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Discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

19 février 2020


Honorables sénateurs, je profite du dernier discours du Trône, qui insistait sur la volonté du gouvernement de renforcer la classe moyenne, pour vous parler d’un sujet qui est essentiel à la poursuite de cet objectif. Vous l’aurez deviné, il s’agit du développement des compétences.

Il faut souligner d’entrée de jeu que le renforcement de la classe moyenne préoccupe non seulement le gouvernement du Canada, mais également de nombreux pays et organisations internationales, et pour cause. Un tout récent rapport de la firme McKinsey intitulé The social contract in the 21st century nous apprenait que, depuis le tournant du siècle, et je cite en anglais :

La polarisation vers les emplois hautement spécialisés et les emplois peu spécialisés a causé l’érosion de 7 millions d’emplois semi-spécialisés à salaire moyen dans 16 pays européens et aux États-Unis, et ce, malgré la forte croissance de l’emploi en général [...]

Même si les auteurs de l’étude signalent que cette tendance s’est ralentie, en particulier aux États-Unis, l’avenir du marché du travail n’est pas nécessairement brillant.

En effet, le directeur de la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, Stefano Scarpetta, soutient ce qui suit :

Un monde du travail meilleur n’est pas garanti — cela dépendra, dans une large mesure, de la mise en œuvre des politiques et des institutions adaptées.

Il est dorénavant impératif pour la santé économique du Canada, le progrès de sa classe moyenne et l’inclusion des groupes vulnérables que les groupes stratégiques et les gouvernements se concertent afin de développer une vision commune, voire une stratégie de développement des compétences.

Les compétences sont devenues une monnaie d’échange sur le marché du travail. Je n’ai pas inventé cette expression, même si j’utilise souvent cette comparaison. Elle est de plus en plus utilisée dans le monde. Or, pour renforcer la classe moyenne et soutenir les groupes vulnérables, il faudra faire en sorte que tout un chacun possède les compétences nécessaires, cette monnaie d’échange du XXIe siècle, pour bien évoluer sur le marché du travail.

J’expliquerai plus loin pourquoi et comment la prospérité, le développement des compétences et le dialogue social sont intimement liés.

D’abord, parlons brièvement du contexte à venir. Selon les experts, les changements technologiques, y compris l’arrivée de l’intelligence artificielle, auront des effets perturbateurs sur le marché du travail beaucoup plus importants que ce que l’on a vu par le passé. L’arrivée de ces technologies dans un contexte de vieillissement des populations, de changements climatiques et de rapidité des changements nécessitera une mise à jour continue des compétences.

Dans son rapport sur l’emploi de 2019, l’OCDE prévoit que, au cours des 15 à 20 prochaines années, 14 % des emplois au sein des pays membres risquent d’être automatisés, et que 32 % seront fort probablement radicalement transformés. L’impact sera différent d’un pays à l’autre, mais il sera assurément important.

L’OCDE prévoit que, au Canada, plus de 40 % des emplois seront automatisés ou transformés. Les Canadiennes et les Canadiens doivent se préparer à cette réalité. Je le répète, il en va de la préservation de la classe moyenne, du principe de l’égalité des chances et d’une prospérité partagée.

Comme par le passé, les changements technologiques vont créer de bons emplois et feront disparaître de nombreux emplois routiniers, notamment ceux qui sont occupés par les travailleurs les moins qualifiés. L’OCDE prévoit que plusieurs de ces changements toucheront davantage des groupes déjà vulnérables. La conséquence de ceci est la suivante : si rien n’est entrepris collectivement pour aider les personnes à s’adapter et à profiter de ces changements, les inégalités de revenu risquent de s’accroître.

Il faut agir dès maintenant. Les organismes internationaux comme l’OCDE, le Bureau international du travail, le Forum économique mondial, pour ne nommer que ceux-là, invitent tous les pays à passer à l’action. Plusieurs pays l’ont déjà fait et ont adopté des stratégies audacieuses en matière de développement des compétences.

Au Canada, malheureusement, malgré de belles initiatives dans le domaine, nous faisons face à un problème d’action collective. Une vision partagée, qui permettrait d’engager de nouveaux investissements, de développer un langage commun pour répondre aux besoins de formation et de favoriser l’implantation d’une culture de l’apprentissage tout au long de la vie, fait cruellement défaut.

Au Canada, il est difficile d’implanter une action collective, car il est difficile de parvenir à un consensus dans de nombreux dossiers. Outre les questions touchant les compétences, les stratégies électorales entre des gouvernements de différentes allégeances nuisent souvent aux décisions et aux actions à grande échelle. Il existe toutefois une solution.

Le dialogue social peut contribuer à définir des consensus et à favoriser l’action collective. Le dialogue social peut contribuer à adopter des stratégies visant à augmenter la participation des Canadiens au développement des compétences tout au long de la vie.

Plus spécifiquement, le dialogue social permet de produire une information plus complète sur les enjeux, les besoins, les coûts et les bénéfices. Cela est particulièrement important pour les défis relatifs à la main-d’œuvre et au marché du travail. Les gouvernements et les fonctionnaires — malgré tout le respect que j’ai pour les fonctionnaires, puisque je l’ai été moi-même dans autre une vie — n’ont pas toute l’information nécessaire qui leur permettraient de créer des programmes parmi les plus efficaces. Ils se basent sur des statistiques qui ne représentent qu’une partie de la réalité, ou encore sur des consultations qui ne montrent souvent qu’un seul côté de la médaille.

Les associations qui représentent la main-d’œuvre et les entreprises peuvent, ensemble, brosser un tableau plus complet des besoins en matière de main-d’œuvre et de développement des compétences. Le dialogue social permet aussi d’éclairer des zones de consensus mutuellement avantageuses, ce que des consultations peuvent laisser dans l’ombre. Cela est majeur. Enfin, grâce au dialogue social, il devient plus facile de mettre en œuvre des programmes et des mesures qui auront les impacts durables souhaités.

Les groupes sociaux et économiques comme les associations de travailleurs et d’entreprises peuvent montrer la voie à suivre pour atteindre certains objectifs communs en matière de développement des compétences, comme d’autres relativement au dynamisme du marché du travail. Ces associations ont de nombreux intérêts en commun. Elles ont parfois des divergences d’opinions, mais elles peuvent souvent être des partenaires et élaborer des stratégies qui profitent à tout le monde.

À l’échelle canadienne, le dialogue social entre la main-d’œuvre et les entreprises n’est pas une pratique aussi courante que, par exemple, dans ma province, le Québec. Pourtant, la pratique du dialogue social, même informelle, peut être fort utile pour promouvoir une action collective inclusive et efficace à la fois.

C’est dans cette perspective que je travaille depuis plusieurs mois, depuis presque plus d’un an, à construire un lieu de dialogue entre les associations patronales et syndicales ainsi que les institutions de formation, afin de promouvoir le développement des compétences tout au long de la vie.

Une première table ronde s’est tenue le 31 janvier dernier dans la Chambre du Sénat. Cette rencontre a été possible grâce à la collaboration de la Chambre de commerce du Canada, du Congrès du travail du Canada et de Collèges et instituts Canada.

Je tiens à remercier tout particulièrement Perrin Beatty et Leah Nord, de la Chambre de commerce du Canada, Hassan Yussuff et Chris Roberts, du Congrès du travail du Canada, ainsi que Denise Amyot et Anna Toneguzzo, de Collèges et instituts Canada, de leur soutien lors de l’organisation de cet événement.

Plus de 40 personnes représentant des associations patronales, syndicales et les milieux de l’éducation et de la formation se sont réunies toute la journée dans le but de discuter et de dégager des consensus sur des moyens à prendre pour combler le déficit dans les compétences et relever les défis en matière de formation de la main-d’œuvre. Tous ont convenu de respecter la règle de Chatham House, selon laquelle chacun peut rapporter les propos qui ont été abordés sans les attribuer à des individus particuliers.

On peut considérer que cette première rencontre a été un succès, puisque tous les participants ont exprimé le désir d’échanger à nouveau. Les participants se sont réjouis de constater que le Sénat du Canada pouvait jouer un rôle pour alimenter le dialogue autour de la question des compétences.

Nous avons commencé la journée du 31 janvier en présentant les résultats d’un sondage que j’ai entrepris dans le but de connaître les perceptions des Canadiennes et des Canadiens quant aux répercussions des changements à venir et à leurs besoins de formation.

Mon bureau a financé la réalisation de ce sondage hybride mené de façon aléatoire auprès de 1 010 Canadiens âgés de 18 ans et plus et exécuté par la firme Nanos, entre le 29 novembre et le 2 décembre 2019. J’en profite pour remercier chaleureusement M. Michel Cournoyer, éditeur du Job Market Monitor, de son travail méticuleux dans l’élaboration et l’analyse des données de ce sondage. Ce sondage, tout comme la journée du 31, n’aurait pu voir le jour sans sa précieuse collaboration.

Permettez-moi maintenant de vous présenter les faits saillants du sondage. Vous pourrez consulter mon site Web pour obtenir plus de détails.

La première chose qui en est ressortie est que la perception qu’ont les Canadiens de l’impact de l’évolution de la technologie sur leur emploi est réaliste comparativement aux prévisions des spécialistes, mais un peu plus pessimiste que les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques.

En fait, environ 18 % des répondants qui travaillent, ou environ 3,4 millions de travailleurs canadiens, croient que les changements technologiques menacent leur emploi, et 35 % des répondants qui travaillent croient que ces changements auront une incidence sur leurs tâches professionnelles et qu’ils auront besoin de formation. Cela représente environ 6,6 millions de travailleurs. En tout, environ 10 millions de Canadiens croient que leur emploi sera touché par les changements technologiques.

La deuxième chose qui est ressortie du sondage est que plus de la moitié des Canadiens manifestent de l’intérêt pour suivre des cours de formation. Cependant, 40 % de ces derniers disent qu’ils n’ont ni les moyens ni le temps de suivre des cours. Plus précisément, on estime que 11,4 millions de travailleurs canadiens actifs aimeraient suivre des cours de formation, mais 4,6 millions d’entre eux ne peuvent pas se le permettre ou n’ont pas de temps à y consacrer.

Maintenant, je vais parler plus longuement des compétences nécessaires. La troisième chose qui est ressortie du sondage est que près de la moitié des répondants pensent qu’ils devraient suivre une formation pour améliorer leurs compétences professionnelles ou informatiques. De plus, un travailleur actif sur 10, ou 2,1 millions de Canadiens, croient qu’ils doivent améliorer certaines compétences essentielles, comme leurs habiletés de lecture. Également, 5,4 millions de personnes veulent améliorer leurs compétences en mathématiques.

Nous avons aussi demandé aux Canadiens si un compte personnel de formation pourrait être utile, selon eux, pour augmenter la formation. Plus de la moitié des répondants sont d’avis qu’un compte personnel de formation — un compte semblable au Régime enregistré d’épargne-études, auquel le gouvernement, l’employeur ou les deux pourraient cotiser — permettrait d’augmenter la formation. De plus, 4 répondants sur 10 se sont dits prêts à cotiser à un tel compte.

Ces résultats s’ajoutent à ceux d’un sondage que j’ai mené avec CROP en 2014, qui révélait qu’une grande majorité de Canadiens, soit 8 sur 10, seraient ouverts à suivre une formation pour améliorer leurs compétences si elle était financée par l’assurance-emploi.

Ces résultats indiquent clairement qu’une bonne majorité de Canadiennes et de Canadiens perçoivent les défis auxquels ils ou elles doivent faire face. Une bonne majorité d’entre eux souhaitent développer leurs compétences et accueilleraient favorablement une stratégie publique à cet effet. Les résultats plus détaillés indiquent aussi qu’il sera nécessaire d’adopter des mesures ciblées pour les groupes les plus vulnérables, qui sont moins prêts à faire de la formation.

Revenons à la journée du 31 janvier 2020. Comme je le disais, la journée a été fructueuse. Les participants se sont entendus sur des principes de base qui pourraient orchestrer les multiples initiatives déjà entreprises dans une stratégie cohérente et globale de développement des compétences. Ces principes incluent notamment l’universalité, l’égalité des chances et l’inclusivité, le respect des champs constitutionnels, l’accessibilité et la simplicité, l’efficacité et la pertinence, pour ne nommer que ceux-là.

Les discussions se sont déroulées dans le respect du point de vue des participants et tous ont exprimé le désir de se revoir bientôt pour poursuivre les échanges. Alors que la première rencontre portait davantage sur l’état de la situation, les implications et les enjeux du financement, la prochaine devrait aborder principalement une lecture commune des besoins.

Il a été clairement établi que les réflexions de cette table ronde devraient s’arrimer, mais sans s’y limiter, aux initiatives gouvernementales en cours. On a également souligné qu’une telle table ronde ne peut exister indéfiniment de manière informelle et en parallèle avec l’action gouvernementale. Toutefois, même si une collaboration éventuelle avec les représentants...

Oui, s’il vous plaît.

Toutefois, même si une collaboration éventuelle avec les représentants du gouvernement paraît souhaitable, cela n’exige pas nécessairement que ces derniers participent aux échanges de la table informelle. Il y a des avenues de communication à privilégier avec la ministre de la Prospérité de la classe moyenne, l’honorable Mona Fortier, qui est venue saluer les participants à l’heure du déjeuner, ainsi qu’avec la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, l’honorable Carla Qualtrough, qui était représentée à l’heure du déjeuner par son secrétaire parlementaire, Irek Kusmierczyk.

De toute évidence, le Sénat, en raison de sa nature même et parce que ses membres sont nommés pour plus longtemps que pour un mandat électoral, est en mesure de contribuer au développement du dialogue social au Canada.

En terminant, je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont participé à cette journée, ainsi que les traducteurs, le personnel du Sénat, le bureau de l’huissier du bâton noir, ma conseillère Julie Labelle-Morissette, ainsi qu’Éline Hu et Amélie Crosson, qui ont travaillé sur ce projet et, enfin, Benoît Hubert, de la firme PGF, pour ses services-conseils.

Chers collègues, merci de m’avoir écoutée. C’est avec plaisir que je vous informerai plus en détail des suites de cette journée. Merci.

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