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Banque de l’infrastructure du Canada (C-44)

Troisième lecture

21 juin 2017


L’honorable Sénatrice Raymonde Saint-Germain :

Honorables sénateurs, avant de commenter le projet de loi C-44, je tiens à rassurer le sénateur Day et tous mes collègues en leur disant que mes notes d'information proviennent de mon bureau et sont inspirées de mon analyse de tous les commentaires reçus, y compris ceux des fonctionnaires des ministères de la Justice, des Transports et des Finances. Je les ai écrites en toute objectivité, grâce à ma longue pratique de critique constructive des projets gouvernementaux au Québec.

Il s'est dit beaucoup de choses lors de l'examen de ce projet de loi omnibus — et sur tous les projets de loi omnibus — qui, à mon avis, méritent d'être nuancées. En soi, un projet de loi omnibus est un instrument mis à la disposition du gouvernement et des parlementaires leur permettant d'améliorer le processus législatif et d'accélérer la mise en œuvre de programmes au profit des citoyens. C'est en même temps un instrument pour lequel nous devons exercer beaucoup de vigilance, parce qu'il est vrai que, dans le cadre d'un projet de loi omnibus, le législateur peut être tenté d'adopter rapidement certains projets qui peuvent être occultés par le nombre de pages.

Cependant, je tiens à préciser que la section du projet de loi C-44 qui traite de la Banque de l'infrastructure du Canada et qui contient 12 pages n'est pas plus succincte que ce que nous aurions trouvé dans un projet de loi spécialisé, unique, sur cette banque, et que les dispositions requises pour la création d'une telle banque n'auraient pas été différentes, à mon avis. C'est un commentaire que je voulais faire, parce que je trouve qu'il y a beaucoup de légendes urbaines à ce sujet.

Cela dit, mon commentaire sur le projet de loi C-44 se concentrera essentiellement sur la création de la Banque de l'infrastructure du Canada. Je tiens notamment à intervenir parce que l'Assemblée nationale du Québec a déposé une motion qui a été adoptée à l'unanimité, dans laquelle elle nous demande de nous assurer du respect des compétences du Québec, de toutes les provinces, ainsi que des compétences de la réglementation municipale. J'y reviendrai plus tard dans mon intervention.

Honorables sénateurs, les besoins du Canada en infrastructure sont criants. Selon les estimations, ils oscillent entre 570 milliards de dollars et un billion de dollars. Ces besoins sont trop importants pour que nous puissions maintenir une approche traditionnelle en matière de financement des infrastructures. La Banque de l'infrastructure du Canada constitue une solution qui se veut novatrice pour minimiser le risque et la pression sur les finances publiques dans le présent contexte. Voilà l'objectif. Plusieurs craintes ont été exprimées à propos de cette nouvelle société d'État, et j'entends ici traiter de celles qui s'avèrent les plus controversées.

La Loi sur la Banque de l'infrastructure du Canada énonce, au paragraphe 5(4) de la section 18 de la partie 4, que la banque ne sera pas mandataire de Sa Majesté. Cette Chambre a manifesté beaucoup d'incompréhension sur ce point. Le raisonnement derrière cette disposition est basé sur la prudence, puisqu'elle indique que le gouvernement fédéral n'endossera pas d'office les transactions auxquelles la banque participera. À titre de protecteurs des contribuables, nous devons saluer cette dimension.

Plusieurs intervenants ont soulevé des craintes par rapport à l'alinéa 5(4)d). Cette disposition conférerait au gouvernement fédéral le pouvoir de décréter, à son bon vouloir, que certains partenaires deviendraient mandataires de la Couronne, avec tous les privilèges et les immunités que ce statut comporte, notamment en matière fiscale. J'ai porté une attention particulière à cet enjeu, puisque des doléances légitimes ont été soulevées, particulièrement à l'égard du respect du partage des compétences constitutionnelles.

La Banque de l'infrastructure du Canada ne sera pas mandataire de la Couronne, sauf dans les cas prévus aux alinéas a) à d) du paragraphe 5(4). Ces exceptions se limitent essentiellement aux relations de la banque avec l'administration publique et avec le gouvernement fédéral. Il s'agit là d'une précision essentielle, puisque ni les projets d'infrastructure ni les partenaires privés de la banque ne profiteront d'exemptions, de privilèges ou d'une immunité qui ne sont propres qu'à un mandataire de la Couronne. Cela signifie que l'ensemble du corpus législatif fédéral et provincial s'appliquera aux projets auxquels la banque participera. Il importe de le souligner et d'en prendre note.

Il est important de comprendre que le statut de mandataire de l'État ne peut être octroyé que de deux manières : de façon expresse, dans une loi, à un organisme ou à une personne morale de droit public, ou, en l'absence d'une telle disposition, par l'étude du lien qui l'unit à l'État, sur le plan des fonctions qu'il remplit ou du contrôle de son budget, de son administration et de ses orientations. Par conséquent, une entreprise privée ne pourrait bénéficier d'une telle immunité, à moins de faire la démonstration qu'elle agit véritablement comme mandataire de l'État, ce qui ne doit pas se présumer. Il appert peu probable qu'une telle éventualité survienne, compte tenu de la structure organisationnelle et de l'objectif premier d'optimisation du rendement des entités privées.

Quant aux investisseurs institutionnels, l'évaluation devra se faire au cas par cas. Par exemple, au Québec, dans le cas de la Caisse de dépôt et placement du Québec, une entité qui agit et qui investit partout au Canada, la Loi sur la Caisse de dépôt et placement du Québec confère à cette institution le statut de mandataire de l'État. Les filiales en propriété exclusive de la caisse le sont également. En revanche, la Loi sur l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada prévoit expressément que l'organisme n'est pas mandataire de Sa Majesté. Le gouvernement fédéral conserve toutefois certains pouvoirs réglementaires sur l'office. Il en va de même pour la plupart des autres caisses de retraite publiques à travers le Canada. Celles-ci ne possèdent généralement pas le statut de mandataire de la Couronne. En somme, même lorsqu'un organisme est un mandataire de l'État, cela ne lui octroie aucune immunité absolue, puisque celle-ci peut être limitée par une loi ou un règlement.

Ces informations étaient peu diffusées au cours de la période précédant l'adoption d'une motion unanime des députés de l'Assemblée nationale du Québec, le 31 mai dernier. Cette motion affirme l'application de toutes les lois du Québec aux éventuels projets soutenus par la banque, et réclame des amendements en ce sens. Si cette revendication était restée lettre morte, j'aurais été la première à me lever, en cette Chambre, pour exiger que le respect du partage des compétences soit explicitement inscrit dans le projet de loi C-44.

Toutefois, à la lumière des réponses obtenues, notamment, mais non exclusivement, de la part du ministre des Finances, ainsi qu'à l'intérieur de la missive du 5 juin dernier des sous-ministres des Finances et de l'Infrastructure, je ne crois pas qu'une telle démarche soit appropriée. En effet, le ministre n'a laissé aucune place au doute en déclarant ce qui suit, le 31 mai dernier, devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, et je cite :

[...] la banque n'empiétera pas sur les compétences provinciales. Nous sommes convaincus que la banque sera assujettie aux lois municipales, provinciales et fédérales. Le partage des compétences entre les gouvernements provinciaux et fédéral sera respecté. Toutes les lois provinciales et territoriales pertinentes s'appliqueront à tous les projets dans lesquels la banque investira. Ni la banque ni les projets ne feront l'objet d'exceptions particulières. Nous avons obtenu un avis juridique à ce sujet et c'est très clair.

Je suis donc convaincue que toutes les lois provinciales et municipales, ainsi que les réglementations municipales, seront respectées et qu'il serait inutile d'inclure une telle disposition dans le projet de loi C-44. Cela créerait un précédent impertinent au sein de la législation fédérale et engendrerait une confusion certaine quant à l'interprétation des lois. Il faut également tenir compte de la présomption d'effectivité des lois, c'est-à-dire que chacun des mots d'un texte législatif est censé produire ses effets. La Chambre des communes n'a pas parlé pour ne rien dire en édictant que la banque ne serait pas mandataire de Sa Majesté.

Somme toute, lorsqu'une société deviendra partenaire de la banque pour la réalisation d'un projet d'infrastructure, elle devra respecter l'intégralité du cadre législatif applicable — par exemple, en matière d'évaluation environnementale ou de conditions de travail sur les chantiers —, à moins, bien sûr, qu'une loi particulière n'octroie le statut de mandataire de l'État à un acteur institutionnel, comme c'est le cas pour la Caisse de dépôt et placement du Québec. Même dans le cas d'un projet comme celui du système léger sur rails dans la région de Montréal, la banque respecterait l'intégrité de la législation québécoise qui, elle, prévoit un statut spécifique pour la Caisse de dépôt.

Par ailleurs, des réserves ont été exprimées relativement à l'enveloppe de 35 milliards de dollars consacrée à la banque sur une période de 12 ans. Je souligne que l'incidence budgétaire maximale sera limitée à 15 milliards de dollars pour toute charge entrant dans la comptabilité d'exercice annuel. La participation en capital de la banque dans les projets d'infrastructure ne pourra donc dépasser le plafond des 15 milliards de dollars.

L'autre portion de 20 milliards de dollars sera consacrée à l'octroi des prêts et de garanties de prêts. Ces incitatifs seront propices à la création d'un climat concurrentiel sur les marchés financiers, où les partenaires de la banque devront exercer un contrôle rigoureux de leurs dépenses afin d'atteindre un niveau de rentabilité satisfaisant pour leurs actionnaires. Ultimement, ce modèle novateur limitera les risques de défaut de paiement et de dépassement de coûts pour les contribuables canadiens.

Enfin, je ne peux passer sous silence l'équilibre dans la structure de la banque. Les futurs administrateurs seront nommés à titre amovible par le premier ministre. Celui-ci recommandera le premier dirigeant, qui sera ultimement nommé par le conseil d'administration. Le conseil devra toutefois être consulté en cas de congédiement de son président ou du premier dirigeant. Cette structure établit une norme de contrôle élevée par rapport aux sociétés d'État fédérales à vocation similaire. En effet, certaines d'entre elles ne présentent pas un équilibre entre l'autonomie institutionnelle et la surveillance gouvernementale.

Par exemple, la Banque de développement du Canada est mandataire de la Couronne. Le président du conseil et le premier dirigeant sont nommés à titre amovible par le premier ministre pour le mandat qu'il détermine par dérogation à la Loi sur la gestion des finances publiques, et la nomination des administrateurs est faite pour un mandat de quatre ans par le ministre compétent avec l'approbation du premier ministre.

Deuxièmement, la Société canadienne d'hypothèques et de logement est mandataire de la Couronne. Le président du conseil et le premier dirigeant sont nommés à titre amovible par le premier ministre pour le mandat qu'il estime indiqué, et la nomination des administrateurs est faite également à titre amovible pour un mandat de quatre ans par le ministre compétent avec l'approbation du premier ministre.

Troisièmement, Exportation et développement Canada est une personne morale mandataire de la Couronne dont le président du conseil et le premier dirigeant sont nommés à titre amovible par le premier ministre pour le mandat qu'il estime indiqué, et la nomination des administrateurs est faite également à titre amovible pour un mandat de quatre ans par le ministre compétent avec l'approbation du premier ministre.

Ces exemples démontrent qu'il n'existe pas de solution universelle au dilemme de la gouvernance publique. Néanmoins, afin d'atteindre un équilibre structurel conforme aux plus hautes normes en la matière, il a été prévu que la banque soit une société d'État non mandataire de la Couronne, tel que je vous l'ai exposé précédemment.

De plus, la banque sera assujettie au contrôle du vérificateur général du Canada sans aucune restriction et rendra compte au Parlement, tous les cinq ans, de l'application de sa loi constitutive. Ces derniers contrepoids représentent un autre élément qui est conforme aux meilleures pratiques en matière de gouvernance publique.

Honorables sénateurs, sur la base des faits et de la documentation, et après un examen rigoureux des questions sensibles liées à la Banque de l'infrastructure du Canada, je me prononcerai sans réserve en faveur de l'adoption du projet de loi C-44. Je vous remercie.

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