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Président du Sénat

Décision du Président – Question de privilège - Rapport du Comité de sélection


Honorables sénateurs,

Je suis prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée par le sénateur Wallace le 26 janvier concernant le deuxième rapport du Comité de sélection présenté au Sénat le 9 décembre 2015 et adopté le lendemain. Ce rapport recommandait les membres des divers comités permanents. Le sénateur Wallace a soulevé une question de privilège en raison du fait que ce rapport prévoyait seulement deux sénateurs indépendants parmi les sénateurs désignés pour faire partie des comités. Le sénateur Wallace a fait valoir que cela le privait, tout comme d’autres sénateurs indépendants, du droit de participer à une fonction parlementaire essentielle. Il affirme, par conséquent, que les sénateurs indépendants ne peuvent pas contribuer pleinement au rôle du Sénat en tant qu’assemblée législative de second examen objectif.

Le sénateur Wallace estime que les limites ainsi imposées aux sénateurs indépendants sont déraisonnables, injustes, inéquitables et discriminatoires, et qu’elles créent un outrage au Parlement. Il s’oppose au système actuel de détermination et de gestion de la composition des comités dans lequel les deux whips jouent un rôle clé. Plusieurs des sénateurs qui ont pris la parole sur cette question de privilège partageaient au moins certaines des préoccupations du sénateur Wallace.

D’autres sénateurs, par contre, estimaient qu’il n’y avait pas, dans le point soulevé par le sénateur Wallace, matière à question de privilège. La sénatrice Fraser, par exemple, a mentionné que les pratiques en vigueur étaient bien établies et parfaitement normales, et elle a cité, à l’appui, des autorités parlementaires. Elle a aussi indiqué que c’est dans l’enceinte du Sénat, et non en comités, que les sénateurs jouent leur rôle le plus important. Elle a ajouté que le Sénat a le droit d’organiser ses travaux comme bon lui semble et qu’il a mis en place le système actuel pour déterminer la composition des comités. Le sénateur Joyal a également réitéré la chose et insisté sur l’importance des débats pour déterminer l’issue des travaux parlementaires. Les débats permettent à tous les sénateurs de contribuer aux décisions finales prises par le Sénat, a-t-il dit, et il serait préférable d’examiner la plainte du sénateur Wallace dans le cadre d’une motion et non d’une question de privilège.

Les sénateurs Baker, McCoy, Smith (Cobourg), Cools, Dyck et Ringuette ont tous pris part au débat, et je les en remercie. Le fait de permettre à tous les sénateurs de contribuer aux comités est une question sur laquelle les sénateurs, de toute évidence, ont des opinions bien arrêtées. Même les sénateurs qui estimaient qu’il n’y avait pas matière à question de privilège comprenaient le sénateur Wallace.
En tant que Président, mon rôle ici consiste à évaluer la question selon les quatre critères énoncés à l’article 13‑2(1) du Règlement, qui doivent tous être respectés pour qu’une question de privilège soit fondée à première vue. Aux termes de cet article, la question de privilège :

a) est soulevée à la première occasion;
b) se rapporte directement aux privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur;
c) vise à corriger une atteinte grave et sérieuse;
d) cherche à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire.

En ce qui concerne le premier critère, le rapport en question a été présenté au Sénat le mercredi 9 décembre 2015. Les recommandations du Comité de sélection à propos des membres des comités étaient connues de tous les sénateurs dès ce moment-là. Un sénateur aurait pu soulever une question de privilège le lendemain, ce qui aurait constitué la première occasion. Par conséquent, le premier critère n’est pas respecté.

En général, les deuxième et troisième critères peuvent être examinés ensemble, car ils sont très étroitement liés. Les sénateurs connaissent bien la définition, qui figure à l’annexe I du Règlement du Sénat. Le privilège s’entend des « droits, pouvoirs et immunités particuliers à chaque Chambre collectivement, et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ils dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers. » Les privilèges de chacun des sénateurs n’existent pas en vase clos; ils existent pour que nous puissions nous acquitter de notre rôle de membres du Sénat. Les privilèges dont nous jouissons à titre individuel ne sauraient l’emporter sur les privilèges du Sénat. Comme on peut le lire à la page 203 de la 24e édition de l’ouvrage d’Erskine May, « les membres d’une Chambre jouissent de privilèges individuels uniquement pour que la Chambre puisse s’acquitter collectivement de ses fonctions. » Et on abonde dans le même sens à la page 224 de l’ouvrage La Procédure du Sénat en pratique, où l’on peut lire que le privilège « appartient essentiellement et collectivement à l’assemblée ou à la Chambre ».

En soulevant cette question de privilège, le sénateur Wallace affirme que le rapport du Comité de sélection a enfreint le privilège, même s’il a, dans les faits, été adopté par le Sénat. Le sénateur soutient donc que le Sénat a enfreint ses propres privilèges ou les privilèges de ses membres à titre individuel. Je le répète, ces privilèges existent dans l’intérêt de l’institution comme telle. Les décisions du Sénat ne peuvent enfreindre les privilèges de l’institution. Par conséquent, les deuxième et troisième critères ne sont pas respectés.

En ce qui concerne le dernier critère, le sénateur Wallace s’est dit prêt à présenter une motion demandant une véritable réparation au Sénat. Nous devons toutefois nous assurer que la réparation ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire. Dans le cas présent, il existait ‑ et il existe ‑ d’autres procédures pour régler les points mentionnés par les sénateurs au sujet de la façon de désigner les membres des comités et la façon de gérer la composition des comités. Aux termes de l’article 12-14 du Règlement, les sénateurs ont le droit d’assister aux séances du Comité de sélection et de tout autre comité dont ils ne font pas partie, à l’exception du Comité sur l’éthique et les conflits d’intérêts. Dans le cas présent, lorsque le Sénat a été saisi du rapport du Comité de sélection, la sénatrice McCoy a proposé qu’il soit renvoyé au comité. D’autres sénateurs auraient aussi pu proposer des amendements, et le Sénat aurait pu rejeter le rapport s’il n’en avait pas approuvé la teneur. Encore aujourd’hui, même si le rapport a été adopté, il y a d’autres recours possibles. Un sénateur pourrait, par exemple, présenter une motion de fond, après en avoir donné préavis, pour faire modifier les dispositions pertinentes du Règlement ou revoir la composition d’une partie ou de la totalité des comités. Par conséquent, le quatrième critère n’est pas respecté.

Même si le sénateur Wallace a exprimé une préoccupation partagée par bon nombre de ses collègues, après avoir analysé la question sur le plan de la procédure parlementaire, nous concluons que la question de privilège n’est pas fondée à première vue. Cela dit, ma décision n’empêche aucunement le sénateur Wallace et d’autres honorables sénateurs de recourir à d’autres mécanismes pour traiter de cette importante question. Comme cela a déjà été mentionné, de nombreux collègues souhaitent trouver un moyen de permettre aux sénateurs indépendants de contribuer pleinement à tous les aspects de nos travaux. Le Sénat a le pouvoir de modifier son Règlement et ses pratiques, s’il juge bon de le faire, pour tenir compte du nombre croissant de sénateurs indépendants au Sénat.

 

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