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La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

9 mars 2017


L’honorable Sénatrice Ratna Omidvar :

Honorables sénateurs, avant de parler de l'amendement, je voudrais revenir brièvement sur le débat d'hier. Je tiens à remercier tout le monde d'avoir participé à ce qui a été à mes yeux un débat dynamique, stimulant et toujours respectueux. Je suis désolée que mes plaisanteries soient tombées à plat. La prochaine fois, je reviendrai à la poésie. J'espère que cela marchera mieux.

J'ajouterai que nous pouvons être en désaccord sur bien des points, mais je sais que nous nous entendons sur un sentiment très important, fondamental, qui nous unit : nous aimons tous le Canada et nous voulons tous travailler ensemble afin de le rendre meilleur. Je comprends vraiment cela.

Il va sans dire que je tiens à appuyer sans réserve aucune l'amendement proposé par ma collègue, la sénatrice McCoy, car il corrige une grave lacune sur le plan de l'équité du processus pour les citoyens qui se seraient rendus coupables de fraude ou de fausses déclarations dans leur demande.

Il a fallu des mois de travail pour parvenir à cet amendement, et je m'en voudrais de ne pas saluer l'apport de Lorne Waldman et de Josh Patterson, de la British Columbia Civil Liberties Association, qui m'ont épaulée tout au long de cette démarche. Je m'en voudrais aussi de ne pas souligner toutes les longues heures de travail de Suzie Seo, du Bureau du légiste. Elle a travaillé pendant le week-end dernier pour que nous en arrivions à ce résultat. Merci à elle également.

Comme je l'ai dit hier, le projet de loi C-6 est bon, mais il n'est pas parfait. L'ancien ministre de l'Immigration, M. John McCallum, a déclaré publiquement qu'il accueillerait volontiers des amendements au projet de loi C-6 qui corrigeraient, en matière de révocation de la citoyenneté, cette lacune sur le plan de l'équité et de la procédure. Dans l'état actuel des choses, honorables sénateurs, je dirai que mes droits seraient mieux respectés si je recevais une contravention pour stationnement illégal à Toronto que si, à Ottawa, on voulait révoquer ma citoyenneté.

Je l'ai dit hier : la citoyenneté est le fondement de tous les droits. Dès le début, le projet de loi C-6 comportait une lacune et je me demande si ce n'est pas à cause de la hâte avec laquelle il a été élaboré pour donner suite à une promesse phare du gouvernement, celle d'abroger des éléments du projet de loi C-24. Quoi qu'il en soit, je suis heureuse d'avoir contribué à l'élaboration de cet amendement. Je l'ai communiqué préalablement à des députés et à divers sénateurs de tous les caucus et à des groupes qui s'intéressent à la question et maintenant, nous avons tous le texte sous les yeux.

Comme le sénateur Pratte l'a dit, la question ne concerne pas les motifs de révocation, qui sont toujours la fraude et les fausses déclarations. Ces motifs figurent à juste titre dans la Loi sur la citoyenneté depuis 1947, sénateur MacDonald. Nous sommes toujours en mesure de révoquer la citoyenneté de quiconque a déformé les faits dans sa demande. Le problème, c'est plutôt une révocation de la citoyenneté qui ne respecte pas l'équité procédurale.

Ce n'est que justice, selon moi, que les Canadiens naturalisés puissent perdre leur citoyenneté parce qu'ils se sont rendus coupables de fraude ou de fausses déclarations, mais il est condamnable que, seuls, ils puissent faire l'objet de décisions de l'exécutif, comme celles décrites par la sénatrice McCoy, sans que soient respectées les garanties de justice fondamentale prévues dans la Charte.

Il y a trois modèles de révocation que je devais comprendre pour en arriver à l'étude de l'amendement d'aujourd'hui. Je me représente ces trois modèles comme le balancement d'un pendule : trop loin d'un côté et trop loin de l'autre. Nous proposons le modèle qui se situe à mi-chemin entre les deux parce qu'il nous ramène au centre et assure l'équilibre entre l'application régulière de la loi et le souci d'agir rapidement. C'est un modèle rapide et juste.

Commençons par le premier modèle, celui d'avant 2015, qui se situe à l'un des deux extrêmes. Le processus de révocation pour fraude et fausse déclaration était long, mais il était juste. Il comportait trois étapes. Il faisait intervenir d'abord le ministre, puis la Cour fédérale et enfin le gouverneur en conseil.

Avec raison, le gouvernement précédent a décidé de modifier le processus pour éliminer les longs délais inhérents à ces trois étapes, mais, ce faisant, il a compromis, à tort, l'équité de la procédure.

Nous voici avec le modèle en place, à l'autre extrême. Le processus se résume à une seule étape. Le ministre et la personne qu'il délègue sont le seul élément institutionnel qui intervient. Un délégué du ministre de l'Immigration peut révoquer la citoyenneté de citoyens canadiens. La sénatrice McCoy a expliqué jusqu'où cette délégation pouvait aller, et le citoyen visé n'a pas le droit de se faire entendre ni celui de connaître les faits qui sont retenus contre lui.

C'est grave. C'est grave parce que la révocation de la citoyenneté est une affaire grave, et d'autant plus grave que le gouvernement révoque la citoyenneté plus souvent que jamais par le passé. Je ne parle pas que du gouvernement précédent; je parle aussi du gouvernement actuel. Les sénateurs McCoy et Pratte ont donné des chiffres. L'an dernier, j'ai demandé au ministre alors en poste de suspendre les révocations jusqu'à l'adoption du projet de loi C-6. J'ai essuyé un refus.

Qu'on me permette de contextualiser l'enjeu. Voici l'exemple d'une jeune femme, une ressortissante égyptienne. Elle est devenue canadienne à l'âge de 8 ans. Parce qu'elle était mineure, sa demande de citoyenneté a été étudiée sous le nom de sa mère. En septembre 2015, lorsqu'elle a atteint l'âge de 18 ans et est devenue majeure, les autorités de l'immigration ont avisé ses parents de leur intention de révoquer sa citoyenneté et celle de sa famille à cause de fausses déclarations. Mme B. n'a jamais reçu ces documents, et ses parents ne l'ont jamais informée de l'avis qu'ils avaient reçu. Bien qu'elle ait été adulte, ses parents ont fait des déclarations en son nom à CIC, sans l'en informer, et sa citoyenneté a été révoquée en décembre 2015. Elle ne l'a appris qu'un an plus tard, en 2016.

Au bout du compte, parce que les documents ne lui avaient pas été remis en personne, le ministre a retiré la révocation et il a émis un nouvel avis, la prévenant de son intention de révoquer sa citoyenneté en mars 2016. Mme B. étudie dans une université canadienne et, depuis l'âge de 8 ans, elle s'est toujours considérée comme Canadienne d'abord et avant tout. J'avais 31 ans lorsque je suis arrivée, mais cette femme est venue au Canada à l'âge de 8 ans. Elle n'a jamais vécu en Égypte et elle n'en parle pas la langue d'usage. Elle n'a jamais fait de fausses déclarations, mais voilà qu'elle risque de perdre sa citoyenneté canadienne parce que, selon les allégations, ses parents auraient fait de fausses déclarations. Comme les sénateurs Pratte et McCoy l'ont expliqué, elle n'a droit à aucun des recours qui existent dans une procédure équitable.

Nous avons interrogé le ministère, nous avons interrogé le ministre, au comité, au sujet des garanties en place pour prévenir l'application injuste de ce processus administratif. On nous a répondu que ces garanties existaient. L'une d'elles est l'audience. N'étant pas juriste, je m'imagine l'audience comme un processus très officiel, avec un pupitre et trois personnes en face d'une autre. En fait, cette audience se résume à une rencontre avec le fonctionnaire D122 qui a signé la lettre.

Donc, la citoyenneté de 235 personnes a été révoquée. La lettre envoyée aux personnes visées précise qu'elles ont droit à une audience. J'ai donc demandé combien de citoyens dont la citoyenneté a été révoquée ou qui ont reçu cette lettre ont eu une audience, en réalité. Voulez-vous essayer de deviner, chers collègues? Aucun. Le 1er mars, le ministre a déclaré au Comité des affaires sociales que son ministère tient à l'équité procédurale. C'est justement ce que l'amendement veut apporter.

Voilà qui m'amène à notre amendement, une formule équilibrée, rapide mais juste. Les caractéristiques que je vais vous décrire ne sont pas de vains détails. Ce sont les éléments essentiels de l'application régulière de la loi. Premièrement, la personne se fera signifier personnellement la révocation, lorsque c'est raisonnablement faisable. Lorsqu'on ne peut la trouver parce qu'elle a déménagé et que personne ne sait où elle se trouve, la révocation sera signifiée indirectement, par exemple par l'entremise de la mère, du meilleur ami ou encore d'une autre personne qui peut recevoir la signification indirecte. Si on ne peut toujours pas trouver la personne, le ministre peut demander une dispense au tribunal et révoquer la citoyenneté.

Deuxièmement, l'avis remis au citoyen doit donner une information claire et le renseigner sur ses droits. Il doit donner les précisions suivantes : d'abord le droit de présenter des observations écrites; deuxièmement, la forme et les modalités à respecter pour présenter les observations; troisièmement, les motifs et les raisons de la décision, y compris les renvois à tout document sur lequel le ministre s'appuie pour prendre sa décision; enfin, le droit de demander à s'adresser à la Cour fédérale sans permission.

La personne a 60 jours pour répondre par écrit et présenter des observations à sa défense, y compris les motifs d'ordre humanitaire, comme dans le cas de Mme B., dont j'ai parlé. Le ministre doit obligatoirement les prendre en considération. La réglementation actuelle indique plutôt que le ministre « peut » les prendre en considération. Si la personne choisit de ne pas répondre dans les 60 jours, elle n'a plus aucun recours. Si on ne se prévaut pas de ce droit, on le perd, mais le citoyen peut décider de répondre dans les 60 jours et faire appel à la justice.

À ce stade, le ministre peut décider qu'il ne veut plus s'adresser aux tribunaux : « L'affaire est simple, j'ai de nouveaux renseignements et je vais rendre ma décision en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant ou de motifs d'ordre humanitaire, ou encore constater que la fraude alléguée n'a pas eu lieu. » Il peut décider de laisser tomber l'affaire. Ces dossiers peuvent être fermés rapidement et efficacement.

Par contre, si le ministre croit toujours qu'il y a eu fraude ou n'est pas convaincu qu'elle n'a pas eu lieu, il renvoie l'affaire devant les tribunaux. Aucune permission n'est nécessaire. Il n'y a aucune latitude. C'est l'application régulière de la loi.

À la Section de première instance de la Cour fédérale, le citoyen a un procès. Tous les faits sont communiqués et il est possible de présenter de nouveaux éléments de preuve. Il incombe au ministre et au ministère de prouver qu'il y a eu fraude selon la prépondérance des probabilités, après quoi la Cour fédérale décide si la citoyenneté est révoquée ou non.

Une fois la décision de la Cour fédérale rendue, il existe un droit limité d'appel auprès de la Cour fédérale d'appel. Comme le sénateur Pratte l'a signalé, le droit d'interjeter appel n'est accordé que s'il subsiste une question grave d'une importance générale.

Je veux faire bien comprendre qu'il y a ici deux droits. D'abord, le droit de s'adresser à la Cour fédérale et, dans un nouveau procès, le droit à la pleine divulgation de la preuve. Honorables sénateurs, il ne s'agit pas là de faire un cadeau. Ce ne sont pas des détails frivoles. C'est l'essence même du droit : le droit à un procès avec pleine divulgation des faits, la justice procédurale, l'équité et la justice naturelle, le droit de se faire entendre par un tribunal, de connaître les faits retenus contre soi. Offrir moins que cela serait faire affront à tous les citoyens.

Voilà ce que je nous demande, honorables sénateurs. Cet amendement corrige une grave injustice qui est faite aux Canadiens. Il assure l'application normale de la loi là où elle n'est pas assurée. Cet amendement, dans l'ensemble, normalise la situation. J'ai hâte de renvoyer le projet de loi à l'autre endroit avec votre appui. Merci beaucoup.

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