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Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation

Motion d'amendement

28 novembre 2023


L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-29, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau au préambule, à la page 1, par substitution, aux lignes 2 et 3, de ce qui suit :

« que, depuis des temps immémoriaux, les Premières Nations et les Inuits — et, après les premiers contacts, les membres de la Nation métisse — se sont épanouis sur leur territoire et en ont as- ».

Merci, meegwetch.

Honorables sénateurs, je souhaite donner mon appui à l’amendement proposé par la sénatrice McPhedran au projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Chers collègues, l’expression « temps immémoriaux » se retrouve dans bon nombre de recherches, d’articles, de livres et de documents et elle est employée par les chefs, les aînés, les gardiens du savoir et les universitaires des Premières Nations. Dans la mentalité autochtone, il s’agit d’une façon d’honorer le lien qui nous unit au Créateur. Dans nos prières, nous disons d’ailleurs ceci en langue crie : kâkike, kâkike, ce qui veut dire « pour toujours et à jamais ». Cette formule nous rappelle que nous avons une responsabilité sacrée envers les sept générations qui nous ont précédés et que nos ancêtres ont eux aussi été précédés de sept générations. Elle nous rappelle en outre nos responsabilités à l’égard des générations à venir, y compris à l’égard des sept générations de mon petit-fils.

J’aimerais maintenant décortiquer l’expression « temps immémoriaux » selon la perspective crie. Dans l’ouvrage Untuwe Pi Kin He Who We Are: Treaty Elders’ Teachings Volume I, sur la nation Nisichawayasi Nehetho et la Kihche’otthasowewin, c’est-à-dire la Loi suprême du Créateur, l’aîné D’Arcy Linklater explique la Loi suprême du Créateur du point de vue des Nisichawayasi Nehetho. La Loi suprême est composée de 12 lois, dont la quatrième dit Aski Kanache Pumenikewin, ce qui signifie qu’une personne doit se conduire conformément à l’obligation sacrée de protéger N’tuskenan, c’est-à-dire la terre, la vie, le domicile et l’abri spirituel qui nous sont confiés par Kihche’manitou, pour nos enfants, michimahch’ohc. Il s’agit d’une autre forme de temps immémoriaux.

Honorables sénateurs, hier, j’ai pu discuter avec l’aînée Claudette Commanda au lancement du caucus des chiropraticiens autochtones. Dans ses prières, elle a rappelé que ses ancêtres de la Première Nation de Kitigan Zibi sont là depuis des temps immémoriaux et que leur territoire demeure non cédé encore à ce jour. Je parle du territoire où nous nous trouvons. Les connaissances qu’ont les Premières Nations de l’expression « temps immémoriaux » et de la notion des sept générations se limitent à l’île de la Tortue et au maintien du territoire intact.

J’attire votre attention sur le rapport Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada, publié en avril 2019 par le Comité sénatorial des peuples autochtones. Dans ce rapport se trouve la section « De nations souveraines à pupilles de l’État : L’histoire de la relation des Premières Nations avec la Couronne », qui contient elle-même une sous-section intitulée « Depuis la nuit des temps : La vie des Premières Nations avant l’arrivée des colons », dans laquelle on peut lire ceci :

Pendant des milliers d’années avant l’arrivée des Européens, les Premières Nations ont vécu sur leurs territoires traditionnels en comptant sur la terre et l’eau autour d’elles pour leur subsistance. Leur relation à la terre était une part centrale de leur identité, comme en témoigne la diversité de leurs cultures, de leurs lois, de leurs langues, de leurs modes de vie et de leurs formes de gouvernance d’un bout à l’autre de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada

Et encore ceci :

Quand les nouveaux arrivants ont accosté dans l’Est du Canada, ils ont amené avec eux des idées sur la terre et les indigènes incarnées par le concept de terra nullius et la doctrine de la découverte […] Comme l’a expliqué l’aîné Fred Kelly, les Premières Nations faisaient partie […] de la terra nullius, « le territoire non occupé, que peut occuper celui qui le découvre, puisqu’il n’y a rien d’autre que des animaux »; cela permettait essentiellement aux découvreurs de faire fi de la présence des peuples autochtones vivant sur ce territoire. Dans le même ordre d’idées, selon la doctrine de la découverte, « la nation qui découvrait ces terres devenait immédiatement souveraine sur elles et obtenait tous les titres et les droits afférents ».

Au contraire, les Premières Nations dépendaient de la terre pour leur subsistance : elles pratiquaient la chasse, la pêche ou l’élevage pour nourrir leurs familles et leurs communautés. Pour les Cris, la terre « n’a rien à voir avec la propriété et l’argent ». Ils entretiennent plutôt une vision holistique de la terre, conformément au concept d’uski, qui « englobe tout ce qui est vivant, comme les animaux, les plantes, les arbres, les poissons, les rivières, les lacs et […] les rochers [et] inclut aussi le ciel ». Les Cris voient la terre comme une partie intégrante de leur culture, de leur langue et de leur identité, et comprennent que les êtres humains « ne constituent qu’une petite partie de notre environnement et [qu’ils] dépendent totalement de l’uski pour leur survie ».

Sur le site Web du gouvernement du Canada, on peut lire, dans le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, au « Chapitre 1 : Priorités partagées » :

En guise de note préliminaire à ce chapitre, le Canada reconnaît que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies stipule que « les mesures visant la mise en œuvre de la Déclaration au Canada doivent tenir compte de la diversité des peuples autochtones et, en particulier, de la diversité des identités, cultures, langues, coutumes, pratiques, droits et traditions juridiques des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de leurs institutions et systèmes de gouvernance, de leurs liens avec la terre et des savoirs autochtones ».

Le Canada reconnaît que, même si certaines priorités peuvent être communes aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, l’adoption d’une approche fondée sur les distinctions exige que les relations et l’engagement du Canada avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis comprennent des approches ou des actions différentes et aboutissent à des résultats différents.

Honorables sénateurs, sur le plan juridique, la notion de « temps immémoriaux » est issue de la common law anglaise, où elle désigne un concept juridique signifiant une période très ancienne pour laquelle il n’existe ni souvenir ni document prouvant une coutume, un droit ou une revendication.

Au Royaume‑Uni, une loi de l’an 1275 a déclaré que tout ce qui précède le règne du roi Richard Ier ou l’année 1189 constitue les temps immémoriaux.

Vous allez constater que les deux parties définissent l’expression différemment.

Chers collègues, une grande partie de l’information qu’il me reste à vous transmettre est tirée d’un livre publié par l’Université Thompson Rivers qui s’intitule Histories of Indigenous Peoples and Canada. Les auteurs écrivent :

Les Canadiens, y compris de nombreux Autochtones, en sont venus à comprendre que les histoires des Autochtones sont accessoires, limitées, sans importance, voire une impasse. Ce genre de raisonnement a permis aux autorités et aux citoyens canadiens de considérer les communautés autochtones comme étant « sans histoire », en ce sens qu’elles ne font pas partie de l’histoire. Or, aucun peuple ne faisant pas partie de l’histoire ne peut s’en tirer très bien [...] Nous — chacun de nous — sommes les Canadiens qui sont invités à participer au processus de vérité et de réconciliation. Certaines vérités sont inconnaissables, mais ce que nous pouvons savoir, les vérités que nous pouvons extraire du passé, sera essentiel pour le long et pénible parcours vers la réconciliation.

Une forme courante d’histoires au sein des diverses cultures est celle qui légitime le droit que revendique une société d’occuper son territoire [...] Pendant des millénaires, l’histoire autochtone s’est transmise de nombreuses façons...

 — notamment oralement.

Privilégiant l’écrit, les historiens européens et eurocanadiens n’ont, pour la grande majorité, pas tenu compte de la tradition orale et l’ont parfois discréditée. En Nouvelle‑France, en Amérique du Nord britannique et au Canada, la stratégie colonialiste était plus subtile : elle niait tout simplement l’existence du passé historique [des Premières Nations]. Étant donné que les traces matérielles des Premières Nations dépendaient d’un interprète, ces compétences se sont raréfiées à mesure que les maladies exotiques, les guerres et la relocalisation ont rompu le lien entre le passé et ses héritiers, d’où l’importance de l’histoire transmise oralement.

Le livre poursuit en disant :

Une fouille archéologique universitaire systématique s’étant échelonnée des années 1880 aux années 1950 à Marpole Midden, un village et lieu de sépulture traditionnel d’une grande importance, porte à conclure que l’endroit était occupé il y a au moins 1 500 ans et aurait été abandonné au milieu des années 1700 [...] En 1948, le journal Ottawa Citizen avait jugé que, qui qu’elles eussent été, les personnes dont les restes gisent à Marpole Midden « [...] n’étaient certainement pas des Indiens ». Cette tendance à nier qu’une histoire précède la colonisation est perpétuée par la pratique de certains universitaires et commentateurs — toujours présents dans certains milieux aujourd’hui — qui consiste à qualifier de « préhistorique » la période antérieure à l’arrivée des Européens. Cette présumée absence [...] a permis aux nouveaux arrivants d’écrire leur propre histoire par-dessus les histoires autochtones [...] Au cours de la période de premiers contacts, les Européens transcrivaient parfois les voix autochtones, mais celles-ci sont toujours filtrées par l’optique des Européens sur ce qui est important et ce qu’ils ont compris des propos tenus par l’intervenant. Par exemple, il était plus probable qu’ils parlent de fourrures de castor dans leur journal que [...] des débats moraux des Cris et de la compréhension du passé selon les Ktunaxas.

Honorables sénateurs, en tant que champions éduqués et civilisés des personnes marginalisées, nous devons veiller à ne plus combiner les histoires des Premières Nations, des Métis et des Inuits en un mastodonte, et à ne plus adopter de projets de loi qui, une fois de plus, ne tiennent pas compte des histoires des Premières Nations.

Nous devons faire ce qui s’impose et continuer d’intégrer avec exactitude les Premières Nations dans l’histoire canadienne. Ce qui demeure problématique, c’est la constante utilisation du terme « Autochtone »; cela demeure une forme d’assimilation.

Chers collègues, lorsque Bruce Trigger a élargi les façons d’étudier l’histoire pour créer une approche aujourd’hui appelée l’ethnohistoire, il a réussi à transformer notre compréhension de l’histoire des Wendats avant, pendant et après le contact avec les Européens.

Au départ, les universitaires occidentaux étaient renversés que le savoir autochtone inclue des éléments qui remontent à des siècles. Par exemple :

De récentes preuves archéologiques confirment l’histoire du peuple des Heiltsuks, également connu sous le nom de Bella Bella, qui ont toujours insisté pour dire que leurs ancêtres directs ont vécu dans leur région pendant des millénaires, les preuves découvertes remontant à environ 14 000 ans.

On pourrait qualifier cette découverte de « justificatrice », mais elle a surtout servi de leçon. La société eurocanadienne, dans l’ensemble, met du temps à comprendre la force et la profondeur des connaissances historiques des Autochtones [...] Les sociétés autochtones parlent de gardiens du savoir, pas nécessairement de diffuseurs du savoir. Même s’ils n’ont aucune obligation de divulguer leurs connaissances historiques, les peuples autochtones ont tout de même le droit d’exiger que les études historiques reflètent la vérité...

— et en l’occurrence, que les projets de loi reflètent la vérité.

Honorables sénateurs, la modification du libellé proposée dans l’amendement vise à refléter la vérité et non à nier le statut et l’autorité des Métis. L’idée n’a jamais été de les exclure.

Mon intention, et l’intention de l’amendement que nous étudions, est de refléter l’histoire avec exactitude. Un tel amendement n’indique pas que les Métis sont moins importants. Le fait historique est qu’ils sont arrivés plus tard dans la société canadienne, puisque leurs origines biologiques sont partagées entre une femme des Premières Nations et un homme européen.

Honorables sénateurs, si nous refusons de refléter fidèlement l’histoire, alors nous facilitons une illusion préjudiciable de l’histoire du Canada qui finira par avoir des effets néfastes sur les droits, l’histoire et la culture des Premières Nations.

Nous devons être déterminés à accomplir notre travail de second examen objectif avec diligence, et notamment à faire en sorte que les projets de loi que nous adoptons sont fondamentalement exacts.

Dans le livre intitulé We All Go Back to the Land: The Who, Why, and How of Land Acknowledgements, l’auteure, Suzanne Keeptwo, déclare :

Bien que la reconnaissance du territoire soit perçue comme un phénomène relativement nouveau, elle incite les Canadiens ordinaires à s’imaginer un monde habité, un monde antérieur à l’établissement des Européens et qui ne ressemble à aucun autre…

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je regrette, sénatrice McCallum, mais votre temps de parole est écoulé.

Il m’en reste pour trois minutes.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, sénateurs?

Merci.

[…] à s’imaginer un monde habité, un monde antérieur à l’établissement des Européens et qui ne ressemble à aucun autre, et qui ne sera jamais plus le même. Les descendants de ce monde sont encore là et ils tentent encore d’être compris et de conserver le lien qui les unit à une terre qui a considérablement changé. Et oui, ce lien est typiquement perçu comme politique. Il constitue une réalité depuis maintenant des centaines d’années.

Chers collègues, je vous prie d’appuyer l’amendement réfléchi de la sénatrice McPhedran. Je vous remercie.

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