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Régie interne, budgets et administration

Troisième rapport du comité--Débat

27 février 2020


Chers collègues, je prends la parole pour parler de l’amendement que je viens de déposer au sujet du troisième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Je prends la parole aujourd’hui pour vous demander d’appuyer mon amendement au troisième rapport si bien présenté par la sénatrice Saint-Germain. Avant d’en dire plus sur l’amendement que je propose, permettez-moi d’exprimer ma profonde admiration et mes sincères remerciements pour l’excellent travail des sénateurs et des fonctionnaires qui ont produit la politique proposée sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail au Sénat.

L’amendement que je présenterai à la fin de mon intervention ne vise en aucun cas à retarder ou à faire dérailler notre examen de la décision collective d’actualiser et de renforcer cette politique. En raison de l’énorme incidence de la politique proposée sur de nombreuses vies et sur la réputation de cette institution ancrée dans la Constitution, je demande qu’elle soit renvoyée à un autre comité aux fins d’examen dans l’optique des droits de la personne.

En plus de renvoyer la politique aux comités de l’éthique et du Règlement, l’amendement, s’il est adopté, renverrait aussi la politique au Comité des droits de la personne pour obtenir l’autorisation de l’étudier et de recommander des modifications.

Selon le rapport, les comités de l’éthique et du Règlement ont jusqu’au 30 avril pour présenter leur rapport. Mon amendement est axé sur l’importance de la rapidité pour renforcer notre engagement en matière de prévention et de règlement du harcèlement en milieu de travail au Sénat.

Le Comité des droits de la personne disposerait de 30 jours pour présenter un rapport après s’être formé. Si le Sénat adoptait le rapport, son contenu serait réputé renvoyé au Comité de l’éthique et au Comité du Règlement afin que ces derniers puissent disposer d’une analyse des droits de la personne pour rédiger et présenter leur rapport au Sénat.

Pour s’assurer que les comités de l’éthique et du règlement aient accès à cette analyse des droits de la personne avant d’avoir terminé la rédaction de leur rapport respectif, cette motion demande que le rapport du Comité des droits de la personne soit déposé auprès du greffier et disponible dans les 30 jours après que le Comité des droits de la personne se soit formé.

Honorables collègues, avant d’être nommée au Sénat, j’ai eu une carrière juridique en tant qu’éducatrice et spécialiste des droits de la personne. J’ai notamment représenté des victimes de harcèlement par des personnes plus puissantes dans des entreprises, des universités, des gouvernements et d’autres institutions. J’ai élaboré de nouvelles politiques et de nouvelles lois pour lutter contre le harcèlement. J’ai présidé trois enquêtes indépendantes sur l’exploitation sexuelle des patients et j’ai coécrit un manuel sur la prévention des abus sexuels chez les professionnels de la santé.

Vous connaissez peut-être la norme mondiale largement utilisée qui préconise une tolérance zéro en matière d’exploitation et d’abus. Ce terme a été développé au début des années 1990 et il remonte au premier rapport de la première enquête que j’ai présidée, où nous avons déterminé et expliqué pourquoi une norme de tolérance zéro était si importante.

Depuis ma nomination, j’ai mis en place une ligne confidentielle pour signaler les cas de harcèlement en milieu de travail au Sénat. Avec d’autres sénateurs, j’ai milité pour que l’on mette en place de meilleures mesures de protection pour les employés du Sénat qui sont victimes de harcèlement, en accordant une attention particulièrement aux situations comme celles dont ont souffert les employés de l’ancien sénateur Don Meredith. L’initiative a été parrainée avec brio par la sénatrice Nancy Hartling, et nombre de sénateurs se sont efforcés de combattre et de dénoncer les déséquilibres de pouvoir sur la Colline du Parlement.

Lors de la dernière législature, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-65, Loi modifiant le Code canadien du travail (harcèlement et violence), la Loi sur les relations de travail au Parlement et la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, et à la suite de l’aimable invitation de la sénatrice Saint-Germain, présidente du sous-comité du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, j’ai eu le plaisir de participer, à l’occasion, aux premiers efforts de modernisation de la politique de lutte contre le harcèlement au Sénat. La publication, lors de la dernière législature, du 37e rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, représente une étape importante pour déterminer les prochaines mesures à prendre dans ce dossier, mais nous devrions aussi nous pencher, dans une certaine mesure, sur le rapport final présenté par le sous-comité du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, et je crois qu’il serait très constructif de donner au Comité des droits de la personne l’occasion de se pencher également sur ce rapport.

Nous avons maintenant l’occasion et l’obligation de nous pencher de près sur nos responsabilités lorsqu’il s’agit de mettre en place une nouvelle politique qui soit équitable pour nos employés et qui n’exacerberait pas les déséquilibres de privilège et de pouvoir dans les milieux de travail du Sénat. Ce n’est plus un processus qui relève exclusivement d’un groupe de personnes hautement qualifiées et réunies en sous-comité. C’est maintenant notre responsabilité collective.

Sans une analyse des droits de la personne, je crains que nous n’ayons pas l’occasion d’étudier les répercussions possibles de ce rapport sur les personnes les plus vulnérables dans cette institution. Par conséquent, j’aimerais soulever plusieurs préoccupations à propos de la politique proposée. Je vous les soumets respectueusement dans le cadre du débat sur cet amendement.

Premièrement, même si la confidentialité est un aspect essentiel de tout processus de plainte qui crée un mécanisme sûr pour les plaignants vulnérables, je m’inquiète que la politique proposée établisse en somme des dispositions de non-divulgation pour tous les participants du processus, du début à la fin, tout en brandissant la menace de mesures disciplinaires pour les employés qui ne respecteraient pas cette exigence.

C’est particulièrement inquiétant étant donné qu’il ne semble y avoir aucune chance d’un appel efficace pour les plaignants. Un plaignant qui a été lésé ne pourra dénoncer la situation sans risquer des sanctions professionnelles. Pour les sénateurs, le secret entourant ce régime signifie que nous n’aurons aucun moyen de savoir si la politique proposée atteint ses objectifs.

Je passe à mon deuxième point, qui est lié au premier. La politique proposée prévoit que les mesures réparatrices, correctrices et disciplinaires demeureront confidentielles et qu’elles ne seront pas communiquées au plaignant, ce qui est grandement préoccupant. Il est évidemment important de protéger la confidentialité, mais faire en sorte que le plaignant ne sache pas quelles mesures ont été prises à la suite du processus risque peu de favoriser la confiance dans un tel système.

Troisièmement, contrairement à la politique de 2009, la politique proposée exige que les plaignants renoncent aux autres recours, que ce soit aux termes de leur convention collective, de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou même des protections du projet de loi C-65, une fois en vigueur, avant d’avoir accès à son processus de plainte officiel.

L’ancien processus accordait au directeur des ressources humaines le pouvoir discrétionnaire de gérer au cas par cas les situations où des procédures de traitement des plaintes se chevauchent. Il faut, à tout le moins, maintenir dans la politique proposée ce pouvoir discrétionnaire pour la tierce partie neutre.

La politique de 2009 conférait aux whips le pouvoir décisionnel ultime relativement aux plaintes concernant un sénateur ou un membre du personnel d’un bureau de sénateur. La politique proposée prévoit que le comité directeur du Comité permanent de la régie interne est responsable des plaintes concernant un membre du personnel d’un bureau de sénateur, tandis que le Comité de l’éthique et un sous-comité du Comité permanent de la régie interne sont responsables des plaintes d’un sénateur à l’endroit d’un autre sénateur.

À mon avis, nous pouvons tirer une leçon du travail réfléchi effectué l’an dernier par le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. N’est-il pas ironique que, à la dernière session de la législature, dans son vingt-troisième rapport, intitulé Le harcèlement et la violence sexuelle dans les forces armées canadiennes, notre comité ait jugé que les Forces armées canadiennes ont besoin d’une entité externe disposant des moyens et de l’autorité nécessaires à l’exercice d’une « surveillance externe rigoureuse »?

La surveillance externe, rigoureuse ou autre, est complètement absente de la politique proposée contre le harcèlement. Je dis cela parce que, telles qu’énoncées, la tierce partie neutre et les autorités déterminantes seront employées par le Comité permanent de la régie interne. Dans les faits, elles seraient employées par nous. Je crois qu’il vaut la peine, à tout le moins, d’examiner cela sous l’angle des droits de la personne pour déterminer si la nouvelle politique proposée penche en faveur de l’institution.

Dans ces circonstances, je m’inquiète que l’approche articulée dans la nouvelle politique proposée risque de perpétuer l’idée voulant que le Sénat soit un milieu de travail fermé, idée qui serait renforcée par le secret accru et imposé entourant le processus de plainte. Il est peu probable que cela profite aux personnes qui occupent des positions moins privilégiées, positions auxquelles nous ne sommes pas toujours sensibles en tant que sénateurs.

Je souligne que le Comité des droits de la personne a examiné le projet de loi C-65 lors de la législature précédente. J’espère que leur examen aura pour effet de nous doter d’un mécanisme de surveillance externe afin de trouver des façons d’offrir la meilleure protection possible aux personnes qui nous aident à remplir notre important mandat de sénateurs.

Si des ententes de non-divulgation s’appliquent aux accompagnateurs, comme le prévoit la nouvelle politique, comment ceux-ci peuvent-ils témoigner de ce qui s’est passé ou non dans le cadre du processus du Sénat? Les renseignements dont ils disposent ou ceux dont dispose le plaignant sont-ils assujettis à la clause de confidentialité qui pourrait entraîner des mesures disciplinaires parce qu’il s’agit d’informations susceptibles de révéler l’identité d’une personne impliquée dans une plainte — parties ou témoins — en dehors du processus de résolution de la plainte?

En outre, puisque la loi n’exige pas qu’on divulgue le dépôt d’une plainte en vertu du Code canadien du travail, j’ai du mal à comprendre comment un employé qui se plaint d’une mauvaise utilisation d’un processus du Sénat ne dérogera pas à la disposition de confidentialité, ce qui pourrait exposer cette personne à des sanctions disciplinaires pour avoir fait une divulgation non autorisée.

C’est très inquiétant. Un examen préliminaire m’a incité à proposer cette motion d’amendement. En terminant, je rappelle aux honorables sénateurs que la culture du secret aide bien plus souvent les coupables et les institutions auxquelles ils appartiennent que les victimes d’abus de pouvoir et d’abus de confiance.

Je lirai maintenant la motion que je propose.

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