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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine--Suite du débat

1 juin 2021


Honorables sénateurs, je vous rappelle que je parlais de la persécution des Ouïghours en Chine.

À l’hôpital, Golbahar a rencontré beaucoup de femmes et de filles vêtues d’une veste jaune, ce qui signifiait que c’était des détenues condamnées à mort. Quand Golbahar parlait, on pouvait sentir la souffrance et l’émotion dans sa voix, mais elle a eu de la chance parce qu’elle a été libérée. C’est maintenant une femme libre, et elle vit en France.

On estime de façon prudente qu’il y a 1 million d’Ouïghours détenus dans des camps de prisonniers en Chine. En ce moment même, 1 million de personnes se font torturer seulement en raison de leur foi : la foi musulmane. En 2018, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes a étudié la question des droits de la personne des Ouïghours et d’autres musulmans d’origine turque. Le sous-comité a produit un rapport, dont je vais lire un court extrait :

[...] une religion entière qui est criminalisée. Selon les témoignages entendus, les lois contre la terreur mènent à l’interdiction d’un large éventail de pratiques et d’expressions religieuses de l’islam. Le port de la barbe et de vêtements religieux est notamment interdit. Les personnes dont le nom a un caractère religieux n’ont d’autre choix que changer de nom. Les exemplaires du Coran, les livres religieux et les tapis de prière que les gens gardent à la maison sont confisqués. Les pratiques alimentaires islamiques sont interdites, les signes indiquant les aliments halal sont maintenant illégaux, et les restaurants doivent rester ouverts pendant le ramadan. Il est également interdit d’enseigner l’islam aux enfants. Des gens ont été incarcérés pour avoir prié cinq fois par jour et pour avoir distribué des textes religieux au sein même de leur famille.

Cependant, l’identité religieuse n’est pas la seule facette de l’identité ouïghoure. La langue, la culture et les traditions sont toutes menacées. Elles ne sont plus enseignées dans les écoles et si vous êtes surpris à parler à vos enfants dans votre langue, vous serez emprisonné dans les fameux camps chinois.

Les professeurs, les athlètes et les hommes politiques ouïghours sont tout particulièrement visés. Voici ce qu’a déclaré Farida Deif, de Human Rights Watch :

Pour que les choses soient bien claires, l’ampleur et la portée des sévices en cours au Xinjiang dépassent tout ce que Human Rights Watch a pu observer en Chine depuis des décennies. La situation actuelle est sans précédent, en raison non seulement du nombre de personnes détenues, mais aussi de la gravité des atteintes systématiques aux droits de la personne dans l’ensemble de la région. En outre, les répercussions se font ressentir au-delà des frontières de la Chine et touchent tous les ressortissants ouïghours de la planète, y compris ceux qui vivent ici au Canada. Ce n’est aucunement comparable à ce que nous avons pu observer jusqu’à maintenant.

Comme c’est toujours le cas, les femmes dans ces situations souffrent d’un type de torture additionnelle : les agressions sexuelles. Les rares femmes qui ont été libérées et qui ont réussi à s’enfuir dans d’autres pays où elles se sentent en sécurité racontent leurs traumatismes de viol et d’autres formes de violence sexuelle. Le récit le plus commun ressemble à ceci : les hommes chinois se rendent dans les cellules et choisissent une femme. L’agente déshabille la femme et lui passe les menottes aux poignets, qui sont placés au-dessus de sa tête. La femme se fait escorter vers une chambre noire, qui n’est pas munie de caméras de surveillance. Les hommes chinois la violent alors, parfois à plusieurs, parfois à de multiples reprises dans la même soirée.

Une femme qui a miraculeusement survécu a été libérée de ces soi-disant camps de rééducation et a déclaré à la BBC que ce sont des cicatrices inoubliables qui ne s’effaceront jamais.

Sénateurs, j’aimerais vous expliquer pourquoi j’ai choisi de vous faire part d’un témoignage qui revient sans cesse, celui d’un viol. J’ai choisi de ne pas vous raconter les nombreux témoignages où il est question de bâtons à impulsions électriques et autres méthodes de torture utilisées pour agresser sexuellement les victimes. Comme l’a déclaré Farida Deif, c’est sans précédent. Cette violence sexuelle, combinée à la stérilisation forcée, à l’endoctrinement et à la volonté d’anéantir les Ouïghours, ne doit pas être tolérée. Nous ne pouvons pas laisser la situation perdurer.

À la fin de février, l’autre endroit a adopté, à 266 voix contre 0, une motion visant à déclarer comme un génocide le traitement réservé à la minorité ouïghoure en Chine. Je lui offre mes sincères félicitations pour cette motion, et je sais qu’il a fallu trop de temps et beaucoup de travail pour amener les gens à l’adopter. Cependant, je ne peux pas, en toute conscience, considérer que c’est suffisant.

Ce qui est surprenant, c’est que l’on croie que cela suffit. Je sais que le monde, y compris le Canada, continuera sans doute à travailler avec la Chine en ce qui a trait au commerce, aux changements climatiques et à d’autres dossiers, mais il est essentiel de ne pas oublier ce que fait le gouvernement de la Chine. Nous devons rester inébranlables dans notre défense de la justice et des droits, surtout en ce qui concerne les personnes vulnérables.

Je suis obligée de me demander pourquoi le gouvernement du Canada hésite à intervenir à l’égard de ce génocide. Nos plus proches alliés, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont pris des mesures rigoureuses et sans équivoque, mais au Canada, les membres du Cabinet se sont même abstenus de voter sur une simple motion non contraignante.

Les paroles ne suffisent pas. Face à des gestes aussi horribles que la torture, le viol, la stérilisation et le génocide, il faut en faire bien davantage. Honorables sénateurs, le Canada a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de la responsabilité de protéger. Le Canada a montré l’exemple en faisant valoir que, lorsqu’une atrocité est commise, il faut intervenir pour protéger les plus vulnérables. Le Canada doit faire ce qu’il prône, et je vous invite tous à appuyer cette motion et à vous porter à la défense des plus vulnérables du monde.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer cette motion et pour remercier le sénateur Leo Housakos de nous fournir l’occasion de prendre des décisions personnelles en tant que sénateurs sur cette question de droits de la personne qui compte parmi les plus pressantes et les plus cruciales de notre époque.

Comme vous le savez, cette motion nous donne l’occasion de nous joindre à nos collègues parlementaires de l’autre endroit, puisque le libellé est identique, ce qui procure l’effet supplémentaire que l’on produit quand les deux Chambres du Parlement du Canada parlent d’une même voix. Je veux également remercier les parlementaires canadiens, qui, depuis des années, se penchent sur la persécution des Ouïghours et d’autres minorités par l’État chinois, en plus de la dénoncer.

Le 24 février 2021, l’organisme Les Amis du Centre Simon Wiesenthal pour les Études sur l’Holocauste et le Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne ont publié une déclaration commune pour féliciter la Chambre des communes du Canada d’avoir adopté une position morale ferme en reconnaissant le génocide des Ouïghours par la Chine.

Comme nous le savons, nous n’avons pas l’autorité nécessaire pour dicter sa conduite au gouvernement du Canada, mais il fait certainement partie de nos responsabilités parlementaires d’exhorter le gouvernement du Canada à s’attaquer aux atrocités qui sont commises contre les Ouïghours, et de faire en sorte que la Chine en soit tenue responsable.

Revenons au 21 octobre 2020, alors que le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes apprenait que près de 2 millions d’Ouïghours et d’autres groupes ethniques turcs étaient détenus dans ce que des témoins ont décrit comme des camps de concentration et la détention la plus massive de membres d’une communauté minoritaire depuis l’Holocauste de la Seconde Guerre mondiale.

La sénatrice Jaffer vient de résumer avec éloquence le témoignage de Golbahar, qui nous a raconté ses expériences personnelles et horrifiantes en tant que détenue. Les témoignages comme celui de Golbahar prouvent que des atrocités ont eu lieu, y compris des efforts pour éradiquer l’identité culturelle et religieuse, de nombreux cas d’agressions sexuelles et d’autres formes de violence contre les femmes, l’existence de camps de concentration et de travail forcé, ainsi que la stérilisation et l’avortement forcés pour réduire la population ouïghoure. Golbahar nous a dit que les plus belles Ouïghoures étaient tirées de leur cellule le soir. Certaines revenaient après avoir été battues et agressées sexuellement. D’autres ne revenaient jamais.

Cette motion nous donne l’occasion, en tant que sénateurs, de joindre nos voix aux parlementaires canadiens de tous les partis qui ont adopté la motion présentée par Michael Chong. Ce député a été sanctionné par l’État chinois pour avoir déclaré que les atrocités commises par la Chine contre les Ouïghours constituaient carrément un génocide.

L’appui à cette motion revient aussi à soutenir le gouvernement du Canada pour qu’il fasse progresser l’important travail effectué par le Parlement en prenant les mesures nécessaires pour demander des comptes à l’État chinois, si le gouvernement en décidait ainsi. Nous soumettrions tout simplement nos conseils et nos opinions au gouvernement pour qu’il les prenne en considération.

Comme l’a dit Irwin Cotler, l’ancien ministre de la Justice qui est actuellement envoyé spécial du Canada et président du Centre Raoul-Wallenberg pour les droits de la personne, une telle mesure représente une excellente occasion pour le gouvernement canadien de suivre l’initiative du Parlement et d’entreprendre les prochaines étapes pour prendre en considération tout ce qui est nécessaire en vue d’aller de l’avant.

L’imposition, aux termes de la loi de Magnitski, de sanctions ciblées contre les artisans de ce génocide, qui enfreignent les droits de la personne, ainsi qu’une augmentation de l’aide humanitaire offerte aux Ouïghours et de meilleures possibilités pour eux d’obtenir l’asile sont aussi au programme, mais ces mesures ne sont pas mentionnées explicitement dans la motion.

Chers collègues, permettez-moi, en terminant, de vous raconter un témoignage. Juste avant que la pandémie de COVID-19 ne frappe l’an dernier, la Dre Fozia Alvi, une médecin de famille de Calgary, a communiqué avec moi. J’avais rencontré la Dre Alvi l’année précédente dans les camps de Rohingyas au Bangladesh, où elle assurait volontairement la prestation de soins médicaux, une pratique qu’elle poursuit toujours par l’entremise d’une œuvre de bienfaisance que sa famille et elle ont établie et qui mobilise des médecins de partout dans le monde pour donner de leur temps, ne serait-ce qu’une ou deux semaines, afin d’aider dans les camps de Rohingyas et à d’autres endroits où des gens vivent en situation de crise. La Dre Alvi m’a demandé de venir à Calgary pour me joindre à elle ainsi qu’à d’autres médecins pour manifester notre solidarité envers les adeptes du Falun Gong et les Ouïghours venus en grand nombre — relativement à la population de l’Alberta — à Calgary pour assister à une conférence de presse et parler de ce que leur ont appris des connaissances et des membres de leur famille ouïghours qui vivent sous le régime chinois et qui se trouvent dans diverses situations.

J’ai eu le grand honneur d’animer la conférence de presse. Par la suite, j’ai pu m’asseoir avec les Canadiens d’origine ouïghoure qui étaient présents, dont certains ont eu besoin plus de sept heures pour traverser une tempête de neige où la visibilité était nulle afin d’arriver à temps pour la conférence de presse. Si j’avais des doutes avant cette rencontre, j’ai quitté Calgary en sachant qu’il s’agissait d’un génocide dont le monde devait prendre conscience.

Je termine en invitant chaque sénateur à faire sa propre réflexion en toute indépendance. J’espère que nous arriverons tous à la conclusion que la motion mérite d’être appuyée.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice McPhedran, il vous reste du temps. Accepteriez-vous une question du sénateur Housakos?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Je serais très heureuse d’essayer de répondre à une question.

Le sénateur Housakos [ + ]

Sénatrice McPhedran, je vous remercie de votre appui à la motion et je remercie également la sénatrice Jaffer d’avoir gentiment accepté de soutenir aussi fermement cette motion. Vous êtes toutes deux toujours prêtes à défendre les droits de la personne sans hésitation.

Sénatrice, pourquoi croyez-vous qu’il faille autant de temps à notre institution pour adopter une position aussi évidente que la défense des droits de la personne au moyen de l’application de sanctions dans le cadre de la loi de Magnitski aux personnes responsables de violations des droits de la personne? Pourquoi faut-il autant de temps avant qu’une motion comme la motion no 79 puisse être adoptée pour reconnaître le génocide que subit le pauvre peuple ouïghour? Pourquoi le Sénat est-il si lent à agir contrairement à la Chambre des communes ou à d’autres institutions des régimes de Westminster ou d’autres régimes démocratiques qui ont promptement exprimé leur appui au peuple ouïghour? Pourquoi, honorable sénatrice, prenons-nous autant de temps au Sénat avant d’affirmer clairement notre engagement indéfectible envers les valeurs canadiennes?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Merci de votre question, sénateur Housakos.

Par rapport à vous et à de nombreux autres sénateurs beaucoup plus expérimentés que moi, je dois avouer que je me considère comme une nouvelle venue. Le Sénat est sans aucun doute l’une des institutions les plus intrigantes et les plus exigeantes dont j’ai fait partie. Je n’arrive pas encore à comprendre une grande partie de ce qui passe ici.

À mon avis, nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de parler de votre motion, et, ce soir, c’est un excellent moment pour le faire. Le genre de délai dont vous parlez avec une frustration compréhensible s’applique à presque tout ce que nous tentons d’accomplir en cette période très dangereuse. En ce moment, nous devons respecter la sécurité de tous ceux qui travaillent pour nous appuyer et qui n’ont pas la possibilité, comme nous, de rester chez eux pour participer pleinement aux délibérations du Sénat. Je ne peux pas tirer de conclusions claires à ce sujet, mais je ressens certainement la même frustration que vous.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Housakos, aviez-vous une autre question?

Le sénateur Housakos [ + ]

Non. J’aimerais que la motion soit mise aux voix.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, je vois la sénatrice Duncan...

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice Duncan, souhaitez-vous passer au vote ou proposer l’ajournement?

La sénatrice Duncan [ + ]

Je souhaite proposer l’ajournement du débat.

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