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Le racisme anti-Noirs

Interpellation—Suite du débat

1 novembre 2018


L’honorable Sénatrice Ratna Omidvar :

Honorables sénateurs, je souhaite intervenir aujourd’hui dans le débat sur l’interpellation fort à propos de la sénatrice Bernard, qui vise à attirer l’attention sur le racisme anti-Noirs au pays. Je remercie les sénateurs Bernard, McPhedran, Mitchell, Mégie et Pate des contributions qu’ils ont apportées jusqu’à présent à cette discussion, et je les félicite de nous avoir donné matière à réflexion.

En préparant mon intervention d’aujourd’hui, je n’ai pu m’empêcher de penser au discours de la sénatrice Mégie, qui nous a raconté comment le racisme anti-Noirs touche la vie des gens. Je ne suis pas Noire, mais j’ai la peau brune, et j’ai également souffert de racisme — notamment de racisme institutionnel — lorsque, pendant mes 10 premières années au pays, les employeurs exigeaient constamment une expérience de travail au Canada. Cependant, je crois que les manifestations de racisme qui touchent quelqu’un sur le plan personnel sont les plus douloureuses; c’est du moins ce que je ressens. Je songe, par exemple, aux nombreux moments où on m’a prise pour une employée du service à la clientèle à l’endroit où je fais l’épicerie, simplement en raison de la couleur de ma peau. Parce que j’ai la peau brune, on suppose que je suis une employée.

Cependant, depuis que j’ai entendu le discours de la sénatrice Mégie, les expériences que j’ai vécues me semblent beaucoup moins graves. Il n’y a personne qui me suit partout dans les magasins. Je n’ai pas peur que mes enfants se fassent arrêter lorsqu’ils roulent en voiture. Je ne suis pas ciblée par des pratiques discriminatoires, comme les constants contrôles d’identité. J’en arrive donc à la conclusion que les formes et les degrés de racisme peuvent varier autant que les saisons.

Il ne faut pas croire que le racisme est plus prononcé à l’égard de certaines races ou de certains peuples, ou dans certains pays. Je crois malheureusement qu’il est universel. En Inde, où j’ai grandi, nous avions tous la peau brune, mais avec des nuances. Ainsi, certains Indiens du Nord méprisent ceux du Sud, dont la peau est plus foncée.

Je veux surtout me pencher sur la langue, qui contribue au racisme anti-Noirs, car la langue reflète nos valeurs. Elle façonne nos idées et exprime la façon dont nous voyons nos semblables et les autres. Elle devient ainsi un puissant outil d’expression du racisme, surtout quand elle s’exprime de manière anodine, sans intention d’offenser ou de nuire.

Il suffit de jeter un coup d’œil à la terminologie pour voir que le mot « noir » est associé à des éléments négatifs et péjoratifs. Qu’ils soient utilisés dans la langue maternelle ou la langue seconde, ces termes finissent par faire partie de notre vocabulaire et contribuer au racisme ordinaire qu’ils véhiculent.

Permettez-moi de vous présenter quelques-uns de ces termes, accompagnés de leur définition.

Une liste noire s’entend d’une « liste ou d’un groupe de gens considérés comme inacceptables ou indignes de confiance, et souvent destinés à la punition ou à l’exclusion ».

Le verbe anglais « to blackmail » — black signifiant noir — signifie « menacer des gens ou manipuler leurs sentiments pour les obliger à faire quelque chose qu’ils n’auraient pas fait d’eux-mêmes ».

L’expression anglaise « black mark » s’entend d’une « note ou d’une fiche consignant un délit ou un acte indigne commis par quelqu’un ».

Un « blackguard » est « une personne sans aucun scrupule ».

Faire du « blackball », c’est ostraciser quelqu’un sur le plan social ou commercial.

Le « black sheep », c’est le membre de la famille dont on a honte.

Je crois que nous savons tous ce que l’expression « Black Monday » voulait dire en 1980. Cette expression fait allusion à l’effondrement boursier et à la perte de richesses de beaucoup de gens.

Je pourrais continuer longtemps — « black book », « black heart », « black magic » et « black spot » —, mais j’ai tenu à me pencher sur cette question dans d’autres langues, et, étant donné que nous sommes un pays bilingue, j’ai choisi le français. Malheureusement, à ma grande déception — c’est un désavantage — je ne parle pas français. J’ai la ferme intention d’être capable, un jour, de prendre la parole et de déclarer quelque chose de sensé en français.

J’ai demandé à mes collègues francophones de m’aider pour savoir si l’utilisation du mot « noir » est empreinte de racisme uniquement en anglais ou si c’est également le cas en français.

Le sénateur Cormier m’a fait part d’une expression, qui est régionale, il me semble, soit « trou noir », qui a un sens complètement différent dans les régions du pays où il y a du chômage saisonnier. L’expression « trou noir » fait référence à l’intervalle entre le moment où on perd son emploi et le moment où on commence à toucher des prestations.

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En français, « black sheep » se dit « brebis galeuse », ce qui signifie plus ou moins « a flock of scabs ».

J’avoue que, en anglais, certains mots comportant le préfixe black n’ont pas de connotation négative, comme « blacksmith », « blackberry » et « blackjack » — quoique je n’en suis pas si sûre pour « blackjack ». Ce qui est étonnant, toutefois, c’est qu’aucun mot formé avec le préfixe black est vraiment positif.

Le professeur d’études afro-américaines Vernon McClean a dressé une liste de termes sous l’entrée « blackness » en consultant la plus récente édition du dictionnaire analogique. Il existe 120 synonymes, dont plus de la moitié sont nettement péjoratifs à l’endroit des Noirs.

J’espère que les sénateurs ne pensent pas que je tente de créer une police de la langue au Sénat ou d’injecter de la rectitude politique dans nos débats. Je pense plutôt qu’il s’agit de reconnaître notre pouvoir et notre capacité individuels et, je l’espère, collectifs d’exercer une influence sur les paroles prononcées dans cette enceinte et à l’extérieur de celle-ci.

Comme nous avons pu le constater dernièrement chez nos voisins du Sud, les mots comptent. Lorsque des dirigeants incitent à la haine ou encouragent les stéréotypes et les faussetés fondés sur la race, l’origine ethnique ou les différences culturelles, certaines personnes se sentent enhardies à aller encore plus loin, en utilisant parfois la violence. On peut dire la même chose au sujet de mots qui, souvent, sont prononcés impunément tous les jours.

Permettez-moi de citer encore une fois Vernon McClean :

[...] la langue sert non seulement à exprimer des idées et des concepts, mais aussi à façonner la pensée.

[...] nous ne sommes peut-être pas en mesure de changer la langue anglaise, mais nous pouvons [...] changer la façon dont nous l’utilisons.

[...] nous pouvons éviter d’utiliser des mots qui dégradent les Noirs. Nous pouvons faire un effort conscient pour utiliser des adjectifs qui reflètent une perspective progressiste plutôt qu’une fausse idée de l’expérience des Noirs.

Nous pouvons également, comme l’a si bien dit un professeur d’anthropologie, considérer la race du point de vue de la langue et la langue, du point de vue de la race.

Merci beaucoup.

 

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