvent des gens qui ont dû faire face à d'énormes difficultés et ont fui leur pays ou qui cherchent à se faire une nouvelle vie au Canada. Ce sont des personnes dont les besoins doivent être pris en compte.

Mme Jimenez n'était pas une dangereuse criminelle, loin de là; elle voulait simplement échapper aux mauvais traitements qu'elle subissait chez elle.

Dans le cadre du système actuel, il n'existe pas de mécanisme d'examen indépendant des plaintes concernant l'ASFC ou sa façon d'agir. Les activités de l'agence et la conduite de ses agents ne peuvent faire l'objet que d'un examen interne.

Il est urgent qu'un organisme indépendant puisse procéder à ce genre d'examen de façon transparente. On n'a su que Lucia Vega Jimenez était décédée qu'un mois après sa mort. Le décès de nombreuses personnes comme Mme Jimenez et les mauvais traitements dont elles ont fait l'objet demeurent entourés de mystère encore aujourd'hui.

De tous ces cas, celui d'Abdurahman Ibrahim Hassan est particulièrement frappant. Hassan était le plus jeune d'une famille de Somaliens qui avaient fui leur pays déchiré par la guerre et cherchaient une vie meilleure à Toronto. Après plusieurs arrestations, le jeune homme, aux prises avec de graves troubles mentaux, a été placé en détention en 2012 par l'ASFC en vue de sa déportation future.

Le 11 juin 2015, les parents d'Hassan ont reçu un appel de l'ASFC qui les informait que leur fils était décédé dans un hôpital et leur demandait ce qu'ils voulaient qu'on fasse de la dépouille.

Jusqu'ici, presque aucun renseignement n'a été donné malgré de nombreuses demandes de la famille, qui ignore toujours pourquoi et quand Hassan a été hospitalisé, qui l'a fait hospitaliser et quelle a été la cause de son décès. Encore aujourd'hui, la famille cherche à connaître tous les faits entourant la mort d'Hassan.

Je suis d'avis que le projet de loi va accroître la responsabilité et la transparence de l'ASFC — ce qui s'avère bien nécessaire — et ainsi permettre d'éviter des tragédies comme celles de Mme Jimenez et de M. Hassan. Le projet de loi S-205 prévoit la création du Bureau de l'inspecteur général, qui se chargera de mettre en place un mécanisme de reddition de comptes et des structures équilibrées, sans toutefois réduire le pouvoir de l'agence de faire face aux menaces à la sécurité nationale du Canada.

Conformément au projet de loi, toute personne qui prétend avoir subi un préjudice des activités de l'agence, de ses employés ou de ses agents peut porter plainte auprès de l'inspecteur général. Dans le cas où il conclut au bien-fondé d'une plainte, l'inspecteur général adresse au ministre de la Sécurité publique et au président de l'ASFC un rapport où il présente des recommandations. Dans ce cas-ci, le plaignant peut également exercer un recours devant la Cour fédérale. Ces rapports offriront à l'ASFC la possibilité de tirer des leçons de ses erreurs et de ses lacunes et de s'améliorer.

Le projet de loi S-205 oblige également l'inspecteur général à présenter devant chacune des Chambres du Parlement un rapport annuel sur les difficultés auxquelles l'ASFC se heurte. Je suis tout à fait d'accord, puisque cela permettrait au public d'être mieux informé de l'état de l'ASFC et offrirait au Parlement les outils dont il a besoin pour améliorer l'agence.

Je suis également d'avis que l'inspecteur général pourrait jouer un rôle essentiel pour ce qui est d'aider le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, alors que celui-ci se penche sur les activités de l'ASFC. Compte tenu de ses connaissances, l'inspecteur général pourrait aider le comité à prendre des décisions éclairées quant à des réformes de l'agence.

Pour conclure, je vais vous raconter une autre histoire, qui, je l'espère, vous permettra de comprendre la vulnérabilité de certaines personnes sous la garde de l'ASFC et l'importance d'avoir en place un système ne permettant pas que des personnes soient soumises à de mauvais traitements.

En janvier dernier, lorsqu'un mineur syrien âgé de 16 ans a demandé l'asile au poste frontalier de Fort Erie, il a été placé sous la garde de l'ASFC et emmené à un centre de détention à Toronto. Il a été gardé en isolement pendant plus de trois semaines, conformément aux lois du Canada en matière d'immigration.

Honorables sénateurs, je profite de l'occasion pour vous rappeler à quel point ce traitement est atroce. Pour un adulte, l'isolement cellulaire prolongé est considéré à l'échelle internationale comme étant un traitement cruel et inusité ayant souvent des conséquences psychologiques. Pour les mineurs, les effets néfastes de ce traitement sont amplifiés et ont de graves conséquences sur le développement de leur cerveau. Toute période d'isolement cellulaire d'un mineur contrevient à la Convention de l'ONU contre la torture, et surtout si elle dure trois semaines. L'ASFC ne devrait jamais être autorisée à imposer ce genre de traitement à quiconque.

Les paroles de Mohammed dans une entrevue accordée à la CBC en février dernier me hantent encore :

 

Trois semaines en détention. Je suis triste et je pleure sans arrêt. La pièce, les barreaux sur les fenêtres... J'ai peur.

Ce sont les paroles d'un garçon qui a peur et qui est confus, qui ne comprend pas pourquoi une chose aussi terrible lui arrive. J'ai espoir que grâce au présent projet de loi, ce genre d'incident pourra plus souvent être mis au jour et mener à une intervention, de sorte que nous ne puissions plus laisser tomber ces personnes les plus vulnérables.

Honorables sénateurs, comme vous, je n'en doute point, je suis profondément préoccupée que des cas comme ceux de Lucia Vega Jimenez, d'Abdurahman Hassan et de Mohammed se produisent au Canada. Bien que l'ASFC a le mandat d'assurer des services frontaliers et de protéger la sécurité nationale et publique, l'une des valeurs les plus fondamentales de notre pays est le respect des droits de la personne à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne.

Je crois que le projet de loi S-205 propose un compromis raisonnable et efficace entre ces deux intérêts en instaurant une structure de reddition de comptes au sein de l'ASFC tout en lui permettant de remplir son mandat.

(1640)

Honorables sénateurs, des pouvoirs considérables ont été conférés à l'Agence des services frontaliers du Canada pour protéger le Canada contre ceux qui veulent lui faire du tort. Je vous demande aujourd'hui d'appuyer ce projet de loi pour que ce mandat et ces pouvoirs considérables soient contrebalancés par une structure de reddition de comptes adéquate. Ce faisant, nous veillerons à ce que les personnes vulnérables qui arrivent à notre frontière, comme c'est le cas tous les jours, soient elles aussi protégées. Nous nous assurerons ainsi qu'il n'y ait plus jamais de tragédie comme celle de Jimenez, Hassan ou Mohammed.

 

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