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Le pont de la Confédération et le péage

Interpellation--Suite du débat

30 mai 2019


Honorables collègues, j’aimerais me joindre à ceux qui appuient l’interpellation du sénateur Downe.

J’ai toujours vécu sur l’Île-du-Prince-Édouard et je suis entièrement d’accord avec le sénateur Downe lorsqu’il dit que nous, les insulaires, sommes heureux de pouvoir utiliser ce pont qui nous donne accès au continent. Je me souviens du temps où le traversier était le seul moyen de transport entre l’île et le continent. Ce n’était pas toujours facile d’organiser sa vie selon l’horaire du traversier ou selon le temps qu’il faisait, surtout lorsqu’il s’agissait de rendez-vous ou de traitements médicaux qu’il fallait prévoir des semaines à l’avance. Ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on faisait la queue sur les quais dans la crainte de manquer le traversier ou que l’on affrontait la neige, la glace ou le vent en hiver.

L’Île-du-Prince-Édouard est petite selon les normes canadiennes. Notre population est à peine de 150 000 habitants, mais l’île n’en est pas moins une province à part entière, au même titre que l’Ontario, le Québec ou la Colombie-Britannique.

À elle seule, la région métropolitaine de Montréal a plus de 4 millions d’habitants. Ainsi, la population de la province tout entière ne représente que 0,4 p. 100 de celle de la deuxième ville du Canada. Notre assiette fiscale est donc minuscule. Théoriquement, pour ceux qui jonglent avec les chiffres à Ottawa, il pourrait sembler tout à fait raisonnable d’avoir une approche différente pour le pont de la Confédération et le nouveau pont Champlain, même si tous deux appartiennent au gouvernement fédéral.

Selon le site web d’Infrastructure Canada, on s’attend à ce que, dans le contexte de la circulation et des échanges commerciaux, environ 50 millions de véhicules franchissent tous les ans le pont Champlain. Ce chiffre comprend les 11 millions d’utilisateurs qui feront la navette entre Montréal et ses banlieues.

En revanche, on prévoit que, sur le plan local — c’est-à-dire les insulaires qui partent de la maison et qui y retournent —, il y aura environ 900 000 traversées par année. Les touristes, au cours de l’été, les autobus et les camions gros porteurs commerciaux feront porter le nombre total de traversées à environ 1,5 million par année. C’est donc 50 millions comparativement à 1,5 million. Je comprends. Les chiffres ne mentent pas.

Je ne suis pas cynique. Je refuse de croire que la décision de ne pas installer de postes de péage sur le nouveau pont Champlain de Montréal relève de considérations politiques. Toutefois, le pont de la Confédération et le pont Champlain appartiennent tous les deux au gouvernement fédéral. Alors que le pont Champlain est nécessaire en raison de l’étalement urbain de Montréal, le pont de la Confédération est nécessaire aux termes de la Constitution. En 1873, l’Île-du-Prince-Édouard a accepté d’adhérer à la Confédération en partie parce que le Canada lui avait promis un lien avec le continent à longueur d’année. Le pont de la Confédération représente ce lien. Or, un cynique pourrait conclure que le sentiment d’injustice que suscite la situation du pont Champlain par rapport à celle du pont de la Confédération repose sur autre chose que l’affirmation du gouvernement selon laquelle les Montréalais vont obtenir un pont de remplacement.

Le pont de la Confédération a remplacé le traversier qui était requis aux termes de la Constitution. Il ne s’agit pas d’un ajout. On ne compare pas ici des pommes avec des oranges; on compare des oranges avec des oranges. Si l’argument lié au remplacement s’applique aux Montréalais, il devrait aussi s’appliquer aux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Downe a souligné de façon éloquente la disparité entre le fardeau financier imposé aux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et celui imposé dans d’autres régions du Canada et l’injustice qui en découle. Il a aussi souligné les coûts liés aux divers ponts. Je ne répéterai pas tous les chiffres, mais j’insiste sur le fait que les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard paient 47,75 $ pour quitter la province. Ces gens sont aussi des contribuables. Par conséquent, le pont Champlain, qui appartient au gouvernement fédéral et qui coûtera 25 millions de dollars de fonds publics fédéraux par année à entretenir une fois que sa construction sera terminée, est aussi payé par les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard. En termes simples, les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard doivent payer 47,75 $ chaque fois qu’ils quittent leur province et ils devront payer on ne sait trop combien de plus en avril lorsque viendra le temps des impôts.

Les Mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard habitent ces terres depuis plus de 10 000 ans. Lorsque les colons français et anglais ont commencé à arriver au début des années 1700, ils ont conclu des traités d’amitié avec eux afin de cohabiter de façon amicale. Je partage vraiment la même mentalité que mes ancêtres.

Je ne suis pas déraisonnable et, selon moi, les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard ne le sont pas non plus. La commodité du pont dépasse de loin l’incertitude du service de traversiers. Néanmoins, j’ai lu le discours du sénateur Downe attentivement. J’ai aussi examiné le rapport du directeur parlementaire du budget que le sénateur Downe avait commandé en 2016. Il y a des façons de régler cette question.

Ce qui me préoccupe, c’est la disparité entre les régions du Canada. Notre territoire est immense. Je comprends entièrement la nécessité de traiter les régions et les concentrations de population différemment. Je suis d’accord avec le sénateur Downe pour dire que la décision relative au pont Champlain a peut-être involontairement, à mon avis, occasionné du ressentiment chez les Canadiens et dans les autres régions.

En tant qu’ancien chef mi’kmaq et négociateur, je décompose toujours un problème en éléments de base et tente de déterminer précisément ce qui convient aux deux parties et ce qui doit faire l’objet de discussions pour parvenir à un compromis.

Les habitants de l’île et le gouvernement s’entendent pour dire que le pont de la Confédération est nécessaire pour le bien-être économique et le mode de vie des habitants de l’île, ainsi que pour l’amélioration du tourisme et du commerce pour l’Île-du-Prince-Édouard. Les habitants de l’île et le gouvernement conviennent que le pont a considérablement amélioré la vie quotidienne des habitants de l’île.

Les habitants de l’île et le gouvernement ne s’entendent pas parce qu’il semble qu’une région du Canada est traitée différemment d’une autre en fonction d’une décision prise au hasard dans une situation qu’on pourrait dire identique.

Le rapport du directeur parlementaire du budget commandé par le sénateur Downe offre quelques idées dont il vaut la peine de discuter, qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt pour les habitants de l’île afin de compenser le fardeau des droits de péage actuel, de la réduction des droits de péage exigés combinée à une période de perception prolongée, ou de ce qu’il en coûterait aux contribuables pour éliminer complètement le péage.

Dans le contexte politique actuel, avec la multiplication des opinions contraires sur toutes les questions, grandes ou petites, il y a amplement de sujets de discussion et de désaccord beaucoup plus importants que l’imposition d’un droit de passage sur un pont. Cette question ne devrait pas faire en sorte que des Canadiens se sentent marginalisés ou ignorés, en fonction de l’endroit où ils habitent ou de la portée de leurs opinions. Le gouvernement fédéral ne devrait pas agir de façon à permettre qu’on s’imagine qu’il favorise un électorat en raison de sa taille.

Je vais donner au gouvernement le bénéfice du doute et supposer que ce n’était pas son intention, mais je m’attends également à ce qu’il entame des discussions sur ces problèmes afin que les habitants de l’île sachent qu’on a entendu leurs préoccupations et qu’on s’en occupe.

Wela’lioq. Merci.

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