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Projet de loi sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants au Canada

Troisième lecture--Motion d'amendement--Débat

5 décembre 2023


Les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont des groupes qui ont été victimes de discrimination à travers l’histoire et qui continuent d’être victimes de discrimination par le truchement de certaines politiques, de certaines lois et du financement de leurs institutions par les gouvernements fédéral et provinciaux. Ces communautés jouissent de garanties constitutionnelles pour les aider à surmonter les difficultés qu’elles ont vécues par le passé et celles qu’elles vivent toujours.

L’envers de la médaille, c’est que les langues officielles ont indéniablement servi d’outil de colonisation. Elles ont contribué à l’affaiblissement ou à l’éradication de nombreuses langues autochtones — un héritage déplorable que nous tentons de corriger. J’espère que le projet de loi C-35 ainsi que d’autres mesures législatives proposées par le gouvernement, comme la Loi sur les langues autochtones, sauront stimuler la revitalisation de ces langues et leur réappropriation par les peuples autochtones.

Nous devons collaborer et parler d’une même voix en faveur de la réconciliation. Les politiques polarisantes ne devraient pas avoir leur place au Sénat. Tant le gouvernement que le Sénat ont le devoir de protéger les minorités.

Les communautés de langue officielle en situation minoritaire et les peuples autochtones ont des droits précis garantis par la Constitution. Il est essentiel que nous prenions ces droits en considération dans notre étude du projet de loi C-35. Comme c’est souvent le cas avec les projets de loi du gouvernement, plusieurs droits et garanties constitutionnels coexistent dans le même cadre juridique. Cela ne signifie toutefois pas qu’ils sont identiques ou qu’il faille les comparer. Faire une référence explicite aux titulaires d’un droit en particulier n’enlève absolument rien aux droits d’autres groupes.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Moncion, votre temps de parole est écoulé.

Puis-je avoir cinq minutes de plus, chers collègues?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Non.

Merci, sénateur Plett.

L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, quand le sénateur Cormier a présenté cet amendement au comité, plusieurs personnes ont invoqué, pour rejeter l’amendement, le témoignage de Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami ou ITK.

Pendant l’étude article par article, la sénatrice Moodie a dit :

Ce qui est tout aussi inquiétant, ce sont les commentaires du président d’ITK, Natan Obed, qui s’est dit préoccupé et qui nous a dit ici au comité que cet amendement causerait du tort aux droits langagiers des Inuits.

Il s’agissait toutefois d’une erreur d’interprétation de la part de la sénatrice Moodie. Permettez-moi d’expliquer cette affirmation.

Comme je ne suis plus membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, je n’assistais pas à la réunion pendant laquelle le président de l’ITK, M. Obed, a témoigné, mais je voulais vraiment en apprendre davantage sur la position de l’ITK. Mon personnel et moi-même avons donc communiqué avec le président de l’ITK et son bureau pour obtenir des précisions. Nous avons alors appris que — du point de vue de l’ITK — ces deux dispositions peuvent très bien coexister. Sa préoccupation, chers collègues, porte sur un élément que nous avons raté l’occasion de traiter pendant l’étude du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones. Voici de plus amples explications.

J’étais porte-parole pour ce projet de loi. À partir des commentaires faits par les Inuits, j’ai proposé plusieurs amendements qui avaient tous pour but de prévoir des ressources suffisantes pour les langues autochtones en fonction de la population présente dans une zone donnée. J’ai aussi tenté d’amener le gouvernement à s’engager à fournir des services essentiels dans les zones où le nombre de personnes le justifiait.

Tous les amendements ont été rejetés par le comité ou ont été supprimés par le gouvernement libéral majoritaire une fois le projet de loi renvoyé à l’autre endroit. Si les dispositions vous semblent un peu familières même si vous connaissez peu le projet de loi C-91, c’est parce que ces dispositions sont déjà offertes aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Voilà, chers collègues, le cœur de mon argument.

Il faut que la protection offerte aux communautés de langue officielle en situation minoritaire soit également offerte aux langues autochtones. Si nous prenons au sérieux tout le texte du préambule de la Loi sur les langues autochtones, y compris ce qui suit —

que les langues autochtones sont fondamentales pour les peuples autochtones sur le plan identitaire et en rapport avec leurs cultures, leurs liens avec la terre, leur spiritualité, leurs visions du monde et leur autodétermination [...]

que les peuples autochtones ont joué un rôle important dans le développement du Canada et que les langues autochtones contribuent à la diversité et à la richesse des patrimoines linguistiques et culturels du Canada [...]

 — alors nous devons enfin prendre au sérieux l’idée de traiter les langues autochtones comme si elles étaient à égalité avec l’anglais et le français.

Nous ne pouvons pas opposer les langues autochtones aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le fait de soutenir les unes ne devrait aucunement constituer une menace pour les autres ou les affaiblir.

C’est une question qui me tient à cœur, car un jour — et ce jour viendra probablement très bientôt —, nous devrons de nouveau en débattre, mais nous devrons prendre la question dans l’ordre inverse. D’autres sénateurs pourraient dire que nous devons adopter un amendement pour inclure des protections équivalentes pour les langues autochtones dans un autre projet de loi.

Je suis favorable à cet amendement, car la seule façon d’arriver au point où les langues autochtones seront traitées de la même façon que l’anglais et le français au Canada, c’est d’en faire une habitude. Nous devons arriver au point où tous les projets de loi qui comportent un volet linguistique mettent sur un pied d’égalité les communautés de langue autochtone et les communautés de langue officielle en situation minoritaire. C’est ce que cet amendement propose, tout simplement.

Lorsque cela arrivera, j’espère que nous pourrons enfin redonner de la dignité aux peuples autochtones en leur donnant accès à des services essentiels dans leur propre langue, que les enfants autochtones pourront recevoir une éducation dans leur propre langue, et que les peuples autochtones pourront retrouver leur fierté et se réapproprier leur langue. C’est ce qui arrivera lorsque nous mettrons sur un pied d’égalité les communautés de langue autochtone et les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

En présentant son amendement, le sénateur Cormier a plaidé avec force et clarté en faveur de la clarté et de la spécificité. Pourquoi? Eh bien, nous avons une disposition faible concernant l’obligation fédérale de financer un système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’article 7(1), qui fait référence à de simples principes directeurs selon lesquels les programmes devraient — et non pas « doivent » — être accessibles, abordables, inclusifs et de grande qualité. Je le répète : le projet de loi dit que le gouvernement fédéral doit être guidé par les principes selon lesquels les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants doivent être accessibles et abordables. C’est un contraste avec l’amendement proposé par le sénateur Cormier. Le financement doit être fourni et non pas être guidé par des principes.

Permettez-moi de dire, au nom des résidents inuits du Nunavut — et je suis sûr de pouvoir le dire aussi au nom de ceux qui sont représentés par le président Obed dans tout l’Inuit Nunangat —, que nous sommes heureux de voir qu’à l’article 8, tel qu’il est rédigé, le gouvernement du Canada s’engage à maintenir le financement à long terme des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, y compris ceux pour les Autochtones.

C’est une excellente disposition. Toutefois, comme l’a souligné le sénateur Cormier, le même engagement n’est pas clairement pris à l’égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cet amendement ne fait qu’ajouter un libellé parallèle pour les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Comme l’a dit M. Obed au comité, dans le passage cité par la sénatrice Moodie, les droits linguistiques des Autochtones ont été supprimés par l’accent mis sur les deux langues officielles du Canada.

La même menace existe encore, à moins que ce projet de loi ne soit clarifié, et elle soulève de sérieuses questions quant à savoir si les communautés de langue officielle en situation minoritaire bénéficieront du même engagement à maintenir un financement à long terme.

Il est inacceptable de mettre en concurrence les langues officielles — le français et l’anglais —, et les communautés de langues autochtones, et il est inacceptable de faire de même avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ce projet de loi ne nuit aucunement aux langues autochtones et aux services de garde d’enfants autochtones. Faisons les choses correctement et accordons aux communautés de langue officielle en situation minoritaire la même reconnaissance et les mêmes conditions de financement dans le cadre de ce projet de loi. Je vous invite à appuyer cet amendement. Je vous remercie. Qujannamiik.

L’honorable Chantal Petitclerc [ + ]

Honorables sénateurs, j’appuie cet amendement pour plusieurs raisons, la première étant notre responsabilité à l’égard des minorités.

Devenir sénatrice, c’est réaliser que l’un des aspects essentiels de notre rôle, soit la protection des minorités, permet à plusieurs groupes sous-représentés d’être entendus et de pouvoir compter sur le Sénat lorsque leurs droits sont menacés ou ne sont pas solidement protégés.

Permettez-moi de commencer en citant notre ancien collègue le sénateur Joyal, qui nous disait ceci :

[...] ces nouvelles catégories de droits s’ajoutant à la Constitution, le rôle du Sénat au Parlement à titre de chambre où s’expriment les droits des minorités et les droits de la personne, a été confirmé, élargi et renforcé.

La Cour suprême, dans son Renvoi relatif à la réforme du Sénat de 2014, a souligné que la tribune du Sénat a servi à plus d’une reprise à faire avancer les droits des groupes sous-représentés, notamment ceux des communautés linguistiques minoritaires.

Mon appui à cet amendement repose sur ce que j’ai lu et entendu depuis que nous avons entrepris l’étude de ce projet de loi au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

Les communautés francophones hors Québec et les communautés anglophones du Québec savent mieux que quiconque la complexité des enjeux qu’elles doivent gérer quotidiennement pour contribuer à préserver notre dualité linguistique. Nous nous devons de les écouter lorsqu’elles nous demandent de les appuyer à freiner l’érosion de leurs droits.

Le sénateur Cormier l’a mentionné dans son discours. Lors de leur témoignage au Comité des affaires sociales, Nicole Arseneau Sluyter, présidente de Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, et Jean-Luc Racine, directeur général de la Commission nationale des parents francophones, ont partagé avec nous le désarroi des parents francophones qui sont obligés d’inscrire leurs enfants dans des écoles anglophones. La conséquence est que ces derniers — on l’a dit à quelques reprises ce soir — finissent par perdre leur langue maternelle.

La sénatrice Poirier l’a mentionné, mais je tiens à le répéter, car c’est important. Lors de son témoignage devant le Comité des affaires sociales, Mme Arseneau Sluyter, présidente de Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, nous a dit qu’il n’y a pas assez de garderies en français à Saint-Jean. Ce manque de choix oblige certains parents à inscrire leur enfant dans des écoles anglophones; la conséquence de tout cela, c’est que ces derniers finissent par perdre leur langue maternelle.

Comme la sénatrice Poirier nous l’a dit — encore une fois, je tiens à le répéter, car c’est important —, une de ses amies qui est dans cette situation lui a confessé, et je cite : « Nicole, j’ai honte : mon enfant ne parle plus français. »

L’article 7 du projet de loi C-35 prévoit que le gouvernement doit inclure les communautés de langue officielle minoritaire dans ses futurs investissements dans la petite enfance. Il s’agit toutefois d’un principe directeur, et non d’un engagement. La composition du futur Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, prévue par l’article 11, doit tenir compte de ces communautés. Ces dispositions du projet de loi ne sont manifestement pas suffisantes pour assurer que les générations à venir seront bien protégées.

Dans son mémoire, le commissaire aux langues officielles nous a invités, lui aussi, à modifier l’article 8 dans le sens souhaité par le sénateur Cormier.

Par ailleurs, je suis d’accord avec le commissaire Théberge pour dire qu’un investissement constant dans les centres de la petite enfance destinés à ces communautés contribue à renforcer le processus de transmission de la langue et à assurer leur vitalité.

Michel Bastarache, professeur et ancien juge à la Cour suprême, dans une correspondance à notre comité, a dit ceci : « [...] il faut éviter les ambiguïtés et savoir distinguer entre les intentions politiques et les engagements juridiques ».

À son avis, et je le cite :

[...] on parle d’ententes intergouvernementales dans un domaine de juridiction provinciale. Il faut donc ajouter l’obligation de mettre dans l’entente l’obligation de financer la formation en français [...]

Il fait ici référence aux francophones.

C’est aussi l’avis du professeur Larocque, qui a comparu à titre de témoin. Selon lui, sans une référence explicite aux communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’article 8, ces communautés risquent de se voir privées du financement fédéral nécessaire au maintien à long terme. Le professeur Larocque, en praticien du droit, se fonde sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et sur les principes ordinaires d’interprétation des lois pour avancer que, sans cet amendement du sénateur Cormier :

[...] un tribunal pourrait raisonnablement conclure que l’article 8, tel qu’il est rédigé à l’heure actuelle, engage uniquement le gouvernement fédéral à garantir le financement à long terme des programmes et services « destinés aux peuples autochtones ».

La modification proposée par cet amendement n’est pas substantielle; l’amendement ne demande pas un nouveau droit. Le texte de l’amendement ne demande pas non plus qu’un nouveau cadre de négociation soit créé. On ne demande pas au gouvernement fédéral d’engager des négociations directement avec les communautés linguistiques minoritaires. Le cadre prévu dans le projet de loi C-35 prévoit que ce financement est transmis dans le cadre d’ententes entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Cela ne change pas. Les communautés ne se substitueraient pas aux gouvernements provinciaux et territoriaux pour se donner une responsabilité dans la conception et la prestation des programmes. De plus, cet amendement ne retire aucun financement à quiconque. Il ne met pas en compétition les langues autochtones et les langues officielles.

On le dit souvent, et avec raison : les lois résistent mieux au temps que les gouvernements.

Honorables sénateurs, je voudrais, pour conclure, rappeler que l’insécurité des communautés linguistiques dans toutes les régions du pays est une réalité. La reconnaissance de leurs droits est parsemée de luttes juridiques qui demandent du temps, de l’énergie et des ressources financières, malgré l’existence de mécanismes de soutien comme le Programme de contestation judiciaire.

Ces communautés sont souvent dépendantes de la place que le gouvernement du jour accorde à leurs priorités. Grâce à cet amendement que je vois comme une protection, nous avons la possibilité de ne pas laisser ces communautés à elles-mêmes et de les obliger à ce qu’elles soient forcées potentiellement, encore une fois, à présenter devant les tribunaux pour faire valoir qu’elles sont bien comprises dans l’engagement financier prévu à l’article 8 de ce projet de loi.

Donc, cet amendement représente une occasion de les appuyer, et c’est la raison pour laquelle je l’appuie. Merci.

L’honorable Bernadette Clement [ + ]

Honorables sénateurs, je remercie la sénatrice Moodie, qui parraine habilement cet important projet de loi et répond aux questions avec brio.

Je prends la parole brièvement pour appuyer l’amendement de mon estimé collègue le sénateur Cormier. Je saisirai toutes les occasions d’intervenir pour garantir que les langues officielles et les langues autochtones au Canada soient respectées, traitées comme elles le méritent et dûment protégées.

Dans le cadre du débat sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, j’ai parlé longuement de la grande importance de faire une place aux langues autochtones. Je suis ravie que le projet de loi C-35 prévoie un financement à long terme réservé aux services et aux programmes d’éducation préscolaire et de garde d’enfants pour les Autochtones. J’espère qu’il y aura là une occasion de transmettre les langues autochtones à un âge crucial pour les jeunes.

En tant que femme touchée par l’intersectionnalité, je parle souvent des effets du colonialisme et du fait que les peuples opprimés sont privés de l’essentiel alors qu’on leur répète sans arrêt qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde.

Je ne crois pas que cela soit vrai. Tout le monde devrait obtenir une bonne pointe de la tarte parce qu’il y en a amplement pour nous tous.

Il y en a largement assez pour nous tous.

Ne laissons pas la langue et la culture devenir un autre champ de bataille où nous luttons les uns contre les autres pour faire reconnaître nos droits. Dirigeons nos efforts vers les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Envoyons un message puissant de solidarité et d’engagement relativement à la santé de nos langues — de toutes nos langues.

L’amendement du sénateur Cormier garantirait un financement à long terme pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, et j’espère que vous vous joindrez à nous pour l’appuyer.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Son Honneur la Présidente [ + ]

J’entends un non. Il en est ainsi ordonné.

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