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Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (C-16)

Troisième lecture

30 mai 2017


L’honorable Sénatrice Raymonde Saint-Germain :

Honorables collègues, permettez-moi, d'entrée de jeu, de souligner l'intérêt des précédents échanges, et de ceux d'aujourd'hui, sur le projet de loi C-16. Plusieurs arguments étoffés ont été exprimés, notamment en ce qui a trait à la portée des mesures proposées. Des collègues ont déjà savamment expliqué l'utilité du projet de loi C-16, qui permettrait de protéger les personnes contre la discrimination et la propagande haineuse, quand celles-ci mettent en cause l'identité et l'expression de genre.

Il a été dit, à juste titre, que la plupart des provinces canadiennes ont déjà modifié leur loi sur les droits et libertés pour y ajouter l'identité et l'expression de genre à la liste des motifs de distinction illicite. Une modification de même nature de la Loi canadienne sur les droits de la personne compléterait l'appareil législatif en assurant une protection contre la discrimination dans les domaines qui sont de ressort fédéral.

Dans les faits, le projet de loi C-16 n'apporte rien de neuf à la conception de l'identité ou de l'expression de genre. Tout ce qu'il fait, c'est rendre plus cohérente la législation nationale contre la discrimination tout en satisfaisant aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, notamment à l'égard des personnes trans. Cela dit, il fait naître des préoccupations chez certains. Des sénateurs, en jouant ainsi fidèlement leur rôle de parlementaire, ont soulevé ici les préoccupations et les craintes exprimées par certains de ceux que nous représentons.

Il y a deux sujets principaux de préoccupation : la liberté d'expression et la sécurité pour tous.

Permettez-moi de souligner la valeur de la nature de ces objections. En tant qu'ancienne Protectrice du citoyen du Québec, il va sans dire que j'accorde beaucoup d'attention à de telles considérations. C'est pourquoi je me permets de partager avec vous, estimés collègues, les conclusions auxquelles je suis arrivée par rapport à ces considérations.

Premièrement, la liberté d'expression si intimement liée à la vie au sein d'une démocratie n'a ni préséance sur les autres droits garantis par la Charte ni une portée sans borne. L'une des limites à ce droit est bien évidemment la propagande haineuse. Par exemple, selon les balises posées par les tribunaux, l'expression d'une critique virulente, voire d'une idée choquante contre un groupe, ne constitue pas de la propagande haineuse, et le projet de loi C-16 ne modifie en rien cette liberté.

De même, la loi protège l'expression de bonne foi d'une opinion sur un sujet religieux. Le fort consensus juridique sur ce point m'apparaît suffisant pour écarter l'hypothèse selon laquelle nous débattons actuellement de dispositions liberticides. Je me permets cependant d'ajouter ceci : il m'apparaît que, dans l'histoire, la reconnaissance du droit de certains groupes à être traités sur un pied d'égalité avec tous les Canadiens et Canadiennes a toujours fait débat, quelle que soit l'époque, et que l'obtention d'une égalité effective au sein de la société demeure ensuite un perpétuel combat pour ceux-ci. Pensons aux femmes, aux minorités ethniques et religieuses et à la communauté homosexuelle, entre autres, dont les droits ont été débattus dans cette Chambre depuis le début de la Confédération.

Le projet de loi C-16 est pour nous, sénateurs, une occasion unique de marquer un autre jalon dans la reconnaissance du droit à l'égalité au Canada, une occasion, il faut le reconnaître, que nous avons trop tardé à saisir. Les statistiques et les témoignages que nous avons reçus sont sans équivoque — et le sénateur Mitchell y a brillamment fait référence il y a quelques minutes. Les personnes transgenres vivent de graves injustices, telles que la violence physique et verbale, la discrimination dans les services privés et publics et, plus largement, le déni de la reconnaissance de leur identité. Malheureusement, cette population ne bénéficie pas en ce moment d'une protection légale aussi étendue que d'autres groupes. L'expression d'une sensibilité à leur situation ne peut être sincère que si elle s'accompagne de mesures concrètes. En cela, le projet de loi C-16 est un premier pas.

Le droit à la sécurité, la deuxième objection que nous avons souvent entendue dans le cadre de nos consultations, plus particulièrement celui des femmes, a souvent été avancé. À titre de femme, de mère et d'ancienne Protectrice du citoyen, il s'agit d'une considération qui ne m'échappe pas.

On a évoqué plusieurs fois des appréhensions quant à la présence de personnes transgenres dans les toilettes publiques. De même, la crainte que des personnes expriment faussement leur identité sexuelle dans le but de commettre des gestes de nature criminelle est bien réelle. Dans ce dernier cas de figure, il convient de rappeler que, dans un État de droit, de tels comportements sont illicites et commandent une sanction appropriée, une sanction notamment prévue au Code criminel. Dans les faits, la théorie selon laquelle il y aurait plus de risques d'agression dans les salles de toilette fréquentées par les personnes transgenres que dans celles dont l'accès est établi en fonction du sexe biologique des individus est bancale.

D'ailleurs, s'il faut souligner la précarité de la sécurité, c'est bien celle des personnes transgenres. Aux États-Unis, 12 p. 100 des personnes transgenres ont été victimes d'un geste criminel — harcèlement, agression physique ou sexuelle — dans les toilettes publiques. Ajouter la haine fondée sur l'identité ou l'expression de genre à la liste des circonstances aggravantes dont on tient compte dans la détermination d'une peine pour un acte criminel est une réponse à la violence commise envers la population transgenre. En cela aussi, le projet de loi C-16 est un premier pas.

Bien évidemment, le projet de loi C-16 entraînera des adaptations au sein des institutions de compétence fédérale auxquelles s'applique la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est vrai que cela posera certaines contraintes aux services publics et à certaines entreprises, qui devront s'arrimer à cette nouvelle protection.

Ces accommodements administratifs sont-ils trop importants pour nous forcer à reconsidérer l'adoption de ce projet de loi? L'importance de la proportionnalité et du caractère raisonnable de la loi ne m'échappe pas. Cependant, après avoir analysé le projet de loi C-16, qui a pour objet la sensibilisation, la prévention et, lorsque nécessaire, la répression, je crois qu'aucune contrainte excessive n'est imposée par les dispositions proposées. Je n'ai entendu aucun argument convaincant qui démontre le contraire.

Pour cette raison, je crois qu'il faut être très prudent lorsque l'on remet en question la jouissance de droits fondamentaux d'une partie de la population sous le seul prétexte que cela nécessite un accommodement. Il ne faut pas non plus faire dire au projet de loi ce qu'il ne dit pas. Il s'agit d'un ajustement législatif qui rendra plus uniforme au Canada la protection contre la discrimination de l'expression et de l'identité de genre. Je tiens à le rappeler : il n'y a pas de minorité ou de groupe vulnérable au Canada qui ne soit pas assez important pour qu'on lui refuse l'accès aux mêmes services que le reste de la population d'un océan à l'autre. Les droits des personnes transgenres doivent impérativement être reconnus par le gouvernement canadien. En cela, le projet de loi C-16 représente un autre premier pas.

Je souhaite reconnaître, en terminant, tout le travail réalisé par les membres du Sénat pour comprendre la réalité des personnes transgenres. Il s'agit d'un sujet encore trop méconnu et, en raison de la discrimination systémique dont elle fait l'objet, il est souvent difficile pour la population transgenre d'avoir une tribune pour se faire entendre.

Honorables sénateurs, de l'exercice démocratique auquel nous avons participé en débattant de ce projet de loi se dégage un constat. Nous devons impérativement entamer un dialogue plus profond avec la communauté transgenre. Je le répète, le projet de loi C-16 n'est qu'un premier pas et il ne doit pas signifier la fin de l'oreille et de la main tendues.

Je souhaite maintenant m'adresser à mes concitoyens et concitoyennes de toute expression et identité de genre. Je vous le dis, ce projet de loi, lorsqu'il recevra la sanction royale, sera dès lors une loi de reconnaissance et de protection : votre reconnaissance et votre protection. À partir de maintenant, je crois que vous devez profiter de cette main tendue et contribuer, sur ce chemin parsemé d'embûches, à une meilleure compréhension et à la non- discrimination. Vous devez continuer de profiter de toutes les occasions démocratiques et pacifiques de vous faire comprendre.

Enfin, comme le Service de police de la Ville d'Ottawa nous y invite dans une correspondance que nous avons tous reçue, sénateurs et sénatrices, j'aimerais souligner l'importance de poursuivre ce dialogue, de comprendre cet enjeu et de nous assurer que tous les services publics et tous nos concitoyens seront traités avec le même respect et la même égalité. Honorables sénateurs et sénatrices, pour toutes ces raisons, je voterai en faveur du projet de loi C-16. Merci.

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