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La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

8 février 2024


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-279, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (données sur les organismes de bienfaisance enregistrés).

Le projet de loi repose sur la huitième recommandation formulée dans le rapport du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, intitulé Catalyseur du changement : une feuille de route pour un secteur de la bienfaisance plus robuste.

Comme vous vous en souviendrez, le Comité spécial a été créé par notre ancien collègue le sénateur Terry Mercer. J’ai eu le privilège d’en être la vice-présidente, avec la sénatrice Yonah Martin.

Le projet de loi est assez simple. Il est pragmatique. Il est tout à fait réalisable dans le contexte de nos discussions actuelles sur la lutte contre le racisme, la diversité et l’inclusion. Il se concentre sur un seul secteur, certes très important, qui joue un rôle crucial pour aider les Canadiens dans des circonstances ordinaires et extraordinaires. Je parle du secteur de la bienfaisance, qui offre ses services dans tous les coins du pays et qui touche tous les aspects de notre vie, y compris la religion, la santé, la culture, la lutte contre la pauvreté et l’environnement, pour n’en nommer que quelques-uns.

Ce secteur emploie près de 2,5 millions de personnes et contribue à notre PIB à hauteur de 8,2 %, presque comme le secteur agricole. Cependant, il est aux prises avec une insuffisance de données probantes, car celles-ci sont rarement collectées.

Comme l’a souligné avec beaucoup d’humour un des témoins qui a comparu devant le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, nous savons exactement combien d’œufs sont pondus quotidiennement par des poules canadiennes dans les fermes canadiennes. Je vois que le sénateur Black m’écoute, et il peut débattre de cette question. Or, on ne sait jamais qui sont ceux qui travaillent dans un secteur de taille similaire ni qui sont ceux qui l’administrent. Cette lacune pose un défi de taille, car il est impératif de disposer de données probantes pour élaborer des politiques et prendre des décisions éclairées.

Le projet de loi dont nous sommes saisis est une étape modeste, mais essentielle, pour combler cette lacune sur le plan des données. Le projet de loi est axé sur les dirigeants du secteur. Au Canada, chaque organisme de bienfaisance est supervisé par des administrateurs nommés ou élus. Ceux-ci définissent la mission de l’organisme, définissent ses priorités et approuvent les politiques d’embauche et d’approvisionnement. Ils décident où et comment les fonds caritatifs seront dépensés et ils déterminent l’étendue et la nature des services fournis. Ils assument la responsabilité de l’orientation stratégique et la responsabilité fiduciaire. En fin de compte, il leur incombe de veiller à ce que l’organisme de bienfaisance qu’ils dirigent respecte la loi. Je pense que nous savons tous que la loi encadre rigoureusement les organismes de bienfaisance. L’expérience et l’expertise de ces personnes contribuent à renforcer la confiance entre les parties prenantes et, en définitive, à améliorer la capacité de leur organisation à remplir sa mission et à avoir des retombées positives sur la société.

Bref, c’est à eux qu’incombe cette responsabilité.

Si l’on considère que chacun des quelque 85 000 organismes de bienfaisance enregistrés au Canada a un conseil d’administration d’environ 12 administrateurs — ce qui est peu, car de nombreux organismes en ont beaucoup plus —, le milieu de la gouvernance compte environ 1 million de personnes qui ont le pouvoir de prendre des décisions qui changeront la vie des Canadiens.

Qui sont ces personnes? Ce sont probablement des gens comme nous, parce que je suis convaincue que chacun d’entre vous a déjà fait partie du conseil d’administration d’un organisme de bienfaisance. Je sais donc que ces administrateurs sont des bénévoles dévoués et bien intentionnés qui consacrent un nombre incalculable d’heures aux activités des conseils d’administration de ces organismes.

Cela dit, qui sont ces gens exactement? La vérité, c’est que nous n’avons pas de réponse précise à cette question.

En juin 2019, lorsque le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance a publié son rapport, nous avons reconnu et déterminé qu’il s’agit d’un vaste secteur qui a beaucoup d’influence, qui touche tous les aspects de nos vies et qui exerce une forte influence sur l’économie et le marché de l’emploi. Je pense que nous savons tous à quel point nous comptons sur le secteur de la bienfaisance, en temps normal comme dans les circonstances exceptionnelles. Je songe plus particulièrement à ce que nous avons vécu récemment pendant la pandémie. Nous avons dû nous appuyer sur ce secteur non seulement pour répondre à nos besoins en matière de santé, y compris en santé mentale, mais aussi pour assurer notre sécurité alimentaire et notre sécurité personnelle.

Cependant, étant donné que les organismes de bienfaisance ne font pas de collecte systématique de données sur la gouvernance à l’échelle sectorielle, et que le gouvernement ne recueille pas non plus de telles données, nous sommes plutôt mal renseignés sur l’état de la gouvernance au sein de ce secteur. Comme un témoin l’a mentionné, nous avons besoin de données sur la diversité et la représentation afin de pouvoir mesurer nos progrès en ce qui a trait à l’inclusion.

C’est pourquoi le rapport du comité demande que l’on recueille chaque année des données basées sur les définitions existantes de l’équité en matière d’emploi. Vous vous souviendrez peut-être que nous avons eu un débat semblable lors de l’examen du projet de loi C-25, un projet de loi d’initiative ministérielle qui a modifié la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Par conséquent, toutes les sociétés ayant fait appel au public et constituées en vertu d’une loi fédérale sont désormais tenues de fournir aux actionnaires des renseignements sur le profil démographique de leurs administrateurs conformément aux lignes directrices sur l’équité en matière d’emploi. Ces dispositions législatives sont en vigueur depuis trois ans.

Malgré certaines lacunes, le secteur privé dispose désormais d’une obligation de déclaration et d’un régime qui l’obligent à rendre compte chaque année de la diversité démographique de ses conseils d’administration. Par conséquent, nous disposons d’un éclairage annuel sur l’augmentation ou le déclin de la diversité dans les conseils d’administration des entreprises, ce qui nous permet de disposer d’un ensemble de données probantes fondamentales.

Je pense que la majorité d’entre nous reconnaît le rôle central, la fonction et l’importance des organismes de bienfaisance. Néanmoins, la rareté des données disponibles concernant ce secteur m’amène à une conclusion : le secteur peut se rallier à la diversité en théorie, mais il doit encore la mettre pleinement en œuvre dans la pratique. Bref, comme je l’ai dit, son esprit est ardent, mais sa chair est faible. Ses aspirations à cet égard sont louables et sa volonté est apparente, mais il semble avoir du mal à traduire ses intentions en actions concrètes, comme le souligne le journal de référence de la philanthropie au Canada, The Philanthropist Journal, qui affirme :

On a souvent critiqué les conseils d’administration du secteur philanthropique en raison du phénomène appelé « l’effet couche de neige », c’est-à-dire le fait d’avoir des travailleurs racialisés en première ligne alors que des cadres principalement blancs occupent les postes décisionnels au sommet de l’organisation.

En juin 2020, j’ai publié une lettre ouverte exhortant le secteur philanthropique à recueillir des données sur la diversité au sein de ses conseils d’administration. Je disais : « Cher secteur, guéris-toi toi-même. » Heureusement, grâce au pouvoir des médias sociaux, le statisticien en chef du Canada, Anil Arora, a communiqué avec moi, et Statistique Canada s’est mobilisé. Ils ont accepté de mener, au moyen d’une approche participative, une enquête à participation volontaire sur le secteur. Statistique Canada a conçu le sondage avec de nombreux chefs de file du secteur. Il a été lancé en décembre 2020 et est demeuré accessible jusqu’en janvier 2021. En tout, 8 835 personnes ont répondu au sondage, et 6 170 se sont identifiées comme administrateurs.

Il s’agit de la première tentative ciblée de Statistique Canada pour évaluer la diversité au sein des conseils d’administration du secteur philanthropique et sans but lucratif.

Le sondage demandait aux membres des conseils d’administration de fournir des renseignements sociodémographiques englobant des caractéristiques comme la race, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le statut d’immigrant et les handicaps. Les résultats de l’enquête ont révélé que, même si les femmes étaient assez bien représentées au sein de ces conseils d’administration, les personnes issues de minorités raciales, les communautés autochtones, les immigrants et les personnes handicapées ne l’étaient pas. Parmi les répondants, 14 % se sont identifiés comme immigrants, 11 % comme faisant partie d’une minorité visible, et seulement 3 % comme membres d’une Première Nation, Métis ou Inuits.

Je félicite Statistique Canada d’avoir pris l’initiative de mener l’enquête et de nous en fournir un aperçu. Toutefois, il ne s’agit que d’une enquête ponctuelle. Elle n’a pas de signification statistique, comme la sénatrice Dasko le soulignerait certainement, en raison de sa nature participative. En outre, il est probable que les organisations et les personnes qui ont fourni leurs informations étaient déjà sensibilisées à la question.

La solution est assez simple. La ministre responsable de l’Agence du revenu du Canada devrait intégrer une question à ce sujet dans les formulaires annuels T3010 que les organisations caritatives sont tenues de remplir chaque année pour conserver leur statut. Or, la loi ne permet pas de le faire. C’est pourquoi mon projet de loi prévoit d’autoriser la collecte de cette information dans le cadre de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Tous les organismes de bienfaisance devraient remplir ce formulaire chaque année, ce qui permettrait de collecter des données annualisées qui pourraient être agrégées et, si nécessaire, désagrégées pour fournir une vue d’ensemble de la diversité au sein des conseils d’administration des organismes de bienfaisance.

Les données seraient basées sur les définitions de l’équité en matière d’emploi afin de garantir des mesures précises, légalement conformes et comparables. Cela permettrait la planification stratégique, les analyses intersectionnelles, la reddition de comptes et la mise en place d’initiatives efficaces pour favoriser des lieux de travail diversifiés et inclusifs. Si on élargit les définitions de l’équité en matière d’emploi, la collecte de données devra également intégrer les nouvelles catégories. Récemment, le gouvernement a annoncé qu’il envisageait d’élargir ces définitions pour mieux distinguer l’identité de genre et la race au-delà de la définition standard de « minorité visible ». Je pense que ce changement serait le bienvenu.

Puisque je parle d’équité en matière d’emploi, permettez-moi de réfléchir un peu à l’expérience canadienne dans ce domaine. Les entreprises sous réglementation fédérale doivent recueillir chaque année des données sur leur main-d’œuvre. L’équité en matière d’emploi n’est pas une question de cibles ou de quotas; elle vise simplement à recueillir des données. La simple collecte de ces données a cependant conduit, au cours des 30 dernières années, à une transformation de la main-d’œuvre canadienne grâce à une meilleure prise de conscience résultant des données collectées.

Comme nous l’avons fait pour l’équité en matière d’emploi, je pense que le temps est venu pour l’équité en matière de gouvernance. Nous en avons déjà mis en place les principes fondamentaux pour les entreprises sous réglementation fédérale. Il est temps d’en faire de même pour les organismes de bienfaisance sous réglementation fédérale.

Grâce à ces données concrètes, le gouvernement fédéral et le secteur de la bienfaisance pourront évaluer si des progrès ont été réalisés et, le cas échéant, dans quelle mesure. Il sera alors possible de faire des comparaisons entre les régions et les secteurs.

Par exemple, ces données pourraient nous renseigner sur le secteur des organismes culturels de bienfaisance, et les sous-secteurs de ce dernier pourraient nous permettre de déterminer si les organismes culturels de bienfaisance de la Nouvelle-Écosse ou de l’Île-du-Prince-Édouard progressent à peu près au même rythme vers l’équité en matière de gouvernance. Cela permettrait de repérer des chefs de file et des retardataires, mais sous forme de données agrégées.

Je tiens à préciser qu’aucun organisme de bienfaisance ni aucun administrateur ne fera l’objet d’un rapport individuel. Les données donneront plutôt un aperçu de l’ensemble du secteur. Il ne sera pas possible de déterminer si l’équité en matière de gouvernance est une force ou un point à améliorer dans tel ou tel organisme.

Si nous tenons sincèrement à faire en sorte que la décennie à venir soit synonyme de réconciliation, d’inclusion, d’optimisme et de profond respect pour la diversité du Canada, il est impératif de tenir compte du point de vue des Autochtones, des communautés marginalisées et des groupes racisés. Cela doit être le cas non seulement dans les institutions universitaires, dans les tribunaux et au Sénat, mais également aux tables décisionnelles des nombreux organismes de bienfaisance, dont les intentions sont louables et qui jouent un rôle nécessaire.

Ce projet de loi propose une approche simple mais complète pour ouvrir des perspectives en matière de gouvernance au sein du secteur, et il jouit de l’appui du secteur. J’espère pouvoir compter sur votre soutien pour faire avancer ce projet de loi simple, pratique et pragmatique. Merci.

L’honorable Donna Dasko [ + ]

Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

Bien sûr.

La sénatrice Dasko [ + ]

Sénatrice Omidvar, il s’agit d’une initiative merveilleuse. Je suis absolument ravie d’entendre que vous l’avez proposée.

Quel genre de détails pensez-vous que les données pourront fournir? L’Agence du revenu du Canada recueillera des données sur les quatre groupes désignés. Nous aurons donc ces détails. L’analyse permettra-t-elle de fournir des renseignements au public sur les divers secteurs, qu’il s’agisse de la culture, de la santé ou d’autres? Qu’en est-il de l’analyse de l’intersectionnalité? Les données peuvent-elles être examinées de manière un peu plus approfondie afin que nous puissions mieux comprendre l’intersectionnalité grâce à cet ensemble de données? Merci.

Merci, sénatrice Dasko. Vous êtes l’experte sur ces questions; ce n’est pas mon cas, alors je crois que vous seriez mieux à même de répondre à cette question que moi. Mon intention — j’ai notamment consulté Statistique Canada à ce sujet — repose sur le fait que, si les données étaient fondées sur les définitions normalisées de l’équité en matière d’emploi, il serait possible de les agréger et de les désagréger. Statistique Canada ou d’autres intervenants pourraient présenter une telle demande.

Par exemple, quelqu’un du secteur culturel pourrait vouloir les données concernant les organisations culturelles dans l’ensemble du Canada et le nombre de femmes dans leur conseil d’administration.

Il serait possible de désagréger davantage les données en fonction de la race et de l’identité de genre. Tout cela serait possible, mais il faudrait probablement qu’un intervenant en fasse la demande. Je comprends que c’est de cette façon que cela fonctionnerait. Autant l’Agence du revenu du Canada que Statistique Canada auraient les données. Des demandes devraient être présentées pour que les données soient explorées plus en détail afin d’obtenir le genre d’information dont vous parlez, mais ce serait possible.

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