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Le budget de 2023

Interpellation--Suite du débat

7 novembre 2023


L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour attirer votre attention sur certaines mesures du budget fédéral de 2023 liées aux changements climatiques.

À la page 81 du budget de 2023, on peut lire ce qui suit :

Depuis 2015, le gouvernement fédéral a pris des mesures pour bâtir l’économie propre du Canada et créer de bons emplois pour la classe moyenne. Ces mesures comprennent : la mise en place d’un système fédéral de tarification du carbone, qui remet l’argent dans les poches des Canadiennes et des Canadiens et donne aux entreprises la souplesse nécessaire pour décider de la meilleure façon de réduire leurs émissions; [...]

L’élément central de ces mesures est l’imposition d’un prix à ceux qui produisent des gaz à effet de serre (GES). Cette politique a été mise en place en 2018 avec l’approbation du Sénat.

La logique de la tarification du carbone est simple : les émissions qui imposent un coût environnemental en créant de la pollution doivent être tarifées pour encourager leur réduction en cette période de crise climatique. Selon les grands économistes, la tarification du carbone est le moyen le plus efficace de réduire les émissions de carbone. L’augmentation annuelle du prix envoie un message puissant aux consommateurs : les combustibles fossiles deviendront plus coûteux et les décisions d’adopter des solutions de rechange plus propres se traduiront par des économies considérables.

Lorsque des technologies de remplacement existent ou que des technologies plus efficaces sont facilement accessibles, la tarification du carbone incite fortement les gens à faire la transition. La tarification du carbone n’est pas une punition, mais un incitatif à trouver des solutions de rechange le plus tôt possible et à prendre des mesures pour réduire les émissions afin d’atteindre nos objectifs. C’est pourquoi la tarification du carbone n’est pas, à proprement parler, une taxe.

Au paragraphe 219 de sa décision de 2021, la Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit :

[...] Les redevances imposées par les parties 1 et 2 de la [Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre] ne peuvent être qualifiées de taxes; il s’agit plutôt de prélèvements de nature réglementaire qui visent à réaliser l’objectif réglementaire [...] soit modifier les comportements [...]

En juin 2021, nous avons adopté le projet de loi C-12, intitulé Loi concernant la transparence et la responsabilité du Canada dans le cadre de ses efforts pour atteindre la carboneutralité en 2050. Cette loi exige du gouvernement qu’il fixe des cibles nationales de réduction des émissions de GES et qu’il établisse un processus de planification, d’évaluation et de rapports en vue de l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050.

Malheureusement, l’atteinte des objectifs de réduction des GES constitue un défi de taille. Plus tôt aujourd’hui, le commissaire à l’environnement et au développement durable, Jerry DeMarco, a publié un rapport qui conclut que le Plan de réduction des émissions pour 2030 du Canada ne suffit pas pour atteindre l’objectif de réduire de 40 % à 45 % les émissions de GES par rapport au niveau de 2005 en 2030.

Comme Chambre d’analyse approfondie et non partisane, ne faut-il pas réaffirmer notre engagement envers l’atteinte des cibles prévues et la politique de la tarification sur le carbone, qui est reconnue par la plupart des économistes non seulement au Canada, mais partout dans le monde comme étant le moyen le plus efficace de réduire la production de gaz à effet de serre?

Depuis l’adoption de la politique de tarification du carbone, toutes sortes de discours politiques se sont fait entendre. Certains prétendent que cette politique a grandement contribué à l’inflation; d’autres disent qu’elle est responsable du prix élevé de la nourriture. Toutefois, en tant que sénateurs indépendants, nous ne devrions pas être influencés par les lignes de parti ou les arguments trompeurs des puissants lobbys. Nous devons plutôt chercher à examiner tous les faits pertinents avant d’en arriver à une conclusion.

L’un de ces faits pertinents est le taux d’inflation au Canada. En ce moment, il est de 3,8 %, alors qu’il est de 3,7 % aux États-Unis, de 4,3 % dans les pays de l’Union européenne, de 4,9 % en France et de 6,7 % au Royaume-Uni. Par conséquent, nous semblons mieux nous en sortir que bien d’autres pays développés.

Le 8 septembre, Tiff Macklem, le gouverneur de la Banque du Canada, a calculé que la tarification du carbone contribue à l’inflation canadienne à hauteur de 0,15 %. Autrement dit, en 2023, la taxe sur le carbone représente 0,30 $ d’une facture d’épicerie de 200 $. Si on tient compte de la période depuis son établissement, il y a quatre ans, elle représente 1,20 $ d’une facture d’épicerie de 200 $. Un économiste renommé de l’Université de Calgary, Trevor Tombe, confirme que la taxe sur le carbone est responsable de moins de 1 % de la hausse du prix des aliments.

Un autre fait à prendre en considération est que la tarification fédérale des émissions constitue un programme qui sert de filet de sécurité. Dans le respect de notre régime gouvernemental fédéral, chaque province ou territoire peut déterminer comment tarifer les émissions de carbone pour atteindre les cibles nationales. À l’heure actuelle, la Colombie-Britannique et le Québec sont les deux seules provinces à avoir mis en place un programme provincial pour atteindre les cibles de réduction au moyen de mesures adaptées à leur réalité. Autrement dit, le régime a été conçu pour donner aux gouvernements provinciaux de la flexibilité en ce qui concerne les détails, pourvu qu’ils atteignent les cibles établies scientifiquement pour lutter contre les changements climatiques.

Ainsi, au Québec, le système provincial en place fait en sorte que les exploitants agricoles québécois paient moins cher pour ce qui est de la taxe sur le carbone que ceux qui sont régis par le programme fédéral. En revanche, d’autres secteurs de l’économie québécoise peuvent payer plus cher.

Un autre aspect de la tarification du carbone est le programme de remboursement. À la page 35 du budget de 2023, on dit que le prix fédéral sur la pollution remet plus d’argent dans les poches de huit Canadiens sur dix dans les provinces où il s’applique. Incidemment, le directeur parlementaire du budget a confirmé cette conclusion.

Selon les estimations du ministère des Finances qui figurent à la page 230 du budget, les produits du régime de tarification de la pollution s’élèveront à 10,1 milliards de dollars pour l’exercice financier en cours, 2023-2024. Toujours pour la même période, le ministère estime, à la page 235, que les produits du régime de tarification de la pollution qui sont remboursés s’élèveront à 11,2 milliards de dollars, ce qui est supérieur par la marge de 1,1 milliard de dollars. Manifestement, les produits du régime de tarification de la pollution ne sont pas utilisés pour financer les activités du gouvernement, les achats militaires ou les programmes sociaux; ils sont plutôt redonnés aux Canadiens.

Selon le directeur parlementaire du budget, le coût des combustibles de chauffage et de traitement, y compris la tarification du carbone, représente en moyenne 0,8 % des dépenses totales des exploitations agricoles au Canada, que Statistique Canada estime à plus de 77 milliards de dollars. En Alberta, ce pourcentage est de 0,5 %, tandis qu’il est de 0,4 % au Manitoba et de 0,3 % en Saskatchewan.

Il y a bien sûr quelques variations entre les catégories d’exploitations agricoles. Sans surprise, la part la plus importante des coûts énergétiques par rapport aux dépenses globales est celle des serres, qui se situe entre 4 et 5 %. C’est pourquoi les serres à toit de verre bénéficient d’une exemption de 80 % de la taxe sur le carbone afin de leur imposer une tarification comparable à celle des autres entreprises agricoles au Canada. Pour les exploitations d’oléagineux et de céréales, les combustibles utilisés pour le chauffage et le séchage représentent 0,4 % des dépenses, et, pour les fermes d’élevage, ce pourcentage est de 0,7 %. Enfin, dans le cadre du système fédéral actuel, tous les agriculteurs sont également exemptés de la redevance sur les combustibles pour le diésel et l’essence utilisés dans les exploitations agricoles pour faire fonctionner les moissonneuses-batteuses, les tracteurs, les camions et d’autres machines.

Incidemment, le directeur parlementaire du budget estime que, dans le cadre du système de tarification du carbone, en 2023-2024, les agriculteurs des huit provinces et territoires paieront 13 millions de dollars pour le propane et 63 millions de dollars pour le gaz naturel, pour un total de 76 millions de dollars. Il convient également de noter que 58 % de ce total seront payés par les agriculteurs de l’Ontario, 22 % par ceux de l’Alberta, près de 16 % par ceux de la Saskatchewan et près de 4 % par ceux du Manitoba. Les agriculteurs des provinces de l’Atlantique paieront moins de 1 % du total.

Il convient aussi de signaler que, même si le prix du carbone a augmenté de 15 $ la tonne le 1er avril dernier pour passer à 65 $ la tonne en 2023-2024, les agriculteurs qui utilisent du gaz naturel ont payé en moyenne moins cher pour cette ressource cette année, car le prix des produits de base a baissé par rapport à l’année dernière.

L’autre fait à retenir, c’est l’adoption du projet de loi C-8, intitulé Loi portant exécution de certaines dispositions de la mise à jour économique et budgétaire du 14 décembre 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures. Le parrain de ce projet de loi au Sénat était mon collègue le sénateur Clément Gignac. Le 10 juin 2022, à l’étape de la deuxième lecture, il a décrit quatre modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu introduites par le projet de loi C-8. La quatrième modification disait ce qui suit :

Quatrièmement, en reconnaissant qu’un grand nombre d’agriculteurs utilisent le gaz naturel et le gaz propane dans le cadre de leurs activités, le projet de loi C-8 propose de rembourser, au moyen de crédits d’impôt remboursables, les produits issus de la tarification de la pollution directement aux entreprises agricoles dans les provinces où la redevance fédérale sur les combustibles s’applique [...]

La procédure requise pour accorder le crédit d’impôt remboursable aux agriculteurs est maintenant en place. On peut la résumer de la façon suivante. Dans chaque province, on crée un fonds où iront les recettes de la taxe sur le carbone payée par les agriculteurs. Le montant recueilli sera réparti entre les agriculteurs de la province sous forme de crédit d’impôt. La proportion attribuée à chaque agriculteur est déterminée selon un pourcentage équivalent au total de ses dépenses divisé par le total des dépenses de l’ensemble des agriculteurs de la province.

Le récent rapport du Comité de l’agriculture sur le projet de loi C-234 contient une série de recommandations intéressantes qui ont été adoptées à l’unanimité. Par exemple, on recommande que le ministère des Finances travaille avec l’Agence du revenu du Canada pour que le remboursement soit octroyé de façon plus précise et efficace aux fermes qui utilisent du gaz naturel et du propane. Le comité a aussi indiqué que, si le projet de loi C-234 est adopté, il faudra apporter un ajustement au régime prévu dans la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’éviter la double indemnisation. Les autres recommandations portent sur les technologies alternatives, le soutien pour l’adoption de technologies propres en agriculture et le fait que les changements climatiques constituent une menace importante et grandissante pour la stabilité du secteur agricole canadien.

En conclusion, la crise climatique cause des décès et de la souffrance au Canada et dans le monde entier, comme on l’a dit à maintes reprises dans cette enceinte indépendante. Nous avons tous respiré la fumée. Les émissions continuent d’augmenter. Nous savons ce qui attend les jeunes et les générations futures — à moins que nous agissions de toute urgence. C’est pourquoi notre groupe, les Sénateurs pour des solutions climatiques, nous a exhortés à en faire plus. Saisissons toutes les occasions d’agir.

Chers collègues, quel est le prix de l’air que nous respirons? Quel est le prix à payer pour que nos petits-enfants jouent dehors? Quel est le prix de cette Terre miraculeuse? Réitérons notre appui à la tarification du carbone et à une économie plus verte.

En conclusion, le rapport du Comité de l’agriculture et des forêts devrait faire partie de l’équation dans le cadre d’un débat approfondi qui mènera à des discussions justes sur tous les amendements et tous les points de vue exprimés au Sénat, comme le dirait la sénatrice Duncan.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ + ]

Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Avec plaisir.

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Sénateur, la taxe sur le carbone semble être une religion au sein du gouvernement de Justin Trudeau. Pourtant, lorsqu’on regarde les chiffres par rapport à la réduction des gaz à effet de serre, la Colombie-Britannique, qui est la province la plus taxée pour le carbone, a augmenté ses émissions de gaz de 4 % de 2008 à 2019. De plus, la Nouvelle-Écosse, qui est la province la moins taxée pour le carbone, a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 36 % au cours de la même période.

Pouvez-vous m’expliquer cette logique?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Merci, sénateur Boisvenu.

Honorables sénateurs, il faudrait comparer les taux de croissance de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique sur le plan de la population et du rendement économique, par exemple. Vous verriez qu’il y a beaucoup d’explications possibles pour l’augmentation des gaz à effet de serre qui sont produits, parce que, en effet, si on a plus d’usines, on produit plus d’émissions de carbone.

Sénateur Boisvenu, vous avez tout à fait raison de dire que la lutte aux changements climatiques demande de la détermination. Il ne faut pas regarder les chiffres dans l’abstrait. Il faut s’attaquer directement au problème, soit la réduction des gaz à effet de serre. C’est ce que fait la taxe sur le carbone, qui vise à obtenir des changements de comportements. Des économistes, dont des lauréats du prix Nobel, l’ont dit. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est la meilleure politique à adopter.

Merci.

Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une autre question?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur, je suis désolée, le temps prévu pour le débat est écoulé.

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